Mélanges historiques/06/13

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XIII
VISITE DE FRANQUET. 1752.

Voici les noms de ceux qui figurent au registre de la chapelle des Forges en 1752 : Panneton qui signe au mariage d’Étienne Laroche avec Charlotte Pepin ; André Corbin, Jean-Baptiste Lacombe et sa femme Marie Grenier ; Louis Voligny, commis des Forges ; Terreau, Luc Imbleau, Joseph Boivin, Jean-Baptiste Deschenaux et sa femme Marie-Josephte Contant, Jean-François Chrétien et Marie Sarrazin.

Charles-Étienne Laroche, né à Québec, forgeron aux forges Saint-Maurice, se maria dans ce dernier lieu, en 1752, avec Charlotte Pepin, en présence de Jean-Baptiste Lacombe, sa femme Marie Grenier, Jean-Baptiste Deschenaux, sa femme, André Corbin, Louis Voligny, commis aux Forges, Luc Imbleau, Terreau, Joseph Boivin, Jean-François Chrétien et Marie Sarrazin.

Antoine Terreau, d’origine inconnue, marié à Françoise Foulon, Canadienne, vivait aux Trois-Rivières. En 1724 ce ménage fit baptiser Joseph qui se maria dans la même ville le 14 février 1752 avec Madeleine Beaudoin et il leur naquit quatre enfants jusqu’à 1757 où la femme décède. Terreau continua de travailler aux Forges.

Le 7 janvier 1754, messire Brassard, curé de Nicolet, de passage aux Forges, baptise Joseph, fils de Jean-Baptiste Deschenaux, charretier, et de sa femme Marie-Josephte Contant. Parrain : Jean Deschenaux, grand-père de l’enfant ; marraine : Thérèse Lafrance. Le frère Augustin Quintal signe l’acte en place du frère Hyacinthe Amiot, absent jusqu’au 27 mars suivant, mais le baptême avait été fait par M. Brassard, curé de Nicolet, qui tenait de son père et de son grand-père le surnom de Deschenaux. Notons aussi que vers 1757, le bedeau de l’église des Trois-Rivières se nommait Jean-Baptiste Deschenaux, de la même famille.

Théodore Panneton, d’une famille canadienne, vivait aux Trois-Rivières. Sa femme se nommait Louise Gouin. Il paraît avoir été temporairement employé de son métier de menuisier aux Forges.

André Corbin, né à Québec, se maria avec Louise Petit, le 16 juillet 1731, aux Trois-Rivières, et s’établit dans cette ville. En 1748, il se remaria au même endroit avec Véronique Baby. On le qualifie de maître-forgeron. En 1752, il assiste à un mariage aux Forges. Cinq ans plus tard, il est syndic de la commune des Trois-Rivières.

Jacques Chrétien, appelé le sourd, de l’île d’Orléans, était aux Trois-Rivières en 1721 où fut baptisé son fils Jean-François, lequel se maria au même endroit en 1749, avec Marie-Anne de Noyon. Ce dernier travaillait aux Forges en 1752 et en 1757.

En 1750, je vois Louis-François Perrault, déjà mentionné, négociant aux Forges. Le 3 août 1750, il se maria, à Montréal, avec Josette Baby et demeura à Québec par la suite, ainsi que son frère Jacques qui était commerçant aux Forges en 1747. Un autre frère, Jean-Baptiste, doit être celui dont parle Franquet en 1752 lorsqu’il mentionne un marchand pourvu du monopole des vivres, boissons et marchandises des Forges.

L’ingénieur Franquet va nous occuper à son tour en parlant des Forges qu’il a visitées sur la fin de juillet 1752 : « M. Bigot, intendant de la Nouvelle-France, résidant à Québec, m’avait recommandé de visiter les forges de Saint-Maurice, en ajoutant que l’établissement était considérable et que je serais bien aise de les avoir vues pour être en état d’en rendre compte, et qu’en séjournant aux Trois-Rivières je pourrais m’y rendre en moins de deux heures, à quoi consenti je prévins M. Rigaud (gouverneur des Trois-Rivières) qui eut la complaisance de dire qu’il m’accompagnerait. Sorti des Trois-Rivières à 5 heures du matin avec MM. Rigaud, Tonnancour et tous mes compagnons de voyage que M. de Rouville, directeur des dites forges, arrivé de la veille en ville pour m’engager à ce petit voyage, y avait invités.

« En sortant de la ville, le chemin est beau, large et sablonneux ; il y a une maison bâtie dans son milieu qui masque le coup d’œil de son avenue environ à cent toises au-delà. L’on monte à droite une petite hauteur d’où l’on traverse une plaine, ensuite un bois et l’on arrive à sa sortie aux dites forges. Ce bois est brûlé en partie ; d’ailleurs il est dépouillé de tous les arbres propres à la charpente ; il n’y reste que du taillis et du sapinage. Vu dans la traversée plusieurs tourtres et perdrix et quelques éclaircies de prairies. À l’extrémité du chemin, pour descendre à Saint-Maurice, lieu où sont les dites forges du roi, est une rampe qui conduit à un ruisseau que l’on traverse sur un pont de bois, d’où l’on se rend au logement du directeur. Après les cérémonies du premier accueil de lui, de sa femme et des autres employés, on se met en devoir de parcourir l’endroit. On se porta d’abord sur le ruisseau ; il descend des hauteurs des bois, est traversé de trois digues jusqu’à son confluent, qui forment autant de chutes. La première digue soutient les eaux pour le service de la forge située au-dessous. Au-delà est la seconde, où ces mêmes eaux appuyées font aller un martinet. Plus bas est la troisième qui retient de nouveau les eaux pour l’utilité d’un semblable martinet. De là, ce ruisseau va se confondre dans la rivière Saint-Maurice. À chacune des retenues est une décharge aux eaux pour évacuer lors des grandes crues, le superflu au service des dites forges.

« La forge et les deux martinets qui font l’objet de cet établissement sont situés à la rive gauche de ce ruisseau. L’on estime, en égard à l’abondance de ses eaux, à leur force occasionnée par la raideur de leur pente, qu’on pourrait établir deux autres semblables martinets à sa rive droite, et même un troisième entre la dernière digue et la dite rivière.

« Les bâtiments affectés au logement des ouvriers sont situés sur le même côté des forges mais un peu éloignés ; ils sont plantés çà et là sans aucune symétrie ni rapport de l’un à l’autre ; chacun a son logement isolé et particulier, de manière qu’il y a une quantité de maisons, ainsi que de couverts et appentis pour magasins aux forges, au charbon et aux fers, et d’écurie pour les chevaux, dont l’entretien par économie doit constituer une grande dépense.

« Le principal bâtiment est celui du directeur. Quoique grand, il ne suffit point à tous les employés qui ont droit d’y loger. Il en coûterait moins au roi si tous les autres étaient rassemblés de même, néanmoins distribués en logements différents, tant pour la commodité de chacun que pour l’aisance du service.

« Entré ensuite dans la forge affectée à la gueuse, on me fit la galanterie de couler un lingot d’environ quinze pieds de longueur sur six et quatre pouces de grosseur. Il n’y a pas grande cérémonie à cela ; quand la matière est prête on ne fait qu’enfoncer une espèce de tampon et, pour lors, elle coule dans un canal formé entre deux petites digues de sable. Après cette opération, on me montra les poêles dessinés sur du sable, prêts à être coulés. Dans l’instant, l’un des ouvriers fut prendre une cuillerée pleine de matière et la renversa, bien doucement d’abord, dans les creux du dessin et ensuite jusqu’à hauteur des bords, de manière que le dessous étant en bosse le relief se trouve formé. Ces poêles se font par parties ; il faut six pièces pour un seul ; elles sont coulées sur des dimensions si précises qu’étant montées elles se joignent parfaitement. Les plaques pour les cheminées se font de même que les poêles. Leurs moules, à l’un et à l’autre, se font sur une table posée bien horizontalement et élevée de trois à quatre pieds de hauteur, de façon que l’ouvrier n’est point gêné à les travailler.

« L’on m’invita ensuite de passer dans un petit réduit où étaient plusieurs moules de pots, de marmites et d’autres ouvrages arrondis. Ils sont d’une construction différente des autres ; ce sont des figures cubiques, carrées, en tous sens, construites en bois en forme de châssis, contenues aux angles par des équerres de fer et revêtues en maçonnerie d’une brique d’épaisseur. On en coula dans le moment de trois espèces en notre présence. On ne voit point, comme aux ouvrages précédents, fluer la matière dans les moules mais l’on doit aisément se figurer comme elle s’y répand dans l’intérieur pour former la figure que l’on désire. Il n’y a d’autre attention à prendre à la fabrique de ces sortes d’ouvrages que d’avoir une cuillère assez grande pour contenir la matière nécessaire à la formation de chacun, ou si elle ne suffisait point d’en tenir une autre toute prête pour continuer la liaison.

« À la sortie de la forge, entré dans un des martinets, ensuite dans l’autre. On n’y fait que du fer battu de différentes grosseurs. Il m’a paru que les ouvriers le travaillent avec la même célérité qu’en France et, dans chacun de ces trois endroits, ils observent la cérémonie de frotter les souliers aux étrangers pour avoir de quoi boire[1]. Cet établissement est considérable. Il y a au moins cent vingt personnes qui y sont attachées. On ne brûle dans les fourneaux que du charbon de bois que l’on fabrique à une distance un peu éloignée de l’endroit. La mine est bonne, belle et assez nette. Ci-devant on la tirait sur les lieux mais aujourd’hui il faut l’aller prendre à deux ou trois lieues au loin.

« La régie de ces forges se fait par économie[2]. On doit sentir de là qu’en égard à la multiplicité des objets de dépense, s’il n’y a pas un homme à la tête entendu, droit et désintéressé, il peut s’y commettre bien des abus. Entre autres employés, le roi y entretient un récollet à titre d’aumônier[3].

« Le fer est estimé au-dessus de celui d’Espagne. Il se débite à Québec dans les magasins du roi, au prix de vingt-cinq à trente francs le cent pesant, et il m’a été assuré que sur le registre de la vente il n’y était porté qu’à douze francs dix sous.

« Si l’on veut une plus grande connaissance de ces forges, il n’y a qu’à lire le mémoire envoyé à la cour[4]. On y verra la forme du paiement des ouvriers et les fonctions des employés. On ne saurait ici rien ajouter de plus, sinon que de répéter que le privilège pour le débit des marchandises coûte au roi, pour son logement, son bois, son luminaire et ses gages, plus de mille écus, et que si l’on mettait ce poste à l’enchère, il m’a été assuré que Sa Majesté, au lieu d’être tenue à cette dépense, en tirerait cent pistoles tous les ans.

« Après avoir visité tout ce qu’il y a de remarquable à cet établissement, dont l’endroit montagneux, quoique défriché, conserve encore un air sauvage, rabbâtimes chez M. de Rouville, directeur, où nous dinâmes splendidement et en partîmes vers les cinq heures du soir, discourant beaucoup, chemin faisant, sur la forme de la régie qui ne saurait être que très onéreuse au roi. À notre arrivée aux Trois-Rivières descendu chez madame Rigaud et de là soupé, avec toute la compagnie, chez M. de Tonnancour. On estime, des Trois-Rivières aux dites Forges, trois lieues, néanmoins nous en fîmes le voyage en cinq quarts d’heure[5].

« Les Forges sont régies aujourd’hui pour le compte du roi par l’abandon qu’en ont fait les sieurs Cugnet et compagnie. Les principaux employés sont : un directeur, un caissier, un commis pour le détail, un marchand, pourvu du privilège exclusif de débiter les vivres, boissons et marchandises quelconques, et un armurier. Les ouvriers y sont payés généralement, par la rareté d’en trouver, à des prix exorbitants, les uns à raison d’un prix par quintal de fer, d’autres par des appointements fixes pour toute l’année, et quelques-uns à différents prix par mois d’hiver et d’été, mais tous sont logés, chauffés et voiturés au dépens du roi.

« Indépendamment de ces ouvriers domiciliés, en sont d’autres qu’on est obligé d’attirer de la campagne ou de la garnison des Trois-Rivières dans le fort du travail. Les premiers résistent d’y aller sous prétexte qu’ils ont leurs terres à cultiver, on use quelques fois de violence pour les y obliger ; de là il arrive qu’ils préfèrent abandonner le canton pour aller s’établir ailleurs que de se soumettre à ce qu’on exige d’eux. On se retourne du côté des soldats mais ceux-ci, sentant le besoin qu’on a d’eux, ne se prêtent qu’à des prix fort chers qu’on leur refuse[6], d’où il arrive que les ouvrages languissent et qu’il en influe un grand préjudice au roi.

« Il est aisé de convenir que tous ces employés et ouvriers sont d’une dépense considérable. Elle n’est pas la seule. La fabrique du charbon, l’achat des fourrages et avoines, l’emplette des chevaux, les voitures, les harnais, leur entretien, et les charrois de la mine de fer et des denrées la font monter, à quelque chose près, au profit qu’on en retire. De ce détail, l’on doit sentir que cette régie peut entraîner bien des abus — d’autant que le directeur n’a pas l’autorité absolue, que le caissier la partage et que chacun rend compte à M. l’intendant (Bigot) directement ou à sous-délégué de la partie qui lui est confiée et que le préposé à la fourniture des vivres est entretenu aux frais du roi et se croit indépendant.

« Moyens proposés pour maintenir le bon ordre, diminuer la dépense et augmenter la fabrique du fer :

« 1o  Ce serait de commettre un directeur intelligent, dont l’autorité absolue, subordonnée néanmoins à M. l’intendant, s’étendît sur tous les employés et ouvriers quelconques ; que tous lui obéissent, rendissent compte et fussent subordonnés.

« 2o  Que le charbon fut fait par des marchés convenus, ainsi que les achats de fourrages et d’avoine. Que les employés chargés des détails tinssent un registre journalier de leur dépense pour la confronter au besoin à celle rapportée de chacune des parties au compte général, et de là pouvoir juger de la conduite d’un chacun.

« 3o  Qu’on attirât de France un maître-ouvrier entendu et expert en toutes sortes d’ouvrages, soit pour la conduite de ceux à faire, en réparation, que d’autres en augmentation dont cet établissement est susceptible, tant par l’abondance des eaux du ruisseau que par les emplacements favorables à des martinets que présente sa rive droite.

« 4o  Qu’indépendamment des ouvriers forgerons qu’il faut de nécessité envoyer de France pour renouveler ceux d’aujourd’hui qui, sous prétexte que le terme de leur engagement est expiré, y font la loi pour le travail, on en fît venir une cinquantaine d’autres de tous métiers, pour travailler sous les ordres et sous les yeux du précédent. »

En résumé, Franquet dit que Rouville est directeur des Forges et qu’il n’y entend rien ; il y a une forge et deux martinets qui sont des établissements distincts ; cent vingt personnes sont attachées à l’ensemble des usines ; on y fait tout le charbon nécessaire ; la mine est située à deux ou trois lieues des Forges ; le roi y entretient un récollet à titre d’aumônier. L’établissement est mal conduit et la dépense est excessive.

Une note de 1754 montre les salaires des Forges : 1 directeur 100 francs, 1 fournisseur 100 francs, 2 hommes 60 francs. Ceux-ci devaient jouer du « tour du bâton » car ces chiffres sont ridiculement bas. Il y avait de plus 20 chefs de familles à 400 francs et 132 personnes de toute description à 400 francs. Le franc valait alors 90 centins de 1920[7].


  1. Les ouvriers des Forges allant en ville à pied (pour assister à la messe du dimanche) portaient à la main leurs chaussures cirées avec de la mine et ne les mettaient qu’à la descente du grand coteau où commence la rue des Forges. Très soigneux de leur toilette, ils avaient des habits propres et bien taillés, des chapeaux frais, du linge immaculé et l’on connaissait à cette tenue les « gens des Forges ». Il en était encore ainsi vers 1850.
  2. Le contraire de l’affermage.
  3. Jusqu’à 1763. Dès lors, la paroisse des Forges fut visitée par le curé des Trois-Rivières jusqu’à 1860 ; de 1860 jusqu’en 1903, un des prêtres du séminaire fut chargé de la desserte régulière des Forges. Depuis 1903, la mission est desservie par un prêtre de l’évêché.
  4. Franquet doit vouloir parler sans doute des rapports annuels que l’administration des Forges envoyait en France. Sinon, le mémoire en question n’est pas encore connu.
  5. Par la rivière Saint-Maurice, trois lieues ; par terre, sept milles.
  6. En 1750, on manquait d’ouvriers aux Forges. Le 19 mai, le Conseil de la marine répond à Bigot qu’il n’a pas jugé à propos de destiner une compagnie de soldats pour les travaux urgents, mais en 1753, la cour remarque qu’il serait temps de trouver une compagnie de soldats pour travailler quelques mois aux ouvrages secondaires des Forges.

    Cette même année il est question de former une nouvelle compagnie en état de se charger de l’exploitation des Forges. Puisque l’exploitation laisse enfin un excédent sur les dépenses, il est évident qu’une société particulière y trouverait de plus grands bénéfices. On ne put former aucune société et la chose languit ainsi.

  7. Même plus aujourd’hui, en comparaison du coût élevé de la vie. L’argent actuel représente le sixième de la valeur de la monnaie de 1750-60.