Le pays de Gex, pénétré de la reconnaissance la plus vive et la plus respectueuse pour le ministère, semble encore avoir quelques alarmes.
1o Les cultivateurs craignent que les employés qui seront dans le voisinage les inquiètent sur la liberté de commerce des blés, accordée si sagement à tout le royaume, sous prétexte que cette petite province serait réputée province étrangère ; elle se flatte que le ministère daignera calmer, par son arrêt, l’inquiétude où elle est sur cet objet.
2o Vingt-huit paroisses dont cette petite province est composée payent, en impôts, 130,000 livres par année.
indépendamment des droits du roi.
Et si on compte ce qui lui en coûte pour les premiers frais de saline, on verra qu’elle n’a guère gagné plus de 7,000 livres.
4o N. B. Parmi les bureaux, dont plusieurs sont nouvellement établis, il faut considérer que celui de Collonge, en delà[3] du fort de l’Écluse, à l’ancienne frontière du royaume, est le seul qui ait produit quelque chose à la ferme, et que, en quelque endroit qu’il soit replacé, il ne doit pas être confondu avec les autres bureaux, parce que c’est là qu’on a payé et que l’on payera les droits d’entrée et de sortie.
Ainsi nous n’aurions presque aucun avantage, et nous contribuerions seulement à enrichir Genève, à qui le roi donne le sel au prix de 6 livres 7 sous 10 deniers le minot.
Nous n’aurions d’autre ressource que de l’acheter en Suisse à un peu meilleur marché, et la Suisse ne pourrait nous vendre que le sel même qu’elle tire de la Franche-Comté ; ou nous en tirerions de Savoie, ou nous tâcherions d’engager la ferme générale à nous le vendre comme à un pays étranger, ce qui serait encore un petit bénéfice pour la ferme.
Il paraît donc que l’indemnité de 30,000 livres annuelle, demandée par la ferme, est trop forte, puisqu’il est démontré qu’elle n’a retiré, l’année passée, qu’environ 7,000 livres de bénéfice, non compris la recette des bureaux de Collonge, qui, loin de diminuer, augmentera encore, en quelque endroit que ce bureau soit placé hors du pays.
Quelque cher qu’il en coûte à la province, elle croira toujours son bonheur assuré par le règlement que le ministre médite ; elle le supplie seulement de daigner diminuer le fardeau dont la ferme veut la charger.
- ↑ Le titre et la date de ce Mémoire sont de la main de Voltaire ; le reste est de celle de Wagnière, dans la copie sur laquelle nous l’imprimons. Voyez (Correspondance) les lettres des 14 et 24 novembre 1775, à Mme de Saint-Julien. Dans la première, voici ce que Voltaire dit à cette dame, au sujet de ce même écrit : « J’envoie pourtant un Mémoire à M. de Trudaine, qui est un peu raisonné, et dans lequel même il y a de l’arithmétique ; et, si vous le permettez, j’en mettrai une copie à vos pieds, pour vous faire voir que je peux encore arranger des idées quand le soleil n’est pas couché. » Le patriarche de Ferney venait alors d’avoir une espèce d’attaque d’apoplexie, qui, disait-il, lui avait dérangé le corps et l’âme. (Cl.) — La première publication de ce Mémoire est de 1827. (B.)
- ↑ Supposé que la ferme des cuirs ait appartenu à la ferme générale. (Note de Voltaire.)
- ↑ En deçà par rapport à Ferney, et non en delà. (Cl.)
- ↑ Les corvées n’étaient pas encore supprimées, mais elles le furent en février suivant.
Voltaire parle donc ici de cette suppression comme d’un projet que l’on devait prochainement exécuter, et dont ses amis du ministère n’avaient pas manqué de lui donner avis.
Dans sa lettre du 9 février 1776, à M. Fargès, conseiller d’État, il dit : Nous attendons l’édit des corvées comme des forçats attendent la liberté. Le parlement n’enregistra cet édit qu’avec la plus grande répugnance, et les corvées furent bientôt rendues aux vœux d’une magistrature qui, quatorze ans plus tard, devait disparaître enfin avec elles. (Cl.)