Mémoire sur l'indépendance de l'Ukraine, présenté à la Conférence de la paix par la Délégation de la République ukrainienne (1919)/Géographie

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I

GÉOGRAPHIE(carte)


1. Le Territoire

L’Ukraine est, dans le sens géographique, un territoire uniforme et très étroitement lié au rivage de la Mer Noire dans laquelle tous les fleuves ukrainiens déversent leurs eaux, tandis qu’aucun ne franchit ses frontières pour s’écouler en Russie.

La République Ukrainienne n’a pas encore de limites politiques définitivement fixées ; mais ses frontières ethnographiques sont parfaitement nettes.

Ni ses voisins constants, les Polonais, les Hongrois, les Roumains et les Russes, ni les hordes nombreuses des nomades d’Asie, les Huns, les Avares, les Tatares, etc., n’ont été assez puissants pour enlever aux Ukrainiens les territoires où ils s’étaient établis les premiers, et pour empêcher leur colonisation de s’étendre jusqu’aux rives de la Mer Noire, au pied du Caucase et, plus loin, à l’est, en Sibérie et au Turkestan.

Si l’on considère comme appartenant à l’Ukraine tout le territoire habité par le peuple ukrainien, sa superficie totale s’élève à près de 850 000 kilomètres carrés.

Région de Kiev (Kievchtchina) 
51 000 kilomètres
Région de Podolie 
42 000 kilomètres
Région de Volhynie 
72 000 kilomètres
Région de Tchernigov 
49 000 kilomètres
Région de Poltava 
50 000 kilomètres
Région de Kharkov 
55 000 kilomètres
Région de Ekaterinoslav 
63 000 kilomètres
Région de Kherson 
71 000 kilomètres
Région de Kholm 
11 000 kilomètres
Région de Galicie orientale 
54 500 kilomètres
Région de Bukovine ukrainienne 
5 000 kilomètres
Région de Ukraine hongroise 
14 000 kilomètres
Région de Bessarabie ukrainienne 
14 000 kilomètres
Région de Tauride (trois districts) 
35 000 kilomètres
Région de Don ukrainien 
25 000 kilomètres
Région de Kouban 
54 000 kilomètres
Région de Stavropol ukrainien 
20 000 kilomètres
Région de Tchornomore (mer Noire) 
8 000 kilomètres
Région de Voronèje ukrainien 
29 000 kilomètres
Région de Koursk ukrainien 
12 500 kilomètres
Région de Polissia (partie ukrainienne de la région de Minsk et de Mohilev) 
30 000 kilomètres
Région de Pidlachia (partie ukrainienne de la région de Grodno) 
14 000 kilomètres

Si l’on comprend dans le territoire ukrainien la Crimée (23 000 kilomètres carrés) et la partie du Caucase (par exemple le Terèk) où, bien que les Ukrainiens ne soient pas en majorité, ils forment cependant une proportion appréciable en regard de celle des autres populations, l’Ukraine est territorialement plus grande qu’aucune autre nation de l’Europe, la Russie européenne exceptée.

L’Ukraine ethnographique se trouve entre le 44° et le 53° de latitude (Pidlachia-Kouban), et entre le 20° et le 45° de longitude, région de Lemke (Lemkevchina), région au delà du Don (Zadontchina), c’est-à-dire qu’elle a plus de 600 kilomètres de largeur et que sa longueur dépasse 1 000 kilomètres. Ce territoire est le prolongement des plaines de l’Europe Orientale qui, n’ayant pas de barrières naturelles, offre une voie commode aux hordes nomades dans leur marche vers l’Ouest. Le peuple ukrainien a colonisé tout le territoire qui s’étend des Carpathes au Caucase, des marais de Pinsk aux bords de la Mer Noire, l’a cultivé et, le sabre à la main, l’a conservé pendant plus de mille ans.

L’Ukraine n’a pas de limites naturelles nettement définies, principalement à sa frontière orientale et dans une partie de sa frontière occidentale. Elle est, cependant, d’une autre formation que la Russie et la Pologne par son origine géologique et les éruptions volcaniques. La plus grande partie de son territoire est plate, avec çà et là de petits mamelons. Les montagnes se trouvent au Sud (Monts de Crimée), au Sud-Est (Caucase) et à l’Ouest (Carpathes). De toutes ces montagnes les Carpathes jouent le plus grand rôle dans la vie du peuple ukrainien (elles abritent les Lemky, les Boïky et les Houtsouly). De leurs principaux sommets descendent de très nombreux contreforts tout le long desquels courent les plateaux de Pidguirria, de Peremychl à Koloméia.

Les villages ukrainiens s’étendent jusqu’au bas des montagnes de la Crimée et du Caucase ; mais ils s’y rencontrent côte à côte avec d’autres villages habités par une population différente de langue et de nationalité (population tatare ou autre). Les montagnes du Caucase, comme celles des Carpathes, sont très importantes pour l’Ukraine à cause des richesses forestières et pétrolifères qu’elles renferment : les premières, dans les régions de Maikop, les secondes, dans les régions de Drogobytch. Quant aux monts de Crimée, ils sont coupés par des vallées où de nombreux jardins fournissent leurs primeurs, et où des vignobles ensoleillés donnent d’abondants et délicieux raisins.

Une grande partie du territoire ukrainien se compose de plateaux qui, séparés les uns des autres par des vallées, partent des bords de la Mer Noire pour se diriger vers l’Est et l’Ouest. Les plateaux occidentaux s’étendent, en Podila, de la vallée du Dnièstr à celle du Boug, puis passent en Pocoutia, entre le Dnièstr et le Prouth et vont jusqu’en Dobroudja, entre le San et le Boug ; ils prennent le nom de Rostotcha ; puis entre le Boug, le Teterev et le Pripet, ils s’appellent Volhynie et se joignent aux plateaux du Dnièpr placés entre le Teterev, le Dnièpr et le Boug. Les plateaux orientaux vont du Dnièpr au Donetz, lequel est riche en charbon et en minerai de fer.

Tous ces plateaux, connus sous le nom de « plateaux de la Mer Noire » n’atteignent pas 500 mètres au-dessus du niveau de la mer (leur moyenne est de 300 mètres). D’altitude sensiblement égale, ils forment ce qu’on appelle « la terre noire » et ont une grande fertilité (le Nord seul est sablonneux et argileux). Mais ils ne sont pas tous livrés à l’agriculture : les forêts y occupent de vastes étendues.

Les plaines septentrionales partent de Pidlachia, ligne de partage des eaux du Boug et du Pripet, et s’étendent jusqu’à Rostotcha et Polissia, vers le bassin du Pripet. La campagne qui se déploie sur la rive gauche du Dnièpr va jusqu’aux cataractes de ce fleuve. Les plaines méridionales de la mer Noire s’étalent entre le plateau de Podolie, le plateau du Donetz, l’embouchure du Don et celle du Danube. La partie septentrionale de la vallée est couverte de sable, de marais, de tourbe et, en certains endroits, de vastes forêts. Jadis il y avait là un grand lac. Au Sud, l’immensité des steppes se déroule avec, çà et là, des tertres et des tombeaux. Près du Dnièpr, le sable alterne avec un humus très fertile et, parfois, en est séparé par des steppes ; sur les rives mêmes du fleuve, on voit des prairies et des terrains marécageux.

Les montagnes ukrainiennes, les plateaux et les vallées sont sillonnés par de nombreux cours d’eau qui, les uns tumultueux, les autres paisibles, se dirigent vers la Mer Noire ou la Mer d’Azov.

Les fleuves ukrainiens qui se jettent dans la Mer Noire sont le Dnièpr, le Dnièstr et le Boug. Le Dnièpr est le fleuve le plus important de l’Ukraine qu’il traverse dans toute sa longueur. C’est sur la rive droite de ce fleuve que se trouve Kiev, la capitale de l’Ukraine. À l’époque déjà ancienne (IXe-XIIe siècles), où les comtes ukrainiens régnaient à Kiev, le Dnièpr était heureusement utilisé pour les relations commerciales entre l’Ukraine et l’État byzantin ; et, plus tard (XVIe-XVIIe siècles), il servit à d’autres fins, quand le peuple ukrainien, dirigé par des chefs célèbres, eut à lutter contre la Pologne ou contre Moscou, pour garder son indépendance. Actuellement, le Dnièpr est d’une importance capitale pour la vie économique de l’Ukraine. Il est la meilleure voie de communication pour tout le pays qu’il peut mettre, par la mer Noire, en relations directes avec le monde entier.

Le Dnièpr prend sa source dans la Russie-Blanche. Quand il entre en Ukraine, ses eaux sont déjà abondantes, puisqu’à Kiev il atteint 850 mètres de largeur. Dans son cours inférieur, en aval d’Ekaterinoslav, des rochers de granit surgissent de son lit et forment des cascades qui se continuent jusqu’à Alexandrovsk, empêchant toute navigabilité sur un parcours de 53 kilomètres. Kiev est, de ce fait, privé de toute communication fluviale avec les ports de la Mer Noire. Mais si, comme le font espérer les travaux déjà commencés, un canal rend navigable cette partie du Dnièpr et si, d’autre part, on sait utiliser les énergies des cascades (houille blanche), Kiev et Kherson seront directement reliés.

Le Dnièpr est, par sa longueur, le troisième fleuve de l’Europe ; il a un cours de 2 100 kilomètres, dont plus de 1 500 navigables en Ukraine. Ses affluents très nombreux sont : sur la rive droite, la Beresina, le Pripet grossi du Styr et du Sloutch, le Teterev et la Stougna ; sur la rive gauche, la Desna grossie du Seym, la Soula, le Psiol, la Vorskla, l’Orel et la Samara. Le bassin du Dnièpr comprend la moitié du territoire ukrainien.

Le Dnièstr, qui prend sa source dans les Carpathes ukrainiennes, est le grand fleuve de l’Ukraine Occidentale. Le long d’un cours de 1 300 kilomètres, il reçoit : sur la rive droite, la Bystrytsa, le Stryi, la Suitcha, la Lymnytsa et la Vorona ; sur la rive gauche, le Strviage, la Veresytsa, la Gnyla et Solota Lypa, le Sereth, le Zbroutch, le Smotrytch et l’Iagorlyk.

Le Boug, qui coule en Podolie, a pour affluents la Synukha et l’Ingoul.

Le Don, fleuve de l’Ukraine Orientale, a pour affluents le Voronèje, le Manytch, le Donetz et le Bakhnout et se jette dans la mer d’Azov.

Le Kouban prend sa source dans les monts du Caucase et, grossi de la Laba et de la Bila, déverse ses eaux, par deux embouchures, dans la Mer d’Azov et dans la Mer Noire.

Beaucoup d’autres cours d’eau, mais inutilisables pour la navigation, arrosent l’Ukraine.

Celle-ci possède quelques lacs. Au Nord, en Polissia, se trouvent le lac Kniaz et le lac Vyganovské ; dans le Kouban, le lac Manytch ; près d’Odessa, le lac Bilé ; près du Dnièpr, le lac Kraukové ; près du Donetz, le lac Soloné ; dans les montagnes des Carpathes, le lac Chebené qui a 850 mètres de long et 200 mètres de large. Dans les Carpathes et en Polissia, certains lacs ont jusqu’à 40 kilomètres de long et 10 de large.

Un des plus grands avantages de l’Ukraine est d’avoir la majeure partie de sa frontière méridionale baignée par la Mer Noire. Cette mer a déjà joué un grand rôle dans l’histoire du peuple ukrainien qui, en entretenant grâce à elle des relations commerciales directes avec l’État byzantin, a pu développer par ce contact sa civilisation et son éducation. Aujourd’hui, la Mer Noire est appelée à avoir sur les destinées de l’Ukraine une influence capitale.

La Mer d’Azov, que la presqu’île de Crimée sépare de la Mer Noire, fait en somme partie de cette mer avec laquelle elle communique par le détroit de Kertch.

Les principaux ports que l’Ukraine possède tant sur la Mer Noire que sur la Mer d’Azov sont : Odessa, Nikolaiev, Kherson, Sébastopol, Théodosie, Marioupol, Berdiansk, Rostov, Taganrog et Novorosüsk. Par ces ports l’Ukraine importe et exporte une grande quantité de marchandises et de produits manufacturés : du blé, du charbon, du minerai, du sucre, etc.

La Mer Noire et la Mer d’Azov sont très poissonneuses, et, sur leurs rivages, les industries qu’approvisionnent les pêcheurs sont fort développées.

L’Ukraine a un climat franchement continental. Ce climat est excellent, et il serait meilleur encore si les Carpathes n’étaient pas un obstacle aux vents chauds de l’Ouest et si l’Ukraine était garantie des vents de l’Est qui apportent avec eux la sécheresse et les gelées, surtout dans les régions situées sur la rive gauche du Dnièpr. Quant aux régions de la rive droite, elles jouissent d’un climat très analogue à celui de la France. Le printemps est court en Ukraine, mais plus beau et plus chaud que dans les pays de l’Europe Occidentale. Il cède la place, presque sans qu’on s’en aperçoive, à un été très chaud et qui dure trois à quatre mois. Celui-ci est remplacé par un automne fort doux, auquel succède un hiver qui ne dure guère que de soixante-dix à quatre-vingts jours, et sans trop de rigueur.

Il y a en Ukraine beaucoup de stations climatériques et balnéaires, dont les plus importantes se trouvent dans les Carpathes, en Crimée et au Caucase, et des sources minérales dont la qualité ne le cède en rien aux sources les plus célèbres de l’Europe Occidentale.

La végétation, assez riche et variée, peut se diviser en végétation septentrionale et en végétation méditerranéenne. La première se subdivise en végétation de la zone montagneuse, de la zone forestière et de la zone des steppes. La végétation de la zone montagneuse consiste surtout en conifères : pins, sapins, cèdres, etc. La végétation de la zone forestière (laquelle comprend 1/5 de l’Ukraine) se rencontre au Nord et au Sud-Ouest. Abondantes en conifères, les forêts ukrainiennes ont aussi des hêtres, des chênes, des charmes, des érables, des trembles, des frênes, des peupliers, des aunes, des saules, des tilleuls, des ormes, etc. Dans la zone des steppes, elles sont moins nombreuses. Dans les régions de Kharkov et de Poltava, il y a déjà beaucoup moins de bois que dans la zone forestière ; et, dans les régions de Kherson et d’Ekaterinoslav, il n’y en a presque pas. Cette zone des steppes se continue jusqu’à la Mer Noire et possède une végétation spéciale. La végétation de la zone méditerranéenne (Crimée et Ciscaucasie) comprend le laurier, l’olivier, le cyprès, le myrthe, etc.

Le peuple ukrainien aime les arbres et les fleurs pour qui le peuple russe a une indifférence presque absolue. Dans toutes les campagnes ukrainiennes, de nombreux jardins entourent les villages et les hameaux.

Dans l’Ukraine méridionale, il y a beaucoup de vignobles, surtout dans les gouvernements de Kherson et de Tauride où, comme dans toute l’Ukraine l’on cultive également les céréales et les légumes, les betteraves et le tabac, dont la récolte est considérable. Là, le terrain est extrêmement fertile : le coton, le riz et les gommiers y poussent avec un certain succès.

La faune ukrainienne est plus uniforme que sa végétation, et ses produits appartiennent au Nord européen.

Dans les montagnes de l’Ukraine, on rencontre l’ours, le cerf, le chamois, le blaireau, etc. Dans les zones forestières, vivent quelques loups, des renards, des écureuils, des lièvres, etc. Dans les steppes, on trouve le zizel, le bobal, la gazelle, le rat-taupe. Dans toutes les eaux ukrainiennes habitent la loutre et, près de tous les villages, le putois.

Les oiseaux sont nombreux en Ukraine. Dans les montagnes nichent l’aigle et le faucon ; dans les champs, le coq de bruyère, la perdrix, la caille, la bécasse, la tourterelle, le geai, le sansonnet, etc. Le rossignol, le coucou, l’hirondelle et la cigogne égaient tous les villages ukrainiens. Dans les steppes, près de l’eau, habitent le cygne, la grue, la mouette et le héron.

Les animaux domestiques sont, en Ukraine, le cheval, le bœuf, la vache, les brebis, le porc, le chien, la chèvre. Il y a de très bonnes races de bétail qui s’appellent les races gris-ukrainiennes. Les basses-cours sont peuplées d’oies, de coqs, de poules, de dindes, de pintades. Les fleuves abondent en poissons : dans les eaux descendant des montagnes la truite foisonne, tandis que, dans les eaux coulant le long des vallées, nagent la silure, la perche, la tanche, le brochet, et, dans les eaux des steppes, l’esturgeon, la brème, le saudat, etc.

Les abeilles prospèrent aussi en Ukraine, et la récolte du miel y est particulièrement importante, alors que l’élevage du ver à soie ne commence qu’à s’y organiser.

En résumé, l’Ukraine a une faune et une flore aussi variées que celles des autres pays.

À tous les points de vue, elle se distingue des États voisins. Les conditions climatériques et les richesses naturelles ont donné à sa population des habitudes de travail, le goût de l’industrie et l’amour d’un territoire qu’elle a défriché, qu’elle a fertilisé, et dont on ne peut lui contester la propriété millénaire.

2. Population

Le territoire ethnographique actuel de l’Ukraine compte près de 50 000 000 d’habitants. En indiquer le nombre exact est chose très difficile, car dans l’ancien empire russe, comme d’ailleurs dans certaines parties de l’empire austro-hongrois, il n’y a jamais eu de recensement rigoureux.

L’Ukraine avait, au début de la guerre, une population qui se répartissait ainsi :

Gouvernements Habitants
Gouvernements
Kiev 
4 792 500
Poltava 
3 792 100
Podolie 
4 057 300
Volhynie 
4 189 000
Tchernigov 
3 200 000
Ekaterinoslav 
3 455 000
Kharkov 
3 416 000
Kherson 
3 774 600
Kholm 
900 000
Galicie orientale 
5 378 650
Bukovine ukrainienne 
460 430
Ukraine hongroise 
568 490
Bessarabie ukrainienne 
787 700
Grodno (Pidlachia, 3 districts) 
715 500
Minsk (Polissia, 2 districts) 
469 700
Tauride (3 districts) 
1 324 100
Don (2 districts) 
1 196 600
Koursk (4 districts) 
780 250
Voronèje (5 districts) 
1 519 250
Kouban (4 districts) 
1 763 800
Stavropol (2 districts) 
492 500
Tchornomore (Mer Noire) 
200 000
Crimée 
700 000

Si à ces chiffres on ajoute celui de la population ukrainienne qui habite certaines parties des districts limitrophes du territoire ukrainien sans y former une majorité absolue, par exemple les gouvernements de Koursk, de Voronèje, du Don, de Stavropol, du Kouban, de la Bessarabie et du Terèk, on atteint facilement les 50 000 000 que nous avons donnés comme chiffre de la population de la République Ukrainienne.

Dans ces 50 000 000 d’habitants sont compris 75 % d’Ukrainiens, soit 37 500 000. Si l’on considère que beaucoup d’Ukrainiens, environ 3 000 000 d’après les derniers recensements, habitent en dehors des frontières ethnographiques de l’Ukraine, par exemple, en Sibérie, au Turkestan, au Caucase, en Russie européenne (près du Volga), que 500 000 vivent aux États-Unis, 200 000 au Canada, 100 000 en Argentine et au Brésil, le chiffre total des Ukrainiens qui vivent dans le monde entier s’élève à 41 ou 42 millions.

Il résulte de ce chiffre que, quantitativement, le peuple ukrainien tient une des premières places parmi les peuples européens.

Dans le centre de l’Ukraine, le pourcentage en faveur des Ukrainiens atteint dans les gouvernements de Poltava 93, de Kiev 80, de Podolie 81, de Kharkov 81. En Galicie, dans le gouvernement de Kholm, ce pourcentage descend à 70. À l’Est, dans les gouvernements du Don et du Kouban, il descend à 60, et au Sud, dans les gouvernements de Kherson et de Tauride, à 60 et même à 55.

Parmi la population non ukrainienne qui habite le territoire ukrainien, la plus nombreuse est la population russe : celle-ci atteint un peu plus de 9 %, c’est-à-dire qu’elle comprend à peu près 4 millions et demi d’individus. Dans ce nombre sont comptés tous les fonctionnaires russes et les Ukrainiens que la crainte de perdre leurs fonctions a poussés à se déclarer Russes, mais qui, depuis la renaissance de l’État ukrainien, ont recouvré leur ancienne nationalité. La plupart des Russes se trouvent dans les districts de Tchernigov, de Koursk, de Voronèje, du Don, du Kouban, de Stavropol et dans les régions de la Mer Noire.

La seconde place est tenue par les Juifs qui sont au nombre de 3 800 000, c’est-à-dire qui forment 7,6 % de la population totale. Ils sont dispersés sur tout le territoire ukrainien ; mais ils habitent surtout les villes, et notamment celles de la rive droite du Dnièpr. Dans les régions de l’Ukraine Orientale et près de la frontière russe, on voit très peu d’Israélites, car le gouvernement russe leur interdisait de vivre là.

Les Polonais, qui sont en Ukraine au nombre de 2 000 000 environ, forment à peu près 4 % de la population. Ce chiffre est inférieur à celui des statistiques officielles qui comptent comme Polonais, surtout en Galicie, tous les Ukrainiens catholiques dont le nombre s’élève à 200 000 environ.

Le quatrième rang est occupé par les Allemands qui constituent 1,6 % de la population avec près de 800 000 individus. Ceux-ci ne vivent pas en villages groupés dans telle ou telle région, mais éparpillés dans quelques districts des gouvernements de Kherson, d’Ekaterinoslav, de Tauride, de Volhynie et de la Bukovine.

Telles sont les principales populations non ukrainiennes qui se trouvent sur le territoire ethnographique ukrainien, mais il y en a d’autres, dont aucune d’ailleurs n’atteint un pourcentage supérieur à 1.

Parmi celles-ci, la première place revient aux Roumains (Moldaves) dont le nombre est à peu près de 400 000. Ils habitent dans les districts des gouvernements de Kherson, de la Bessarabie et de la Bukovine.

Puis viennent les Tatares qui, au nombre de 300 000, vivent surtout dans le district méridional de Crimée et dans une partie du gouvernement d’Ekaterinoslav (le district de Marioupol), — les Blancs-Russes (250 000) qui se trouvent au Nord de l’Ukraine, — les Bulgares (près de 150 000) qu’on rencontre dans les districts d’Akkerman et d’Ismaïl, en Bessarabie, et dans le district de Berdiansk, en Tauride, — les Grecs (100 000), les Arméniens (55 000), les Tchéco-Slovaques (55 000), les Hongrois (35 000), les Tcherkess (30 000) et les Turcs (25 000).

En somme, la population qui vit sur le territoire ukrainien se répartit ainsi par nationalités :

Ukrainiens 
37 500 000 ou 75,6 %
Russes 
4 500 000 ou 79,6 %
Juifs 
3 800 000 ou 77.6 %
Polonais 
2 000 000 ou 74,6 %
Allemands 
800 000 ou 71.6 %
Divers : (Roumains, Tatares, Blancs-Russes, Bulgares) 
1 400 000 ou 72.8 %

La grande majorité de la population (80 %, c’est-à-dire 40 000 000 d’individus) vit dans les villages et les hameaux, tandis que les villes et les bourgs ne sont habités que par 20 % de la population.

Comparativement aux autres pays, l’Ukraine est fort peuplée puisqu’elle a une moyenne d’habitants (70 par kmq) presque égale à celle de la France (74 habitants par kmq). Mais si l’on ne considère que sa population villageoise, elle est beaucoup plus peuplée que la France et que l’Italie ; car elle compte 64 habitants par kmq.

Prises isolément et comparées les unes aux autres, les régions ukrainiennes sont très inégalement peuplées. C’est ainsi que dans le district de Cernovitz (Bukovine) il y a 239 habitants par kmq, ce qui donne pour ce district une proportion égale à la densité moyenne de l’Angleterre. Dans le district de Stanislaviv (Galicie), il y a 190 habitants par kmq ; dans le district de Kiev, il y en a 159 ; dans celui de Kharkov, 154 ; mais, dans le district de Marmorosh (Ukraine hongroise), il n’y en a que 25, dans celui d’Ekaterinodar (Kouban) que 20, et dans celui de Mosyr (Polissia) que 17. Donc, si la densité était sur tout le territoire ukrainien la même que dans le district de Kiev, la population de l’Ukraine s’élèverait à près de 112 000 000 d’habitants, et, si elle était partout ce qu’elle est dans le district de Cernovitz, son chiffre serait plus de trois fois plus grand qu’il n’est en ce moment, c’est-à-dire s’élèverait à 180 000 000 d’individus.

La population urbaine de l’Ukraine est très variée. Il arrive parfois que la majorité des habitants d’une ville ne soit pas ukrainienne, bien que les Ukrainiens forment 50 % de la population urbaine du pays, c’est-à-dire comptent 5 millions d’individus vivant dans les villes. L’autre moitié est composée de Juifs, de Russes, de Polonais, de Grecs, d’Arméniens, etc.

Les Ukrainiens et les Juifs habitent dans toutes les villes de l’Ukraine et forment les principaux groupes de la population urbaine, alors que les Russes ont un pourcentage appréciable seulement à l’Est et les Polonais seulement à l’Ouest. Au Sud de l’Ukraine, surtout sur les rives de la Mer Noire, la population des villes est très diversement composée.

Les principales villes de l’Ukraine sont : Kiev, la capitale, dont la population actuelle s’élève à plus d’un million d’âmes, — Odessa (800 000 habitants), grand port de commerce sur la Mer Noire, — Lemberg (Lviv) (400 000 habitants), centre principal de l’Ukraine Occidentale, — Kharkov (350 000 habitants), centre principal de l’Ukraine Orientale, — Ekaterinoslav (300 000 habitants), centre principal de l’Ukraine Méridionale, — Rostov (250 000 habitants), grand port commercial, — Ekaterinodar (200 000 habitants), centre principal du Kouban, — Kherson, Nikolaiev, Sébastopol, Tchernowitz, Krementshug, Vinnitza, Berditchiv, Soumy, Elisabethgrade, Jytomir, Nijyn, Simferopol, qui ont de 100 à 150 000 habitants. D’autres grandes villes ont une population qui s’élève entre 50 et 100 000 habitants.

Possesseur d’un grand territoire, le peuple ukrainien a su, en dépit des événements historico-politiques, conserver son unité ethnographique. Les montagnards des Carpathes les Cosaques du Kouban, les Ukrainiens du Nord (Pintchouki) et les Ukrainiens des rives de la Mer Noire, se savent les membres d’un même peuple. Uni par la même langue, par la même tradition historique, par la même religion et par la même culture, ce peuple a su toujours résister courageusement aux convoitises annexionnistes des peuples voisins, Polonais, Russes et Roumains.

Fait tout à fait digne de remarque, les traits qui caractérisent un peuple, — les coutumes, les rapports familiaux et civiques, les chants populaires, les vêtements, le type des maisons et de leurs dépendances, le mobilier, — ne se sont pas seulement conservés presque en entier sur tout le territoire ukrainien, distinguant ainsi la population ukrainienne de ses voisines, mais ils ont été gardés pieusement par les Ukrainiens que des circonstances particulières ont obligés à émigrer en Sibérie, au Turkestan ou en Amérique. Et ce fait s’explique par ceci que le peuple ukrainien, étant un peuple éminemment agricole et paysan, est, par là même, conservateur des formes de sa vie sociale, de sa vie publique, de ses mœurs et de ses manières de vivre.

Les Ukrainiens ont divers caractères particuliers qui les distinguent des autres peuples et qui sont assez précis pour qu’on ne les confonde point avec leurs voisins eux-mêmes, Russes et Polonais. On sait que les Slaves forment deux groupes différents : le premier est caractérisé par sa taille élevée, son visage rond et ses cheveux noirs, — le second par sa petite taille, son visage ovale et ses cheveux blonds. Au premier groupe appartiennent, d’après les anthropologistes, les Serbo-Croates, les Slovènes, les Tchéco-Slovaques et les Ukrainiens. Le deuxième groupe comprend les Russes, les Polonais, les Blancs-Russes et les Slaves qui habitent sur les bords de l’Elbe. Et ce ne sont pas seulement les anthropologistes ukrainiens comme l’académicien T. Vovkov et le professeur Rakovski qui ont démontré, chiffres en mains, l’exactitude de cette classification, mais aussi les Russes Popov et Krasnov et les Français Deniker et Reclus.

Par la taille, les Ukrainiens sont plus grands que tous les autres peuples slaves : leur hauteur moyenne est de 1,670 m, alors que les Blancs-Russes n’ont que 1,651 m, les Polonais 1,654 m et les Russes 1,657 m.

En moyenne, les Ukrainiens ont les jambes plus longues et les bras plus courts que ne les ont les Russes et les Polonais. Les caractères anthropologiques les plus importants se présentent très différemment pour les Ukrainiens, les Russes et les Polonais. Les Ukrainiens ont une tête plus ronde avec index de la tête qui atteint 83,2 ; les Polonais viennent ensuite avec index 82,1, puis les Russes avec index 82,3. Les trois peuples sont brachycéphales ; mais les dimensions du crâne ne sont pas les mêmes. Enfin la dernière caractéristique essentielle au point de vue anthropologique, la couleur des yeux et des cheveux, distingue les Ukrainiens des Russes et des Polonais. Sur 100 individus, 29,5 Ukrainiens ont les cheveux blonds et les veux de couleur claire, 35 ont les cheveux châtains et les yeux gris, et 35,5 ont les cheveux et les yeux noirs, alors que, sur le même nombre d’individus, les Russes en ont 37 avec les cheveux blonds et les yeux clairs, 41 avec les yeux gris et les cheveux châtains et 22 avec les cheveux et les yeux noirs, et les Polonais en ont 35 avec les cheveux blonds et les yeux clairs, 46 avec les yeux gris et les cheveux châtains et 19 avec les yeux et les cheveux noirs.

En conséquence, ce pourcentage range parmi les peuples aux cheveux et aux yeux noirs les Ukrainiens qui, par de nombreux autres signes, se rapprochent, au dire de Deniker, de la race adriatique, tandis que les Russes et les Polonais prendraient plutôt rang dans la race vislienne. Signalons, d’autre part, que les études des anthropologistes sur le peuple ukrainien ont été faites en différents endroits de l’Ukraine ethnographique et qu’elles ont partout donné le même résultat. C’est dire que ces études confirment l’unité ethnographique du peuple ukrainien, des Carpathes au Caucase, des rives de la mer Noire aux frontières du septentrion.