Mémoire sur quelques affaires de l’Empire Mogol (A. Martineau)/Explications

La bibliothèque libre.
Édouard CHAMPION - Émile LAROSE (p. 541-582).

TABLE D’EXPLICATIONS

A

ALIGOHOR. — Veut dire haute naissance, race illustre, c’est le nom que portoit le Chazada, fils aîné d’Alemguir second, devenu empereur sous le nom de Chahalem.

AFGHANS. — Patanes. On prétend que ce nom qui veut dire hurlant, leur a été donné dans le principe, par ce que les peuples habitans des montagnes au nord de l’Indoustan, faisoient dans leurs incursions des cris épouvantables.

ARGY. — Requête, suplique.

ARSBEGUY. — Maître des requêtes, officier à qui on les remet pour être présentées.

ALDÉE. — Village, bourg.

ARKARAS. — Espion. Le métier d’espion n’est point déshonorant parmi les Indiens, Maures ou Gentils. La surintendance des arkaras est une charge. Les arkaras servent souvent les deux partis opposés ; c’est à qui les payera le mieux, on se contente de les renvoyer ; il y a des cas, cependant, où ils sont très maltraités.

ACHERFY. — Roupie d’or ; il y en a de 14 r. de 16 et même de 18. Celles-ci sont fort anciennes et valent jusqu’à 45 l.

ANKACHE. — Gros crochet de fer qui sert à conduire les éléphans.

B

BAZARAS. — Voitures ou carosses d’eau dans le Gange. Il y en a de très beaux et grands ; ils vont à la voile et à la rame ; on en fait depuis peu à quille, ce qui les rend plus surs.

BALADGIRAO. — Ministre, ou plutôt usurpateur du gouvernement marate de Pouna ; son nom est Baladgi Bazirao Nana, fils de Tininadji Pandet, brame marate puissamment riche. Baladji Bazirao Nana étant divan du roi des Marates, fit tant par ses intrigues qu’il s’empara du gouvernement après avoir fait enfermer dans Satara le prince et ses enfans ; dès lors fut formée la grande division des Marates du Bérar sous Ragotdjy et Djanoudjy princes qui sont véritablement du sang royal.

Baladjy Bazirao a eu trois fils : Savadjy Bazirao, Sadouba et Ragouba, autrement dit Ragounatrao.

Savadgy Bazirao, à la mort de son père, a pris le gouvernement des Marates de Pouna ; Sadouba a marché du côté de Delhy ; on ne sait trop ce qu’il est devenu.

Savady Bazirao a eu deux fils : Madererao et Narainrao ; Ragouba n’a point eu d’enfans.

Après la mort de Savadjy Bazirao, Madererao a pris le gouvernement des Marates de Pouna et Ragouba a adopté Narainrao pour son fils.

Madererao étant mort sans enfans, Narainrao a succédé ; il a été assassiné par Ragouba, son père adoptif, qui s’est emparé du gouvernement ; mais la famille outrée de l’assassinat qu’il avoit commis, a su gagner les principaux chefs de l’armée qui ont forcé Ragouba à fuir et ont placé à la tête du gouvernement Sevadjy Madererao, enfant dont est accouchée la femme de Narainrao peu de tems après la mort de son mari. Celui qui a le plus contribué à cette révolution est Sakaram Bapou qui étoit divan de Narainrao ; l’enfant n’étant pas d’âge à gouverner, on a établi une régence à la tête de laquelle est la mère de l’enfant, Sakaram Bapou, etc.

BÉGOME. — Nom qu’on donne dans les familles distinguées à la femme légitime.

BOCKCHIS. — Veut dire proprement celui qui donne par faveur, par grâce ; c’est le nom sous lequel on qualifie ordinairement le général ou le généralissime, parce que c’est de lui que dépend la paye des troupes ; tous les nababs ont leur bockchis, c’est celui qui commande les troupes ; le généralissime des troupes impériales est qualifié de mir bockchis, parce qu’il est en même tems trésorier de l’armée.

BÉNARÈS. — « C’est la ville de l’Inde qui m’a paru le plus approcher de nos villes d’Europe. Presque toutes les maisons sont bâties en pierres de taille et à plusieurs étages, mais les rues sont très étroites, les voitures n’y peuvent passer ; c’est à Benarès qu’est le centre de la gentilité, aussi l’endroit est privilégié, et respecté de toutes les puissances, même des Mahométans ; de là on peut juger que Benarès est très riche ; c’est la demeure de quantité de saokars ou banquiers, qui, souvent tiennent en dépôt la fortune de quantité de seigneurs et particuliers qui font passer leurs biens à Benarès pour les mettre en sûreté ; on y fait des toiles blanches comme bassetas, mahmoudys, beaucoup d’étoffes de soye à fleurs or et argent. Les burnis ou voiles pour les femmes les plus riches se tirent de Benarès. On y voit une assez belle mosquée bâtie, dit-on pour Aureng Zeib sur laquelle s’élèvent deux tours d’où l’on découvre tout le pays ; les Gentils y vont indifféremment avec les Mahométans pour leurs cérémonies de religion ; d’un côté l’on adore Brimha, Visnhou, Sieb[1], de l’autre on invoque Mahomet.

C’est à Benarès autrement dit Coshi qu’est établie l’université des Brames, du moins la plus renommée, car on peut dire qu’il y en a une aussi à Conjivaram dans le Carnatek pour les Brames et docteurs gentils de la prequ’isle ; on les nomme Pandet, Gosseyns, on s’adresse à ces universités lorsqu’il y a quelque dispute entre les castes.

De tout ce que j’ai vu écrit[2], et de tout ce que j’ai pu savoir de quelques Brames qui m’ont paru savans, l’idée la plus juste qu’on doive se former de la religion des gentils, me paroit être que selon ses fondateurs :

Il n’y a qu’un seul Dieu éternel, tout puissant, connoissant toutes choses et présent partout ; la prescience de Dieu est admise sur toutes choses, excepté sur les actions des êtres créés libres, mais l’homme n’a pas plutôt formé une pensée que Dieu en est instruit.

Brimh, ou Brumh est la première expression de la divinité qui, d’ailleurs a beaucoup d’autres noms. C’est une impiété que de vouloir représenter Brimh par aucune figure quelconque, si ce n’est peut être celle de l’univers entier, visible et non-visible ; encore par là ne peut-on prétendre représenter sa figure puisqu’il est immatériel, mais on peut dire Brimh est là, autant dans chaque partie quelque petite qu’elle soit, que dans le tout. Quant à ses attributs, on peut les figurer de la manière que l’on croira la plus propre pour les faire concevoir, cette figuration des attributs est même nécessaire pour s’accommoder à la faiblesse de l’esprit humain.

Les 3 premiers attributs de Brimh ou Brumh sont :

Sagesse de Dieu, Brimha, ou Brumha (puissance créative Dieu créateur) ;

Bonté de Dieu, Bisheu, ou Bvishnou (puissance conservatrice, Dieu conservateur).

Justice de Dieu, Shieb, ou Shibah (puissance destructive, Dieu destructeur).

Ce qu’on pourroit dire former une espèce de trinité.

Ces trois attributs sont personnifiés dans la création, ils ont chacun bien d’autres noms sous lesquels ils sont adorés, ils passent pour les trois premiers êtres créés, mais allégoriquement, n’étant que des attributs de Dieu même.

Brimh voulant des êtres qui partageassent sa gloire, avoit depuis des siècles innombrables, créé des anges par sa toute puissance ; êtres supérieurs purs et sans tache, mais libres, par conséquent pouvant faire le mal ; ils devoient soumission et obéissance aux trois premiers êtres : Brimha, Bisheu, et Shibah.

Des milliers de siècles révolus, partie des anges se révoltèrent, ils furent punis, privés de la gloire de Brimh, et précipités dans « letterith » ou Ouderah (enfer, ou abime) les gentils en ont plus de 8 de diverses espèces, il ne paroit pas qu’il y ait chez les gentils d’enfer véritablement éternel. L’enfer selon eux est un lieu de souffrance qui ne doit exister que jusqu’à la consommation des siècles, la fin de toutes choses créées, ou rien n’existera que ce qui doit être absorbé dans la divinité.

Après bien des milliers d’années, Brimh se laissa fléchir ; à la prière des trois premiers êtres créés (c’est à dire sa sagesse, sa bonté et sa justice) et à la prière des anges qui et oient restés fidèles, il consentit de recevoir en grâce les anges rebèles qui, après certaines épreuves mériteroient leur pardon, ce qui a donné lieu à la création du monde, ou plutôt des mondes visibles et invisibles. Les gentils connoissent les sept planettes, ils ont aussi les sept cieux, les sept jours de la semaine.

Il paroit que leurs livres d’histoire font mention d’un Nou de qui les Indiens sont suposés descendre, quant aux corps ; ce ne peut être que Noé, mais ce n’est qu’à la 3e révolution du monde, ou commencement du quatrième Jogue qu’ils nomment arljogue (âge de pollution) qui avoit été précédé de trois autres jogues ; le Sutch ou satjogue, âge de vérité qui a duré plusieurs millions d’années pendant lesquelles les trois quarts au moins des anges rebêles, excepté les principaux qu’ils nomment Moises ou Shaboun, se sont maintenus comme ils devoient dans l’état de pénitence qui leur étoit imposée, et dont beaucoup sont rentrés en grâce.

Le tirtajogue, âge où l’on fait entendre que la 3e partie des anges rebêles n’a pas voulu profiter de l’état de pénitence où on les avoit mis, et qui a duré plus d’un million d’années.

Le Doparjogue, âge qui a duré environ cent mille ans, où la moitié des anges rébèles, s’est soustrait à la pénitence imposée.

Le Caljogue, âge actuel qui ne doit durer que la moitié du dernier, si dépravé qu’il n’y a que très peu des anges rebèles qui profiteront de leur état de pénitence.

Ces divisions en jogues paroissent ne devoir leur existence qu’à l’imagination des Brames ; leurs divers commentaires ne s’accordent point du tout sur la durée des périodes.

Il faut que, selon les Brames, à chacun des jogues, la race humaine ait été détruite et renouvellée, sans dire de quelle manière, puisque les habitans de Caljogue, selon eux viennent de Nou ou Noé. Par là on peut dire qu’ils ont connoissance du déluge. Quant aux deux premières révolutions, les détails paroissent ignorés entièrement.

Quoiqu’il en soit, on ne peut s’empêcher de remarquer la ressemblance qui se trouve quelquefois entre leur créance et celle qu’ont eu ou ont encore les autres nations.

L’idée de Dieu qui comprend une trinité ;

La création des Anges,

Leur punition,

La création du monde. Sur quoi un Brame instruit dira que son système est bien plus que le nôtre, analogue à la miséricorde et à la justice de Dieu, par le raport qu’a sa Création avec le salut des anges rebèles. Dieu ayant vu la révolte d’une partie des anges que sa justice a été forcée de punir. Comment veut on suposer qu’il ait voulu créer des mondes, et produire pour les peuples une race humaine sujette encore à la révolte, puisqu’elle est libre, n’ayant d’autre raport avec les anges rébèles que par le mal que ceux-ci peuvent lui faire ? Ce seroit se plaire à faire des malheureux : ce qui répugne à la bonté divine ; au lieu que dans mon système, dit le Brame, la création des mondes n’a eu lieu que pour donner aux anges rébèles l’occasion et les moyens de regagner l’état heureux duquel ils étoient déchus, ce qui est vraiment digne de la miséricorde et de la justice de Dieu. Autre ressemblance.

Les 4 Jogues qui ont raport au système de l’âge d’or L’âge d’argent, celui d’airain et celui de fer.

Noé, ou le Déluge.

Notre genèse nous met dans le cas de n’être pas surpris de trouver dans la croyance des Indiens originaires, quelques ressemblances imparfaites avec ce que nous croyons nous mêmes, puisque nous disons qu’ils descendent de Cham fils de Noé, ils en conviennent eux mêmes, en ajoutant que c’est par Hind, fils de Cham ; du moins il n’est question dans leurs livres d’histoires et rien de plus naturel, qu’au défaut d’écritures, l’histoire de la création se soit conservée par tradition de père en fils, avec quelque ressemblance ; mais ce qui doit nous surprendre, c’est que les Brames savans soutiennent, que la religion juive et la mahométane fondée sur Moyse, et les prophètes, ne sont que des hérésies de leur religion. On voit dans leurs livres, dans le commencement du caljogue, qu’un fils d’un certain Raja Cham ayant apostasie de la religion des hindous, qui étoit alors généralement suivie dans toute la terre, avoit été chassé par son père, et qu’ayant pris la route de l’occident, il s’étoit établi dans un pays nommé Mogod où il fonda la religion des juifs, quelques uns prétendent trouver en cela, un raport avec Abraham et son père Tharé. Ce qui, au reste, peut absolument se faire, sans blesser notre religion. Ce seroit la vocation d’Abraham, autre ressemblance de plus.

Brimha, Bvishnou et Shieb furent employés à la création de l’univers ; comme les trois ne sont que des attributs de Brimh (Dieu), il est constant que les Brâmes entendent que la création ne s’est faite que par la seule volonté et toute puissance de Dieu ; il paroit même, dans les premiers commentaires de leur livre sacré dont je parlerai ci après, que, quoique les attributs personnifiés soient employés comme acteurs, la formation se fait par des fiat avec autant de simplicité et de majesté, que dans la Genèse ; mais les mêmes commentateurs jugeant qu’une création aussi simple ne pouvoit être sensible au peuple, et avoir sur lui l’effet qu’ils en désiroient, ont cru devoir entrer dans des explications, dans des détails, où introduisant sur la scène quantité de nouveaux acteurs (qui dans le fond ne sont que d’autres attributs personnifiés, dérivés les uns des autres, figurés souvent par des animaux, comme la raison fille de la sagesse, la force, la prudence, le bien, le mal, la vertu, le vice, la peur, la fortune, l’amour, la haine, etc.), ils sont venus à bout de présenter à l’esprit du peuple, dans la création et ses suites, de véritables farces auxquelles, faute d’explications, il a ajouté une foi implicite ; dans la suite des tems cela a donné à de nouveaux commentateurs occasion de produire comme vérités des histoires les plus absurdes, les plus obscènes que l’imagination puisse enfanter, et le tout uniquement pour cimenter les fondemens de l’autorité des Brames par la superstition et l’ignorance du peuple. Qu’on demande ce que tout cela signifie ? Les principaux indiens, les rajas qui sont instruits se mettent à rire, les plus raisonnables et les plus sages des Brâmes répondent gravement, que le tout n’est qu’allégories, dont il faut bien amuser les esprits faibles pour les contenir dans le devoir.

Au reste, fourberies des Brâmes à part ; il n’est pas moins vrai que la religion des Indiens originaires, est pure dans son principe, sans mélange de ce que nous nommons idolâtrie. Dans tous les pays du monde, l’idolâtrie n’est venue que par la captivité et l’ambition démesurée de ceux qui étoient chargés de ce qui regarde la religion. Celle des Indiens représente un seul Brimh (Dieu) éternel, tout puissant, présent partout, à qui il a plu dans la plénitude des siècles de créer les Debtahs (anges) pour participer à sa gloire ; les anges se révoltent, Brimh les punit, au bout d’un certain tems, il a pitié d’eux, et se sert de ses trois attributs pour créer l’univers, la terre, l’homme, tous les animaux connus ou inconnus, et procure par là aux anges coupables les moyens d’expier leur crime, de se purifier, de subir de nouvelles épreuves par lesquelles ils pussent mériter de regagner l’état heureux qu’ils avoient perdu.

Les expiations, les purifications se font par une transmigration des coupables, dans les corps de divers animaux, parmi lesquels la vache comme l’animal le plus précieux, est pour ainsi dire, la sortie pour entrer immédiatement dans le corps de l’homme où l’on doit subir les épreuves.

Brimh a donné à tous les animaux les cinq sens, mais à l’homme, il a donné en sus un sentiment intérieur, la raison, par laquelle il connoit le bien et le mal.

Si dans l’état d’épreuve, l’âme déjà déchargée de crime, par les expiations et purifications qui ont précédé, a vécu sans en commettre de nouveaux, c’est à dire, si elle a réglé sa conduite sur ce que sa raison et sa conscience lui ont dicté ; si, en adorant Brimh, elle s’est assez détachée d’elle-même, pour n’être guidée que par amour pour ses beautés, reconnoissance pour ses faveurs, admiration de sa toute puissance, sans qu’aucun motif personnel se soit fait sentir, alors en quittant le corps mortel dont elle est enveloppée, elle sera absorbée dans l’essence divine pour jouir de l’état glorieux qu’elle possédoit avant sa chute.

Si elle a fait beaucoup de bien et peu de mal, quand ce ne seroit que celui d’adorer Brimh en vue de sa propre salut, elle jouira dans les cieux pendant un certain tems de la recompense qu’auront mérité ses bonnes actions, après quoi, elle retournera sur la terre pour expier le mal qu’elle aura fait et se purifier entièrement.

Si elle n’a fait que du mal, elle sera précipitée dans les enfers pour un tems proportionné à la grandeur de ses crimes, après quoi, il lui sera permis d’errer dans le monde pour animer de nouveaux corps par lesquels elle puisse recommencer son état d’expiation, de purification et d’épreuves.

Pendant les trois premiers jogues dont j’ai parlé qui entre eux selon les Indiens, renferment plusieurs millions d’années, tout s’est passé de manière que le bien l’a emporté sur le mal : mais sur la fin du troisième, les chefs des anges rebèles plus endurcis que jamais, ayant entièrement corrompu les habitans de la terre, les crimes ont monté si haut que Brimh a cru devoir détruire son ouvrage par une révolution (c’est sans doute notre déluge universel dont les Indiens veulent parler). Ils comptent aujourd’hui près de 5.000 ans depuis cette époque ; alors parut Non (Noé) le seul des êtres raisonnables dans l’état d’épreuve qui méritât d’être conservé ; les Indiens reconnoissent en descendre. Il y avoit certainement dans Noé, vase d’élection, de quoi former une race de saints si tout lui avoit appartenu, mais malheureusement ce n’étoit pas lui qui animoit les corps qu’il formoit, ils étoient aussitôt envahis, ainsi que ceux que formoient ses fils et petits fils, par les Anges coupables, esprits pervers, endurcis, le rebut, le Caput mortuum pour ainsi dire de toute la troupe angélique, qui, après avoir passé par le creuset de trois jogues d’expiations, de purifications et d’épreuves, avoit déjà envoyé au ciel sa partie la plus pure. Sur quoi, on remarque en passant, que par la métempsycose on explique assez bien pourquoi un honnête homme aura pour fils, un très mauvais sujet, ce qu’on voit tous les jours, quoique naturellement le caractère du fils devroit tenir de celui du père ; il est vrai qu’on peut répondre aux Brâmes que le tout n’est que par hazard qui dépend beaucoup de la fidélité, ou infidélité des femmes. On pourroit même ajouter, ce qui ne leur plairoit pas, que c’est probablement pour se mettre à couvert du soupçon à cet égard, qu’ils ont inventé la métempsycose. Quoiqu’il en soit, la progéniture de Noé devint, même avant sa mort, si méchante par les efforts que les chefs des anges rébèles firent pour l’endurcir dans le crime que Brimha, Bishen et Shibah, c’est à dire la sagesse, la bonté et la justice de Brimh cédant aux prières des anges fidèles, se portèrent à faire passer sur la terre, un ange pour mettre par écrit et dicter aux mortels, les conditions de leur salut, dans l’espérance qu’ayant devant les yeux, le livre sacré contenant tous les devoirs moraux, ils seroient plus en état de résister aux tentations des chefs rébèles qui les persécutoient nuit et jour.

Ce fut sous le nom de Brama que parut l’envoyé de Brimh du tems même de Nou, qu’on nomme plus communément Manou (le grand Nou). Quelques Indiens de la presqu’isle prétendent même, que ce fut à Manou que Brama remit la traduction en sanscrit du livre intitulé Bheda (science) qu’il avoit écrit dans la langue des anges sous la dictée de Brimha, lequel livre fut perdu quelque tems après, et ensuite retrouvé, du moins en parties détachées qui furent réunies en un corps, mais divisé en quatre parties et commenté par divers. J’ai vu peu de Brâmes s’accorder sur les noms ; c’est le commentaire qu’on nomme dans le Bengale, et dans tout l’Indoustan Tcharta Bhedas (les quatre Bhedas). Dans le Dekan et aux côtes, ou pour mieux dire dans la presqu’isle, il est nommé Bhedang de Bhed science, et Ang corps, et c’est ce que nous nommons improprement Vedam.

Le Bhedang de la côte n’étant que le recueil des 4 Bhedas a dû être dans le principe, avant le travail des commentateurs, la même chose que le Tcharta Bheda du Bengale où ce livre n’est pas connu aujourdhui sous le nom de Bhedang, si ce n’est par quelques Brâmes et autres Indiens instruits des dogmes et cérémonies religieuses des gentils de la presqu’isle, qui différent en quelques points des dogmes et cérémonies établies dans le Bengale et l’Indoustan ; en effet, la gentilité de l’Inde, est divisée en deux grandes sectes depuis que les Brames de la presqu’isle, ceux de l’Indoustan et du Bengale se sont avisés de faire commentaires sur commentaires, sans se consulter. Ces différences roulent principalement sur les noms et les figures des divers attributs de la divinité, les emblèmes des passions, des facultés de l’esprit ; sur les fêtes, les jeûnes, les pénitences, les purifications. Le seul point essentiel sur lequel les deux sectes différent selon M. Dow, auteur anglois, est en ce que les sectateurs du Bhedang prétendent que ce qui anime tous les êtres vivans, est une émanation de la grande âme de l’univers qui n’est autre que la divinité ; au lieu que les sectateurs du Tcharta Bheda Shaster, ne pouvant admettre que Brimh soit assujetti aux affections et passions humaines ou qu’il puisse avoir aucun penchant au mal, soutiennent qu’il y a une autre âme, un autre principe de vie qu’ils nomment Djive Atima, un élément plus subtile encore que l’Akash que nous nommons matière subtile, lequel s’est joint à toute matière créée, a l’homme, aux animaux, et même aux plantes avec cette différence que le Djive Atima qui anime l’homme, a un sixième sens qui n’est autre que la conscience, sentiment intérieur qui comprend la mémoire, la réflexion, la raison, perception, facultés qu’il doit à son organisation plus fine, plus déliée, que les autres animaux ne possèdent qu’en partie et dans un degré très inférieur. Par conséquent le Djive Atima selon ces sectateurs, ne doit être que cet élément si pur dont les anges furent composés, mais dont l’action n’étant point gênée par un corps aussi matériel que celui de l’homme, doit être plus forte et dépendre de facultés plus variées, plus étendues que ce que nous connoissons dans l’homme. Ce Djive Atima ou âme vitale est nécessairement matériel puisqu’on lui donne les qualités des autres élemens, nombre, quantité, détension, divisibilité, contraction etc. Malgré cela, la secte dans le Bengale et l’Indoustan convient avec les sectateurs du Bhedang, qu’à la mort après les expiations et les épreuves, il sera absorbé dans la grande âme de la nature qui n’est autre que Brimh (Dieu).

Les 4 Bhedas du Bhedang sont :

Rang Bhedas (sience de dévination) contient astronomie, astrologie, philosophie naturelle, récit étendu de la création, de la matière et formation du monde.

Cheam Bheda, science de piété, dévotion, contient les devoirs moraux et religieux.

Joudger Bheda, science des cérémonies et coutumes religieuses contient les jeûnes, les fêtes, purifications, pèlerinages, prières, sacrifices, etc.

Obatarbah Bheda, science de l’être bon, ou de la divinité contient la théologie et philosophie métaphysique. Ce commentaire est très étendu.

Le Tcharta Bheda Shaster du Bengale contient les mêmes Bhedas, ou sciences quant aux principes, mais commenté autrement ; on les a tellement augmentés dans le Bengale que du Tcharta Bhedas (quatre sciences) on en a fait l’attars Bhedas Shaster (commentaire de dix-huit sciences).

Il est bon de remarquer que le 4e Bheda, ou l’obatar Bah, a été selon les Brames, rejette de leur croyance, à ce que dit M. Dow, ce qui demande explication.

J’avois bien oui dire que depuis que des Brâmes gagnés, sans doute, par Mahomet, ou ses émissaires, lui avoient révélé quelques mystères dont il a abusé pour établir sa religion, certain livre traitant de l’essence divine ne paroissoit plus parmi les premiers Brames ; les Gentils ignorans ajoutoient même que Brama étoit descendu du ciel pour le retirer ; cependant, il est très vrai qu’il existe, il existait du moins du tems de Feizy, sous le règne du grand Mogol Akbar, car on assure qu’il fut instruit des mystères les plus cachés ; mais c’est le livre contenant particulièrement le mystère de la religion qu’il leur est absolument défendu de traduire ou d’expliquer à qui que ce soit, et qu’ils suposent ne pouvoir plus lire. Il se peut très bien faire, il est vrai, que depuis l’origine de l’obatar Bah, la langue sanscrite ait changé beaucoup, même pour la forme des caractères, et que dans cette quantité de Shasters, ou commentaires qu’il y a eu, on ait travaillé seulement sur les trois 1ers Bhedas qu’on aura mis dans un sanscrite nouveau, laissant par respect l’obatar Bah Bheda dans son ancien langage qui sera par la suite des tems devenu tout à fait hors d’usage. En conséquence on doit croire qu’il y a très peu de Brâmes qui puissent le lire ; c’est précisément à quoi les grands Brâmes ont voulu parvenir, pour que les mystères ne fussent pas aussi exposés à être révélés qu’ils avoient été ; mais ce livre aujourd’hui ne fait pas moins partie des livres sacrés des Gentils, il est avec les Shasters dans les mains de bien des Brâmes qui ne peuvent l’entendre ni même le lire ; mais sa clef est, je ne doute pas, dans celles de quelques Brâmes docteurs, choisis dépositaires de ce qu’il y a de plus mystérieux dans cette religion ; d’un autre côté, il se peut faire que beaucoup de Brâmes, soit pour éviter les questions, soit parce qu’ils n’en savent pas plus, prétendent que ce que l’on attribue à ce livre n’est, dans le vrai, qu’une allégorie pour faire connoitre que ce qui regarde l’essence de la divinité, sa manière d’opérer, est au dessus de la pénétration des hommes.

C’est dans ces Bhedas qu’on trouve la distribution des Gentils en quatre principalles castes, et dont chacune a quantité de sous-divisions.

Les Gentils ont un Code de Loix dans le livre qu’ils nomment Neashaster, la punition de tous les crimes y est portée ; les Brâmes y sont assujettis comme les autres castes ; mais le respect, la crainte qu’on a pour eux font que dans l’occasion, ils trouvent moyen de s’y soustraire.

Il y a, comme j’ai déjà dit, plusieurs enfers ; cependant quelques philosophes brâmes, esprits forts, non-mystérieux sans doute, prétendent qu’il n’y a véritablement d’autre enfer que le reproche de sa propre conscience, et que l’enfer n’a été inventé que pour contenir le peuple dans le devoir, par la crainte du châtiment.

M. Dow parle d’un certain Brâme philosophe nommé Gontam, auteur du Shaster Meardisen (exhibition de la vérité), et donne la traduction de quelques passages de son livre qui est immense, c’est le livre favori des philosophes Gentils dans le Bengale, et toutes les provinces du nord de l’Inde ; mais il est rejetté par les sectateurs du Bhedang, l’auteur raisonne à posteriori, il considère l’état présent de la nature, les facultés intellectuelles d’où il tire ses conséquences pour remonter aux principes.

Je me souviens d’avoir quelquefois entendu parler d’un Gontam ancien philosophe indien ; mais je le prenois, comme ceux qui m’en parloient (c’étoient des Européens) pour le nom que les Indiens avoient donné à Pitagore qu’on sait avoir été dans l’Inde, et dont ils avoient les ouvrages ; il n’y a, cependant, aucune ressemblance entre les deux noms et toutes réflexions faites, il me paroit bien plus naturel de croire que c’est Pytagore qui, voyageant pour s’instruire, et étant dans l’Inde, aura pris de Gontam et des Brâmes les plus savans, tout ce qu’il aura cru convenable aux dogmes qu’il vouloit établir. Quoiqu’il en soit, on reconnoit dans ce livre toute l’ancienne métaphysique inintelligible, je veux dire de nos écoles. En lisant cette traduction abrégée de M. Dow, où il est question de substance, de tems, d’espace, d’atomes, de matière subtile, d’une autre plus subtile encore, d’êtres, de raison, d’accidents, de priorité, de postériorité, etc. je m’imaginais être encore en philosophie parlant beaucoup sur des matières que je ne comprenois guères ; « Les atomes de la matière subtile », dit Gontam, « infiniment petits, sont invisibles et éternels. Dieu ne peut faire les atomes, ni les annéantir par l’amour qu’il leur porte, et la nécessité de leur existence ; mais à tous égards ils servent à ce qui peut lui faire plaisir. » Quant aux principaux objets de la physique, son raisonnement est assez semblable à celui de nos philosophes modernes, excepté sur l’anatomie dont les Gentils ne peuvent avoir aucune connoissance exacte, la religion leur défendant de toucher des corps morts ; il réfute l’opinion des athées, et celles de ceux qui donnent tout au hazard. Le hazard, dit Gontam, « n’a qu’une existence momentanée, étant alternativement créé et annéanti dans des tems infiniment petits. Ce que nous nommons hasard n’est que l’effet des causes que nous ne pouvons pas appercevoir ».

Je ne crois pas que dans tout ce que je viens de dire, il y ait rien d’où on puisse conclure que la religion des Indiens originaires n’est que pure idolâtrie ; elle ne reconnoit qu’un être suprême avec ses attributs qui sont adorés sous diverses emblèmes ou figures. Les seules, même qui appartiennent véritablement aux principes de cette religion, sont celles de Brimha, Bishen et Shibah. Dira-t-on qu’adorer les attributs de Dieu sous de pareilles figures est idolâtrie ? Mais pourquoi n’accorderions nous pas aux Indiens ce que nous nous permettons à nous-mêmes ? N’adorions nous pas le saint Esprit sous la figure d’une colombe ? Que la toute puissance de Dieu soit représenté par un éléphant, le plus fort des animaux, par un homme ayant quatre têtes, huit bras, qu’y a t-il de si choquant ? On peut même dire que l’homme, l’éléphant, sont plus analogues que la colombe à ce que l’on veut représenter à l’esprit ; n’adorons nous pas la seconde personne de la Trinité sous la figure du pain, qui n’est plus pain, mais véritablement le corps de Notre Seigneur ce qui certainement, est bien plus incompréhensible que de dire un homme qui a huit bras, quatre têtes, ou bien un éléphant désigne la force, la toute puissance d’un Être suprême, à qui rien n’est caché ? mais dira-t-on, la vraie signification de ces figures multipliées à l’infin, sous des formes indécentes, accompagnées d’histoires les plus obscènes, n’est plus aujourd’hui dans l’esprit des peuples qui, ayant perdu le sens des emblèmes, y ont substitué l’existence réelle d’autant de divinités qu’ils adorent sous les formes les plus hydeuses ; je le veux bien, et voici ce que j’en conclus, c’est que la religion des Gentils dans l’Inde, n’est pas une idolâtrie, et que les Indiens non instruits n’en sont pas moins idolâtres, mais leur nombre n’est pas aussi grand qu’on le pense.

Les ministres de notre sainte religion sont assurément très attentifs à instruire les peuples, et à prévenir toutes fausses interprétations. Malgré cela, qu’un Brâme, je supose, se trouve par hazard dans une chaumière de paysan, de quelque province reculée de la France ; que par curiosité, il demande au paysan : Mon ami, combien avez vous de Dieu [sic] dans votre religion ? — Monsieur, il n’y a qu’un Dieu, répondra machinalement le paysan ; Et combien de personnes reconnoissez vous en Dieu ? Trois, dira le paysan, le Père, le Fils et le Saint Esprit.

Le Père est-il Dieu ? Oui.

Le Fils est-il Dieu ? Oui.

Le S. Esprit est-il Dieu ? Oui.

Voilà donc trois Dieux, dira le Brâme ; mais vraiment oui, répondra le paysan, en se grattant la tête, et paroissant raisonner en lui-même.

Que le Brâme demande à la femme, n’adorez vous pas Jésus Christ, fils de la Vierge Marie ? Oui, répondra la Paysanne ; et la Sainte Vierge est-ce que vous ne l’adorez pas aussi ? Mais vraiment oui, dira la bonne femme, est-ce que la mère ne vaut pas bien son fils ?

Le Brâme seroit-il en droit de conclure de ces réponses qu’il y a de l’idolâtrie dans notre Religion ? Non, sans doute. Il n’y a pas, je crois, faute d’instruction, mais à coup sûr faute de conception, ou de mémoire de la part de ces bons paysans sur ce qu’ils auront pu entendre dire à leur curé. Dans l’Inde, c’est bien pire, à la vérité, l’instruction on peut dire, ajoute encore à la foiblesse de l’esprit humain ; ou pour mieux dire l’idolâtrie qui paroit n’est due qu’à l’ambition des Brâmes qui, n’étant pas idolâtres eux-mêmes, puisqu’ils savent de quoi il est question, sont bien plus coupables que le peuple, par l’erreur criminelle dans laquelle ils se plaisent à l’entretenir, avec toutes les histoires abominables qu’ils ont forgées, en multipliant les figures des attributs ; cet aveuglement est la pierre angulaire de leur autorité qui les met à portée de s’enrichir, et de vivre délicieusement aux dépens des créatures qui leur sont soumises. J’ai dit quelque part que leur habillement de cérémonies, celui surtout avec lequel ils doivent se présenter le plus décemment devant leurs idoles, étoit un simple morceau de toile autour des reins, le reste du corps nu, mais orné de leurs bijoux. Si la prière doit se faire avec ferveur et enthousiasme, le morceau de toile tombe, en un mot la prière la plus agréable à la divinité, celle qui est le plutôt exaucée doit se faire étant tout nu. Pourquoi cette institution ? Elle ne vient que du libertinage des Brames qui ont la charge des temples, ou pagodes, dont la partie la plus intérieure (dérobée aux yeux des curieux, n’étant éclairée que par la foible lumière d’une seule lampe) est souvent visitée par les femmes, les filles du peuple qui ont des vœux à accomplir, des prières, des offrandes à faire. Je me souviens que parmi bien des lettres que j’étois quelquefois obligé d’intercepter dans la dernière guerre, j’en trouvai une qui me surprit beaucoup ; c’étoit une femme du Bengale qui ecrivoit à son mari qui étoit allé du côté de Dehly, qu’elle l’attendoit avec la plus grande impatience, que son retour ne pouvoit tarder ayant, pour l’obtenir, prié dans la pagode toute nue ; la conséquence est qu’elle a dû passer par les mains de quelques jeunes Brâmes qui auront voulu la sanctifier.

On pourroit pousser le raisonnement bien plus loin que j’en ai fait, pour justifier les Indiens de l’idolâtrie dont on les accuse.

Ils adorent Brimh (Dieu) et ses attributs sous les figures de Brimha, Bhisen et Shibah, Dieu créateur, Conservateur, et Destructeur ; Brimh a mille noms sous lesquels il est adoré. Jusques là, il n’y a certainement pas d’Idolâtrie. Mais, dit-on, les Indiens ont de plus une prodigieuse quantité de divinités sous diverses figures qu’ils adorent ; la fortune, la renommée, le bien, le mal, la paix, la guerre, l’amour, la haine, le courage, la peur, la vertu, le vice, la honte, la pudeur, la prudence, le soleil, la lune, etc., etc., sont autant d’objets personnifiés et divinisés dans leur culte qui, d’ailleurs, fait horreur par les imfamies, les obscénités dont leur mithologie est remplie.

À cela l’on peut répondre qu’il est très faux que les Indiens ayent aucune autre divinité que l’Être Suprême de tous les objets ci-dessus nommés, il n’y en a pas un qui, dans leur mithologie, ne remonte à cet être par emblèmes ou symbole mystique : exemple.

La Bonté de Brimh est représentée sous la figure d’une femme nommée Perhitty, ou l’amour aux 3 attributs de l’être suprême ; Brimha, Bishen, et Shieb ; comme femme de Brimha elle se nomme Sursitty mère de la sagesse ; — Giandah mère de la raison, elle a bien d’autres noms qui, tous, ont leur signiffication ; comme femme de Bishen, ou Bvishnou, elle se nomme Latchemy mère de la fortune, etc. ; comme femme de Shibah, on la nomme Dourgah, vertu, bien ; comme Shibah (Dieu destructeur) représente quelquefois le mal qui arrive, en joignant le bien et le mal ensemble ; la mithologie fait entendre que l’un ne peut être sans l’autre.

En effet, le bien n’existe que par opposition au mal et vice versa. La Dourgah se trouve aussi mère de l’amour sous le nom de Maya ; mère de courage sous le nom de Bassany ; la politique sous le nom de Granych et plusieurs autres ; la renommée sous le nom de Kartith et autres, sont encore des enfans de Shibah, ou Shieb, qui n’est qu’un attribut de la divinité.

Sous l’emblème du soleil et de la lune, l’être suprême est adoré comme souverain dispensateur du feu qui vivifie tout, de la lumière, ainsi du reste.

Quant à ce que nous taxons dans leur mithologie d’imaginations ridicules, d’infamies, d’obscénités grossières, le tout est entièrement dû à l’esprit pervers et corrompu des Brâmes commentateurs ; mais puisque la curiosité nous porte à approfondir et examiner rigoureusement la religion des Indiens Gentils, qu’il leur soit aussi permis de s’instruire de la nôtre. La Bible qui contient l’ancien et le nouveau testament, est le fondement de notre religion ; tous les livres qui y sont, sont orthodoxes ; qu’on la traduise en sanscrit, ou autre langue indienne pour être soumise à l’examen de quelques docteurs de l’université de Benarès. Je demande ce que diront les Brâmes docteurs, en lisant l’Apocalypse, certains passages des prophètes, et surtout le Cantique des Cantiques, il me semble qu’ils pourroient bien rétorquer l’argument sur ce que nous prenons pour imaginations folles, ridicules, pour obscénités, dans leur religion ; mais leur dirai-je, vous êtes dans l’erreur, il ne faut pas prendre à la lettre tout ce que vous lisez là, il faut tout prendre dans un sens mystique ; ce sont des types, des emblèmes, allégories ; oui ! me diront-ils, soit, nous voilà d’accord ; prenez aussi dans un sens mystique ce qui vous choque si fort dans notre mithologie. »

BAZARD. — Marché ; il y en a plus ou moins dans chaque ville ; c’est par les bazards que les armées dans l’Inde subsistent, et c’est en quoi on a lieu de remarquer un ordre, des règlemens bien observés pendant que tous les autres points essentiels d’un campement sont négligés. Le général de l’armée a son bazard à la tête duquel est un kotoual ou prévôt ; chaque commandant ou chef particulier a aussi son bazard avec un kotoual subordonné à celui du général ; tous les bazards sont bien alignés ; on n’y voit pas cette confusion qui règne dans le camp où les hommes, femmes, éléphants, chameaux, chevaux, bœufs, etc., tout est mêlé d’une manière à ne pas se reconnoître : désordre qui se trouve augmenté par la quantité de piquets et la longueur des cordes[3] qui se croisent, servant à attacher les chevaux et autres animaux. Les kotouals s’entendent tous avec les marchands de grains et autres pourvoyeurs qui, ayant des bœufs, des chameaux, vont de côtés et d’autres et portent au camp les provisions nécessaires ; ce à quoi contribue beaucoup la fertilité des terres. Chaque bazard a son pavillon.

BARAWAR. — Surintendant du sérail : kistaraga.

BATTE. — Nourriture : subsistance journalière en argent.

BIGA. — Mesure agraire variable, ordinairement les 5/8 d’un acre.

C

CHAZADA. — Ou Patehazada, fils de roi ou empereur.

CHOTORSEWAR. — Courrier sur dromadaire. Le dromadaire va toujours au grand trot. Dans les armées des puissances de l’Inde, les chotorsewars servent d’aides de camp ; ils sont porteurs d’ordres, soutenant la fatigue des courses beaucoup mieux que les cavaliers ; les vrais aides de camp sont néanmoins nombre de courtisans qui s’attachent et se vouent par serment au service du prince, général ou commandant.

CHOTE. — Droit du quart qu’ont les Marates sur les produits des terres du Mogol.

CAZANAS. — Le trésor, la caisse. Il a été un teins où il entroit au trésor du Grand Mogol environ cinquante courours de roupies par an, ce qui fait douze cent cinquante millions et la levée des revenus montoit bien au delà du double de cette somme.

COSSE. — Mesure de chemin. Il y en a de diverses grandeurs. Les Européens, toutes les fois qu’ils marchent ont des gens qui, au moyen de cordes mesurent le chemin qu’on fait ; on réduit le tout en cosses qu’on nomme djeriby, cosse mesurée ou royale, elle est de cent tinnabs ; chaque tinnab de 4 gaises ; la gaise est d’environ trente pouces, ce qui feroit 2.000 pas géométriques pour la cosse djeriby, c’est la cosse la plus juste. Il y en a qu’on nomme zemindars, qui sont de plus de 4.000 pas ; il y en a aussi de communes qui sont au dessous de 2.000 pas, sans être égales entre elles.

CHALE. — Tissu de laine très fine qui peut avoir deux aulnes et demie à trois aulnes de long sur une aulne un quart de large. On en fait de toutes couleurs ; c’est avec quoi on se couvre dans le temps froid. Il y en a de divers prix, mais le commun du peuple n’a pas le moyen de payer les plus grosses. Les plus belles châles sont celles qu’on nomme tomy ; elles sont faites de duvet de castor ou d’agneau nouveau né. On fait des mouchoirs de châles pour se couvrir la tête seulement, ou mettre autour du col. C’est du Thibet qu’on tire les laines dont on fait les châles. On en fait aussi des pièces de diverses longueurs unies et à fleurs. Presque toutes les châles viennent de Cachemire où elles se fabriquent, où le castor est multiplié, et dont les marchands tirent les laines pures du Thibet.

CALLERS. — Habitans des bois dans le sud de la presqu’isle, le Carnatek, le Tanjaour, etc. ; leurs chefs se nomment paléagards. Les callers sont les voleurs les plus adroits qu’on connoisse ; du moins ils passent pour tels. J’en ai vu cependant, dans l’Indoustan, qui, je crois, ne leur cèdent en rien.

CERKAR. — Veut dire proprement ce qui appartient particulièrement à la maison du prince ou du seigneur, nabab ou autre ; mais il veut dire aussi province. L’empire se divise en soubahs, vice-royautés ; les soubahs en cerkars, provinces ; les cerkars en parganas, élections.

CAÏTOK, KAÏTOK, CAÏTOQUE. — Fusil à mèche.

COTOUAL. — Chef de la police dans un gouvernement indigène.

D

DJAGUIR. — Est une terre que l’empereur donne à vie, pour laquelle on ne paye aucune redevance ; c’est un fief seigneurial accordé pour l’entretien d’un officier qui est obligé de servir le prince dans ses armées et qui retourne au domaine à la mort du possesseur ; c’est du moins ce qui devroit être, mais on voit souvent les djaguirs passer de père en fils sans que le prince en sache rien ; cela dépend des protections, du crédit que l’on a auprès des ministres. Les soubahdars ou vice-rois donnent aussi des djaguirs dont la donation ne doit être valable qu’autant qu’elle est confirmée par l’empereur.

DEKAN. — Les Maures disent le plus souvent Dakan, qui veut dire le Midi. Les Européens disent la province du Dekan ; le Dekan est la partie méridionale de l’empire mogol, comme la septentrionale se nomme Outtar, l’orientale Pourob et l’occidentale Patebrim. Qu’un général d’armée (du moins c’étoit autrefois, aujourd’hui tout est bouleversé par l’anarchie qui règne) parte de Delhy pour Lacknaor, pour le Béar ou pour le Bengale, les papiers publics diront : un tel, général, marche dans le Pourob, c’est à dire la partie orientale et l’on ajoutera le nom de la province ; de même si le général va à Aurengabad, Aderabad ou Arcate, on dira : il marche vers le Dakan (partie méridionale) et l’on ajoutera le nom de la ville ou de la province. Les Maures disent bien soubahdar du Dekan et non soubahdar du Pourob, du Patebrim, de l’Outtar ; la raison est que toutes les provinces du sud étoient réunies sous un seul chef, au lieu que celles de l’est étoient partagées entre plusieurs. Malgré ce que dessus, si on ajoute foi aux anciens livres gentils, il faut convenir qu’il y a une province nommée Dekan, nom d’un des fils de Hind, et petit-fils de Noë ; c’est proprement la presqu’isle.

DJAMADAR. — Officier qui commande quelques pions ou fusiliers dont le nombre ne passe pas ordinairement cent.

DAROGA. — Officier civil ou militaire chargé de quelque emploi. Le daroga d’adalot, chef de la justice ; daroga tophana ( ?) chargé de l’artillerie ; djaoz daroga, qui est chargé d’un vaisseau.

DIVAN. — Se prononce plutôt officier civil chargé en chef des affaires ; conseiller.

DORBAR. — Audience publique. Les nababs, les fodjédars, les rajas, les zemindars ont chacun leur dorbar ; les ministres ainsi que tous ceux qui sont employés en chef dans les affaires publiques ; ce mot veut dire la porte des affaires ; on prononce darbar.

DATES. — Courriers ; poste.

DAM. — La quarantième partie d’une roupie sicca.

DOAB. — Pays entre deux rivières ; nom donné plus particulièrement au pays compris entre le Gange et le Gemna.

E

EMIR. — Un seigneur, un grand ; myr diminutif ; emir ous omrahs, le grand des grands.

ELTEHY. — Ambassadeur.

EDGYRE. — Fuite de Mahomet de la Mecque à Médine.

ESSAWIL. — Aide de camp.

F

FODJE. — Armée.

FODJEDAR. — Commandant des troupes.

FIRMAN. — Ordre, patentes du prince.

FAKIR. — Mot indoustan qui veut dire pauvre. Il y a des fakirs maures ou mahométans et des fakirs gentils. Parmi ceux-ci, ceux qu’on nomme Senasseyrs sont les plus nombreux ; ils marchent par troupes de plusieurs milles. J’en ai vu rassemblés jusqu’à 12.000 au passage desquels on se crut obligé, pour sûreté, de fermer les portes de la ville de Patna. Ils sont nuds comme la main, armés de lances, sabres ; c’est la terreur des maris. Tous les hommes décampent des villages par où les fakirs passent ; il n’y a que les femmes plus hardies qui restent pour être sanctifiées par les actes de piété de ces gueux, qu’on regarde comme saints. Un est-il entré dans la maison, le mari sort bien vite ou il est sur d’être étrillé d’importance. La femme reste pour prier ; le mari ne peut plus rentrer que lorsqu’il ne voit plus au dehors de la porte le bâton ou la lance du fakir qui est toujours mise comme signal. Les prières sont assez longues quelquefois et ont effet. Dans ceci, on pourroit trouver quelque ressemblance avec la confrairie des pénitens d’amour, qui, sous le nom de Galois et Galoises, parut en France au commencement du xive siècle, sous Philippe V dit le Long.

G

GARY. — Heure, horloge, un jour et une nuit, donnent chez nous 24 heures, et chez les Indiens soixante, qu’on nomme gary. Le gary par conséquent n’est que de 24 minutes, il en faut 2 et demie pour notre heure ; cette portion de tems se mesure, soit avec un sablier, lorsqu’on est en marche, soit avec un petit vase de cuivre très mince, percé au fond, et mis dans un autre vase plein d’eau, lorsqu’on est campé, ou chez soi. Cette dernière mesure passe pour la plus juste ; on s’en sert généralement dans toutes les maisons qui ont le droit de Gary, ce qui n’est pas commun. La cope de cuivre doit être 24 minutes à se remplir, aussitôt elle coule bas, alors les gens préposés (ce sont toujours des Brâmes à gages) piquent l’heure, ou le gary en frapant avec un maillet sur une plaque de fonte, qu’ils se nomment ghong suspendue, d’un pice et demi de diamètre, sur un demi pouce d’épaisseur à peu près.

Ces mesures de tems sont partagées en gary de jour, et gary de nuit. Dans les tems des équinoxes, il y en a trente de jour, et trente de nuit. À mesure que le soleil approche du solstice d’été, le nombre des garys de jour augmente, et celui des garys de nuit diminue. C’est tout le contraire lorsqu’il s’en éloigne, de sorte qu’au 22 juin, il y aura 32 garys de nuit, et 28 de jour ; partout où j’ai été, depuis le Bengale jusqu’à Delhy, j’ai observé la même différence ; elle est de quatre garys, ou d’une heure trente-six minutes de l’hyver à l’été ; elle doit être plus forte dans le nord, et moindre en approchant de l’Équateur.

Les garys de jour et ceux de nuit, ou plutôt les jours, ainsi que les nuits sont divisés sur quatre parties qui ne sont jamais égales, si ce n’est dans le tems des solstices, parce que les parties du jour, quoique plus longues ou plus courtes que celles de la nuit, sont du moins égales entre elles. Dans le tems des équinoxes il y aura tant pour le jour que pour la nuit, deux parties de huit garys et deux autres parties seulement de sept garys. Un mois et demi après, à la mi-mai, par exemple, il y aura pour le jour trois parties de huit garys, et une de sept, pour la nuit au contraire, il n’y aura qu’une partie de huit garys, et trois de sept.

La manière dont on pique le Gary, est singulière, je ne l’aurais peut-être jamais remarqué, si je n’avais été quelquefois attaqué d’insomnie. Je ne sais cependant si je pourrai m’expliquer assez clairement pour la faire comprendre. 24 minutes après le soleil levé, la cope de cuivre coule bas, et le Brâme garialis pique un (nottez qu’il n’y a que chez l’empereur, ou chez les princes du sang qu’on pique le nombre un. C’est la règle qui, peut être dans le désordre où est l’empire, n’est pas exactement suivie ; partout ailleurs sans distinction, on ne doit entendre le gary que lorsqu’il pique au moins deux coups, de sorte que le premier gary de jour et le premier gary de nuit, ne doivent se faire entendre que dans les maisons royales). 24 minutes après, le garyalis pique deux, et ainsi de suite, jusqu’au nombre huit (je supose que nous sommes aux équinoxes, deux parties de huit garys et deux parties de sept pour le jour et pour la nuit) au huitième coup, la première des 4 parties du jour finit. Alors le garyalis à la distance de deux ou trois secondes, répète avec précipitation les huit garys qu’il a frâpés, et quatre secondes après, il frape encore un coup, mais plus fort, ce qui marque que la première partie du jour composée de huit garys, est passée.

24 minutes après, le garyalis pique un, mais trois ou quatre secondes après il frape encore un coup plus fort lequel désigne la première partie du jour passée. Par là, on sait, qu’on entre dans le second gary de la seconde partie. Le garyalis poursuit ainsi jusqu’au nombre sept, longueur de la seconde partie du jour aux équinoxes, et tant qu’elle dure, toutes les fois qu’il pique le gary jusqu’au nombre sept exclusivement, il ajoute toujours à la distance de trois, ou quatre secondes, un grand coup pour marquer la première partie passée.

Lorsqu’il vient à la fin de la seconde partie qui répond à midi, après avoir piqué les sept garys dont elle est composée, il s’arrête environ quatre secondes, et répète avec précipitation les huit garys de la première partie, s’arrête encore quatre secondes, et répète avec précipitation les sept garys de la seconde partie, fait encore une pause pour le moins de quatre secondes, alors il frape lentement et avec force deux coups, cela dénote qu’on est passé la demi journée composée de deux parties, dont la première a huit garys et la seconde sept. C’est à l’heure de midi que les garyalis se corrigent, en prenant hauteur au soleil. Dès qu’ils s’apperçoivent qu’il ne monte plus, l’un d’eux, avant de piquer le Gary vient annoncer au maître de la maison, qu’il est midi, et le prévient des changemens dans les garys, s’il y en a.

Les 3e et 4e parties du jour passent de même, toujours en répétant à la fin de chaque tous les garys qu’on a piqués depuis le lever du soleil, de sorte qu’à le coucher, lorsque les garys dans un camp vont ensemble, il se fait un carillon qui dure un demi quart d’heure, dont la musique n’est pas fort agréable.

Dans une armée, où l’empereur se trouve, ou quelque prince du sang, la règle est, qu’il n’y ait point d’autre gary que le sien qui se fasse entendre ; sa plaque de fonte est le double des autres ; cependant tout le tems que j’ai resté avec le chazada, même depuis qu’il a été reconnu empereur, tous les chefs de l’armée avoient leur gary ; j’avois aussi le mien, le prince n’étoit pas en état de réformer les abus de conséquence, les petits lui étoient devenus indifférents. »

GOMATCHA. — Un envoyé pour quelques affaires particulières.

GHARY. — Charette.

GANGA. — Est pris particulièrement pour fleuve ou grande rivière. Le fleuve qui traverse l’Indoustan que nous nommons Gange est bien dit Ganga dans le pays, comme par excellence, mais son nom n’est ni Ganga ni Ganges ; il se nomme Podda. Une de ses branches tombe dans le Barempoutour, prend le nom de Megna. Comme le tout ensemble est ce qu’on nomme Ganga, nous l’avons compris sous le nom de Gange.

GHAT. — A plusieurs sens : escalier au bord d’un étang ou d’un fleuve ; — passage ou défilé dans une montagne ; — chaîne de montagnes.

GOMASTA. — Commissionnaire ou agent, à qui l’on avance de l’argent et qui se charge en retour de se procurer les marchandises qu’on lui demande dans les harams ou centres de production.

H

HAMILDAR ou HAVILDAR. — Officier civil et militaire qui a sous ses ordres quelques parganas ou élections.

HAZAR. — Mille.

HOKKA. — Ce mot proprement veut dire bombe ; et comme le vase ou la principale pièce de la pipe des Indiens a souvent la forme d’une bombe, on lui en a donné le nom.

HAREM. — Enceinte qui renferme le logement des femmes.

I

INDOUSTAN. — Ce mot vient, dit-on, de Hindou, qui en sanscrit veut dire lune, et de stan, région. Les indiens gentils se disoient quelquefois enfans de la lune et même du soleil ; ils veulent dire peut-être par là que leurs corps qu’ils reconnoissent devoir aux descendans de Nou (Noë) sont animés par les anges rebèles qui étoient dans le soleil et dans la lune. Plusieurs auteurs prétendent que le mot est du au fleuve Indus ; d’autres disent au contraire que le fleuve Indus doit son nom à celui des habitans. Comme dans toutes les parties de l’Inde, la religion gentile pour le fonds est à peu près la même, si l’on veut que le mot Indoustan soit du au nom des premiers habitans, ce nom devroit être donné à toute l’Inde en général ; cependant il est certain que les Indiens, Maures ou Gentils ne donnent ce nom qu’à la partie du nord de l’Inde, qui prend des environs du fleuve Indus, s’étendant au delà du Gange dans le nord est et tirant comme une ligne depuis le golfe de Cambaye jusqu’à Patna, et qui sépare l’Indoustan du Bengale, du Bérar, du Dékan et de toute la presqu’isle. Qu’on demande à un maure ou gentil né dans le Bengale s’il est né dans l’Indoustan, il dira non. Cela n’empêche pas que dans toute l’Inde, on ne donne le nom indou à tous les naturels du pays ; mais lorsque le mot muzulman n’est pas ajouté, on entend toujours par là un gentil, plutôt qu’un homme né dans l’Inde. La preuve de cela est que je supose qu’on demande à un musulman né dans l’Inde, mais d’une famille persane ou mogole, s’il est indou muzulman, il paroîtra choqué ; il répondra qu’il est mogol ou persan et nommera le lieu de sa naissance soit dans l’Indoustan, soit dans le Bengale, le Dékan, etc. ; il ne conviendra jamais d’être indou.

INDOU. — Indien, gentil dans telle partie de l’Inde qu’il soit né, indou muzulman, indien mahométan, soit qu’il soit descendu d’une famille idolâtre convertie, soit qu’il vienne d’une famille mahométane établie dans l’Inde depuis longtems, qui aura perdu son origine arabe, persane, mogole ou patane. Cette appellation est généralement donnée au peuple mahométan dans l’Inde et c’est particulièrement ce que nous nommons maures. Nous disons bien cependant, quelquefois, un seigneur maure, voulant dire un seigneur mahométan, mais c’est lorsqu’on ignore de quelle race est ce seigneur.

J

JONGOLS [JUNGLES]. — Landes, terres incultes, très couvertes de broussailles et mauvoises plantes qui montent à huit pieds et au delà. Les tigres en sont les habitans.

K

KÊLIDAR. — Commandant de place. Kela veut dire forteresse et dar veut dire ayant.

KOUROUR. — Cent laks de roupies ou vingt cinq millions de nos livres.

KALFAH. — Terres de la couronne.

L

LAK. — Cent mille. Quatre laks de roupies d’argent valent un million de nos livres.

M

MARATES. — Peuple gentil de l’Inde. (Mémoire, 12 et suivant.)

MAURES. — Nom que nous donnons improprement aux Mahométans dans l’Inde.

MANSOUBDAR. — Officier élevé en dignité militaire. Il y a plusieurs mansobes. Les patentes d’hazari donnent le commandement sur mille cavaliers, celles de dohazari sur deux mille et ainsi de suite jusqu’à Afte hazari qui est de sept mille. Ordinairement on donne en même temps au mansoubdar un nom guerrier terminé en djangue (guerre) avec de petits pavillons pour faire flotter devant lui. M. Dupleix avoit reçu le nom de Zaferdjangue, qui veut dire victorieux en guerre. Je cite ce nom de préférence sur ce que j’ai entendu dire par quelques personnes que le mot Dupleix en langue persane se trouvoit par un heureux hazard signifier victorieux à la guerre. Le mot Dupleix ne signifie rien en persan ; ces noms imposans sont très communs dans l’Inde ; on y voit quantité d’invincibles qui n’ont jamais vaincu et qui l’ont été.

MODJAWAR. — Desservant d’un derga, d’un tombeau ; on le nomme aussi Kadyn.

MIR BOCKCHIS. — Nom qu’on donne au généralissime des troupes. Maître des grâces ou faveurs.

MYR ATECHE. — Ateche veut dire feu ; maître du feu, grand maître d’artillerie.

MESMANI. — Repas de bonne arrivée. Lorsque le tems ou quelque circonstance ne permet pas d’envoyer un repas préparé, on fait tenir en argent la valeur du repas ou bien on envoyé des moutons, cabris, bœurre, pains, fruits divers, etc.

MUZULMAN. — Veut dire vrai croyant. Les Mahométans de l’Inde ne disent point entre eux : un tel est mahométan : ils disent, un tel est muzulman. Un chrétien à qui on demande s’il est muzulman ne doit pas s’en tenir simplement à la négative ; ce seroit donner la préférence au mahométisme, il doit dire : oui, et s’il craint d’être pris pour mahométan, il doit dire : oui, je suis muzulman Issa Messihé, ce qui voudroit dire vrai croyant en Jésus-Christ.

MOUSSA. — Docteur de la loi du prophète.

N

NAEB. — Veut dire lieutenant : naeb soubah, lieutenant du soubah.

NABAB. — La vraie prononciation est nawab. C’est un titre de grandeur attaché à la personne, comme seroient parmi nous ceux de duc, comte, marquis. Il n’y a point de nababie. Si vous demandez dans le pays quelle nababie c’est, on ne vous entendra pas ou plutôt, dans l’idée que vous voulez parler du nabab, on vous en dira le nom. Dans le principe, il n’y avoit que les soubahdars et les omrahs de la cour du Mogol qui avoient le titre de nabab ; leurs descendants même, quoique disgraciés et n’ayant pas un pouce de terrein, avoient droit de conserver ce nom honnorable à leur famille. Aujourd’hui que tous les ordres de l’Empire sont renversés, le plus petit seigneur se fait appeler nabab. Ce mot, selon quelques uns, vient de trois mots nae, va ab, c’est à dire pain et eau ; ce qui fait entendre que celui qui a le titre doit être considéré aussi utile, aussi nécessaire à la société que le pain et l’eau, sans lesquels les hommes ne peuvent vivre ; d’autres le font venir de nabot dont l’explication est ci-après. Je crois la première dérivaison d’autant plus juste que le mot persan s’écrit et se prononce comme navab.

NABOT. — Musique martiale, jeu d’instruments, composé de timballes de diverses grandeurs et de trompettes, hautbois, cymballes, etc. Il n’y a que ceux qualifiés nababs qui ayent véritablement droit à cette musique, et pour l’avoir il faut passer par certaines cérémonies. La plus essentielle est de porter une paire de petites timballes sur le dos ou sur les bras devant le prince en plein dorbar ; un des principaux officiers frappe dessus cinq ou six coups.

NIKA. — Engagement réel et pour toujours permis par la loi entre l’homme et une femme qui, par défaut de naissance et autre circonstance, ne peut être la bégome ou femme légitime ; mariage de main gauche, si l’on veut. Le nika revient assez à ce que nous nommions autrefois concubinage qui étoit un engagement permis par la loi, et autorisé par les conciles. Il est vrai que c’étoit à défaut de femmes, au lieu que dans l’Inde, on peut faire nika tant qu’on veut.

NAZERDALEL. — Officier chargé de recevoir ce qu’on présente.

NALA, NARA. — Lit de torrent, qui demeure à sec, hors le tems des pluyes.

NANA. — Nom qu’on donne chez les Marates à celui qui se trouve à la tête des affaires, qui gouverne.

NAKARA. — Petites timballes dans les armées indiennes sur lesquelles on bat la marche.

O

OMRAHS. — Pluriel d’Emyr, grand de la cour ; emir ous omrahs, le grand des grands.

OAKIL ou WAQUIL. — Nous disons ordinairement ouquil, agent.

OAKIL MOTTOK. — Ministre plénipotentiaire ayant le pouvoir suprême ; titre que l’empereur donne dans de certains cas, qui est au dessus de celui de vizir, ayant la surintendance de toutes les affaires civiles et militaires quelconques ; le vizir n’a pas les dernières dans son département, c’est à dire il a bien la guerre, mais il n’a pas les détails militaires, il ne commande pas les armées ; le myr bockchis est indépendant de lui ; le waquil mottok réunit tous les pouvoirs ; c’est comme chez les anciens Romains un dictateur à qui le prince laisse toute autorité, ne se réservant que les titres et les marques de l’empire.

OSOFDJAH ou ISOUFDJAH. — Titre que le prince donne ordinairement à son vizir, qui témoigne la grande confiance qu’il a en lui, en l’élevant au rang de joseph si puissant du tems des Pharaons ; ce mot veut dire : dignité de Joseph.

P

PARGANAS. — Élection ; dépendance qui comprend plusieurs aidées ou villages.

PYR. — Nom chez les Mahométans qu’on donne à certaines personnes qui, par une vie retirée, dévouée à Dieu, sont en odeur de sainteté.

PAGODE. — Monnoye d’or de la presqu’isle ; il y en a de valeurs différentes ; on les nomme ouve dans le pays ; nous les nommons pagodes à cause de l’empreinte qui représente la figure de quelque divinité gentile.

PANDET, PANDIT. — Titre indou ; strictement parlant ne s’applique au aux personnes versées dans les écritures indoues, mais est communément employé pour les brames.

PARAVANA. — Lettre patente délivrée pour les soubabs et nababs, par opposition au firman délivré par le Grand Mogol.

R

RATTHE. — Chariot, voiture à quatre roues.

RESALEH. — Détachement.

RESALEDAR. — Chef qui commande un détachement.

RHEIS. — Gouverneur au nom du prince.

ROUPIE. — Monnoye d’argent frapée au nom du prince ; leur valeur intrinsèque n’est jamais la même dans toute l’Inde. La roupie sicca est la plus haute. Ce qu’on nomme roupie courante n’est qu’imaginaire pour la facilité des calculs. La roupie d’aujourd’hui porte deux vers persans qui marquent que l’empereur règne sur sept parties du monde. De combien de parties on fait le total, c’est ce que j’ignore. Les deux vers sont :

Siccazad ber aït kachouar sahié fuzelé elah
Hami dyn Mahmoud cha alem Bad chah

Cha Alem, empereur, protecteur de la religion de Mahomet a frappé le sicca à l’ombre de la bonté divine sur les sept parties du monde. Ce sont probablement des royaumes connus sous les princes gentils et aujourd’hui des vice-royautés. Sicca est proprement le coin pour frapper les roupies.

RANA. — Titre rajpoute, correspondant à celui de raja.

RAO. — Titre marate, correspondant à celui de raja, lui est même supérieur.

RAYOTTES. — Habitants noirs de l’aldée de Chandernagor.

S

SOUBAH. — Vice royauté dans l’empire mogol qui comprend plusieurs provinces ou gouvernemens. Nous disons aussi soubah pour désigner le vice roi ; le vrai mot est soubahdar ; nous disons aussi soubabie pour désigner la province.

SIPAYE. — Ce mot répond précisément à notre mot soldat. L’officier, chez les Indiens, de quelque rang qu’il soit, est sipaye, comme soldat parmi nous, ou doit l’être. On dit dans l’Inde comme en Europe : ce général est bon soldat. Sipaye est aussi un simple engagé, soit cavalier soit fantassin. Quant à ce que nous nommons particulièrement sipaye au service des Européens, ce sont des Indiens que nous choisissons, maures et gentils, dans les castes les plus renommées pour leur bravoure, que l’on arme à l’européenne ; on en forme des bataillons qu’on divise en compagnies, ayant des officiers européens à leur tête ; on leur donne un uniforme et, avec le tems, on parvient à leur faire faire le maniement des armes, les évolutions militaires aussi bien que les Européens ; ces troupes, instruites, disciplinées et surtout lorsqu’elles ont déjà vu le feu, se battent bien et nous ont prouvé souvent que la valeur se rencontre dans tous les pays. Les sipayes valent beaucoup mieux que les Européens pour tout ce qui est corvée ; ils supportent mieux la fatigue et sont plus sobres.

SERDAR. — Chef qui est à la tête.

SOFRA. — Cuir qu’on étend sur un tapis et sur lequel on pose la nappe dans un repas de cérémonie. Les conviés doivent avoir précisément la même quantité et qualité de plats l’un que l’autre ; ils doivent avoir aussi chacun un homme de la maison pour le servir en qualité d’écuyer tranchant ; mais dans les repas ordinaires, on a arrangé sur la nappe huit ou dix grands plats de mets qui sont en commun. Aucun des convives cependant ne doit y toucher ; chacun a devant soi cinq ou six assiettes vuides et précisément vis à vis le maître de la maison, il y a un maître d’hôtel ou écuyer tranchant qui, armé de tout ce qui est nécessaire, fait la distribution des mets ; chaque convié a son pain et à côté deux ou trois petites soutasses qui contiennent du sel, du poivre, des achars ou fruits et légumes confits au vinaigre, du gingembre et autres épiceries ; il n’y a ni cuillers ni fourchettes ; ainsi, l’on mange fort proprement avec ses doigts de la main droite qu’on a eu soin de bien laver ; le poulce sert de ressort pour faire entrer ce que l’on veut dans la bouche. Il est défendu de se servir, pour manger, de la main gauche, on en devine bien la raison. Comme j’étois peu expert à me servir de mes doigts, je me faisois apporter mon couvert, lorsque j’étois invité à quelque repas. On ne boit que de l’eau en mangeant ou du sorbet, espèce de limonade ; on a souvent un concert d’instrumens ou de danses de bayadères pendant le repas ; les plus longs sont d’une demi-heure ; les danses, si l’on veut, continuent bien avant dans la nuit ; cependant le maître de la maison et les conviés assis sur des tapis couverts d’une toile blanche et appuyés sur des carreaux, mangent le béthel et fument tranquilement le koka.

SOAKAR. — Comme qui diroit chargé de cent affaires ; est le nom qu’on donne aux banquiers.

SERKAR. — Nom très usité dans le Bengale qu’on donne à celui qui est chargé de ses affaires ; ser veut dire tête, kar affaires.

SENASSEYS. — Fakirs très renommés. (Voyez le mot fakir.)

SAYET. — Qui descend de la famille d’Aly.

SECKS ou SEYQUES. — Peuples qui habitent aujourd’hui le Penjab et une grande partie du Moultan. Dans le principe ils passoient seulement pour une secte particulière. Disciples d’un philosophe du Thibet, ennemis déclarés de toute monarchie, ils ont formé une espèce de république divisée en tributs indépendantes l’une de l’autre, mais qui se réunissent au premier signal pour le bien commun ; en recevant dans leur corps tous ceux qui se sont présentés de telle nation ou religion que ce soit, ils se sont accrus au point de pouvoir mettre en campagne 60 à 80.000 cavaliers. Leur religion est le pur déisme ; ils tolèrent néanmoins toutes religions dans les prosélites qu’ils font, auxquels ils se contentent de faire faire le serment d’être toujours ennemis de toutes monarchies. Leur principal chef étoit un nommé Djessaret singue : on parle aussi d’un nommé Nitta singue. Pour choisir le chef commun dans les occasions où il en faut un, chaque tribut nomme deux ou trois de ses membres ; les élus désignent dans la plaine un endroit élevé autour duquel le peuple s’assemble et sur lequel ils portent en grande cérémonie le livre sacré de leurs dogmes. À la première ouverture du livre, le chef est nommé par acclamation. Pour cela, il doit y avoir eu, sans doute, des conventions particulières entre les élus.

T

TAMACHA. — Nom dont la signification est très étendue ; on le donne à tout ce qui occasionne un bruit extraordinaire, tumulte, assemblée, batterie, farce, à tout ce qui fait spectacle.

TCHOBDAR. — Domestique qui marche devant son maître avec un bâton ; chez les Grands, il est d’argent, il y en a même d’or.

TCHOTOBERDAR. — Massier ; il passe avant le tchobdar.

TAILLARD. — Taillary ; milice des paléagards, habitans des bois et montagnes.

TABARROUK. — Petits gâteaux de sucre ou autres que les desservans bénissent sur les dergas ou tombeaux des pyrs.

TANKOA. — Rescription ou ordre de recevoir à compte d’argent ou effets remis.

TOWDJY. — Rescription ou ordre pour recevoir à compte d’appointemens, gages, salaires.

TACKT. — Thrône. Tackt Paon, trône du Paon qui est évalué environ 280 millions de nos livres.

V

VIZIR. — En persan, le mot se dit vazir, premier ministre de l’empire.

Y

YSARDAR. — Fermier.

Z

ZEMINDAR. — Nous disons improprement gemindar. C’est un officier plus civil que militaire à qui on donne des terres plus ou moins étendues pour en recuillir les revenus fixes qu’il doit payer au gouvernement. Il y a bien des rajas ou soi-disant tels qui ne sont que zemindars des terres qu’ils possèdent. Il y a des zemindars d’un ordre inférieur qui n’ont droit que sur trois ou quatre villages.

ZENANA. — Appartement de femmes.


  1. On reconnaîtra sans peine sous ces noms les noms actuels de Brahma, Vischnou et Siva. Cette déformation de l’orthographe d’un siècle à l’autre, même et surtout pour les noms propres, n’est pas une des moindres difficultés à la compréhension rapide des anciens textes. Les lecteurs qui voudront se rendre un compte exact de la théologie exposée en cet article pourront se reporter à l’ouvrage de l’abbé Dubois, composé il y a cent ans et qui, à très peu de modifications près, représente encore très exactement la théologie actuelle de l’Inde.
  2. En Anglois par les Mrs. Hollsvell et Davis.
  3. Les chevaux placés sans alignement ont, à droite et à gauche, une corde attachée au licol et de l’autre bout fixée en terre par un piquet ; de plus ils ont à chaque pied de derrière une corde de trois à quatre toises attachée au-dessus du sabot, fixée en terre par de forts piquets. En les fixant, on a soin de tirer à soy le pied du cheval de manière qu’il ait à peu près l’extension qu’il prend lorsqu’il veut courur. Cett position gênante doit naturellement affaiblir ses reins, mais le cheval est assujetti. Les Indiens prétendent d’ailleurs que cette position forcée le rend plus souple et plus propre à la course.