Mémoires (Saint-Simon)/Tome 3/7

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CHAPITRE VII.


Changements à la cour d’Espagne à l’arrivée du roi. — Singularité de suzeraineté et de signatures de quelques grands d’Espagne. — Autres conseillers d’État. — Mancera et son étrange régime. — Amirante de Castille. — Frigilliane. — Monterey. — Tresmo. — Fuesalida. — Montijo. — Patriarche des Indes. — Vie du roi d’Espagne en arrivant. — Louville en premier crédit. — Duc de Monteléon. — Coutume en Espagne, dite la saccade du vicaire. — P. Daubenton, jésuite, confesseur du roi d’Espagne. — Aversberg, ambassadeur de l’empereur après Harrach, renvoyé avant l’arrivée du roi à Madrid. — Continuation du voyage des princes. — Folie du cardinal Le Camus sur sa dignité.


Aussitôt après que le roi d’Espagne fut arrivé à Madrid, il prit l’habit espagnol et la golille[1], et fit quelques changements et réformes. D’une trentaine de gentilshommes de la chambre en exercice il les réduisit à six, et ôta les appointements à ceux qui n’avoient jamais eu d’exercice. Le comte de Palma, grand d’Espagne et neveu du cardinal Portocarrero, eut la vice-royauté de Catalogne en la place du prince de Darmstadt, qui sortit d’Espagne sans revenir à Madrid. Le duc d’Escalona, qu’on appeloit plus ordinairement le marquis de Villena, alla relever en Sicile le duc de Veragua ; il le fut bientôt lui-même par le cardinal del Giudice qui vint exercer la vice-royauté par intérim, de Rome où il étoit ; et Villena s’en alla vice-roi à Naples, d’où le duc de Medina-Celi revint à Madrid, où il fut fait président du conseil des Indes, qu’il désiroit extrêmement et qui est une place fort lucrative. Il l’étoit du conseil des ordres qui fut donné au duc d’Uzeda, quoique absent, et qui remplissoit l’ambassade de Rome depuis que Medina-Celi l’avoit quittée pour aller à Naples.

Le plus grand changement fut la disgrâce du connétable de Castille. Hors les présidences des conseils et la plupart des places dans les conseils, rien n’est à vie en Espagne, et à la mort du roi, toutes les charges se perdent, et le successeur confirme ou changé, comme il lui plaît, ceux qui les ont. Le connétable étoit grand écuyer et gentilhomme de la chambre en exercice.

L’exercice lui fut ôté et sa charge de grand écuyer, que le duc, de Medina- Sidonia préféra à la sienne de majordome-major, je ne sais par quelle fantaisie, sinon que, ayant désormais affaire à un jeune roi, il la trouva plus brillante et crut qu’il seroit souvent dehors, en voyage, à la chasse, à la guerre, où le grand écuyer a plus beau jeu que le majordome-major. Le marquis de Villafranca le fut en sa place ; et par ce qu’il avoit fait sur le testament, et par son vote fameux il avoit bien mérité cette grande récompense. La duchesse d’Ossone, dont j’aurai lieu de parler, disoit de lui et de don Martin de Tolède, depuis duc d’Albe et mort ambassadeur en France, qu’ils étoient tous deux Espagnols en chausses et en pourpoint, l’un en vieux, l’autre en jeune. Villafranca ainsi que Villena avoient beaucoup du caractère du duc de Montausier, mais ce dernier n’étoit point espagnol pour l’habit, de sa vie il n’avoit porté golille ni l’habit espagnol. Il le disoit insupportable, et partout fut toute sa vie vêtu à la française. Cela s’appeloit en Espagne à la flamande ou à la guerrière, et presque personne ne s’habilloit ainsi. Le comte de Benavente fut conservé sommelier du corps. Il se prit d’une telle affection pour le roi, qu’il pleuroit souvent de tendresse en le regardant.

Puisque j’y suis[2], je ne veux pas oublier une singularité de ces deux seigneurs et de quelques autres d’Espagne : le duché de Bragance en Portugal relève du comte de Benavente, duquel les armes sont sur la porte du château de Bragance à la droite de celles du roi de Portugal : toutes deux saluées une fois l’an en cérémonie ; le premier salut est aux armes du comte et le second à celles du roi.

Le duc de Medina-Celi, qui lors étoit sept fois grand d’Espagne, et dont les grandesses se sont depuis plus que doublées, mais qui n’en a pas plus de rang ni de préférence parmi les autres grands que s’il n’en avoit qu’une, ne signe jamais que El Duque Duque, pour faire entendre sa grandeur par ce redoublement de titre sans ajouter de nom. Le marquis de Villena, qui est aussi duc d’Escalona, signe El Marqués, sans y rien ajouter ; mais le marquis d’Astorga, qui est Guzman et grand d’Espagne aussi, signe de même, de manière qu’il faut connoître leur écriture pour savoir lequel c’est. Il est pourtant vrai que le droit passe en Espagne pour être du côté de Villena, et qu’il est comme le premier marquis d’Espagne. Le duc de Veragua signe tout court El Almirante Duque, à cause de son titre héréditaire d’amiral des Indes, donné aux Colomb[3].

Il faut maintenant achever les conseillers d’État. Je n’ai fait connoître que ceux qui ont eu part au testament d’une manière ou d’une autre. Ce caractère est le bout de l’ambition : il ne faut donc pas oublier ceux qui en étoient revêtus à l’avènement de Philippe V. J’ai déjà parlé[4] du cardinal Portocarrero, du comte d’Oropesa, de don Manuel Arias, l’un président exilé, l’autre gouverneur du conseil de Castille, de Mendoze, évêque de Ségovie, exilé et grand inquisiteur, du duc de Medina-Sidonia, du marquis de Villafranca, du comte de San-Estevan del Puerto et d’Ubilla, secrétaire des dépêches universelles. J’ai parlé aussi du comte de Benavente qui devint conseiller d’État pour avoir été mis comme grand dans la junte par le testament. Reste à dire un mot de Mancera, de l’amirante, Aguilar, Monterey, del Tresno, Fuensalida et Montijo, sur lesquels je ne me suis pas étendu, quoique j’aie déjà dit quelque chose de quelques-uns de ces sept derniers.

Pour retoucher le marquis de Mancera[5] de la maison de Tolède, grand de première classe et fort riche, président du conseil d’Italie, à quatre-vingt-six ans qu’il avoit lors de l’arrivée du roi, [il] avoit l’esprit aussi sain et aussi net qu’à quarante ans et la conversation charmante, doux, sage, un peu timide, parlant cinq ou six langues, bien et sans confusion, et la politesse et la galanterie d’un jeune homme sensé. De ses emplois et de ses vertus j’en ai parlé ci-devant. Mais voici une singularité bien étrange à notre genre de vie et qui n’est pas sans exemple en Espagne : il y avoit cinquante ans qu’il n’avoit mangé de pain, à l’arrivée du roi d’Espagne. Sa nourriture étoit un verre d’eau à la glace en se levant, avec un peu de conserve de roses et quelque temps après du chocolat. À souper, des cerises ou d’autres fruits, ou une salade, et encore de l’eau rougie, et sans sentir mauvais ni être incommodé d’un si étonnant régime ; et sa femme, fille du duc de Caminha, dont une seule fille, vivoit à peu près de même à quatre-vingts ans.

L’amirante de Castille, qui s’appeloit J. Thomas Enriquez de Cabrera, duc de Rioseco et comte de Melgar, étoit grand d’Espagne de la première classe, un des plus riches et des plus grands seigneurs et le premier d’Espagne pour la naissance, quoique bâtarde. Alphonse XI, roi de Castille et de Léon, eut de Marie, fille d’Alphonse V, roi de Portugal, un fils unique qui lui succéda, qui fut don Pierre le Cruel, si fameux par ses crimes, qui révoltèrent enfin tout contre lui, qui n’eut point de fils de la sœur du duc de Bourbon, qu’il tua et qui fut tué lui-même en [1368] par Henri, comte de Transtamare, son frère bâtard, qui lui succéda, et dont la couronne passa à sa postérité, Henri II, Henri III, Jean II, père d’Isabelle, qui épousa Ferdinand d’Aragon son cousin issu de germain paternel. Il étoit petit-fils de Ferdinand le Juste, second fils de Henri, comte de Transtamare, qui fut roi après avoir tué Pierre le Cruel, dont il étoit frère bâtard, comme je viens de le dire.

Ce Ferdinand, père du Catholique, fut appelé le Juste, pour avoir opiniâtrement refusé la couronne de Castille, qui lui fut plus qu’offerte à la mort du roi Henri III son frère, qui ne laissa qu’un fils en très bas âge, dont son oncle fut le défenseur et le tuteur, et qui fut père de la reine Isabelle. Il fut dès ce monde récompensé de sa vertu par l’élection qui fut faite de lui en 1390 par Martin, roi d’Aragon et de Valence et prince de Catalogne, frère de sa mère, mourant sans enfants, confirmée par les états de tous ces pays, pour lui succéder Alphonse V et Jean II, ses deux fils, l’aîné sans enfants, régnèrent l’un après l’autre, et, Ferdinand II, fils de Jean II, lui succéda, et réunit toutes les Espagnes, excepté le Portugal, par son mariage avec Isabelle, reine de Castille, si connus sous le nom de rois catholiques, dont la fille, héritière de leurs couronnes, fut mère de l’empereur Charles V et de l’empereur Ferdinand Ier, desquels sont sorties les branches d’Espagne et impériale de la maison d’Autriche.

Alphonse II, roi de Castille, père de Pierre le Cruel, eut d’Éléonore de Guzman, sa maîtresse, deux bâtards jumeaux. L’un fut ce comte de Transtamare qui vainquit, tua et succéda à Pierre le Cruel, et fut de père en fils bisaïeul d’Isabelle, reine de Castille et de Ferdinand le Catholique, roi d’Aragon, son mari ; l’autre jumeau fut la tige d’où est sortie légitimement et masculinement cette suite d’amirantes de Castille. Il s’appeloit Frédéric. Son fils Pierre, comte de Transtamare comme lui, fut connétable de Castille, dont les enfants n’en eurent point. Mais Alphonse, son frère, leur succéda ; il fut le premier amirante de Castille de sa maison, à laquelle il donna pour lui et pour sa postérité le nom de Enriquez en mémoire du roi de Castille, Henri II, frère de son père, laquelle est directe (dont l’amirante, qui fait le sujet de cette dissertation, est la dixième génération), n’a presque été connue que par le nom d’amirante, parce qu’ils l’ont tous été et que cette charge, dont je parlerai ailleurs, leur étoit devenue héréditaire. Le deuxième amirante fut premier comte de Melgar. Il maria sa fille à Jean, roi d’Aragon, fils du Juste, et elle fut mère du roi Ferdinand le Catholique, mari d’Isabelle, reine de Castille. Le quatrième amirante [était] fils du frère de cette reine d’Aragon et cousin germain de Ferdinand le Catholique, outre qu’ils étoient de même maison et issus de germain, de mâle en mâle, des rois de Castille, père d’Isabelle, et d’Aragon, père de Ferdinand le Catholique, lesquels deux rois étoient fils des deux frères, cousins germains de ’son père ; et cette parenté ainsi rapprochée étoit d’autant plus illustre que les Enriquez n’avoient que la même bâtardise du comte de Transtamare devenu roi de Castille, père de ces rois, et frère jumeau de Frédéric, tige dés Enriquez.

Le cinquième amirante, cousin issu de germain de Charles-Quint, fut fait par lui duc de Rioseco et grand d’Espagne. Celui-ci, que je compte le cinquième, parce qu’il eut un frère aîné amirante, qui n’eut point d’enfants et fut chevalier de la Toison d’or. Le sixième épousa A. de Cabrera, et la postérité de ce mariage joignit depuis le nom de Cabrera à celui d’Enriquez. Le septième et le huitième eurent la Toison d’or. Le neuvième fut vice-roi de Sicile, et le dixième eut d’une Ponce de Léon l’amirante dont je vais parler, qui est l’onzième amirante, lé sixième duc de Rioseco, grand d’Espagne de la première classe, et la dixième génération de Frédéric, frère jumeau du comte de Transtamare, qui détrôna et tua Pierre le Cruel, dont il étoit frère bâtard, fut roi de Castille en sa place et en transmit la couronne à sa postérité. Le père de notre amirante mourut en 1680.

Notre amirante de Castille avoit, en premières noces, épousé la fille du duc de Medina-Celi, ambassadeur à Rome, puis vice-roi de Naples, où nous avons dit qu’il fut relevé par le marquis de Villena, pour revenir à Madrid, où Philippe V le fit président du conseil des Indes. Il n’eut point d’enfants d’aucune ; mais le comte d’Alcanizès, son frère, eut un fils.

Cet amirante, homme de cinquante-cinq ans à l’avènement du roi d’Espagne, étoit un composé fort extraordinaire : de l’esprit infiniment, de la politesse, l’air et les manières aimables, obligeant, insinuant, caressant, curieux, prenant toutes sortes de formes pour plaire, haut, libre, ambitieux à l’excès, et très dangereux sans son extrême paresse de corps qui n’influoit point sur l’esprit. Pour donner un trait de sa hauteur, le cardinal Portocarrero, qui le haïssait fort, eut le crédit de le faire exiler à Grenade, quoique intimement attaché à la reine qui dominoit alors, et que lui-même fût en grande autorité auprès de Charles II pendant beaucoup d’années. Il avoit eu une affaire avec le comte de Cifuentès, dont il s’étoit mal tiré, et s’étoit perdu d’honneur ; ce qui fut l’occasion de son exil. En y allant, il s’arrêta à Tolède, dont le cardinal étoit archevêque et y donna une superbe fête de taureaux. À Grenade, il se logea dans l’Alhambra, qui est le palais des rois, où, après avoir demeuré assez longtemps, il se mit dans la ville pour être plus commodément.

Déshonoré sur le courage, il ne l’étoit pas moins sur la probité. Personne ne se fiait à lui, et il en riait le premier, et avec cela fort haï du peuple. Il ne se soucioit ni de sa maison ni d’avoir des enfants, mais avoit la rage de gouverner et une haine mortelle contre tous les gens qui gouvernoient, et par cette seule raison. Ami intime du prince de Vaudemont, extrêmement faits l’un pour l’autre, ennemi déclaré du duc de Medina-Sidonia et de tous les Guzman, et passionné pour les jésuites, dont il avoit toujours quatre chez lui, sans lesquels il ne mangeoit point, ni ne faisoit aucune chose. Il avoit dans Madrid quatre palais, tous quatre superbes et superbement meublés, d’une étendue très vaste, que par grandeur il ne louoit point, et logeoit dans chacun par saison trois mois de l’année. Ce sont presque les seuls de Madrid où j’aie vu cour et jardin, et les plus grands qu’il y ait. C’étoit un personnage, malgré de tels défauts, très considérable, le plus grand seigneur d’Espagne, et, quoique fort laid, [il] avoit le plus grand air. Il fut pourtant la dupe du testament, et, avec tout son attachement à la reine et à la maison d’Autriche, il n’osa proférer un seul mot. Nous le reverrons bientôt sur la scène.

Le comte de Frigilliane (don Roderic Manrique de Lara), devenu grand d’Espagne par son mariage avec Marie d’Avellano, comtesse d’Aguilar, héritière, s’appeloit le comte d’Aguilar, et quoique veuf et que le comte d’Aguilar son fils fût grand d’Espagne, il continuoit d’en avoir le rang et les honneurs, qui ne se perdent point en Espagne quand on les a eus, et de porter ainsi que son fils le nom de comte d’Aguilar, quoique le plus souvent on l’appelât Frigilliane. C’étoit un grand seigneur, haut, fier, ardent, libre, à mots cruels, dangereux, extrêmement méchant avec infiniment d’esprit et de capacité. Il étoit accusé d’avoir empoisonné dans une tabatière le père du duc d’Ossone. Il étoit fort autrichien et fort attaché à la reine. Le cardinal Portocarrero et lui se haïssaient à mort. Aussi le testament fut-il pour lui un mystère impénétrable. Il plaisantoit le premier de sa laideur, qui était extrême, et de sa méchanceté, et disoit que son fils étoit dans l’aime ce que lui portoit sur le visage, et avouoit que sans son fils il seroit le plus méchant homme d’Espagne, et je pense qu’il avoit raison.

Le comte de Monterey, grand d’Espagne par sa mère, second fils du célébré don Louis de Haro, avec lequel le cardinal Mazarin conclut la paix des Pyrénées et le mariage du roi en 1660 dans l’île des Faisans de la petite rivière de Bidassoa. Il avoit été gouverneur des Pays-Bas, et étoit lors président du conseil de Flandre. C’étoit un génie supérieur en tout ; mais haut, méchant et dangereux. Quoiqu’on lui eût caché le testament, il parut s’attacher au roi, quoique grand ennemi du cardinal Portocarrero. Qu’eût dit son père s’il eût vu ce que [son fils] voyoit, avec toutes ses précautions pour les renonciations de notre reine Marie-Thérèse ? Monterey n’avoit point d’enfants.

Le marquis del Tresno, grand d’Espagne de la maison de Velasco, comme connétable de Castille, étoit homme de beaucoup de probité et de capacité.

Le comte de Fuensalida et le comte de Montijo, aussi grands d’Espagne et conseillers d’État. Ce dernier n’a eu qu’une fille qui a épousé un Acuña Pacheco, qui a joint le nom de Portocarrero de sa mère, dont il a eu la grandesse. Il a fait fortune par l’ambassade d’Angleterre et les grands emplois. Le conseiller d’État, qui étoit comme le cardinal Portocarrero, Boccanegra, étoit frère du patriarche des Indes qui ne mangeoit pas plus de pain que le marquis de Mancera, mais qui étoit méchant, hargneux, haineux, malintentionné et pestant toujours contre le gouvernement. Il ne savoit mot de latin, quoiqu’il ne manquât ni d’esprit ni de lecture. Sa parenté et l’amour du cardinal Portocarrero le firent ; malgré tout cela, confirmer dans sa charge de patriarche des Indes. Voilà la plupart des personnages qui figuroient en Espagne, lorsque le roi y arriva.

Comme il n’y connoissoit personne, il se laissa conduire au duc d’Harcourt et à ceux qui avoient eu la principale part au testament, qui étoient fort liés entre eux, et avec les principaux desquels il passoit sa vie par les fonctions intimes de leurs emplois, comme le cardinal Portocarrero qui étoit l’âme de tout, et les marquis de Villafranca, duc de Medina-Sidonia, et comte de Benavente qui avoient les trois charges. Mais comme tous ceux-là mêmes lui étoient étrangers et M. d’Harcourt lui-même, il se déroboit volontiers pour être seul avec le peu de François qui l’avoient suivi, entre lesquels il n’étoit bien accoutumé qu’avec Valouse, son écuyer en France, et Louville qui, depuis l’âge de sept ans, étoit gentilhomme de sa manche. C’étoit celui-là beaucoup plus qu’aucun qui étoit le dépositaire de son âme. M. de Beauvilliers, qui l’éprouvoit depuis tout le temps de cette éducation, le lui avoit recommandé comme un homme sage, instruit, plein de sens, d’esprit et de ressource, uniquement attaché à lui et digne de toute sa confiance.

Louville avoit en effet tout cela, et une gaieté et des plaisanteries salées, mais avec jugement, dont les saillies réveilloient le froid et le sérieux naturel du roi, et lui étoient d’une grande ressource dans les premiers temps d’arrivée en cette terre étrangère. Louville étoit intimement attaché à M. de Beauvilliers, et extrêmement bien avec Torcy. Il étoit leur intime et unique correspondant, et sûr de ses lettres et de ses chiffres, parce que Torcy avoit les postes. Il connoissoit à fond le roi d’Espagne, il agissoit de concert avec Harcourt, Portocarrero, Ubilla, Arias et les trois charges, et ménageoit les autres seigneurs dont il eut bientôt une cour. On voyoit bien la prédilection et la confiance du roi pour lui. Mais Harcourt étant, peu de jours après l’arrivée, tombé dans une griève et longue maladie, tout le poids des affaires tomba sur Louville à découvert, et pour en parler au vrai, il gouverna le roi et l’Espagne. C’étoit lui qui voyoit et faisoit toutes ses lettres particulières à notre cour, et par qui tout passoit directement. Il commençoit à peine à connoître à demi son monde qu’il lui tomba sur les bras la plus cruelle affaire du monde ; pour l’entendre il faut reprendre les intéressés de plus haut.

Le comte de San-Estevan del Puerto, grand écuyer de la reine, et qui malgré cet attachement de charge avoit tant eu de part au testament, ne devoit pas être surpris qu’elle eût préféré le connétable de Castille, de temps attaché à elle et à la maison d’Autriche, et qu’elle avoit attaché à Harcourt pour négocier avec lui, ni que la junte qui d’ailleurs la comptoit si peu n’eût pu lui refuser l’ambassade passagère de France pour un seigneur si distingué.

Néanmoins le dépit qu’il en conçut fut tel qu’il la quitta, et lui fit en partie déserter sa maison, dont le connétable porta en France ces lettres de plaintes si romanesques et si inutiles. Le duc de Monteléon, de la maison Pignatelli comme Innocent XII, dont tous les biens étoient en Italie, fin et adroit Napolitain, et qui vouloit se tenir en panne en attendant qu’il vit d’où viendroit le vent, saisit l’occasion, se donna à la reine, qui fut trop heureuse d’avoir un seigneur si marqué. Il fut donc son grand écuyer, et, faute d’autre, en même temps son majordome-major, son conseil et son tout, et sa femme sa camarera-mayor. Ce fut ce duc que la reine envoya, de Tolède complimenter le roi d’Espagne. Le cardinal voyoit avec dépit un homme si considérable chez la reine, tout exilée qu’elle étoit, et, n’oublia rien de direct, ni d’indirect pour engager Monteléon de la quitter ; mais il avoit affaire à un homme plus délié que lui, et qui répondoit toujours qu’il ne quitteroit pas pour rien des emplois aussi bons à user que ceux qui le retenoient à Tolède ; mais, qu’il étoit prêt à revenir si on lui donnoit une récompense raisonnable.

Ce n’étoit pas le compte du cardinal. Il vouloit isoler entièrement la reine, et qu’elle ne trouvât au plus que des valets ; et c’étoit lui procurer quelque autre seigneur en la place de Monteléon, si on achetoit l’abandon de celui-ci, qui seroit une espérance et un exemple pour le successeur. Quelques mois se passèrent de la sorte qui allumèrent de plus en plus le dépit du cardinal, qui, outré de colère, résolut enfin de se porter aux dernières extrémités contre le duc de Monteléon, et de faire en même temps le plus sanglant outrage à la reine.

Pour entendre l’occasion qu’il en saisit, il faut savoir une coutume d’Espagne que l’usage a tournée en loi, et qui est également folle et terrible pour toutes les familles. Lorsqu’une fille par caprice, par amour, ou par quelque raison que ce soit, s’est mise en tête d’épouser un homme, quelque disproportionné qu’il soit d’elle, fut-ce le palefrenier de son père, elle et le galant le font savoir au vicaire de la paroisse de la fille, pourvu qu’elle ait seize ans accomplis. Le vicaire se rend chez elle, fait venir son père, et en sa présence et de la mère, demande à leur fille si elle persiste à vouloir épouser un tel. Si elle répond que oui, à l’instant il l’emmène chez lui, et il y fait venir le galant ; là il réitère la même question à la fille devant cet homme qu’elle veut épouser, et si elle persiste dans la même volonté, et que lui aussi déclare la vouloir épouser, le vicaire les marie sur-le-champ sans autre formalité, et, de plus, sans que la fille puisse être déshéritée. C’est ce qui se peut traduire du terme espagnol la saccade du vicaire, qui, pour dire la vérité, n’arrive comme jamais.

Monteléon avoit sa fille dame du palais de la reine, qui vouloit épouser le marquis de Mortare, homme d’une grande naissance mais fort pauvre, à qui le duc de Monteléon ne la voulut point donner. Mortare l’enleva et en fut exilé.

Là-dessus arriva la mort de Charles II. Cette aventure parut au cardinal Portocarrero toute propre à satisfaire sa haine. Il se mit donc à presser Monteléon de faire le mariage de Mortare avec sa fille, ou de lui laisser souffrir la saccade du vicaire. Le duc tira de longue, mais enfin serré de près avec une autorité aiguisée de vengeance, appuyée de la force de l’usage tourné en loi et du pouvoir alors tout-puissant du cardinal, il eut recours à Montriel, puis à Louville à qui il exposa son embarras et sa douleur. Ce dernier n’y trouva de remède que de lui obtenir une permission tacite de faire enlever sa fille par d’Urse, gentilhomme des Pays-Bas, qui s’attachoit fort à Louville, et qui en eut depuis la compagnie des mousquetaires flamands, formée sur le modèle de nos deux compagnies de mousquetaires. Monteléon avoit arrêté le mariage avec le marquis de Westerloo, riche seigneur flamand de la maison de Mérode et chevalier de la Toison d’or, qui s’étoit avancé à Bayonne, et qui sur l’incident fait par le cardinal Portocarrero n’avoit osé aller plus loin. D’Urse y conduisit la fille du duc de Monteléon qui, en arrivant à Bayonne, y épousa le marquis de Westerloo, et s’en alla tout de suite avec lui à Bruxelles, et le comte d’Urse s’en revint à Madrid. Le cardinal, qui de plus en plus serroit la mesure tant que la fuite fut arrêtée et exécutée, la sut quand le secret en fut devenu inutile, et que Monteléon compta n’avoir plus rien à craindre depuis que sa fille étoit mariée en France, et avec son mari en chemin des Pays-Bas.

Mais il ignoroit encore jusqu’à quel excès se peut porter la passion d’un prêtre tout-puissant, qui se voit échapper d’entre les mains une proie qu’il s’étoit dès longtemps ménagée. Portocarrero en furie ne se ménagea plus, alla trouver le roi, lui rendit compte de cette affaire, et lui demanda la permission de la poursuivre. Le roi, tout jeune et arrivant presque, et tout neuf encore aux coutumes d’Espagne, ne pensa jamais que cette poursuite fût autre qu’ecclésiastique, comme diocésain de Madrid, et, sans s’informer, n’en put refuser le cardinal, qui au partir de là sans perdre un instant, fait assembler le conseil de Castille, de concert avec Arias, gouverneur de ce conseil et son ami, et avec Monterey, qui s’y livra par je ne sais quel motif ; et là, dans la même séance, en trois heures de temps, un arrêt par lequel Monteléon fut condamné à perdre six cent mille livres de rente en Sicile, applicables aux dépenses de la guerre, à être lui appréhendé au corps jusque dans le palais de la reine à Tolède, mis et lié sur un cheval, conduit ainsi dans les prisons de l’Alhambra à Grenade, où il y avoit plus de cent lieues, et par les plus grandes chaleurs, d’y demeurer prisonnier gardé à vue le reste de sa vie, et de plus, de représenter sa fille, et la marier au marquis de Mortare, à faute de quoi à avoir la tête coupée et à perdre le reste de ses biens.

D’Urse fut le premier qui eut avis de cet arrêt épouvantable. La peur qu’il eut pour lui-même le fit courir à l’instant chez Louville. Lui qui ne s’écartoit jamais s’étoit ce jour-là avisé d’aller à la promenade, et ce contretemps pensa tout perdre, parce qu’on ne le trouva que fort tard. Louville, instruit de cet énorme arrêt, alla d’abord au roi, qui entendoit une musique, et ce fut un autre contretemps où les moments étoient chers. Dès qu’elle fut finie, il passa avec le roi dans son cabinet, où avec émotion il lui demanda ce qu’il venoit de faire. Le roi répondit qu’il voyoit bien ce qu’il lui vouloit dire, mais qu’il ne voyoit pas quel mal pouvoit faire la permission qu’il avoit donnée au cardinal. Là-dessus, Louville lui apprit tout ce de quoi cette permission venoit d’être suivie, et lui représenta avec la liberté d’un véritable serviteur combien sa jeunesse avoit été surprise, et combien cette affaire le déshonoroit après la permission qu’il avoit donnée de l’enlèvement et du mariage de la fille ; que sa bouche avoit, sans le savoir, soufflé le froid et le chaud ; et qu’elle était cause du plus grand des malheurs, dont il lui fit aisément sentir toutes les suites. Le roi, ému et touché, lui demanda quel remède à un si grand mal, et qu’il avoit si peu prévu ; et Louville, ayant fait à l’instant apporter une écritoire, dicta au roi deux ordres bien précis : l’un à un officier de partir au moment même, de courir en diligence à Tolède, pour empêcher l’enlèvement de Monteléon, et en cas qu’il fût déjà fait, de pousser après jusqu’à ce qu’il l’eût joint, le tirer des mains de ses satellites, et de le ramener à Tolède chez lui ; l’autre au cardinal, d’aller lui-même à l’instant au lieu où se tient le conseil de Castille, d’arracher de ses registres la feuille de cet arrêt et de la jeter au feu, en sorte que la mémoire en fût à jamais éteinte et abolie.

L’officier courut si bien, qu’il arriva à la porte de Tolède au moment même que l’exécuteur de l’arrêt y entroit. Il lui montra l’ordre de la main du roi, et le renvoya de la sorte, sans passer outre. Celui qui fut porter l’autre ordre du roi au cardinal le trouva déjà couché, et quoique personne n’entrât jamais chez lui dès qu’il étoit retiré, au nom du roi toutes les portes tombèrent. Le cardinal lut l’ordre de la main du roi, se leva et s’habilla, et fut tout de suite l’exécuter, sans jamais proférer une parole. Il n’y a au monde qu’un Espagnol capable de ce flegme apparent, dans l’extrême fureur ou ce contrecoup le devoit faire entrer. Avec la même gravité et la même tranquillité, il parut le lendemain matin à son ordinaire chez le roi, qui, dès qu’il l’aperçut, lui demanda s’il avoit exécuté son ordre. Sí, señor, répondit le cardinal, et ce monosyllabe fut le seul qu’on ait ouï sortir de sa bouche, sur une affaire pour lui si mortellement piquante, et qui lui déroboit sa vengeance et la montre de son pouvoir. Arias et lui en boudèrent huit jours Louville, mais [ils ne] s’en sont jamais parlé en sorte du monde. Lui avec eux, quoiqu’un peu retenu, ne fit pas semblant de rien, puis se rapprochèrent à l’ordinaire : ces deux puissants Espagnols ne vouloient pas demeurer brouillés avec lui, ni lui aussi sortir avec eux du respect, de la modestie, et de la privance qui était nécessaire qu’il se conservât avec eux, et qu’ils avoient pour le moins autant de désir de ne pas altérer.

Harcourt, qui avoit été à l’extrémité à plusieurs reprises, étoit lors encore fort mal à la Sarzuela, petite maison de plaisance des rois d’Espagne dans le voisinage de Madrid, et entièrement hors d’état d’ouïr parler d’aucune affaire.

Celle-ci néanmoins parut à Louville si importante, qu’il alla dès le lendemain lui en rendre compte. Harcourt approuva non seulement la conduite de Louville, mais il trouva qu’il avoit rendu au roi le plus important service. Il dépêcha là-dessus un courrier qui rapporta les mêmes louanges à Louville.

Monteléon cependant accourut se jeter aux pieds du roi, et remercier son libérateur de lui avoir sauvé l’honneur, les biens et la vie ; mais Louville se défendit toujours prudemment d’une chose dont il vouloit que le roi eût tout l’honneur, et dont l’aveu l’eût trop exposé au cardinal ; mais toute la cour, et bientôt toute l’Espagne, ne s’y méprit pas, et ne l’en aima et estima que davantage.

Avant de sortir d’Espagne, il faut dire un mot du P. Daubenton, jésuite François, qui y suivit le roi pour être son confesseur. Ce fut au grand regret des dominicains, en possession de tout temps du confessionnal des rois d’Espagne, appuyés de l’inquisition, chez lesquels, comme partout ailleurs où elle est établie, ils tenoient le haut bout, et soutenus de toute la maison de Guzman, une des plus grandes d’Espagne, de laquelle étoient plusieurs grands, et plusieurs grands seigneurs, qui, tous se faisoient un grand honneur de porter le même nom que saint Dominique. Le crédit des jésuites fit que le roi ne balança pas d’en donner un pour confesseur au roi son petitfils, bien que persuadé que ce choix n’étoit pas politique. On se figuroit l’autorité des dominicains tout autre qu’elle étoit en Espagne. Il se trouva qu’avec tout ce qui la leur devoit donner principale, ils y avoient moins de crédit, de considération et d’amis puissants et nombreux que les jésuites, qui avoient su les miner et s’établir à leurs dépens. L’Espagne fourmilloit de leurs collèges, de leurs noviciats, de leurs maisons professes ; et comme ils héritent en ce pays-là comme s’ils n’étoient pas religieux, toutes ces maisons, vastes, nombreuses, magnifiques, en tout, sont extrêmement riches. Ce changement d’ordre du confesseur ne fit donc pas la moindre peine, sinon à des intéressés tout à fait hors de moyens de s’en ressentir.

Ce P. Daubenton fut admirablement bien choisi. C’étoit un petit homme grasset, d’un visage ouvert et avenant, poli, respectueux avec tous ceux dont il démêla qu’il y avoit à craindre ou à espérer, attentif à tout, de beaucoup d’esprit, et encore plus de sens, de jugement et de conduite, appliqué surtout à bien connoître l’intrinsèque de chacun, et à mettre tout à profit, et cachant sous des dehors retirés, désintéressés, éloignés d’affaires et du monde, et surtout simples et même ignorants, une finesse la plus déliée, un esprit le plus dangereux en intrigues, une fausseté la plus innée, et une ambition démesurée d’attirer tout à soi et de tout, gouverner. Il débuta par faire semblant de ne vouloir se mêler de rien, de se soumettre comme sous un joug pénible à entrer dans les sortes d’affaires qui en Espagne se renvoient au confesseur, de ne faire que s’y prêter avec modestie et avec dégoût, d’écarter d’abord beaucoup de choses qu’il sut bien par où reprendre, de ne recommander ni choses ni personnes, et de refuser même son général làdessus.

Avec cette conduite qui se pourroit mieux appeler manège, et une ouverture et un liant jusqu’avec les moindres, qui le faisoit passer pour aimer à obliger, et qui faisoit regretter qu’il ne se voulût pas mêler, il fit une foule de dupes, il gagna beaucoup d’amis, et quoique ses progrès fussent bientôt aperçus auprès du roi d’Espagne et dans la part aux affaires, il eut l’art de se maintenir longtemps dans cette première réputation qu’il avoit su s’établir. C’est un personnage avec qui il fallut compter, et en France à la fin comme en Espagne. Nous le retrouverons plus d’une fois.

Des autres François, Valouse ne se mêla que de faire sa fortune, qu’il fixa en Espagne ; Montriel de rien, et qui revint comme il étoit allé ; La Roche de presque rien au delà de son estampilla : Hersent de peu de choses, et encore de cour ; ceux de la Faculté de rien, ni quelques valets intérieurs ou, gens de la bouche française que d’amasser ; et Louville de tout et fort à découvert.

Mais son règne, très utile aux deux rois et à l’Espagne, fut trop brillant et trop court pour leur bien.

Le comte d’Harrach, ambassadeur de l’empereur, étoit sur le point d’être relevé lorsque Charles II mourut. Il partit bientôt après d’un pays qui ne pouvoit plus que lui être très désagréable, et le comte d’Aversberg lui succéda. Mais la junte, qui dans ces circonstances le prit moins pour un ambassadeur que pour un espion, lui conseilla doucement de se retirer, jusqu’à ce qu’on sût à quoi l’empereur s’en tiendroit. Il résista jusqu’à proposer de demeurer en attendant, comme particulier, sans caractère ; à la fin, il fut prié de ne pas attendre l’arrivée du roi d’Espagne, et il partit ; mais il passa par Paris, où il s’arrêta en voyageur pour y voir les choses de plus près, et en rendre compte de bouche plus commodément encore que Zinzendorf, envoyé ici de l’empereur, ne pouvoit faire par ses amples dépêches.

Cependant les deux princes, frères du roi d’Espagne, continuoient leur voyage par la France, où, malgré la fâcheuse saison de l’hiver, les provinces qu’ils parcoururent n’oublièrent rien pour les recevoir avec les plus grands honneurs et les fêtes les plus galantes. Le Languedoc s’y distingua, le Dauphiné fit de son mieux. Ils logèrent à Grenoble dans l’évêché, et ils y séjournèrent quelques jours dans l’espérance de pouvoir aller de là voir la grande Chartreuse. Mais les neiges furent impitoyables, et quoi qu’on pût faire, elles leur en fermèrent tous les chemins. Le cardinal Le Camus, avec tout son esprit et cette connoissance du monde que tant d’années de résidence, sans sortir de son diocèse que pour un conclave, n’avoient pu effacer, se surpassa dans la réception qu’il leur fit, sans toutefois sortir de ce caractère d’évêque pénitent et tout appliqué à ses devoirs qu’il soutenoit depuis si longtemps. Mais sa pourpre l’avoit enivré au point de lui faire perdre la tête dans tout ce qui la regardoit, jusque-là qu’un homme qui avoit passé ses premières années à la cour aumônier du roi, et dans les meilleures compagnies, avoit oublié comment les cardinaux y vivoient, si bien qu’il fut longtemps en peine, sur le point de l’arrivée des princes chez lui, si dans sa maison même il devoit leur donner la main. Ils passèrent en Provence où Aix, Arles, et surtout Marseille et Toulon leur donnèrent des spectacles, dont la nouveauté releva pour eux la magnificence et la galanterie par tout ce que la marine exécuta. Avignon se piqua de surpasser les villes du royaume par la réception qu’elle leur fit, et Lyon couronna tous ces superbes plaisirs par où ils finirent avec leur voyage. C’est où je les laisserai pour reprendre ce que la digression d’Espagne m’a fait interrompre.




  1. La golille était une espèce de collet en usage chez les Espagnols.
  2. Nouveau passage omis dans les précédentes éditions jusqu’à Comme il n’y connoissoit personne (p. 127). C’est le complément indispensable de ce que Saint-Simon a déjà dit du conseil d’État d’Espagne à l’époque de l’avénement de Philippe V.
  3. On a vu plus haut, p. 91, que le duc de Veragua descendait par les femmes de Christophe Colomb.
  4. Voy. plus haut, p. 3, 4 et 5.
  5. Voy. plus haut, p. 6, 7, ce que nous appellerons, avec Saint-Simon, la première touche du portrait du marquis de Mancera.