Mémoires (De Gaspé)/11

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G. E. Desbarats (p. 329-366).


CHAPITRE ONZIÈME


Je classe le Major Pierre LaForce parmi mes jeunes contemporains, quoiqu’il fût plus âgé que moi et que tous ceux dont j’ai parlé, par la raison très-simple que cet aimable gentilhomme semblait n’avoir jamais vieilli. Le major faisait les délices de nos parties de jeunes gens : la fête n’aurait pas été complète en son absence. Peu de mystificateurs ont possédé les talents variés de notre ami. Il avait la knack[1] d’imiter la langue allemande et les idiomes indiens de manière à tromper Allemands et sauvages.

J’étais un jour à mon bureau, conversant avec mes amis LaForce, Vallière, Plamondon et LeBlond. Entre un huissier allemand nommé Nupert. LaForce, assis auprès de moi, se retourne à demi de manière à présenter le dos au nouvel arrivé. L’huissier me rend compte d’un writ dont je l’avais chargé. Je commence à lui reprocher quelques bévues qu’il avait faites et dont il se défendait de son mieux. LaForce se retourne à demi, et commence à marmotter entre ses dents, et d’un ton de mauvaise humeur, une phrase dans son baragouin allemand. Nupert s’arrête tout court, lance un regard peu bienveillant au major et continue sa défense. LaForce hausse la voix à mesure qu’il parle, se retourne tout à fait du côté de Nupert et continue sa harangue en le regardant d’un air courroucé. Nupert, l’Allemand le plus emporté que j’aie connu, Nupert bouillant de colère, riposte dans sa langue vernaculaire. Tous deux parlent à la fois en gesticulant comme des énergumènes ; et jamais scène burlesque ne fut plus amusante pour des spectateurs. La fureur réelle d’un côté et simulée de l’autre, était à son comble, lorsque j’imposai silence à mon huissier qui céda d’assez mauvaise grâce en me disant :

— Vous avez bien le droit, vous, monsieur, de me reprendre lorsque je manque à mes devoirs, mais je n’entends pas me faire invectiver par tous les messieurs qui viennent dans votre bureau.

L’erreur de mon huissier me coûta quelques piastres que je ne regrettai guère ; j’avais ri pour mon argent, et mes amis en avaient profité.

Le Chevalier Robert Destimauville, ayant servi dans les armées prussiennes parlait la langue allemande avec facilité ; nous lui dîmes un jour que notre ami le major, alors présent, possédait aussi cet idiome. Le chevalier commence aussitôt l’attaque, à laquelle LaForce répond, avec un sérieux de glace, par une longue tirade.

— Vous parlez, monsieur, dit le chevalier, un langage corrompu, l’allemand de la Basse-Saxe ; et, sur mon honneur, on ne vous comprendrait pas à la cour de Berlin.

— Je le crois, dit humblement le major, la Basse-Saxe est la seule partie de l’Allemagne où j’aie fait quelques études de cette belle langue.

Lorsque le chevalier Destimauville sut que c’était une mystification, il en aimait peu la plaisanterie. Je passe sous silence les nombreux Allemands victimes de cette imitation burlesque de leur langue.

De tous ceux que feu M. Andrew Stuart avait invités à dîner à son cottage à la Jeune Lorette, il y a quarante-six ans, deux seulement, notre respectable concitoyen M. Barthélemy Faribault et l’auteur de ces mémoires, tout en pensant aux délices de cette charmante réunion composée d’hommes si gais et si spirituels, penchent la tête avec tristesse en songeant qu’ils sont aujourd’hui les seuls que la mort ait épargnés. Treize convives prirent, alors, leur place à la table hospitalière de notre éminent ami, savoir : Messieurs Nelson, Planté, LaForce, Vallière, John Ross, Juchereau Duchesnay, Plamondon, Moquin, LeBlond, Faribault, deux grands chefs de la tribu des Hurons et moi. M. Stuart étant chef honoraire de cette tribu, distinction qu’elle n’accordait qu’à ceux qui lui avaient rendu de grands services, avait invité ces deux Indiens, les seuls sauvages pur sang du village de Lorette.

Ils avaient revêtu pour l’occasion leur magnifique costume indien : capot court du plus beau drap bleu, dont les manches étaient ornées de bandes d’argent depuis le bas des épaules jusqu’aux coudes, mitasses de la plus brillante écarlate, souliers de chevreuil richement ornés de porc-épic, chemise de soie aux couleurs variées, ouverte sur la poitrine et chargée de médailles d’argent, dont une à l’effigie du roi George III, et enfin chapeau de castor chargé de superbes plumes. Deux cercles d’argent, de quatre pouces de diamètre, tombant sur leurs épaules, en guise de boucles d’oreilles, complétaient leur toilette.

Le maintien des deux Hurons offrait, pendant tout le repas, un contraste aussi différent du nôtre que leur costume. Froids et réservés au milieu de nos joyeux ébats, jamais un sourire n’effleurait leurs lèvres. Quoique ce ne fût pas alors l’usage de débiter au dessert des discours à tuer toute gaieté, comme on le fait aujourd’hui, notre amphitryon pria Plamondon de prononcer une harangue parlementaire ; c’était un plat dont nous étions tous très friands qu’un tel discours dans la bouche de notre spirituel et sarcastique ami : nous connaissions d’avance tous ceux qu’il allait immoler.

Plamondon se leva et dit avec un accent gascon très prononcé : « M. le président, je vais vous entretenir ce soir de la constitution dont et de laquelle nous avons le bonheur de vivre dessous, » et continuant sur ce ton, il débita le discours le plus baroque qui ait jamais dilaté la rate de joyeux vivants. Après avoir payé ce tribut aux mânes d’un défunt membre du parlement provincial, dont la mémoire était encore récente parmi nous, il demanda la permission de réfuter le savant discours de l’honorable membre qui venait de parler, et commença d’une voix nasillarde :

— À Dieu ne plaise, monsieur le président, que me prévalant d’une éducation classique que beaucoup de membres de cette honorable chambre n’ont pas eu l’avantage de recevoir, à Dieu ne plaise, dis-je, que fort d’études profondes auxquelles je me suis livré depuis mon enfance, je veuille surprendre, par des discours captieux la religion d’honorables membres moins favorisés que moi sous ce rapport, etc., etc, etc.

Et Plamondon reprit son siège au milieu des rires et des applaudissements de tous les convives.

LaForce se leva ensuite et demanda la permission de proposer une santé que tout le monde, il en était certain, accueillerait avec bonheur, celle de nos amis les deux chefs hurons. Il commença par faire l’éloge, en langue française, des guerriers de cette nation qui avaient rendu tant de services à leurs alliés français et anglais avant et depuis la conquête ; et se servant, en s’adressant au grand chef, de l’idiome indien, ou de ce qui nous paraissait l’être, il fit un discours d’une vingtaine de minutes, chargé de consonnes à ébranler les tympans les plus solides. Les deux chefs étaient tout oreilles, ne rompant le silence que pour pousser leur hoa ! ce qui est chez eux un signe d’admiration ou d’approbation.

Je fus probablement le seul qui crut s’apercevoir que M. Stuart parut mal à l’aise lorsque le major aborda l’idiome indien ; il lui passa une ombre sur le visage, mais ce mouvement ne fut que transitoire, sachant bien qu’il avait pour convives des gentlemen trop polis pour manquer aux égards qu’ils devaient à ceux qu’il avait admis à sa table. Nous écoutâmes tous en effet le discours de LaForce avec un sang-froid imperturbable, sans paraître nous apercevoir de la mystification, et nous bûmes à la santé des Peaux-Rouges avec des hip ! hip ! hurrah ! propres à satisfaire leur orgueil.

Un des grands chefs prit ensuite la parole en huron et fit un long discours de remercîment, je suppose, en s’adressant au major. Interpellé ensuite par un de nous sur le discours de LaForce, il nous dit que le major avait dit de grandes et belles paroles, mais qu’il parlait une branche de leur langue, l’iroquois je crois, qu’eux, les Hurons de Lorette, n’entendaient que bien imparfaitement.

Nous visitions un jour un de ces musées de figures en cire, que les Américains exhibaient fréquemment autrefois dans les villes du Bas-Canada, lorsque le major LaForce, voyant entrer trois à quatre habitants, prit une chaise qui lui tomba sous la main et s’assit entre Washington et je ne sais quel autre personnage qui faisait partie de la collection. Et là, immobile, les yeux fixes comme les automates qui l’entouraient, il attendit la visite des campagnards. Son visage pâle, il faut l’avouer, prêtait beaucoup à l’illusion. Nous nous attendions peu à ce qui allait suivre, mais seulement à une simple mystification ; et nous entourâmes les nouveaux venus lorsqu’ils s’arrêtèrent devant notre ami qu’ils contemplèrent longtemps en silence.

– Mé ! mé ! dit l’un d’eux, ne dirait-on pas que celui-ci est un véritable créquien (chrétien) qui vient de trépasser ?

Et pour s’assurer de la vérité de cette assertion, il avance la main pour lui palper le visage. Mais, ô horreur ! lorsque la main fut à la portée de la bouche de la momie, elle lui mordit le doigt à lui couper la dernière phalange de l’index ; le sang jailli, et pendant que Jean-Baptiste, les cheveux hérissés sur la tête, secouait les doigts à se les disloquer, le major avait repris sa pose première.

Les objets qu’offrait le musée n’étaient guère propres à calmer la frayeur dont les campagnards étaient saisis : c’était dans une des encoignures de la chambre un Goliath de Geth, armé de toutes pièces, dont la tête touchait au plafond. Le front du géant brisé par un gros caillou échappé de la fronde de David, le sang noir qui sortait à grands flots de la blessure, la fureur peinte dans les yeux du monstre expirant, tout en faisait un spectacle hideux et horrible à voir.

C’était, au milieu de la chambre, le général Hamilton blessé à mort, la poitrine percée d’une balle, la bouche ensanglantée, tombant entre les bras de son ami, tandis que son adversaire Burr tenait en main, d’un air farouche, l’arme meurtrière.

C’était le vieux général russe Sowarow qu’on voyait d’abord étendu sur une couche mortuaire, et se mettant ensuite lentement sur son séant aux yeux des spectateurs ébahis.

Cette dernière scène décida la retraite des campagnards :

— Sauvons-nous, mes amis, s’écria l’un d’eux : vous voyez bien que toutes ces inventions anglaises là ne marchent que par ressorts.

— Oui ! oui ! dit Gabriel en étanchant avec un mouchoir de coton le sang qui coulait de son doigt presque séparé dans la jointure. Oui ! oui ! sauvons-nous ! sauvons-nous !

Que ne suis-je doué de l’humour,[2] du ton comique de notre ami le major LaForce pour raconter au moins une des nombreuses anecdotes qui nous faisaient rire pendant des soirées entières. Quand je rapporterais fidèlement ses propres expressions, il y manquerait toujours la verve comique du narrateur. C’est lui-même qui parle :

« J’aimais beaucoup la toilette lorsque j’étais jeune ; la poudre surtout que les messieurs portaient alors, était un objet dont je faisais une grande dépense. Je ne sortais jamais le matin que huilé et pommadé comme un esquimau, et la tête blanche et frisée comme un chou-fleur. Ajoutez pour complément à ma parure un jabot de chemise, large de six pouces, raide d’empois et plissé comme les coiffes de Madame Nadeau, lequel jabot partant du menton ne rencontrait pour obstacle que le dernier bouton du bas de ma veste, et vous aurez une idée de la parure d’un petit-maître de seize ans d’autrefois ayant nom LaForce.

« Je rencontre, le matin, en me rendant à mon bureau, le jeune C***, qui ne manquait jamais, lui, si malpropre et si sale, de me lancer quelques sarcasmes à propos de ma toilette ; mais j’étais peu disposé ce jour-là à endurer patiemment ses quolibets : mon père, dont la mise était toujours simple, mais néanmoins décente, détestait les petits-maîtres, et il venait justement de me comparer, en me voyant sortir de la maison dans toute ma gloire, à Jupiter descendant de l’Olympe.

Je n’étais donc pas d’humeur à endurer les quolibets de C***, le plus insolent des jeunes gens de Québec, et je lui rendis son change avec usure sur sa malpropreté. Il n’était pas endurant et il me frappa au visage. J’avais seize ans et il en avait au moins dix-neuf ; aussi, profitant de sa haute taille, il prenait, en me frappant, pour point de mire ma malheureuse tête qui lui portait tant d’ombrage. Il faisait une chaleur étouffante du mois de juillet, et je fus couvert, dans l’instant, de poudre et de pommade depuis la tête jusqu’aux pieds. Je ressemblais assez à un rat sortant d’un baril d’huile qu’on aurait roulé dans un farinier.

Cette scène avait lieu dans une rue passante de la basse-ville, en sorte qu’il se fit aussitôt un cercle à l’entour de nous ; chacun encourageant l’un ou l’autre des lutteurs suivant ses sympathies. Le courage moral seul m’empêchait de succomber dans un combat contre un athlète plus grand et plus âgé que moi, outre que j’avais à me défendre contre la poudre et la pommade qui m’aveuglaient à chaque coup de poing que je recevais et que je rendais ; le courage moral seul, dis-je, m’empêchait de succomber, lorsque arrivèrent sur les entrefaites cinq à six matelots de frégate qui se rangèrent de mon côté, soit parce que j’étais le plus petit des deux combattants, soit plutôt parce que me prenant pour un perruquier, en me voyant ainsi couvert de poudre et de pommade, ils ne fussent pas fâchés de me voir rosser un gentleman.

La méprise était, d’ailleurs d’autant plus naturelle que chaque monsieur se faisant alors raser et coiffer par un perruquier, on les rencontrait tous les matins courant leurs pratiques avec des habits non seulement couverts de poudre, mais aussi de nombreuses taches de pommade.

Well done little barber ! (Courage, petit barbier), rossez-le d’importance ! crièrent les matelots.

Si cette méprise si humiliante pour un petit maître, pour un gentleman, augmentait ma colère, la sympathie de ces braves fils de l’océan, accroissait mes forces et mon courage ; aussi, après un combat des plus acharnés, je fus déclaré vainqueur ! Mais dans quel état, bon Dieu !

Je n’eus rien alors de plus pressé que de me soustraire aux regards du public, espérant aussi rentrer chez mon père sans qu’il en eût connaissance ; mais j’avais compté sans mes alliés de la frégate, trop fiers de mon triomphe pour se séparer si promptement de moi. Les malheureux m’accompagnèrent jusqu’à mon domicile en criant : hurrah pour le petit barbier !

Le bruit infernal qu’ils faisaient attirait tout le monde aux fenêtres, et une des premières personnes que j’aperçus, fut mon père qui bouillait de rage à la vue du triomphe de son cher fils. Je vous assure que l’ovation qu’il me fit fut un peu différente de celle de mes amis goudronnés.

Le sang des braves coulait dans les veines du major LaForce : son oncle paternel s’était distingué par de nombreux faits d’armes avant la conquête ; les annales du Canada en font foi. Son père fut un des plus braves défenseurs de la ville de Québec pendant les deux sièges de 1759 et de 1775 ; sa mère même avait des sentiments de patriotisme exaltés. Si son mari accablé de fatigue succombait au sommeil pendant ces deux sièges et qu’elle entendait sonner l’alarme, elle l’éveillait aussitôt, lui apportait ses armes en lui criant : dépêche-toi, LaForce ! Quelle honte pour nous, si tu n’étais pas le premier rendu sur les remparts !

Je tiens cette anecdote de deux de mes oncles enfermés aussi dans l’enceinte des murs de Québec pendant ces deux sièges.

On reprochait au major LaForce d’avoir la tête près du bonnet, par suite de quelques rencontres dans lesquelles il avait assez malmené ses adversaires ; je crois, pour ma part, qu’il devait avoir été poussé à bout, car je n’ai jamais connu homme d’un commerce plus facile.

Cet homme si gai, si spirituel, cet homme aussi loyal envers la couronne d’Angleterre qu’il était patriote sincère et attaché à son pays, pensa néanmoins succomber sous la tyrannie du gouvernement pendant l’administration du chevalier Craig. Incarcéré à Montréal pour ses opinions politiques, comme le furent à Québec le 17 mars 1810, les Bédard, les Blanchette, les Taschereau et autres sujets aussi loyaux que patriotes éminents, il faillit mourir dans un cachot des mauvais traitements qu’on lui fit subir. Il n’en fut pas moins un des premiers à voler à la frontière au secours de la patrie en danger, lorsque éclata la guerre de 1812 contre les Américains.[3]

Son caractère ferme et indomptable lui fit éprouver plus de mauvais traitements pendant sa détention qu’aucun autre des patriotes exposés aux persécutions de l’oligarchie ; je dois cependant en excepter Corbeille, qui mourut victime de la cruauté de ses bourreaux. Quant au major LaForce, il fut aux portes de la mort et ne dut la vie qu’à son tempérament de fer et à la trempe de son âme.

— Tant que je ne fus pas malade, nous disait-il, je conservai toute ma gaieté naturelle dans l’affreux cachot dans lequel on m’avait plongé. N’ayant ni livres, ni encre, ni plumes, ni papier, je m’amusais à tracer avec du charbon tout ce qui me passait par la tête sur les murs de mon cachot, d’où je ne recevais le jour que par une petite fenêtre grillée. Je charbonnai un jour deux pièces d’artillerie opposées l’une à l’autre avec deux boulets, sortant de leur bouche prêts à se heurter ; et j’écrivis au-dessous la devise : La force contre la force. Le geôlier en informa aussitôt les autorités, ce qui me procura le lendemain la visite de deux magistrats. Ces messieurs, saisis d’horreur à la vue de ces insignes belliqueux, se regardèrent en secouant la tête en silence, et finirent par me demander ce que signifiait cette menace.

— Quelle menace ? leur dis-je, il me semble pourtant qu’il ne faut pas être doué d’une profonde sagacité pour pénétrer le sens de ma devise. Rien ne peut mieux peindre la force contre la force que deux canons et deux boulets se menaçant réciproquement.

Mon barbouillage et ma devise ingénieuse, ajoutait M. LaForce en riant, me valurent un surcroît de rigueur de la part de mes bourreaux : on craignait sans doute que mon parc d’artillerie ne fît sauter la prison.

De toutes les victimes de la tyrannie du gouvernement de cette époque, M. le juge Bedard, avocat alors, fut celui qui endura sa captivité avec plus de patience. Ce disciple de Zénon, toujours occupé d’études profondes, pouvait se livrer à ses goûts favoris sans être exposé aux distractions dans la chambre solitaire qu’il habitait. Homme pratique, connaissant à fond la constitution anglaise, il ne communiquait avec les autorités que pour leur demander de quel crime on l’accusait ; et pour les prier de le mettre en jugement, s’il y avait matière à un indictement au criminel. On se donnait bien de garde d’instruire son procès : il était à peu près aussi coupable de trahison ou de pratique séditieuse que je le suis de vouloir m’emparer de la tiare de notre Saint-Père le pape. On lui signifia après une année de détention, je crois, qu’il était libre.

Je ne sortirai d’ici, répliqua M. Bedard, que lorsqu’un corps de jurés aura bien et dûment déclaré mon innocence.

On le laissa tranquille pendant une dizaine de jours, espérant lasser sa constance, mais à l’expiration de ce terme, le geôlier lui signifia que, s’il ne sortait pas le lendemain de bon gré, il avait reçu ordre de le mettre à la porte. M. Bedard haussa les épaules et continua ses calculs algébriques. Comme plusieurs membres de sa famille, M. Bedard était un profond mathématicien.

Le geôlier patienta le lendemain jusqu’à une heure de relevée, mais, voyant alors que son prisonnier ne faisait aucun préparatif de départ, il lui déclara que s’il n’évacuait pas les lieux de bonne volonté, il allait, avec l’aide de ses porte-clefs le mettre à la porte, M. Bedard voyant que l’on prenait les choses au sérieux, et que contre la force il n’y pas de résistance, dit au gardien : au moins, monsieur, laissez-moi terminer mon problème. Cette demande parut si juste au sieur Reid, le geôlier, qu’elle fut accordée d’assez bonne grâce. Monsieur Bedard satisfait, à l’expiration d’une heure, de la solution de son problème géométrique, s’achemina à pas lents vers sa demeure.

Lorsque le chevalier Prevost prit en main les rênes du gouvernement de cette colonie, avant la guerre de 1812, son premier soin fut de rendre justice aux victimes de la tyrannie de son prédécesseur. Messieurs Panet, Bedard, Taschereau, Borgia, Blanchette, LaForce, et d’autres officiers de la milice canadienne, destitués par le gouverneur Craig, furent réintégrés dans leurs grades, et le nouveau gouverneur se fit un devoir de réparer, autant que possible, les injustices de la précédente administration.

Le chevalier Prevost, plein de confiance dans la loyauté des Canadiens, confia, pendant cette guerre, la garde de la cité de Québec, dans laquelle il ne restait que peu de troupes régulières, aux miliciens de la ville. Le capitaine Bedard était un des plus zélés d’entre nous, et s’acquittait avec une précision géométrique des devoirs militaires, si nouveaux pour un homme de son âge et de ses habitudes.

La garde de la citadelle était toujours confiée à un capitaine ; celui-ci tenait toujours une bonne table, et surtout bien garnie d’excellentes liqueurs auxquelles les officiers qui faisaient les rondes, surtout celles de la nuit, ne manquaient jamais de rendre hommage. J’étais de garde sur le Cap pendant une nuit de trente-six degrés Réaumur, froid assez commun pendant le mois de janvier à cette époque, lorsque le capitaine Bedard vint visiter mon poste : il était transi de froid et je le pressai d’entrer dans ma chambre au corps de garde pour se réchauffer à l’aide de stimulants, mais toutes mes instances furent inutiles. J’eus beau lui représenter que les officiers de l’armée anglaise, majors et colonels, ne croyaient pas manquer à la discipline militaire en acceptant une semblable invitation, il demeura inflexible ; s’en tenant à la lettre de ses instructions qui lui enjoignaient de faire les rondes, mais rien de plus.

Les officiers de l’armée anglaise s’amusaient un peu des rapports que faisait le capitaine Bedard lorsqu’il sortait de garde ; et prétendaient qu’il y avait un peu de tout dans ses rapports : du français, du latin, voire même de l’algèbre, oui, de tout, excepté de l’anglais. Mais on lui passait ses petites excentricités, car l’entente la plus cordiale existait entre les officiers de l’armée régulière et les miliciens.

Ce serait une étude curieuse à faire aujourd’hui que de rechercher les causes qui ont induit le gouvernement d’alors à persécuter ces citoyens si respectables à tous égards. Personne n’ignore que les griefs, qui motivèrent les actes de rigueur de l’oligarchie, prenaient leurs sources dans le journal « Le Canadien » que les patriotes du temps publièrent pour se défendre des attaques envenimées et grossières que débitaient contre eux les gazettes anglaises. La presse, les caractères, etc., qui servaient à l’impression de ce journal furent saisis par un piquet de soldat commandés par un juge de paix ; ma foi, il faut l’avouer, par mon beau-père, le capitaine Thomas Allison, du 5e régiment d’infanterie, mais retiré alors du service ; et furent déposés dans les voûtes du palais de justice.

Ce serait certainement aujourd’hui une lecture pleine d’intérêt et des plus curieuses que celle de l’ancien journal « Le Canadien, » depuis le premier numéro jusqu’au 17 mars 1810, qu’il fut saisi par le gouvernement. On prétendait alors que plusieurs articles de ce journal tendaient à soulever le peuple, ce qui fut cause que les éditeurs, propriétaires, et les correspondants accusés de pratiques séditieuses furent incarcérés. Les moins coupables aux yeux des autorités, soit officiers dans la milice, ou exerçant quelques fonctions sous le gouvernement, furent congédiés. Oh oui ! ce serait une étude très-curieuse que de chercher à découvrir les crimes qu’avaient commis tant de loyaux et respectables citoyens d’origine française, qui leur valurent une persécution si cruelle de la part du gouvernement britannique. Je jette, aujourd’hui, le gant au torie le plus farouche, pourvu qu’il ait quelque teinture de la constitution anglaise, et je veux passer pour le plus sot individu du Canada, s’il peut me montrer une phrase, une seule phrase dans ce journal qui pût motiver les rigueurs de l’oligarchie sous l’administration Craig.

Pendant ce règne de terreur, le trait de désintéressement, de générosité qui va suivre, est trop honorable pour que je le passe sous silence.

Monsieur Joseph Planté, membre du parlement, inspecteur du domaine du roi et greffier du Papier Terrier, fut destitué pour les mêmes griefs que ceux dont j’ai parlé précédemment. Frappé de cette injustice, ce grand et loyal patriote sollicite et obtient une audience du chevalier Craig lui-même, et plaide sa cause avec tant de bonheur, que le gouverneur, qui n’était peut-être pas aussi diable qu’on l’a peint, reconnut son innocence, ajoutant, néanmoins, qu’il était trop tard ; qu’il avait nommé Monsieur Olivier Perrault pour le remplacer ; que si cependant, ce qui n’était guère probable, le nouveau greffier consentait à envoyer sa démission, il serait prêt à le réintégrer dans sa place.

Monsieur Perrault se rendit auprès du gouverneur, après une entrevue avec M. Planté :

— Excellence, dit-il, j’ai accepté avec reconnaissance la place dont vous m’avez gratifié, mais il me répugne de profiter du malheur d’autrui, et je prie Votre Excellence de vouloir bien accepter ma résignation.

Sir James Craig, touché d’un acte de générosité qui lui permettait de réparer une injustice, donna à monsieur Perrault[4] les louanges qu’il méritait, et lui promit de l’en récompenser aussitôt que l’occasion s’en présenterait.

La vérité avait percé les ténèbres dont était entourée l’âme du gouverneur ; et il est à regretter que d’autres canadiens en but aux persécutions de l’oligarchie n’aient pas suivi l’exemple de Monsieur Planté, car il est probable que Craig, guidé par son jugement sain et ses connaissances étendues de la constitution britannique, leur aurait rendu pleine et entière justice.


LE GOUVERNEUR SIR JAMES HENRY CRAIG


Au physique, le chevalier Craig était d’une petite taille, mais corpulent, quoique malade dès son arrivée au Canada. Il y avait beaucoup d’expression dans ses traits, qui devaient avoir été beaux dans sa jeunesse. Son regard était perçant comme celui du faucon et semblait chercher jusqu’au fond de l’âme les pensées les plus secrètes de ceux auxquels il parlait d’une voix aigre. On l’appelait en Angleterre « the little king Craig » (le petit roi Craig) parce qu’il aimait la pompe et le faste. Il passait pour un homme vain. Fier, orgueilleux, oui ; mais il avait trop d’esprit pour être vain : c’est toujours l’apanage d’un sot que la vanité.

Je vais porter un jugement qui paraîtra bien extraordinaire sur un homme dont la mémoire est encore odieuse aux Canadiens-Français après un laps de cinquante-quatre ans. Quoique bien jeune alors, ma position dans la société me mettait en rapport avec ses amis et ennemis : j’entendais constamment le pour et le contre, et j’en conclus que, loin d’être un méchant homme, un tyran, sir James avait un excellent cœur, et je vais en donner des preuves. Je tiens d’une autorité non suspecte, de mon oncle Charles de Lanaudière, membre du conseil législatif, haut torie s’il en fut, et qui approuvait même presque tous les actes arbitraires de l’oligarchie, je tiens, dis-je, de cette source non suspecte que sir James Craig, qu’il voyait fréquemment (il l’avait connu en Angleterre et même au Canada pendant la guerre de 1775,) lui avait dit peu de temps avant son départ pour l’Europe : « qu’il avait été indignement trompé et que s’il lui était donné de recommencer l’administration de cette colonie, il agirait différemment ». Cet aveu n’est pas celui d’un homme méchant.

Comment se fait-il alors qu’un homme si pénétrant, se soit laissé abuser ! c’est ce qu’il m’est difficile de résoudre. Ses amis prétendaient, pour l’excuser, qu’élevé dans les camps, il avait péché par ignorance de la constitution anglaise. Halte-là ! Sir James Craig était un littérateur distingué, une des meilleures plumes, disait-on, de l’armée britannique ; et il avait, tout jeune homme, occupé la situation de juge-avocat dans l’armée, ce qui exige une étude plus que superficielle des lois anglaises. Il a souvent, à ma connaissance, présidé la cour d’appel de Québec, et ses remarques étaient celles d’un homme qui possède des connaissances légales que l’on rencontre rarement en dehors de la profession du barreau. Quelqu’un lui fit observer un jour que M. Borgia, qui avait plaidé devant lui, le matin, n’était pas naturellement éloquent : « C’est vrai, dit-il ; mais je crois qu’il y a peu d’avocats dans cette colonie qui aient une connaissance aussi profonde du droit romain. Et sir James ne se trompait pas.

Il était de bonne foi lorsqu’il sanctionna les mesures tyranniques de son conseil ; sa conduite comme commandant de garnison le prouve. Il croyait à une rébellion imminente des Canadiens-Français, lorsque les Bédard, les Blanchette et autres furent écroués. Dès quatre heures de relevée il fit doubler les gardes à tous les postes importants de la ville de Québec, fit poser un piquet d’hommes vis-à-vis l’arsenal, et envoya chercher l’adjudant-général de la milice canadienne, feu mon oncle Baby, et lui dit qu’il serait à propos de mettre à l’abri de toute surprise un petit dépôt d’armes d’une cinquantaine de fusils à l’usage des miliciens dans une bâtisse adjacente à l’évêché, près de la porte Prescott.

— Si Votre Excellence, lui dit M. Baby, âgé alors de plus de soixante-dix ans, a quelque inquiétude sur ce dépôt d’armes, j’irai moi-même y coucher seul cette nuit.

Cette réponse piquante fit pâlir le général, et il tourna le dos au septuagénaire sans lui répondre. Je dois à la vérité de l’histoire de dire que mon cher oncle, après cette réponse si mordante, n’en sanctionna pas moins le soir même les mesures cruelles du Conseil Exécutif par sa présence et par sa signature. Je dois ajouter pour sa justification qu’il était difficile à un vieillard qui n’avait qu’une connaissance superficielle du code criminel anglais de ne point se laisser convaincre par les arguments des éminents légistes qui composaient le conseil et que le juge-en-chef présidait.

J’ai dit que sir James Craig n’était pas un homme méchant, sa fameuse proclamation du 23 Mars, 1810, dans laquelle se trouvent les passages suivants, en est une preuve :

« On vous a dit effrontément que je prétends vous opprimer : vils et téméraires fabricateurs de faussetés, sur quelle partie ou sur quelle action de ma vie fondez-vous une telle assertion ? Que savez-vous de moi ou de mes intentions ? Canadiens, demandez à ceux que vous consultiez autrefois............................................. ...............................................................

« Pourquoi vous opprimerais-je ? Serait-ce pour servir le roi ? Ce monarque qui durant cinquante ans..............................
............................................................... ira-t-il, en contradiction avec la conduite d’une vie d’honneur et de vertu, donner des ordres à ses serviteurs d’opprimer ses sujets Canadiens !..................................................... ...............................................................

« Serait-ce donc pour moi que je vous opprimerais ? Pourquoi vous opprimerais-je ? Serait-ce par ambition ? Que pouvez-vous me donner ? Serait-ce pour acquérir de la puissance ? Hélas ! mes bons amis, avec une vie qui décline rapidement vers sa fin, accablé de maladies acquises au service de mon pays, je ne désire que de passer ce qu’il plaira à Dieu de m’en laisser dans la douceur de la retraite avec mes amis. Je ne reste parmi vous qu’en obéissance aux ordres de mon Roi. ...........Serait-ce donc pour les richesses que je voudrais vous opprimer ? Informez-vous de ceux.................................
Je préférerais à la valeur de votre pays mis à mes pieds, la persuasion d’avoir une seule fois contribué à votre prospérité.

« Ces allusions personnelles, ces détails, en tout autre cas, pourraient être indécents et au-dessous de moi, mais rien ne peut être indécent, ni au-dessous de moi, lorsque cela tend à vous sauver de l’abîme du crime et des calamités, dans lesquels des hommes coupables voudraient vous plonger. »

Ceux qui avaient poussé sir James à des actes tyranniques devaient bien rire, sous cape, des élans de sublime et impitoyable logique du vieux soldat accablé d’infirmités, s’acheminant à la plus prochaine tombe.

Oh ! non ! un homme déjà étreint par la mort ne trouve pas des accents aussi profondément empreints de vérité sans être sincère.

Il est à regretter, je le répète, que ceux que leurs ennemis avaient calomniés n’aient pas, à l’exemple de M. Planté, sollicité une audience du gouverneur lui-même, car il est probable qu’ils en auraient obtenu pleine et entière justice.

L’anecdote suivante doit prouver que sir James Craig n’était pas un méchant homme, car je suis de ceux qui croient fermement qu’un homme susceptible d’un des plus nobles sentiments dont on puisse s’enorgueillir, celui de la gratitude, ne peut pas être un monstre et doit, au contraire, avoir un cœur excellent.

Sir James, peu de temps après son arrivée dans cette colonie, s’informa si un habitant nommé Léveillé, d’une paroisse de Montréal qu’il nomma, vivait encore ; et sur la réponse affirmative des émissaires chargés de faire des perquisitions à cet égard, il manda auprès de lui cet individu. Jean-Baptiste, bien étonné d’un tel message de la part d’un gouverneur, se rendit néanmoins à l’ordre ou à l’invitation qu’il avait reçu. Deux hommes qui s’étaient rencontrés par hasard un moment sur les terres du Canada, trente-deux ans auparavant, dans toute la vigueur du jeune âge se trouvaient alors en présence dans leur vieillesse.

— Vous rappelez-vous, dit sir James, d’avoir traversé dans un petit canot, à la rive opposée du fleuve Saint-Laurent, en l’année 1775, un jeune officier anglais poursuivi par des soldats américains ?

— Oh ! oui, dit l’habitant, c’était même un joli petit officier, qui m’a payé généreusement.

— Eh bien ! dit sir James, c’est à moi que vous avez rendu un service que je n’ai jamais oublié, car sans vous j’aurais été pris par l’ennemi.

— Si c’est vous, mon gouverneur, fit Jean-Baptiste, vous avez diablement profité, car vous étiez bien fluet alors.

Sir James, après avoir beaucoup ri de la réflexion de son interlocuteur, s’informa avec bonté de ses affaires, qui n’étaient pas florissantes, et donna ordre de lui acheter une belle ferme, avec animaux et ustensiles d’agriculture ; il lui fit en outre présent d’une somme assez ronde et le renvoya riche, de pauvre qu’il était auparavant. Cet acte de reconnaissance et de générosité ne peut sortir d’un mauvais cœur. C’est feu le colonel Vassal[5] qui m’a raconté cette scène à laquelle il avait assisté.

Je suis redevable à mon ami le major Lafleur d’une autre anecdote qui tend à prouver que sir James n’était pas si diable qu’on l’a prétendu, mais même que, malgré la hauteur qu’on lui attribuait, il était accessible à toutes les classes de la société.

Un nommé Bellehumeur, que j’ai très bien connu, sollicite une audience du gouverneur Craig et est aussitôt présenté par l’aide de camp de service. C’était un grand vieillard à la démarche fière et décidée.

— Quel est votre nom ? lui dit sir James, et que me voulez-vous ?

— Mon nom est Bellehumeur : je suis très-vieux, incapable de gagner ma vie ; et je prie Votre Excellence de me faire placer parmi les infirmes de l’hospice de l’Hôpital-Général.

Sir James frappé de son air martial lui demanda s’il avait servi.

— J’étais, Excellence, grenadier dans le régiment de Berry lors de la conquête ; un crâne de régiment, allez, je m’en vante ! Des lurons qui n’avaient pas froid aux yeux !

— Vous avez alors tué plusieurs anglais ? fit sir James.

— Autant que j’ai pu, Excellence ; un pauvre diable de soldat fait de son mieux ; et je n’ai pas, Dieu merci, de reproches à me faire de ce côté-là.

— Comment ? répliqua le général, que cette scène amusait, vous venez me demander une faveur, à moi anglais, et vous vous vantez de n’avoir pas tué autant de mes compatriotes que vous l’auriez désiré.

— C’est justement pour cela, fit Bellehumeur : si nous avions tué plus d’anglais, ils ne seraient pas à présent maîtres du pays ; et le roi de France me secourrait sur mes vieux jours ; à son défaut j’ai recours à votre Excellence qui commandez ici.

Le chevalier Craig, après avoir fait jaser assez longtemps ce vieil original, dont la franchise toute militaire le divertissait, lui dit avec bonté :

— Rendez-vous demain, vieillard, à l’hospice ; l’ordre d’admission sera envoyé aujourd’hui même. Il est bien probable que le gouverneur fit une aumône abondante au vieux grognard, car il était très généreux.


LES FÊTES CHAMPÊTRES DU GOUVERNEUR CRAIG.


Un gentleman ayant nom George Brown (je dois supposer qu’étant anglais pur sang et cokney de Londres, il devait se nommer George) menait autrefois joyeuse vie à Québec : on buvait chez lui plus de vin de champagne à un seul de ses dîners, (et je puis en parler savamment,) qu’on en buvait au château Saint-Louis pendant un mois ; ce gentleman, dis-je, assuré d’être soutenu par ceux qu’il fêtait, eut l’idée de solliciter les suffrages de la bonne ville de Québec pour la représenter dans notre parlement provincial. Aucun de ses amis ne lui firent défaut le jour de la lutte, malgré les brocards du peuple qui criait : champagne ! champagne ! à chaque voix que l’on enregistrait pour le candidat bon vivant. Ce n’était après tout qu’un acte de gratitude de la part de ses amis envers un homme si généreux. Je ne sais trop où ce beau préambule à propos des fêtes champêtres du chevalier Craig va me conduire, à moins que ce ne soit pour déclarer ici, en toute sincérité, que si j’ai dit du bien de ce gouverneur, que si j’ai émis une opinion contraire à celle que mes compatriotes canadiens-français ont conservée de lui, ce n’est pas en souvenir des jouissances que m’ont procurées pendant ma jeunesse les charmantes fêtes champêtres du gouverneur, à Powell-place (maintenant Spencer-Wood) résidence d’été de sir James, sur la route du Cap-Rouge.

Dès huit heures et demie du matin, par une belle journée du mois de juillet, je dis une belle journée, car pendant trois années consécutives le soleil le plus brillant éclaira ces belles fêtes, l’élite de la société laissait Québec pour se rendre à l’invitation de sir James. Arrivés à Powell-place, les convives descendent de voiture sur la voie royale, et s’enfoncent dans la forêt en suivant un sentier qui, après maints détours, vous conduit à un charmant cottage ayant vue sur le magnifique Saint-Laurent, qui semble surgir, tout à coup, des bosquets qui le couronnent. Des tables de quatre, de six et de huit couverts chacune sont dressées en face du cottage sur une immense plate-forme de madriers polis qui servira ensuite de salle de danse en plein air. Au fur et à mesure que les convives arrivent, ils forment une petite société pour déjeuner en famille. Je dis en famille, car, à part un aide-de-camp qui fait les honneurs aux principaux personnages, et à part les servants, rien ne vient troubler les petits groupes d’amis intimes qui prennent ensemble ce premier repas, composé de viandes froides, beurre, raves, thé et café. Ceux qui l’ont terminé cèdent la place à d’autres et se promènent dans les jardins et les bosquets environnants. À dix heures, toutes les tables sont enlevées et les convives sont dans l’attente de ce qui va suivre. En effet le cottage, comme le château dans l’opéra de Zémire et Azor, semble attendre que la baguette d’une fée lui donne vie. Après quelques minutes d’attente, la porte principale s’ouvre et livre passage au petit roi Craig, suivi de son brillant état-major ; au même instant un orchestre invisible, perché au sommet de hauts peupliers, joue le God save the King ; les têtes se découvrent et chacun écoute en silence l’air national de la Grande-Bretagne.

Les convives les plus distingués s’empressent d’aller présenter leurs hommages au gouverneur ; ceux et celles d’entre eux qui ne doivent point prendre part à la danse s’asseyent sur la galerie où trône son excellence. Un aide-de-camp crie gentlemen take your partners  ! (messieurs, prenez vos danseuses), » et le bal commence.

Soixante-ans se sont écoulés depuis ce jour où, danseur infatigable, je descendais comme un tourbillon une contredanse de trente couples. Mes pas qui se traînent aujourd’hui pesamment laissaient alors à peine la trace de leur passage. Toute la jeunesse qui animait cette fête des anciens temps dort aujourd’hui dans le silence du sépulcre : celle même, la belle d’entre les belles, celle qui a partagé mes joies et mes douleurs, celle qui, ce jour même, accepta la première fois pour la conduire à la danse une main qui, deux ans plus tard, devait la conduire à l’autel de l’hyménée, celle-là aussi a suivi depuis longtemps le torrent inexorable de la mort qui entraîne tout sur son passage.[6]

Ces souvenirs rappellent à ma mémoire ce beau passage d’Ossian :

« But why art thou sad, son of Fingal ? why grows the cloud of thy soul ? the sons of future years shall pass away : another race shall arise. The people are like the waves of the ocean ; like the leaves of woody morven : they pass away in the rustling blast, and other leaves lift their green heads on high. »

En effet, pourquoi ces nuages sombres attristent-ils mon âme ? les enfants de la génération future passeront bien vite, et une nouvelle surgira. Les hommes sont comme les vagues de l’océan, comme les feuilles innombrables des bosquets de mon domaine ; les tempêtes des vents d’automne dépouillent mes bocages, mais d’autres feuilles aussi vertes couronneront leurs sommets. Pourquoi m’attrister ? quatre-vingt-six enfants, petits-enfants, et arrière-petits-enfants porteront le deuil du vieux chêne que le souffle de Dieu aura renversé. Et si je trouve grâce au tribunal de mon souverain juge, s’il m’est donné de rejoindre l’ange de vertu qui embelli le peu de jours heureux que j’ai passés dans cette vallée de tant de douleurs, nous prierons ensemble pour la nombreuse postérité que nous avons laissée sur la terre.

Je retourne à la fête où m’attend le lecteur. Il est deux heures et demie, nous sommes au milieu d’une contredanse des plus gaies, speed the plow, peut-être ; l’orchestre cesse tout à coup de jouer ; les uns restent les bras étendus, les autres une jambe en l’air, tout en cherchant à deviner ce qui cause ce contretemps. L’arrivée des deux évêques, Monseigneur Plessis et le Lord Bishop Mountain, nous donne le mot de l’énigme ; en effet un aide-de-camp avait d’un signe imposé silence à l’orchestre en voyant s’avancer les deux grands dignitaires de leurs églises respectives. La danse avait cessé pour ne recommencer qu’après le départ des deux évêques. Sir James par égard pour leur caractère avait établi cette étiquette.

À trois heures le son d’un cor se fait entendre dans le lointain, et tout le monde s’enfonce à la suite du gouverneur dans un sentier pratiqué dans la forêt, alors vierge, de Powell-place. Quelques personnes, vu la longueur de la promenade, commençaient à croire que sir James faisait faire un tour d’appétit, avant le dîner, aux convives qui n’avaient pas pris part à la danse, quand au détour d’un sentier, une immense table couverte d’un dôme de feuilles de différentes espèces apparaît tout à coup comme une oasis bienfaisante. En effet M. Petit, chef de cuisine de son excellence, s’était surpassé pour l’occasion, et, comme Vatel, il se serait percé le cœur s’il n’eût recueilli les plus grands éloges sur l’ordonnance du festin dont son généreux patron l’avait chargé.

Rien de plus beau, de plus splendide que l’ordonnance de ce repas aux yeux, non seulement des enfants du sol, peu accoutumés alors à ce luxe, mais aussi aux yeux des convives européens ; toutefois il y avait un petit inconvénient pour les dits convives : celui de ne pas connaître un seul des plats qu’on avait servis, tant était monsieur Petit un artiste français distingué.

La danse recommença environ une demi heure après dîner qu’eut lieu le départ des évêques, et continua avec une ardeur toujours croissante, lorsque les cruelles mamans, commençant à s’inquiéter de certaines promenades sentimentales que faisaient leurs demoiselles, dans les entre-actes de la danse, après la disparition de Phœbus, rappelèrent leurs jeunes nymphes, non en les menaçant et armées de javelots comme la déesse Calypso, mais d’un ton assez maussade au dire des jeunes cavaliers. À neuf heures, tout le monde était rentré dans l’enceinte des murs de Québec.

Un mot sur Monsieur Petit, un des Français les plus gais et les plus aimables que j’aie connus. Son généreux patron lui fit présent, avant son départ pour l’Europe, des fonds nécessaires pour ouvrir un hôtel sur un pied respectable à Québec, mais Monsieur Petit eut le sort de tous ceux qui tentèrent alors de semblables entreprises ; et il lui fallut au bout de deux à trois ans chercher fortune dans le Haut-Canada. Peu de voyageurs visitaient Québec à cette époque, même pendant l’été ; personne ne se souciait, à moins d’affaires indispensables, de parcourir des centaines de milles dans de mauvaises calèches à une vitesse qui ne devait pas excéder deux lieues à l’heure, suivant les règlements voulus par les statuts en faveur des maîtres de poste. Ces fonctionnaires privilégiés ne gardaient que le nombre de chevaux absolument nécessaires pour la culture de leurs terres. Un voyageur arrive chez le maître de poste et demande une voiture.

— Vous allez en avoir une dans un instant, dit la maîtresse de la maison. Mon mari laboure avec les chevaux à un pas d’ici et mon petit gas va courir en chercher un. Donnez-vous la peine de vous assir, monsieur, et fumez un peu en attendant.

Fumer était synonyme de se reposer, ou de prolonger une visite. Le voyageur attend une demi heure, regarde souvent par la fenêtre, commence à s’impatienter et dit : Votre petit gars va-t-il finir par amener le cheval, ou bien est-ce au bout du monde qu’il est allé le chercher ?

— Eh ! non ! non ! mon beau monsieur, fait Josephte[7] ; ce n’est qu’à un pas d’ici, à une petite demi lieue au bout de notre terre.

Une autre fois les chevaux ne labourent pas, mais ils paissent dans la prairie, ou dans les bois à une grande distance, et se doutant de la politesse qui les attend une fois le mors dans la bouche, ils ne finissent par se laisser prendre qu’après une lutte des plus acharnées qui dure quelquefois des heures entières. Le voyageur espère que le cocher va réparer le temps perdu ; vain espoir. Il essaie de tout ; il loue le cheval, il le déprime ; Jean-Baptiste n’en met pas plus grand pot au feu ; la réponse est toujours la même :

— Ah, monsieur, c’est une fine guevalle (cavalle) que ma bête, allez ; une guevalle qu’il faut toujours retenir à deux mains sur les cordeaux, la maîtresse trotteuse de la paroisse, mais quand elle mène les voyageurs elle ne va jamais plus vite qu’au taux de la loi.

Le lecteur doit voir par là que personne ne voyageait par plaisir, il y a quelque soixante ans. On prenait alors le temps pour tout ; personne ne se pressait ; pas plus le courrier chargé des malles du gouvernement que les autres ; en voici un exemple :

Je rencontrai vers quatre heures de relevée, dans la rue de la Fabrique, le trente-et-unième jour de décembre, le sieur Séguin partant pour Montréal avec lettres et dépêches. Le lendemain premier jour de janvier je me trouve face à face avec le même homme à la sortie de la grand-messe de la cathédrale. Je fis un écart croyant que c’était son ombre, mais je fus bien vite rassuré.

— Je vous la souhaite bonne et heureuse, me dit Monsieur Séguin, et autant d’années qu’il y a de pommes d’apis en Normandie.

— Et moi pareillement, dis-je, accompagnées de prospérités dans ce monde et du paradis dans l’autre.

Maintenant, Monsieur Séguin, continuai-je, comment se fait-il que, vous ayant vu hier au soir en route avec la malle de Montréal, vous soyez ici ce matin.

— Par une raison bien simple, répliqua-t-il : arrivé à l’Ancienne Lorette, le mauvais temps s’est élevé et je me suis dit : je suis bien fou de voyager par un temps semblable, les nouvelles que je porte dans ma malle n’y moisiront pas pendant une journée ou deux de retard ! Et je suis revenu coucher chez moi, afin de souhaiter la bonne année à mes amis ce matin, et je vous la souhaite encore bonne et heureuse.

Monsieur Séguin, un digne homme s’il en fût, ayant conservé sa place, quasi jusqu’à sa mort, je dois en conclure qu’il ne fut pas blâmé par ses supérieurs, ou peut-être qu’on ne s’aperçut même pas que la malle avait retardé de deux jours. Toujours est-il qu’on prenait alors son temps en toutes choses, et que le go ahead des Américains était lettre morte pour nous.

Comme il n’y avait à cette époque aucun bureau de poste établi entre Québec et Trois-Rivières, voici comme la chose se passait pour ceux qui demeuraient à la campagne.

— N’oubliez pas, disait le soir à une servante mon oncle de Lanaudière, seigneur de Sainte-Anne de la Pérade, de préparer le souper de Séguin.

Le sieur Séguin arrivait la nuit au manoir dont les portes restaient toujours ouvertes, soupait tranquillement, tirait de sa poche les lettres adressées à la famille, ainsi que les journaux, quand il y en avait ; les déposait sur une table et continuait sa route.

Après une digression dont je suis assez coutumier, revenons à la rareté des voyageurs à cette époque. N’avaient-ils pas, du moins, la ressource des voitures d’eau pendant l’été ? Oh, oui ! si le vent contraire n’était pas trop violent, ils pouvaient même descendre de Montréal à Québec dans l’espace de trois à quatre jours, mais la grande difficulté était de remonter le fleuve et non pas de le descendre. Le voyage dans une goëlette, si le vent était contraire, était de quinze jours en moyenne, et très souvent d’un mois et plus.

Ceci me rappelle un premier voyage de Québec à Montréal dans un vapeur. C’était en octobre de l’année 1818, à onze heures du soir, que le Calédonia dans lequel j’avais pris passage, laissa le quai de la reine. Entre sept et huit heures le lendemain au matin, mon compagnon de voyage feu monsieur Robert Christie, ouvrit la fenêtre de sa chambre et me cria : We are going famously : (Nous allons rapidement). En effet, nous étions vis-à-vis la Pointe-aux-Trembles, poussés par un vent de foudre, et nous avions parcouru sept lieues en neuf heures de temps. Nous arrivâmes au pied du courant à Montréal à l’expiration du troisième jour, tout en nous félicitant de la rapidité des voyages par la vapeur, et nous ne fûmes aucunement humiliés, en l’absence du vent favorable qui n’avait duré que vingt-quatre heures, d’avoir recours à la force réunie de quarante-deux bœufs pour nous aider à remonter le pied du dit courant. J’avoue que c’est à bon droit que le Calédonia doit avoir été placé au premier rang des cuves ayant nom bateau à vapeur construit à cette époque. Ce qui n’empêche pas que ce ne fut qu’à regret que nous lui fîmes nos adieux après les jouissances qu’il nous avait procurées.

Puisque j’ai abordé ce sujet je vais parler de mon excursion sur le lac Champlain, ne serait-ce que pour donner une idée des mœurs américaines de l’époque. Partis à neuf heures du matin de Montréal, nous eûmes le bonheur d’aller le même soir coucher à Saint-Jean. J’ai oublié à quelle heure le lendemain nous mîmes le pied sur le Phœnix, vapeur commandé par le capitaine Sherman, dont nous appréciâmes la politesse et les attentions. Il y avait plusieurs Américains à bord qui nous parurent aussi bien élevés que les gentlemen de la première société au Canada. Les domestiques disposèrent quelques tables à cartes dans le salon, après le thé, le soir, et deux messieurs américains s’adressant, avec beaucoup de courtoisie à mon compagnon de voyage et à moi, nous proposèrent de joindre une des tables de whist. Mon ami Christie s’excusa en disant qu’il ne jouait jamais aux cartes. Quant à moi, je leur dis que je n’aimais le whist que pour le jeu lui-même, et que s’ils étaient dans l’habitude de jouer gros jeu, je craindrais de les gêner.

— Vous fixerez vous-même l’enjeu, me dirent-ils, et nous nous y conformerons.

— Mais, messieurs, leur dis-je, je ne joue ordinairement qu’un york shilling (quinze sols) le point.

Nous passâmes une agréable soirée avec nos nouveaux amis. Un d’eux, jeune homme employé dans je ne sais quel bureau, sachant que nous allions à New-York, se mit à notre disposition, dans le cas où il nous prendrait la fantaisie de visiter le City Hall ; en effet, le lendemain de notre arrivée dans la ville impériale, il nous fit visiter en détail, non seulement ce bel édifice mais nous introduisit même au gouverneur de l’État de New-York. Rien de plus simple que cette introduction à laquelle nous étions loin de nous attendre en visitant le City Hall. Trois hommes debout, tournant le dos à un feu de grille dans une chambre modestement meublée, conversaient ensemble, lorsque notre cicerone dit à l’un d’eux : « Gouverneur Clinton, permettez-moi de vous présenter deux messieurs du Canada. » Le haut fonctionnaire s’avança vers nous de l’air le plus gracieux, nous présenta la main, et nous parla du Canada jusqu’à ce que la discrétion nous fit retirer. J’admirai la délicatesse du jeune Américain, lequel, sans s’imposer autrement à nous, nous faisait les honneurs de sa ville avec une parfaite aisance.

Cet accueil si simple, si cordial du gouverneur, nous frappa par le contraste de celui qu’un gentleman américain reçut de sir James Craig, à Québec, peu d’années auparavant.

Jonathan[8] est introduit à notre gouverneur, et voyant qu’il ne se pressait guère de lui donner une poignée de main comme c’était l’usage même à Washington, il fait lui-même les premières avances et lui offre la sienne. Sir James se croise les deux mains sur son gros ventre. L’Américain avance une des siennes pour s’en saisir sur l’abdomen vice-royal même ; alors sir James laisse pendre les siennes chaque côté de ses culottes aristocratiques. Jonathan veut s’en emparer de nouveau ; mais sir James les passe derrière les basques de son habit galonné. Et comme uncle sam[9] n’osa pas les débusquer de ce retranchement inexpugnable, il se contenta de penser en lui-même, je suppose, que le gouverneur britannique n’avait pas volé le sobriquet de petit roi Craig.

Mais je retourne sur mes pas. Étant informé qu’il fallait une lettre de passe pour visiter l’arsenal de marine et de vaisseaux de guerre à New-York, nous demandâmes à un jeune lieutenant nommé Taylor, dont nous avions fait la connaissance à table d’hôte dans un hôtel de cette ville, quelle démarche il fallait faire pour satisfaire notre curiosité, et il nous fit réponse qu’il nous y conduirait lui-même le lendemain. Il nous parut néanmoins que la recette d’admission était très-simple, car il se contenta de nous dire à l’oreille en mettant le pied sur la première frégate que nous visitâmes : recollect that we are all yankees here. (Rappellez-vous que nous sommes tous Yankees ici).

Nous vîmes sur le lac Champlain un spectacle assez humiliant pour des sujets britanniques ; celui du pavillon américain flottant avec orgueil au-dessus du pavillon anglais aux mâts de notre flotte conquise pendant la guerre de 1812. Aussi mon ami Christie craignant quelques brocards à notre adresse crut devoir aborder franchement la question en parlant le premier de notre désastre, mais, à notre grande surprise, nos amis yankees se contentèrent de dire : fortune de guerre ! et changèrent de conversation.

Après avoir passablement battu la campagne, je reviens à monsieur Petit et à sa malheureuse entreprise malgré ses éminentes qualités d’artiste ; et tout cela faute d’étrangers pour encourager son hôtel. Des jeunes gens arrivent à l’hôtel à la sortie du théâtre pendant les grandes chaleurs du mois de juillet, et demandent à souper.

Impossible de vous satisfaire, messieurs, répond monsieur Petit : il n’y a pas un seul étranger, ni pensionnaire dans la maison, et pas un seul morceau de viande fraîche. Je suis au désespoir.

— Mais nous mourons de faim, monsieur Petit ; un artiste aussi distingué que vous l’êtes ne peut jamais être à bout de ressources !

— Eh bien ! je vais essayer une ratatouille, fait monsieur Petit.

Et monsieur Petit nous servait une ratatouille à satisfaire le gourmand le plus difficile. Je ne sais si en l’absence de viande il se servait d’une vieille bottine de madame Petit, très-jolie anglaise, ma foi ! quoique un peu sucée, et ex-femme de charge chez le chevalier Craig ; — mais la sauce, alors, valait mieux que le poisson.

  1. Knack. L’académie devrait enrichir la langue française de ce mot qu’il est impossible de traduire : les mots, habileté, dextérité, talent, adresse, etc., ne rendent que bien imparfaitement le sens de ce mot essentiellement britanique.
  2. Je crois que les auteurs français commencent à enrichir notre langue du mot humour qu’on ne rend que très-difficilement même par périphrase.
  3. Le major fut ensuite promu au garde de Lieutenant-Colonel.
  4. Monsieur Perrault, avocat alors, fut ensuite nommé juge de la cour du banc du roi.
  5. Le Colonel François Vassal de Monviel, créé Adjudant-Général de la milice en 1812.
  6. L’auterur épousa en 1811, Susanne, fille de Thomas Allison, capitaine au 5e régiment de l’infanterie britannique, et de Thérèse Baby. De là une double parenté avec la famille Baby. Trois officiers du même régiment, les capitaines Allison, Ross Lewin et Bellingham, depuis Lord Bellingham, épousèrent au Détroit, alors appartenant au Haut-Canada, les trois sœurs, filles de l’honorable Jacques Dupéron Baby, lequel est aussi le bisaïeul de mon ami M. l’abbé Casgrain.
  7. Josephte : sobriquet que les gens des villes donnent aux femmes des cultivateurs.
  8. Sobriquet que l’on donne aux Américains des États-Unis.
  9. Uncle sam : un autre sobriquet que l’on donnait aux américains.