Mémoires (De Gaspé)/7

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G. E. Desbarats (p. 175-199).


CHAPITRE SEPTIÈME


Fouler près du beau lac où le cygne se joue
Les prés alora si beaux de sa chère Mantoue.
L’abbé Delille.



Le lac Trois-Saumons.

Nous sommes aujourd’hui au vingt d’août de l’année mil-huit-cent-soixante-et-cinq, et il me semble cependant avoir devant les yeux les neuf amis de mon enfance, réunis au manoir de Saint-Jean Port-Joli, le vingt d’août de l’année mil-huit-cent-un, à six heures du matin, pour de là, après un ample déjeuner, se mettre en route pour le lac Trois-Saumons. Est-ce l’ombre des trépassés qui m’a visité pendant une nuit orageuse, que leurs traits, leur image m’est aussi présente aujourd’hui qu’elle l’était alors ? Répondez à ma voix qui vous appelle, ô mes amis ! comme vous le fîtes il y a aujourd’hui soixante-et-quatre ans, lorsque je conduisais votre bande joyeuse au lac de mes ancêtres. Je suis encore aujourd’hui au même lieu : répondez à l’appel, mes amis : Louis LeBourdais, Pierre LeBourdais, Joseph Painchaud, Paschal Taché, Joseph Fortin, James Maguire, Jean Marie Bélanger, François Verrault, et vous, mon unique frère, Thomas Aubert de Gaspé ! Un seul, le docteur Painchaud, répond d’un air narquois : « présent ! » Le silence de la tombe est la réponse des autres.

Nous refusâmes unanimement l’offre de mon père de nous faire conduire en voiture chez le père Laurent Caron, qui devait nous servir de guide pour nous conduire au lac. Il fallait alors un guide : on se serait bien vite égaré dans les nombreux sentiers des sucreries du troisième et du quatrième rang de la seigneurie, dont il n’y avait alors de défriché que les terres de la première et d’une partie de la seconde concession. Nous refusâmes donc l’offre de mon père : nous étions trop pressés de nous mettre en route, un sac sur l’épaule, un fusil ou une perche de ligne à la main, et une hache passée dans la ceinture. Il y avait pourtant une bonne lieue du manoir au domicile du père Laurent. Mais nous répliquâmes qu’en prenant par les champs et la forêt, la route serait raccourcie de moitié ; et nous partîmes en chantant, pour faire honneur, je suppose, aux bonnets de laine dont nous étions coiffés pour l’occasion :


« Va, va, va, petit bonnet,
« Grand bonnet,
« Va, va, va, petit bonnet tout rond.


« Mon père a fait bâtir maison,
« Va, va, va, petit bonnet tout rond.

« Ce sont trois cordonniers[1] qui la font,
« Va, va, va, petit bonnet tout rond. »

Le père Laurent Caron, vieillard à sa rente, suivant l’expression canadienne, vint nous recevoir au bas de son perron, son bonnet rouge sous le bras, en nous priant, avec cette politesse exquise et gracieuse des anciens Canadiens-français, de vouloir bien nous donner la peine d’entrer.

Je ne puis m’empêcher de faire la remarque, quitte à me faire échiner par nos élégants d’aujourd’hui, que la plupart d’eux ont l’air de valets endimanchés comparés à ces vieillards des anciens jours.

Après un bout de conversation, suivant l’usage reçu dans les campagnes, j’en vins au but de notre visite, et je lui demandai s’il voulait bien nous conduire au lac.

— Certainement, mon jeune seigneur, dit le père Caron, en faisant des clins d’œil comiques à mes amis, mais en payant.

— Je l’entends bien comme cela, répliquai-je.

— C’est entendu, fit le père Laurent, en continuant la même pantomime, mais nous allons toujours commencer par déjeuner.

Comme nous avions fait près d’une lieue, chargés comme des mulets, à travers bois et champs, nous ne refusâmes que pour la forme, et nous finîmes par faire honneur à l’omelette à la bajoue, aux assiettées de crème douce, saupoudrées de sucre d’érable, dont la table était abondamment pourvue.

Ainsi munis d’un second déjeuner, nous entrâmes bien vite dans la forêt, en marchant à la file derrière notre guide, comme font les sauvages. Me piquant de la meilleure jambe des enfants de mon âge, je pris place près de lui ; mais j’avais compté sans mon hôte : le père Laurent était un grand vieillard, encore vert et jambé comme les orignaux auxquels il avait fait la chasse pendant trente ans. J’avais beau allonger le pas, il me fallait finir par trotter pour le suivre. Arrivés sur le haut de la première des trois montagnes que nous devons franchir, et voyant qu’il se disposait à passer outre, je lui fis observer que plusieurs de nos compagnons étaient en retard.

— Êtes-vous fatigué ? me dit notre guide ; alors reposez-vous. Je me proposais pourtant avant d’attaquer la montagne, de ne faire aucune halte, que sur le second button où nous arrivons bien vite, et qui est beaucoup plus haut que celui-ci.

Je crus que button était le nom de la montagne sur laquelle nous étions ; mais c’était un nom de mépris que lui donnait le père Laurent vu son peu d’élévation, à son estime. J’étais humilié. Je me débarrassai de ma charge, je m’étendis de tout mon long sur l’herbe fraîche, et tous mes amis de m’imiter. Quand le père Laurent, son sac sur le dos, son fusil à long canon d’une main, un chaudron de fer du poids d’au moins quinze livres de l’autre, il entonna d’une voix de tonnerre, et en se tenant aussi droit que l’érable contre lequel il était appuyé, pour se délasser sans doute, un couplet de la chanson suivante :

« Ah ! qui me passera le bois,
Moi qui suis si petite ?
Ça sera monsieur que voilà :
N’a-t-il pas bonne mine là :
Sommes-nous au milieu du bois ?
Sommes-nous à la rive ? »

Après un temps de repos, qui nous parut bien court, nous repartîmes en trottant derrière le père Caron, dont les jambes nous paraissaient allonger à mesure qu’il avançait ; mais comme le chemin était comparativement uni pendant une quinzaine d’arpents, tout allait tant bien que mal, jusqu’à l’ascension du second button, que notre guide fit sans altérer le pas. Pendant que, à moitié éreintés, nous gravissions cette montagne, nous eûmes la consolation d’entendre, au sommet, le père Laurent, qui nous régalait de la chanson suivante :

Quand j’étais petite Jeannette, digue dindaine,
J’oubliai mon déjeuner, digue dindé,
J’oubliai mon déjeuner.(bis.)

Un garçon de chez mon père, digue dindaine,
Est venu me l’apporter, digue dindé,
Est venu me l’apporter.(bis.)

En vous remerciant gros Pierre, digue dindaine,
Je n’ai que faire de déjeuner, digue dindé,
Les moutons sont égarés.(bis.)

Il a pris sa turlurure, digue dindaine,
Il s’est mis à turluter, digue dindé,
Il s’est mis à turluter.(bis.)

Au son de sa turlurure, digue dindaine,
Mes moutons s’sont rassemblés, digue dindé,
Mes moutons s’sont rassemblés.(bis.)

Nous ne goûtâmes guère les couplets du père Laurent : d’abord parce que les polissons de la ville de Québec nous appelaient moutons bleus et nous criaient bè ! bè ! dans les rues ; et ensuite parce que la turlurure du père Caron semblait nous reprocher notre faiblesse. Le lecteur se tromperait fort de nous croire des enfants faibles et efféminés, nous étions au contraire tous très forts et très vigoureux, mais le plus âgé d’entre nous avait à peine seize ans. N’importe, après une assez longue marche, nous attaquâmes la troisième montagne, deux fois aussi haute que les deux précédentes que le père Laurent avait gratifiées du nom méprisant de button. Painchaud, Maguire et moi, les plus fortes jambes des enfants de notre âge, n’étions, malgré nos efforts désespérés, et en suant sang et eau, qu’à la moitié de notre ascension, lorsque nous entendîmes, pour nous encourager sans doute, la voix sonore du père Laurent, qui nous régalait des couplets suivants :

Mon père avait trois cents moutons,
J’en étais la bergère,(bis)
Don daine don don,
J’en étais la bergère, don.

Un jour en les menant aux champs,
Le loup m’en a pris quinze,(bis)
Don daine don don,
Le loup m’en a pris quinze, don.

Un cavalier passant par-là,
Tous quinze me les ramène,(bis)
Don daine don don,
Tous quinze me les ramène, don.

En vous remerciant, monsieur,
De vous et de vos peines,(bis)
Don daine don don,
De vous et de vos peines, don.


Quand nous tondrons nos moutons,
Vous en aurez la laine,(bis)
Don daine don don,
Vous en aurez la laine, don.

Mon père est un richard marchand,
Ma mère est demoiselle,[2](bis)
Don daine don don,
Ma mère est demoiselle, don.

Après avoir voué le père Laurent Caron à toutes les divinités infernales, nous arrivâmes enfin sur le sommet de la montagne qui domine la coupe ou chemin qu’il faut descendre pour arriver au lac Trois-Saumons. Et là nous jouîmes d’un des spectacles les plus grandioses du Canada. Nous étions éloignés de deux lieues des rives du Saint-Laurent, de neuf lieues des Laurentides, mais les montagnes du nord semblaient s’être rapprochées par enchantement de celles du sud où nous étions ; et le prince des fleuves, large de sept lieues, semblait, pour ainsi dire, rouler ses flots d’argent à nos pieds. Il me faudrait écrire des pages pour peindre les merveilles qu’offrait l’horizon, du point élevé où nous étions assis.

— Combien, dit Painchaud à notre guide, reste-t-il encore de montagnes à escalader avant d’arriver à votre bienheureux lac, nouvelle terre promise à laquelle nous semblons ne devoir jamais atteindre ?

— De quelles montagnes parlez-vous, dit le père Caron ? Vous n’appelez pas, sans doute, les deux buttons que nous venons de franchir des montagnes !

— Ah ! ah ! ce sont des buttons, fit Painchaud ; vous faites bien de le dire, car, parole d’honneur, nous ne nous en serions jamais douté ! N’importe ; sommes-nous bien éloignés du lac ?

— Nous arrivons, fit le père Laurent : c’est à trois pas d’ici.

Nous regardâmes les terribles jambes de notre guide, avec autant d’effroi que s’il eût chaussé tout à coup les bottes de sept lieues le pas, du petit poucet : les malencontreux buttons nous revenaient sur le cœur.

Le père Laurent, nous voyant peu disposés à nous remettre en marche sans prendre un peu de repos, prit le parti, tout en conservant son énorme sac, de jeter à terre chaudron, hache et fusil, et dit :

— Eh bien ! fumons une pipe en attendant que vous soyez délassés.

La dite pipe fumée, nous descendîmes le versant opposé de la montagne par un chemin assez difficile. Mais après une marche d’une quinzaine d’arpents parmi les pierres et cailloux où nous trébuchions à chaque instant, la scène changea : un tapis de mousse humide d’un vert d’émeraude, en rafraîchissant les pieds, nous délassa tout à coup de nos fatigues. Les épinettes, les sapins, les trembles devenaient plus clairsemés au fur et à mesure que nous avancions vers le sud ; la forêt, de sombre qu’elle était s’éclaircissait à vue d’œil, et annonçait une clairière. Nous hâtons le pas, et un cri d’admiration s’échappe simultanément de nos poitrines à la vue du beau lac qui dormait à nos pieds. Les cris de deux huards, nous superbes cygnes du Canada, semblèrent nous souhaiter aussitôt la bienvenue dans leur domaine aquatique. J’ai vraiment honte d’avouer que nous répondîmes à ces avances hospitalières par deux coups de fusil qui semblèrent les couvrir d’une grêle de plomb, mais qui ne frappa que l’eau sur laquelle ils se balançaient ; nous les croyions pour le moins blessés à mort, quand, à notre grande surprise, ils reparurent à cinq ou six arpents plus loin, en nous narguant de leurs cris aigres et aigus. Il était en effet assez rare à cette époque de tuer un oiseau plongeur avec les fusils à pierre : en voyant la lumière de l’amorce, ils disparaissaient sous l’eau avant d’être atteints par le plomb.

Le lac Trois-Saumons, situé sur le versant sud d’une haute montagne, parcourt dans sa longueur la presque totalité de la seigneurie de Saint-Jean Port-Joli : c’est en effet au milieu de ce lac, à deux lieues et demie du fleuve Saint-Laurent, que passe la ligne seigneuriale. La largeur de cette nappe d’eau varie d’un mille à un demi-mille suivant les accidents de terrain.

Ce qui frappe le plus, d’abord, est le profond et religieux silence qui règne dans cette solitude. Le touriste éprouve le sentiment de bien-être, de sécurité, d’un homme en but aux persécutions de ses concitoyens, qui se trouverait transporté subitement dans un lieu de repos, hors de toute atteinte de la malice des hommes. Je ne fis pas alors cette réflexion ; j’étais à l’âge heureux où tout est rose dans la vie, mais je l’ai faite souvent depuis dans mes fréquentes visites à ces lieux solitaires. Jeunes gens libérés des entraves du collège, de la contrainte que nous inspirait nos parents, nous éprouvâmes le vif sentiment d’indépendance du captif rendu à la liberté après une longue réclusion. Libre à nous de nous livrer à toutes les folies de la jeunesse dans ces lieux solitaires. Nous étions en effet transportés dans un monde nouveau, car à part nous et les deux oiseaux aquatiques qui traçaient de longs sillons sur la surface de l’onde aussi unie que la plus belle glace de Venise, pas un être vivant semblait animer cette solitude. Le temps était si calme que les sapins, les épinettes se miraient, penchés sur cet immense miroir, sans le moindre frémissement. Quelques flots parsemés çà et là sur cette glace diaphane semblaient des bouquets de verdure qu’une dame aurait laissé tomber sur son miroir en faisant sa toilette.

Nous étions tous réunis au soleil couchant sur un îlot à quelques pieds du rivage, et parlant presque tous à la fois, lorsque nous entendîmes des voix nombreuses comme celles d’un groupe d’hommes conversant de l’autre côté du lac. Nous cessâmes de parler pour mieux écouter, mais tout rentra dans le silence. Nous reprîmes notre conversation ; nos amis de la rive opposée reprirent la leur. C’était un murmure de voix confuses comme celui que l’on entend dans une nombreuse assemblée d’hommes. Nos regards se dirigèrent vers notre guide de qui nous attendions l’explication de ce phénomène.

— Ce sont les plaintes et lamentations du pauvre Joseph-Marie Aubé, mort il y a plus de cent ans, près de l’anse à Toussaint,[3] ou peut-être celles de Joseph Toussaint lui-même, qui s’est noyé près de la cabane du malheureux Aubé. Mais, ajouta le père Laurent Caron, il est temps de souper : c’est une longue histoire que je vous raconterai en fumant ma pipe près du feu.

Un de nous se mit à crier de toute la force de ses poumons : « allons souper ! » Et le plus bel écho répéta distinctement « allons souper ! » Et les mots « allons souper » furent répétés plusieurs fois, mais toujours en diminuant, jusqu’à ce que le mot « souper » seul se fit entendre, comme si quelqu’un nous eût parlé bas à l’oreille : c’était le murmure du septième écho.

Ce fut ensuite un feu roulant de cris, de phrases, de questions les plus saugrenues que jamais écho ait été condamné à reproduire. Le père Caron avait beau nous dire que le souper était prêt, que la bisque[4] allait brûler, nous n’en tînmes aucun compte pendant au moins une bonne demi-heure. Trouvant, sans doute, que nous ne faisions pas assez de vacarme, je m’avisai de tirer un coup de fusil : l’effet de la détonation fut si effrayant, que nous ployâmes les épaules comme si les montagnes, ébranlées par une forte secousse de tremblement de terre, menaçaient de nous écraser.[5]

Mais comme tout plaisir prend fin, même celui de s’époumonner en vociférant comme des maniaques, nous nous rendîmes à l’invitation pressante du père Caron, bien résolu de recommencer après avoir écouté la légende que les paroles précédentes de Nestor de la forêt semblaient nous annoncer sur les bruits étranges que nous avions entendus.


LÉGENDE DU PÈRE LAURENT CARON.


C’était du temps du Français, dit le père Caron : l’Anglais n’avait pas encore mis le pied dans le pays, ou s’il l’avait fait par-ci par-là, il s’en était retourné plus vite qu’il n’y était venu, s’il n’y avait pas laissé sa peau ; car, voyez-vous, il y avait parmi nous autres Canadiens des lurons qui n’avaient pas froid aux yeux.

— Ah ! dit Maguire, qui ne faisait alors que jaboter la langue française : les Irlandais l’avoir aussi des boys, ce qui ne pas empêcher le Anglais de prendre ma pays !

— Faites excuse, monsieur, répliqua le père Caron : l’Anglais n’a jamais pris le Canada ; c’est la Pompadour qui l’a vendu au roi d’Angleterre. Mais, n’importe ; nos bonnes gens reviendront !

For de cet espoir, très commun alors parmi les vieux habitants, le père Caron continua en ces termes :

L’histoire que je vais vous raconter est bien vraie : c’est un vénérable prêtre, le défunt monsieur Ingan, curé de l’Islet, qui la racontait autrefois à mes oncles.

C’était dans le mois d’octobre, vers les dix heures du soir ; le curé de l’Islet, qui desservait aussi la paroisse de Saint-Jean Port-Joli, était couché, lorsque son bedeau, qui demeurait au presbytère, vint le réveiller en lui disant qu’on frappait à la porte de la cuisine.

— Alors, ouvre la porte, dit le curé : on vient, je suppose, me chercher pour un malade ; je vais m’habiller dans l’instant.

— Mais, dit le bedeau, c’est un sauvage, je l’ai reconnu à sa voix, et il n’y a pas de fiat avec ces nations-là : c’est traîtres comme le diable ! »

Le curé qui savait que son bedeau n’était pas hardi, enfourche ses culottes, s’entortille dans une couverte, court à la porte de la cuisine et demande qui est là ?

— C’est moi, mon brère (frère), répondit l’étranger : je voudrais parler à patliasse ; j’ai paroles d’un homme mort à lui porter.

— N’ouvrez pas, pour l’amour de Dieu ! cria le bedeau, qui se tenait, armé d’un tisonnier de fer, derrière le curé ; il est probable qu’il arrive de l’enfer des sauvages, où tous les morts sont logés sans en manquer un !

Le curé, sans tenir compte des frayeurs du bedeau, ouvrit aussitôt la porte qui livra passage à un jeune Huron, à la mine fière, mais bienveillante. Il s’appuya sur le bout du canon de son fusil, dont la crosse reposait à terre, regarda de tous côtés, mais ne trouvant pas ce qu’il cherchait, il dit : Je veux parler à patliasse : j’ai paroles d’un mort à lui porter.

Le bedeau se colla amont le curé, qui le rangea d’un coup d’épaule, et dit à l’Indien : je suis le patliasse.

— Mais t’es pas patliasse, toi, fit le Huron ; t’as pas robe noire, toi couverte sur le dos comme sauvage.

Le curé, voyant que le Huron refusait de reconnaître un prêtre sans robe noire, prit un moyen terme, lui tourna le dos, et mettant un doigt sur sa tonsure, dit : Regarde.

— Houa ! fit l’Indien, toi, bon patliasse ! Et il s’assied sur le plancher en tenant son fusil entre ses jambes.

— J’étais là-bas, là-bas, fit le Huron en étendant un bras vers le sud, à quatre jours de marche du fleuve Saint-Laurent ; je retournais à mon village après ma chasse, quand je tombai sur la piste et sur le placage d’un Français.[6] Bon ! que je dis, il y a un chasseur par ici, j’irai coucher à sa cabane. Après avoir marché pas mal longtemps, je vis à la piste du Français qu’il était bien fatigué.

— Comment, dit le prêtre, as-tu su que c’était la piste d’un Français et qu’il était fatigué ?

— Pas malaisé, fit l’Indien : le sauvage marche toujours les pieds en dedans comme s’il était sur des raquettes ; le blanc, lui, marche pied droit ou en dehors. J’ai vu que le Français était fatigué, parce que ses pas devenaient toujours plus courts, et que son pied enfonçait davantage dans la terre molle.

Le curé étant satisfait de cette explication, le sauvage continua son récit.

— Je marche, marche toujours plus vite pour le rattraper : mais quand j’arrivai à la cabane, il était nuit, et elle était vide : il était parti. J’allumai du feu, et je vis que mon frère le Français était malade.

— Comment l’as-tu su, dit le curé ?

— Faut pas ben fin pour le savoir, repartit l’Indien : il avait couché sur le vieux lit de sapin sans mettre des branches fraîches par-dessus, il avait laissé ses pelleteries, sans les mettre en cache sur un arbre, à l’abri de la vermine, et il n’avait pas laissé de bois dans la cabane. Vois-tu, mon père, Français laisse toujours avant de partir une attisée de bois dans la cabane pour lui ou pour les autres chasseurs qui arrivent le soir, quand il fait noir, ou mauvais temps : c’est convenu entre eux.

— Oui, dit le bedeau qui commençait à reprendre courage ; et quand les sauvages couchent dans les cabanes des Canadiens, ils brûlent tout leur bois et n’en bûchent pas d’autres pour le remplacer : ils sont trop paresseux pour cela.

— Le Grand Esprit, dit l’Indien, a créé les visages pâles et il leur a dit : cultive la terre ; notre patliasse nous a lu les belles paroles dans un livre. Il a aussi créé les peaux rouges, et il leur a dit : les forêts, les lacs, les rivières sont à toi, chasse, pêche et fais travailler tes esclaves.

— Continue ton histoire, dit le curé, peu disposé à engager une discussion théologique avec le philosophe des forêts.

— J’ai repris la piste, le lendemain, je marchais vite, car je voulais secourir mon frère le Français : je voyais à la piste qu’il diminuait toujours de forces, mais quand j’arrivai à la seconde cabane, je n’y trouvai que son fusil qu’il n’avait pas eu le courage de porter plus loin. J’aurais reparti tout de suite, mais il faisait si noir que je craignais de perdre ses traces, et j’attendis au lendemain. Je me mis à courir, mais malgré cela, je n’arrivai qu’après le soleil couché au lac Trois-Saumons : il faisait noir dans la cabane, le feu était éteint, et je ne vis d’abord personne. Va me chercher à boire, me dit le malade, j’ai bien soif : prends ce cassot à tes pieds. Il me dit, quand il eut bu : reste près de la porte de la cabane : il y a un grand ours, ici, dans le fond, qui me regarde depuis hier avec des gros yeux rouges couleur de flammes.

— Tu es bien malade, mon frère, que je lui dis : je vois ton sac de loup-marin, mais pas d’ours. Je vais allumer du feu pour te réchauffer. — Merci, me dit-il, car j’ai bien froid.

Lorsque j’eus allumé du feu, il fit clair dans la cabane, et je lui dis : tu vois bien qu’il n’y a pas d’ours. Il est toujours là, me dit-il, et prêt à s’élancer sur moi. Ôte cela de ton esprit, mon frère, que je lui dis : tu es faible et le manitou[7] t’envoie des mauvais rêves : je vais te faire du bouillon pour te donner des forces.

Je plumai une perdrix, j’écorchai un lièvre, et je lui fis du bouillon. Il en but et me dit qu’il se trouvait un peu mieux, mais que la grosse bête était toujours à la même place qui le menaçait. Je vis bien qu’il était inutile de lui en parler et je me mis à souper. Il me dit de faire un somme et qu’il me parlerait ensuite. Je commençais à m’endormir, quand je fus réveillé par un cri que poussa le malade.

— J’ai eu bien peur, me dit-il ; l’ours était si près de moi que je sentais son haleine de flamme qui me brûlait le visage. Promets-moi de rester ici tant que je serai vivant, et après ma mort d’aller trouver de ma part le curé de l’Islet, mon pasteur. Je lui en fis la promesse.

— Mon nom est Joseph-Marie Aubé, continua-t-il.

— Joseph-Marie Aubé est mort ! s’écria le curé ; que Dieu ait pitié de son âme ! Ah ! mon Dieu ! Mon Dieu ! Quelle affreuse nouvelle ! mais continue mon fils.

— Je vais te dire ses paroles, fit l’Indien : c’est lui qui parle, écoute, mon père : « J’ai toujours été un mauvais sujet depuis mon enfance, j’ai bu et mangé le bien de ma famille, mon père est mort de chagrin depuis longtemps, et au lieu de secourir ma pauvre mère qui est dans la misère, je mène la vie d’un vagabond. Il y a longtemps que je ne fréquente plus les églises ; et je me moquais sans cesse des bons chrétiens. Ma bonne mère versait des seaux de larmes sur ma mauvaise conduite, et j’avais l’âme assez noire pour rire d’elle. Elle me reprochait en pleurant de l’abandonner, elle vieille et infirme, sur le bord de la tombe, et je lui disais des injures. Mais l’amour maternel ne se rebute ni par l’ingratitude, ni par les mauvais traitements. Elle ne répondait à mes injures que par les larmes, la patience, la tendresse et la résignation.

La dernière fois que je l’ai vue, il y a six semaines, elle était agenouillée près de mon lit, lorsque je me réveillai après une nuit de débauche. Je voulus d’abord la chasser, mais à la vue de ses larmes qui mouillaient ses cheveux blancs, je n’en eus pas le courage malgré ma brutalité habituelle.

J’ai eu un mauvais rêve cette nuit, me dit-elle, et je sens que je parle à mon fils pour la dernière fois. Je ne te fatiguerai plus de mes remontrances, mais j’ai une grâce si petite à te demander que tu ne me refuseras pas, dit-elle, avec un sourire douloureux. Tu as été baptisé sous le nom de Joseph-Marie ; voici une petite médaille de la bonne Vierge ta patronne ; veux-tu la pendre à ton cou et l’invoquer si tu crois en avoir besoin. C’est si peu de chose que tu me l’accorderas. J’acceptai la médaille pour avoir la paix, bien déterminé à m’en défaire à la première occasion, mais elle resta suspendue à mon cou où je l’oubliai.

Lorsque je me sentis malade, il y a quatre jours, j’éprouvai un affaissement de l’âme, une tristesse inaccoutumée. Je repassai mes iniquités dans l’amertume de mon cœur ; je me rappelai mon père toujours si bon, si indulgent pour moi, malgré mes désordres, et sa ruine qui en avait été la conséquence. Je me rappelai ma vieille mère, ses prières, les larmes intarissables qu’elle versait sur moi : je m’agenouillai au pied d’un arbre pour prier, mais les sanglots étouffèrent ma voix. Je me sentais indigne d’adresser mes prières à Dieu que j’avais tant offensé ; et je désirais un prêtre comme médiateur entre moi et la divinité.

Arrivé ici, hier, après trois jours d’une marche pénible, je me couchai exténué de fatigue ; mais à peine étais-je sur mon lit que je vis, tout à coup, un ours énorme, assis sur ses pattes de derrière, qui me regardait avec des yeux rouges et enflammés. Je pensai que c’était Satan qui attendait mon âme pour l’emporter. Je tremblais de tout mon corps ; mais au souvenir de mes crimes, de mes blasphèmes, je craignais d’irriter Dieu davantage en l’implorant. L’animal fit un mouvement pour s’élancer sur moi, je criai : ma mère ! ma mère ! comme je faisais quand j’étais enfant et qu’un danger me menaçait. Comme si elle m’eût entendu, la médaille de la sainte Vierge se trouva entre mes doigts ; je l’élevai vers l’ours et il se recula avec effroi dans le fond de la cabane. Je vis alors que Dieu ne m’avait pas abandonné, qu’il avait écouté les prières de sa sainte mère qui est aussi la mère de tous les chrétiens ; que ma patronne, qui avait versé tant de larmes sur son divin fils, avait été touché du désespoir d’une mère chrétienne l’implorant pour le sien ; que la bonne Vierge n’avait cessé d’implorer pour moi la miséricorde divine jusqu’à ce que le Christ l’eût exaucée ; et je priai, priai avec ferveur et confiance. Ne pouvant me confesser à un prêtre, je me confessai à Dieu ; je lui fis l’aveu de mes iniquités dans les pleurs et le repentir, et le calme et l’espérance sont rentrés dans mon âme. Dis bien tout cela au curé de l’Islet ; prie-le de consoler ma mère, et de lui demander pardon pour moi de tous les chagrins que je lui ai causés.

Je t’ai rapporté, mon père, continua le Huron, tout ce qu’Aubé m’a chargé de te dire. J’ai passé encore deux jours et une nuit auprès de sa couche, et il est mort ce soir au soleil couchant. Il voyait toujours le manitou dans le fond de la cabane, à ce qu’il me disait, et il élevait de temps en temps sa médaille pour l’empêcher de l’approcher. Il a perdu connaissance vers midi et est mort les bras croisés sur la poitrine en tenant dans ses mains l’image de la Sainte Vierge. J’ai tout dit, fit le Huron, c’est à toi, mon père, à faire le reste.

— Pourquoi, dit le curé, n’es-tu pas venu me chercher ? Je lui aurais administré les sacrements de notre sainte religion, je l’aurais fortifié dans la lutte terrible que lui, pauvre pécheur repentant, avait à soutenir contre l’enfer acharné à sa perte ; je l’aurais appuyé sur mon sein, et le crucifix élevé, j’aurais défié les esprits infernaux, et je les aurais conjurés ! Tu es un mauvais sauvage.

Le Huron, ployant le dos à ce reproche, fut quelque temps sans répondre, et dit : T’es bien vieux, mon père, pour faire six lieues dans les forêts, d’aller et revenir dans cette saison par une pluie froide qui tombe depuis hier. Tu en serais mort, mon père.

— Que t’importe ! dit le vieux curé : comme pasteur de cette paroisse, je réponds devant Dieu de toutes mes brebis ; je me serais présenté à son tribunal avec l’âme d’un grand pécheur repentant, et j’aurais accompli le devoir le plus sacré de mon ministère ! Mais, ajouta le curé, en voyant l’air abattu du Huron : tu as fait pour le mieux ; pardonne-moi ce que je t’ai dit : tu es au contraire un bon sauvage, et je te remercie des bons soins que tu as donnés au pauvre Canadien.

Six habitants charitables, continua le père Laurent Caron, allèrent le lendemain chercher le corps d’Aubé ; et il fut enterré sans grande cérémonie, comme il convenait à un homme qui avait donné, pendant toute sa vie, des mauvais exemples à la paroisse.

Il y avait donc environ un an qu’Aubé était mort, et on l’avait presque oublié. Les plus charitables de ceux qui en parlaient par-ci par-là, lui homologuaient (accordaient) quelques centaines d’années dans le purgatoire, et tout était dit ; lorsque le curé de l’Islet reçut d’un prêtre de France, son ami, une lettre qui contenait le passage suivant : « J’ai été appelé dans le courant du mois d’octobre, l’année dernière, conjointement avec deux autres prêtres, afin d’exorciser un possédé qui faisait un vacarme épouvantable ; il brisait ses liens, et vomissait des obscénités et des blasphèmes à faire frémir d’horreur. Après les conjurations d’usage, il se calma, et nous crûmes que Satan avait vidé les lieux ; mais, à notre grande surprise, à l’expiration de trois jours, on vint encore requérir notre ministère en nous disant que le possédé était encore pire qu’auparavant. Je portai la parole, et le dialogue suivant s’engagea entre moi et l’esprit des ténèbres : Pourquoi as-tu cessé pendant trois jours de tourmenter ce chrétien ? — Parce que j’ai voyagé. — Où es-tu allé ? — Dans les forêts du Canada. — Qu’as-tu été faire dans les forêts du Canada ? — Assister à la mort d’Aubé. — Combien es-tu resté de temps auprès de lui ? — J’ai resté trois jours auprès de sa couche pour m’emparer de son âme quand il mourrait. — Est-il mort ? — Oui. — As-tu emporté son âme ? — Non. — Pourquoi ? — Parce que j’y ai trouvé Marie.

Le curé, continua le père Caron, lut la lettre au prône le dimanche suivant ; tout le monde pleurait dans l’église et la paroisse en masse fit chanter un beau service anniversaire au pauvre Joseph-Marie Aubé ; il l’avait bien gagné. Il est depuis longtemps dans le paradis ; mais quand on parle de ce côté ici du lac, de temps calme, des voix se font entendre sur l’autre rive comme s’il appelait encore les bonnes âmes à son secours, car, voyez-vous, ajouta le père Laurent, il avait un triste voisin. Nous étions tous bien jeunes, imbus des contes de revenants, dont on avait bercé notre enfance, surtout à la campagne, et pendant le récit du père Laurent, il nous passait certains frissons qui nous faisaient nous rapprocher les uns des autres : ce qui ne nous empêcha pas de retourner sur notre îlot et de fatiguer l’écho des montagnes, jusqu’à ce que, accablés de sommeil, nous cherchâmes un abri sous la cabane de notre guide.

De retour aux habitations, j’offris au père Caron de le payer.

Comment, dit-il, notre jeune seigneur, vous n’entendez donc pas la risée : je suis amplement payé par l’agrément que j’ai eu avec vous tous, messieurs. Je ne demande pour récompense que de vous adresser toujours à moi, quand il vous plaira de faire une partie de pêche, ou de chasse, dans nos forêts.

Le père Laurent Caron a continué de me conduire au même lac jusqu’à ce que la mort ait emporté en lui un des habitants les plus respectables de la paroisse de Saint-Jean Port-Joli. Ses nombreux descendants ont hérité des vertus de leur aïeul et bisaïeul.

Si le lecteur m’a déjà pardonné le manque de méthodes dans ces mémoires, je puis sans crainte l’entretenir d’un sujet assez étranger à ce chapitre ; et s’il ne l’a pas fait, ça ne sera après tout, qu’un défaut de plus dans cet ouvrage. J’ai relaté dans une note au chapitre XIII des « Anciens Canadiens » qu’un jeune sauvage Abenaquis, je crois, ayant assassiné deux anglais, quelques années après la conquête, sa tribu ne le livra au gouvernement qu’à la condition expresse qu’il ne serait pas pendu ; que convaincu de ce meurtre, il fut fusillé. Je faisais observer que le pays devait être alors sous la loi militaire, car une cour criminelle ordinaire n’aurait pu légalement substituer le plomb à la corde dans un cas de meurtre. Mais j’étais dans l’erreur en supposant que l’Indien avait été condamné à passer par les armes par un tribunal militaire. Mon ami, le major Lafleur, m’assure tenir de son oncle qui fut témoin oculaire de l’exécution, que ce fut bien une cour criminelle légalement constituée qui substitua le plomb à la corde. Ce qui m’avait induit en erreur, c’est qu’ayant fait plusieurs recherches infructueuses à ce sujet dans les archives de la cour criminelle, aidé de feu mon ami M. Gilbert Ainslie, greffier de cette cour, je dus croire que cet Indien avait été condamné par un tribunal militaire.

Que ceux qui désirent connaître le lieu où il fut fusillé, suivent la grand’rue du faubourg Saint-Jean, jusqu’à la rue Sutherland, qu’ils tournent le dos à cette dernière rue, et ils seront vis-à-vis un enfoncement du petit promontoire qui règne au sud, tout le long de la dite rue Saint-Jean ; c’est là qu’il fut exécuté. Le curé de Québec, Monsieur Lefebvre, et un Jésuite, le père Glapion, je crois, l’exhortaient à la mort, assistés de Monsieur Launière, interprète des sauvages, stipendié par le gouvernement. Il rendait à l’Indien les paroles des deux ecclésiastiques au fur et à mesure qu’ils parlaient. Au moment suprême, les yeux du patient étaient couverts d’un bandeau. Lorsque les deux prêtres firent les dernières exhortations au criminel, ils lui parlèrent assez longtemps en le tenant par chaque main ; ils s’éloignèrent ensuite à pas lents et ne cessèrent de lui parler que lorsqu’ils furent arrivés à une certaine distance. Monsieur Launière, qui n’avait point cessé son office de truchement, tout en s’éloignant comme eux du patient, donne le signal convenu. Les soldats tirèrent alors ; l’Indien qui se tenait debout, fit un saut de plusieurs pieds en avant, et tomba la face contre terre : il était raide mort : deux balles lui avaient traversé le cœur.

Les deux chefs indiens de la tribu, qui l’avaient livré aux autorités d’alors, se tenaient près de l’officier qui commandait l’exécution ; et un grand nombre de sauvages, tant Hurons que d’autres nations, assistaient au supplice de leur frère, la peau rouge. Lorsqu’il tomba, frappé à mort, les hommes poussèrent leur hua ! ordinaire, les femmes se cachèrent un instant la tête sous leur couverte : c’était l’oraison funèbre du trépassé.

Cet Indien, âgé, je crois, de dix-huit ans, mourut avec le plus grand courage, je pourrais dire avec insouciance. En se rendant au lieu du supplice, on aurait cru que loin d’être la victime, il était un spectateur indifférent de tous les lugubres apprêts. Il avait montré la même insouciance, lorsque les chefs de sa tribu le conduisirent à Québec : je tiens d’une fille mulâtre, notre servante, qu’ils arrêtèrent chez mon grand-père à Saint-Jean Port-Joli où ils déjeunèrent : il était libre, disait-elle, et il rôdait et furetait dans toutes les chambres du manoir d’un air curieux et effronté.

Je visitais fréquemment pendant mon enfance les lieux où cet Indien fut mis à mort : c’est là que nous allions cueillir des fraises dans les prairies et les bosquets dont le cap était couvert.

  1. Il y a charpentier dans la chanson, mais cordonnier nous paraissait plus piquant.
  2. Pour une raison que je ne puis expliquer, une fille noble qui épousait, en France, un roturier, s’appelait demoiselle et ne pouvait prendre le titre de dame.
  3. Joseph Toussaint, noyé dans cette anse, il y a près de cent ans. Il était seul avec son fils Charles, âgé de onze ans ; lorsque la glace se brisa sous ses pieds. À l’aide des morceaux de bois que son fils lui jetait, le père se soutint sur l’eau pendant près d’un quart-d’heure, mais il finit par disparaître. L’enfant se rendit seul à travers la forêt aux premières habitations, alors très-éloignées du lac, et donna l’alarme. Le corps de Toussaint fut retiré de l’eau, peu profonde à cet endroit, avec un hameçon à morue.

    Charles Toussaint lui-même m’a souvent raconté la triste mort de son père.

  4. La bisque est de la farine de blé délayée avec du lait, ou, en son absence, avec de l’eau simplement, que l’on mange le plus souvent dans la forêt avec des palettes de bois, comme les Orientaux, faute de cuiller.
  5. Mon vieil ami, monsieur le docteur Painchaud, peut témoigner des merveilles des échos du lac Trois-Saumons, quoique ceux qui fréquentent maintenant ce beau lac n’en parlent que bien froidement. Peut-être est-ce parce que leur endroit de pêche de prédilection est l’anse à Toussaint au sud, tandis que nous campions autrefois au nord du lac.
  6. Les chasseurs canadiens font souvent de petites entailles sur l’écorce des arbres qui leur servent de guides dans nos immenses forêts, surtout s’ils tiennent à revenir par le même chemin qu’ils ont déjà parcouru.
  7. Manitou, l’esprit malfaisant des sauvages.