Mémoires (Saint-Simon)/Tome 10/Notes

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NOTES.


I. DES CHANCELIERS ET GARDES DES SCEAUX PENDANT LA PREMIERE MOITIÉ DU XVIIe SIÈCLE.


Page 70.


Les chanceliers et gardes des sceaux de la première moitié du xvii siècle ont été fort nombreux. Saint-Simon n’en parle qu’en passant et sans entrer dans les détails (p. 70 du présent volume). Un écrivain, qui avoit connu presque tous ces magistrats, comme il le dit lui-même, a donné sur eux les détails les plus précis. Voici ce passage des Mémoires inédits d’André d’Ormesson [1] :

« Philippe Hubault, comte de Chiverni, fut fait garde des sceaux en l’an 1577 et chancelier en l’an 1583 par le décès du chancelier de Birague, et tint les sceaux jusques en octobre 1588, qu’il fut disgracié. Le roi Henri III donna les sceaux à François de Montholon, fils du garde des sceaux de Montholon, ancien avocat de la cour et avocat de Ludovic, duc de Nevers, lequel (Montholon) n’avoit jamais vu le roi ni la cour. Après la mort de Henri III, en août 1589, il fut démis de sa charge, et les sceaux baillés en garde à Charles, cardinal DE BOURBON, puis au MARÉCHAL DE BIRON (ARMAND DE GONTAUT), qui les garda jusques en juillet 1590, que le roi les rendit audit comte et chancelier de Chiverni, qui demeura dans sa charge jusques à sa mort, qui fut au mois d’août 1599, en sa maison de Chiverni, près de Blois.

« Messire Pomponne de Bellièvre, fils de Claude de Bellièvre, premier président au parlement de Grenoble, ayant été président au parlement de Paris, surintendant des finances, employé en diverses ambassades, à la conférence de Suresne [2], au traité de Vervins, où fut conclue la paix entre la France et l’Espagne, en l’an 1598, à l’avantage de la France (cinq ou sis places de Picardie ayant été rendues par les Espagnols aux François), fut fait chevalier de France en août 1599, par le décès de M. le chancelier de Chiverni, et exerça cette charge avec grande intégrité jusques à sa mort. Il rendit les sceaux en 1605, qui furent baillés à M. Nicolas Bruslart de Sillery, et mourut au mois de septembre 1607 et fut enterré dans sa chapelle en l’église de Saint-Germain l’Auxerrois.

« Messire Nicolas Bruslart, seigneur de Sillery, fils de Pierre Bruslart, président de la troisième chambre des enquêtes, après avoir été conseiller de la cour, président aux enquêtes, ambassadeur en Suisse, ambassadeur à Rome, président de la cour, conseiller d’État fort employé, fut fait garde des sceaux en l’année 1605 et chancelier en septembre 1607 (au mois de janvier), par le décès de M. de Bellièvre. Il exerça cette charge paisiblement jusqu’au mois de mai 1616 qu’il fut renvoyé en sa maison et les sceaux, baillés à M. du Vair, premier président du parlement de Provence, En avril 1617, après la mort du maréchal d’Ancre, et la disgrâce de la reine mère (Marie de Médicis) et de toute sa bande, Nicolas Bruslart fut rétabli en la première place du conseil, les sceaux étant tenus par MM. du Vair, Mangot, du Vair, de Luynes, de Vic et de Caumartin, après la mort duquel les sceaux lui furent rendus en janvier 1623. Il fut derechef disgracié en février 1624.

« Messire Guillaume du Vair, conseiller d’Église au parlement de Paris, puis maître des requêtes de création nouvelle en 1614, puis premier président du parlement de Provence, fut appelé au mois de mai 1616 pour être garde des sceaux. En novembre suivant, les sceaux lui furent ôtés et baillés à M. Claude Mangot. Après la mort du maréchal d’Ancre, au mois d’avril 1617, les sceaux lui furent rendus et les tint jusqu’à sa mort au siége de Tonneins, le troisième août 1621. Son corps fut apporté à Paris, et enterré dans une chapelle des Bernardins.

« Messire Claude Mangot, après avoir été conseiller de la cour et commissaire en la seconde chambre des requêtes du palais, maître des requêtes dix-huit ans, nommé premier président de Bordeaux et [avoir] exercé par commission la charge de secrétaire d’État, fut élu garde des sceaux en novembre 1616 par la disgrâce de M. du Vair, et les rendit le 14 avril 1617, le jour que le maréchal d’Ancre fut tué. Il mourut en 1624, sans avoir été rétabli en sa charge.

« Messire Charles d’Albert, duc de Luynes, connétable de France en avril 1621, tint les sceaux après la mort de M. du Vair, en août 1621, et scelloit en présence du roi et des officiers du sceau, recevoit les serments des officiers et en faisoit toutes les fonctions jusqu’au jour de sa mort, qui fut le 14 décembre 1621, au siége de Monchenu. Son corps fut porté et enterré à Maillé en Touraine, qu’il avoit fait ériger en duché et fait porter le nom de Luynes.

« Messire Mery de Vic, frère de M. de Vic, grand capitaine, gouverneur de Calais, après avoir été conseiller de la cour, maître des requêtes, ambassadeur en Suisse, ancien conseiller d’État, fut fait garde des sceaux le 20 décembre 1621, après le décès du duc de Luynes, le roi étant lors à Bordeaux, où ledit sieur de Vic avoit été envoyé vers MM. du clergé. Ledit sieur de Vic mourut à Pignas le 12 septembre 1622. Son corps fut rapporté et enterré en sa terre d’Armenonville près de Senlis.

« En attendant que le roi eût choisi un garde des sceaux furent commis pour sceller six conseillers d’État qui étoient à sa suite au siége de Montpellier. MM. de Caumartin, de Bullion, de Léon, Viguier, Préaux et Halligre scelloient.

« Messire Louis Le Fevre, seigneur de Caumartin, après avoir été conseiller à la cour, maître des requêtes, président au grand conseil, ambassadeur en Suisse, ancien conseiller d’État, fut fait garde des sceaux au camp de Montpellier, le 24 septembre 1622, et mourut en sa maison de Paris le samedi 21 janvier 1623, et fut enterré en sa chapelle de l’église Saint-Nicolas des Champs, où j’assistai.

« Le lundi 23 janvier 1623, le roi rendit les sceaux à M. le chancelier de Siliery, à l’instance de M. de Pisieux son fils. Ainsi, après sept ans et six gardes des sceaux, il rentra dans la pleine et entière fonction de la charge de chancelier, jusqu’au second jour de janvier que le roi lui ôta les sceaux, qu’il bailla à M. Halligre le samedi 6 janvier 1624, et au mois de février ensuivant, ledit chancelier de Sillery fut renvoyé en sa maison de Sillery avec M. de Pisieux, secrétaire d’État, son fils, disgracié comme son père, où il mourut d’une dyssenlerie le 1 jour d’octobre 1624. Son corps fut apporté et enterré en sa terre de Marines près de Pontoise.

« Messire Étienne Halligre, natif de Chartres, après avoir été conseiller au grand conseil en l’an 1588, fut fait intendant de la maison de Charles de Bourbon, comte de Soissons, entra dans le conseil du roi en l’an 1610, et après plusieurs emplois dans les provinces de Languedoc et de Bretagne, il fut fait garde des sceaux le 6 janvier 1624, et chancelier et surintendant de la maison de la reine audit an par le décès du chancelier de Sillery. Il fut renvoyé en sa maison de la Rivière près de Chartres, le 1 jour de juin 1626, où il mourut le mardi 11 décembre 1635, et y est enterré.

« Messire Michel de Mabiliac ayant été conseiller de la cour en 1588, maître des requêtes, conseiller d’État, surintendant des finances avec M. de Champigny en août 1624, puis seul en janvier 1626, fut fait garde des sceaux le 1 juin 1626 par la disgrâce de M. le chancelier Halligre. Les sceaux lui furent ôtés à Glatigny, le roi étant à Versailles, le mardi 12 novembre 1630. Il finit ses jours dans le château de Châteaudun, où il mourut au mois d’août 1632, et est enterré aux Carmélites du faubourg Saint-Jacques, dans sa chapelle.

« Messire Chaules de L’Aubépine de Chateauneuf, fils de M. de Châteauneuf, doyen du conseil, après avoir été conseiller d’Église, conseiller d’État, ambassadeur en Flandre et en Angleterre, chancelier de l’ordre du Saint-Esprit, conseiller ordinaire du roi en ses conseils par le règlement de Coinpiègne [3], fut fait garde des sceaux par la disgrâce de M. de Marillac dans Versailles, le 12 novembre 1630, fut aussi fait intendant de la maison de la reine, comme étoit M. de Marillac. Il fut arrêté prisonnier dans Saint-Germain en Laye le vendredi 25 février 1633, et mené prisonnier dans le château d’Angoulême, dont il sortit en juillet 1643.

« Messire Pierre Séguier, sieur d’Autry, fils de M. Séguier lieutenant civil, et petit-fils de Pierre Séguier président à la cour, après avoir été conseiller à la cour, maître des requêtes, intendant de la justice en Guyenne près le duc d’Épernon, président de la cour par la résignation d’Antoine Séguier son oncle et bienfaiteur, fut fait garde des sceaux par la disgrâce de M. de Châteauneuf et la faveur du cardinal de Richelieu, le lundi 28 février 1633, et fut fait chancelier le 19 décembre 1635 par le décès de M. le chancelier Halligre, le cardinal de Richelieu l’ayant fait attendre huit jours, avant qu’en prêter le serment au roi.

« Au mois de juin 1643, M. de Châteauneuf, sorti de la prison du château d’Angoulême, vint demeurer à Montrouge. La tapisserie étoit de fleurs de lis ; le cordon bleu et le Saint-Esprit sur sa robe de satin, et ne pouvant rentrer dans sa charge, comme il s’y attendoit, après la mort du cardinal de Richelieu, il se résolut d’y faire sa demeure et de ne point rentrer dans Paris en cet état, la charge étant toujours exercée par M. le chancelier Séguier, qui l’exerce encore en ce mois d’avril que j’écris cette page.

« J’ai écrit cette liste de chanceliers et gardes des sceaux à Ormesson le lundi 30 et dernier jour d’avril 1646, afin de m’en mieux ressouvenir, les ayant presque tous connus familièrement depuis M. le chancelier de Bellièvre, qui me fit faire le serment de maître des requêtes au mois de janvier 1605, et le chancelier de Chiverni qui me scella les lettres de conseiller de la cour en 1598, en vertu desquelles je fus reçu au parlement en 1600, que j’ai aussi vu plusieurs fois accompagnant H. le président d’Ormesson mon père [4]. »

André d’Ormesson a ajouté postérieurement quelques renseignements sur les chanceliers et gardes des sceaux pendant la Fronde : « Le mardi 1 mars 1650, M. de La Vrillière (Phélypeaux), secrétaire d’État, alla reprendre les sceaux de M. Séguier, chancelier de France, lequel se retira à Pontoise près de la mère Jeanne sa sœur, religieuse carmélite, et puis à Rosny chez son gendre ; et le mercredi, second de mars, jour des Cendres, la reine régente remit lesdits sceaux entre les mains du sieur de Châteauneuf, qui prit la qualité de garde des sceaux et ne fit point de nouveau serment, étant rentré dans son ancienne charge et n’ayant point été interdit ni condamné, mais seulement emprisonné.

« Le 3 avril 1651, M. de Châteauneuf rendit les sceaux qui furent à l’instant baillés à M. le premier président, duquel on les retira le 13 avril pour les rendre à M. le chancelier.

« Le 7 septembre 1651, le roi retira les sceaux du chancelier et les rendit à Mathieu Mole, premier président. Le jeudi 8 septembre 1651, jour de la nativité de Notre-Dame, M. le chancelier fut renvoyé en sa maison. M. de Châteauneuf fut fait chef du conseil du roi, et messire Mathieu Molé, premier président du parlement de Paris, fut fait garde des sceaux de France, et tint le premier conseil des parties le mardi 19 septembre 1651.

« Messire Mathieu Molé, ci-devant premier président du parlement de Paris, et garde des sceaux de France, décéda à Paris en la maison du président (sic) Séguier le 3 janvier 1656, jour de sainte Geneviève, à six heures du matin, et les sceaux furent rendus à messire Pierre Séguier, chancelier de France, le lendemain mardi 5 janvier 1656, à onze heures du matin par le roi, la reine et le cardinal Mazarin. Voilà la troisième fois que l’on lui donne les sceaux de France. »


II. RÈGLEMENT FAIT PAR LOUIS XIV, À LA MORT DU CHANCELIER SÉGUIER, POUR LA TENUE DU SCEAU.


Page 72.


Il y eut à la mort du chancelier Séguier, arrivée en 1672, une lutte entre les deux principaux minisires de Louis XIV, Colbert et Louvois, pour faire donner la charge vacante à un de leurs parents ou du moins à une de leurs créatures. Saint-Simon rappelle brièvement cette rivalité (p. 72 de ce volume). Les Mémoires du temps n’en disent rien, et le règlement que fit alors le roi, et auquel renvoie Saint-Simon, ne se trouve pas dans le recueil des Anciennes lois françaises. Pour suppléer à ce silence, nous citerons un pasbsge du Journal d’Olivier d’Ormesson, qui donne l’analyse du règlement et l’exposé des circonstances qui le rendirent nécessaire. Ce passage contient de curieux détails sur l’organisation de l’ancienne chancellerie et sur la manière dont on y scelloit les actes royaux. Les maîtres des requêtes et d’autres officiers en faisoient le rapport. Le chancelier ou le garde des sceaux, assisté de conseillers d’État, prononçoit sur la validité des actes. En certains cas, il les rejetoit comme contraires aux lois ou obtenus par des moyens frauduleux.

« Le jeudi 28 janvier 1672, dit Olivier d’Ormesson [5] mourut à Saint-Germain, à sept heures du soir, M. Pierre Séguier, chancelier de France, après trente-neuf ans de services dans cette charge, depuis le 10 février 1633 qu’il reçut les sceaux vacants par la disgrâce de M. de Châteauneuf [6], et en 1635 la dignité de chancelier de France par la mort de M. Haligre [7], décédé en sa terre de la Rivière. Depuis quelques années ledit sieur chancelier (Séguier) étoit fort déchu de la vigueur de son esprit, et sur la fin il ne connoissoit plus ceux qui l’abordoient, et avoit perdu sa mémoire ; mais dans ses derniers jours l’esprit lui étoit revenu entier, et il est mort avec beaucoup de piété et de connoissance. Sa famille avoit reporté au roi les sceaux quelques jours auparavant, et le roi les avoit reçus avec bien de l’honnêteté, et dit qu’il ne les vouloit garder qu’en dépôt et pour les rendre à M. le chancelier lorsqu’il seroit revenu en sa santé.

« La vacance de la charge de chancelier fait beaucoup raisonner sur le choix que le roi fera pour remplir cette place. D’abord l’on a dit que c’étoit pour M. Le Tellier [8], depuis pour M. le premier président [9], et chacun nomme celui qui lui plaît ; mais le roi ne se découvre point, sinon qu’à son dîner ayant été dit qu’il y avoit eu des chanceliers gens d’épée, l’on a dit qu’il vouloit choisir un homme d’épée.

« Le jeudi 5 février, étant chez M. Boulanger d’Hacqueville, il me montra un paquet, qu’il venoit de recevoir de la part de M. Haligre [10], qui étoit un règlement fait par le roi, par lequel il dit que Sa Majesté ayant résolu de retenir les sceaux, elle fait savoir ses intentions sur ce qu’elle entend être observé jusqu’à ce qu’elle en ait autrement disposé : qu’elle donnera sceau un jour chaque semaine ; qu’elle a fait choix des sieurs Aligre, de Sève, Poncet, Boucherat, Pussort et Voysin, conseillers d’État, pour y avoir séance et voix délibérative, avec six maîtres des requêtes, dont elle fera choix au commencement de chacun quartier [11], et le conseiller du grand conseil grand rapporteur en semestre ; et choisit pour le présent quartier les sieurs Barentin, Boulanger d’Hacqueville, Le Pelletier, de Faucon, de Lamoignon, Pellisson.

« Les conseillers d’État [seront] assis selon leur rang, et les maîtres des requêtes debout autour de la chaise du roi. Le grand audiencier [12] et garde des rôles [13] seront debout après le dernier conseiller d’État, et le chauffe-cire [14] ensuite, et le contrôleur au bout, les garde-quittances et autres officiers derrière les chaires des conseillers d’État. Les lettres de justice seront rapportées les premières, remplies du nom de celui qui en aura fait le rapport et par lui signées en queue. Le grand audiencier présentera ensuite les lettres dont il sera chargé ; le garde des rôles, les provisions des offices, et les secrétaires du roi feront lecture des lettres de grâce qui seront délibérées par les conseillers d’État et les maîtres des requêtes présents et résolus par Sa Majesté. Les procureurs et les syndics des cinq colléges des secrétaires du roi [15] auront entrée, et en sera choisi dans chacun collége, savoir huit de l’ancien, quatre des cinquante-quatre, autant des soixante-six, deux des trente-six et un des vingt de Navarre. Le procureur du roi des requêtes de l’hôtel [16], et [procureur] général des grande et petites chancelleries [17], aura entrée et place derrière les maîtres des requêtes. Voilà ce que contient ce règlement en neuf articles dont j’ai copie, fait à Saint-Germain en Laye le 4 février 1672, signé LOUIS, et plus bas Colbert [18].

« Ce règlement fait raisonner ; on ne l’approuve pas ne pouvant pas durer longtemps ni les affaires s’expédier. L’on dit que la raison de ce règlement est pour avoir le temps de réformer tous les abus que l’on prétend être dans la chancellerie, et diminuer l’autorité et la fonction de cette charge de chancelier. Car, comme on a pris pour maxime de supprimer les grandes charges, celles de connétable, d’amiral [19], l’on veut aussi sinon supprimer, au moins anéantir celle de chancelier, et donner toute l’autorité aux ministres ; et sur cela l’on m’a dit que M. le Prince [20] avoit observé que l’on n’avoit supprimé ces deux grandes charges que pour faire M. Colbert amiral et M. de Louvois connétable, et comme M. Colbert fait depuis dix ans la principale partie de la charge de chancelier en distribuant tous les emplois aux maîtres des requêtes, en proposant seul au roi les personnes propres pour remplir les charges qui viennent à vaquer, les donnant toutes à ses parents [21], comme celle de premier président de la cour des aides et de lieutenant civil à M. Le Camus, et celle de procureur général de la cour des aides à M. Dubois, fils du premier commis de l’épargne, son parent ; de premier président à Rouen à M. Pellot qui a épousé une Camus. Étant le maître de l’agrément pour toutes les charges de la robe, dont on ne peut être pourvu d’une seule que par son ministère à cause de la consignation du prix, M. Colbert qui a usurpé tout cet emploi sur la charge de chancelier, par la foiblesse du défunt, ne veut pas le perdre par l’établissement d’un nouveau chancelier qui voudra faire sa charge, « Le lundi 8 février, le roi tint le premier sceau où le règlement fut observé exactement : les maîtres des requêtes rapportèrent, et le roi écouta toutes choses avec une attention et une connoissance surprenante.

« M. Haligre tint le lendemain le conseil dans le château, et fit les mêmes fonctions que le chancelier, ayant pris sa place et signant les arrêts comme lui. Il y a un règlement pour cela qui ne dit [rien autre chose] sinon qu’en attendant que le roi ait pourvu à la charge de chancelier, M. Haligre comme doyen fera les fonctions pour l’expédition des affaires de justice et des finances. »


III. MADAME LA COMTESSE ET VARDES.


Page 258.


L’aventure de Vardes et de Mme la Comtesse a été racontée par Mme de La Fayette[22] et par Mme de Motteville[23]. M. Amédée Renée, dans ses Nièces de Mazarin, ouvrage où il a su rendre la science agréable et piquante, a rappelé ces intrigues qui causèrent une véritable révolution a la cour de Louis XIV, en faisant bannir deux personnages renommés par leur élégance, leur esprit et leurs brillantes aventures. Le comte de Guiche[24] et Vardes[25] ne se relevèrent pas de cette disgrâce. On peut ajouter aux documents relatifs à ces intrigues le récit qu’en a tracé Olivier d’Ormesson[26] : « M. de Bar nous dit une intrigue découverte à la cour, et comme je l’ai sue aussi d’autres personnes et qu’elle peut avoir des suites, je la veux écrire tout entière, comme je l’ai apprise. Il y a quelques années que l’intelligence de Madame avec M. le comte de Guiche fit un grand éclat[27]. M. le comte de Guiche fut envoyé en Lorraine, après l’accommodement de Lorraine, et il fit ensuite le voyage de Pologne. M. de Vardes fut commis pour retirer les lettres des mains de Mlle de Montalois, et étoit le confident entre les deux ; mais il ne rendit pas toutes les lettres, et il en retint deux qu’il mit entre les mains de Mme la Comtesse pour s’en servir contre Madame en cas de besoin.

« Dans ce même temps les amours de Mlle de La Vallière et du roi commençoient, et Mme la Comtesse vouloit les rompre. Elle prit une enveloppe d’un paquet du roi d’Espagne à la reine, et concerta une lettre avec Vardes comme du roi d’Espagne à la reine, qui lui donnoit avis des amours de Mlle de La Valliere et du roi, et ils la firent traduire en espagnol par le comte de Guiche, la firent écrire [28]par le beau-frère de Gourville, et l’envoyèrent à Gourville en Flandre afin qu’il l’envoyât par un courrier.

« Cette lettre fut adressée à la señora Molina, Espagnole, pour la rendre à la reine [29]. Elle la donna au roi qui jugea que c’étoit une lettre supposée, mais ne put découvrir d’où elle venoit, et l’on prétend qu’il soupçonna Mme de Navailles [30], et que c’est la véritable cause de sa disgrâce. Depuis, M. de Vardes s’étant brouillé avec Madame pour avoir dit au fils de M. le comte d’Harcourt qu’il devoit s’adresser à Madame sans s’amuser aux suivantes, le roi l’a envoyé, à la prière de Madame, à Aigues-Mortes [31], sans lui vouloir cependant de mal, disant qu’il seroit son solliciteur d’affaires.

« Mme la Comtesse, ennuyée de ce long exil, a fait prier Madame de s’adoucir, et pour l’y obliger lui a fait dire qu’elle avoit des lettres et de quoi lui donner de la peine. Madame s’en étant irritée, et sachant par le comte de Guiche l’histoire de la lettre, elle l’a dite au roi. Ce fut dans la tribune le jour du ballet qu’elle en fit sortir Mme la Comtesse ; et le roi l’ayant pressée de faire quelque civilité à Mme la Comtesse et lui disant qu’elle la devoit ménager ayant des lettres, sur cela Madame lui dit la lettre espagnole [32].

« Le comte de Guiche mandé aussitôt par le roi, après avoir obtenu son pardon, lui a dit toute l’intrigue et a fort chargé Vardes, et le roi a pris par écrit sa déclaration et la lui a fait signer. L’on dit que le comte de Guiche a découvert encore d’autres intrigues sur l’affaire de Dunkerque, et qu’il avoit conseillé à Madame de s’y retirer avec Monsieur, et que, soutenue du roi d’Angleterre, elle se feroit considérer, et l’on parle que ces lettres ont été rendues au roi, par lesquelles il mandoit à Madame : Votre timide beau-frère n’est qu’un fanfaron et un avare. Quand une fois vous serez dans Dunkerque, nous lui ferons faire, le bâton haut, tout ce que nous voudrons. Le roi a envoyé un exempt à Vardes avec des gardes pour l’arrêter prisonnier et le conduire dans la citadelle de Montpellier et lui ordonner de se défaire de sa charge. M. le maréchal de Grammont a eu de longues conférences avec le roi, et l’on dit qu’il a obtenu le pardon pour son fils ; mais néanmoins que c’est un homme dont la fortune est perdue. »


IV. LE DUC DE MAZARIN.


Pages 277 et suiv.


Le duc de Mazarin, dont Saint-Simon retrace le caractère (p. 277, 278, 279 de ce volume), a été représenté par tous les contemporains comme un maniaque, auquel la jalousie et une dévotion ridicule avoient troublé l’esprit. Hortense Mancini, qu’il avoit épousée [33], donne une idée de sa jalousie dans le passage suivant de ses Mémoires : « Je ne pouvois, dit-elle, parler à un domestique, qu’il ne fût chassé le lendemain. Je ne recevois pas deux visites de suite d’un même homme, qu’on ne lui fît défendre la maison. Si je témoignois quelque inclination pour une de mes filles, on me l’ôtoit aussitôt. Si je demandois mon carrosse, il défendoit en riant qu’on y mit les chevaux et plaisantoit avec moi sur cette défense… Il auroit voulu que je n’eusse vu que lui seul au monde. » Le duc de Mazarin ne se borna pas à exercer sur sa femme cette ridicule et tyrannique surveillance, il fit mutiler les statues ou barbouiller les tableaux du palais Mazarin qui lui paraissoient blesser la décence [34]. Il poussa la manie des réformes jusqu’à vouloir intervenir dans les amours de Louis XIV et de Mlle de La Vallière. Un grave contemporain, Olivier d’Ormesson, raconte dans son Journal inédit [35] cette aventure qui peint le duc de Mazarin : « Je veux écrire une histoire véritable de M. le duc Mazarin, lequel, ayant formé le dessein d’avertir le roi du scandale que sa conduite avec Mlle de La Vallière cause dans son royaume, communia, il y eut dimanche huit jours, et alla au Louvre au lever du roi, et lui ayant dit qu’il souhaitoit parler à Sa Majesté en son particulier, le roi le fit entrer dans son cabinet. Là il dit au roi, après bien des excuses de la liberté qu’il prenoit, qu’il avoit senti un mouvement dans sa conscience depuis quelque temps ; qu’il venoit de communier et qu’il se sentoit plus pressé qu’auparavant de dire à Sa Majesté le scandale qu’il donnoit à toute la France par sa conduite avec Mlle de La Vallière, etc. Le roi lui ayant laissé dire tout ce qu’il avoit à dire, lui dit : Avez-vous tout dit ? Il y a longtemps que je sais que vous êtes blessé là, mettant la main sur son front. »


  1. Ms. fol. 11 et suiv.
  2. La conférence de Suresne, commencée le 29 avril 1593 entre Henri IV et les catholiques modérés, eut pour résultat l’abjuration de ce roi.
  3. Règlement relatif à l’organisation du conseil d’État, en date du 1e’juin 1624.
  4. Le père d’André d’Ormesson était président à la chambre des comptes.
  5. Journal, fol. 188 recto.
  6. Charles de L’Aubépine, marquis de Châteauneuf, avait été nommé garde des sceaux en 1630 : il fut disgracié et emprisonné en 1633. Il mourut en 1653. Voy. l’article sur les chanceliers et gardes des sceaux.
  7. Étienne d’Aligre, nommé chancelier en 1624, mourut le 11 décembre 1635.
  8. Michel Le Tellier était secrétaire d’État depuis 1643 ; il devint chancelier en 1677, et mourut en 1685.
  9. Le premier président était alors Guillaume de Lamoignon, né en 1617, premier président en 1658, mort en 1677.
  10. Étienne d’Aligre, fils du précédent, fut successivement conseiller au grand conseil, conseiller d’État et chancelier en 1674 ; il mourut à quatre-vingt-cinq ans, le 25 octobre 1677. Olivier d’Ormesson écrit Aligre tantôt avec H, tantôt sans H. Comme il écrivait, en 1672, au moment même des événements qu’il raconte, il faut reconnaître que l’orthographe de ce nom était alors incertaine. Nous en faisons la remarque, parce que Saint-Simon insiste sur ce point (p. 73).
  11. Journal, fol. 188 recto.
  12. Officier de la grande chancellerie chargé de faire rapport des lettres de grâce, de noblesse, etc.
  13. Le garde des rôles ou garde-rôle conservait le rôle des officiers royaux, en tenait registre et faisait sceller leurs provisions.
  14. Officier de chancellerie qui préparait la cire pour sceller les actes.
  15. Il y avait, d’après l’édit de mars 1704, trois cent quarante secrétaires du roi, qui étaient chargés d’expédier les actes royaux que l’on présentait au sceau.
  16. Les requêtes de l’hôtel formaient un tribunal chargé de connaître des causes des officiers de la maison du roi et de plusieurs autres privilégiés.
  17. La grande chancellerie était celle où s’expédiaient les actes émanés du roi et scellés du grand sceau par le chancelier ou le garde des sceaux. Les petites chancelleries étaient annexées aux parlements et aux tribunaux pour sceller les actes d’émancipation et autres qui étaient revêtus du petit sceau.
  18. Les maîtres des requêtes servaient à tour de rôle pendant trois mois ou un quartier.
  19. Les charges de connétable et d’amiral avaient été supprimées sous le règne de Louis XIII, en 1626.
  20. Il s’agit ici de Louis de Bourbon (le grand Condé).
  21. Nous avons déjà fait remarquer qu’Oliv. d’Ormesson, disgracié pour sa noble et courageuse conduite dans le procès de Fouquet, n’était pas disposé à juger Colbert avec impartialité.
  22. Histoire de Mme Henriette, coll. Petitot, t. LXIV, p. 410.
  23. Mémoires de Mme de Motteville, coll. Petitot, t. XLI, p. 180, 228.
  24. Armand de Grammont, comte de Guiche, né en 1637, mort en 1673.
  25. François-René du Bec-Crespin, marquis de Vardes, mort en 1688.
  26. Journal, IIe partie, fol. 97.
  27. 2. Ces événements sont de la fin de l’année 1662, d’après les Mémoires de Mme de Motteville.
  28. 2. Ces événements sont de la fin de l’année 1662, d’après les Mémoires de Mme de Motteville.
  29. 2. Ces événements sont de la fin de l’année 1662, d’après les Mémoires de Mme de Motteville.
  30. Gouvernante des filles d’honneur de la reine. Voy. las Mémoires de Mme de Motteville.
  31. Vardes était gouverneur d’Aigues-Mortes depuis 1660.
  32. Ce dénoûment d’une intrigue qui remontait à l’année 1661 se place au mois de mars 1665.
  33. Voy. les Nièces de Mazarin, par Amédée Renée.
  34. Voy. les Mémoires de l’abbé de Choisy, coll. Petitot, 2e série, t. LXIII, p. 207.
  35. Journal d’Olivier d’Ormesson, fol. 80 verso et 81 recto ; à la date du 16 décembre 1665.