Mémoires (Saint-Simon)/Tome 12/10

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CHAPITRE X.


Discussion entre M. le duc d’Orléans et moi sur la manière d’établir et de déclarer sa régence. — Aveu célèbre du parlement par la bouche du premier président de La Vacquerie y séant, de l’entière incompétence de cette compagnie de toute matière d’État et de gouvernement. — Deux uniques et modernes exemples de régences faites au parlement. — Causes de cette nouveauté. — Raisons de se passer du parlement pour la régence, comme toujours avant ces deux derniers exemples. — Observation à l’occasion de la majorité de Charles IX et de l’interprétation de l’âge de la majorité des rois. — Mesures et conduite à tenir pour prendre la régence. — Conduite à tenir sur les dispositions du roi indifférentes, et sur le traitement à faire à Mme de Maintenon. — Prévoyances à avoir. — Faiblesse de M. le duc d’Orléans à l’égard du parlement. — État et caractère de Nocé.


Après de longs et de fréquents tête-à-tête sur toutes ces différentes matières, entre M. le duc d’Orléans et moi, nous vînmes à celle de la régence. Je l’avois fort examinée, et voici comme je lui en parlai et ce que je lui proposai. Je lui dis qu’il ne s’agissoit point ici de ces régences réglées par les rois pendant l’absence qu’ils vont faire hors de leur royaume et qui finissent par leur retour, mais de celles uniquement que la mort d’un roi et la minorité de son successeur rendent nécessaires. Je n’eus pas de peine à montrer que celles-là tombent de droit tellement au plus proche du roi mineur, que les mères et les sœurs y sont admises, quoique les femelles soient exclues de la couronne, et que par conséquent ni les cabales ni quelque disposition que le roi pût faire, il n’étoit pas dans le possible de la lui ôter. Qu’à l’égard de la brider, ce qui ne se pouvoit tenter que par des dispositions du roi odieuses, il savoit ce que les plus sages et les plus solennelles étoient devenues aussitôt après la mort de Charles V et de Louis XIII qui les avoient faites sur lesquelles il n’y avoit point à craindre que celles du roi eussent de l’avantage par toutes sortes de raisons ; que néanmoins il falloit penser à s’en garantir en ne se commettant pas avec imprudence ; que si le roi faisoit des dispositions là-dessus, il n’y avoit point à douter qu’elles ne tendissent à le diminuer pour accroître le duc du Maine ; que sans me départir de ce que je lui avois dit de la disposition des esprits, et en particulier du parlement sur la grandeur des bâtards, surtout sur leur apothéose, il falloit songer que le premier président étoit l’âme damnée de M. et de Mme du Maine, qui pour leur intérêt l’avoient mis à la tête du parlement dont il épouseroit aveuglément toutes les volontés, parce que, brouillé par cet attachement avec Mme la Duchesse et les princes du sang, ne pouvant par cela même s’assurer de Son Altesse Royale, et mal au dernier point par l’affaire du bonnet avec tant de gens considérables, il n’avoit de ressource que la protection du duc du Maine, et par conséquent le plus vif intérêt à toute sa grandeur, et son pouvoir ; que tel que fût le premier président, il avoit acquis à force de manèges du crédit dans sa compagnie, éblouie de son jargon, de sa politesse, de l’attachement qu’il leur avoit persuadé avoir pour tous les avantages de la compagnie et de ses magistrats, enfin par ses grands airs, sa table, sa dépense, et l’union que l’affaire du bonnet avoit si bien rétablie entre lui et les présidents à mortier, dont quelques-uns auparavant le tenoient en brassière ; que les cabales et les bassesses qui ne coûtoient rien à M. ni à Mme du Maine, qui avoient tant fait leurs preuves en artifices et en noires inventions, étoient indignes de tout homme et impraticables pour Son Altesse Royale, dans le degré surtout où elle se trouveroit ; qu’autre chose étoit de présenter un colosse dangereux à abattre et les plus saintes lois à préserver d’une ambition démesurée et toute-puissante, autre chose d’entrer en concurrence avec ce colosse sur des dispositions du roi en sa faveur à la diminution de l’autorité d’un régent ; qu’indépendamment d’équité, le parlement est toujours porté à se croire et à faire, autant qu’il en trouve les occasions, le modérateur de la puissance, puisqu’il a si souvent tenté de le faire sentir même aux rois, à plus forte raison dans une entrée de régence, temps de faiblesse dont ce corps a toujours su se prévaloir ; que le même amour-propre qui le flatteroit d’avoir à prononcer sur le renversement du colosse, si la cause lui en étoit déférée, et lui feroit goûter la justice et les raisons d’user du pouvoir de le renverser, ce même amour-propre trouvera sa satisfaction à prononcer entre le régent et ce colosse ; et comme il ne s’agira pas alors de le détruire, le même amour-propre le portera à le favoriser sous différents prétextes pour faire naître une suite de divisions dont il espérera se mêler et en profiter, et pour avoir un puissant soutien de sa considération et de son autorité qui, en minorité, a si souvent entrepris sur l’autorité royale qui est celle dont le régent est revêtu et qu’il ne doit pas laisser entamer. De ce raisonnement, qui n’a rien de contraire à la disposition du parlement contre les bâtards et leurs grandeurs, où il ne s’agit pas ici de les remettre dans les bornes, il sera aisé aux manèges du duc du Maine et de Mesmes de le tourner favorablement aux prétentions du duc du Maine. Ainsi lutte indécente et inégale et publique ; et si elle bâte mal suivant ces apparences, quels embarras et peut-être quels désordres ! Certainement, quel lustre et quel degré de continuelles entreprises du parlement, qui se voudra mêler de tout avec autorité ! Quel triomphe et quelle dangereuse victoire du duc du Maine ! quelle honte pour le régent ! et quelle situation pendant tout le cours de la régence ! On tremble donc avec raison en pensant jusqu’où tout cela peut porter.

Je proposai donc à M. le duc d’Orléans de ne s’y pas commettre et de prendre un autre tour. Je lui fis observer qu’il ne s’étoit fait au parlement que les deux dernières régences. On n’y avoit jamais songé auparavant. Le duc d’Orléans, dépité de voir la régence entre les mains de Mme de Beaujeu, femme du frère du duc de Bourbon, connétable de France, et sœur fort aînée de Charles VIII, pendant sa minorité, tenta la voie de se plaindre, et de demander au parlement justice du tort qu’il prétendoit être fait à son droit sur la régence. La réponse célèbre que le premier président de La Vacquerie lui fit en plein parlement n’est ignorée de personne, et se trouve la même dans toutes les histoires : « La cour, lui dit ce magistrat, n’est établie que pour juger au nom et à la décharge du roi les procès entre ses sujets, et nullement pour se mêler d’aucune affaire d’État ni du gouvernement, où elle n’a pas droit d’entrer, sinon par un commandement exprès de Sa Majesté. » Le duc d’Orléans, lors héritier présomptif de la couronne, et qui y succéda à Charles VIII, sous le nom de Louis XII, ne put tirer autre chose du parlement. Il prit les armes, il n’y fut pas heureux ; Mme de Beaujeu demeura régente sans question ni difficulté, et son administration fut bonne et heureuse, jusqu’à la majorité de Charles VIII. Je passe Mme d’Angoulême qui n’a été régente que pendant deux absences du roi François Ier son fils, qui l’établit en partant, et la reine Marie-Thérèse que le roi établit deux fois régente en partant pour ses conquêtes. Ainsi, jusqu’à la mort d’Henri IV, nulle mention du parlement à cet égard.

Personne n’ignore de quelle manière le parricide fut commis, ni les ténèbres qui ont couvert un si grand crime. Il est difficile aussi de se refuser d’en deviner la cause que ces ténèbres mêmes indiquent, et que les histoires et les mémoires de ces temps-là font sentir et même quelque chose de plus. Cette remarque étoit nécessaire, on s’en contentera. Le cas étoit unique. Le roi mort à l’instant au milieu des seigneurs, qui étoient dans son carrosse qu’ils firent retourner au Louvre avec le corps du roi, peu de grands à Paris, le prince de Condé hors du royaume, le comte de Soissons chez lui mécontent de ce qui s’étoit passé sur la duchesse de Vendôme au couronnement de la reine ; l’intérieur intime du Louvre, peu étonné et gardant moins que médiocrement les bienséances, tout occupé d’assurer toute l’autorité à la reine pour établir la leur et leur fortune ; cette princesse élevée au-dessus de toute faiblesse, et sans distraction sur tout ce qui pouvoit établir sa pleine et entière régence, on courut au parlement pour avoir un lieu public et solennel, et un corps intéressé à soutenir ce qui se feroit dans son sein ; un corps encore qu’on avoit à ménager par d’autres raisons plus ténébreuses, et qui n’étoient pas moins importantes. Le duc d’Épernon environna de son infanterie le dehors et le dedans des Grands Augustins où le parlement tenoit ses séances depuis que le palais étoit occupé des préparatifs qui s’y faisoient pour les fêtes qui devoient suivre le couronnement de la reine. Tout cela se fit sur-le-champ, M. de Guise et lui entrèrent en séance, et la reine y fut aussitôt déclarée régente, en présence de trois ou quatre autres pairs ou officiers de la couronne, qui y arrivèrent l’un après l’autre.

Le murmure fut grand d’une nouveauté si subite et si précipitée ; force mouvements ranimés par la prompte arrivée et les plaintes de M. le comte de Soissons, et depuis encore par le retour du prince de Condé, et ses prétentions. Mais la chose étoit faite, et la déprédation des trésors d’Henri IV, déposés à la Bastille pour l’exécution de ses grands desseins et la guerre de Clèves, achevèrent d’affermir l’autorité de la régente, ou plutôt des gens qui la gouvernoient. C’est le premier exemple d’une régence faite au parlement. On laisse à juger et des causes et de la manière et du droit qu’il peut avoir acquis au parlement.

Le second exemple est tout de suite, lorsque la mort la plus sainte et la plus héroïque couronna la vie la plus illustre et la plus juste, et en fit à tous les rois la plus sublime leçon. La valeur de Louis XIII, si utilement brillante lors du malheur de Corbie [1], aux îles de la Rochelle, au siège de cette ville, et à tant d’autres exploits, au célèbre Pas de Suse, en Roussillon, et partout où sa conduite ne fut pas moins admirable ; la sagesse de son gouvernement, le discernement de ses choix, l’équité de son règne, la piété de sa belle vie, tant de vertus enfin si relevées par sa rare modestie, et le peu qu’il comptoit tout ce qui n’est point Dieu ; ses victoires, ses succès qui arrêtèrent ceux de la maison d’Autriche, et qui anéantirent le parti protestant, qui faisoit un État dans l’État, au point que le roi son fils n’a plus eu besoin que de la simple révocation d’un édit pour le proscrire ; l’utile protection donnée à ses alliés, et sa fidélité à ses traités, tant de grandes choses n’avoient pu le préserver des malheurs domestiques, augmentés sans cesse par vingt ans de stérilité de la reine.

Arrivé lentement à sa fin, pour le malheur de la France et de l’Europe entière, à un âge qui n’est souvent que la moitié de celui des hommes, il ne la regarda que comme sa délivrance pour s’envoler à son Dieu, et il profita de la tranquillité, de la paix, de la liberté de l’esprit que lui conserva si parfaitement ce Dieu de justice et de miséricorde, pour se rendre plus digne d’aller à lui par les ordres si judicieux que la sagesse et l’expérience et la connoissance des choses et des personnes lui firent dicter au milieu des douleurs de la mort sur tout ce qu’il crut possible et nécessaire de régler pour l’administration de l’État après lui, et balancer au moins avec prudence et harmonie ce qui ne pouvoit être remis en d’autres mains. Tout donné ce qui étoit vacant, tout réglé ce qui étoit à faire après lui, il le voulut rendre public, et le consacrer, pour ainsi dire, par le consentement des personnes les plus proches comme les plus intéressées, et par l’approbation de tout ce qu’il put assembler de grands et de personnes considérables de sa cour, et de gens graves tels que sou conseil et les principaux magistrats. Tous admirèrent tant de présence d’esprit, de sages combinaisons, de sagacité et de prudence, tous en furent pénétrés.

La reine promit solennellement de s’y conformer, Monsieur ensuite et M. le Prince, et tous ceux qui étoient nommés pour former le conseil. La reine et ceux qui la gouvernoient n’en furent pas moins effrayés des contre-poids établis à l’autorité de sa régence. Monsieur, foible, facile, de tout temps lié avec la reine, jusque dans tous ses écarts, pris sur-le-champ au dépourvu sans le secours de ceux qui le conduisoient, se laissa enchanter aux flatteries de la reine, et crut n’être que plus puissant en serrant son union avec elle par le sacrifice de sa part de l’autorité que lui avoit donnée la disposition dont on vient de parler. Lui gagné, M. le Prince attaqué tout de suite par la reine et par Monsieur, n’osa résister, et céda ; à ces si principaux exemples tout le conseil renonça tout de suite, chacun à sa voix nécessaire, délibérative, inamissible, et une heure après la mort du roi tout au plus, tout ce qu’il avoit si sagement prévu et fait se trouva renversé, et l’autorité entière et absolue dévolue à la reine privativement à tous.

C’étoit là un grand pas fait, mais l’embarras fut que la disposition avoit été rendue publique, et lue tout haut en présence du roi et de tous ceux qui ont été nommés, et approuvée et ratifiée de tous. Cette publicité ne se pouvoit détruire que par une autre. Le parlement, qui y avoit été mandé, y avoit eu la même part par ses principaux magistrats. On craignit les mouvements de cette compagnie, et à son appui, le repentir de Monsieur et de M. le Prince. On voulut donc ménager et flatter le parlement pour lever tout obstacle. Le dernier exemple autorisoit l’imitation et frayoit le chemin. Dès l’après-dînée, car le roi mourut dans la fin de la matinée, on pratiqua le parlement, on le brigua toute la nuit, et le lendemain matin, la reine accompagnée de Monsieur et de M. le Prince, des pairs et des officiers de la couronne, vint de Saint-Germain droit au parlement. Ils y déclarèrent la cession qu’ils faisoient à la reine de l’autorité qu’ils avoient reçue de la disposition du feu roi, pour la lui laisser à elle seule tout entière ; que le conseil nommé par le feu roi en faisoit de même ; et la régence fut ainsi faite et déclarée au parlement, à ces conditions, dont la France ne s’est pas mieux trouvée, et qui se sentira peut-être encore longues et cruelles années des pestifères maximes et de l’odieux gouvernement du cardinal Mazarin.

Deux reines étrangères d’inclination, et de principes fort éloignées des maximes françaises pour le gouvernement de l’État et des vues si saines des rois leurs maris, dont elles ne regardèrent la perte que par le seul objet de leur grandeur personnelle, dont elles étoient de longue main tout occupées, que la dernière à la vérité n’a due au moins qu’à la nature, Marie dominée par Conchine [2] et sa femme, Anne par Mazarin, Italiens de la dernière bassesse, et qui ignoroient jusqu’à notre langue, qui ne soupiroient qu’après le timon de l’État dont ils se saisirent tout aussitôt, et à qui il n’importoit comment ni à quel titre, il n’est pas surprenant que méprisant ce qu’ils ignoroient, c’est-à-dire toutes les formes, les usages, les règles, les droits, ils se soient jetés à corps perdu avec leur reine, à ce qui leur sembla assurer davantage l’autorité qui alloit faire le fondement certain de la toute-puissance qu’ils s’étoient bien promis de saisir, surtout avec les raisons qu’on a vues dans la première de s’assurer du parlement, et dans l’autre de le ménager.

M. le duc d’Orléans ne se trouvoit pas en ces termes. Rien à couvrir par les ténèbres ; ni fils de France ni prince du sang avec qui lutter, point d’indignes et de vils étrangers à faire régner ; point de faiblesse de sexe à étayer, nul usage utile à faire de l’appui du parlement, et tout au contraire, à en craindre par les noirs artifices du duc du Maine, et les manèges de son premier président appuyés des dispositions du roi et de l’intérêt du parlement à s’arroger la fonction de modérateur et de juge, de nourrir la division, de semer les occasions de s’y faire valoir, et d’usurper cette autorité de tuteurs des rois si destituée de tout fondement, et, tant qu’ils ont pu, si hardiment tentée, sur laquelle on verra dans la suite jusqu’à quel point ils osèrent la porter, faire repentir le régent de sa mollesse, et le forcer à briser périlleusement sur leur tête le joug que peu à peu il s’étoit laissé imposer Je le fis souvenir de ce que tous nos rois, jusqu’à Louis XIV inclusivement, avoient montré de fermeté toutes les fois que le parlement avoit osé vouloir passer ses bornes du jugement des procès et des enregistrements d’édits et d’ordonnances, et leur avoient déclaré que la connoissance de rien de ce qui étoit au delà n’étoit de leur compétence.

Je lui remis cette vérité, dont jusqu’à présent le parlement n’a osé disconvenir, que s’il est arrivé quelquefois que des matières plus hautes que les procès des particuliers, ou des enregistrements qui avoient quelque chose de plus que l'ut notum sit pour y conformer les jugements, avoient été traités au parlement par la volonté ou la permission du roi, c’étoit sa présence et des grands qui l’y accompagnoient, ou, en son absence, celle des pairs qui y étoient mandés par le roi, qui donnoit toute la force, à l’ombre desquels les magistrats du parlement y opinoient ; chose tellement certaine, que leur présence a toujours été nécessairement énoncée dans l’arrêt qui s’y rendoit, par ces termes consacrés : la cour suffisamment garnie de pairs, si essentielle au jugement même du parlement que toutes les fois qu’il y a eu des troubles où le parlement s’étoit laissé entraîner, comme sous la dernière régence, il ne s’étoit point fait de délibération au parlement, concernant ces affaires, que le parlement lui-même n’envoyât prier les pairs, et quelquefois même les officiers de la couronne qui se trouvoient à Paris, d’y venir assister. Il résulte de cette vérité que ceux qui ne peuvent connoître d’aucune matière d’État, et de leur propre aveu, sans la présence des pairs qui leur en communique la faculté (on parle ici de l’usage reçu, non du droit que les magistrats auroient peine à prouver), ne sont pas nécessaires à aucune sorte de délibération ni de sanction d’État, et que ceux-là seuls de la présence desquels ils tirent cette faculté, qu’ils conviennent n’avoir point en leur absence, peuvent en tout droit délibérer sans eux, et faire toute sanction d’État.

L’unique objet qui se pourroit faire pour éblouir, mais sans aucune solidité, c’est que les matières et les sanctions d’État s’étant souvent trouvées mêlées de jurisprudence et de matières légales, comme les confiscations des grands fiefs, leur réunion à la couronne par forfaiture, comme il est arrivé des anciennes pairies possédées par les rois d’Angleterre et par l’empereur Charles-Quint, ces matières avoient été traitées au parlement pour en éclairer les pairs, le roi même, et les officiers de la couronne qui l’y accompagnoient, ce qui, ayant ouvert la bouche aux magistrats du parlement pour opiner sur ces matières, leur en avoit donné l’usage en d’autres moins mêlées des lois, lorsque le roi y avoit fait assembler les pairs pour les y traiter comme en lieu naturellement public : mais cette réponse telle qu’elle puisse être ne répond pas au principe dont le parlement convient, et ne lui donne pas un caractère qu’il n’a pas par lui-même ; il reste toujours vrai qu’il n’est admis à délibérer sur ces matières que par la présence des pairs, que leur absence l’en rend incompétent : donc il en est par soi-même incapable, et les pairs seuls et les officiers de la couronne uniquement capables et compétents par eux-mêmes, d’où il se conclut qu’il n’est nul besoin du parlement pour faire ou déclarer une régence, comme il n’a pas été question de cette compagnie pour aucune des régences qui depuis tous les temps ont précédé celle de la minorité de Louis XIII, et qu’elles ne se doivent faire et déclarer que par les pairs nés, autres pairs, et les officiers de la couronne privativement à qui que ce soit.

Que si les rois ont été au parlement déclarer leur majorité, ou étant majeurs aussitôt après leur avènement à la couronne, cet ancien usage n’a rien de commun avec ce qui vient d’être dit sur les régences. Une longue prescription fondée sur la sagesse et le bien de l’État à prévenir les troubles qui, dans l’étourdissement que cause toujours la mort d’un roi, naîtroient aisément des prétentions à la régence, en a établi le droit au plus proche du sang du roi mineur mâle ou femelle, encore que celles-ci soient exclues de la couronne, mais cela même rend témoignage que la régence n’est pas comme la couronne, et qu’elle étoit déférée par l’avis des grands qui renfermoit un jugement : au lieu que la séance du roi au parlement, dès qu’il est parvenu majeur à la couronne, ou pour y déclarer sa majorité s’il étoit mineur, n’a pour objet aucun jugement à rendre ni réel, ni fictif, comme est l’objet de faire et de déclarer une régence, parce que la faire étoit un jugement réel autrefois, dont on retient l’image ; et la déclaration, déclarer le jugement rendu de l’adjudication de la régence.

Cette première séance du roi au parlement, soit majeur en succédant à la couronne, soit mineur qui y vient déclarer sa majorité, n’est donc autre chose que de venir au lieu public, et le plus solennellement destiné à rendre à ses sujets la justice en son nom, pour y faire publiquement et solennellement sa fonction de juge unique et suprême de tous ses sujets, de qui émane le pouvoir de juger à tous les divers degrés de juridictions, et de juge de son suprême fief, qui est son royaume, à cause de sa couronne et de son caractère royal qui est unique en sa personne. Cette séance, où assistent les pairs et où le roi est suivi des officiers de la couronne, n’est donc en soi qu’une pure cérémonie sans délibération sur rien par elle-même, ni matière aucune de jugement. Le roi y reçoit les hommages de la personne qui a exercé la régence, et qui lui remet toute l’autorité que sa minorité l’empêchoit d’exercer par lui-même, offre de lui rendre compte de l’administration qu’elle a eue entre les mains, quand il lui plaira de le recevoir, si c’est un roi mineur qui déclare sa majorité, puis les hommages collectifs de tous. Que si, à cette occasion, il se met quelque matière en délibération fictive ou effective, cela retombe dans les cas qui viennent d’être dissertés, et ne tient que par hasard à la cérémonie.

Je fis observer à M. le duc d’Orléans la jalousie, l’attention toujours vigilante du parlement à prétendre, à entreprendre, et à créer à son avantage quelque chose de rien par ce qui arriva à la majorité de Charles IX. Il ne s’y agissoit pas, comme dans les autres, d’une simple cérémonie telle qu’elle vient d’être expliquée. La loi faite par Charles V pour la fixation de l’âge de la majorité des rois, et par les grands qui l’approuvèrent, avoit toujours été entendue et pratiquée suivant son sens naturel de quatorze ans accomplis, quoique le terme accomplis n’y fût pas exprimé. Sans allonger ce récit de ce que personne n’ignore de l’histoire de ces temps difficiles, Catherine de Médicis, bien assurée de gouverner toujours, avoit intérêt que la minorité de Charles IX finît, et il étoit encore éloigné de plusieurs mois des quatorze ans accomplis. Elle voulut donc faire interpréter la loi de Charles V à quatorze ans commencés. La cour étoit en Normandie, et les affaires ne lui permettoient pas de la quitter. Elle mena donc Charles IX, suivi des pairs et des officiers de la couronne qui s’y trouvèrent, au parlement de Rouen, où la loi de Charles V fut interprétée comme elle le désiroit, et Charles IX déclaré majeur, ce qui pour l’âge a été suivi en toutes les majorités depuis. Le parlement de Paris jeta les hauts cris, députa vers le roi et la reine, prétendit qu’un tel acte ne pouvoit être fait dans un autre parlement. On se moqua d’eux. La reine leur répondit que la cour des pairs n’étoit aucun parlement, mais le lieu tel qu’il fût où le roi se trouvoit, et où il lui plaisoit d’assembler les pairs. La maxime est si vraie que, sans la circonstance de ces temps si difficiles, où la reine avoit besoin de tout, elle n’avoit que faire du parlement de Rouen pour une interprétation de la loi de Charles V, sur laquelle ce parlement ne put opiner que par la présence des pairs, comme il a été expliqué, lesquels seuls la pouvoient faire avec les officiers de la couronne ; mais comme il falloit en même temps déclarer le roi majeur qui est la simple cérémonie qui a été expliquée, qui ne se pouvoit faire qu’au parlement de Rouen, puisque le roi étoit en cette ville, ce fut un véhicule pour y faire le tout ensemble. Le parlement de Paris se plaignit longtemps, sans pouvoir alléguer aucune raison, et il se tut enfin, quand il fut las de se plaindre, sans avoir reçu le moindre compliment.

Fondé sur des vérités si certaines et de si solides raisons, je proposai à M. le duc d’Orléans d’assembler tous les pairs et les officiers de la couronne, aussitôt que le roi seroit mort, dans une des pièces de l’appartement de Sa Majesté en rang et en séance, avec M. le Duc, le seul des princes du sang en âge, le duc du Maine et le comte de Toulouse. Que là tous assis et couverts seuls, dans la pièce, avec les trois secrétaires d’État au bas bout et derrière la séance vis-à-vis de lui, ayant une table garnie devant eux, car le chancelier étoit le quatrième, Son Altesse Royale fit un court discours de louange et de regrets du roi, de la nécessité urgente d’une administration, de son droit à la régence qui ne pouvoit être contesté, du soin qu’il auroit d’éclairer ses bonnes intentions par leurs lumières ; et subitement les regarder tous en leur disant avec un air de confiance, mais d’autorité : « Je ne soupçonne pas qu’aucun de vous s’y oppose ; » se lever, gracieuser un chacun, les convier de se trouver l’après-dînée au parlement, et si le roi mouroit le soir, ne faire cette assemblée que le lendemain matin, pour ne laisser pas la nuit au duc du Maine à cabaler le parlement, et au premier président d’y haranguer. Arrivé droit au parlement, lui dire qu’il vouloit par l’estime qu’il avoit pour la compagnie, sans rien de plus, leur venir faire part lui-même et se condouloir avec eux de la perte que la France venoit de faire, et de la régence qui lui échéoit par le droit de sa naissance, et les assurer du soin qu’il auroit de se faire éclairer de leurs lumières dans les besoins qu’il en auroit ; que, pour commencer à leur témoigner le désir qu’il en avoit, il leur communiquoit le plan qu’il estimoit le meilleur après M. le duc de Bourgogne, dans la cassette duquel il avoit été trouvé, et déclarer là les conseils sans nommer personne. Abréger matière, et finir la séance.

Comme la régence étoit faite et déclarée avant que d’y entrer, les gens du roi n’auroient point eu à parler, ni le parlement à opiner ni rendre d’arrêt. Si M. du Maine s’étoit mis en devoir de parler, l’interrompre et lui dire que c’étoit à lui moins qu’à personne à vouloir contredire ce qui s’étoit fait comme dans toutes les régences précédentes à celle des deux dernières reines, dont le cas particulier de chacune d’elles demandoit la forme qu’elles avoient prise, qu’elle étoit trop nouvelle et trop différente de celle de tous les temps pour avoir la force de la changer par ces deux seuls exemples, et qu’après toutes les choses inouïes qu’il avoit obtenues, il devoit éviter avec soin de parler de ce qui étoit de règle, comme de ce qui n’y étoit pas, et sans attendre de réponse, lever la séance. Si le premier président avoit voulu parler sur la même chose, l’interrompre pareillement, lui dire qu’il marqueroit toujours au parlement toute l’estime et la considération qu’il méritoit, mais qu’il ne croiroit jamais que l’équité et la sagesse de la compagnie exigeât que ce fût aux dépens des droits de sa naissance et de ceux à qui il s’étoit adressé, ni qu’elle pût prétendre que deux exemples uniques et modernes prescrivissent une règle ignorée jusque-là de toute l’antiquité, et pareillement lever la séance ; en se levant, passer les yeux sur tout le monde, et se faire suivre par tous les pairs, intéressés ainsi que les officiers de la couronne à soutenir ce qui s’étoit passé avec eux. Si le roi avoit fait des dispositions, ajouter qu’il auroit toujours tout le respect pour la mémoire du roi, et tous les égards qu’il lui seroit possible pour ses volontés, mais que tous les siècles apprenoient que toute l’autorité personnelle des rois finissoit avec eux, qu’ils n’en ont aucune sur une régence dont personne ne peut prendre prétexte par sa naissance de partager l’autorité ; que ce seroit manquer à ce qu’il se doit à soi-même de souffrir que son honneur, sa fidélité pour la personne du roi, son attachement au bien de l’État demeurassent soupçonnés, et par son propre aveu, en se soumettant à des dispositions inspirées par l’ambition de qui avoit voulu profiter de la faiblesse de l’âge et des approches de la mort ; que les dispositions si sages et si utiles de Charles V et de Louis XIII n’avoient eu aucun effet ; que celles de Louis XIV, qui étoit bien éloigné des circonstances qui avoient porté ces deux grands rois à les faire, ne pouvoient donc être plus recommandables que les leurs, ni avoir un sort plus consistant ; qu’en un mot, celles de ces deux princes n’alloient qu’à maintenir le bon ordre et le repos de l’État ; que celles du roi n’y pourroient mettre que du trouble, dont il n’est pas juste que l’État soit menacé ni travaillé pour l’ambition particulière de quelques-uns, et pour exécuter aveuglément les dernières volontés du roi en matière d’État, quand celles de pas un de ses nombreux prédécesseurs qui en avoient laissé n’avoient jamais été considérées un seul moment, et étoient tombées avec eux. Cela dit, lever la séance.

Je représentai à M. le duc d’Orléans que s’il avoit affaire à un duc de Guise pour l’ambition, le duc du Maine n’avoit ni le parti ni les soutiens étrangers, ni le personnel des Guise ; que c’étoit un homme timide à qui il falloit imposer et à son premier président tout d’abord ; que cela seul les feroit trembler, et que dans le très peu de gens sur lesquels ce fantôme de Guise se flattoit de pouvoir compter dans le décri où étoit sa personne, et l’indignation publique de tout ce à quoi il étoit parvenu, il n’y en auroit aucun qui, sur un appui aussi odieux et aussi frêle, osât lever la tête contre un régent unique en sa naissance, dont la valeur étoit connue, et qui savoit montrer le courage d’esprit que je lui conseillois, et la fermeté qui seroit son salut, et qui fonderoit sa gloire et son autorité entière et paisible pour tout le cours de sa régence. Que le parlement, adroit à se prévaloir de tout, mais n’ayant personne pour soi par l’intérêt des pairs et des officiers de la couronne, qui se trouveroient engagés d’honneur par ce qui se seroit passé le matin avec eux sur la régence à Versailles, sentiroit promptement son impuissance et l’embarras du fond et de la forme : du fond, d’ériger en loi, lui tout seul, deux exemples récents contraires à tous ceux qui les avoient précédés, et deux exemples singuliers par leurs circonstances et les conjonctures, et de se roidir à faire passer en règle les dispositions de Louis XIV odieuses par elles-mêmes, contre l’exemple constant de toutes les autres dispositions pareilles, dont pas une n’avoit eu le moindre effet, quoique si sages et si nécessaires ; de la forme, par leur incompétence, reconnue par eux-mêmes, de délibérer, encore moins de statuer rien en matière d’État qu’avec les pairs et par leur présence et concours, et mandés pour ce par le roi, ou en minorité par le régent ; et si dans des temps de trouble le parlement entraîné contre la cour avoit quelquefois voulu entreprendre de se mêler d’affaires d’État ou de gouvernement, ce n’avoit jamais été qu’au moyen et à l’ombre de la présence des pairs, et quelquefois des officiers de la couronne qu’il envoyoit convier d’y venir prendre leurs places, chose qui n’étoit pas à craindre en cette occasion, par l’intérêt des pairs, et des officiers de la couronne de ne se prêter pas au dessein de détruire leur droit autant qu’il étoit en eux, et leur ouvrage, pour soumettre l’un et l’autre aux magistrats qui n’en avoient aucun ; que, pour quelques-uns d’eux qui, en très petit nombre, se trouveroient nommés dans les dispositions, la jalousie du grand nombre qui n’y auroit point de part l’empêcheroit de se prêter à soutenir cette disposition et les entreprises du parlement contre eux-mêmes, encore moins quand la déclaration des conseils, sans nommer personne, leur montreroit un bien plus grand nombre de places considérables à remplir, et à y succéder par vacance, que les dispositions du roi n’en auroient établi, dont l’espérance encore les retiendroit tous, et le choix achèveroit de les attacher à lui. Enfin que je m’attendois bien aux plaintes du parlement, mais qu’elles seroient si semblables à celles qu’il fit sur la majorité de Charles IX et l’interprétation de la loi de Charles V faite au parlement de Rouen, que je comptois aussi que l’effet et la fin en seroit toute pareille, ce qui diminueroit d’autant le nom, le crédit, l’autorité du parlement, à l’augmentation du pouvoir du régent, et rendroit cette ardente compagnie d’autant plus retenue à entreprendre.

J’ajoutai un détail des pairs et des officiers de la couronne qui le devoit bien rassurer, outre l’esprit qui régnoit alors si peu favorable aux bâtards, par conséquent aux dispositions que le roi ne pourroit avoir faites qu’en leur faveur. Je fus d’avis que sur tout ce qui ne toucheroit ni l’État ni le gouvernement en aucune sorte, M. le duc d’Orléans se fit honneur d’en faire un entier à ces mêmes dispositions du roi, non pas comme faisant loi et par nécessité de les suivre, mais par un respect volontaire et bienséant, par sa propre autorité à lui, et pour s’éloigner de la bassesse de porter des coups au lion mort. Par la même raison, je fus d’avis que Mme de Maintenon jouît pleinement, et son Saint-Cyr, de tout ce que ces dispositions auroient fait en leur faveur, et que s’il n’y en avoit point, que toute liberté lui fût laissée de se retirer où elle voudroit, et que rien de pécuniaire qu’elle désireroit ne lui fût refusé. Il n’y avoit plus rien à craindre de cette fée presque octogénaire ; sa puissante et pernicieuse baguette étoit brisée, elle étoit redevenue la vieille Scarron. Mais je crus aussi qu’excepté liberté et le pécuniaire personnel, tout crédit et toute sorte de considération lui devoient être soigneusement ôtés et refusés. Elle avoit mérité bien pis de l’État et de M. le duc d’Orléans.

Parmi ces mesures, je n’oubliai pas celles que, dispositions du roi faites ou non, la prudence devoit inspirer. C’étoit de s’assurer du régiment des gardes, ce qui étoit fort aisé avec le duc de Guiche pour de l’argent. Contade, qui le gouvernoit et qui de plus étoit fort accrédité dans le régiment, étoit honnête homme et bien intentionné, et depuis longtemps je m’étois attaché à gagner Villars qui n’étoit qu’un avec Contade, et qui avoit son crédit personnel sur le duc de Guiche. J’ai déjà parlé de ces deux hommes. S’assurer de Reynold, colonel du régiment des gardes suisses, le premier et le plus accrédité de ce corps et qui le menoit, fort homme d’honneur et peu content en secret du joug du duc du Maine ; s’attacher Saint-Hilaire, qui pour l’artillerie étoit au même point que Reynold dans les Suisses ; et ne pas négliger d’Argenson. Tout cela fut fait, et avec cela rien à craindre dans Paris, ni du parlement qui se trouveroit environné du régiment des gardes quand le régent y irait. Rien à faire dans les provinces, où personne n’avoit d’autorité, qui toutes étoient indignées de la grandeur des bâtards et qui n’oseroient branler. Pour les frontières, du Bourg, qui commandoit en Alsace, étoit honnête homme, sans liaisons de cour, qui vouloit le bâton de maréchal de France qu’il avoit bien mérité, et qui lui viendroit bien plus naturellement par le régent que par des troubles ; ainsi des vues et de la situation des autres principaux des frontières. Il ne restoit donc qu’à avoir du courage, de la suite, du sang-froid, un air de sécurité, de bonté, mais de fermeté, et à marcher tranquille et tête levée aussitôt que la mort du roi ouvriroit cette grande scène.

Je m’aperçus aisément que M. le duc d’Orléans étoit peiné de trouver tant d’évidence aux raisons dont j’appuyois la proposition que je lui faisois de se passer du parlement pour sa régence. Il m’interrompit souvent dans les diverses conversations qui roulèrent là-dessus ; il avouoit que j’avois raison, mais il ne pouvoit ni contester mon avis ni s’y rendre, quoiqu’il ne le rejetât pas. Il falloit, pour l’embrasser utilement, plus de nerf, de résolution et de suite que la nature n’en avoit mis en lui, plus savoir payer d’autorité, de droit, d’assurance par soi-même et sur le pré, et vis-à-vis des gens et sans secours d’autrui, qu’il n’étoit en lui de le faire. Je me contentai de lui inculquer ce que je pensois, et les raisons de se conduire comme je le pensois, à diverses reprises, sans le presser au delà de ce qu’il en pouvoit porter. Sa défiance, qui n’avoit point de bornes, m’arrêta dans celles-ci. Je crus voir qu’elle venoit au secours de sa faiblesse, et que, pour se la cacher à lui-même, il se persuada que je voulois me servir de lui en haine du parlement, par rapport à l’affaire du bonnet, et revendiquer le droit des pairs par rapport à la régence sur l’usurpation moderne du parlement. L’expérience de ce qui s’y passa sur sa régence le fit repentir de ses soupçons, et de s’être laissé entraîner à des gens peu fidèles que sa faiblesse favorisa, et qui le jetèrent dans le dernier péril de se perdre avant de commencer d’être, comme on le verra en son lieu. Ces gens étoient Maisons, Effiat, deux scélérats dévoués au duc du Maine et au parlement ; Canillac, gouverné par l’encens de Maisons, devenu par là son oracle ; peut-être Nocé, par ignorance, ébloui du nom du parlement.

Nocé étoit un grand homme, qui avoit été fort bien fait, qui avoit assez servi pour sa réputation, qui avoit de l’esprit et quelque ornement dans l’esprit, et de la grâce quand il vouloit plaire. Il avoit du bien assez considérablement, et n’étoit point marié, parce qu’il estimoit la liberté par-dessus toutes choses. Il étoit fort connu de M. le duc d’Orléans, parce qu’il étoit fils de Fontenay, qui avoit été son sous-gouverneur, et il lui avoit plu par la haine de toute contrainte, par sa philosophie tout épicurienne, par une brusquerie qui, quand elle n’alloit pas à la brutalité, ce qui arrivoit assez souvent, étoit quelquefois plaisante sous le masque de franchise et de liberté ; d’ailleurs un assez honnête mondain, pourtant fort particulier. Il étoit fort éloigné de s’accommoder de tout le monde, fort paresseux, ne se gênoit pour rien, ne se refusoit rien. Le climat, les saisons, les morceaux rares qui ne se trouvoient qu’en certains temps et en certaines provinces, les sociétés qui lui plaisoient, quelquefois une maîtresse ou la salubrité de l’air l’attiroient ici et là, et l’y retenoient des années et quelquefois davantage. D’ailleurs poli, vouloit demeurer à sa place, ne se soucioit de rien que de quelque argent, sans être trop avide, pour jeter librement à toutes ses fantaisies, dont il étoit plein en tout genre, et à pas une desquelles il ne résista jamais. Tout cela plaisoit à M. le duc d’Orléans, et lui en avoit acquis l’amitié et la considération. C’étoit un de ceux qu’il voyoit toutes les fois qu’il alloit à Paris, quand Nocé y étoit lui-même, avec lesquels tous je n’avois ni liaison ni connoissance, parce que je ne voyois jamais M. le duc d’Orléans à Paris, et que ces personnes-là ne venoient jamais à Versailles. Depuis la régence, je n’eus guère plus de commerce avec eux. Leur partage étoit les soupers et les amusements du régent, le mien les affaires, sans aucun mélange avec ses plaisirs.


  1. Il s’agit de la prise de Corbie par les Espagnols, en 1636.
  2. Concini, plus connu sous le nom de maréchal d’Ancre.