Mémoires (Saint-Simon)/Tome 14/Notes

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NOTES.


I. CAUSES DE LA DISGRÂCE DE FOUQUET. — SON PROCÈS.


Page 112.


Saint-Simon parlant de la disgrâce de Fouquet, dit que la principale cause de son malheur fut un peu trop de galanterie et de splendeur. Le jugement de l’histoire est plus sévère. Tout le monde sait que le château de Vaux[1] coûta des sommes énormes, et que Louis XIV indigné fut sur le point de faire arrêter Fouquet au milieu des fêtes qu’il donnoit à la cour. Quant à la galanterie de Fouquet, il suffira de rappeler, que les lettres trouvées dans sa cassette ne furent pas toutes détruites, comme on l’a souvent répété ; elles existent encore pour la plupart, et attestent les folles prodigalités du surintendant[2]. On prétend que Fouquet, enivré de sa fortune, osa élever ses prétentions jusqu’à Mlle de La Vallière. Cette accusation, reproduite dans quelques Mémoires du temps[3], reçoit une nouvelle confirmation de la lettre suivante qu’une des entremetteuses de Fouquet lui écrivoit[4] :

« Je ne sais plus ce que je dis ni ce que je fais lorsqu’on résiste à vos intentions. Je ne puis sortir de colère lorsque je songe que la petite demoiselle de La Vallière a fait la capable avec moi. Pour captiver sa bienveillance, je l’ai assurée sur sa beauté, qui n’est pourtant pas grande [5] ; et puis lui ayant fait connoître que vous empêcheriez qu’elle manquât jamais de rien, et que vous avez vingt mille pistoles pour elle, elle se gendarma contre moi, disant que deux cent cinquante mille livres n’étoient pas capables de lui faire faire un faux pas ; et elle me répéta cela avec tant de fierté, quoique je n’aie rien oublié pour l’adoucir avant de me séparer d’elle, que je crains fort qu’elle n’en parle au roi, de sorte qu’il faut prendre des devants pour cela [6]. Ne trouvez-vous pas à propos de dire, pour la prévenir, qu’elle vous a demandé de l’argent et que vous lui en avez refusé ? Cela rendra suspectes toutes ses plaintes. Pour la grosse femme [7], Brancas et Grave vous en rendront bon compte ; quand l’un la quitte, l’autre la reprend. Enfin je ne fais point de différence entre vos intérêts et mon salut. En vérité, on est heureux de se mêler des affaires d’un homme comme vous ; votre mérite aplanit tous les obstacles. Si le ciel vous faisoit justice, nous vous verrions un jour la couronne fermée. »

La couronne fermée étoit un signe de souveraineté, et on peut se figurer l’indignation du jeune roi à la lecture d’une lettre qui lui montroit dans son ministre un rival d’amour et de puissance. Je n’insiste pas sur les expressions injurieuses dont l’entremetteuse se servoit pour désigner la mère de Louis XIV. Cette princesse avoit encore une haute influence, et Fouquet s’étoit efforcé de la gagner peu de temps avant la mort du cardinal Mazarin, qui arriva en mars 1661.

Une lettre écrite de la main même de Fouquet renferme les propositions qu’il lui faisoit adresser [8].

« On ne veut point, disoit le surintendant, que la bonté qu’elle a lui soit à charge ; on aime mieux prendre tout sur soi que de la commettre. Si on a quelques sentiments ou quelque conduite qu’elle n’approuve pas, on lui demande en grâce de le dire. Un mot réglera tout sur le pied qu’il lui plaira. On conjure d’accorder sa confiance et de faire connoître toutes les choses qu’elle affectionnera, de quelque nature qu’elles soient, et celles qu’elle voudra faire réussir sans y paroître, et on demande cela avec la plus grande instance du monde, n’ayant point de plus forte passion que de rendre quelque service agréable, et le zèle n’empêchera pas que l’on ait la discrétion nécessaire. Tout le monde appréhende la domination nouvelle de M. le Prince (Louis de Bourbon), et que Son Éminence ne puisse résister à ses flatteries [9], et que l’on ait le déplaisir de le voir, sous divers prétextes, triompher de ceux qui ont servi longtemps contre lui. Secret et dissimulation, sans exception, à tout le monde. M. Le Tellier vit fort honnêtement, en apparence, mais peut avoir jalousie et craindre que la faveur n’aille d’un autre côté. Si elle trouve bon qu’on lui rende compte de ce qu’on apprend, ou s’il y a quelque chose dont elle désire savoir la vérité, en s’ouvrant un peu, on tâchera de la satisfaire. »

Fouquet ne paroît pas avoir réussi à gagner Anne d’Autriche. Il prit alors les plus minutieuses précautions pour pénétrer ses secrets il l’entoura d’espions et gagna jusqu’à son confesseur. Nous avons les lettres d’un anonyme qui servoit d’intermédiaire entre Fouquet et le cordelier confesseur de la reine. En voici quelques extraits :

« Le cordelier dit hier [10] à la personne dont j’ai parlé à monseigneur que la reine mère lui avoit conté un mécontentement qu’elle avoit eu du roi, sur ce que l’autre jour, entrant fort brusquement dans sa chambre, il lui fit reproche de ce qu’elle avoit prié M. de Brienne [11] de quelque affaire, et qu’il lui dit en propres termes et fort en colère : Madame, ne faites plus de pareilles choses sans m’en parler ; qu’à cela la reine ne répondit rien et ne fit que rougir. Il a encore dit que Monsieur [12] se plaignoit, et qu’il avoit dit depuis à quelqu’un que le roi le traitoit comme un chien. Au reste, il assure que la reine mère croit que M. le Prince [13] pense fort à se mettre dans les affaires ; qu’elle dit avoir remarqué une patience extrême en lui pour faire sa cour ; que le roi l’estime fort, et que, sur toutes les choses qu’il fait, il demande aux gens si M. le Prince les approuve. Il est même très constant qu’il tâche à cabaler. Il a été voir ce bonhomme de cordelier ; et la reine mère, quoiqu’elle ait une furieuse défiance de lui, l’aimeroit encore mieux que rien ; car il la recherche. Je tâcherai d’écrire quelque chose à monseigneur du P. Annat [14] ; mais comme c’est un homme fort réservé, je n’ose rien promettre. »

Peu de jours après, le même espion écrivoit à Fouquet :

« Je n’ai point osé m’empresser ce matin à vous suivre pour vous apprendre, monseigneur, ce que le bon religieux que vous savez me dit hier. J’en appris, entre autres choses, qu’il croyoit qu’il pourroit bien n’y avoir plus de conseil de conscience ; et qu’il y avoit deux jours que quelqu’un donna avis et envie au roi de voir une lettre que ces messieurs du conseil de conscience écrivoient à Rome par son ordre. Le paquet étant déjà entre les mains du courrier, fut reporté au roi, qui trouva que, dans cette lettre qu’il n’avoit point vue, ces messieurs écrivoient qu’ils tenoient le roi dans l’obéissance exacte qu’il devoit au saint-siège, et s’attribuoient comme la gloire de le gouverner. Cela le choqua extrêmement, et, jaloux comme il est de son autorité, il parut si irrité qu’il protesta qu’il ne les assembleroit plus.

« Au reste, Mme de Chevreuse [15] continue toujours à faire de grandes recherches à ce bonhomme-ci ; mais assurément cela ne servira de rien, et vous apprendrez précisément tout ce qu’elle lui dira. Il persiste à croire ce que je vous ai écrit du roi et de Mlle de La Vallière, et pense que ce : qu’il en dit il y a quelque temps est absolument vrai.

« Comme j’ai appris depuis peu que le P. Leclerc, que je pensois qui devoit être confesseur du roi après le P. Annat, le sera de Monsieur, je puis vous assurer que si cela est de quelque chose, j’aurai des habitudes et des liaisons aussi étroites avec lui que j’en ai auprès du bon père. »

L’influence de Mme de Chevreuse inquiétoit particulièrement Fouquet, et il chargea la personne qui lui transmettoit ces renseignements de découvrir les projets de cette dame. Il en reçut, le 21 juillet 1661, la réponse suivante :

« Je n’ai pu rien savoir de plus particulier de chez Mme de Chevreuse ; mais depuis peu le bonhomme de confesseur est venu ici pour voir la personne dont j’ai eu l’honneur de vous parler autrefois. Il lui a conté tout ce qu’il savoit, et, entre autres choses, lui a dit que depuis quelque temps Mme de Chevreuse lui avoit fait de grandes recherches ; qu’elle lui avoit envoyé Laigues [16] plusieurs fois ; qu’il lui avoit parlé fort dévotement pour le gagner, mais surtout qu’il lui avoit parlé contre vous, monseigneur. Je ne m’étendrai point de quelle sorte ; car ce bonhomme-ci a dit qu’il l’avoit conté à M. Pellisson [17]. Il me suffira donc de vous faire savoir sur cela que le bonhomme de cordelier se plaint un peu de ce qu’en faisant un éclaircissement à la reine mère, vous l’aviez comme cité ; et que lui disant qu’elle alloit à Dampierre [18] parmi vos ennemis, et qu’on lui avoit dit des choses contre vous, comme elle niait qu’on lui eût jamais parlé de cette sorte, vous lui dites de le demander au père confesseur ; que le lendemain la reine lui avoit dit qu’elle ne pouvoit comprendre comment vous saviez toutes choses, et que vous aviez des espions partout.

« La reine a encore dit qu’elle voyoit une cabale dans la cour fort méchante qu’elle ne connoissoit point et qu’elle ne pouvoit encore pénétrer [19] ; qu’elle a su que depuis peu on avoit fait coucher le roi avec une jeune personne, de laquelle ce bonhomme n’a pu redire le nom ; et que la reine avoit encore ajouté que le roi se relâchoit fort sur la dévotion ; qu’il ne se confessoit ni ne communioit pas si souvent, et que le P. Annat étoit un pauvre homme, et si timide qu’il n’osoit dire aucune chose au monde au roi, de peur que cela n’allât contre ses intérêts.

« Il a encore dit que la reine mère, en parlant des mécontentements qu’elle avoit sur Madame [20], lui avoit assuré qu’elle étoit une profonde coquette et une artificieuse ; mais qu’aussi la jeune reine [21] lui donnoit bien de la peine avec ses larmes et toutes ses façons de faire.

« Elle a ajouté encore que depuis peu le roi lui avoit dit que M. le cardinal, en mourant lui avoit protesté, en lui parlant contre elle, qu’elle ne se passeroit jamais d’homme [22] ; qu’il prît garde à elle, et qu’assurément elle feroit un mariage de conscience avec quelqu’un. Au reste, ce bonhomme assure que la reine mère reçoit tous les jours des avis contre tous les ministres, et que tantôt vous ôtes bien et tantôt mal dans son esprit ; qu’on vous y rend souvent de très méchants offices, et que dans ces temps-là elle est fort déchaînée contre vous. »

Ce correspondant de Fouquet lui donnoit quelquefois de bons conseils. Il lui écrivoit le 2 août 1661 :

« Le zèle, et la passion extrême que j’ai pour voire service, monseigneur, m’avoient fait penser en général, comme à plusieurs de vos serviteurs, qu’il ne vous seroit point avantageux en aucune sorte de vous défaire de votre charge de procureur général. Cependant, par la connoissance et par l’admiration que j’ai pour votre prudence et pour votre jugement, j’étois entièrement, persuadé qu’il n’y avoit rien de mieux, et que personne ne pouvant aller si loin ni juger si bien par ses propres lumières que vous, vous ne deviez prendre conseil que de vous-même. Cependant, monseigneur, j’ai appris aujourd’hui que vos ennemis sont ceux-là mêmes qui souhaitent avec passion que vous fassiez ce que vous avez résolu en cette rencontre ; que ce sont eux qui vous y portent sous main, et que vous devez même vous défier du bon accueil et du bon visage que vous fait le roi, et des vues qu’on vous donne sur d’autres choses.

« Mme de Chevreuse a été ici, et l’on m’a promis de m’apprendre des choses qui vous sont de la dernière conséquence sur cela, sur le voyage de Bretagne [23], sur certaines résolutions très secrètes du roi, et sur des mesures prises contre vous. Comme je n’ai pas voulu paroître fort empressé pour savoir ce qu’on avoit à me dire, je n’ai pas osé presser la personne qui m’a parlé, ni m’opiniâtrer à demander une chose que je saurai demain naturellement et sans affectation.

« La reine mère dit dimanche dernier, sur vous, que M. le cardinal avoit dit au roi que si l’on pouvoit vous ôter les bâtiments et les femmes de la tête, vous étiez capable de grandes choses ; mais que surtout il falloit prendre garde à votre ambition ; et c’est par là qu’on prétend vous nuire. J’ai compris aussi que, de plusieurs personnes qui vous rapportent ce qu’ils peuvent attraper, il y en a beaucoup qui s’y gouvernent étourdiment, et qui font les choses d’une manière qui fait voir qu’ils ne veulent savoir que pour vous rapporter ce qu’ils savent. Ce qui a fait dire à la reine mère, encore depuis peu, que vous aviez des espions partout. »

La lettre suivante contenoit encore des avis menaçants sur les dispositions du roi :

« L’on me dit hier qu’il y a peu de jours la reine mère, en parlant de vous, monseigneur, dit : « Il se croit à cette heure bien mieux que M. D. à la charge de maître de la chapelle du roi, qu’on a achetée trois fois plus qu’elle ne valoit ; il verra, il verra à quoi cela lui a servi, et ce qu’a fait sur l’esprit du roi tout l’argent qu’il a baillé de sa propre bourse pour le marquis de Créqui [24]. Le roi aime d’être riche, et n’aime pas ceux qui le sont plus que lui, puisqu’ils entreprennent des choses qu’il ne sauroit faire lui-même, et qu’il ne doute point que les grandes richesses des autres ne lui aient été volées. »

« Mme de Chevreuse, lorsqu’elle fut ici, fut voir deux fois le confesseur de la reine mère. Cependant ce bonhomme cacha cela à M. Pellisson, qui, l’ayant été voir, lui demanda s’il ne l’avoit point vue ; ce qu’il lui nia, comme il a dit depuis. Il a encore dit ici des choses qu’il a données sous un fort grand secret, et qui sont de très grande conséquence. La personne qui les sait fait difficulté de me les dire, parce que Mme de Chevreuse y est mêlée, et que lui étant aussi proche, elle a peine à me les dire. Je ne manquerai point de vous les apprendre lorsque je les saurai, ne doutant point qu’on ne me les dise enfin. Si M. Pellisson voit le bonhomme, il ne faut pas qu’il fasse l’empressé avec lui, ni qu’il témoigne savoir ce qu’il n’a pas voulu lui dire. »

Ces avis n’arrêtèrent point Fouquet dans la voie qui le menoit à l’abîme. Il crut, après la mort de Mazarin (9 mars 1661), que la puissance du cardinal alloit passer tout entière entre ses mains. La plupart de ses partisans l’entretenoient dans cette illusion ; leurs lettres apprennent qu’ils le nommoient l'Avenir, et voyoient déjà en lui l’arbitre de la France. L’un d’eux lui écrivoit (le Bordeaux, le 29 août 1661, quelques jours avant son arrestation : « Si les ennemis de monseigneur ont fait courir des bruits à son désavantage, ils sont bien punis. Tout le monde présentement, dans ces provinces, ne parle que du crédit qu’il a sur l’esprit du roi, et dit cent choses avantageuses que je ne puis mettre sur ce papier. »

Jusqu’à quel point Fouquet porta-t-il ses vues ambitieuses ? Voulut-il, comme on l’a souvent répété, faire de Belle-Ile une forteresse, où il auroit pu, en cas de disgrâce, braver l’autorité du roi ? On ne peut nier l’authenticité du plan trouvé dans ses papiers pour fortifier cette île et prendre toutes les mesures nécessaires afin de se mettre à l’abri de la vengeance du roi. Jamais ni Fouquet ni ses défenseurs n’ont prétendu que ce plan eût été inventé par leurs ennemis. On voit d’ailleurs, par les lettres adressées au commandeur de Neuchèse [25], que Fouquet comptoit sur les galères de cet amiral, et que Neuchèse faillit être compromis dais son procès [26]. Il se tint même caché pendant quelque temps, comme le prouve la lettre suivante, que lui adressoit le duc de Beaufort à la fin d’octobre 1661 : « Monsieur, vous vous tenez fort caché sur tous les bruits qui ont couru à la cour, et les démarches de votre secrétaire sont cause que ces bruits se confirment, Pour moi, comme votre ami, lorsqu’on parle, je réponds des épaules, et je ne sais que dire, puisque vous vous êtes caché de moi comme des autres. Vous êtes bon et sage, mais la Toussaint vous trouve encore non embarqué. Croyez que cela vous fait grand tort, et plus que je ne vous le saurois dire. Remédiez-y promptement [27]. » L’affaire du commandeur de Neuchèse fut étouffée ; mais les lettres que nous venons de citer confirment les soupçons qu’avoit inspirés le plan trouvé à Saint-Mandé, dans la maison de Fouquet. Neuchèse y est indiqué comme s’étant engagé à servir le surintendant envers et contre tous.

D’ailleurs les dilapidations de Fouquet étoient parfaitement établies, et Louis XIV n’avoit que trop de motifs pour le livrer à la rigueur de la chambre de justices ; mais la violence que l’on mit dans la poursuite, les efforts des amis de Fouquet, la pitié qui s’attache naturellement au malheur, la longueur même dû procès, concilièrent peu à peu au surintendant l’opinion publique. On voulut exercer sur les juges, et principalement sur l’un des rapporteurs, Olivier d’Ormesson, une influence inique. D’Ormesson lui-même raconte, dans son journal inédit, la démarche que fit Colbert auprès de son père [28] pour se plaindre de la longueur du procès. Voici ce passage important :

« Samedi [3 mai 1664], étant après le dîner avec mon père dans son cabinet, et le P. d’Ormesson [29], auquel je faisois entendre qu’il ne devoit plus avoir aucun commerce avec Berryer [30], parce qu’il abusoit de sa franchise, et lui faisoit dire bien des choses au delà de celles qu’il avoit dites, et en prenoit avantage, et ayant fait entendre à mon père l’injustice de leur conduite, l’on nous vint dire que M. Colbert entroit. Nous étant retirés, il resta seul avec mon père près d’une demi-heure. Étant sorti avec un visage fort sérieux, mon père nous dit qu’après les premières civilités, il lui avoit dit qu’il avoit ordre du roi de lui venir dire qu’il reconnoissoit que je n’apportois pas toutes les facilités que je pouvois pour terminer le procès de M. Fouquet, et qu’il sembloit, que j’affectois la longueur ; que le roi étoit persuadé que je ferois justice au fond, et ne prétendoit pas contraindre mes sentiments ; mais qu’il vouloit faire finir ce procès ; que la chambre de justice ruinoit toutes les affaires, et qu’il étoit fort extraordinaire qu’un grand roi, craint et le plus puissant de toute l’Europe, ne pût pas faire achever le procès à un de ses sujets, comme M. Fouquet ; qu’à cela il (mon père) lui avoit répondu qu’il étoit bien fâché que le roi ne fût pas satisfoit de ma conduite ; qu’il savoit que je n’avois que de bonnes intentions ; qu’il m’avoit toujours recommandé la crainte de Dieu, le service du roi, et la justice sans acception de personnes ; que la longueur du procès ne venoit pas de moi, mais parce qu’il étoit fort grand, et qu’on l’avoit rempli de trente, ou quarante chefs d’accusation, où il n’en falloit que deux ou trois ; qu’un prédicateur qui prêchoit la passion n’étoit pas trop long parlant trois heures, et quoique les autres sermons ne fussent que d’une heure ; qu’il faudroit que j’eusse perdu le sens de chercher à plaire à M. Fouquet, dont la fortune étoit abîmée, et déplaire au roi, qui avoit toutes les grâces en ses mains ; mais que je ne cherchois que la justice ; que tous mes avis étoient suivis dans la chambre ; que ceux mêmes qui ne l’avoient pas été d’abord l’avoient été depuis ; que même il apprenoit de tous côtés que je me conduisois de sorte que l’on ne pouvoit découvrir mes sentiments ; que sur, cela M. Colbert lui avoit dit que l’on remarquoit pourtant que je disois plus fortement et plus gaiement les raisons de M. Fouquet que celles du procureur général ; qu’il lui avoit répliqué qu’un rapporteur étoit obligé de faire valoir toutes les raisons ; que l’on m’avoit ôté l’intendance de Soissons, mais que je ne m’en plaindrois pas, et que cela ne m’empêcheroit pas de faire justice ; qu’il avoit peu de biens et moi aussi, mais que nous les avions de, nos pères et que nous en étions contents ; qu’il m’avoit toujours conseillé de faire justice sans acception de personnes et sans considération d’intérêt et de fortune ; et qu’ayant parlé des personnes qui me faisoient visite, M. Colbert avoit dit qu’on n’étoit pas en peine de cela, et qu’on savoit bien que je ferois justice, mais qu’on ne désiroit que l’expédition ; qu’il lui avoit répliqué que je faisois tout ce qui dépendoit de moi, travaillant soir et matin, et ne faisant autre chose ; et ainsi, après plusieurs discours de cette qualité, il s’étoit retiré.

« Je fus ravi que mon père lui eût, parlé si bien et si généreusement, et j’en allai faire aussitôt la relation à M. Le Pelletier [31], pour en informer M. Le Tellier, afin qu’il prît garde à la manière dont M. Colbert en parleroit. Nous fûmes ensemble le soir voir M. le premier président [32], qui étoit avec M. Colbert, et entretint ensuite M. le maréchal de Villeroy. Il fut fort surpris d’apprendre cette visite, qui est contre toutes les règles de la prudence. Là j’appris que M. Berryer étoit conseiller d’État ordinaire ; que le roi lui avoit donné une abbaye de six mille livres, et vouloit qu’il donnât le nom de ses enfants pour obtenir de Rome une dispense de tenir des bénéfices avant l’âge, et qu’il avoit mandé les procureurs généraux de la chambre [33] pour leur dire qu’il vouloit que M. Berryer eût connoissance de toutes les affaires de la chambre de justice, et qu’ils ne prissent aucunes conclusions que par son avis, et qu’il sollicitât tous les juges de la chambre de justice pour ses intérêts.

« Une conduite si bizarre et si extraordinaire m’oblige à dire ici les sentiments qu’on en a. Tout le monde blâme M. Colbert de se charger lui-même de messages désagréables ; d’avoir voulu voir lui-même M. Boucherat [34] pour faire plus d’éclat et augmenter l’injure, vu que la même chose se pouvoit faire doucement, sans bruit, et M. Le Tellier s’étant offert de lui parler ; d’avoir voulu venir encore lui-même parler à mon père, par le même principe ; que d’ôter [de la chambre de justice] M. Boucherat, homme de bien et de réputation, c’étoit faire connoître que ses intentions étoient mauvaises ; que de m’avoir ôté l’intendance de Soissons, étant rapporteur, c’étoit me faire honneur et se charger de honte, et faire croire qu’il désiroit de moi des choses injustes, et que j’avois assez d’honneur pour y résister ; que c’étoit achever de gâter le procès en faisant injure au rapporteur, et me mettant hors d’état de leur être favorable, quand j’en aurois le dessein ; car l’on attribueroit mes sentiments à crainte ou à intérêt, et non pas à justice ; et, pour comble, d’élever Berryer et le faire conducteur public de toutes les affaires de la chambre de justice, c’étoit faire gloire d’infamie et de honte ; car Berryer est le plus décrié des hommes. »

Cette intervention de Colbert avoit produit un effet plus défavorable qu’utile à la cause qu’il vouloit faire triompher. Les lettres de Mme de Sévigné suffiroient pour prouver à quel point l’opinion publique se déclaroit en faveur de Fouquet. Le Tellier lui-même en convint dans une visite que lui fit Olivier d’Ormesson [35] :

« Je fus dire adieu à M. Le Tellier, qui me fit entrer dans son jardin, et lui ayant témoigné lui avoir obligation de là manière dont je savois qu’il avoit parlé, il me dit mille civilités ; que tout ceci ne seroit rien, et qu’il ne falloit pas que je témoignasse aucun ressentiment ; mais que j’allasse toujours le même chemin, sans faire ni plus ni moins, afin que l’on ne crût pas que je fisse rien par crainte, ni aussi que je me voulusse venger. Il me parla ensuite du procès, des fautes qu’on y avoit faites, entra dans le détail, dit qu’on avoit fait la corde trop grosse ; qu’on ne pouvoit plus la serrer ; qu’il ne falloit qu’une chanterelle [36] ; me parla fort que M. le cardinal (Mazarin) n’avoit jamais pris un quart d’écu par le moyen de M. Fouquet ; mais qu’il avoit des prêts [37], et, pour son remboursement, avoit pris des recettes, sur lesquelles on lui donnoit la remise comme aux traitants, et lui n’en donnoit que peu, et ainsi avoit gagné beaucoup. »

Louis XIV lui-même eut occasion de s’expliquer avec les rapporteurs sur le procès, dont il blâmoit la lenteur. Il le fit avec une dignité qu’Olivier d’Ormesson s’empresse de reconnoître [38] :

« A trois heures, je fus avec M. de Sainte-Hélène [39] Il au château [40]. Nous trouvâmes le roi dans son cabinet avec MM. Colbert et Lyonne [41], et s’étant avancé près de la fenêtre, il nous dit ces mêmes paroles, autant que j’ai pu m’en souvenir :

« Lorsque j’ai trouvé bon que Fouquet eût un conseil libre, j’ai cru que son procès dureroit peu de temps ; mais il y a plus de deux ans qu’il est commencé, et je souhaite extrêmement qu’il finisse. Il y va de ma réputation. Ce n’est pas que ce soit une affaire de grande conséquence ; au contraire je la considère comme une affaire de rien ; mais dans les pays étrangers, où j’ai intérêt que ma puissance soit bien établie, l’on croiroit qu’elle ne seroit pas grande si je ne pouvois venir à bout de faire terminer une affaire de cette qualité contre, un misérable. Je ne veux néanmoins que la justice, mais je souhaite voir la fin de cette affaire de quelque manière que ce soit. Quand la chambre a cessé d’entrer, et qu’il a fallu transférer M. Fouquet à Moret, j’ai dit à Artagnan de ne plus lui laisser parler avec les avocats, parce que je ne voulois pas qu’il fût averti du jour de son départ. Depuis qu’il a été à Moret, je lui ai dit de ne les laisser communiquer avec lui que deux fois la semaine, et en sa présence, parce que je ne veux : pas que ce conseil soit éternel ; et j’ai su que les avocats avoient excédé leur fonction, avoient porté et reporté des paquets et tenu un autre conseil au dehors, quoiqu’ils s’en défendent fort ; et puis dans ce projet, par lequel il vouloit bouleverser l’État [42], il doit faire enlever le procès et les rapporteurs. C’est ce qui m’a fait donner cet ordre, et je crois que la chambre y ajoutera. Je m’en remets néanmoins à ce qu’elle fera sur la requête de M. Fouquet [43]. Je ne veux sur tout cela que la justice, et je prends garde à tout ce que je vous dis ; car, quand il est question de la vie d’un homme, je ne veux pas dire une parole de trop. La chambre donc ordonnera ce qu’elle jugera à propos. J’aurois pu vous dire mes intentions dès hier ; mais j’ai voulue voir la requête, et je me la suis fait lire avec application, et on est bien aise de savoir ce que l’on a à dire. Je vous ai dit mes intentions, et je vous rends la requête, afin que la chambre y délibère. »

« Après ce discours, le roi m’ayant donné la requête, je lui dis que nous ferions rapport à la chambre de ce qu’il avoit plu à Sa Majesté de nous dire, et nous nous retirâmes. Je ne veux pas omettre une circonstance qui me parut fort belle au roi, c’est qu’étant demeuré court au milieu de son discours, il demeura quelque temps à songer pour se reprendre, et nous dit : « J’ai perdu ce que je voulois dire, » et songea encore assez de temps ; et ne retrouvant point ce qu’il avoit médité, il nous dit : « Cela est fâcheux quand cela arrive ; car en ces affaires, il est bon de ne rien dire que ce qu’on a pensé. »

Il y a loin de cette parole mesurée et sérieusement réfléchie aux anecdotes que l’historien protestant La Hode a recueillies [44], et que M. de Sismondi a reproduites [45]. D’après ces écrivains, Louis XIV auroit personnellement sollicité Olivier d’Ormesson pour ce qu’il auroit appelé son affaire, et d’Ormesson lui auroit répondu : « Sire, je ferai ce que mon honneur et ma conscience me suggéreront. » Et pour rendre l’anecdote plus piquante, les inventeurs ont eu soin d’ajouter que d’Ormesson sollicitant dans la suite une grâce pour son fils. Louis XIV lui dit, comme parodiant les paroles du magistrat : « Je ferai ce que mon honneur et ma conscience me suggéreront. » Rien de plus faux que ces anecdotes. Il n’étoit ni dans le caractère de Louis XIV de descendre à des sollicitations personnelles, ni dans celui d’Olivier d’Ormesson de répondre au roi avec une hauteur insolente. Ce magistrat savoit concilier l’intègre observation de la justice et le respect pour l’autorité souveraine. Le résumé qu’il fait du procès en est une nouvelle preuve :

« Voilà ce grand procès fini, qui a été l’entretien de toute la France du jour qu’il a été commencé jusqu’au jour qu’il a été terminé. Il a été grand bien moins par la qualité de l’accusé et l’importance de l’affaire, que par l’intérêt des subalternes, et principalement de Berryer, qui y a fait entrer mille choses inutiles et tous les procès-verbaux de l’épargne, pour se rendre nécessaire, le maître de toute cette intrigue, et avoir le temps d’établir sa fortune ; et comme, par cette conduite, il agissoit contre les intérêts de M. Colbert, qui ne demandoit que la fin et la conclusion, et qu’il le trompoit dans le détail de tout ce qui se faisoit, il ne manquoit pas de rejeter les fautes sur quelqu’un de la chambre : d’abord ce fut contre les plus honnêtes gens de la chambre, qu’il rendit tous suspects, et les fit maltraiter par des reproches publics du roi ; ensuite il attaqua M. le premier président, et le fit retirer de la chambre et mettre en sa place M. le chancelier. Après il fit imputer toute la mauvaise conduite de cotte affaire à M. Talon [46], qu’on ôta de la place de procureur général avec injure ; et enfin, la mauvaise conduite augmentant, les longueurs affectées par lui continuant, il en rejeta tout le mal sur moi ; il me fit ôter l’intendance de Soissons, il obligea M. Colbert à venir faire à mon père des plaintes de ma conduite ; et enfin l’expérience ayant fait connoître qu’il étoit la véritable cause de toutes les fautes, et les récusations ayant fait voir ses faussetés, les procureurs généraux Hotman et Chamillart lui firent ôter insensiblement tout le soin de cette affaire, et dans les derniers mois il ne s’en mêloit plus, et pour conclusion il est devenu fou [47], et ainsi le procès s’est terminé ; et je puis dire que les fautes importantes dans les inventaires, les coups de haine et d’autorité qui ont paru dans tous les incidents du procès, les faussetés de Berryer et les mauvais traitements que tout le monde, et même les juges, recevoient dans leur fortune particulière [48], ont été de grands motifs pour sauver M. Fouquet de la peine capitale ; et la disposition des esprits sur cette affaire a paru par la joie publique, que les plus grands et les plus petits ont fait paroître du salut de M, Fouquet, jusques à un tel excès qu’on ne le peut exprimer, tout le monde donnant des bénédictions aux juges qui l’ont sauvé, et à tous les autres des malédictions et toutes les marques de haine et de mépris, les chansons contre eux commençant à paroître [49] ; et je suis surpris qu’y ayant quinze jours passés que cette histoire est finie, le discours n’en finit point encore, et l’on en parle par toutes les compagnies comme le premier jour. »

Les assertions d’Olivier d’Ormesson ne sont pas confirmées seulement par Mme de Sévigné, dont le témoignage pourroit paroître suspect, mais même par Gui Patin, dont on connoît l’esprit peu charitable, surtout à l’égard des financiers. Il n’a que des louanges pour Olivier d’Ormesson. Il écrit à son ami Falconet [50] : « M. d’Ormesson a dit son avis, et, après de belles choses, a conclu à un bannissement perpétuel et à la confiscation de tous les biens. » Quelques jours après, il disoit dans une lettre adressée au même Falconet [51] : « On dit que M. Fouquet est sauvé, et que, de vingt-deux juges, il n’y en a que neuf à la mort, les treize autres au bannissement et à la confiscation de ses biens. On en donne le premier honneur à celui qui a parlé le premier, qui étoit le premier rapporteur, M. d’Ormesson, qui est un homme d’une intégrité parfaite. »


II. CHARLES XII. — PROJETS QU'IL AVAIT FORMÉS DANS LES DERNIERS TEMPS DE SON RÈGNE. — SES RELATIONS AVEC LE RÉGENT.


Page 140.


Saint-Simon parle dans ce volume des projets d’alliance entre Charles XII et Pierre le Grand, pour renverser du trône d’Angleterre la maison de Hanovre et y replacer les Stuarts. Voltaire donne aussi quelques détails sur ce plan dans son dernier livre de l’Histoire de Charles XII ; mais ils ne disent rien des négociations que le roi de Suède entretint avec le régent. Ce curieux complément des histoires les plus célèbres de Charles XII se trouve dans les Mémoires inédits du marquis d’Argenson. Il tenoit les détails qu’il donne du Suédois qui avoit servi d’intermédiaire entre Charles XII et le régent, du banquier Hoggers ou Hogguer :

« Personne, dit-il, ne possède plus au juste les desseins du roi de Suède que Hogguer, qui me les a contés ainsi qu’il suit : Charles XII faisoit la paix avec le czar, et en même temps formoit avec lui une alliance offensive et défensive, pour eux deux, s’emparer du pays, à leur convenance dans le Nord, anéantir le pouvoir du Danemark, détrôner Auguste [52] et maltraiter le roi de Prusse, rétablir la liberté germanique et donner de furieuses affaires à l’Angleterre chez elle. Il s’appuyoit de l’Espagne, où régnoit alors, pour ainsi dire, Albéroni, ministre à desseins vastes ; il procuroit à l’Espagne le recouvrement de ses anciens domaines d’Italie, et il engageoit la France, dès qu’elle voudroit, dans ses desseins, en lui procurant les Pays-Bas ; et par cette alliance, le régent étoit sûr d’un appui bien puissant pour monter sur le trône de France, si la succession en devenoit vacante pour lui ; car cet appui-là étoit bien plus fort que celui du traité de Londres ou quadruple alliance [53], qui n’entroit que dans un médiocre tourbillon de desseins, en sorte que le roi Georges n’étant pas inquiété pour son usurpation, il se soucioit peu des inquiétudes qu’on feroit essuyer au duc d’Orléans ; et même si le roi d’Espagne savoit alors opter pour la France et abandonner l’Espagne, l’Angleterre se faisoit un mérite auprès de toute l’Europe d’assurer si bien l’équilibre général, et y sacrifioit les intérêts de son allié le duc d’Orléans. Mais le héros du Nord, Charles XII, homme à parole inviolable et poussant la magnanimité jusques à la folie, auroit plutôt manqué à tout qu’à son allié. Il eût plutôt déféré aux intérêts de la France, plus voisine de lui et plus concourante à ses vastes desseins, que pourvu aux desseins de l’Espagne contre le régent, d’autant que les intérêts d’Espagne de ce côté-là n’entroient pour rien dans leurs projets communs, et qu’il rendoit assez de services à l’Espagne en lui procurant l’Italie.

« À l’égard du czar, celui-ci trouvoit un grand avantage à dominer ainsi dans tout le Nord conjointement avec la Suède ; il voyoit son empire mieux établi que la puissance suédoise ; celle-ci ne tenant qu’à la vie seule et au grand mérite de son roi, ne se soutiendroit pas après lui comme la sienne. Il voyoit toujours les Sarmates et les Goths se répandre de nouveau, donner la loi comme autrefois au reste de l’Europe ; il aguerrissoit ses troupes. Ainsi il eût marché d’un parfoit concert avec Charles XII à ces desseins ; et quelle puissance c’eût été, les deux extrémités de l’Europe étant jointes ensemble, savoir Suède et Moscovie avec Espagne et France ! Par leur position, nul concours d’intérêt, nulle rivalité ne les eût mis en jalousie et en défiance, et on eût été jusques au bout si la mort ne fût venue rompre leurs desseins dès leur principe, en abattant la tète de l’auteur, qui s’exposoit aussi avec trop de prodigalité de son bonheur.

« Par ce projet, la Suède cédoit à la Russie l’Ingrie [54], l’Estonie et la Livonie ; mais de cette dernière province, la Suède se réservoit Riga et dépendances. Elle cédoit encore à la Russie un canton de Finlande. La Suède faisoit la conquête entière de la Norvège sur le Danemark, et cela étoit déjà bien avancé quand Charles XII fut tué ; ensuite Charles XII tomboit en Danemark et abolissoit le droit du Sund [55]. Pour en fermer le passage et obvier aux secours des Anglois, le czar mettoit sur pied une flotte formidable, qui se combinoit avec celle de Suède, alors sur un bon pied. On conquéroit sur la Pologne, à frais communs, une petite province fort à la convenance de la Russie. On donnoit à la Suède la Poméranie et le Mecklembourg. On dédommageoit le duc de Mecklembourg, alors en querelle avec ses sujets, comme il y est resté depuis ; on lui donnoit une province qu’on prenoit sur la Prusse. On attaquoit le roi de Prusse pour le punir de s’être mêlé, comme il avoit fait, de la précédente guerre de Pologne. On lui montroit que toutes ses belles troupes [56] n’étoient composées que de faquins. Et qui est-ce qui eût pu ni voulu le secourir ? On le privoit, comme j’ai dit, de ce qu’on donnoit en indemnité au duc de Mecklembourg, et de quelques postes à la convenance de la Russie. De là on entroit en Saxe et en Pologne ; on détrônait une seconde fois le roi Auguste pour replacer le roi Stanislas [57] sur le trône de Pologne. On ôtait encore au roi Auguste son électorat de Saxe, et on y mettoit la branche aînée de Saxe-Gotha.

« Le traité étoit déjà signé avec l’Espagne par les travaux qu’y avoit faits le cardinal Albéroni : l’Espagne envoyoit vingt vaisseaux de guerre au Sund, pour se joindre à ceux de Russie et de Suède et prévenir les Anglois. L’Espagne fournissoit cinq cent mille piastres par mois.

« De Danemark, Charles XII descendoit à Hambourg, obtenoit aisément de cette riche république de gros secours en argent, et la déchargeoit de toute tyrannie du Danemark. Bientôt le Danemark, pris de tous côtés, demandoit grâce, et on lui accordoit une paix dont on étoit bien sûr de la durée [58].

« Charles XII, avec six mille braves Suédois, gens fort aguerris et enflés de leurs anciennes victoires, descendoient Allemagne, tandis que le czar agissoit aussi avec une armée formidable dans cette même partie de l’Europe, où il a à cœur d’avoir pied. Là on agissoit offensivement contre l’électeur de Hanovre, qui est aussi roi d’Angleterre. On faisoit venir alors le Prétendant [59] en Angleterre, et on le rétablissoit ; ce qui donnoit trop d’ouvrage audit électeur de Hanovre pour lui laisser le temps de se mêler des affaires d’Allemagne. Pour lors on faisoit la loi à l’empereur, à qui on donnoit les affaires que je vais dire : on faisoit éclore les liaisons prises avec l’électeur de Bavière, la maison palatine et les électeurs ecclésiastiques ; on recueilloit toutes leurs prétentions et les griefs du corps germanique, sans augmenter aucunes jalousies entre les catholiques et les protestants, et on renouveloit le traité de Westphalie pour la liberté germanique. Les Turcs étoient déjà en guerre avec l’empereur ; on animoit cette guerre, et on faisoit du prince Ragotsky un roi de Hongrie et de Transylvanie. En même temps l’Espagne descendoit en Italie et y reprenoit le Milanois et les Deux-Siciles, ce qui, comme je l’ai dit, donnoit assez d’ouvrage à l’empereur tout à la fois.

« C’étoit alors l’occasion à la France de paroître ayant armé puissamment jusque-là sans se déclarer ; et pour lui donner part au gâteau et à la dépouille universelle de l’empereur, on nous donnoit les dix provinces des Pays-Bas catholiques [60] ; ce qui rempliroit notre beau dessein de n’avoir au nord et au nord-est que le Rhin pour barrière.

« La puissance de cette ligue et l’affaiblissement total de l’empereur nous vengeoit assez de nos pertes précédentes par le traité d’Utrecht. L’Angleterre, si occupée par le Prétendant et la Hollande, sans l’Allemagne et sans l’empereur, n’osoit nous traverser ; et de plus on garantissoit à M. le duc d’Orléans la future succession de France, si elle venoit à s’ouvrir, et cela par un traité particulier entre elle, la Suède et le czar, sans en avoir rien communiqué avec l’Espagne.

« Charles XII, semblable et surpassant le grand Gustave-Adolphe, au milieu de l’Allemagne avec soixante mille hommes, y faisoit la loi, et tiroit de grandes richesses pour soutenir la guerre de Jutland, Hambourg, Saxe, Prusse et du reste de l’Allemagne. Il régloit en même temps la future succession de l’empereur entre ses héritiers naturels.

« Alors il y avoit à Paris un grand seigneur d’Espagne, appelé don Manuel, envoyé par Albéroni comme simple voyageur, mais pour s’aboucher avec le sieur Hogguer, dépositaire de tous ces secrets. Ils s’assemblèrent tous les soirs ensemble chez Mlle Desmares, illustre comédienne et maîtresse d’Hogguer. Ils soupoient ensemble ; mais avant souper et pendant la comédie, ils s’enfermoient ensemble, travailloient sur des cartes géographiques et écrivoient beaucoup.

« Cependant le baron de Goertz, pour donner de la jalousie et piquer la curiosité de M. le duc d’Orléans, avoit fait cette manœuvre-ci il avoit fait écrire la partie la moins importante et la moins secrète de ces projets partie en chiffres, en sorte que cette dépêche étoit tombée entre les mains de notre résident à Berlin, lequel n’avoit pas manqué de l’envoyer d’abord à M. le duc d’Orléans. On y voyoit bien que don Manuel étoit à Paris pour cela de la part d’Albéroni, mais on y trouvoit qu’il correspondoit pour cela avec un Suédois nommé Sobrissel. On faisoit de grandes perquisitions pour découvrir où étoit ce Sobrissel à Paris, et on ne trouvoit rien ; on savoit seulement qu’il étoit fils d’un sénateur de Suède. Mais ce nom de Sobrissel couvroit celui d’Hogguer, qui étoit désigné par là. Mon père, alors garde des sceaux de France, avoit conservé des émissaires de la police ; il avoit mis plus de cent personnes à cette découverte, et on ne trouvoit rien, comme je dis.

« Alors M. le duc d’Orléans manda Hogguer pour le savoir. Celui-ci, fidèle à la France, songea d’abord à la bien servir, mais en ne trahissant point la cause étrangère dont il étoit chargé. Il savoit que le régent devoit y être admis à de bonnes conditions et à propos, et le temps en étoit venu par l’inquiétude et la jalousie dont il étoit piqué. Il est vrai qu’il ne pouvoit être admis qu’avec dépit de la part de l’Espagne, qui avoit ses intérêts particuliers contre lui ; mais la Suède n’étoit là dedans que pour favoriser le régent, et ce fut cette admission qui chagrina l’émissaire d’Albéroni, comme je vais dire, s’imaginant que Hogguer le trahissoit totalement après lui avoir fait signer le traité.

« Le régent s’étoit donné de grands mouvements du côté de Suède, de Parme et de Madrid, et l’abbé Dubois ne venoit à bout de rien sur la découverte des grands projets qui transpiroient du roi de Suède et d’Albéroni. Le régent manda donc la Desmares, et l’interrogea sur le comportement d’Hogguer et de don Manuel, qu’il savoit souper chez elle tous les soirs. Elle lui dit tout ce qu’elle savoit, et lui envoya Hogguer. Celui-ci fit bientôt ses ouvertures au régent, et il lui apprit [que Sobrissel] n’étoit autre chose que lui Hogguer ; qu’il étoit le confident de tout, et qu’il ne tenoit qu’à lui régent d’entrer dans l’alliance. Il lui montra ses pleins pouvoirs, où il y avoit carte blanche sur cela. Le régent se défioit cependant d’Albéroni, et qu’il n’y eût là dedans quelque article contre lui. Il voulut avant toutes choses gagner don Manuel ; il chargea Hogguer de lui offrir la plus forte récompense s’il vouloit quitter l’Espagne et s’attacher à la France, savoir : un million d’argent comptant, une belle terre, le cordon bleu, le grade de lieutenant général et un gouvernement.

« Hogguer s’acquitta de cette négociation en homme d’esprit et adroit ; mais il ne put si bien faire que don Manuel ne crût d’abord qu’il étoit trahi par Hogguer. Il s’emporta contre lui extrêmement ; le lendemain il l’envoya chercher ; il lui parla avec douceur, lui demanda même pardon de tout ce qu’il lui avoit dit la veille ; il ajouta qu’il voyoit bien cependant qu’il avoit perdu en un moment le fruit, du côté de l’Espagne, de tous ses travaux ; qu’il avoit le cœur serré ; qu’il n’avoit plus vingt-quatre heures à vivre, et que pour rien au monde il ne trahiroit sa patrie. En effet, don Manuel tomba dans une grosse fièvre ; on lui envoya Chirac[61] ; il mourut la nuit suivante.

« Albéroni chargea de la suite de cette affaire le marquis Monti[62], que nous avons gagné depuis, et qui a joué un grand rôle pour nous à l’élection du roi Stanislas en 1733, et décédé en 1737 ; mais il n’eut pas tout le secret de cette affaire comme don Manuel.

« Le régent continua à perfectionner cette négociation avec Hogguer. Voyant les pleins pouvoirs qu’il avoit de la Suède, il étoit charmé d’être si bien tiré d’une intrigue qui lui faisoit tant de peur pour ses propres intérêts. Il offrit d’abord cinq cent mille écus par mois à la Suède. Hogguer stipula de conclure sans l’abbé Dubois, puisque par là le traité de quadruple alliance alloit au diable, et qu’on soupçonnoit justement ledit abbé Dubois d’être pensionné par l’Angleterre[63].

« Tout étant d’accord entre le régent et Hogguer, le régent manda l’abbé Dubois, et, en présence d’Hogguer, il le traita de coquin et de cuistre. Voilà donc, dit-il, quels sont vos travaux pour découvrir la chose la plus capitale qu’il y eût alors en Europe. J’en ai plus fait en un quart d’heure avec cet homme, et ici, que vous dans toute l’Europe en six mois, et votre Angleterre, et le diable qui vous emporte.

« Il fut question de savoir qui on enverroit en Suède pour ratifier et achever les détails de conclusion. Le régent voulut que ce fût Hogguer, et qu’il partît la nuit même s’il se pouvoit, ou la nuit d’après. Hogguer demanda des instructions ; l’abbé Dubois dit qu’il n’y avoit personne qui pût mieux les dresser qu’Hogguer lui-même. Celui-ci y travailla toute la nuit ; on les expédia et on les signa sur-le-champ, et il alloit partir, lorsqu’on reçut un courrier de Dunkerque qui apprit la mort du roi de Suède ; ce qui finit à l’instant toute l’aventure et tous ces vastes projets. »


III. ASSEMBLÉE DE LA NOBLESSE EN 1649.


Page 306 et suiv.


On peut comparer avec cette partie des Mémoires de Saint-Simon la plupart des ouvrages relatifs à la Fronde, et spécialement les Mémoires d’Omer Talon, à l’année 1649. On y trouvera les actes de cette assemblée de la noblesse. Il y a quelque différence avec les signatures que donne Saint-Simon. Dans Omer Talon, un, des signataires s’appelle d’Alluye ; Saint-Simon écrit Halluyes-Schomberg, et croit qu’il s’agit du duc d’Halluyn-Schomberg. Il est très probable que la signature donnée par Omer Talon est la véritable, et qu’il s’agit ici du marquis d’Alluye, fils du marquis de Sourdis. On lit en effet, dans un journal inédit de l’époque de la Fronde : « Mardi 5 octobre [1649], encore assemblée de la noblesse opposante chez le marquis de Sourdis, lui absent, et son fils, le marquis d’Alluye, présent. » On a cité (t. V, p. 438-441 des Mémoires de Saint-Simon) la totalité du passage du Journal de Dubuisson-Aubenay. Il en résulte que le, marquis d’Alluye joua un rôle important dans ces assemblées, et que c’est très probablement lui qui a signé l’acte de la noblesse.


IV. PAYS OU PROVINCES D'ÉTATS.


Page 363.


Les pays d’états, ou provinces d’états, étoient ceux qui jouissoient du privilège d’avoir une assemblée provinciale. Ils se réduisoient depuis le règne de Louis XIV, au Languedoc, à là Bretagne, à la Bourgogne, à la Provence, au Hainaut et au Cambrésis (Flandre française), au comté de Pau (Béarn), au Bigorre, comté de Foix, pays de Gex, Bresse, Bugey, Valromey, Marsan, Nébouzan, Quatre-Vallées (Armagnac), Soulac et Terre de Labourd. Les états de Dauphiné, supprimés sous Louis XIII, ne furent rétablis que peu de temps avant la Révolution. Les pays d’états votoient eux-mêmes l’impôt qu’ils payoient à la couronne, et qu’on appeloit don gratuit ; ils en faisoient la répartition. La quotité de cet impôt étoit le principal sujet du débat dans les états provinciaux, et l’affaire la plus importante pour les commissaires qui représentoient le gouvernement. Les états devoient aussi pourvoir aux autres dépenses provinciales, parmi lesquelles figuroient les frais mêmes qu’entraînoit la session des états, et les gratifications votées aux gouverneurs, intendants et principaux fonctionnaires de la province. Le don gratuit n’avoit rien d’uniforme ; il varioit de province à province, et, dans la même province, d’année en année, suivant les besoins du gouvernement et les ressources du pays.

Si l’on veut étudier les avantages et les inconvénients de ces pays d’états, il faut surtout consulter la Correspondance administrative sous Louis XIV, publiée dans la collection des Documents inédits relatifs à l’histoire de France. On y suit les efforts tentés par Louis XIV pour obtenir le concours des états provinciaux et les soumettre à ses volontés. Dès le commencement de son gouvernement personnel (le 21 octobre 1661), ce roi écrivoit à M. de Fieubet, premier président du parlement de Toulouse [64] : « Dans l’application que je donne à toutes mes affaires généralement, sans en négliger aucune, je serai bien aise de savoir le nom du capitoul [65] qui sera député aux prochains états de ma province de Languedoc, et même ses intentions à l’égard de mes intérêts. Vous me ferez donc plaisir de m’en informer au plus tôt ; et comme vous pouvez beaucoup dans cette députation, il sera bon de vous prévaloir du crédit que vous y avez pour prendre des précautions avec ledit capitoul, afin que non seulement il ne se rende pas chef des avis qui me seront préjudiciables, comme tous ses prédécesseurs ont fait, mais aussi afin qu’il se joigne aux bien intentionnés pour favoriser les choses qui seront proposées de ma part. J’approuve dès à présent tout ce que vous ferez pour cet effet, vous assurant au surplus que le secret vous sera gardé, et que vous ne me sauriez rendre un service plus agréable. »

Les évêques de Lavaur, d’Albi, de Saint-Papoul et de Viviers, reçurent, ainsi que l’archevêque de Toulouse, des lettres pressantes pour se rendre aux états et soutenir le commissaire de Louis XIV [66]. Le zèle des prélats et des principaux membres des états enleva un vote unanime [67]. Dans la suite, l’assemblée devint de plus en plus docile aux volontés du roi [68]. La Provence fut intimidée par quelques exils [69] et se montra aussi docile que le Languedoc [70] ; il en fut de même en Bourgogne [71]. La Bretagne paraissoit plus obstinée ; mais elle finit par céder [72]. Les plaintes de Mme de Sévigné sur le sort de la Bretagne, jadis « toute libre, toute conservée dans ses prérogatives, aussi considérable par sa grandeur que par situation, » attestent qu’on ne tenoit plus compte « du contrat de mariage de la grande héritière [73]. » Les états des petites provinces n’auroient pu tenter une résistance qui avoit été si facilement vaincue en Languedoc, en Provence, en Bourgogne et en Bretagne. Colbert songeoit à les supprimer, et à faire vivre tous ces pays sous une loi commune [74] ; mais il céda aux remontrances de l’évêque de Tarbes, qui lui représentoit que ce changement ne pouvoit « rencontrer qu’un consentement forcé de tous ces peuples, qui regardoient la grande puissance du roi et Sa Majesté armée auprès d’eux, et ne ressentiroient pas moins la perte de leur liberté et de tant de glorieuses marques de leurs services que les rois prédécesseurs de Sa Majesté leur avoient laissées de règne en règne. » [75]

Les pays d’états continuèrent d’exister jusqu’à l’époque de la Révolution.


V. TIERS ÉTAT AUX ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1302.


Page 387.


Le tiers état, comme on l’a dit, figura aux états généraux de 1302, sous le règne de Philippe le Bel. On peut citer, entre autres preuves, une pièce intitulée : La supplication du peuple de France au roi contre le pape Boniface VIII [76]. Le tiers état s’adresse au roi comme un corps constitué, et lui demande de défendre l’indépendance de la couronne de France. Voici quelques extraits de cette pièce, dont je modifie l’orthographe pour la rendre plus intelligible :

« A vous, très noble prince notre sire, par la grâce de Dieu roi de France, supplie et requiert le peuple de votre royaume, pour ce qu’il lui appartient que ce soit fait, que vous gardiez la souveraine franchise de votre royaume, qui est telle que vous ne reconnoissiez de votre temporel souverain en terre hors Dieu, et que vous fassiez déclarer, si (de telle sorte) que tout le monde le sache que le pape Boniface erra manifestement, et fit péché mortel notoirement, en vous mandant par lettres bullées qu’il étoit souverain de votre temporel, et que vous ne pouvez prébendes donner ni les fruits des églises cathédrales vacants retenir, et que tous ceux qui croient le contraire il les tient pour héréges (hérétiques) ; item, que vous fassiez déclarer que l’on doit tenir ledit pape pour hérége, pour ce qu’il ne veut cette erreur rappeler (abandonner), etc. Ce fut grande abomination à ouïr que ce Boniface, pour ce que Dieu dit à saint Pierre : « Ce que tu lieras en terre sera lié au ciel, » cette parole, dite spirituellement, entendit mallement quant au temporel.

« Et pour que aucun autre ne prenne exemple à faire ainsi, et pour ce que la peine de lui fasse peur aux autres, vous, noble, roi sur tous autres princes, défenseur de la foi, pouvez et devez, et êtes tenu requérir et procurer que ledit Boniface soit tenu et jugé pour hérége, et puni en la manière que l’on le pourra et devra, si (de telle sorte) que votre souveraine franchise soit gardée. »


  1. Vaux-le-Vicomte (département de la Marne).
  2. Ces lettres ont été conservées par Baluze, bibliothécaire de Colbert, et font aujourd’hui partie des manuscrits de la Bibliothèque Impériale. C’est de là que j’ai tiré plusieurs des pièces citées dans cette note.
  3. Voy. principalement les Mémoires du jeune Brienne (H. L. de Loménie).
  4. La copie de cette lettre se trouve dans les manuscrits Conrart, bibliothèque de l’Arsenal, in-4o, t. XI, p. 152. On comprend que l’original d’une pareille lettre ait été détruit ; mais, comme on retrouve dans les papiers de Fouquet, plusieurs lettres dont les copies, données par Conrart, reproduisent l’esprit, sinon les expressions, il n’y a pas de motif suffisant pour rejeter cette lettre comme apocryphe. La copie est de la main de Conrart.
  5. C’est aussi l’avis de plusieurs écrivains contemporains.
  6. On a prétendu, en effet, que Louis XIV fut instruit de la passion du surintendant pour aille de La Vallière, et que ce fut une des causes de l’acharnement avec lequel il poursuivit Fouquet.
  7. La reine mère Anne d’Autriche.
  8. La reine mère n’est pas nommée dans ces propositions ; mais il est très vraisemblable qu’elles devaient lui être soumises, puisqu’elles sont jointes à la lettre suivante écrite par une des personnes que Fouquet avait chargées de surveiller et de gagner Anne d’Autriche : « J’attendais toujours d’avoir l’honneur de vous entretenir pour vous dire bien des choses. Je ne sais si vous savez le pouvoir que la mère de la Miséricorde a sur la reine et l’intrigue secrète qui s’y fait. M. Le Tellier et M. de L’Estrade la voient tous les jours. On m’en a dit bien des choses avec le secret. Si cela vous est utile, faites-le-moi savoir ; vous savez que je suis tout à vous et qu’il n’y a rien que je ne fasse pour vous le témoigner. »
  9. Le prince de Condé avait quitté la Belgique pour rentrer en France le 29 décembre 1659 ; Mazarin mourut le 9 mars 1661 ; c’est entre ces deux dates, probablement vers le commencement de 1660, que cette lettre de Fouquet a dû être écrite. Quant aux flatteries de Condé envers Mazarin, on en trouve la preuve dans une lettre que le prince écrivait au cardinal le 24 décembre 1659, peu de jours avant de quitter Bruxelles : « Pour vous, monsieur, lui disait-il, quand je vous aurai entretenu une heure, vous serez bien persuadé que je veux être votre serviteur, et je pense que vous vous voudrez bien aussi m’aimer. »
  10. Cette lettre est du 22 avril 1661.
  11. Secrétaire d’État chargé des affaires étrangères.
  12. Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV.
  13. Louis de Bourbon dont il était question dans la pièce citée précédemment.
  14. Jésuite confesseur de Louis XIV.
  15. Marie de Rohan, née en décembre 1600 ; elle avait épousé en 1617 Charles d’Albert, duc de Luynes ; veuve en 1621, elle se remaria l’année suivante avec Claude de Lorraine, duc de Chevreuse ; elle mourut le 12 août 1679. Mme de Chevreuse, dont le nom reparaît plusieurs fois dans ces lettres était une des ennemies de Fouquet.
  16. Laigues était le mari de conscience de Mme de Chevreuse. Voy. les Mémoires du jeune Brienne.
  17. Pellisson était un des principaux commis de Fouquet.
  18. Château de Mme de Chevreuse.
  19. Il s’agit probablement de la cabale de la comtesse de Soissons.
  20. Henriette d’Angleterre, femme de Philippe d’Orléans.
  21. Marie-Thérèse d’Autriche.
  22. Ces mots sont soulignés dans le manuscrit.
  23. Le voyage de Bretagne et l’arrestation de Fouquet eurent lieu au commencement de septembre.
  24. François de Créqui avait épousé la fille de Mme du Plessis-Bellière, qui avait une grande influence sur le surintendant.
  25. Ce commandeur de l’ordre de Malte avait été nommé vice-amiral et intendant général de la marine le 7 mai 1661, en remplacement de Louis Foucault de Saint-Germain.
  26. Un des amis du commandeur de Neuchèse lui écrivait le 19 octobre 1661 : « On vous a servi ici de bonne manière, et en vérité vous en aviez grand besoin. On n’a jamais vu une telle rage que celle de M. Fouquet ; car il a fait tout son possible pour perdre amis et indifférents. À La lettre se termine par le post-scriptum suivant : « Assurément on fera le procès à M. Fouquet. Si vous aviez le temps, on vous pourrait bien mander de venir ici dire votre projet ; mais n’y songez pas, si on ne vous l’ordonne. »
  27. Voy. plus haut, le récit de l’arrestation de Fouquet.
  28. André d’Ormesson, doyen du conseil d’État.
  29. Nicolas Lefèvre d’Ormesson, religieux minime, était frère d’Olivier d’Ormesson.
  30. Berryer, un des commis de Colbert, avait été chargé de l’inventaire des pièces du procès de Fouquet, et accusé de les avoir falsifiées.
  31. Claude Le Pelletier fut contrôleur général des finances en 1683, après la mort de Colbert.
  32. Guillaume de Lamoignon.
  33. Il y avait alors deux procureurs généraux de la chambre de justice, Hotman et Chamillart, tous deux maîtres des requêtes.
  34. Louis Boucherat, conseiller d’État ; il devint chancelier de France après la mort du maréchal Le Tellier.
  35. Journal d’Olivier d’Ormesson, à la date du 2 mai 1664.
  36. Corde de luth ou de violon, fort mince.
  37. On voit par ce passage que Mazarin faisait des avances à l’État et se remboursait sur les deniers publics. Le Tellier avoue que Mazarin prêtait à l’État à gros intérêts, et ainsi gagnait beaucoup. C’est à peu près ce que dit Saint-Simon (p. 112 du t. XIV).
  38. Journal d’Olivier d’Ormesson, à la date du 8 juillet 1664.
  39. C’était le second rapporteur du procès de Fouquet.
  40. Château de Fontainebleau, où la cour résidait alors. La chambre de justice y avait été transférée. Fouquet était enfermé à Moret.
  41. Hugues de Lyonne, secrétaire d’État chargé des affaires étrangères.
  42. Ce projet, trouvé dans la maison de Fouquet à Saint-Mandé, a été publié par M. P. Clément, Histoire de Colbert, introduction.
  43. Par cette requête, Fouquet demandait à communiquer librement avec ses défenseurs.
  44. Hist. de Louis XIV, liv. LXXVII, p. 162.
  45. Hist. des Français, t. XXV, p. 75.
  46. Denis Talon, fils d’Omer Talon, avait d’abord été procureur général de la chambre de justice.
  47. Voy. Mme de Sévigné, lettre du 17 décembre 1664.
  48. Olivier d’Ormesson fait allusion à la réduction des rentes opérée par Colbert en 1664.
  49. On trouve en effet de ces chansons dans les recueils de la Bibliothèque impériale et de l’Arsenal ; mais elles ne valent pas la peine d’être citées.
  50. T. III, p. 499 ; édit. Reveillé-Parise.
  51. Ibid., p. 501.
  52. Frédéric-Auguste, roi de Pologne depuis 1697.
  53. Voy. sur ce traité les Mémoires de Saint-Simon.
  54. Aujourd’hui partie de la province de Saint-Pétersbourg.
  55. C’est-à-dire le droit que l’on prélevait sur les navires qui traversaient le Sund.
  56. On sait que Frédéric-Guillaume Ier, alors roi de Prusse, s’attachait à organiser des régiments dont les hommes étaient remarquables par leur haute taille.
  57. Stanislas Leczinski.
  58. Nous laissons, au texte de d’Argenson, comme à celui de Saint-Simon, les irrégularités grammaticales que d’autres éditeurs ont cru devoir rectifier.
  59. Jacques Stuart qui prenait le nom de Jacques III.
  60. Ces provinces qui répondent à peu près au royaume de Belgique actuel, sont : le Hainaut, la Flandre occidentale, la Flandre orientale, le Brabant méridional, le Brabant septentrional, les provinces d’Anvers, de Namur, de Liège, de Luxembourg, de Limbourg.
  61. Chirurgien célèbre dont il est souvent question dans les Mémoires de Saint-Simon.
  62. Voy. sur ce personnage les t. XV et XVII de Saint-Simon. Il y parle du rôle que joua Monti à l’occasion de l’élection du roi de Pologne.
  63. Saint-Simon l’affirme positivement dans plusieurs passages de ses Mémoires.
  64. Cette lettre ne se trouve pas dans les Oeuvres de Louis XIV. Je l’ai copiée dans le recueil de Rose (ms. de l’Arsenal, n° 199, n° 127-128).
  65. Magistrat municipal de Toulouse.
  66. Même ms., n° 160.
  67. Correspondance administrative, t. I, p. 54 et 64.
  68. Ibid., p. 288, 289, 290, 308, 316.
  69. Ibid., p. 399.
  70. Ibid., p. 403, 405.
  71. Ibid., p. 445-446.
  72. Ibid., p. 498 et 500.
  73. Lettres de Mme de Sévigné du 6 novembre 1689 et du 18 janvier 1690.
  74. Correspondance administrative sous Louis XIV, t. I, p. 112.
  75. Ibid.
  76. Voy. Duboulay, Hist. de l’Université de Paris, t. IV, p. 15 ; P. du Puy, Différend de Philippe le Bel et de Boniface VIII, p. 214 : , Preuves des libertés de l’Église gallicane, t. I. p. 108.