Mémoires (Saint-Simon)/Tome 17/Notes

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NOTES.


I. TAILLE.


Page 240.


On trouve des détails curieux sur la taille et sur la manière de la lever dans un manuscrit de la bibliothèque de l’Arsenal[1], qui a été rédigé vers 1725. Le passage suivant pourra servir de commentaire aux Mémoires de Saint-Simon, qui se borne à mentionner cet impôt.

« La taille, dit l’auteur anonyme, est une imposition sur chaque particulier. Elle se divise en taille personnelle, réelle et mixte, selon les pays.

« La taille personnelle est imposée sur le bien fonds que chacun possède, selon la quantité d’arpents et la bonté du terrain, dont il a été fait une estimation qui s’appelle cadastre[2], qui la divise en trois espèces : le bon, le moyen et le mauvais. Sur quoi il y a seulement à observer que les fonds nobles en sont exempts, quoique le possesseur soit roturier, et que le fonds roturier la paye, quoique le possesseur soit noble.

« La taille mixte est en même temps personnelle et réelle, c’est-à-dire imposée arbitrairement sur la personne à raison des fonds qu’elle exploite. L’homme noble a le privilège de pouvoir faire exploiter par des valets quelques charrues sans payer, mais ses fermiers ou métayers payent la taille pour tous les autres fonds.

« Le conseil détermine, sur les besoins de l’État, la somme qu’il faut imposer pour l’année suivante ; c’est ce qui s’appelle le brevet de taille. Il détermine aussi, sur les avis des intendants, la somme que chaque généralité doit payer, dont il envoie la commission à l’intendant, qui en fait l’imposition dans chaque élection, dont il doit connoître l’étendue et la valeur. Il y a des tribunaux établis pour juger de tout ce qui concerne cette imposition et ceux qui en sont chargés.

« Les parlements étoient si contraires aux intérêts du roi dans cette partie qu’on a été obligé de créer d’autres juridictions uniquement pour cela.

« Le tribunal supérieur s’appelle la cour des aides ; les juridictions inférieures sont l’élection, la chambre de grenier à sel, les juges de ports et des traites. Elles connoissent des différents droits dont nous parlerons dans l’occasion, et toutes relèvent en dernier ressort de la cour des aides.

« Il y a un autre tribunal appelé les trésoriers de France, qui originairement faisoient les fonctions d’intendants dans les provinces ; ils étoient chargés des finances, des ponts et chaussées et des chemins. Il ne leur reste plus qu’une très petite ombre de cette autorité entière dévolue aux intendants.

« La commission de la taille s’enregistre dans leur bureau, et pareillement tous les états de payements assignés sur les tailles.

« Nous avons dit que les intendants faisoient faire l’imposition de la taille dans chaque élection. Les élus en font la distribution par paroisses de leur ressort, et les habitants de chaque paroisse choisissent des collecteurs qui font l’imposition sur chaque particulier. Ils sont chargés personnellement et par corps du recouvrement, qu’ils remettent aux receveurs des tailles de l’élection ; celui-ci les remet au receveur général, qui les porte au trésorier royal.

« Il a été établi depuis peu [3] un autre bureau par où on fait passer les fonds qu’on appelle la caisse commune.

« Il faut observer que ni les pays d’états [4], ni les pays conquis, ne payent point cette taille, ou ne la payent point de la même manière ; ils s’imposent eux-mêmes, selon les dons gratuits que le roi leur a demandés.

« A considérer le royaume par rapport à cette imposition, il est divisé en vingt généralités, en pays d’états et en pays conquis. Les pays d’états sont la Bourgogne et la Bretagne, le Languedoc, le Béarn et l’Artois. Quoique la Provence ait perdu son privilège d’état, toutes les impositions s’y lèvent à peu près de la même manière. Les pays conquis sont la Flandre, les Trois-Évêchés (Toul, Metz et Verdun), l’Alsace et la Franche-Comté. Le reste du royaume contient les vingt généralités et un bureau des finances [par généralité]. C’est par généralité, et non par province, que les intendants sont distribués ; ainsi la Normandie en a trois : Rouen, Caen et Alençon, et il n’y en a qu’un pour les provinces de Limousin et Angoumois.

« Les intendants [5] sont des commissaires tirés du conseil pour rendre compte aux ministres de tout ce qui se passe dans leur district ; et quoiqu’ils prennent la qualité de commissaire de justice, police et finance, leur autorité ne s’étend point sur les contestations ou procès ordinaires ; ce n’est qu’autant qu’ils ont rapport aux habitants des lieux où sont les troupes.

« De ce que nous avons dit sur la manière dont s’impose la taille, il en résulte un arbitraire qui arrête toute industrie, et qui non seulement empêche la culture des terres, nais encore les fait abandonner. Un seigneur n’oublie rien pour obtenir de l’intendant une diminution sur la taille de son village, et il l’obtient à proportion de son crédit à la cour.

« Dans les répartitions particulières, le crédit de l’homme en charge ou riche épouvante le collecteur, qui est obligé de faire tomber tout le fardeau sur le pauvre ; la haine et la vengeance achèvent l’injustice de cette imposition, et le pauvre laboureur, hors d’état de la payer, abandonne sa terre et va mendier avec toute sa famille.

« Dans un état qui m’a été remis des impositions de la taille dans la généralité de Paris en 1720, j’ai vu avec étonnement que, dans des paroisses contiguës, l’une paye jusqu’à quinze sous par livre du bail à ferme, tandis que l’autre ne paye que trois sous.

« Si, à la face de la cour et des ministres, il se commet de pareilles injustices, qu’est-ce qu’on doit penser des provinces ? Je sais aussi qu’il y a environ trois ans qu’un particulier avoit établi une manufacture de savon à Bagnolet, qu’il a été obligé d’abandonner, par la taille exorbitante où il avoit été imposé ; dommage encore plus grand pour la paroisse que pour ce particulier, qui portera son industrie ailleurs, peut-être chez nos voisins.

« Dans l’imposition de la taille sont compris le taillon destiné au payement de l’ordinaire des guerres [6], les fonds pour l’entretien des ponts et chaussées, et, en, temps de guerre, le quartier d’hiver, dont les répartitions se font au sou la livre sur les taillables.

« La capitation, qui est une imposition par tête sans exception, et qui a commencé sous le feu roi [7], s’impose aussi au sou la livre sur les taillables, et arbitrairement sur tous les autres particuliers.

« Il y a à observer qu’actuellement elle s’impose à Paris uniquement par le prévôt des marchands [8], à l’exclusion des échevins, et en cela on augmente le produit, parce que les échevins, abusant de leur ministère, favorisoient et leurs parents et presque tous les bourgeois ; mais on est tombé dans un inconvénient encore plus pernicieux. Car ceux dont on se sert pour cette imposition, ayant intérêt à la grossir, exigent au delà de la faculté de chacun, et pour la faculté des payements, ils ont obtenu que les rentes, même viagères, ne seroient payées qu’aux porteurs de quittances de capitation, contre la foi des arrêts qui les exemptent de toute saisie, même pour les deniers de Sa Majesté.

« Ces manques de foi, qui sont la cause du grand discrédit des effets royaux, ne coûtent rien à la plupart des ministres, et ils le font si légèrement, qu’on ne peut s’empêcher de les soupçonner ou d’ignorance ou d’intérêt particulier.

« C’est ici le lieu de faire quelques observations sur l’impôt personnel et arbitraire.

« On a vu l’inconvénient de cet impôt dans l’injustice des répartitions. Il n’est pas moindre dans la difficulté du recouvrement : on n’en donnera pas d’autre exemple que celui de la capitation dont nous venons de parler. On a de la peine à arracher vingt sous par an de capitation d’un artisan, tandis qu’il paye sans attention cinquante livres annuellement pour un minot de sel, et à proportion pour le vin et la viande. C’est que l’impôt réparti sur la denrée ne paroît qu’une plus value de denrée enchérie également pour tout le monde, au lieu que, dans l’impôt personnel, on croit toujours être taxé injustement, et l’on ne manque point d’objets de comparaison qui le persuadent. »

Les faits confirment pleinement ce que l’auteur dit des abus et des inconvénients de la taille. Les Mémoires du marquis d’Argenson en fournissent de nombreuses preuves ; ainsi il parle souvent de la misère des campagnes et même de famines, qu’il attribue aux impôts excessifs. Il écrit dans ses Mémoires encore inédits, à la date du 8 juin 1751 :

« Je suis présentement dans mes terres, à quatre-vingts lieues de Paris. Les apparences de la récolte ne sont que d’une demi-année au plus, pourvu cependant qu’il fasse du chaud ; tous les fruits sont perdus ; la vigne a quelque apparence. On laisse encore sortir le blé, qui va par la Loire à Nantes, et de là en Hollande. Sans cette permission continuée, il n’y auroit pas un sol pour payer les tailles ni les propriétaires des terres. Le poids de la taille est plus fatigant que jamais ; elle est beaucoup plus forte que dans la généralité de Paris. Les corvées pour les chemins et le sel [9] achèvent de les écraser. Les contraintes des receveurs des tailles sont une autre taille pire que la première : voilà ce que j’entends dire de tous côtés.

« Mercredi 16 juin. — J’ai recueilli dans ma province ce que j’entends (lire d’impartial sur l’état des habitants ; il s’ensuit que la misère augmente et augmentera de plus en plus, par les mauvais principes et le faux travail du ministère et des intendants. Je dis faux travail ; car on se donne bien de la peine pour faire plus mal.

« Si on laissoit faire, on ne détourneroit point de l’agriculture pour porter à des arts inutiles ; on ne feroit pas de la campagne un séjour affreux comme on fait. Par ce qu’on fait, la campagne se dépeuple ; ce qui augmente chaque jour.

« Les grands chemins et belles routes sont bonnes, mais ceux qui les dirigent ont impatience d’avancer, et précipitent ce travail par des corvées qui achèvent d’écraser les villages voisins à quatre lieues à la ronde. Je vois ces pauvres gens y périr de misère : on leur paye quinze sols ce qui vaut un écu, pour leurs voitures. Ainsi en a-t-on encore pour longtemps chez moi à faire des vingt voitures de huit lieues chacune, qui met les habitants à l’aumône.

« On ne voit que villages ruinés et abattus, et nulles maisons qui se relèvent ; ce qui augmente.

« Les receveurs des tailles et du sel font chaque année des frais pour la moitié en sus de l’imposition. Les pauvres sont en retard de payer par impuissance, et supportent ces frais. Les riches n’osent pas payer les receveurs mieux qu’ils ne font, de peur d’être surimposés ; toute la communauté craint le surhaussement l’année suivante, et paye mal exprès ; ainsi la misère s’accroît.

« Tout l’argent du revenu des terres va à Paris ; il ne revient au plat pays (à la campagne) que quelque argent des étrangers pour le blé qu’on envoie. Mais gare une mauvaise récolte t tout périroit. »

Ailleurs, le marquis d’Argenson met en opposition le triste état des campagnes et le luxe de la cour :

« On n’a toujours que des choses fâcheuses, et même funestes, à dire du dedans du royaume. La maladie s’est jetée dans les moutons, à cause de la grande humidité de la terre ; il en périt quantité de troupeaux, surtout dans quelques provinces comme le Berry. On n’a donné encore aucun ordre sur la cherté des blés, et on laisse subsister la permission de les sortir du royaume ; on en donne même des passeports ; je sais une dame qui vient d’en avoir un.

« Le roi vient d’accorder au duc de Chaulnes un don de deux cent soixante mille livres, pour indemnité des dépenses qu’il a faites aux derniers états de Bretagne, outre les revenus et émoluments ordinaires de cette place.

« On a prétendu que l’hôtel de la chancellerie de France seroit mieux avec un appartement de plain-pied ; l’on y change l’escalier à la porte d’entrée ; ce qui coûtera grande dépense, et M. le chancelier va être une année sans pouvoir habiter cet hôtel. Mais le pire est que cela coûte à l’État ; ce qui scandalise le public.

« La marquise de Pompadour paroîtra à Marly avec une robe qui est garnie de dentelles d’Angleterre pour plus de vingt-deux mille cinq cents livres.

« Tous payements sont retardés. M. le duc d’Orléans m’a dit hier que ses pensions et tout ce qu’il reçoit au trésor royal étoient retardés présentement de deux années et un quartier, ce qui est de cinq quartiers plus qu’à l’ordinaire. »

Et ailleurs :

« Les receveurs des tailles font de grosses fortunes en peu de temps par les frais énormes des recouvrements : chaque habitant est à leur merci et craint l’augmentation de la taille chaque année. Ils sont surchargés d’impôts, gagnent peu, voient tout l’argent aller à Paris ; toute industrie, toute aisance est découragée : de là vient cette ruine générale en France. »


II. VÉNALITÉ DES CHARGES.


Page 254.


Il est souvent question dans les Mémoires de Saint-Simon, et notamment dans le présent volume, de la vénalité des charges Comme cet abus de l’ancienne France remontoit à une époque reculée, et que les détails n’en sont pas connus de tous les lecteurs, il est nécessaire d’en rappeler l’origine et le caractère.

En 1512, Louis XII, manquant de ressources pécuniaires pour soutenir la guerre contre la maison d’Autriche, commença à vendre des offices de finances et même quelques charges de judicature, par exemple des offices de baillis et de conseillers au parlement. Au premier aspect, on s’indigne d’un trafic qui livroit au plus offrant les charges d’où dépendent la vie et l’honneur des citoyens, et il faut bien reconnoître que, dans la suite, la vénalité des offices fut féconde en abus et en scandales. Cependant on ne doit pas oublier que ce fut une des principales causes de l’élévation des classes inférieures, qui, enrichies par le commerce, purent acquérir des charges de magistrature. Un des contemporains de Louis XII, Claude de Seyssel, étoit déjà frappé de cette révolution. Après avoir indiqué que la nation française est divisée en trois classes, tiers état, magistrature et noblesse, il ajoute [10] : « Si peut un chacun du dernier état parvenir au second, par vertu et par diligence, sans autre moyen de grâce ni de privilège. » Ce second état donnoit souvent l’avantage sur la noblesse, placée au premier rang. « On voit tous les jours, ajoute le même écrivain [11], les officiers et les ministres de la justice acquérir les héritages et seigneuries des barons et nobles hommes, et iceux nobles venir à telle pauvreté et nécessité qu’ils ne peuvent entretenir l’état de noblesse. »

Sous François Ier, les abus de la vénalité des charges commencèrent à se manifester de la manière la plus scandaleuse. Ce prince créa jusqu’à des chambres entières du parlement, composées d’un grand nombre de magistrats. Ainsi, en 1524, la création et la vente de vingt charges de conseillers au parlement de Paris lui valut soixante-dix mille livres tournois (monnaie du temps) [12]. La création de seize commissaires au Châtelet, de quarante notaires à Paris, de baillis, etc., [13], fut encore une mesure fiscale. Plusieurs de ces juges ne se faisoient pas scrupule de revendre en détail ce qu’ils avoient acheté en gros. « Il y en a, dit l’ambassadeur vénitien, Marino Cavalli [14], qui poussent si loin l’envie d’exploiter leur position, qu’ils se font pendre tout bonnement à Montfaucon ; ce qui arrive lorsqu’ils ne savent pas se conduire avec un peu de prudence ; car, jusqu’à un certain point, tout est toléré, principalement si les parties ne s’en plaignent pas. »Le même ambassadeur dit que la longueur des procès étoit souvent une spéculation des juges [15] : « Une cause de mille écus en exige deux mille de frais ; elle dure dix ans. »

Ces abus, qui ne firent que s’accroître sous les règnes suivants, provoquèrent les plaintes les plus vives. Bodin, dans son traité de la République, et Montaigne, dans ses Essais, s’élevèrent contre un trafic scandaleux. Mais il fut surtout attaqué par François Hotman [16] ; il ravale la vénalité des charges par une comparaison ignoble empruntée à la boucherie. Il assimile le trafic de ces offices, que l’on achetoit en gros et que l’on revendoit en détail, au commerce d’un boucher qui, après avoir acheté un boeuf, le dépèce et en vend les morceaux [17]. Ces attaques amenèrent d’utiles réformes : la vénalité des charges ne fut pas détruite, mais elle fut soumise à des conditions de moralité et de capacité [18]. Grâce à ces réformes, que l’on dut surtout au chancelier de L’Hôpital, les inconvénients de la vénalité des offices de judicature furent atténués. La science et la vertu se transmirent avec les charges dans les familles parlementaires : les Lamoignon, les de Harlay, les Molé, pour ne citer que les plus illustres, datent de la fin du XVIe siècle.

Henri IV et son ministre Sully régularisèrent cette propriété des offices dans les familles parlementaires. Il fut décidé, en 1604, que les magistrats, pour en devenir propriétaires, payeroient chaque année un soixantième du prix de leur charge. Le premier fermier de cet impôt fut le financier Paulet, d’où vint à la taxe le nom de paulette. Le premier bail pour cet impôt fut conclu pour neuf ans, et rapporta au trésor deux millions deux cent soixante-trois mille livres (monnaie du temps). Antérieurement, pour que la vente d’un office fût valable, il falloit que celui qui le résignoit survécût quarante jours à la transaction. Henri IV déclara que, pour les offices dont les titulaires auroient payé la paulette, la mort n’entraîneroit point la déchéance ; les héritiers pouvoient disposer de la charge.

Au XVIIe siècle, la vénalité des charges fut plusieurs fois attaquée. Richelieu songea à la supprimer : « Il ne faut plus rétablir la paulette, dit-il dans ses Mémoires [19] ; il faut abaisser les compagnies, qui, par une prétendue souveraineté, s’opposent tous les jours au bien du royaume. » Colbert eut la même pensée, comme le prouve un mémoire qu’il présenta à Louis XIV en 1665 [20] ; mais comme son projet rencontra des résistances insurmontables, il sut se contenter des réformes qui pouvoient être immédiatement appliquées ; il diminua le prix des offices et en limita le nombre [21]. Malgré ces réformes, le prix des charges de judicature étoit encore très élevé : un office de président à mortier se vendoit trois cent cinquante mille livres ; les charges de maître des requêtes et d’avocat général, cent cinquante mille livres ; de conseiller au parlement, quatre-vingt-dix à cent mille livres ; de premier président de la chambre des comptes ; quatre cent mille livres ; de président de la même chambre, deux cent mille livres ; de maître des comptes, cent vingt mille livres [22].

Pendant la dernière partie du règne de Louis XIV, les abus de la vénalité des charges se renouvelèrent de la manière la plus scandaleuse, et Saint-Simon, qui retrace surtout l’histoire de cette période, en parle souvent. Mais c’est surtout dans le Journal inédit de Foucault [23] que l’on trouve la preuve de ces créations d’offices, multipliées par la fiscalité. Il suffira d’en citer quelques passages : « En février 1693, j’ai reçu l’édit et l’arrêt du conseil que M. de Pontchartrain m’a envoyé au sujet des charges de contrôleur commissaire et trésorier de l’arrière-ban [24]. — Le roi a créé des charges d’essayeurs d’étain. — En 1694, il a été créé, par un édit, des colonels, majors et autres officiers de milices bourgeoises des villes et bourgs du royaume. J’ai proposé de les faire prendre (ces charges) par les mieux accommodés des bourgeois [25]. — Le 9 janvier, M. de Pontchartrain m’a envoyé l’édit portant création des certificateurs des criées. — Le roi a créé des médecins et chirurgiens royaux. — Il a été créé des offices de greffiers alternatifs [26] des rôles des tailles dans les paroisses. — Au mois d’octobre 1696, le roi a créé, par un édit, des offices de gouverneurs héréditaires dans toutes les villes closes du royaume, à l’exception de celles où il y a des provisions du roi et des appointements employés dans les États de Sa Majesté. Ces charges ont été fort recherchées et bien vendues. »

Cette nomenclature, qu’il seroit facile de prolonger, prouve à quel excès avoit été portée la vénalité des charges. Elle s’étendoit à l’armée, et Saint-Simon a dit avec raison : « Cette vénalité est une grande plaie dans le militaire, et arrête bien des gens qui seroient d’excellents sujets. C’est une gangrène qui ronge depuis longtemps tous les ordres et toutes les parties de l’État. » Malgré ces abus, la vénalité des charges trouva des apologistes au XVIIIe siècle. Montesquieu l’a défendue dans le passage suivant de l’Esprit des Lois [27]  ; « Cette vénalité est bonne dans les États monarchiques, parce qu’elle fait faire, comme un métier de famille, ce qu’on ne voudroit pas entreprendre pour la vertu ; qu’elle destine chacun à son devoir, et rend les ordres de l’État plus permanents. » La vénalité des charges de judicature, supprimée en 1771, par le président Maupeou, fut rétablie en 1774, et a duré jusqu’à la révolution française.


  1. Bibl. de l’Arsenal, ms. n° 218, in-fol. (Histoire).
  2. Malheureusement le cadastre de la France, commencé par ordre de Colbert, n’avait été exécuté que dans un petit nombre de généralités.
  3. Cette notice sur la taille et sur les juridictions financières, a été écrite, comme on l’a déjà dit, vers 1725.
  4. Voy. sur les pays d’états, t. XIV, p. 482.
  5. Voy. sur les intendants, t. III, p. 442.
  6. C’est-à-dire des dépenses ordinaires de l’armée.
  7. Voy. Mémoires de Saint-Simon., t. I, p. 227, 228, note.
  8. Voy. sur le prévôt des marchands, t. III, p. 442.
  9. L’impôt sur le sel, ou gabelle.
  10. Traité de la monarchie, première partie, chap. XVII.
  11. Claude de Seyssel, Traité de la monarchie, deuxième partie, chapitre XX.
  12. Journal d’un bourgeois de Paris sous François Ier, p. 123, 124 (Publication de la Société de l’histoire de France).
  13. Ibidem, p. 124, 125, 126, 127.
  14. Relations des ambassadeurs vénitiens, I, 265.
  15. Ibidem, 263.
  16. Franco-Gallia, chap. XXI.
  17. «  Sicuti lanii bovem opimum pretio emptum in macello per partes venditaut.  »
  18. Voy. art. 12 de l’ordonnance de Moulins (1566).
  19. Mémoires de Richelieu, liv. XX.
  20. Ce mémoire a été publié dans la Revuerétrospective, deuxième série, t. IV, p. 251 et suiv.
  21. Anciennes lois françaises, t. XVIII, p. 66.
  22. Anciennes lois françaises, ibidem. — Henri Martin, Histoire de France, (3e édit), t. XIV, p. 574.
  23. J’ai déjà plusieursfoiscité ce journal de Foucault, qui est conservé dans le dépôt des mss. de la Bib. impériale.
  24. Ibidem. fol. 82.
  25. Ibidem, fol. 87.
  26. C’est-à-dire remplissant alternativement l’office de greffiers des rôles.
  27. Liv. V, chap. XIX, éd. de Ch. Lahure, t. I, p. 61.