Mémoires (Saint-Simon)/Tome 18/10

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CHAPITRE X.


Mort, caractère, conduite du cardinal de Mailly. — Il obtient que son neveu de Nesle porte la queue du grand manteau de l’ordre du roi à Reims. — Il ne va point à Rome, arrêté par une opération instante au moment de son départ. — Réflexions. — Reims persévéramment offert à Fréjus, obstinément refusé. — Motifs de l’un et de l’autre. — Sa conduite à l’égard du roi, du régent, du maréchal de Villeroy, du monde. — Raison à moi particulière de désirer que Fréjus acceptât Reims. — Sagacité très singulière d’une femme de chambre. — Fréjus accepte à grand’peine l’abbaye de Saint-Étienne de Caen. — Fréjus point avide de biens. — Fréjus, parfaitement ingrat, empêche que Reims soit donné à Castries, archevêque d’Albi. — Abbé de Guéméné archevêque de Reims. — Retraite et caractère du duc de Brancas. — Mort, fortune et caractère de l’abbé de Camps. — Mort de l’évêque-duc de Laon, Clermont-Chattes. — Ses deux premiers successeurs. — Mort et caractère de l’archevêque de Rouen, Besons. — Son successeur. — Mort du duc de Fitz-James ; de Mlle de La Rochefoucauld ; de Mme de Polignac, mère du cardinal ; de Prior, à Londres.


Le cardinal de Mailly étoit mort quatre jours avant Mme la grande-duchesse dans l’abbaye de Saint-Thierry, unie à l’archevêché de Reims, à soixante-trois ans. Cette mort étoit bien propre à faire faire de grandes réflexions. J’ai parlé plus d’une fois de ce prélat, de ma liaison étroite avec lui, de ses causes et de ses suites, quoique lui et moi pensassions bien différemment sur l’affaire de la constitution ; du peu de vocation à son état, de son ambition et de sa passion démesurée pour le cardinalat dès ses premiers commencements ; de ses démarches hardies et continuelles pour y parvenir ; de sa haine jusqu’à la fureur pour le cardinal de Noailles, et de ses faibles et injustes causes ; de son déchaînement forcené pour la constitution, par toutes ces raisons, et uniquement de son aveu à moi par ces raisons, jusqu’à m’avoir dit, dans ses plus grands emportements sur cette affaire, que, si le cardinal de Noailles avoit été pour la constitution, lui Mailly auroit été contre avec la même rage qu’il étoit pour cette bulle. Un léger abrégé suffira donc sur ce qui le regarde, puisqu’on a vu en son lieu comment d’aumônier du roi, et vieux pour cet emploi, avec une abbaye fort mince, il devint tout d’un coup archevêque d’Arles, puis de Reims, par quels étranges chemins cardinal, puis reconnu tel en France, enfin abbé de Saint-Étienne de Caen. Il eut Arles en 1697, Reims en 1710 ; le chapeau, 19 novembre 1719, reconnu cardinal plusieurs mois après par le régent et le roi avec grand’peine. Quoique d’une santé ferme et que je n’ai vue altérée en rien jusqu’à l’événement dont je vais parler, il vivoit depuis qu’il fut cardinal dans le plus exact régime, et sur ses heures, et sur le choix et la mesure de son manger et sur mille sortes de bagatelles, tant il désiroit jouir longtemps de sa fortune. Il voyoit le sacre instant et un conclave peu éloigné. Ces cérémonies et la figure qu’il y alloit faire le transportoient. Il ne songea qu’à partir brusquement dès qu’on eut la nouvelle de la mort du pape ; mais il eut l’avisement de profiter de la circonstance. En prenant congé du régent, il lui représenta que le sacre étoit fort proche, qu’il auroit l’honneur de le faire, et de conférer le lendemain l’ordre du Saint-Esprit au roi qui ne l’avoit pas encore reçu ; que le roi choisissoit toujours un seigneur pour porter ce jour-là, et le lendemain qu’il faisoit des chevaliers, la queue de son grand manteau de l’ordre, ce qui lui donnoit droit, quelque âge qu’il eût, d’être compris dans la promotion suivante, comme il étoit arrivé de M. de Nevers en 1661, à la première fleur de son âge, et là-dessus demanda et obtint que son neveu le marquis de Nesle fût choisi pour cette fonction. La promesse en fut si publique que, quoique le cardinal de Mailly fût mort lorsque le roi fut sacré, la parole fut tenue, et le marquis de Nesle fut chevalier de l’ordre de la promotion de 1724, si nombreuse et si peu choisie, quelques années avant l’âge.

Je passai avec le cardinal de Mailly toute la soirée de la veille qu’il devoit partir pour Rome ; je ne vis jamais un homme si content. Je le quittai tard, se portant très bien. Le lendemain sur le midi, je fus bien étonné d’apprendre par un homme qu’il m’envoya qu’il s’étoit trouvé si mal la nuit, que dès le grand matin, il avoit envoyé chercher du secours, lequel lui avoit trouvé la fistule, et si pressée à y travailler que sans autre préparation l’opération lui avoit été faite fort heureusement, qu’il étoit aussi bien qu’il étoit possible, et qu’il me prioit de l’aller voir. Je le trouvai en effet fort bien pour son état, mais bien touché de n’aller point à Rome. Le sacre prochain le consoloit et l’espérance de voir un autre conclave. Je ne m’étois jamais aperçu qu’il fût attaqué d’aucun mal, et lui-même n’en avoit jamais parlé ; il croyoit de temps en temps avoir des hémorroïdes à ce qu’il dit depuis, et n’en faisoit point de cas. Je ne sais comment cette opération fut faite ; mais on apprit depuis sa mort qu’il lui étoit demeuré un écoulement qu’on lui avoit bien recommandé d’entretenir. Il vit bientôt le monde, tant sa guérison s’avança sans aucun accident, et en peu de temps reprit sa vie accoutumée. Cinq mois se passèrent de la sorte. Il s’en alla à Reims où il n’étoit pas à son aise, et qu’il avoit accablé de lettres de cachet. Il se retira bientôt après à Saint-Thierry qui n’en est qu’à quelques lieues, qui lui servoit de maison de campagne, ne respirant que feu et sang contre les opposants à la constitution, et sa vengeance particulière de ceux qui osaient encore lui résister, lorsque tout à coup cet écoulement s’arrêta, et fit une révolution à la tête, où il sentit des douleurs à crier les hauts cris. À peine ce tourment eut-il duré quatorze ou quinze heures, malgré les saignées et tout ce qu’on put employer, qu’il perdit la connoissance et la parole, et mourut dix ou douze heures après, sans avoir eu un moment à penser à sa conscience. Quelle fin de vie dans un prêtre et dans un évêque, toute d’ambition et persécuteur effréné par ambition et par haine ! Il passionna les honneurs, il goûta seulement des plus grands comme pour s’y attacher davantage. Ce qu’ils avoient pour lui de plus flatteur lui fut montré et porté, pour ainsi dire, jusqu’au bord de ses lèvres. La coupe lui en fut subitement retirée sans qu’il y pût toucher au moment d’y mettre la bouche et d’en boire à longs traits. Livré à des douleurs cruelles, puis à un état de mort, et paroître devant Dieu tout vivant de la vie du monde, sans avoir eu un moment à penser qu’il l’alloit quitter et paroître devant son juge voilà le monde, son tourbillon, ses faveurs, sa tromperie et sa fin !

Fréjus tout appliqué au futur, mais au futur de ce monde, ne songeoit qu’à s’attacher le roi et y faisoit les plus grands progrès et les plus visibles. Quoique au fond très contraire au régent, il se conduisoit à son égard avec une grande circonspection ; et en cultivant le parti opposé, il le faisoit avec une grande mesure. Le maréchal de Villeroy en étoit le coryphée. Il étoit l’objet de la plus jalouse attention de Fréjus ; il ne vouloit pas sa grandeur, qu’il regardoit comme ruineuse à ses projets de s’emparer du roi avec une autorité sans partage ; il sentoit toute la disproportion et le poids du maréchal d’avec lui, et personnellement empêtré de tout ce qu’il lui devoit d’attachement et de reconnoissance, parce que personne n’en ignoroit les raisons. Il n’étoit pas temps de sortir de ces liens, mais il n’avoit garde de travailler à les augmenter, en servant et encourageant contre le gouvernement et la personne de M. le duc d’Orléans, un parti timide au fond, et mal organisé pour les exécutions, abattu de celles qu’il avoit essuyées, mais plein de la plus ardente volonté, et qui, pouvant compter sur le roi par Fréjus, auroit bientôt repris forces et courage, mais dont le fruit principal seroit recueilli par le maréchal de Villeroy, et par sa place auprès du roi, et parce qu’il étoit à la tête de ce parti, ce qui étoit fort éloigné de l’intérêt et de la volonté de Fréjus, qui travailloit de loin à se rendre le maître, et qui se seroit vu asservi sous le maréchal, dont il regardoit la ruine dans l’esprit du roi comme essentielle à la grandeur qu’il méditoit dès lors pour soi-même.

Ses progrès auprès du roi étoient si visibles qu’ils commençoient à faire de lui un personnage que chacun vouloit ménager de loin. S’il sentoit toute la supériorité d’état que le maréchal de Villeroy avoit sur lui, à plus forte raison sentoit-il celle de M. le duc d’Orléans, le poids de sa naissance, de sa place, de ses talents, de son âge, qui devoient naturellement perpétuer son autorité encore plus de trente ans après la fin de sa régence, et qui, ayant ôté le duc du Maine d’auprès du roi, pouvoit quand il voudroit l’en chasser lui-même, sans craindre d’exciter aucun mouvement dans l’État, comme il y avoit eu lieu de l’appréhender sur M. du Maine, et de renverser par là ses espérances et ses projets pour toujours. C’est ce qui le contenoit à l’égard du régent dans de si exactes mesures ; c’est ce qui l’engageoit à me cultiver avec tant de soin et tant d’écorce de confiance, parce que j’étois le seul dans l’intime confiance du régent que pût fréquenter sur le pied d’amitié particulière un évêque qui vouloit se parer des vertus et d’une conduite de son état, et en tirer un grand parti dans la suite. C’est aussi ce qui redoubloit son application et son activité pour s’attacher le roi de plus en plus et parvenir, s’il le pouvoit, au point de se faire un bouclier assuré de l’affection du roi pour lui en cas qu’il prit envie au régent de le chasser.

Je voyois clairement tout ce manège de cour, et j’en instruisois les négligences de M. le duc d’Orléans. Il lui importoit de ménager le seul homme pour qui l’amitié et la confiance du roi se déclaroit de plus en plus, et qui intérieurement étoit plus que détaché du maréchal de Villeroy. Je le savois par les choses qu’il m’en disoit souvent, et je n’en pouvois douter par mille traits journaliers de bagatelles intérieures, qui nous revenoient par les valets du dedans, qui étoient à M. le duc d’Orléans, parce qu’il les traitoit fort bien, et qu’outre les miches [1] qu’il leur élargissoit volontiers, ils sentoient, avec toute la disproportion des personnes, toute la différence de la hauteur du maréchal de Villeroy avec eux, et de la douceur, pour ne dire pas la politesse et la facilité qu’ils éprouvoient dans l’accès de M. le duc d’Orléans. Je conseillai à ce prince de donner à Fréjus l’archevêché de Reims, pour faire une chose agréable au roi, pour s’attacher Fréjus par un présent si disproportionné de lui, au moins pour lui montrer amitié et bonne volonté et le tenir par là hors de mesure de lui être contraire, sans que cette grandeur lui pût donner rien de réel qui ajoutât rien à l’amitié et à la confiance du roi, qui, avec ou sans Reims, étoit la seule chose qui pût le rendre considérable présentement et plus encore à mesure que le roi avanceroit en âge, et par son âge deviendroit le maître. Le régent me crut, alla trouver le roi, et le lui proposa pour que lui-même eût le plaisir de le donner et de l’apprendre à M. de Fréjus. Il l’envoya quérir sur-le-champ dans son cabinet, où en présence de M. le duc d’Orléans et du maréchal de Villeroy, il le lui dit. Fréjus témoigna sa gratitude, sa disproportion d’un siège si relevé, l’incompatibilité des fonctions épiscopales avec les siennes auprès du roi, et refusa avec fermeté, appuyant de plus sur son âge, qui ne lui permettoit plus le travail du gouvernement d’un nouveau diocèse. Le roi parut mortifié. M. le duc d’Orléans insista qu’on ne prétendoit pas que Reims l’éloignât du roi ; qu’il auroit des grands vicaires qui lui rendroient compte de tout et gouverneroient par ses ordres et un évêque in partibus, qu’on pourvoiroit d’abbayes, qui feroit sur les lieux les ordinations et les autres fonctions réservées aux évêques ; que plusieurs prélats avoient des évêques in partibus pour faire ces fonctions pour eux dans leurs diocèses ; que cela étoit en usage de tout temps pour ceux qui croyoient en avoir besoin ; qu’entre ces besoins, il n’y en avoit pas un plus légitime que ses fonctions auprès du roi, et qu’il n’en devoit faire aucune difficulté. Fréjus se confondit en remerciements ; mais toujours ferme au refus, répondit qu’il étoit plus court et plus dans l’ordre de ne point acquérir de pareils besoins que de s’en servir, et qu’il ne se tiendroit point en sûreté de conscience d’accepter un évêché dans l’intention de le laisser gouverner par d’autres, et de n’y point faire de résidence. Le bon prélat n’avoit pas pensé, et n’en avoit pas usé ainsi pour Fréjus, où il ne résida comme point, et n’osant être à Paris, couroit sans cesse le Languedoc et la Provence. Quoi que le roi, le régent et le maréchal de Villeroy pussent dire et faire, ils ne purent ébranler Fréjus, tellement que M. le duc d’Orléans finit ce long débat par lui dire que le roi ne recevoit point son refus ; qu’il vouloit au moins qu’il y pensât et se consultât à loisir, et qu’il prit pour cela tout le temps qu’il voudroit.

Au sortir de là, je fus instruit par M. le duc d’Orléans de ce qui s’étoit passé, et quoique je n’en fusse pas surpris par quelques mots qui s’en étoient auparavant jetés entré Fréjus et moi, mais en courant, parce que tout se fit sur-le-champ, j’en fus très fâché. Je fis sentir à ce prince combien Fréjus estimoit plus le futur que le présent, puisqu’il n’étoit pas ébloui d’une telle place ni entraîné par les instances du roi et par les siennes ; que cela méritoit une grande réflexion sur les projets de cet évêque à conscience devenue si délicate, qu’il étoit clair qu’il ne vouloit pas accepter, pour éviter tout prétexte de quitter le roi de vue et un moyen si facile et si naturel de l’en séparer, le temps de l’éducation fini, en l’envoyant dans son diocèse, ce que sans cela la moindre bienséance exigeroit de lui, et l’y retenant après, ce qui le borneroit à cette fortune qu’il auroit faite et lui feroit perdre terre, moyens et toute espérance de celle qu’il se préparoit par l’amitié et la confiance du roi, et qu’il ne se pouvoit bâtir que par la continuation et l’augmentation de cette même confiance, qu’il ne se pouvoit entretenir que par une présence et une habitude continuelle, après le temps de l’éducation fini, et qui se détruiroit sans ressource par l’absence ; enfin que cela même étoit la plus forte de toutes les raisons, qui devoit presser M. le duc d’Orléans de ne rien oublier pour forcer Fréjus à l’acceptation, et s’ouvrir par là, en le comblant et en ravissant le roi, s’ouvrir, dis-je, une porte légitime et simple d’éloigner du roi cet évêque, sans que ni l’un ni l’autre s’en pussent plaindre d’abord, et en le tenant dans son diocèse laisser détruire au temps et à l’absence ce que les soins et l’assiduité auroient édifié, et que la continuation de la présence auroit pu achever, et donner trop d’ombrages à Son Altesse Royale, trop foible peut-être alors contre un homme si adroit qui se trouveroit en pleine possession du roi et sans partage.

Ces raisons frappèrent M. le duc d’Orléans et le résolurent à faire tout ce qui lui seroit possible pour engager Fréjus à daigner être archevêque de Reims ; de mon côté je ne m’y oubliai pas ; j’avois pour cela des raisons particulières, outre les générales que je viens d’expliquer ; je les rapporterai ici naturellement avec la vérité qui fait l’âme de ces Mémoires. À la conduite et aux progrès de Fréjus que je viens de représenter, le moins à quoi il pouvoit tendre en attendant mieux, si les conjectures s’en offroient, étoient le chapeau et une place dans le conseil à la majorité, et quelque prodigieux que cela fût pour un homme de sa sorte, il avoit déjà su se mettre avec le roi de façon que cette énorme fortune en devenoit une suite toute naturelle, à quoi M. le duc d’Orléans ne pourroit s’opposer, surtout après ce qu’il avoit fait de tout semblable, et bien plus encore pour Dubois, son précepteur, plus bas encore de naissance que Fréjus, et dont le personnel indigne ne pouvoit se comparer en rien au personnel de Fréjus. La calotte rouge, en arrivant à ce dernier, s’amalgamoit à celle de Dubois.

Je ne désespérois pas que le temps, les incartades, le poids de son autorité sur la faiblesse de M. le duc d’Orléans, quelques manèges même auprès du roi majeur qui avoit un éloignement pour Dubois ; que celui de Fréjus qui envioit, haïssait et méprisoit Dubois, le renvoyassent à Cambrai, soit par le dégoût, peut-être même la jalousie que M. le duc d’Orléans en pourroit enfin prendre, soit parce que, n’étant plus régent, il n’oseroit soutenir un homme si infime et si reconnu pour tout ce qu’il étoit d’ailleurs, contre le dégoût du roi poussé par Fréjus, qui en enhardiroit d’autres, et qui rendroient le cri public plus fort. Défait ainsi de lui, je ne sortois point d’embarras, Fréjus ayant la pourpre. Mais il tomboit entièrement s’il étoit archevêque de Reims, et je pouvois dignement, moi et tout autre duc, me trouver avec lui au conseil et partout, parce que je cédois non au cardinal mais à la dignité de son siège qui nous précède tous sans difficulté, ainsi que les cinq autres sièges dont les évêques sont pairs bien plus anciens que nous. J’avois déjà gagné que Dubois depuis sa promotion n’entroit plus au conseil de régence ; je comptois bien en faire une planche pour le conseil à la majorité, mais j’en espérois faiblement si Fréjus cardinal, ou assuré de l’être bientôt, appuyoit la pourpre de Dubois en considération de la sienne, et qu’il ne seroit pas facile d’exclure du conseil pour la difficulté du rang, avec le roi en croupe, au lieu que toute difficulté cessant par Reims et n’ayant plus affaire qu’à Dubois, Fréjus hors de cause contribueroit de tout son pouvoir à l’exclure pour son intérêt particulier. Plein donc de tant de motifs généraux et particuliers, j’attaquai Fréjus de toutes mes forces pendant plusieurs jours, et voyant bien à quoi il tenoit le plus, qui étoit de n’avoir point de diocèse où la bienséance l’obligeât d’aller et de faire de hasardeuses absences, et qui pis encore pouvoit devenir une occasion toute naturelle de l’y envoyer et de l’y retenir, je lui proposai d’accepter Reims, de le garder un an ou dix-huit mois, puis de le remettre, dont il auroit mille bonnes raisons à alléguer l’avoir pris par n’avoir pu résister au roi et au régent, le rendre après avoir, par l’acceptation, marqué son respect, sa déférence, son obéissance ; par ne pouvoir se résoudre, dans un âge avancé, de se charger du gouvernement d’un grand diocèse, moins encore de le faire gouverner par autrui ; que par cet expédient si simple et si plausible, il évitoit tout ce qui l’empêchoit d’accepter, et conservoit un rang qui le mettoit à la tête des pairs, et qui, le chapeau lui venant, l’affranchissoit de toutes sortes d’embarras et de difficultés.

J’eus beau étaler tout le bien-dire que je pus, tâcher à l’ébranler, par la crainte que le refus si opiniâtre d’une place si unique ne persuadât au régent qu’il ne vouloit rien tenir de lui, et les conséquences et les suites qui en résultoient, tout fut inutile. Il se tint ferme au refus entier, et me dit dévotement que sa conscience ne lui pouvoit permettre d’accepter Reims, dans le dessein de le rendre, de n’y aller jamais, et de se revêtir seulement du rang de ce grand siège, qu’il n’auroit accepté que dans cette vue d’orgueil et de vanité, et non d’y servir l’Église dans la conduite effective et sérieuse de cette portion du troupeau, qui étoit la seule voie canonique dans laquelle on dût marcher lorsqu’on acceptoit un évêché. L’hypocrite me paya de cette monnaie ; c’est qu’il vouloit demeurer libre à l’égard de M. le duc d’Orléans, et qu’à l’égard de la préséance il méprisoit Reims, parce qu’à la manière dont il avoit vu les ducs se conduire, et être traités dans toute cette régence, il les regardoit comme nuls ; que tôt ou tard ils seroient crossés par Dubois, et céderoient à sa pourpre, au pis aller à la sienne à lui dès que le roi seroit le maître, dont M. le duc d’Orléans, quelque crédit qu’il conservât, lui feroit litière à son accoutumée. Ce combat qui dura plus de quinze jours avant que M. le duc d’Orléans, à bout de voies, eût enfin admis son refus, fit l’entretien de tout le monde. Un matin que j’en parlois avec regret à Mme de Saint-Simon, comme elle se coiffoit, car rien n’étoit alors si public, une femme de chambre qui s’appeloit Beaulieu, familière parce qu’elle étoit à elle depuis notre mariage, et qui avoit de l’esprit et du sens, prit tout d’un coup la parole. « Je ne m’en étonne pas, dit-elle, il ne veut point de Reims, il ne veut qu’être roi de France, et il le sera. » Quoique j’en pensasse bien quelque chose, le propos de cette fille nous surprit et s’est enfin trouvé une prophétie.

Une résistance si invincible nous fit aisément comprendre que Fréjus ne vouloit rien de la main de M. le duc d’Orléans. Il le sentit comme moi, quoique Fréjus eût aussi d’autres raisons plus fortes. Je crus qu’il le falloit pousser à bout là-dessus et lui donner la riche abbaye de Saint-Étienne de Caen, que la mort du cardinal de Mailly laissoit aussi vacante, et qui n’avoit point la raison de refus d’un diocèse à conduire, ni la bienséance d’y aller, ni la crainte d’y pouvoir être envoyé et retenu sous le spécieux prétexte du devoir épiscopal. M. le duc d’Orléans goûta tout aussitôt ce que je lui en représentai et alla chez le roi, qui comme l’autre fois envoya chercher Fréjus. Le roi lui annonça l’abbaye, et M. le duc d’Orléans ajouta que, n’y ayant là ni gouvernement d’âmes ni personne à conduire et point de résidence, il ne croyoit pas qu’il pût ni voulût refuser. Ce n’étoit pas le compte de Fréjus, il voulut l’honneur du refus. Quoiqu’il n’eût que très -peu de bénéfices, il protesta qu’il en avoit assez et se fit battre plusieurs jours, soit qu’en effet il ne voulût rien de M. le duc d’Orléans, bien sûr qu’après la régence il recevroit du roi tout ce qu’il voudroit, soit que résolu de ne pas laisser échapper ce gros morceau, il voulût se faire honneur de cette momerie. Je me mis après lui comme j’avois fait pour Reims, non dans le même désir, parce qu’il n’y avoit plus d’intérêt général ni particulier à l’égard de cette abbaye, mais pour la curiosité de ce qu’il en arriveroit ; enfin, après avoir bien fait le béat et le réservé sur les biens d’Église, il eut la complaisance de se laisser forcer et même de laisser employer le nom du roi à Rome pour le gratis entier qu’il obtint aussitôt. Il faut pourtant avouer qu’il ne fut jamais intéressé. Depuis il a été longtemps à même de toutes choses, il n’a jamais pris aucun bénéfice, et il n’a pas paru qu’il se fût beaucoup récompensé d’ailleurs. Aussi dans le plus haut point de la toute-puissance, avec le cardinalat, son domestique, son équipage, sa table, ses meubles furent toujours au-dessous même de ceux d’un prélat médiocre.

Achevons de suite ce qui regarde l’archevêché de Reims. J’étois fort des amis de Castries, et l’abbé son frère, l’un chevalier d’honneur de Mme la duchesse d’Orléans, l’autre qui avoit été premier aumônier de Mme la duchesse de Berry, que j’avois fait mettre dans le conseil de conscience, qui avoit été sacré archevêque de Tours, par le cardinal de Noailles, et qui, sans y être allé, passa tout aussitôt à Albi, comme l’abbé d’Auvergne, qui eut Tours après lui, passa incontinent après à Vienne. Les Castries avec raison désiroient passionnément Reims. Outre le rang et la décoration, l’extrême éloignement d’Albi et la proximité de Reims étoit un grand motif pour deux frères toujours infiniment unis, qui avoient passé toute leur vie ensemble, et qui se voyoient séparés dans un temps où l’âge et les infirmités de l’aîné et sa solitude domestique, ayant perdu sa femme et son fils unique, lui rendoient la présence de son frère plus nécessaire. Fréjus dès lors avoit saisi assez de part dans la distribution des grands bénéfices.

La constitution, la faiblesse, l’incurie de M. le duc d’Orléans, lui en avoient frayé le chemin, de sorte que pour Reims il fallut compter avec l’un et l’autre. On a vu ici ailleurs, par occasions, qui étoit Fréjus, et qu’il devoit tout au cardinal Bonzi, qui étoit frère de la mère des Castries, et qui les avoit toujours aimés et traités comme ses enfants. Fréjus en avoit été témoin, leur avoit fait sa cour, en avoit été recueilli, en avoit reçu des services importants et qui l’avoient sauvé de sa perte. Il avoit passé sa vie avec eux, souvent logé et défrayé chez eux, dans une intimité parfaite avec mêmes amis et même société à la cour. Il étoit donc bien naturel qu’il les servît en chose pour eux de tous points si désirable. Je me chargeai de M. le duc d’Orléans, ils furent surpris de trouver en cette occasion leur ami un ministre prématuré qui se montra fort peu porté à les servir. J’y trouvai aussi M. le duc d’Orléans fort peu disposé. Il n’y avoit rien à dire sur la conduite des Castries ; d’ailleurs le régent n’y étoit ni difficile ni scrupuleux. Il m’alla chercher des difficultés sur la naissance, pour une place telle que Reims, et la proximité encore du sacre du roi. J’y répondis par le collier de l’ordre de leur père, par sa charge de lieutenant général de Languedoc et de gouverneur de Montpellier, par l’alliance de Mortemart. Le débat fut souvent réitéré, et je dis à M. le duc d’Orléans que je m’étonnois fort qu’il fût plus délicat que moi pour Reims, lui qui l’étoit si peu pour ces sortes de choix ; et je tâchai de lui faire honte de tant faire le difficile pour le frère d’un homme en charge principale chez Mme la duchesse d’Orléans depuis si longtemps, dont il avoit toujours été content, qui avoit épousé sa cousine germaine, si longtemps et morte sa dame d’atours et cousine germaine, fille du frère de Mme de Montespan, dont avec tant de raison elle se faisoit honneur. J’en dis tant que je vainquis la répugnance de M. le duc d’Orléans, qui me dit qu’il falloit gagner Fréjus, qui y étoit fort opposé. Je tâchai de lui faire honte de prendre une telle dépendance, et lui demandai s’il vouloit morceler sa régence et en abandonner une portion aussi considérable, aussi agréable, aussi importante que l’est la nomination des bénéfices. Peu à peu, je vins encore à bout de cette difficulté à toute reste, mais en me recommandant toujours de tacher de gagner Fréjus. Ce prélat, qui devoit par ce qui a été dit être le grand arc-boutant des Castries en cette occasion, se montra si contraire que ni les Castries, ni moi qui lui en parlai souvent et fortement, n’en pûmes jamais tirer une seule bonne parole, tellement que je me résolus à l’emporter de force, et malgré lui, de M. le duc d’Orléans ; je mis l’affaire au point où je la pouvois désirer.

Mais mon départ s’approchoit, et les Castries, que j’avertissois à mesure que j’avançois, me dirent que sans mon départ ils tiendroient la chose faite, mais que ce départ la feroit manquer. Elle se fût faite en effet au point où je la laissai, si j’avois pu demeurer davantage, et avoir le loisir d’achever de forcer M. le duc d’Orléans. Mais il fallut partir et laisser le champ libre à Fréjus, qui dans sa rage de constitution, écartoit Albi, ami du cardinal de Noailles, et vouloit s’attacher le cardinal de Rohan, pour le chapeau, auquel il pensoit déjà beaucoup, et qui étoit à Rome, et au cardinal Dubois, à qui les Castries, droits et fort honnêtes gens, n’avoient point fait leur cour, lequel, pour entretenir les Rohan dans l’erreur de faire premier ministre le cardinal de Rohan à son retour de Rome, vouloit, de concert avec Fréjus, mettre l’abbé de Guéméné à Reims, comme ils firent bientôt après que je fus parti.

Poursuivons le peu qui reste à dire de cette année pour ne point interrompre ce qui regarde mon ambassade. Il a été quelquefois mention ici du duc de Brancas, et de la façon dont il étoit avec M. le duc d’Orléans, qui s’amusoit fort de ses saillies, et qui l’avoit presque toujours à ses soupers.

C’étoit un homme d’une imagination vive, singulière, plaisante, plein de traits auxquels on ne pouvoit s’attendre, qui avoit sacrifié sa fortune à ses plaisirs, et à une vie obscure, pauvre d’ailleurs, et fort intéressé, tout à fait incapable de rien de sérieux, en quoi il se faisoit justice lui-même, et n’étoit pas sans esprit. Au travers de ses débauches, il avoit eu de fois à autres de faibles retours qui n’avoient eu aucune suite. Enfin Dieu le toucha. Il s’adressa fort secrètement au P. de La Tour, général de l’Oratoire, grand et sage directeur, dont il a été parlé ici quelquefois, qui jugea qu’il avoit besoin d’une forte pénitence et d’une entière séparation du monde. Il l’y résolut, et se chargea de lui choisir et de lui préparer une retraite. Pendant tout le temps de ce commerce secret, le duc de Brancas avoit quitté ses débauches, mais conservé tout l’extérieur de sa vie, et soupoit tous les soirs avec M. le duc d’Orléans et ses roués, avec sa gaieté ordinaire. Au commencement d’octobre, il disparut tout d’un coup, ayant soupé la veille avec M. le duc d’Orléans, sans qu’il eût paru en lui aucun changement ; et on sut quelques jours après qu’il étoit allé se retirer dans l’abbaye du Bec en Normandie, où sont les bénédictins de la congrégation de Saint-Maur. M. le duc d’Orléans, également surpris et fâché de sa retraite, espéra en sa légèreté, et lui écrivit une lettre tendre et pressante pour le faire revenir. Le duc de Brancas lui fit une réponse d’abord plaisante, puis sérieuse, sage et ferme, édifiante et belle, qui ôta toute espérance de retour. Il y passa fort saintement plusieurs années ; plût à Dieu qu’il eût persévéré jusqu’à la fin !

Il y eut plusieurs morts : l’abbé de Camps, qui fit une fortune singulière, et qui fut quelque peu de temps une sorte de personnage. Il étoit d’Amiens, fils d’un quincaillier et cabaretier, fut amené à Paris fort jeune, et mis à servir les messes aux jacobins du faubourg Saint-Germain. Le P. Serroni du même ordre, qui avoit gagné l’évêché d’Orange à être le conducteur du P. Mazarin, archevêque d’Aix, cardinal et frère fort imbécile du fameux cardinal Mazarin, se trouva à Paris logé dans ce couvent. Devenu évêque de Mende, il prit ce petit garçon, qui lui avoit plu, le tint quelque temps clerc chez un notaire, en fit après un sous-secrétaire, et enfin son secrétaire. Il s’en servit en beaucoup d’affaires avec succès. Il lui donna et lui fit donner des bénéfices, le fit députer à une assemblée du clergé où il montra beaucoup d’esprit et de capacité. Serroni, toujours en crédit et en considération, et pour lequel Albi qu’on lui avoit donné fut érigé en archevêché, le fit coadjuteur de Glandèves, et bientôt après nommer à l’évêché de Pamiers. C’étoit au temps de l’affaire de la régale en faveur de la quelle de Camps écrivit fortement, et s’y intrigua tellement que, lorsque cette affaire fut terminée, Rome ne put jamais se résoudre à lui donner les bulles de Pamiers, et que le roi eut la complaisance de retirer sa nomination, et d’en faire une autre. Il l’en dédommagea par l’abbaye de Signi, en Champagne, de plus de quarante mille livres de rente, outre les bénéfices qu’il avoit. Il s’acquit une grande connoissance des médailles et de l’histoire, et a beaucoup écrit sur celle de France qu’il a fort éclaircie [2]. Il ne fut pas content avec raison de celle que le P. Daniel, jésuite, publia vers la fin du dernier règne, et de laquelle j’ai parlé ici en son temps. Le P. Daniel le trouva mauvais ; ils écrivirent l’un contre l’autre, et l’auteur mercenaire et menteur fut battu par l’abbé qui aimoit la vérité. Il savoit en effet beaucoup, avec de l’esprit et du jugement, de la vivacité et quelquefois de l’âcreté. Il passa sa longue vie de quatre-vingt-deux ans à Paris, la plupart du temps dans sa belle bibliothèque, à travailler et à étudier ; voyoit bonne compagnie, force savants aussi, et se faisoit honneur de son bien, mais avec mesure et sagesse, estimé et considéré, bien reçu partout. Il alloit assez souvent faire sa cour au feu roi, et il n’y alloit presque jamais sans que le roi lui parlât, et lui témoignât bienveillance. Il passa toute sa vie jusqu’au bout dans une santé parfaite de corps et d’esprit.

L’évêque-duc de Laon dans son diocèse, médiocrement vieux : il étoit Clermont-Chattes, fort du monde, et toutefois bon évêque, assez résidant et appliqué au gouvernement de son diocèse. Il étoit frère du chevalier de Clermont, perdu pour l’affaire de Mme la princesse de Conti et de Mlle Choin, dont il [a] été ici amplement parlé en son temps, et qui, après un long exil en Dauphiné, obtint de l’être à Laon, d’où M. le duc d’Orléans le tira à la mort du roi, et lui donna depuis ses Cent-Suisses. C’étoit un très honnête homme et galant homme. Il a été suffisamment parlé de cet évêque de Laon, en différents endroits. Il s’étoit dignement et sagement signalé au commencement de l’affaire de la constitution ; mais le pauvre homme n’eut pas le courage d’essuyer la pauvreté dont il fut menacé. D’ailleurs bon homme et honnête homme, et fort estimé jusqu’à cette chute, lui-même en fut si honteux qu’il ne reparut presque plus depuis, et demeura presque toujours dans son diocèse, où il fut fort regretté. Il eut pour successeur l’opprobre non seulement de l’épiscopat, mais de la nature humaine, et pleinement connu pour tel quand il fut nommé. Il continua et augmenta dans l’épiscopat les horreurs de sa vie, qui, quoique assez courte, ne fut que trop longue. Je n’en dirai pas davantage sur un si infâme sujet. Toutefois il faut observer qu’il ne fut pas successeur immédiat. Il avoit acheté à deniers comptants un autre évêché d’un évêque qui se démit, et il passa tôt après à Laon, que M. le duc d’Orléans avoit donné, après M. de Clermont-Chattes, à un bâtard fort bien fait, et qui en a fait depuis grand usage, qu’il avoit eu de la comédienne Florence, et qu’il n’a jamais reconnu, que les jésuites élevèrent et gouvernèrent, et n’en firent pourtant qu’un parfoit ignorant. Il fit au sacre les fonctions de son siège ; mais quand il voulut se faire recevoir au parlement, il fut arrêté tout court sur ce qu’il n’avoit point de nom, et ne pouvoit montrer ni père ni mère. Cet embarras le fit passer à l’archevêché de Cambrai, à la mort du cardinal Dubois, avec un brevet de continuation de rang et d’honneurs d’évêque-duc de Laon, et ce monstre dont je viens de parler lui succéda à Laon.

Trois jours après M. de Laon, Clermont-Chattes, mourut à Gaillon l’archevêque de Rouen, frère du maréchal de Besons, qui avoit été évêque d’Aire, puis archevêque de Bordeaux et adoré dans tous ses diocèses : il a été souvent parlé de lui ici en plusieurs occasions. C’étoit l’homme du clergé qui en savoit mieux les affaires, et il entendoit très bien à en manier d’autres. Sous une écorce rustre il n’en avoit rien ; il étoit doux, poli, respectueux, point enflé de sa fortune, de son esprit, de sa capacité, et il en avoit beaucoup ; bon, doux, obligeant, sage et gai, de fort bonne compagnie, mesuré partout, bon évêque, et entendant mieux qu’aucun le gouvernement d’un diocèse. Il fut toujours estimé et considéré, aussi ne vouloit-il déplaire à personne, et son défaut étoit un peu de patelinage et grand’peur de se mettre mal avec les gens en place et de crédit. M. le duc d’Orléans, qui aimoit les deux frères, dont l’union étoit intime, l’avoit fait passer dans le conseil de régence, comme on a vu à la chute de celui de conscience dont il était. Son âge n’étoit pas extrêmement avancé, Tressan, évêque de Nantes, qui avoit sacré Dubois, fut son successeur.

Le maréchal de Berwick perdit en même temps son fils, le duc de Fitz-James, à dix-neuf ans, qu’il avoit marié à la fille aînée du duc de Duras. Elle n’en eut point d’enfants et se remaria depuis au duc d’Aumont.

Mlle de La Rochefoucauld à quatre-vingt-quatre ans : elle étoit sœur du duc de La Rochefoucauld, qui toute sa vie avoit eu tant de part à la faveur du feu roi. Elle avoit passé toute sa vie fille dans l’hôtel de La Rochefoucauld, fut, considérée dans le monde et dans sa famille, toujours très vertueuse et très peu de bien. Du côté de l’esprit, elle tenoit tout de son père.

La vicomtesse de Polignac, qui étoit sœur du feu comte du Roure. Son mari et son frère étoient chevaliers de l’ordre, et elle étoit mère du cardinal de Polignac : c’étoit une grande femme, qui avoit été belle et bien faite, sentant fort sa grande dame qu’elle étoit fort dans le grand monde dans son temps. Beaucoup d’esprit, encore plus d’intrigue, fort mêlée avec la comtesse de Soissons et Mme de Bouillon dans l’affaire de la Voysin, dont elle eut grand’peine à se tirer, et en fut exilée au Puy et en Languedoc, d’où elle ne revint qu’après la mort du roi. Elle avoit quatre-vingts ans.

Prior mourut en même temps à Londres, en disgrâce et en obscurité, après avoir échappé pis ; si connu pour avoir apporté à Paris les préliminaires de la paix d’Utrecht, longtemps chargé des affaires d’Angleterre à Paris, et dans l’intime secret des ministres qui gouvernoient sous la reine Anne, qui furent recherchés après sa mort avec tant de fureur, et que Prior, arrêté et menacé des supplices, trahit complètement pour se sauver ; il ne mena depuis qu’une vie misérable, obscure, méprisée de tous les partis. C’étoit un homme extrêmement capable, savant d’ailleurs, d’infiniment d’esprit, de bonne chère et de fort bonne compagnie.




  1. Les grâces.
  2. Les manuscrits de l’abbé de Camps sont conservés à la Bibl. Imp.