Mémoires (Saint-Simon)/Tome 18/4

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CHAPITRE IV.


Lede, fait grand d’Espagne, est victorieux en Afrique. — Mortification du cardinal del Giudice à Rome dépouillé de la protection d’Allemagne en faveur du cardinal d’Althan, qu’il courtise bassement. — Princesse des Ursins à Rome pour toujours, où elle est considérée. — Barbarigo, Borgia et Cienfuegos faits cardinaux, quels. — Saint-Étienne de Caen au cardinal de Mailly. — La survivance des gouvernements du duc d’Uzès à son fils. — Voyage et retour à Paris de la duchesse d’Hanovre. — Sa nullité à Vienne ; son changement de nom ; son état ambigu et délaissé à Paris. — Nouveautés étranges, mais sans suite à son égard. — La Houssaye contrôleur général ; quel. — Triste fin et mort de Guiscard. — Mort et caractère de Caumartin. — Époque du velours en habits ordinaires pour les gens de robe. — Le parlement enregistre la déclaration pour recevoir la constitution, et revient à Paris. — Chambre établie aux Grands-Augustins pour vider force procès. — Mariage du duc de Lorges avec Mlle de Mesmes. — Mariage du duc de Brissac avec Mlle Pécoil. — Mort étrange du vieux Pécoil. — Ambassadeur du Grand Seigneur en France. — Congrès de Cambrai inutile. — Saint-Contest et Morville y vont ambassadeurs plénipotentiaires. — Sage pensée du cardinal Gualterio. — Maulevrier-Langeron en Espagne. — Law sort enfin du royaume. — Son caractère ; sa fin ; sa famille.


On a vu ici en son lieu que l’extrême supériorité des Anglois par mer et des Impériaux par terre, joints à eux, avoient fait avorter les grands desseins de l’Espagne sur l’Italie et le traité qui s’ensuivit. Le marquis de Lede, tout foible qu’il fût à la tête de l’armée d’Espagne, s’y étoit montré grand, vaillant et habile capitaine. Le roi d’Espagne, qui aimoit à faire la guerre, ne voulut pas laisser ses troupes inutiles ni les licencier. Il étoit avec raison fort content du marquis de Lede. Il le fit grand d’Espagne et le fit passer en Afrique avec l’armée qu’il commandoit. Il fit lever aux Mores le siège de Ceuta qu’ils faisoient depuis longtemps, reprit Oran, gagna plusieurs victoires et revint en Espagne avec la plus grande réputation, où il reçut l’ordre de la Toison d’Or. J’aurai occasion de parler de lui si j’ai le temps d’écrire mon ambassade en Espagne où je l’ai beaucoup vu.

Le cardinal del Giudice, dont il a été tant parlé ici, reçut en ce temps-ci une grande mortification. Transfuge forcé par Albéroni du service du roi d’Espagne, il s’étoit jeté dans celui de l’empereur, dont il n’avoit pas honte d’être chargé des affaires à Rome où il se baignoit d’aise de l’état d’Albéroni, vagabond caché et accusé juridiquement devant le pape, depuis qu’il avoit été chassé d’Espagne. L’empereur avoit un favori. C’étoit le comte d’Althan qui étoit devenu le martre de son cœur et de son esprit. Il avoit fait son frère cardinal, et ce nouveau cardinal arriva à Rome pour prendre le chapeau, et être chargé en même temps des affaires de l’empereur, dont il dépouilla Giudice avec toute la hauteur d’un favori allemand. Giudice, qui n’avoit plus de ressource ni de nouveau maître à prendre, ploya les épaules, et eut la bassesse de donner chez lui une fête magnifique au cardinal d’Althan. Cette douleur fut incontinent suivie d’une petite consolation. Il vit arriver à Rome la princesse des Ursins, qui, lassée enfin du séjour de Gênes, s’étoit déterminée à venir fixer son séjour dans son ancienne demeure, où elle fut reçue avec beaucoup de considération du pape et de sa cour, du roi et de la reine d’Angleterre, à qui elle s’attacha, du sacré collège, et de tout ce qu’il y avoit de principal et de plus grand à Rome ; mais Giudice ne la vit pas. Le pape fit presque en même temps trois cardinaux : Barbarigo, Vénitien, évêque de Brescia, réservé in petto de la dernière promotion ; Borgia, Espagnol, patriarche des Indes, que j’ai fort vu en Espagne, et dont j’espère parler, et le fameux jésuite espagnol Cienfuegos, homme de tant d’esprit et d’intrigue, qui débaucha l’amirante de Castille, dont il étoit confesseur, et qui l’accompagna dans sa fuite en Portugal, comme il a été dit ici en son temps. Il s’étoit depuis retiré à Vienne où l’empereur l’employoit en beaucoup d’affaires. Ces trois cardinaux étoient de la nomination de l’empereur, du roi d’Espagne et de la république de Venise.

J’obtins l’abbaye de Saint-Étienne de Caen pour le cardinal de Mailly, et la survivance des gouverneurs de Saintonge et d’Angoumois du duc d’Uzès pour son fils.

On a vu, vers les commencements de ces Mémoires, que la duchesse de Hanovre étoit depuis longtemps en France avec ses deux filles sans aucune sorte de distinction, la mortifiante aventure qui, de dépit, la fit se retirer en Allemagne, d’où elle fit le mariage de son aînée avec le duc de Modène, qui, par la mort de son neveu aîné, avoit eu sa succession, et quitté le chapeau de cardinal, et c’est de ce mariage qu’est venu le duc de Modène, gendre de M. le duc d’Orléans. On y a vu en même temps par quel bonheur de conjonctures et d’intrigues sa seconde fille épousa l’empereur Joseph. On y a vu encore que, arrivée peu après à Vienne dans l’espérance d’y recevoir les plus grands honneurs, elle y fut tellement trompée qu’elle ne put jamais se montrer à la cour, ni voir sa fille, ni les personnes impériales que par un escalier secret, en particulier, et cela encore rarement et courtement, tant qu’enfin, dépitée de ne réussir en pas une de ses prétentions, et de n’être même visitée de personne, elle prit assez promptement le parti de se retirer à Modène auprès de son autre fille, qui, au bout de quelques années, mourut entre ses bras en septembre 1710. La duchesse de Hanovre, qui ne savoit où se retirer, demeura à Modène, sous prétexte d’y élever ses deux petites-filles ; elle avoit aussi deux petits-fils. Mais, lasse au bout de dix ans des caprices de son gendre, elle résolut de tenter encore une fois fortune à Vienne, et, si elle n’y réussissoit pas, de venir en France, où elle n’ignoroit pas que tout avoit changé de face, les prétentions les plus absurdes bien reçues, tout désordre et toute confusion protégée, tout ordre, toute règle, tout droit proscrit ; elle espéra donc tout du crédit de M. le Duc, par sa sœur, Mme la Princesse, et s’achemina lentement en Allemagne, où elle n’avoit point de demeure que triste et solitaire, où elle ne put se résoudre d’habiter. En approchant de Vienne, elle apprit qu’elle n’y pouvoit aller. On s’y souvenoit avec dégoût des prétentions qu’elle y avoit montrées, et quoiqu’elles n’eussent eu aucun succès, la cour de Vienne aima mieux ne l’y point voir que de les voir renouveler ; on la fit donc demeurer à Aschau à quelques journées de Vienne, où l’impératrice sa fille l’alla voir, et l’y fit recevoir par ses officiers. Elle n’y demeura que quelques jours avec elle, et s’en retourna à Vienne. L’empereur offrit à la duchesse de Hanovre la demeure du château et de la ville de Lintz, ou dans tel autre appartenant à la maison d’Autriche qu’elle aimeroit le mieux ; mais les espérances de France la touchèrent davantage. Elle partit d’Aschau le même jour que l’impératrice, et prit le chemin de France par Munich à petites journées, pour s’assurer en chemin de ce qu’elle espéroit.

Elle crut faire oublier la façon dont elle y avoit été traitée, en changeant de nom, et prit en chemin celui de duchesse de Brunschweig, que les François prononcent Brunswick. Mme la Princesse obtint pour elle l’un des deux grands appartements de Luxembourg, avec les logements nécessaires pour sa suite et son service, parce que, depuis la mort de Mme la duchesse de Berry, les deux grands appartements étoient vides, et les autres n’étoient occupés que par des particuliers, dont plusieurs furent délogés peu de jours après son arrivée. On vit une chose sans exemple, que l’abbé Dubois, pour l’intérêt de son chapeau, arracha de M. le duc d’Orléans, dans la pensée d’en faire bien sa cour au roi d’Angleterre, qui étoit de la maison de Brunswick, mais d’une branche fort éloignée de celle du mari de cette prétendue nouvelle hôtesse de la France. Le roi l’alla voir, à l’étonnement public et quelque chose de plus. La visite se passa debout et fut de peu de moments, puis alla voir Madame nouvellement revenue de Saint-Cloud. Deux jours après, la duchesse de Brunswick eut la bonté de faire l’honneur au roi de lui rendre sa visite. Elle se passa comme l’autre, et depuis elle ne le vit plus chez elle, et une ou deux fois l’année au plus chez lui.

Ce début lui fit prendre de grands airs et vouloir se donner tous les avantages dont jouissent les princesses du sang, et même en usurper davantage. Soutenue de la maison de Condé, de la faiblesse et de l’indifférence de M. le duc d’Orléans, et de la chimère de l’abbé Dubois de plaire au roi d’Angleterre, qui pourtant ne montra jamais prendre le plus léger intérêt en ceux de cette cousine, elle se mit sur le pied qu’elle voulut ; mais elle n’y put mettre le monde, malgré la sottise si ordinaire en ce genre aux François. Qui que ce soit, hommes ni femmes, ne lui donna signe de vie ; elle ne put apprivoiser que des gens de rien et des bourgeoises inconnues, ravies de se croire admises à une petite cour où elles faisoient bonne chère et jouoient un petit jeu à leur portée. Force étrangers y fréquentèrent aussi ; d’autres gens, pas un. Mme la Princesse, qui logeoit au petit Luxembourg qu’elle avoit acheté et magnifiquement rebâti, lui étoit de quelque ressource ; elle étoit sa plus proche voisine ; mais elles ne se voyoient qu’en particulier et ne mangeoient jamais l’une chez l’autre. Pour les enfants et petits-enfants de Mme la Princesse, ils ne la voyoient que fort rarement et courtement en particulier ; mais elle étoit riche, se repaissoit de ses chimères et vivoit contente dans sa petite et mauvaise compagnie, où elle jouoit la petite souveraine. Elle vit aussi Madame fort rarement, et comme point M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans.

Tout à la fin de l’année, Pelletier de La Houssaye fut contrôleur général. Il n’étoit pas de la même famille que Pelletier des Forts, fils de Pelletier de Sousy, qui étoit du conseil de régence, lequel étoit frère de Pelletier qui avoit été contrôleur général après M. Colbert, et ministre d’État, père et grand-père de deux premiers présidents du parlement de Paris. La Houssaye étoit frère de la femme d’Amelot, si estimé dans ses ambassades, duquel il a été souvent parlé ici. Ce La Houssaye étant conseiller d’État et intendant d’Alsace, est le même qui fut nommé troisième ambassadeur avec le maréchal de Villars et le comte du Luc, pour aller signer la paix à Bade, qui se fit moquer de lui en refusant de céder au comte du Luc, et comme il n’y a en France qu’à prétendre et entreprendre pour réussir, pourvu qu’on ait tort, fit la planche par ce refus que les conseillers d’État ne veulent plus céder qu’aux ducs et aux officiers de la couronne. On tortille depuis là-dessus, on le trouve ridicule, mais on le souffre. La Houssaye avoit fort réussi en Alsace, il en écrivoit des lettres de sa main et des mémoires, dont la netteté et la capacité étoient merveilleuses. Cette réputation l’en fit rappeler pour le mettre dans les grandes commissions des finances. C’étoit un grand homme, très bien fait, de fort bonne mine, dont l’air et le ton étoit imposant. Mais à travers cette écorce et la réputation qu’il avoit usurpée, il montra bientôt le tuf. On découvrit qu’il avoit un secrétaire extrêmement capable qui lui étoit fort attaché, qui contrefaisoit son écriture, à ne les pouvoir distinguer, qui envoyoit d’Alsace ces lettres et ces mémoires, qu’on admiroit comme étant de la main de La Houssaye qui se divertissoit pendant que [son] secrétaire travailloit pour lui, car il étoit homme de plaisir en tout genre, et qui ne se contraignoit pas, sans même en trop craindre l’indécence. Cela même suppléa à sa capacité. Il plut à M. le duc d’Orléans, il s’attacha à l’abbé Dubois, et fut ainsi contrôleur général, où il prit beaucoup de morgue et d’insolence, et montra l’épaisseur de son esprit et de sa compréhension, jusqu’à n’entendre pas la moindre affaire.

Guiscard mourut en ce temps-ci d’une manière étrange. Il étoit gouverneur de Sedan, et l’avoit été de Dinan et de Namur, dont la défense sous le maréchal de Boufflers lui valut le collier de l’ordre. On a souvent ici parlé de lui. Il avoit été après d’Avaux ambassadeur de Suède, et il avoit marié sa fille unique, qui étoit très riche, à Villequier, fils aîné du duc d’Aumont ; il avoit eu plus de malheur que de part à la défaite du maréchal de Villeroy à Ramillies, mais il ne put revenir sur l’eau, comme il lit. Il étoit fort des amis du maréchal de Villeroy, qui, après son retour dans la faveur du roi par Mme de Maintenon, eut grand’peine à obtenir qu’il revint à la cour. Le roi l’y reçut mal, et ne put revenir sur son compte. Il étoit frère de ces deux scélérats de La Bourlie, dont il a été parlé ici, où leur naissance et leur fortune a été expliquée. Guiscard étoit bon homme, honnête homme, doux et d’un commerce agréable et fort honorable. Avec ses biens, son cordon bleu, ses amis, car il en avoit, l’alliance de sa fille, il se pouvoit passer de la cour et mener une vie agréable ; mais il avoit de l’honneur et de l’ambition. Sa disgrâce et plus encore la cause de sa disgrâce troubloit tout son repos et tous les agréments de l’état où sa fortune l’avoit mis. La mort du roi et le brillant du maréchal de Villeroy dans la régence avoient fait renaître ses espérances. Il se flatta longtemps, je ne sais de quoi ni pourquoi. Voyant enfin qu’on ne songeoit à lui pour rien, il se retira tout à fait en Picardie auprès de Chaulnes, dans une terre qui s’appeloit Magny, à qui il avoit fait donner le nom de Guiscard, dont il avoit rendu la demeure fort agréable. La mélancolie l’y gagna de plus en plus. Au bout de dix-huit mois, il eut un peu de goutte légère. Sa fille l’alla voir ; il quitta son appartement sans cause de caprice, peut-être pis, et s’alla mettre dans une tour à l’autre bout de la cour. Il y fut quelques jours sans sortir de sa chambre, où il ne se laissa voir qu’à sa fille et aux valets purement nécessaires. Il ne lui paraissoit ni fièvre ni aucun autre mal, et cependant gardoit son lit. Sa fille, au bout de quelques jours, le pressa de se lever. Il lui répondit que ce n’étoit plus la peine, et lui tint quelques discours ambigus. La conclusion fut que, sans nul accident qui parût, il mourut le soir de ce même jour à soixante-onze ou douze ans.

Caumartin, conseiller d’État et intendant des finances, mourut aussi en ce même temps à soixante-cinq ou six ans. C’étoit un grand homme très bien fait et de fort bonne mine ; on voyoit bien encore qu’il avoit été beau ; il avoit pris tous les grands airs et les manières du maréchal de Villeroy, et s’étoit fait par là un extérieur également ridicule et rebutant. Il avoit l’écorce de hauteur d’un sot grand seigneur, il en avoit aussi le langage, et le ton d’un courtisan qui se fait parade de l’être ; ces façons lui aliénèrent beaucoup de gens. Il étoit fort proche parent et ami intime du chancelier de Pontchartrain ; il eut toute sa confiance : tant qu’il fut contrôleur général toute la finance passoit par ses mains. C’est ce qui gâta encore ses façons. Le dedans étoit tout autre que le dehors ; c’étoit un très bon homme, doux, sociable, serviable, et qui s’en faisoit un plaisir, qui aimoit la règle et l’équité, autant que les besoins et les lois financières le pouvoient permettre ; et au fond honnête homme, fort instruit dans son métier de magistrature et dans celui de finance, avec beaucoup d’esprit, et d’un esprit accort, gai, agréable. Il savoit infiniment d’histoire, de généalogie, d’anciens événements de la cour. Il n’avoit jamais lu que la plume ou un crayon à la main ; il avoit infiniment lu, et n’avoit jamais rien oublié de ce qu’il avoit lu, jusqu’à en citer le livre et la page. Son père, aussi conseiller d’État, avoit été l’ami le plus confident et le conseil du cardinal de Retz. Le fils, dès sa première jeunesse, s’étoit mis par là dans les compagnies les plus choisies et les plus à la mode de ces temps-là. Cela lui en avoit donné le goût et le ton, et de l’un à l’autre il passa sa vie avec tout ce qu’il y avoit de meilleur en ce genre. Il étoit lui-même d’excellente compagnie, et avoit beaucoup d’amis à la cour et à la ville. Il se piquoit de connoître, d’aimer, de servir les gens de qualité, avec lesquels il étoit à sa place, et point du tout glorieux, et parfaitement libre des chimères de la robe, avec cela très honorable et même magnifique, point conteur, mais très amusant, et quand on vouloit un répertoire, le plus instructif et le plus agréable. Il aimoit et faisoit fort bonne chère, et il n’avoit pas été indifférent pour les dames. C’est le premier homme de robe qui ait hasardé de paroître en justaucorps et manteau de velours dans les dernières années du roi. Ce fut d’abord une huée à Versailles ; il la soutint, on s’y accoutuma ; nul autre n’osa l’imiter de longtemps, et puis peu à peu ce n’est plus que velours pour les magistrats, qui d’eux a gagné les avocats, les médecins, les notaires, les marchands, les apothicaires et jusqu’aux gros procureurs.

L’abbé Dubois et M. le duc d’Orléans, celui-ci par faiblesse, l’autre pour son chapeau, avoient toujours en tête leur déclaration pour faire recevoir la constitution Unigenitus. Ils ne furent pas longtemps à s’apercevoir de l’inutilité et du ridicule effet d’avoir avec tant de pompe et de seigneurs bas et flatteurs, forcé le grand conseil à l’enregistrer ; ils se mirent bientôt après à reprendre leurs négociations avec le parlement ; elles durèrent trois mois, et ces trois mois furent une mine et une abondante veine d’or pour le premier président, qui vendoit le régent à sa compagnie, pour s’y réaccréditer, et qui enfin la vendit au régent. Quand il se crut au point qu’il désiroit avec le parlement aux dépens du régent, qui fournissoit à ses profusions et à ses brocards, et qu’il comprit qu’il étoit temps de finir l’affaire, pour ne pas tarir cette veine, et ne pas passer l’hiver à Pontoise, au hasard, s’il poussoit le régent à bout, de lui fermer la main, de se voir forcé à mettre bas sa table, et à tomber de l’énorme splendeur qu’il avoit soutenue jusqu’alors, il se fit valoir à sa compagnie, fort lasse de l’éloignement de ses foyers qu’il la ramenoit [1] à Paris, si elle vouloit enregistrer une déclaration qu’ils sauroient toujours bien expliquer dans la pratique, et qui au fond ne donneroit guère plus à la constitution, qui avoit un si nombreux parti dans l’Église, et toute l’autorité du gouvernement pour elle. Il en vint à bout ; le parlement l’enregistra le 4 décembre, et deux jours après il eut son rappel à Paris, où il revint incontinent reprendre sa séance ordinaire, et se remettre tout de bon à écouter et à juger les procès.

Quelque temps avant le retour du parlement à Paris, on établit aux Grands-Augustins une chambre pour juger en dernier ressort quantité de procès restés depuis longtemps aux rôles et divers autres encore restés en arrière. Armenonville fut choisi pour y présider, avec six autres conseillers d’État ses cadets, dix maîtres des requêtes et un onzième pour servir de procureur général. On douta si les parties s’y présenteroient volontiers dans la crainte que le parlement de retour prétendit invalider tout ce qui y auroit été instruit et jugé. Néanmoins, peu à peu les affaires s’y portèrent. Le parlement de retour consentit à cette juridiction extraordinaire, pour un temps, parce qu’il sentit qu’il étoit si chargé et si arriéré de procès, à force de s’être abandonné aux affaires publiques et à ne rien faire à Pontoise, qu’il étoit indispensable d’y pourvoir autrement. Ce nouveau tribunal, qui dura assez longtemps, se rendit recommandable par son équité, son travail et son expédition ; il vida tout ce qui y fut porté, et Armenonville en particulier s’y acquit beaucoup d’honneur.

Vers le milieu du séjour du parlement à Pontoise, travaillant, une après-dînée, seul avec M. le duc d’Orléans, il m’apprit que le premier président lui avoit demandé son agrément pour le mariage de sa fille aînée arrêté avec le duc de Lorges. Ma surprise et ma colère me firent lever brusquement et jeter mon tabouret à l’autre bout du petit cabinet d’hiver où nous étions. Il n’y avoit sorte de plaisirs essentiels que je n’eusse faits toute ma vie à ce beau-frère, non pour l’amour de lui, car je le connoissois bien, mais par rapport à Mme de Saint-Simon. On a vu en son lieu que je l’avois fait capitaine des gardes et ce qu’il m’en arriva, et comme j’obtins pour rien un régiment pour son fils aîné à qui il n’en eût jamais acheté, et combien peu il en fut touché. J’ajouterai ici qu’à la mort de M. le maréchal de Lorges, je lui quittai près de dix mille écus qui, sans dispute ni difficulté, revenoient à Mme de Saint-Simon, sur le brevet de retenue de la charge de capitaine des gardes qu’eut le maréchal d’Harcourt ; et malgré une conduite étrange et misérable, j’avois toujours très bien vécu avec lui. Je n’avois donc garde de m’attendre qu’il choisît la fille d’un homme que je traitois en ennemi déclaré, à qui je refusois publiquement le salut, duquel je parlois sans aucune mesure et à qui je faisois des insultes publiques tout autant que l’occasion s’en présentoit, ce qui arrivoit le plus ordinairement au Palais-Royal, n’ayant guère ou point d’occasion de le rencontrer ailleurs. Je ne me contraignis donc pas avec M. le duc d’Orléans sur un mariage qui m’offensoit si vivement. M. le duc d’Orléans n’osa trop rire du torrent que je débondai, me voyant si outré ; il trouva pourtant que j’avois raison.

Je venois nouvellement de sauver une cruelle affaire au duc de Lorges. Il avoit une maison dans le village de Livry où il se croyoit tout permis. Non content de désoler Livry sur les chasses, et Livry en étoit capitaine et seigneur du lieu avec qui je le raccommodai bien des fois, il s’avisa d’ouvrir, devant une grille de son jardin, une route prodigieusement large tout à travers de la forêt de Livry et de faire cette expédition avec tant d’ouvriers qu’elle fut achevée avant qu’on s’en fût aperçu. On peut juger des cris des officiers des eaux et forêts et de l’intendant des finances qui les avoit dans son département, et des suites ruineuses et même personnelles de leurs procédures, si la bonté de M. le duc d’Orléans pour moi ne leur eût imposé silence tout aussitôt et fait rendre un arrêt du conseil antidaté qui ordonnoit cette ouverture et cette coupe de bois du roi. De cela et de tant d’autres bottes que j’avois parées au duc de Lorges, et de tant d’autres choses faites pour lui, tel fut le salaire. Je retournai à Meudon où j’appris ce beau mariage à Mme de Saint-Simon qui en fut consternée. Je lui déclarai qu’elle ni moi ne verrions jamais son frère, ni celle qu’il alloit épouser, et qu’elle fit savoir à Mme la maréchale de Lorges et à M. et à Mme de Lauzun que, s’ils signoient le contrat de mariage ou s’ils assistoient à cette noce, nous ne les verrions de notre vie. Dans le public, je m’expliquai sans aucune sorte de ménagement ni en choses ni en termes. Le contrat ne fût point signé de Mme la maréchale de Lorges ni de M. et de Mme de Lauzun, et ils n’allèrent point à ce mariage qui se fit à Pontoise avec toute la magnificence du premier président qui y convia tout le parlement, lequel il fit signer au contrat de mariage.

Parmi tout ce vacarme que je fis, rien n’échappa au premier président ni aux siens. Au contraire, force regrets de ma colère, force désirs de l’apaiser, force respects, malgré toute leur gloire. Il faut achever cet épisode tout de suite. Après quelque temps et qu’ils se flattèrent que leur conduite à mon égard, tandis que je ne me refusois rien, auroit pu émousser ma colère, ils me firent parler par plusieurs de mes amis dans les termes les plus propres à se faire écouter. Cela dura longtemps sans autre réponse que mes propos accoutumés sur le beau-père et le gendre. À la fin ce fut quelque chose de plus intime et de plus cher qui m’abattit plutôt qu’il ne me gagna. Mme de Saint-Simon ne cessoit de répandre des larmes en silence ; elle ne mangeoit et ne dormoit plus ; sa santé délicate s’altéroit visiblement. Cet état, qui ne pouvoit se changer que par une réconciliation, fit en moi un combat intérieur, dont les fougues et les élans ne se peuvent décrire entre ce que je respectois et que j’aimois le plus tendrement, entre une douleur continuelle qui la minoit et qui me perçoit le cœur, et de me réconcilier avec deux hommes qui avec tant de raison m’étoient si démesurément odieux, et qui ne m’étoient pas moins méprisables. Enfin, pour abréger, je fis à la conservation de Mme de Saint-Simon un sacrifice vraiment sanglant, et au bout de six ou sept mois, la réconciliation se fit en cette sorte. Je consentis que le contrat fût signé, et de voir la duchesse de Lorges à l’hôtel de Lauzun, sans personne que la duchesse de Lauzun. Cela se passa debout en un moment, et fort cavalièrement de ma part. Le lendemain le premier président vint chez moi en robe de cérémonie, où il m’accabla de compliments et de respects. Je fus sec, mais poli, comme je m’y étois engagé. Les jours suivants Mme de Fontenilles sa sœur, le bailli de Mesmes et leurs plus proches vinrent au logis où je les reçus civilement, mais très froidement ; le premier président y revint encore sur ce que j’avois déclaré que je ne voulois point voir son gendre. C’étoit lui pourtant qu’il falloit que je revisse pour essuyer les larmes de Mme de Saint-Simon ; et enfin j’y consentis. Il vint chez moi, conduit par elle. Je le reçus fort mal, quoique le moins mal que je pus gagner sur moi. J’allai après chez le premier président qui me reçut avec des empressements et des civilités extrêmes. Il n’épargna ni le terme de respect ni celui de reconnoissance ; en un mot, il continua d’oublier sa morgue, et se répandit en bien dire.

Mme de Lorges et sa sœur étoient venues chez moi, menées par Mme de Lauzun, dès que j’eus vu la duchesse de Lorges à l’hôtel de Lauzun ; puis peu à peu j’allai voir la sœur, le frère et la belle-mère du premier président. Il désira avec grande ardeur donner une espèce de repas de noce où je voulusse bien être avec Mme de Saint-Simon, qu’il avoit visitée dans son appartement toutes les fois, et dès la première qu’il étoit venu chez moi, et mes enfants aussi ; enfin j’y consentis encore ; le repas fut excellent et magnifique, et accompagné, de la part du premier président et des siens, de tout ce qui me pouvoit plaire en façons et en discours. De l’un à l’autre on se laisse conduire à tout. Mme de Saint-Simon désira si fort que nous leur donnassions un repas aussi comme de noce, qu’il fallut bien y consentir. Le premier président ne l’osoit espérer, et en parut transporté de joie. Il fut des mêmes personnes qui avoient été de celui du premier président, et je m’y donnai la torture pour y faire médiocrement bien. Ainsi finit la division atroce qui me séparoit du premier président, avec tant d’éclat si continuellement soutenu depuis l’affaire du bonnet, et que ce mariage avoit comblée de nouveau. Dans la suite le premier président vint de temps en temps chez moi, puis plus souvent, moi quelquefois chez lui, jusqu’à la fin de sa vie ; on peut croire qu’il n’y eut que de la civilité et que la conversation n’étoit pas intéressante. Mais pour Mme de Fontenilles nous nous accommodâmes d’elle et elle de nous peu à peu, en telle sorte que nous sentîmes tout son mérite, sa vertu, son esprit, les agréments et la sûreté de son commerce, et que la liaison et l’amitié se forma étroite et a toujours duré depuis.

Le duc de Brissac épousa en même temps Mlle Pécoil, très riche héritière, dont le père étoit mort maître des requêtes, et la mère étoit fille de Le Gendre, très riche négociant de Rouen. Le père de Pécoil étoit un bourgeois de Lyon, gros marchand et d’une avarice extrême. Il avoit un grand coffre-fort rempli d’argent dans un fond de cave, fermé d’une porte de fer à secret où on n’arrivoit qu’en passant d’autres portes. Il disparut un jour si longtemps que sa femme et deux ou trois valets ou servantes qu’ils avoient le cherchèrent partout. Ils savoient bien qu’il avoit une cache, parce qu’ils l’avoient quelquefois surpris descendant dans sa cave un martinet à la main, mais jamais personne ne l’y avoit osé suivre. En peine de ce qu’il étoit devenu, ils y descendirent, enfoncèrent les dernières portes et trouvèrent enfin celle de fer. Il fallut des ouvriers pour l’enfoncer ou l’ouvrir, en attaquant les côtés de la muraille où elle tenoit. Après un long travail ils entrèrent et trouvèrent le vieil avare mort auprès de son coffre fort, qui apparemment n’avoit pu retrouver le secret de la serrure après s’être enfermé en dedans, et n’avoit pu l’ouvrir : fin bien horrible en toutes manières [2]. MM. de Brissac ne sont pas délicats depuis longtemps en alliances, et toutefois n’en paraissent pas plus riches. Les écus s’envolent, la crasse demeure.

Le Grand Seigneur avoit nommé et fait partir un ambassadeur pour venir complimenter le roi sur son avènement à la couronne. Comme c’est une chose fort peu usitée à l’orgueil de la Porte, notre cour en fut extrêmement flattée. Outre l’honneur et la considération des lieux saints de la Palestine, l’intérêt du commerce et de la bannière de France dans la Méditerranée, ne contribua pas moins à en être touché ; il débarqua à Toulon, et à cause de la peste on l’obligea à la quarantaine, et on le fit venir par Toulouse à Bordeaux et de là à Paris.

On étoit près d’ouvrir le congrès de Cambrai dont l’objet étoit de régler ce qui ne l’avoit pu être entre l’empereur et l’Espagne et quelques suites de ce qui l’avoit été à Bade. Saint-Contest, qui, comme on l’a vu et pourquoi, avoit été troisième ambassadeur plénipotentiaire à la paix de Bade, le fut en premier à Cambrai avec Morville, fils d’Armenonville, ambassadeur en Hollande. Toutes les puissances de l’Europe y envoyèrent. Cette assemblée dura longtemps, où les cuisiniers eurent plus d’affaires que leurs maîtres. Elle se sépara à la fin sans avoir rien fait. Le cardinal Gualterio, avec qui j’étois en commerce réglé toutes les semaines, m’écrivit pendant ce congrès une chose très sensée : c’étoit de profiter de cette assemblée des ministres de toutes les grandes puissances de l’Europe, pour convenir entre elles des entrées et de la suite de leurs ambassadeurs dans toutes les cours, dont la dépense toujours plus grande croissant toujours, à qui aura plus de carrosses et d’équipages les plus magnifiques et le plus de gentilshommes de suite, de riche et nombreuse livrée de toutes façons, ruine les ambassadeurs en coûtant fort cher à leurs maîtres, de mettre ainsi des bornes à l’émulation et à la dépense.

L’abbé de Maulevrier qui avoit été aumônier du roi, dont il a été parlé plus d’une fois ici, fit tant qu’il persuada à l’abbé Dubois d’envoyer en Espagne Maulevrier, son neveu, qui étoit lieutenant général. Leur nom est Andrault, fort léger : ils sont du Bourbonnois, originaires d’autour de Lyon, très attachés de tout temps aux Villeroy, domestiques de l’hôtel de Condé, et celui qui étoit mort lieutenant général des armées navales et sa famille tout à M. et à Mme du Maine. Ce n’étoit pas là des titres à faire valoir à M. le duc d’Orléans pour être envoyé du roi en Espagne ; néanmoins il le fut. On lui joignit, mais sans titre, une espèce de financier marchand qui s’appeloit Robin, pour les affaires du commerce. On verra dans la suite si j’ai le temps d’écrire mon ambassade en Espagne, qu’il lui en auroit fallu encore un autre pour la négociation.

La maladie du pape, qu’on crut trop tôt désespérée, attira l’ordre à nos cardinaux de se préparer diligemment à partir, et le retour du cardinal de Polignac de son abbaye d’Anchin en Flandre, où on a vu qu’il étoit exilé. L’alarme cessée suspendit leur départ, et le cardinal de Polignac eut permission de saluer le roi et M. le duc d’Orléans, et de demeurer à Paris en attendant des nouvelles de Rome plus pressantes.

L’année finit par le départ subit et secret de Law, qui n’avoit plus de ressources, et qu’il fallut enfin sacrifier au public. On ne le sut que parce que le fils aîné d’Argenson, intendant à Maubeuge, eut la bêtise de l’arrêter [3]. Le courrier qu’il envoya pour en donner avis lui fut redépêché sur-le-champ avec une forte réprimande de n’avoir pas déféré aux passeports que M. le duc d’Orléans lui avoit fait expédier. Son fils étoit avec lui ; ils allèrent à Bruxelles, où le marquis de Prié, gouverneur des Pays-Bas impériaux, le reçut très bien, et le régala ; il s’y arrêta peu, gagna Liège et l’Allemagne, où il alla offrir ses talents à quelques princes qui tous le remercièrent. Après avoir ainsi rôdé, il passa par le Tyrol, vit quelques cours d’Italie, dont pas une ne l’arrêta, et enfin se retira à Venise, où cette république n’en fit aucun usage. Sa femme et sa fille le suivirent quelque temps après ; je n’ai point su ce qu’elles sont devenues, ni même son fils. Law étoit Écossois, fort douteusement gentilhomme, grand et fort bien fait, d’un visage et d’une physionomie agréables, galant et fort bien avec les dames de tous pays où il avoit fort voyagé. Sa femme n’étoit point sa femme, elle étoit de bonne maison d’Angleterre et bien apparentée, qui avoit suivi Law par amour, en avoit eu un fils et une fille, et qui passoit pour sa femme et en portoit le nom sans l’avoir épousé. On s’en doutoit sur les fins : après leur départ cela devint certain. Cette femme avoit un œil et le haut de la joue couverts d’une vilaine tache de vin, du reste bien faite, haute, altière, impertinente en ses discours et en ses manières recevant les hommages, rendant peu ou point, et faisant rarement quelques visites choisies, et vivoit avec autorité dans sa maison. Je ne sais si son crédit étoit grand sur son mari ; mais il paraissoit plein d’égards, de soins et de respect pour elle. Tous deux avoient lors de leur départ entre quarante-cinq et cinquante ans. Law laissa en partant sa procuration générale au grand prieur de Vendôme et à Bully, qui avoient bien gagné avec lui. Il avoit fait force acquisitions de toutes sortes, et encore plus de dettes, de façon que ce chaos n’est pas encore débrouillé par une commission du conseil nommé pour régler ses affaires avec ses créanciers. J’ai dit ici ailleurs, et je le répète, qu’il n’y eut ni avarice ni friponnerie en son fait. C’étoit un homme doux, bon, respectueux, que l’excès du crédit et de la fortune n’avoit point gâté, et dont le maintien, l’équipage, la table et les meubles ne purent scandaliser personne. Il souffrit avec une patience et une suite singulière toutes les traverses qui furent suscitées à ses opérations, jusqu’à ce que vers la fin, se voyant court de moyens, et toutefois en cherchant et voulant faire face, il devint sec, l’humeur le prit, et ses réponses furent souvent mal mesurées. C’étoit un homme de système, de calcul, de comparaison, fort instruit et profond en ce genre, qui, sans jamais tromper, avoit partout gagné infiniment au jeu à force de posséder, ce qui me semble incroyable, la combinaison des cartes.

Sa banque, comme je l’ai dit ailleurs, étoit une chose excellente, dans une république ou dans un pays comme l’Angleterre, où la finance est en république. Son Mississipi, il en fut la dupe, et crut de bonne foi faire de grands et riches établissements en Amérique. Il raisonnoit comme un Anglois, et ignoroit combien est contraire au commerce et à ces sortes d’établissements la légèreté de la nation, son inexpérience, l’avidité de s’enrichir tout d’un coup, les inconvénients d’un gouvernement despotique, qui met la main sur tout, qui n’a que peu ou point de suite, et où ce que fait un ministre est toujours détruit et changé par son successeur. Sa proscription d’espèces, puis de pierreries, pour n’avoir que du papier en France, est un système que je n’ai jamais compris ni personne, je pense, dans tous les siècles qui se sont écoulés depuis celui d’Abraham, qui acheta un sépulcre en argent pour Sara quand il la perdit, pour lui et pour ses enfants. Mais Law étoit un homme à système, et si profond, qu’on n’y entendoit rien, quoique naturellement clair et d’une élocution facile, quoiqu’il y eût beaucoup d’Anglois dans son françois. Il vécut plusieurs années à Venise avec fort peu de bien, et y mourut catholique, ayant vécu honnêtement, quoique fort médiocrement, sagement et modestement, et reçut avec piété les sacrements de l’Église. Ainsi se termina l’année 1720.




  1. Le manuscrit porte ramenait ; mais le sens demande ramènerait.
  2. On a déjà vu cette anecdote plus haut.
  3. Le marquis d’Argenson parle de ce fait dans ses Mémoires (édit. de 1825, p. 179) : « J’étais intendant de Valenciennes ; je fis grand’peur à Law comme il traversait mon intendance pour fuir à l’étranger. Je le fis arrêter et le retins deux fois vingt-quatre heures à Valenciennes, ne le laissant partir que sur des ordres formels que je reçus de la cour. »