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Mémoires (Saint-Simon)/Tome 2/9

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CHAPITRE IX.


Curiosités sur la maison de Rohan. — Ses grandes alliances. — Juveigneurs, ou cadets de Rohan, décidés n’avoir rien que de commun en tout et partout avec tous autres juveigneurs nobles et libres de Bretagne. — Vicomtes de Rohan décidés à alterner avec les comtes de Laval-Montfort jusqu’à ce que ces derniers eussent la propriété du lieu de Vitré. — Le parlement, par égards, non par rang, aux obsèques de l’archevêque de Lyon, fils du maréchal de Gié. — Mlle de La Garnache ; son aventure ; duchesse de Loudun à vie seulement. — Henri de Rohan fait duc et pair ; son mariage et celui de son unique héritière ; enfants de celle-ci. — Benjamin de Rohan, sieur de Soubise, duc à brevet ou non vérifié. — M. de Sully obtient un tabouret de grâce aux deux sœurs du duc de Rohan, son gendre, non mariées. — Dispute de préséance au premier mariage de M. Gaston, entre les duchesses d’Halluyn et de Rohan, décidée en faveur de la première. — Louis, puis Hercule de Rohan, faits l’un après l’autre ducs et pairs de Montbazon ; famille de ce dernier.


Jamais aucun de la maison de Rohan n’avoit imaginé d’être prince ; jamais de souveraineté chez eux, jamais en Bretagne ni en France ; depuis qu’ils y furent venus sous Louis XI, aucune autre distinction que celle des établissements que méritoient leurs grandes possessions de terre, leurs hautes alliances et une naissance qui, sans avoir d’autre origine que celle de la noblesse, ni avoir jamais été distinguée de ce corps, étoit pourtant fort au-dessus de la noblesse ordinaire, et se pouvoit dire de la plus haute qualité. Ils avoient par leur baronnie le second rang en Bretagne, et puis ils l’alternèrent avec les barons de Vitré, mais cela n’influoit point sur leurs cadets ; quoique sortis de plus d’une sœur des ducs de Bretagne, ils ne purent obtenir aucune préférence sur les autres puînés nobles de Bretagne, et Alain VI, vicomte de Rohan, fut obligé vers 1300 par Jean II, duc de Bretagne, de reconnoître que, selon la coutume de cette province, tous les juveigneurs[1] de Rohan devoient être hommes liges[2] du duc de Bretagne, et qu’il avoit droit de retirer de leurs terres tous les émoluments et profits de fief qu’il pouvoir retirer de celles de ses autres sujets libres. C’est ce duc de Bretagne qui fut écrasé par la chute d’une muraille à Lyon, à l’entrée du pape Clément V, où il accompagnoit Philippe le Bel qui l’avoit fait duc et pair en 1297, et il mourut à Lyon le 18 novembre 1305, quatre jours après la chute de ce mur. Cela n’a point varié depuis. Ainsi, pour les cadets, nulle préférence sur ceux des autres maisons nobles de Bretagne. Voici maintenant pour les aînés

Alain IX, vicomte de Rohan, est sans doute celui qui par ses grands biens, ses hautes alliances et celles de ses enfants, a fait le plus d’honneur à la maison, dont il étoit le chef. Sa mère étoit fille du connétable de Clisson ; sa première femme, dont il ne vint point de postérité masculine, étoit fille de Jean V, duc de Bretagne, et de Jeanne fille de Charles le Mauvois, roi de Navarre. La seconde femme du même Alain, qui étoit Lorraine-Vaudemont, continua la postérité à laquelle je reviendrai. Du premier lit il maria sa seconde fille à Jean d’Orléans, comte d’Angoulême, deuxième fils du duc d’Orléans, frère de Charles VI, assassiné par ordre du duc de Bourgogne, et cette Rohan fut mère de Charles d’Orléans, comte d’Angoulême, père du roi François Ier. Certainement voilà de la grandeur, et qui fut soutenue par les emplois et la figure que cet Alain IX, vicomte de Rohan, fit toute sa vie. Néanmoins Pierre, duc de Bretagne, fils de Jean VI, duc de Bretagne, frère de la femme défunte alors de ce même vicomte de Rohan, ordonna le 25 mai 1451, en pleins états, à Vannes, que ledit Alain IX, vicomte de Rohan, auroit séance le premier jour, à la première place au côté gauche, après les seigneurs de son sang ; que le second jour cette place seroit occupée par Guy, comte de Laval, et ainsi à l’alternative jusqu’à ce que ce dernier ou ses successeurs fussent propriétaires du lieu de Vitré.

Cela fut exécuté de la sorte, et c’est-à-dire que la possession levoit l’alternative, et que le vicomte de Rohan n’en pouvoit pas prétendre avec le baron de Vitré qui le devoit toujours précéder. Il faut remarquer que ce comte de Laval dont il s’agit ici étoit de la maison de Montfort en Bretagne depuis longtemps éteinte, et fondue par une héritière dans celle de La Trémoille qui en a eu Vitré et Laval, que ces Montfort avoient eu de même par une héritière de la branche aînée de Laval-Montmorency.

Voilà donc l’aîné de la maison de Rohan et vicomte de Rohan, et au plus haut point de toute sorte de splendeur, en alternative décidée et subie avec le comte de Laval, lequel, devenant propriétaire du lieu de Vitré, le devoit toujours précéder, et les juveigneurs ou cadets de la maison de Rohan semblables en tout et par tout aux juveigneurs de toutes les autres maisons nobles de Bretagne, et cela par les deux décisions que je viens de rapporter, qui ont toujours depuis été exécutées.

Jean II, fils d’Alain IX que je viens d’expliquer et de Marie de Lorraine-Vaudemont, sa seconde femme, épousa, en 1461, Marie, fille de François Ier, duc de Bretagne, et d’Isabelle Stuart, fille de Jacques Ier, roi d’Écosse. Cette vicomtesse de Rohan n’eut point de frère, mais une sœur qui fut première femme sans enfants de François II, dernier duc de Bretagne, qui, d’une Grailly-Foix, dont la mère étoit Éléonore de Navarre, eut Anne, duchesse héritière de Bretagne, deux fois reine de France, et par qui la Bretagne a été réunie à la couronne, c’est-à-dire depuis sa mort. Ce vicomte de Rohan n’eut point de mâles qui aient eu postérité : et deux filles qui se marièrent dans leur maison, l’aînée au fils du maréchal de Gié, la cadette au seigneur de Guéméné.

Ainsi nuls mâles sortis des filles de Bretagne, et jusqu’ici rien qui sente les princes. Retournons sur nos pas.

Jean Ier, vicomte de Rohan, grand-père d’Alain IX, vicomte de Rohan, duquel j’ai parlé d’abord, étoit fils d’une Rostrenan, et figura fort dans le parti de Charles de Blois, c’est-à-dire de Châtillon, contre celui de Montfort, c’est-àdire des cadets de la maison de Bretagne compétiteurs pour ce duché que le dernier emporta. Ce vicomte de Rohan épousa l’héritière de Léon dont il eut Alain VIII, père d’Alain IX, vicomtes de Rohan, puis en secondes noces, en 1377, Jeanne la jeune, dernière fille de Philippe III, comte d’Évreux, fils d’un fils puîné du roi Philippe III le Hardi et devenu roi de Navarre par son mariage avec l’héritière de Navarre, fille du roi Louis X le Hutin. Ainsi cette vicomtesse de Rohan étoit sœur de Charles le Mauvois, roi de Navarre, de Blanche, seconde femme du roi Philippe de Valois, de Marie première femme de Pierre IV, roi d’Aragon, et d’Agnès, femme de Gaston-Phoebus, comte de Foix, si célèbre dans Froissart. Aussi faut-il remarquer que Philippe III, roi de Navarre, étoit mort en 1343, Jeanne de France, sa femme, en 1349.

Charles le Mauvois ne mourut qu’en 1385, mais en quel état et depuis combien d’années ! Philippe de Valois étoit mort en 1350 ; Blanche de Navarre, sa seconde femme, ne mourut qu’en 1398, et n’eut qu’une fille qui ne fut point mariée. La reine d’Aragon mourut en 1346, et la comtesse de Foix ne laissa point d’enfants. Il se voit donc par ces dates que le père, la mère, les sœurs, hors une veuve sans enfants et retirée, les beaux-frères, hors le comte de Foix, tout étoit mort avant le mariage de cette vicomtesse de Rohan ; et si on y regarde, il ne se trouvera point de postérité, si ce n’est de Charles le Mauvois qui survécut de ce mariage, qui toutefois fut extrêmement grand. Il n’en vint qu’un fils, dont le fils fut père de Louis de Rohan, seigneur de Guéméné, qui épousa la fille aînée du dernier vicomte de Rohan, et le maréchal de Gié dont le second fils épousa l’autre fille du dernier vicomte de Rohan, comme je l’ai dit.

Quoique la branche de Guéméné soit l’aînée par l’extinction de celle des vicomtes directs, et par le mariage de la fille aînée du dernier vicomte, parlons d’abord de celle de Gié quoique cadette, parce qu’il s’y trouvera plutôt matière que dans l’autre, et parce qu’elle est éteinte.

Le maréchal de Gié a trop figuré pour avoir rien à en dire ; mais parmi tous ses emplois et ses alliances, et de son fils aîné à deux filles d’Armagnac qui leur apportèrent le comté de Guise, il y eut si peu de princerie en son fait que le parlement, ayant eu ordre d’assister aux obsèques de l’archevêque de Lyon son fils, mort à Paris en 1536, pendant une assemblée que François Ier y avoit convoquée, le parlement répondit que la cour, en considération des mérites du feu maréchal de Gié et de son fils, lui rendroit volontiers l’honneur qu’elle avoit coutume de rendre aux princes et aux grands du royaume. Or, si ce prélat avoit été rang à recevoir cet honneur, le parlement le lui auroit rendu tout de suite sans répondre ; et on voit qu’il ne répondit que pour montrer que c’étoit, non par rang, mais en considération des mérites du père et du fils qu’il irait à ses obsèques.

Outre cet archevêque qui fit fort parler de lui dans le clergé, le maréchal de Gié eut deux autres fils ; la branche de l’aîné finit à son petit-fils, sur tous lesquels il n’y a rien à remarquer. Les sœurs de ce dernier épousèrent, l’aînée un Beauvilliers, dont le duc de Beauvilliers est descendu ; la cadette, le marquis de Rothelin, frère et oncle des ducs de Longueville ; et de ce mariage vint Léonor, duc de Longueville, d’où sont sortis tous les autres depuis, et que sa mère et sa femme firent tant valoir. C’est de ce marquis de Rothelin que les Rothelin d’aujourd’hui sont bâtards.

Le second fils du maréchal de Gié, gendre cadet du dernier vicomte de Rohan, n’eut qu’un fils qui fit un grand mariage. Il épousa Isabelle, fille de Jean, sire d’Albret, et de Catherine de Grailly, dite de Foix, reine de Navarre. C’est ce qu’il faut expliquer.

Elle étoit fille de Gaston, prince de Viane, et de Madeleine de France, sœur put née de Louis XI ; et le prince de Viane étoit Grailly, dit de Foix, dont l’héritière étoit tombée dans sa maison avec les comtés de Foix, de Bigorre et de Béarn qu’ils possédoient ; [il] étoit fils de Gaston IV, comte de Foix, etc., que Charles VII fit comte-pair de France en 1458, et d’Éléonore, fille de Jean II, roi d’Aragon, et de sa seconde femme Blanche, reine héritière de Navarre.

Éléonore en hérita, survécut Gaston, son fils, et mourut quarante-deux jours après son couronnement à Pampelune.

Gaston, son fils, prince de Viane, n’avoit laissé qu’un fils et une fille : le fils fut couronné à Pampelune, et mourut trois mois après à Pau en 1482, empoisonné tout jeune, et sans alliance. Catherine, sa sœur unique, lui succéda, et fut aussi couronnée à Pampelune avec Jean d’Albret, son mari, en 1494. Ils se brouillèrent et furent chassés de leur royaume en 1512, par Ferdinand le Catholique, roi d’Aragon, qui s’en empara, et depuis la Navarre est demeurée à l’Espagne. Ils en moururent tous deux de douleur, lui en 1516, elle en 1517, et ne laissèrent d’enfants qui parurent que Henri d’Albret, roi de Navarre, une comtesse d’Astarac-Grailly-Foix, morte sans enfants, et Isabelle, mariée en 1534 à René Ier de Rohan, fils du second fils du maréchal de Gié, tellement que, par l’événement, René Ier de Rohan épousa la sœur du père de Jeanne d’Albret, mère de notre roi Henri IV.

Avec ce détail, je pense au moins qu’on ne m’accusera pas d’avoir dissimulé rien des grandeurs de la maison de Rohan.

De ce mariage de René Ier de Rohan et d’isabelle d’Albret, [sortirent] des fils qui ne parurent point, et une fille qui ne parut que trop. Mais par cela même fatal en bonheur suivi de branche en branche et de génération en génération à la maison de Rohan, [ce mariage] eut la première distinction qui ait été accordée à cette maison.

M. de Nemours, dont l’esprit, la gentillesse et la galanterie ont été si célébrés, fit un enfant à cette fille de Rohan, qu’on appeloit Mlle de La Garnache, sous promesse de mariage ; en même temps il étoit bien avec Mme de Guise.

Toutes ces aventures-là me mèneroient trop loin ; c’étoit Anne d’Este, dont la mère étoit seconde fille de Louis XII. M. de Guise fut tué par Poltrot ; Mme de Guise, après avoir gardé les bienséances, voulut épouser M. de Nemours. Lui ne demandoit pas mieux, et cependant amusoit Mlle de La Garnache. Enfin, l’amusement fut si long qu’elle s’en impatienta, et qu’elle en découvrit la cause. La voilà aux hauts cris, et Mme de Guise sur le haut ton que lui faisoient prendre la splendeur de sa mère et la puissance de la maison de Guise dont elle disposoit, et qui, pour ses grandes vues, trouvoit son compte dans ce second mariage. Il n’en falloit pas tant pour émouvoir la reine de Navarre, Jeanne d’Albret, et tout ce qui tenoit à son parti et aux princes de Bourbon contre les Guise.

La reine de Navarre protesta avec tout cet appui qu’elle ne souffriroit pas que M. de Nemours fit cet affront à une fille qui avoit l’honneur d’être sa nièce ; et le pauvre M. de Nemours étoit bien embarrassé. Personne des intéressés ne faisoit là un beau personnage. Mme de Guise vouloit enlever M. de Nemours à sa parole de haute lutte. M. de Nemours convenoit de l’avoir donnée ; il n’osoit y manquer, et pourtant ne la vouloit point tenir. La bonne La Garnache demeuroit abusée, et en attendant ce qui arriveroit de son mariage, faisoit de sa turpitude la principale pièce de son sac, et toute la force des cris de ceux qui la protégeoient.

La fin de tout cela fut qu’elle en fut pour sa honte, et ses protecteurs pour leurs cris, et que M. de Nemours épousa Mme de Guise en 1566. Mlle de La Garnache disparut et alla élever son poupon dans l’obscurité, où il vécut et mourut. Après plusieurs années, comme la suite infatigable et le talent de savoir se retourner est encore un apanage spécial de la maison de Rohan, Mlle de La Garnache se remontra à demi, essaya de faire pitié à Mme de Nemours, et d’obtenir quelque dédommagement par elle. Elle la toucha enfin, et Mme de Nemours obtint personnellement pour elle, et sans aucune suite après elle, l’érection de la seigneurie de Loudun en duché sans pairie, en 1576.

Mlle de La Garnache alors reparut tout à fait sous le nom de duchesse de Loudun, et jouit du rang de duchesse, qui fut éteint avec ce duché par sa mort. Telle est la première époque d’un rang dans la maison, et non à la maison de Rohan, qui, avec toutes ces alliances si grandes et si immédiates, n’en avoit jamais eu, et n’y avoit jamais prétendu.

René II de Rohan, frère de la duchesse de Loudun, et fils comme elle d’Isabelle de Navarre, ne figura point, non plus que ses autres frères, mais ils n’eurent point de postérité, et il en eut. Ses deux fils et ses deux filles firent tous parler d’eux ; et comme leur père qui s’étoit fait huguenot, et encore plus comme leur mère qui fut une héroïne de ce parti, ils l’embrassèrent. Elle était veuve de Charles de Quellenec, baron du Pont, qui périt à la Saint-Barthélemy, et fille et héritière de Jean Larchevêque, seigneur de Soubise, et d’une Bouchard-Aubeterre. Elle et ses deux filles se sont rendues fameuses dans la Rochelle, où elles soutinrent les dernières extrémités, jusqu’à manger les cuirs de leurs carrosses, pendant le siège que Louis XIII y mit.

Sa fille aînée, plus opiniâtre s’il se pouvoit qu’elle, mourut de regret de sa prise fort peu après au château du Parc en Poitou, où elles avoient été reléguées en sortant de la Rochelle. La mère y mourut deux ans après en 1631, et l’autre fille les survécut jusqu’en 1646, toutes les deux point mariées.

Elles avoient une autre sœur entre elles deux, qui fut la première femme d’un prince palatin des Deux-Ponts, en 1604, et qui mourut en 1607.

Leurs deux frères furent Henri et Benjamin de Rohan, seigneur de Soubise.

Henri fut le dernier chef des huguenots en France. Le duc de Sully, surintendant des finances, et si bien avec Henri IV, et huguenot aussi, le favorisa fort auprès d’Henri IV dans la haine du maréchal de Bouillon. Henri IV le fit duc et pair en 1603, et moins de deux ans après, M. de Sully lui donna sa fille en mariage.

C’est ce grand homme qui se signala tant à la tête d’un parti abattu, et qui, réconcilié avec la cour, s’illustra encore davantage par les négociations dont il fut chargé en Suisse, et par ses belles actions à la tête de l’armée du roi en Valteline, où il mourut de ses blessures en 1638, avec la réputation d’un grand capitaine et d’un grand homme de cabinet. Il ne laissa qu’une fille, unique héritière, qui porta tous ses grands biens en mariage en 1645, malgré sa mère, à Henri Chabot, à condition de porter lui et leur postérité le nom et les armes de Rohan ; et [Chabot] fut fait duc et pair, comme on sait, par lettres nouvelles et avec rang du jour de sa réception au parlement. La mère, qui étoit huguenote, ne vouloit point ce mariage, et la fille, qui était catholique, soutenue de M. Gaston et de M. le Prince, se moqua d’elle.

De ce mariage vint le duc de Rohan, la seconde femme de M. de Soubise, la seconde femme du prince d’Espinoy, et Mme de Coetquen que nous avons tous vus.

M. de Soubise, frère de ce grand-duc de Rohan, ne fit parler de lui que par l’audace et l’opiniâtreté de ses continuelles défections, quoiqu’à la paix que le roi donna en 1626 aux huguenots il l’eût fait duc à brevet. On n’en ouït plus parler en France, depuis la prise de la Rochelle, et il mourut en Angleterre, sans considération, où il s’étoit retiré, sans avoir été marié, vers 1641.

Voilà donc une duchesse à vie, un duc et pair et un duc à brevet dans la maison de Rohan. Mais cette génération commence à montrer autre chose. M. de Sully, en faisant le mariage de sa fille, représenta si bien à Henri IV l’honneur que cette branche de Rohan avoit de lui appartenir de fort près, et d’être même l’héritière de la Navarre, s’il n’avoit point d’enfants, par Isabelle de Navarre, sa grand’tante et leur grand’mère, qu’il obtint un tabouret de grâce aux deux sœurs de son gendre, l’autre étant déjà mariée, mais en leur déclarant bien que ce n’étoit que par cette unique considération de la proche parenté de Navarre ; que cette distinction ne regardoit point la maison de Rohan, et ne passeroit pas même au delà de ces deux filles. C’est la première époque de rang, ou plutôt d’honneurs sans dignité dans la maison de Rohan, et non à cette maison.

Aux fiançailles et mariage de M. Gaston avec Mlle de Montpensier, princes ni grands n’eurent point de rang, marchèrent entre eux en confusion, et se placèrent comme ils purent. Les dames ne furent pas d’avis de faire de même, et voulurent marcher en rang. C’étoit à Nantes, et le cardinal de Richelieu faisoit la cérémonie. La duchesse de Rohan qui suivoit la duchesse d’Halluyn, qu’on a aussi quelquefois appelée la maréchale de Schomberg, voulut la précéder. L’autre s’en défendit ; la contestation s’échauffa ; des paroles, elles en vinrent aux poussades et aux égratignures. Le scandale ne fut pas long, et sur-le-champ, la dispute fut jugée et décidée en faveur de Mme d’Halluyn, comme l’ancienne de Mme de Rohan, qui subit le jugement.

Voilà la première époque de prétention, et la prétention fut malheureuse : encore n’est-il rien moins que clair qu’elle roulât sur la maison de Rohan, qui jusqu’alors et bien longtemps depuis n’en avoit aucune ; mais bien sur l’ancienneté entre duchesses, car on voit que Mme de Rohan ne disputa pas à une autre. Mme d’Halluyn étoit fille de M. de Pienne, tué du vivant de son père par ordre du duc de Mayenne, dans la Fère, dont il étoit gouverneur en 1592, et son père avoit été fait duc et pair au commencement de 1588. Il avoit marié M. de Pienne, son fils, à une fille du maréchal de Retz, qui n’en eut qu’un fils, mort tout jeune, en 1598, et Mme d’Halluyn, dont il s’agit ici.

Elle épousa le fils aîné du duc d’Épernon, et en faveur de ce mariage, le duché-pairie d’Halluyn fut de nouveau érigé pour eux, mais avec l’ancien rang du grand-père de la mariée. Ils se brouillèrent, se démarièrent, et n’eurent point d’enfants.

En 1620, Mme d’Halluyn épousa M. de Schomberg avec des lettres en continuation de pairie, tellement que Mme de Rohan, dont l’érection était antérieure aux deux continuations de pairie qu’avoit obtenues Mme d’Halluyn à tous ses deux mariages, pouvoit bien n’avoir pas grand tort d’être fâchée de la voir remonter à la première érection de son grand-père, antérieure à celle de Rohan. On ne voit pas d’ailleurs que cette duchesse de Rohan, qui étoit la fille de M. de Sully, et mère de l’héritière qui épousa le Chabot, ait jamais rien prétendu ni disputé, excepté cette ridicule aventure que j’ai voulu expliquer afin de ne rien omettre. Passons maintenant à la branche de Guéméné.

Louis de Rohan, seigneur de Guéméné, frère aîné du maréchal de Gié, dont je viens d’épuiser la branche, ne fournit rien à remarquer, non plus que ses trois générations suivantes. La quatrième fut Louis VI de Rohan, qui fit ériger la seigneurie de Montbazon en comté et celle de Guéméné en principauté en 1547 et 1549.

Il y a nombre de ces principautés d’érection en France, dont pas une n’a jamais donné et ne donne encore aucune espèce de distinction à la terre, que le nom, ni à celui qui en a obtenu l’érection non plus, ni à ses successeurs.

Aussi, ce Louis de Rohan a-t-il vécu, et est-il mort sans aucun rang ni honneurs, non plus que ses pères, et sans la moindre prétention. Mais désormais il faut prendre garde à tout ce qui sortira de lui. Il épousa la fille aînée du dernier Rohan de la branche de Gié, qui étoit frère de Mmes de Beauvilliers et de Rothelin-Longueville, comme je l’ai dit ci-dessus, et qui fut ambassadeur à Rome en 1548, lequel en secondes noces épousa la sœur de son gendre, dont il n’eut point d’enfants.

De ce Louis VI de Rohan et de Léonore Rohan-Gié, quatre fils et cinq filles, qui comme les précédentes de leur maison, et même plusieurs veuves de seigneurs de Rohan, épousèrent des seigneurs, et même des gentilshommes particuliers.

Les quatre fils furent : Louis, en faveur de qui Henri III érigea le duché de Montbazon en duché-pairie, en 1588 ; il mourut un an après sans enfants ; Pierre, prince de Guéméné, qui d’une Lenoncourt[3], ne laissa qu’une fille, Anne de Rohan, qui épousa le fils de son frère qui va suivre, et d’elle son cousin germain ; Hercule, duc et pair de Montbazon par une érection nouvelle par Henri IV, en 1595, avec rang de cette nouvelle érection ; et Alexandre, marquis de Marigny, et qui mourut sans enfants, ayant pris le nom de comte de Rochefort, duquel il se faut souvenir.

Hercule susdit, duc de Montbazon, fut grand veneur, gouverneur de Paris et de l’Ile-de-France, chevalier du Saint-Esprit en son rang de duc, en 1597, homme de tête et d’esprit, qui figura fort, et sa femme et leurs enfants encore davantage. Lassé de leurs intrigues, qui suivant l’étoile de la maison de Rohan, étoient utiles à cette maison, mais qui lui faisoient peu d’honneur, il les laissa faire et se retira en Touraine, où il demeura longues années, et y mourut à quatre-vingt-six ans, en 1654, sans s’être démis de son duché. Il avoit épousé en 1628, en secondes noces, Marie, fille de Claude d’Avaugour et de Catherine Fouquet de La Varenne. Le trisaïeul de père en fils de ce Claude d’Avaugour étoit le bâtard du dernier duc de Bretagne, et le grandpère paternel du comte de Vertus d’aujourd’hui.

Du premier lit : M. de Montbazon (Louis, prince de Guéméné, depuis duc de Montbazon), et la connétable de Luynes, mère du duc de Luynes, qui épousa en secondes noces, en 1622, le duc de Chevreuse, dernier fils du duc de Guise, tué à Blois, laquelle devint si fameuse sous ce dernier nom.

Du second lit : M. de Soubise, que nous avons tous vu, père du prince et du cardinal de Rohan, et Anne de Rohan, qui a été la seconde femme du duc de Luynes, fils de sa sœur, dont elle a eu le comte d’Albert, le chevalier de Luynes et plusieurs filles, toutes mariées.

Le prince de Guéméné étoit un homme de beaucoup d’esprit, et encore plus Anne de Rohan sa femme, fille de Pierre, prince de Guéméné, frère aîné de son père. Lui, elle et Mme de Chevreuse, toute leur vie, ne furent qu’un, et avec eux, en quatrième, leur belle-mère, seconde femme de leur père, qui avoit autant d’esprit et d’intrigue qu’eux ; et, ce qui peut passer pour un miracle, toutes trois parfaitement belles et fort galantes, sans que leur beauté ni leur galanterie ait jamais formé le moindre nuage de galanterie ni de brouillerie entre elles.

Le prince de Guéméné, non seulement voyoit trop clair pour ignorer ce qui se passoit dans sa maison, mais il y trouvoit son compte, et dès là, non seulement il le trouvoit fort bon, mais il étoit des confidences sans en faire semblant au dehors. Leçon utile à la grandeur d’une maison, quand il y a des beautés qui savent faire usage de leurs charmes, heureusement fatale à la maison de Rohan, pour le répéter encore, et que M. de Soubise a si exactement et si utilement suivie.




  1. Fils cadets de maisons nobles, du latin juniores.
  2. On appeloit homme lige un vassal lié il son seigneur par des obligations plus étroites que les autres vassaux. Voy. notes à la fin du volume.
  3. La mère d’Anne de Rohan fut Madeleine de Rieux-Châteauneuf. Ce fut Hercule de Rohan qui épousa en premières noces Marie de Lenoncourt.