Mémoires artistiques de Mlle Péan de La Roche-Jagu, écrits par elle-même/Chapitre X’

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CHAPITRE x.


Un ange.

Avec un tourment aussi affreux, une agitation aussi grande, pouvait-on se coucher ?… Je me jetai un instant sur mon lit. À sept heures du matin on sonne, c’était une bonne amie à moi qui s’empressait de venir voir s’il y avait quelque chose de nouveau. — Rien, rien, lui dis-je, c’est fini !… On sonne encore… oh ! c’est Collongues, sans doute ? non !… C’était un ange… Madame A. entre. — Eh bien ! dit-elle, le piano est-il vendu ? — Non, Madame, je suis perdue à jamais !… — Ecoutez, me dit-elle avec sa voix si douce, et tirant de dessous son châle une bourse : « J’ai bien là 400 francs, mais ils ne m’appartiennent pas ; il faut que je les rende demain. Pensez-vous que vous ferez une recette suffisante pour faire face à cette obligation. — Eh ! Madame, que puis-je espérer avec une saison si contraire. — Que dois-je donc faire, reprit-elle ; voulez-vous les prendre ? — Oh ! non Madame, ma délicatesse s’y oppose. » En disant ces paroles, je me sauvai dans ma chambre, où un déluge de larmes me soulagea. Quelques minutes à peine se sont-elles écoulées, que mon amie, le visage aussi innondé de pleurs, vint me chercher. « — Embrassez cet ange de bonté, me dit-elle, à ses risques et périls, elle veut que vous acceptiez cette somme. » Après la première effusion passée de part et d’autre, cette excellente femme dit : « — Allons vite, nous n’avons point une minute à perdre ; je vais porter l’argent au théâtre. » À ce moment, M. Alexis Collongues arrive et partage notre douce émotion, son ami avait refusé d’acheter mon piano… L’un court par ci, commander le double service du théâtre ; l’autre va faire allumer. Enfin à neuf heures et demie, les premiers accords de Simple et Coquette, résonnaient dans la salle des Italiens…