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Mémoires d'un père pour servir à l'instruction de ses enfants (LDB, 1891)/III

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LIVRE III



Les jeunes gens qui, nés avec quelque talent et de l’amour pour les beaux-arts, ont vu de près les hommes célèbres dans l’art dont ils faisoient eux-mêmes leurs études et leurs délices, ont connu comme moi le trouble, le saisissement, l’espèce d’effroi religieux que j’éprouvai en allant voir Voltaire.

Persuadé que ce seroit à moi de parler le premier, j’avois tourné de vingt manières la phrase par laquelle je débuterois avec lui, et je n’étois content d’aucune. Il me tira de cette peine. En m’entendant nommer, il vint à moi, et, me tendant les bras « Mon ami, me dit-il, je suis bien aise de vous voir. J’ai cependant une mauvaise nouvelle à vous apprendre : M. Orry[1] s’étoit chargé de votre fortune ; M. Orry est disgracié. »

Je ne pouvois guère tomber de plus haut, ni d’une chute plus imprévue et plus soudaine ; et je n’en fus point étourdi. Moi qui ai l’âme naturellement foible, je me suis toujours étonné du courage qui m’est venu dans les grandes occasions. « Eh bien ! Monsieur, lui répondis-je, il faudra que je lutte contre l’adversité. Il y a longtemps que je la connois et que je suis aux prises avec elle. — J’aime à vous voir, me dit-il, cette confiance en vos propres forces. Oui, mon ami, la véritable et la plus digne ressource d’un homme de lettres est en lui-même et dans ses talens ; mais, en attendant que les vôtres vous donnent de quoi vivre, je vous parle en ami et sans détour, je veux pourvoir à tout. Je ne vous ai pas fait venir ici pour vous abandonner. Si dès ce moment même il vous faut de l’argent, dites-le-moi je ne veux pas que vous ayez d’autre créancier que Voltaire. » Je lui rendis grâce de ses bontés, en l’assurant qu’au moins de quelque temps je n’en aurois besoin, et que dans l’occasion j’y aurois recours avec confiance. « Vous me le promettez, me dit-il, et j’y compte. En attendant, voyons, à quoi allez-vous travailler ? — Hélas ! je n’en sais rien, et c’est à vous de me le dire. — Le théâtre, mon ami, le théâtre est la plus belle des carrières ; c’est là qu’en un jour on obtient de la gloire et de la fortune. Il ne faut qu’un succès pour rendre un jeune homme célèbre et riche en même temps ; et vous l’aurez, ce succès, en travaillant bien. — Ce n’est pas l’ardeur qui me manque, lui répondis-je, mais au théâtre que ferai-je ? — Une bonne comédie, me dit-il d’un ton résolu. — Hélas, Monsieur, comment ferois-je des portraits ? je ne connois pas les visages. » Il sourit à cette réponse. « Eh bien, faites des tragédies. » Je répondis que les personnages m’en étoient un peu moins inconnus, et que je voulois bien m’essayer dans ce genre-là. Ainsi se passa ma première entrevue avec cet homme illustre.

En le quittant, j’allai me loger à neuf francs par mois près de la Sorbonne, dans la rue des Maçons, chez un traiteur qui, pour mes dix-huit sous, me donnoit un assez bon dîner. J’en réservois une partie pour mon souper, et j’étois bien nourri. Cependant mes cinquante écus ne seroient pas allés bien loin ; mais je trouvai un honnête libraire qui voulut bien m’acheter le manuscrit de ma traduction de la Boucle de cheveux enlevée, et qui m’en donna cent écus, mais en billets, et ces billets n’étoient pas de l’argent comptant. Un Gascon avec qui j’avois fait connoissance au café me découvrit, dans la rue Saint-André-des-Arcs, un épicier qui consentit à prendre mes billets en payement, si je voulois acheter de sa marchandise. Je lui achetai pour cent écus de sucre, et, après le lui avoir payé, je le priai de le revendre. J’y perdis peu de chose ; et d’un côté mes cinquante écus de Montauban, de l’autre les deux cent quatre-vingts livres de mon sucre, me mettoient en état d’aller jusqu’à la récolte des prix académiques sans rien emprunter à personne. Huit mois de mon loyer et de ma nourriture ne monteroient ensemble qu’à deux cent quatre-vingt-huit livres. Pour le surplus de ma dépense, il me restoit cent quarante-deux livres. C’en étoit bien assez, car, en me tenant dans mon lit, j’userois peu de bois l’hiver. Je pouvois donc, jusqu’à la Saint-Louis, travailler sans inquiétude ; et, si je remportois le prix de l’Académie françoise, qui étoit de cinq cents livres, j’atteindrois à la fin de l’année. Ce calcul soutint mon courage.

Mon premier travail fut l’étude de l’art du théâtre. Voltaire me prêtoit des livres. La Poétique d’Aristote, les discours de P. Corneille sur les trois unités, ses examens, le théâtre des Grecs, nos tragiques modernes, tout cela fut avidement et rapidement dévoré. Il me tardoit d’essayer mon talent ; et le premier sujet que mon impatience me fit saisir fut la révolution de Portugal. J’y perdis un temps précieux ; l’intérêt politique de cet événement étoit trop foible pour le théâtre ; plus foible encore étoit la manière dont j’avois précipitamment conçu et exécuté mon sujet. Quelques scènes que je communiquai à un comédien, homme d’esprit, lui firent cependant bien augurer de moi. Mais il falloit, me disoit-il, étudier l’art du théâtre au théâtre même, et il me conseilla d’engager Voltaire à demander mes entrées. « Roselly[2] a raison, me dit Voltaire, le théâtre est notre école à tous ; il faut qu’elle vous soit ouverte, et j’aurois dû y penser plus tôt. » Mes entrées au Théâtre-François me furent libéralement accordées, et, dès lors, je ne manquai plus un seul jour d’y aller prendre leçon. Je ne puis exprimer combien cette étude assidue hâta le développement et le progrès de mes idées et du peu de talent que je pouvois avoir. Je ne revenois jamais de la représentation d’une tragédie sans quelques réflexions sur les moyens de l’art, et sans quelque nouveau degré de chaleur dans l’imagination, dans l’âme et dans le style.

Pour puiser à la source des beaux sujets tragiques, il auroit fallu m’enfoncer dans l’étude de l’histoire, et j’en aurois eu le courage ; mais je n’en avois pas le temps. Je parcourus légèrement l’histoire ancienne ; et, le sujet de Denys le Tyran s’étant saisi de ma pensée, je n’eus plus de repos que le plan n’en fût dessiné, et tous les ressorts de l’action inventés et mis à leur place ; mais je n’en dis rien à Voltaire, soit pour aller seul et sans guide, soit pour ne me montrer à lui qu’avec tout l’avantage d’un travail achevé.

Ce fut dans ce temps-là que je vis chez lui l’homme du monde qui a eu pour moi le plus d’attrait, le bon, le vertueux, le sage Vauvenargues. Cruellement traité par la nature du côté du corps, il étoit, du côté de l’âme, l’un de ses plus rares chefs-d’œuvre. Je croyois voir en lui Fénelon infirme et souffrant. Il me témoignoit de la bienveillance, et j’obtins aisément de lui la permission de l’aller voir. Je ferois un bon livre de ses entretiens, si j’avois pu les recueillir. On en voit quelques traces dans le recueil qu’il nous a laissé de ses pensées et de ses méditations ; mais, tout éloquent, tout sensible qu’il est dans ses écrits, il l’étoit, ce me semble, encore plus dans ses entretiens avec nous. Je dis avec nous, car le plus souvent je me trouvois chez lui avec un homme qui lui étoit tout dévoué, et qui par là eut bientôt gagné mon estime et ma confiance. C’étoit ce même Bauvin[3] qui, depuis, a donné au théâtre la tragédie des Chérusques, homme de sens, homme de goût, mais d’un naturel indolent ; épicurien par caractère, mais presque aussi pauvre que moi.

Comme nos sentimens pour le marquis de Vauvenargues se rencontroient parfaitement d’accord, ce fut pour tous les deux une espèce de sympathie. Nous nous donnions tous les soirs rendez-vous après la comédie au café de Procope, le tribunal de la critique et l’école des jeunes poètes, pour étudier l’humeur et le goût du public. Là nous causions toujours ensemble ; et les jours de relâche au théâtre, nous passions nos après-dîners en promenades solitaires. Ainsi tous les jours nous devînmes plus nécessaires l’un à l’autre, et nous éprouvions tous les jours plus de regret à nous quitter. « Et pourquoi nous quitter ? me dit-il enfin ; pourquoi ne pas demeurer ensemble ? La fruitière chez qui je loge a une chambre à vous louer, et, en vivant à frais communs, nous dépenserons beaucoup moins. » Je répondis que cet arrangement me plairoit fort, mais que, dans le moment présent, il ne falloit pas y penser ; il insista, et me pressa si vivement qu’il fallut lui expliquer la cause de ma résistance. « Chez mon hôte, lui dis-je, mon exactitude à le bien payer doit m’avoir acquis un crédit que je ne trouverois point ailleurs, et dont peut-être incessamment j’aurai besoin de faire usage. » Bauvin, qui possédoit une centaine d’écus, me dit de n’être pas en peine ; qu’il étoit en état de faire des avances, et qu’il avoit dans la tête un projet capable de nous enrichir. De mon côté, je lui exposai mes espérances et mes ressources ; je lui communiquai la pièce que je devois mettre au concours de l’Académie françoise ; il trouva que c’étoit de l’or en barre. Je lui montrai le plan et les premières scènes de ma tragédie ; il me répondit du succès, et alors c’étoit le Potose. Le marquis de Vauvenargues logeoit à l’hôtel de Tours, petite rue du Paon, et vis-à-vis de cet hôtel étoit la maison de la fruitière de Bauvin. M’y voilà logé avec lui. Son projet de faire à nous deux une feuille périodique ne fut pas une aussi bonne affaire qu’il l’avoit espéré nous n’avions ni fiel, ni venin, et cette feuille n’étant ni la critique infidèle et injuste des bons ouvrages, ni la satire amère et mordante des bons auteurs, elle eut peu de débit[4]. Cependant, au moyen de ce petit casuel et du prix de l’Académie que j’eus le bonheur d’obtenir[5], nous arrivâmes à l’automne, moi ruminant des vers tragiques, et lui rêvant à ses amours.

Il étoit laid, bancal, déjà même assez vieux, et il étoit amant aimé d’une jeune Artésienne dont il me parloit tous les jours avec les plus tendres regrets car il souffroit le tourment de l’absence, et moi j’étois l’écho qui répondoit à ses soupirs. Quoique bien plus jeune que lui, j’avois d’autres soins dans la tête. Le plus cuisant de mes soucis étoit la répugnance qu’avoit déjà notre aubergiste à nous faire crédit. Le boulanger et la fruitière vouloient bien nous fournir encore, l’un du pain, l’autre du fromage : c’étoient là nos soupers ; mais le dîner, d’un jour à l’autre, couroit risque de nous manquer. Il me restoit une espérance Voltaire, qui se doutoit bien que j’étois plus fier qu’opulent, avoit voulu que le petit poème couronné à l’Académie fût imprimé à mon profit, et il avoit exigé d’un libraire d’en compter avec moi, les frais d’impression prélevés. Mais, soit que le libraire en eût retiré peu de chose, soit qu’il aimât mieux son profit que le mien, il dit n’avoir rien à me rendre, et qu’au moins la moitié de l’édition lui restoit. « Eh bien ! lui dit Voltaire, donnez-moi ce qui vous en reste, j’en trouverai bien le débit. » Il partoit pour Fontainebleau, où étoit la cour ; et là, comme le sujet proposé par l’Académie étoit un éloge du roi, Voltaire prit sur lui de distribuer cet éloge, en appréciant à son gré le bénéfice de l’auteur. C’étoit sur ce débit que je comptois, sans cependant l’évaluer outre mesure ; mais Voltaire n’arrivoit pas.

Enfin notre situation devint telle qu’un soir Bauvin me dit en soupirant : « Mon ami, toutes nos ressources sont épuisées, et nous en sommes réduits au point de n’avoir pas de quoi payer le porteur d’eau. » Je le vis abattu, mais je ne le fus point. « Le boulanger et la fruitière, lui demandai-je, nous refusent-ils le crédit ? — Non, pas encore, me dit-il. — Rien n’est donc perdu, répliquai-je, et il est bien aisé de se passer de porteur d’eau. — Comment cela ? — Comment ? Eh ! parbleu en allant nous-mêmes prendre de l’eau à la fontaine. — Vous auriez ce courage ? — Sans doute, je l’aurai. Le beau courage que celui-là ! Il est nuit close, et, quand il seroit jour, où est donc le déshonneur de se servir soi-même ? » Alors je pris la cruche, que j’allai fièrement remplir à la fontaine voisine. En rentrant, ma cruche à la main, je vois Bauvin, d’un air épanoui de joie, venant à moi les bras ouverts : « Mon ami, la voilà, c’est elle ! elle arrive ! elle a tout quitté, son pays, sa famille, pour venir me trouver ! Est-ce là de l’amour ? » Immobile d’étonnement, et toujours ma cruche à la main, je regarde, et je vois une grande fille bien fraîche, bien découplée, et assez jolie quoique un peu camuse, qui me salue sans embarras. Tout à coup, le contraste de cet incident romanesque avec notre situation me fait partir d’un éclat de rire si fou qu’il les interdit tous les deux. « Soyez la bien venue, Mademoiselle ; vous ne pouviez, lui dis-je, mieux choisir le moment, ni arriver plus à propos. » Et, après les premières civilités, je descendis chez la fruitière. « Madame, lui dis-je gravement, voici un jour extraordinaire, un jour de fête. Il faut, s’il vous plaît, nous aider à faire les honneurs de la maison, et élargir un peu l’angle aigu de fromage que vous nous donnez à souper. — Et que vient faire ici cette femme ? demanda-t-elle. — Ah ! Madame, lui dis-je, c’est un prodige de l’amour ; et il ne faut jamais demander d’explication des prodiges. Tout ce que vous et moi nous en devons savoir, c’est qu’il nous faut ce soir un tiers de plus de ce bon fromage de Brie, que nous vous payerons bientôt, s’il plaît à Dieu. — Oui, dit-elle, s’il plaît à Dieu ; mais, quand on n’a ni sou ni maille, ce n’est guère le temps de songer à l’amour. »

Voltaire, peu de jours après, arrivant de Fontainebleau, me remplit mon chapeau d’écus, en me disant que c’étoit le produit de la vente de mon poème. Quoique dans ma détresse j’eusse été pardonnable de me laisser faire du bien, je pris cependant la liberté de lui représenter qu’il avoit vendu ce petit ouvrage trop au-dessus de sa valeur ; mais il me fit entendre que les personnes qui l’avoient payé noblement étoient de celles dont lui ni moi nous n’avions rien à refuser. Quelques ennemis de Voltaire auroient voulu que pour cela je me fusse brouillé avec lui. Je n’en fis rien, et avec ces écus, qu’il eût été plus malhonnête de refuser que de recevoir, j’allai payer toutes mes dettes[6].

Bauvin avoit reçu quelques secours de son pays ; je n’en avois aucun à recevoir du mien, et j’allois être au bout de mes finances. Il n’étoit donc ni juste ni possible, vu sa nouvelle façon de vivre, que nous fussions plus longtemps en communauté de dépense.

Dans cette conjoncture, l’une des plus cruelles de ma vie, et dans laquelle, arrosant toutes les nuits mon chevet de larmes, je regrettois l’aisance et la tranquillité dont je jouissois à Toulouse, je ne sais quelle heureuse influence de mon étoile ou de la bonne opinion que Voltaire donnoit de moi fit souhaiter à une femme, dont je révère la mémoire, que je voulusse me charger d’achever l’éducation de son petit-fils. Ah ! de toute manière, le souvenir de cet événement doit être bien cher à mon cœur. Quels agrémens inestimables de société et d’amitié il a répandus sur ma vie ! et de quelles années de bonheur il m’a fait jouir !

Un directeur de la Compagnie des Indes, nommé Gilly, intéressé dans un commerce maritime qui d’abord l’avoit enrichi, et qui depuis l’a ruiné, avoit dans son veuvage un fils et une fille dont sa belle-mère, Mme Harenc, avoit bien voulu se charger. Il est impossible d’imaginer dans la vieillesse d’une femme plus d’amabilité que n’en avoit Mme Harenc, et à cette amabilité se joignoient le plus grand sens, la plus rare prudence et la plus solide vertu. Elle étoit, au premier aspect, d’une laideur repoussante ; mais bientôt tous les charmes de l’esprit et du caractère perçoient à travers cette laideur, et la faisoient non pas oublier, mais aimer.

Mme Harenc avoit un fils unique aussi laid qu’elle, et aussi aimable. C’est ce M. de Presle qui, je crois, vit encore, et qui s’est longtemps distingué par son goût et par ses lumières parmi les amateurs des arts[7]. Leur société, composée avec choix, avoit pour caractère l’intimité, la sûreté, une sérénité paisible et quelquefois riante, et la plus parfaite harmonie des sentimens, des goûts et des esprits. Quelques femmes, toujours les mêmes et tendrement unies, en faisoient l’ornement : c’étoit la belle Desfourniels, qui, pour la régularité, la délicatesse des traits et leur finesse inimitable, étoit le désespoir des plus habiles peintres, et à qui la nature sembloit avoir exprès et à plaisir formé une âme assortie à un si beau corps ; c’étoit sa sœur, Mme de Valdec, aussi aimable, quoique moins belle, mère alors bienheureuse de cet infortuné de Lessart que nous avons vu égorger à Versailles avec les autres prisonniers d’Orléans ; c’étoit la jeune Desfourniels, depuis comtesse de Chabrillant, qui, sans avoir ni la beauté ni le naturel de sa mère, mêloit avec un peu d’aigreur tant d’agrément du côté de l’esprit qu’on pardonnoit sans peine à sa vivacité ce qu’il y avoit quelquefois de trop piquant dans ses saillies. Une demoiselle Lacome, amie intime de Mme Harenc, avoit parmi ces caractères un ton de raison saine et douce qui se concilioit avec tous. M. de Presle, curieux de toutes les nouveautés littéraires, en faisoit un recueil exquis, et nous en donnoit la primeur. Ce M. de Lantage, dont je viens d’habiter le château dans cette vallée, et son frère aîné, homme d’esprit, passionné pour Rabelais, portoient là le bon goût de l’ancienne gaieté. Je n’oublierai point, en parlant de cette société charmante, le bon M. de l’Osilière, l’homme le plus sincèrement philosophe que j’aie connu après M. de Vauvenargues, et qui, par le contraste de la sagesse de son esprit avec la naïve candeur de son âme et de son langage, faisoit penser à La Fontaine.

C’est là que je fus appelé, et que je fus bientôt chéri comme l’enfant de la maison. Jugez de mon bonheur lorsqu’à tant d’agrémens se trouva joint celui d’avoir pour disciple un jeune homme bien né, d’une innocence pure, d’une docilité parfaite, avec assez d’intelligence et de mémoire pour ne rien perdre de mes leçons. Il est mort avant l’âge d’homme, et en lui la nature a détruit l’un de ses plus charmans ouvrages. Il étoit beau comme Apollon, et je ne m’aperçus jamais qu’il se doutât de sa beauté.

Ce fut auprès de lui, et sans lui dérober aucun des momens et des soins que je devois à ses études, que j’achevai ma tragédie. J’obtins encore le prix de poésie cette année là, et je la compterois parmi les plus heureuses de ma vie, sans le chagrin où me plongea l’événement de la mort de ma mère. Tous les soulagemens et toutes les consolations dont pouvoit être susceptible une douleur si grande, je les trouvai près de Mme Harenc. Je la quittai lorsque le père de mon disciple, lui destinant un autre genre d’instruction, le rappela vers lui ; mais depuis, et jusqu’à la mort de cette femme respectable, elle m’a aimé tendrement, et sa maison a été la mienne.

Ma tragédie étant achevée, il étoit temps de la soumettre à la correction de Voltaire ; mais Voltaire étoit à Cirey. Le parti le plus sage auroit été d’attendre son retour à Paris, et je le sentois bien. De quel secours n’eussent pas été pour moi l’examen, la critique, le conseil d’un tel maître ! Mais plus mon ouvrage eût gagné en passant sous ses yeux, moins il eût été mon ouvrage. Peut-être aussi, en exigeant de moi au delà de mes forces, m’eût-il découragé. Ces réflexions m’engagèrent à prendre ma résolution, et j’allai demander aux comédiens d’entendre la lecture de ma pièce.

Cette lecture fut écoutée avec beaucoup de bienveillance. Les trois premiers actes et le cinquième furent pleinement approuvés ; mais on ne me dissimula point que le quatrième étoit trop foible. J’avois eu d’abord pour ce quatrième acte une idée qui m’avoit paru hasardeuse, et que j’avois abandonnée. Je reconnus dans ce moment que, pour avoir voulu être plus sage, je m’étois rendu froid, et la hardiesse me revint. Je demandai trois jours pour travailler, et lecture pour le quatrième. Je dormis peu dans l’intervalle ; mais je fus bien payé de cette longue veille par le succès que mon nouvel acte obtint à la lecture, et par l’opinion que ce travail si prompt et si heureux donna de mon talent. Ce fut alors que commencèrent les tribulations d’auteur ; et la première eut pour objet la distribution des rôles.

Lorsque les comédiens m’avoient gratuitement accordé mes entrées, Mlle Gaussin avoit été la plus empressée à les solliciter pour moi. Elle étoit en possession de l’emploi des princesses ; elle y excelloit dans tous les rôles tendres et qui ne demandoient que l’expression naïve de l’amour et de la douleur. Belle, et du caractère de beauté le plus touchant, avec un son de voix qui alloit au cœur, et un regard qui dans les larmes avoit un charme inexprimable, son naturel, lorsqu’il étoit placé, ne laissoit rien à désirer ; et ce vers, adressé à Zaïre par Orosmane :


L’art n’est pas fait pour toi, tu n’en as pas besoin,


avoit été inspiré par elle. On peut de là juger combien elle étoit chérie du public, et assurée de sa faveur ; mais, dans les rôles de fierté, de force et de passion tragique, tous ses moyens étoient trop foibles ; et cette mollesse voluptueuse qui convenoit si bien aux rôles tendres étoit tout le contraire de la vigueur que demandoit le rôle de mon héroïne. Cependant Mlle Gaussin n’avoit pas dissimulé le désir de l’avoir ; elle me l’avoit témoigné de la manière la plus flatteuse et la plus séduisante en affectant aux deux lectures le plus vif intérêt et pour la pièce et pour l’auteur.

Dans ce temps-là les tragédies nouvelles étoient rares, et plus rares encore les rôles dont on attendoit du succès ; mais le motif le plus intéressant pour elle étoit d’ôter ce rôle à l’actrice qui tous les jours lui en enlevoit quelqu’un. Jamais la jalousie du talent n’avoit inspiré plus de haine qu’à la belle Gaussin pour la jeune Clairon. Celle-ci n’avoit pas le même charme dans la figure ; mais en elle les traits, la voix, le regard, l’action, et surtout la fierté, l’énergie du caractère, tout s’accordoit pour exprimer les passions violentes et les sentimens élevés. Depuis qu’elle s’étoit saisie des rôles de Camille, de Didon, d’Ariane, de Roxane, d’Hermione, d’Alzire, il avoit fallu les lui céder. Son jeu n’étoit pas encore réglé et modéré comme il l’a été dans la suite, mais il avoit déjà toute la sève et la vigueur d’un grand talent. Il n’y avoit donc pas à balancer entre elle et sa rivale pour un rôle de force, de fierté, d’enthousiasme, tel que le rôle d’Arétie ; et, malgré toute ma répugnance à désobliger l’une, je n’hésitai point à l’offrir à l’autre. Le dépit de Gaussin ne put se contenir. Elle dit que « l’on savoit bien par quel genre de séduction Clairon s’étoit fait préférer ». Assurément elle avoit tort ; mais Clairon, piquée à son tour, m’obligea de la suivre dans la loge de sa rivale ; et là, sans m’avoir prévenu de ce qui alloit se passer : « Tenez, Mademoiselle, je vous l’amène, lui dit-elle ; et, pour vous faire voir si je l’ai séduit, si j’ai même sollicité la préférence qu’il m’a donnée, je vous déclare, et je lui déclare à lui-même, que, si j’accepte son rôle, ce ne sera que de votre main. » À ces mots, jetant le manuscrit sur la toilette de la loge, elle m’y laissa.

J’avois alors vingt-quatre ans, et je me trouvois tête à tête avec la plus belle personne du monde. Ses mains tremblantes serroient les miennes, et je puis dire que ses beaux yeux étoient en supplians attachés sur les miens. « Que vous ai-je donc fait, me disoit-elle avec sa douce voix, pour mériter l’humiliation et le chagrin que vous me causez ? Quand M. de Voltaire a demandé pour vous les entrées de ce spectacle, c’est moi qui ai porté la parole. Quand vous avez lu votre pièce, personne n’a été plus sensible à ses beautés que moi. J’ai bien écouté le rôle d’Arétie, et j’en ai été trop émue pour ne pas me flatter de le rendre comme je l’ai senti. Pourquoi donc me le dérober ? Il m’appartient par droit d’ancienneté, et peut-être à quelque autre titre. C’est une injure que vous me faites en le donnant à une autre que moi ; et je doute qu’il y ait pour vous de l’avantage. Croyez-moi, ce n’est pas le bruit d’une déclamation forcée qui convient à ce rôle. Réfléchissez-y bien ; je tiens à mes propres succès, mais je ne tiens pas moins aux vôtres ; et ce seroit pour moi une sensible joie que d’y avoir contribué. »

Il fut pénible, je l’avoue, l’effort que je fis sur moi-même. Mes yeux, mon oreille, mon cœur, étoient exposés sans défense au plus doux des enchantemens. Charmé par tous les sens, ému jusqu’au fond de l’âme, j’étois prêt à céder, à tomber aux genoux de celle qui sembloit disposée à m’y bien recevoir ; mais il y alloit du sort de mon ouvrage, mon seul espoir, le bien de mes pauvres enfans ; et l’alternative d’un plein succès ou d’une chute étoit si vivement présente à mon esprit que cet intérêt l’emporta sur tous les mouvemens dont j’étois agité.

« Mademoiselle, lui répondis-je, si j’étois assez heureux pour avoir fait un rôle comme ceux d’Andromaque, d’Iphigénie, de Zaïre, ou d’Inès, je serois à vos pieds pour vous prier de l’embellir encore. Personne ne sent mieux que moi le charme que vous ajoutez à l’expression d’une douleur touchante, ou d’un timide et tendre amour ; mais malheureusement l’action de ma pièce n’est pas susceptible d’un rôle de ce caractère ; et, quoique les moyens qu’exige celui-ci soient moins rares, moins précieux que ce beau naturel dont vous êtes douée, vous m’avouerez vous-même qu’ils sont tout différens ; un jour peut-être j’aurai lieu d’employer avec avantage ces doux accens de voix, ces regards enchanteurs, ces larmes éloquentes, cette beauté divine, dans un rôle digne de vous. Laissez les périls et les risques de mon début à celle qui veut bien les courir ; et, en vous réservant l’honneur de lui avoir cédé ce rôle, évitez les hasards qu’en le jouant vous-même vous partageriez avec moi. — C’en est assez, dit-elle avec un dépit renfermé. Vous le voulez ; je le lui cède. » Alors, prenant sur sa toilette le manuscrit du rôle, elle descendit avec moi, et, retrouvant Clairon dans le foyer : « Je vous le rends, et sans regret, ce rôle dont vous attendez tant de succès et tant de gloire, dit-elle d’un air ironique. Je pense, comme vous, qu’il vous va mieux qu’à moi. » Mlle Clairon le reçut avec une fierté modeste ; et moi, les yeux baissés et en silence, je laissai passer ce moment. Mais le soir à souper, tête à tête avec mon actrice, je respirai en liberté de la gêne où elle m’avoit mis. Elle ne fut pas peu sensible à la constance avec laquelle j’avois soutenu cette épreuve, et ce fut là que prit naissance cette amitié durable qui a vieilli avec nous.

Ce rôle ne fut pas le seul pour lequel je fus tracassé ; l’acteur à qui je destinois celui de Denys le père, Grandval, le refusa, et ne voulut jouer que celui du jeune Denys. Il me fallut donner le premier à un acteur appelé Ribou, plus jeune que Grandval. Ribou étoit un garçon beau et bien fait, et dans son action il ne manquoit pas de noblesse ; mais il manquoit d’intelligence et d’instruction, au point qu’il fallut lui expliquer son rôle en langue vulgaire, et le lui montrer mot à mot comme à un enfant. Cependant, à force de peine et de leçons, je le mis en état de le jouer passablement ; et, avec quelque déguisement dans le costume, il en prit assez bien le caractère pour ne pas nuire, par sa jeunesse, à l’illusion théâtrale.

Vint le moment des répétitions. Ce fut là que les connoisseurs commencèrent à me juger. J’ai parlé de ce quatrième acte que j’avois moi-même d’abord trouvé trop hasardeux ce fut surtout à celui-là qu’ils s’attachèrent. Le moment critique étoit celui où Denys le jeune retient sa maîtresse en otage dans le palais de son père pour désarmer les factieux. Mlle Clairon entendoit dire que c’étoit là l’écueil où la pièce alloit échouer, et qu’elle n’iroit pas plus loin. Elle me proposa d’assembler chez elle un petit nombre de gens de goût qu’elle consultoit elle-même, de leur lire ma pièce, et, sans les prévenir sur la situation dont nous étions en peine, de voir ce qu’ils en penseroient ; je me soumis, comme vous croyez bien, et le conseil fut assemblé. Voici comment il étoit composé.

C’étoit ce d’Argental, l’âme damnée de Voltaire, et l’ennemi de tous les talens qui menaçoient de réussir. C’étoit l’abbé de Chauvelin, le dénonciateur des jésuites, et à qui ce rôle odieux donna quelque célébrité. C’est de lui qu’on a dit :


Quelle est cette grotesque ébauche ?
Est-ce un homme ? est-ce un sapajou ?
Cela parle, etc.


C’étoit le comte de Praslin, qui, comme d’Argental, n’existoit que dans les coulisses avant que le duc de Choiseul, son cousin, eût donné l’importance de l’ambassade et du ministère à sa triste inutilité. C’étoit enfin ce vilain marquis de Thibouville, distingué parmi les infâmes par l’impudence du plus sale des vices et les raffinemens d’un luxe dégoûtant de mollesse et de vanité. Le seul mérite de cet homme abreuvé de honte étoit de réciter des vers d’une voix éteinte et cassée, et avec une afféterie qui se ressentoit de ses mœurs.

Comment ces personnages avoient-ils du crédit, de l’autorité, au théâtre ? En courtisant Voltaire, qui ne dédaignoit pas assez l’hommage de ces vils complaisans, et en faisant accroire au petit duc d’Aumont qu’il ne pouvoit mieux se conduire dans le gouvernement du Théâtre-François qu’en suivant les conseils des amis de Voltaire. Ma jeune actrice s’en laissoit imposer par l’air de conséquence et de capacité que se donnoient ces messieurs-là, et moi j’étois frappé de son respect pour leurs lumières. Je leur lus mon ouvrage. Ils l’écoutèrent avec le plus grave silence ; et, après la lecture, Mlle Clairon, les ayant assurés de ma docilité, les pria de me dire librement leur avis. Ce fut à d’Argental que l’on déféra la parole. On sait comment il opinoit : des demi-mots, des réticences, des phrases indécises, du vague et de l’obscurité, ce fut tout ce que j’en tirai ; et, en bâillant comme une carpe, il prononça enfin qu’il falloit voir comment tout cela seroit pris. Après lui, M. de Praslin dit qu’en effet, dans cette pièce, il y avoit bien des choses qui méritoient réflexion ; et, d’un ton sentencieux, il me conseilla… d’y penser. L’abbé de Chauvelin, en remuant ses jambes de basset du haut de son fauteuil, assura qu’on se trompoit fort si l’on croyoit qu’une tragédie fût une chose si facile ; que le plan, l’intrigue, les mœurs, les caractères, la diction, le tout ensemble à composer, n’étoient rien moins qu’un jeu d’enfant, et que pour lui, sans juger la mienne à la rigueur, il y reconnoissoit l’ouvrage d’un jeune homme ; que, du reste, il s’en référoit à l’opinion de M. d’Argental. Thibouville, à son tour, parla ; et, en se flattant le menton de la main pour faire admirer sa turquoise, il dit qu’il croyoit se connoître un peu en vers tragiques : « Il en avoit tant récité, il en avoit tant fait lui-même, qu’il devoit savoir en juger ; mais le moyen d’entrer dans ces détails d’après une simple lecture ! Il ne pouvoit que me renvoyer aux modèles de l’art : les nommer, c’étoit dire assez ce qu’il vouloit me faire ; et, en lisant Racine et M. de Voltaire, il étoit bien aisé de voir de quel style ils avoient écrit. »

Comme, en les écoutant de toutes mes oreilles, je n’avois rien entendu de net et de précis sur mon ouvrage, il me vint dans l’idée que, par ménagement, ils avoient pris, en parlant devant moi, ce langage insignifiant. « Je vous laisse avec ces messieurs, dis-je tout bas à mon actrice ; ils s’expliqueront mieux quand je n’y serai plus. » Et le soir en la revoyant : « Eh bien ! lui demandai-je, ont-ils parlé de moi absent plus clairement qu’en ma présence ? — Vraiment, me dit-elle en riant, ils ont parlé tout à leur aise. — Et qu’ont-ils dit ? — Ils ont dit qu’il étoit possible que cet ouvrage eût du succès, mais qu’il étoit possible aussi qu’il n’en eût pas. Et, toute réflexion faite, l’un ne répond de rien, l’autre n’ose rien assurer. — Mais n’ont-ils fait aucune observation particulière ? Et par exemple sur le sujet ? — Ah ! le sujet ! c’est là le point critique. Cependant que sait-on ? le public est si journalier ! — Et de l’action, que leur en semble ? — Pour l’action, Praslin ne sait qu’en dire, d’Argental ne sait qu’en penser, et les deux autres sont d’avis qu’il faut la juger au théâtre. — N’ont-ils rien dit des caractères ? — Ils ont dit que le mien seroit assez beau, si… ; que celui de Denys seroit assez bien, mais… — Eh bien ! si, mais ? Après ? — Ils se sont regardés et n’en ont pas dit davantage. — Et ce quatrième acte, qu’en pensent-ils ? — Oh ! pour le quatrième acte, son sort est décidé : il tombera ou il ira aux nues. — Allons, j’en accepte l’augure, repris-je vivement ; et c’est de vous, Mademoiselle, qu’il dépend de déterminer la prédiction en ma faveur. — Comment ? — En voici le moyen. Dans le moment où le jeune Denys s’oppose à votre délivrance, si vous voyez le public s’émouvoir contre cet effort de vertu, n’attendez pas qu’il en murmure, et, pressant la réplique, faites sonner ces vers :


Va, ne crains rien, Denys n’a rien appris encore, etc.


L’actrice m’entendit, et l’on verra bientôt qu’elle passa mon espérance.

Durant les répétitions de ma pièce, il m’arriva une aventure que j’ai racontée à mes enfans, mais que je veux leur retracer. Il y avoit plus de deux ans que j’étois parti de Toulouse, et je n’avois payé qu’un an de la pension de mon frère au séminaire des Irlandois. J’en devois une année entière, et, avec bien de l’économie, j’avois mis en réserve mes cent écus pour la payer ; mais je voulois pouvoir sûrement et sans frais les faire parvenir à leur destination. Boubée, avocat de Toulouse et académicien des Jeux Floraux, se trouvoit alors à Paris, j’allai le voir ; et, en présence d’un homme décoré qui m’étoit inconnu, je lui demandai s’il n’avoit pas quelque occasion sûre pour faire passer mon argent. Il me dit n’en avoir aucune. « Eh ! sandis ! s’écria l’homme au cordon rouge (que je prenois pour un militaire, et qui n’étoit qu’un chevalier du Christ), c’est, je crois, M. Marmontel que j’ai le bonheur de rencontrer ici. Il ne reconnoît pas ses amis de Toulouse. » Je lui avouai avec confusion que je ne savois point à qui j’avois l’honneur de parler. « C’est, reprit-il, à ce chevalier d’Ambelot qui vous applaudissoit de si bon cœur quand vous receviez des couronnes. Eh bien ! tout ingrat que vous êtes, ce sera moi qui vous rendrai le petit service de faire compter vos cent écus au séminaire des Irlandois. Donnez-moi votre adresse. Vous recevrez de moi demain matin une lettre de change de cette somme, payable à vue ; et, quand le supérieur vous marquera que l’argent lui aura été compté, vous me le remettrez ici tout à votre aise. » Rien de plus obligeant : aussi remerciai-je bien monsieur le chevalier de son empressement à me rendre ce bon office.

Alors, la conversation s’étant égayée sur Toulouse, et moi m’étant mis à vanter l’originalité piquante de l’esprit de ce pays-là : « Je suis fâché, me dit Boubée, que vous, qui fréquentiez notre barreau, ne vous y soyez pas trouvé quand j’ai plaidé la cause du peintre de l’Hôtel de ville. Vous le connoissez, ce Cammas, si laid, si bête, qui tous les ans barbouille au Capitole les effigies des nouveaux capitouls. Une coquine du voisinage l’accusoit de l’avoir séduite. Elle étoit grosse : elle demandoit qu’il l’épousât, ou qu’il lui payât les dommages d’une innocence qu’elle avoit mise au pillage depuis quinze ans. Le pauvre diable étoit désolé ; il vint me conter sa disgrâce. Il me jura que c’étoit elle qui l’avoit suborné ; il vouloit même expliquer à ses juges comme elle s’y étoit prise, et m’offroit d’en faire un tableau qu’il exposeroit à l’audience. « Tais-toi, lui dis-je ; avec ce gros museau, il te sied bien de faire le jouvenceau qu’on a séduit ! Je plaiderai ta cause et je te tirerai d’affaire, si tu veux me promettre de te tenir tranquille auprès de moi à l’audience, et de ne pas souffler le mot, quoi que je dise, entends-tu bien ? sans quoi tu serois condamné. » Il me promit tout ce que je voulus. Le jour donc arrivé et la cause appelée, je laissai mon adversaire déclamer amplement sur la pudeur, sur la foiblesse et la fragilité du sexe, et sur les artifices et les pièges qu’on lui tendoit. Après quoi prenant la parole : « Je plaide dis-je, pour un laid, je plaide pour un gueux, je plaide pour un sot (il voulut murmurer, mais je lui imposai silence). Pour un laid, Messieurs, le voilà ; pour un gueux, Messieurs, c’est un peintre, et, qui pis est, le peintre de la ville ; pour un sot, que la cour se donne la peine de l’interroger. » Ces trois grandes vérités une fois établies, je raisonne ainsi « On ne peut séduire que par l’argent, par l’esprit, ou par la figure. Or ma partie n’a pu séduire par l’argent, puisque c’est un gueux ; par l’esprit, puisque c’est un sot ; par la figure, puisque c’est un laid, et le plus laid des hommes : d’où je conclus qu’il est faussement accusé. » Mes conclusions furent admises, et je gagnai tout d’une voix. »

Je promis à Boubée de ne pas oublier un mot d’un si beau plaidoyer ; et, en m’en allant, je remerciai de nouveau le chevalier d’Ambelot du service qu’il m’alloit rendre. Le lendemain un grand laquais en livrée, et coiffé d’un chapeau bordé d’un large point d’Espagne, m’apporta la lettre de change, que je fis partir sur-le-champ.

Trois jours après, en passant le matin par la rue de la Comédie-Françoise, je m’entends appeler du haut d’un second étage. C’étoit un Languedocien nommé Favier[8], fort connu depuis, qui, par sa fenêtre m’invitoit à monter chez lui. Je monte, et, dans sa chambre, autour d’une table couverte d’huîtres, je trouve cinq ou six Gascons. « Mon ami, me dit-il, une petite incommodité m’oblige de garder la chambre. Ces messieurs veulent bien m’y tenir compagnie ; nous déjeunons ensemble, déjeunez avec nous. » Sa petite incommodité étoit une sentence des consuls qui portoit contrainte par corps. Favier étoit noyé de dettes ; mais, comme il avoit encore ce jour-là crédit chez le marchand de vin, le boulanger et l’écaillère, il nous donnoit des huîtres et du vin de Champagne aussi amplement et aussi gaiement que s’il avoit été dans l’opulence. L’insouciance d’un sauvage, avec la plus profonde dissolution de mœurs, formoit le caractère de cet homme, d’ailleurs aimable, plein d’esprit et de connoissances, parlant bien et facilement, doué du talent des affaires, et tel qu’avec moins d’indolence et moins d’abandon de lui-même il eût été capable de remplir les plus grands emplois. Je le fréquentois peu, mais il m’intéressoit par sa franchise, sa gaieté, son éloquence naturelle, et, puisqu’il faut le dire, par cet épicurisme qui, chez lui comme dans Horace, avoit un attrait dangereux.

Mon chevalier au cordon rouge, d’Ambelot, étoit l’un des convives du déjeuner. Je lui renouvelai encore mes remerciemens de sa lettre de change. « Vous vous moquez, me dit-il ; c’est le plus léger service que nous puissions nous rendre entre compatriotes : car vous avez beau dire, vous êtes Toulousain ; nous voulons que vous le soyez. » Et, me voyant prêt à m’en aller : « Je m’en vais aussi, me dit-il ; j’ai là-bas mon carrosse : où voulez-vous que je vous mène ? » Je refusai ; il insista, et me fit monter dans sa voiture. « Permettez-moi seulement, reprit-il, de passer à la porte de l’un de mes amis dans la rue du Colombier. Je n’ai que deux mots à lui dire : je serai à vous dans l’instant. Vous venez de voir, continua le fourbe, ce bon Favier : c’est le plus galant homme et le plus généreux ; mais nul ordre, nulle conduite. Il a été riche, et il s’est ruiné ; mais il n’en est pas moins prodigue. Dans ce moment il est dans la peine ; je vais l’en tirer si je puis, car il faut bien aider ses amis au besoin. »

Arrivé à l’hôtel où il disoit avoir affaire, il descendit de sa voiture, et le moment d’après il revint avec de l’humeur et murmurant tout bas. Je le vis hérissé, je lui en demandai la cause. « Mon ami, me dit-il, vous êtes jeune et nouveau dans le monde ; prenez bien garde à qui vous vous fierez, car il y a bien peu de gens sûrs ! Celui-ci, par exemple, un homme à qui j’aurois confié ma fortune, le marquis de Montgaillard… — Je le connois. Qu’a-t-il donc fait qui vous anime contre lui ? — Hier au soir (mais je vous confie ceci sous le secret n’en parlez à personne ; je ne veux pas le perdre), hier au soir, dans une maison où l’on jouoit, il eut la rage de se mettre au jeu. Moi qui ne joue jamais, je voulus l’en dissuader. Il ne m’écouta point il ponte, il perd ; il double, il redouble son jeu, il perd tout son argent. Il vient à moi, et me conjure de lui prêter ce que j’en ai. Je n’avois que douze louis, et j’avois donné ma parole à ce bon Favier de les lui apporter ce matin pour payer une dette urgente. J’expose à Montgaillard le besoin que j’en ai, sans lui dire pour quel usage. Il me promet, parole d’honneur, de me les rendre ce matin. Je les lui donne : il les joue, il les perd ; et, quand je crois venir les toucher, mon homme est sorti ou il se fait celer, et ce pauvre Favier, qui les attend, va croire que je lui manque de parole, moi qui n’en ai manqué de ma vie à personne ! Ah ! je suis indigné. Et n’ai-je pas raison de l’être ! Vous, Monsieur, qui vous connoissez en procédés, dites-moi, n’ai-je pas raison ? — Monsieur le chevalier, lui dis-je, il y a trois jours que votre lettre de change est partie. Je vous en suis donc redevable dès à présent, et je vais m’acquitter. — Eh ! non, me dit-il, non, j’emprunterai plutôt. — Assurément, lui dis-je, c’est ce que je ne souffrirai pas. Cet argent dans mes mains resteroit inutile ; et, puisqu’il vous est nécessaire, il est à vous. Trouvez bon, s’il vous plaît, que sur l’heure il vous soit remis. » Il fit la plus belle défense ; mais de mon côté je m’obstinai si fort qu’il fallut me céder et recevoir mes cent écus.

Quelques jours après, une lettre du supérieur du séminaire fut pour moi un coup de massue. Dans cette lettre, il me reprochoit de m’être moqué de lui en lui envoyant un chiffon. « L’homme sur qui votre aventurier a eu l’impudence de tirer une lettre de change, m’écrivoit-il, ne lui doit rien. Je l’ai fait protester, et je vous la renvoie. » Jugez de ma fureur. C’étoit à mes yeux un grand crime que de m’avoir escamoté mes pauvres cent écus ; mais une trahison bien plus horrible étoit de m’avoir fait passer, sinon pour un malhonnête homme, du moins pour un homme léger. « Juste Ciel ! m’écriai-je ; et de quel œil mon frère est-il regardé dans ce moment ? » Outré de douleur et de colère, et l’épée au côté (car en me vouant au théâtre j’avois changé d’état), je cours chez d’Ambelot, je le demande. « Ah ! le malheureux ! me répond le portier de l’hôtel, il est au For-l’Évêque. Il nous a escroqué à tous le peu d’argent que nous avions. » Je ne le fis pas écrouer dans sa prison, mais peu de temps après j’appris qu’il y étoit mort, et je n’en fus point affligé.

Le jour de ma mésaventure, j’allai répandre mon chagrin dans le sein de Mme Harenc. « Assurément, dit-elle, c’est bien là voler sur l’autel. » Et puis : « Vous soupez avec moi ? me demanda-t-elle. — Oui, Madame. — Je vous laisse donc un moment. » Elle revint quelques instans après. « Je pense, reprit-elle, à votre pauvre frère ; c’est peut-être sur lui que tombe l’humeur de ce prêtre irlandois. Dès demain, mon ami, il faut lui envoyer une meilleure lettre de change. — Oui, Madame, lui dis-je, telle est mon intention. Indiquez-moi seulement un banquier. — Vous en aurez un. À présent, parlons de vos répétitions. Vont-elles bien ? En êtes-vous content ? » Je lui confiai mes inquiétudes sur l’obscurité des oracles qui m’avoient été prononcés chez Mlle Clairon. Elle en rit de bon cœur. « Savez-vous, me dit-elle, ce qui en arrivera ? Si votre pièce a du succès, ils l’auront prédit ; si elle tombe, ils l’auront annoncé. Mais, qu’elle tombe ou qu’elle réussisse, souvenez-vous que ce jour-là vous soupez chez moi avec nos amis, car nous voulons nous réjouir ou nous affliger avec vous. »

Comme elle parloit avec cette bonté, son homme d’affaires vint lui dire deux mots ; et quand il fut sorti : « Tenez, me dit-elle, voici une lettre de change payable à vue plus sûrement que celle de votre chevalier » ; et lorsque je parlai d’en remettre la somme « Denys, me dit-elle, Denys en est le débiteur ; il s’acquittera bien. »

Dès lors je ne fus plus inquiet que du sort de ma tragédie, et c’étoit bien assez. L’événement en étoit pour moi d’une telle importance qu’on me pardonnera, j’espère, les momens de foiblesse dont je vais m’accuser.

Dans ce temps-là l’auteur d’une pièce nouvelle avoit pour lui et pour ses amis une petite loge grillée aux troisièmes sur l’avant-scène, dont je puis dire que la banquette étoit un vrai fagot d’épines. Je m’y rendis demi-heure avant qu’on ne levât la toile, et jusque-là je conservai assez de force dans mes angoisses ; mais, au bruit que la toile fit à mon oreille en se levant, mon sang se gela dans mes veines[9].

On eut beau me faire respirer des liqueurs, je ne revenois point. Ce ne fut qu’à la fin du premier monologue, au bruit des applaudissemens, que je fus ranimé. Dès ce moment tout alla bien, et de mieux en mieux, jusqu’à l’endroit du quatrième acte dont on m’avoit tant menacé ; mais, à l’approche de ce moment, je fus saisi d’un tremblement si fort que, sans exagérer, les dents me claquoient dans la bouche. Si les grandes révolutions qui se passent dans l’âme et dans les sens étoient mortelles, je serois mort de celle qui se fit en moi lorsqu’à l’heureuse violence que fit aux spectateurs la sublime Clairon en prononçant ces vers :


Va, ne crains rien, etc.,


toute la salle retentit d’applaudissemens redoublés. Jamais d’une frayeur plus vive on n’a passé à une plus soudaine et plus sensible joie ; et, tout le reste du spectacle, ce dernier sentiment me remua le cœur et l’âme avec tant de violence que ma respiration n’étoit que des sanglots.

Au moment de la catastrophe, lorsqu’au bruit des applaudissemens et des acclamations du parterre qui me demandoit à grands cris, on vint me dire qu’il falloit descendre et me montrer sur le théâtre, il me fut impossible de me traîner seul jusque-là ; mes jambes fléchissoient sous moi ; il fallut que l’on me soutînt.

Mérope avoit été la première pièce où l’on eût demandé l’auteur, et Denys étoit la seconde. Ce qui depuis est devenu si commun et si peu flatteur étoit donc honorable encore, et aux trois premières représentations cet honneur me fut accordé ; mais cette espèce d’enivrement avoit pour cause des circonstances qui relevoient excessivement le mérite de mon ouvrage. Crébillon étoit vieux, Voltaire vieillissoit ; aucun jeune homme, entre eux et moi, ne s’offroit pour les remplacer. J’avois l’air de tomber des nues ; ce coup d’essai d’un provincial, d’un Limosin de vingt-quatre ans, sembloit promettre des merveilles, et l’on sait qu’en fait de plaisirs le public se complait d’abord à exagérer ses espérances ; mais malheur à qui les déçoit ! Ce fut ce que la réflexion ne tarda pas à me faire connoître, et ce dont les critiques s’empressèrent de m’avertir.

J’eus cependant quelques jours d’un bonheur pur et calme, et cette jouissance me fut surtout bien douce dans le souper que je fis chez Mme Harenc. M. de Presle m’y ramena après le spectacle. Sa bonne mère, qui m’attendoit, me reçut dans ses bras ; et, en apprenant mon succès, elle m’arrosa de ses larmes. Un accueil si touchant me rappela ma mère, et à l’instant un flot d’amertume se mêlant à ma joie : « Ah ! Madame ! lui dis-je en fondant en pleurs, que ne vit-elle encore, cette mère si tendre que vous me rappelez ! Elle m’embrasseroit aussi, et elle seroit bien heureuse ! » Nos amis arrivèrent, croyant n’avoir qu’à me féliciter. « Venez, leur dit Mme Harenc, consoler ce pauvre garçon. Le voilà qui pleure sa mère, qui auroit été, dit-il, si heureuse dans ce moment. »

Ce retour de douleur ne fut que passager, et bientôt l’amitié que l’on me témoignoit se saisit de toute mon âme. Ah ! si dans le malheur c’est un soulagement que de communiquer ses peines, dans le bonheur c’est une volupté bien vive et bien délicieuse que de trouver des cœurs qui le partagent avec nous ! J’ai toujours éprouvé qu’il m’étoit plus facile de me suffire à moi-même dans le chagrin que dans la joie. Dès que mon âme est triste, elle veut être seule. C’est pour être heureux avec moi que j’ai besoin de mes amis.

Dès que le sort de ma pièce fut décidé, j’en fis part à Voltaire, et en même temps je le priai de permettre qu’elle lui fût dédiée. On peut voir dans le recueil de ses lettres avec quelle satisfaction il apprit mon succès et avec quelle bonté il en reçut l’hommage.

La même année que j’avois eu le malheur de perdre ma mère, Vauvenargues étoit mort ; j’avois besoin de me soulager des regrets que j’en ressentois, et, dans mon épître à Voltaire, il me fut doux de les répandre. Cette épître est de tous mes ouvrages celui que j’ai écrit avec le plus de rapidité. Les vers couloient de source ; je la fis dans une soirée, et depuis je n’y ai rien changé.

Ce que m’avoit prédit Voltaire m’arriva. En un jour, presque en un moment, je me trouvai riche et célèbre. Je fis de ma richesse l’usage convenable. Il n’en fut pas de même de ma célébrité. Elle devint la cause de ma dissipation et la source de mes erreurs. Jusque-là ma vie avoit été obscure et retirée. Je logeois dans la rue des Mathurins, avec deux hommes studieux, Lavirotte[10] et l’abbé de Prades : celui-ci occupé à traduire la théologie d’Huet[11], et l’autre la physique de Mac-Laurin, disciple de Newton. Avec nous demeuroient aussi deux abbés gascons[12], aimables fainéans, d’une gaieté intarissable, lesquels alloient courant le monde, tandis que nous étions appliqués au travail, et revenoient le soir nous réjouir des nouvelles qu’ils avoient recueillies, ou des contes qu’ils inventoient. Les maisons que je fréquentois étoient celles de Mme Harenc et de Mme Desfourniels, son amie, où j’étois toujours désiré ; celle de Voltaire, où je jouissois avec délices des entretiens de mon illustre maître, et celle de Mme Denis, sa nièce, femme aimable avec sa laideur, et dont l’esprit naturel et facile avoit pris la teinture de l’esprit de son oncle, de son goût, de son enjouement, de son exquise politesse, assez pour faire rechercher et chérir sa société. Toutes ces liaisons contribuoient à me remplir l’âme et l’esprit de courage et d’émulation, et à répandre dans mon travail plus de chaleur et de lumière.

Surtout quelle école pour moi que celle où tous les jours, depuis deux ans, l’amitié des deux hommes les plus éclairés de leur siècle m’avoit permis d’aller m’instruire ! Les conversations de Voltaire et de Vauvenargues étoient ce que jamais on put entendre de plus riche et de plus fécond : c’étoit, du côté de Voltaire, une abondance intarissable de faits intéressans et de traits de lumière ; c’étoit, du côté de Vauvenargues, une éloquence pleine d’aménité, de grâce et de sagesse. Jamais dans la dispute on ne mit tant d’esprit, de douceur et de bonne foi ; et, ce qui me charmoit plus encore, c’étoit, d’un côté, le respect de Vauvenargues pour le génie de Voltaire, et, de l’autre, la tendre vénération de Voltaire pour la vertu de Vauvenargues  : l’un et l’autre, sans se flatter, ni par de vaines adulations, ni par de molles complaisances, s’honoroient à mes yeux par une liberté de pensée qui ne troubloit jamais l’harmonie et l’accord de leurs sentimens mutuels. Mais dans le moment dont je parle, l’un de ces deux amis illustres n’étoit plus, et l’autre étoit absent. Je fus trop livré à moi-même.

Après le succès de Denys, un monde curieux, séduisant et frivole s’étant saisi de moi, je me vis emporté dans le tourbillon de Paris. C’étoit comme une mode d’attirer, de montrer chez soi l’auteur de la pièce nouvelle ; et moi, flatté de cet empressement, je ne savois pas m’en défendre. Tous les jours invité à des dîners, à des soupers, dont les hôtes et les convives m’étoient également nouveaux, je me laissois comme enlever d’une société dans une autre, sans savoir bien souvent où j’allois ni d’où je venois : si fatigué de la mobilité perpétuelle de ce spectacle que, dans mes momens de repos, je n’avois plus la force de m’appliquer à rien. Cependant cette variété, ce mouvement de scènes, me plaisoient, je l’avoue, et mes amis eux-mêmes, en me recommandant la sagesse et la modestie, pensoient que je devois céder à ce premier désir qu’on avoit de me voir. « Si ce n’est pas de l’amitié, ce sera, disoient-ils, de la bienveillance et de l’estime personnelle que vous vous acquerrez en vous conduisant bien. Vous avez besoin de connoître les mœurs, les goûts, le ton, les usages du monde ; ce n’est qu’en le voyant de près que l’on peut bien l’étudier, et vous êtes heureux d’y être si favorablement et de si bonne heure introduit. »

Ah ! mes amis avoient raison, si j’avois su modérément profiter de cet avantage ; mais une extrême facilité fut le défaut de ma jeunesse, et, lorsque l’occasion eut l’attrait du plaisir, je n’y sus jamais résister.

Dans ce temps de dissipation et d’étourdissement, je vis un jour arriver chez moi un certain Monet, qui depuis fut directeur de l’Opéra-Comique, et que je ne connoissois pas. « Monsieur, me dit-il, je suis chargé auprès de vous d’une commission qui, je crois, ne vous déplaira point. N’avez-vous pas entendu parler de Mlle Navarre[13] ? » Je lui répondis que ce nom étoit nouveau pour moi. « C’est, poursuivit Monet, le prodige de notre siècle pour l’esprit et pour la beauté. Elle vient de Bruxelles, où elle faisoit l’ornement et les délices de la cour du maréchal de Saxe ; elle a vu Denys le Tyran ; elle brûle d’envie d’en connoître l’auteur, et m’envoie vous inviter à dîner aujourd’hui chez elle. » Je m’y engageai sans peine.

Jamais je n’ai été plus ébloui que je le fus en la voyant. Elle avoit encore plus d’éclat que de beauté. Vêtue en Polonoise, de la manière la plus galante, deux longues tresses flottoient sur ses épaules ; et sur sa tête des fleurs jonquilles, mêlées parmi ses cheveux, relevoient merveilleusement l’éclat de ce beau teint de brune qu’animoient de leurs feux deux yeux étincelans. L’accueil qu’elle me fit redoubla le péril de voir de si près tant de charmes ; et son langage eut bientôt confirmé l’éloge qu’on m’avoit fait de son esprit. Ah ! mes enfans ! si j’avois pu prévoir tous les chagrins que ce jour devoit me causer, avec quel mouvement d’effroi ne me serois-je pas sauvé du danger que j’allois courir ! Ce ne sont point ici des fables ; c’est l’exemple de votre père qui va vous apprendre à redouter la plus séduisante des passions.

Parmi les convives que mon enchanteresse avoit réunis ce jour-là, je trouvai des gens instruits, des gens aimables. Le dîner fut brillant de galanterie et de gaieté, mais avec bienséance, Mlle Navarre savoit tenir d’une main légère les rênes de la liberté. Elle savoit aussi mesurer ses attentions ; et, jusque vers la fin du dîner, elle les distribua si bien que personne n’eut à se plaindre ; mais insensiblement elles se fixèrent sur moi d’une manière si marquée, et à la promenade, dans son jardin, elle laissa si clairement apercevoir l’envie d’être seule avec moi, que les convives, l’un après l’autre et sans bruit, s’écoulèrent. Tandis qu’ils défiloient, son maître de danse arriva. Je lui vis prendre sa leçon. La danse qu’elle exécuta étoit connue alors sous le nom de l’Aimable vainqueur. Elle y déploya toutes les grâces d’une taille élégante, avec des mouvemens, des pas, des attitudes tantôt fières, et tantôt remplies de mollesse et de volupté. La leçon ne dura guère plus d’un quart d’heure, et Lany fut congédié. Alors, en fredonnant l’air qu’elle avoit dansé, Mlle Navarre me demanda si je savois les paroles de cet air-là. Je les savois ; en voici le début :


Aimable vainqueur,
Fier tyran d’un cœur,
Amour, dont l’empire
AmEt le martyre
Sont pleins de douceur ! etc.


« Si je ne savois pas ces paroles, je les inventerois, lui dis-je, tant le moment est propre à me les inspirer ! » Une conversation qui commençoit ainsi ne devoit pas sitôt finir. Nous passâmes la soirée ensemble ; et, dans quelques momens tranquilles, elle me demanda quel étoit le nouvel ouvrage dont j’étois occupé. Je lui en dis le sujet, et je lui en exposai le plan ; mais je me plaignis de la dissipation involontaire à laquelle j’étois forcé. « Voulez-vous, me dit-elle, travailler en paix, à votre aise, et sans distraction ? venez-vous-en passer quelques mois en Champagne, dans le village d’Avenay, où mon père a des vignes et une petite maison[14]. Mon père est à Bruxelles, à la tête d’un magasin qu’il ne peut quitter ; et c’est moi qui viens vaquer à ses affaires. Je pars demain pour Avenay ; j’y serai seule, jusque après les vendanges. Dès que j’aurai tout arrangé pour vous y recevoir, venez m’y joindre. Il y aura bien du malheur si, avec moi et d’excellent vin de Champagne, vous ne faites pas de beaux vers. » Quelle raison, quelle sagesse, quelle force, aurois-je opposées au charme irrésistible d’une pareille invitation ? Je promis de partir au premier signal qu’elle me donneroit. Elle exigea de moi ma parole la plus sacrée de n’avoir aucun confident. Elle avoit, disoit-elle, les plus fortes raisons de cacher notre intelligence.

Depuis son départ jusqu’au mien pour Avenay l’intervalle fut de deux mois ; et, quoiqu’il fût rempli par une correspondance assidue et très animée, tout ce qui dans l’absence peut le plus vivement intéresser l’esprit et l’âme ne me sauvoit pas de l’ennui. Les lettres que je recevois, inspirées par une imagination vive et brillante, en exaltant la mienne par les plus doux prestiges, ne me faisoient que plus ardemment désirer de revoir celle qui, même en son absence, me causoit ces ravissemens. J’employai ce temps-là à dénouer le plus grand nombre des liaisons que j’avois formées, faisant entendre aux uns que mon nouveau travail me demandoit la solitude, et prétextant avec les autres un voyage dans mon pays. Sans m’expliquer avec Mme Harenc ni avec Mlle Clairon, je prévins leurs inquiétudes ; mais, redoutant la curiosité et la pénétration de Mme Denis, je gardai avec elle un silence absolu sur mon projet d’évasion. Ce fut un tort, je le confesse. Son amitié pour moi n’avoit pas attendu des succès pour se déclarer. Inconnu dans le monde, j’étois reçu chez elle aussi cordialement que chez monsieur son oncle. Rien n’étoit négligé de tout ce qui pouvoit me rendre sa maison agréable. Mes amis y étoient accueillis ; ils étoient devenus les siens. Mon vieil ami l’abbé Raynal se souvient, comme moi, des soupers agréables que nous faisions chez elle. L’abbé Mignot son frère, le bon Cideville, mes deux abbés gascons de la rue des Mathurins, y portoient une gaieté franche ; et moi, jeune et jovial encore, je puis dire qu’à ces soupers j’étois le héros de la table ; j’y avois la verve de la folie. La dame et ses convives n’étoient guère plus sages ni moins joyeux que moi ; et, quand Voltaire pouvoit s’échapper des liens de sa marquise du Châtelet, et de ses soupers du grand monde, il étoit trop heureux de venir rire aux éclats avec nous. Ah ! pourquoi ce bonheur facile, égal, paisible, inaltérable, ne suffisoit-il pas à mes désirs ? Que falloit-il de plus à mes délassemens, à la fin d’un long jour de travail et d’étude, et que voulois-je aller chercher dans ce dangereux Avenay ?

Elle arriva enfin, cette lettre tant désirée, si impatiemment attendue, qui devoit marquer mon départ. Je logeois seul alors dans le voisinage du Louvre. Délivré du souci de la dépense de ma table, je m’étois séparé de mes compagnons de ménage, n’ayant à mon service qu’une vieille femme à six francs par mois, et qu’un barbier au même prix. Ce fut à mon barbier que je confiai le soin de me trouver un courrier de la poste aux lettres, qui, dans sa carriole, voulût me porter jusqu’à Reims avec ma petite valise. Il s’en offrit un à point nommé, et je partis. De Reims à Avenay j’allai à franc étrier, et, quoiqu’on dise que l’amour a des ailes, en vérité il n’en eut pas pour moi j’étois brisé en arrivant.

Ici, mes enfans, je jette un voile sur mes déplorables folies. Quoique ce temps soit éloigné, et que je fusse bien jeune encore, ce n’est pas dans un état d’enivrement et de délire que je veux paroître à vos yeux.

Mais ce que vous devez savoir, c’est que les perfides douceurs dont j’étois abreuvé furent mêlées des plus affreuses amertumes ; que la plus séduisante des femmes étoit en même temps la plus capricieuse ; que, parmi ses enchantemens, sa coquetterie inventoit à chaque instant quelque moyen nouveau d’exercer sur moi son empire ; qu’à tout moment sa volonté changeoit, et qu’à tout moment il falloit que la mienne lui fût mise ; qu’elle sembloit se faire un jeu d’avoir en moi, tour à tour, presque en même temps, l’amant le plus heureux, et le plus malheureux esclave. Nous étions seuls, et elle avoit l’art de troubler notre solitude par des incidens imprévus. La mobilité de ses nerfs, la vivacité singulière des esprits qui les animoient, lui causoient des vapeurs, qui seules auroient fait mon tourment. Lorsqu’elle étoit le plus brillante d’enjouement et de santé, ses accès lui prenoient par des éclats de rire involontaires ; au rire succédoient une tension dans tous ses membres, un tremblement et des mouvemens convulsifs qui se terminoient par des larmes. Ces accidens étoient plus douloureux pour moi que pour elle-même ; mais ils me la rendoient plus chère et plus intéressante encore ; heureux si ses caprices n’avoient pas occupé l’intervalle de ses vapeurs ! Tête à tête au milieu des vignes de Champagne, quels moyens d’affliger et de tourmenter un jeune homme ? C’étoit là son étude, c’étoit là son génie. Tous les jours elle imaginoit quelque nouvelle épreuve à faire sur mon âme. C’étoit comme un roman qu’elle composoit en action, et dont elle amenoit les scènes.

Les religieuses du village lui refusoient-elles l’entrée de leur jardin, c’étoit pour elle une privation odieuse et insoutenable ; toute autre promenade lui étoit insipide. Il falloit, avec elle, escalader les murs du jardin défendu. Le garde venoit avec son fusil nous prier d’en sortir ; elle n’en tenoit compte. Il me couchoit en joue ; elle observoit ma contenance. J’allois à lui, et fièrement je lui glissois un écu dans la main, mais sans qu’elle s’en aperçût, car elle eût pris cela pour un trait de foiblesse. Enfin elle prenoit son parti d’elle-même, et nous nous retirions sans bruit, mais en bon ordre et à pas lents.

Une autre fois, elle venoit avec l’air de l’inquiétude, tenant en main la lettre, ou véritable ou supposée, d’un amant malheureux, jaloux et furieux de mon bonheur, qui menaçoit de venir se venger sur moi de ses mépris. En me communiquant cette lettre, elle regardoit si je la lirois de sang-froid, car elle n’estimoit rien tant que le courage ; et, si j’avois paru troublé, j’aurois été perdu dans son esprit.

Dès que j’étois sorti d’une épreuve, elle en inventoit d’autres, et ne me laissoit pas le temps de respirer ; mais, des situations par où elle me fit passer, la plus critique fut celle-ci. Son père, ayant appris qu’un jeune homme étoit avec elle, lui en avoit fait quelque reproche. Elle m’exagéra la colère où il en étoit. À l’entendre, elle étoit perdue, son père alloit venir nous chasser de chez lui ; il n’y avoit, disoit-elle, qu’un seul moyen de l’apaiser, et ce moyen dépendoit de moi ; mais elle eût mieux aimé mourir que de me l’indiquer : c’étoit à mon amour pour elle à me l’apprendre. Je l’entendois très bien, mais l’amour, qui près d’elle me faisoit oublier le monde, ne me faisoit pas oublier moi-même. Je l’adorois comme maîtresse, mais je n’en voulois point pour femme. J’écrivis à M. Navarre en lui faisant l’éloge de sa fille, et en lui témoignant pour elle l’estime la plus pure, la plus innocente amitié. Je n’allai pas plus loin. Le bon homme me répondit que, si j’avois sur elle des vues légitimes (comme elle apparemment le lui faisoit entendre), il n’étoit point de sacrifices qu’il ne fût disposé à faire pour notre bonheur. Je répliquai en appuyant sur l’estime, sur l’amitié, sur les louanges de sa fille ; je glissai sur le reste. J’ai lieu de croire qu’elle en fut mécontente, et, soit pour se venger du refus de sa main, soit pour connoître quel seroit, dans un accès de jalousie, le caractère de mon amour, elle choisit, pour me percer le cœur, le trait le plus aigu et le plus déchirant. Dans un de ces momens où je devois la croire tout occupée de moi seul, comme j’étois occupé d’elle, le nom de mon rival, de ce rival jaloux dont elle m’avoit menacé, fut celui qu’elle prononça. J’entendis de sa bouche : Ah ! mon cher Béthizy ! Figurez-vous, s’il est possible, de quel transport je fus saisi : je sortis éperdu, et, à grands cris appelant ses valets, je demandai des chevaux de poste. Mais, à peine m’étois-je enfermé dans ma chambre pour me préparer à partir, elle accourut échevelée, et, frappant à ma porte avec des cris perçans et une violence effroyable, elle me força de lui ouvrir. Certes, si elle ne vouloit voir en moi qu’un malheureux hors de lui-même, elle dut triompher ; mais, effrayée de l’état où elle m’avoit mis, je la vis à son tour, désolée et désespérée, se jeter à mes pieds, et me demander grâce pour une erreur dont, disoit-elle, sa langue seule étoit coupable, et à laquelle ni sa pensée ni son cœur n’avoient consenti. Que cette scène fût jouée, c’est ce qui paroît incroyable, et alors j’étois loin moi-même d’y penser ; mais plus j’ai réfléchi depuis à l’inconcevable singularité de ce caractère romanesque, plus j’ai trouvé possible qu’elle eût voulu me voir dans cette situation nouvelle, et que, touchée après de la violence de ma douleur, elle eût voulu la modérer. Au moins est-il vrai que jamais je ne la vis si sensible et si belle que dans cet horrible moment. Aussi, après avoir été assez longtemps inexorable, me laissai-je à la fin persuader et fléchir ; mais, peu de jours après, son père l’ayant rappelée à Bruxelles, il fallut nous quitter. Nos adieux furent des sermens de nous aimer toujours, et, avec l’espérance de la revoir bientôt, m’étant séparé d’elle, je revins à Paris.

La cause de mon évasion n’étoit plus un mystère : un poète chansonnier, l’abbé de Lattaignant, chanoine de Reims, où il étoit alors, ayant appris cette aventure, en avoit fait le sujet d’une épître à Mlle Navarre, et cette épître couroit le monde[15]. Je me trouvai donc avoir acquis la réputation d’homme à bonnes fortunes, dont je me serois bien passé, car elle me fit des jaloux, c’est-à-dire des ennemis.

Le lendemain de mon arrivée, je vis venir chez moi mes deux abbés gascons de la rue des Mathurins, et j’en reçus une semonce du sérieux le plus comique. « D’où venez-vous ? me dit l’abbé Forest. Voilà une belle conduite ! Vous vous échappez comme un voleur, sans dire un mot d’adieu à vos meilleurs amis ! Vous vous en allez en Champagne ! on vous cherche, on vous cherche en vain. Où est-il ? Personne n’en sait rien ; et cette femme intéressante, cette femme sensible que vous abandonnez, que vous laissez dans les alarmes, dans les pleurs, quelle barbarie ! Allez, libertin que vous êtes, vous ne méritez pas l’amour qu’elle a pour vous. — Quelle est, lui demandai-je, cette Ariane en pleurs ? Et de qui parlez-vous ? — De qui ? reprit l’abbé Debon ; de cette amante désolée qui vous a cru noyé, qui vous a fait chercher jusqu’aux filets de Saint-Cloud, et qui depuis a su que vous l’avez trahie, de Mme Denis enfin. — Messieurs, leur dis-je d’un ton ferme et d’un air sérieux, Mme Denis est mon amie, et rien de plus. Elle n’a pas le droit de se plaindre de ; ma conduite. Je lui en ai fait mystère, ainsi qu’à vous, parce que je l’ai dû. — Oui, du mystère, reprit Forest, pour Mlle Navarre, pour une… ! » Je l’interrompis. « Tout beau, Monsieur, lui dis-je ; vous n’avez pas, je crois, l’intention de m’offenser, et vous m’offenseriez si vous alliez plus loin. Je ne me suis jamais permis de réprimande avec vous, je vous prie de n’en pas user avec moi. — Eh ! sandis ! répliqua Forest, vous en parlez bien à votre aise ! vous vous en allez lestement en Champagne boire le meilleur vin du monde avec une fille charmante, et nous ici nous en payons les pots cassés. On nous accuse d’avoir été vos confidens, vos approbateurs, vos complices. Mme Denis elle-même nous voit de mauvais œil, nous reçoit froidement ; enfin, puisqu’il faut vous le dire, ajouta-t-il d’une voix pathétique, il n’y a plus de soupers chez elle la pauvre femme est dans le deuil. — Ah ! j’entends voilà donc, lui dis-je, le grand crime de mon absence. Vraiment ! je ne m’étonne plus que vous m’ayez grondé si fort. Plus de soupers ! Allons, il faut les rétablir. Vous serez invités demain. » Un air de jubilation se répandit sur leur visage. « Tu crois donc, me dit l’un, qu’on va te pardonner ? — Oui, dit l’autre, elle est bonne femme, et la paix sera bientôt faite. — La paix de l’amitié, leur dis-je, sera toujours facile à faire : il n’en est pas de même de celle de l’amour ; et la preuve qu’il n’est pour rien dans la querelle, c’est qu’il n’en restera demain aucune trace. Adieu, je vais voir Mme Denis. »

Elle me reçut avec un peu d’humeur, et se plaignit de l’inquiétude que mon escapade lui avoit causée, comme à tous mes amis. J’essuyai ses reproches, et je confessai qu’à mon âge on n’étoit exempt ni de foiblesse, ni de folie. Quant au secret de mon voyage, il m’étoit commandé ; je n’avois pas dû le trahir. « N’allez pas, Madame, ajoutai-je, en paroître offensée ; on vous croiroit jalouse, et c’est un bruit qu’il faut démentir plutôt que de l’autoriser. — Le démentir ! dit-elle, est-ce qu’il se répand ? — Non, pas encore, lui dis-je, mais vos convives dispersés pourroient bien le faire courir. Je viens d’en voir deux ce matin qui m’ont fait la scène la plus vive, et à qui vos soupers interrompus font croire que vous êtes au désespoir. » Je lui racontai cette scène ; elle en rit avec moi, et sentit qu’en effet il étoit convenable de les inviter au plus vite pour leur ôter l’idée d’une Ariane en pleurs. « Voilà, lui dis-je, ce qui s’appelle de l’amitié : facile, indulgente et paisible, rien ne l’altère, et avec elle on vit content, joyeux, de bon accord toute la vie, au lieu qu’avec l’amour… — Avec l’amour ! s’écria-t-elle, que le Ciel m’en préserve ! Cela n’est bon qu’en tragédie, et le comique, à moi, est le genre qui me convient. Vous, Monsieur, qui devez savoir exprimer les tourmens, les fureurs, les transports de l’amour tragique, vous avez besoin de quelqu’un qui vous en donne des leçons, et j’entends dire que pour cela vous vous êtes bien adressé. Je vous en fais mon compliment. »

Hélas ! oui, je savois déjà, par ma fatale expérience, combien la passion de l’amour, même lorsqu’on le croit heureux, est encore un état pénible et violent ; mais jusque-là je n’en avois connu que les peines les plus légères ; il me réservoit un supplice bien plus long et bien plus cruel !

La première lettre que je reçus de Mlle Navarre fut vive et tendre. La seconde fut tendre encore, mais elle fut moins vive. La troisième se fit attendre, et ce n’étoient plus que de pâles étincelles d’un feu mourant. Je m’en plaignis, et cette plainte eut pour réponse de légères excuses. Des fêtes, des spectacles, du monde à recevoir, étoient les causes qu’on m’alléguoit de cette négligence et de cette froideur. Je devois connoître les femmes : l’amusement et la dissipation avoient pour elles tant d’attraits qu’il falloit au moins dans l’absence leur permettre de s’y livrer. Ce fut alors que commença pour moi le vrai supplice de l’amour. À trois lettres brûlantes et déchirantes, plus de réponse. Je trouvai d’abord ce silence si incompréhensible qu’après que les facteurs avoient passé et m’avoient dit ces mots accablans : Il n’y a rien pour vous, j’allois à la poste moi-même voir si quelque lettre à mon adresse n’étoit pas restée au bureau ; et, après y avoir été, j’y retournois encore. Dans cette attente continuelle et tous les jours trompée, je séchois, je me consumois.

J’ai oublié de dire qu’en arrivant à Paris, en passant par le cloître Saint-Germain-l’Auxerrois, un vieux tableau de Cléopâtre m’ayant frappé de ressemblance avec Mlle Navarre, je l’avois acheté bien vite, et l’avois emporté chez moi. C’étoit ma seule consolation. Je m’enfermois seul avec ce tableau, et, lui adressant mes soupirs, je lui demandois, par pitié, un mot de lettre qui me rendît la vie. Insensé ! comment cette image m’auroit-elle entendu ? Celle à qui elle ressembloit ne daignoit pas m’entendre. Cet excès de rigueur et de mépris n’étoit pas naturel. Je la croyois malade ou enfermée par son père et gardée à vue comme une criminelle. Tout me sembloit possible et vraisemblable, hormis l’affreuse vérité. Je n’avois pu si bien renfermer ma douleur que Mlle Clairon ne m’en eût fait avouer la cause ; et tout ce qu’elle avoit pu imaginer pour la flatter et l’adoucir, elle l’avoit mis en usage. Un soir que nous étions dans le foyer de la Comédie, elle entendit le marquis de Brancas-Céreste[16] dire à quelqu’un qu’il arrivoit de Bruxelles. « Monsieur le marquis, lui dit-elle, puis-je vous demander si vous y avez vu Mlle Navare ? — Oui, dit-il, je l’y ai vue plus belle et plus brillante que jamais, menant enchaîné à son char le chevalier de Mirabeau, dont elle est amoureuse, et qui en est idolâtre. »

J’étois présent ; j’entendis sa réponse. Le cœur meurtri du coup, j’allai tomber chez moi comme une victime immolée. Ah ! mes enfans ! quelle folie que celle d’un jeune homme qui croit à la fidélité d’une femme déjà célèbre par ses foiblesses, et à qui l’attrait du plaisir a fait oublier la pudeur !

Celle-ci cependant, moins libertine que romanesque, parut avoir changé de mœurs dans ses amours avec le chevalier de Mirabeau ; mais le roman n’en fut pas long, et il finit misérablement.

La fièvre qui m’avoit saisi le soir même où j’avois appris mon malheur me tenoit encore, lorsqu’un matin je vis entrer chez moi un beau jeune homme qui m’étoit inconnu et qui me déclina son nom : c’étoit le chevalier de Mirabeau. « Monsieur, me dit-il, je m’annonce chez vous à deux titres d’abord, comme l’ami intime de votre ami feu le marquis de Vauvenargues, mon ancien camarade au régiment du roi. Je serois fier de mériter la place qu’il occupoit dans votre cœur, et je désire de l’obtenir. Mon autre titre ne m’est pas aussi favorable : c’est celui de votre successeur auprès de Mlle Navarre. Je lui dois rendre ce témoignage qu’elle a pour vous l’estime la plus tendre. J’ai été souvent jaloux moi-même de la manière dont elle me parloit de vous ; et, à mon départ de Bruxelles, ce qu’elle m’a le plus expressément recommandé a été de venir vous voir et de vous demander votre amitié.

— Monsieur le chevalier, lui répondis-je, vous me voyez malade ; je le suis de votre façon, et je ne me sens pas disposé, je l’avoue, à prendre si subitement de l’amitié pour l’homme trop aimable qui m’a fait tant de mal ; mais la manière noble, loyale et franche dont vous vous annoncez, m’inspire pour vous beaucoup d’estime, et, puisque je suis sacrifié, c’est du moins pour moi une consolation de l’être à un homme comme vous. Donnez-vous la peine de vous asseoir. Nous parlerons de notre ami M. de Vauvenargues ; nous parlerons aussi de Mlle Navarre, et de l’une comme de l’autre je ne vous dirai que du bien. »

Après cette conversation, qui fut longue et intéressante : « Monsieur, me dit-il, je me flatte que vous ne serez point fâché d’apprendre que Mlle Navarre m’ait communiqué vos lettres. Les voici : elles ne font pas moins l’éloge de votre cœur que de votre esprit. En vous les rendant de sa part, je suis chargé de recevoir les siennes. — Monsieur, lui demandai-je, a-t-elle eu la bonté de m’écrire deux mots pour m’autoriser à vous les remettre ? — Non, me dit-il, elle a compté, ainsi que moi, que vous voudriez bien m’en croire sur ma parole. — Pardon, lui répondis-je, pour ce qui me regarde je puis donner ma confiance je ne dispose alors que de ce qui est à moi, mais le secret d’un autre, je n’en dispose pas de même. Cependant il est un moyen de tout concilier, et vous allez être content. » Alors, tirant de mon secrétaire le paquet de lettres de Mlle Navarre : « Vous reconnoissez son écriture, et vous voyez, lui dis-je, que je ne distrais rien de ce recueil ; vous lui serez témoin que ses lettres ont été brûlées. » À l’instant je les mis au feu avec les miennes, et, tandis qu’elles brûloient ensemble : « Mon devoir est rempli, ajoutai-je, mon sacrifice est consommé. ». Il approuva ma délicatesse, et se retira satisfait.

La fièvre ne me quittoit pas ; j’étois mélancolique ; je ne voulois plus voir personne. Je sentois le besoin de respirer un air plus vif que celui du quartier du Louvre ; je voulois me donner pour ma convalescence une promenade solitaire ; j’allai loger dans le quartier du Luxembourg.

Ce fut là que, malade encore, dans mon lit, en l’absence du Savoyard qui me servoit, j’entendis un matin quelqu’un entrer chez moi. « Qui est là ? » On ne me répond point ; mais on entr’ouvre les rideaux de mon alcove, et, dans l’obscurité, je me sens embrasser par une femme dont le visage, appuyé sur le mien, me baignoit de larmes. « Qui êtes-vous ? » demandai-je encore. Et, sans me répondre, on redouble d’embrassemens, de soupirs et de pleurs. Enfin on se lève, et je vois Mlle Navarre, en déshabillé du matin, plus belle que jamais dans sa douleur et dans ses larmes. « C’est vous, Mademoiselle ! m’écriai-je. Hélas ! qui vous amène ? Voulez-vous me faire mourir ? » En disant ces mots, j’aperçus derrière elle le chevalier de Mirabeau, immobile et muet. Je crus être dans le délire ; mais elle, se tournant vers lui d’un air tragique : « Voyez, Monsieur, lui dit-elle, voyez qui je vous sacrifie l’amant le plus passionné, le plus fidèle, le plus tendre, et le meilleur ami que j’eusse au monde ; voyez en quel état mon amour pour vous l’a réduit, et combien vous seriez coupable si vous vous rendiez jamais indigne d’un tel sacrifice. » Le chevalier étoit pétrifié d’étonnement et d’admiration. « Êtes-vous en état de vous lever ? me demanda-t-elle. — Oui, lui dis-je. — Eh bien ! levez-vous et donnez-nous à déjeuner : car nous voulons que vous soyez notre conseil, et nous avons à vous communiquer des choses de grande importance. »

Je me lève, et, mon Savoyard étant arrivé, je leur fais apporter du café au lait. Dès que nous fûmes seuls « Mon ami, me dit-elle, monsieur le chevalier et moi nous allons consacrer nos amours au pied des autels, nous marier, non pas en France, où nous aurions bien des difficultés à vaincre, mais en Hollande, où nous serons libres. Le maréchal de Saxe est furieux de jalousie. Voici la lettre qu’il m’a écrite. Il y traite légèrement monsieur le chevalier ; mais il lui en fera raison. » Je lui représentai qu’un rival jaloux n’étoit pas obligé d’être juste envers son rival, et qu’il ne seroit guère ni prudent ni possible de s’attaquer au maréchal de Saxe. « Qu’appelez-vous s’attaquer ? reprit-elle ; en duel, l’épée à la main ? Ce n’est point cela ; je ne me suis pas fait entendre. Monsieur le chevalier, après son mariage, s’en va demander du service à quelque puissance étrangère : il est connu, il peut choisir. Avec son nom, sa valeur, ses talens et cette figure, il fera un chemin rapide ; incessamment on le verra à la tête des armées, et c’est dans un champ de bataille qu’il se mesurera avec le maréchal. — Fort bien, Mademoiselle, m’écriai-je, voilà ce que j’approuve, et je vous reconnois l’un et l’autre dans un projet si généreux. » Je les vis en effet aussi fiers et aussi contens de leur résolution que si elle avoit dû s’exécuter le lendemain. Dans la suite j’appris qu’après s’être mariés en Hollande, ils avoient passé à Avignon ; que le frère du chevalier, le soi-disant « ami des hommes », et l’ennemi de son frère, avoit eu le crédit de le faire poursuivre jusque dans les États du pape ; qu’au moment où les sbires, par ordre du vice-légat, venoient pour l’arrêter, sa femme étoit en couche, et qu’en les voyant entrer chez elle, la frayeur qui l’avoit saisie avoit causé en elle une révolution qui lui avoit donné la mort.

Je lui donnai des larmes, et, depuis, cet « ami des hommes », que j’ai connu pour un hypocrite de mœurs et pour un intrigant de cour, haineux, orgueilleux et méchant, a été ma bête d’aversion.

Je ne puis exprimer le changement presque subit qui s’étoit fait en moi lorsque j’avois appris que le chevalier de Mirabeau aimoit assez Mlle Navarre pour en faire sa femme. Guéri de mon amour, et surtout de ma jalousie, je trouvai juste la préférence qu’elle lui avoit donnée, et, loin d’en être humilié, je m’applaudis de lui avoir cédé. Par là je reconnus combien le sentiment de l’amour-propre et de la vanité blessée entroit dans les dépits et dans les chagrins de l’amour.

Cependant il me restoit au fond du cœur un malaise, une inquiétude, un ennui qui me dominoit. Ce tableau de Cléopâtre, que j’avois encore devant les yeux, avoit perdu sa ressemblance ; il ne me touchoit plus, mais il m’importunoit, et je m’en délivrai. Ce qui redoubloit ma tristesse, c’étoit la perte de mon talent. Parmi les délices et les tourmens d’Avenay, j’avois eu des heures de verve à donner au travail : Mlle Navarre m’y excitoit elle-même. Les jours d’orage, comme elle avoit peur du tonnerre, il falloit ou dîner ou souper dans ses caves (qui étoient celles du maréchal), et, au milieu de cinquante mille bouteilles de vin de Champagne, il étoit difficile de ne pas s’échauffer la tête. Il est bien vrai que ces jours-là mes vers étoient fumeux ; mais la réflexion dissipoit ces vapeurs. À mesure que j’avancois, je lui lisois mes nouvelles scènes. Pour les juger, elle alloit s’asseoir sur ce qu’elle appeloit son trône c’étoit, au haut des vignes, un monticule de gazon entouré de quelques broussailles ; et il falloit voir dans ses lettres la description de ce trône qui nous attendoit, disoit-elle : celui d’Armide n’avoit rien de plus enchanteur. C’étoit là qu’à ses pieds je lui lisois mes vers ; et, lorsqu’elle les approuvoit, je les croyois les plus beaux du monde ; mais, quand le charme fut rompu, et que je me vis seul au monde, au lieu des fleurs dont les sentiers de l’art étoient semés pour moi, je n’y trouvai que des épines. Le génie qui m’inspiroit m’abandonna ; mon esprit et mon âme tombèrent languissans comme les voiles d’un navire auquel tout à coup manque le vent qui les enfloit.

Mlle Clairon, qui voyoit la langueur où j’étois tombé, s’empressa d’y apporter remède. « Mon ami, me dit-elle, votre cœur a besoin d’aimer, et l’ennui n’en est que le vide ; il faut l’occuper, le remplir. N’y a-t-il donc qu’une femme au monde qui puisse être aimable à vos yeux ? Je n’en connois, lui dis-je, qu’une seule qui pût me consoler, si elle le vouloit bien ; mais seroit-elle assez généreuse pour le vouloir ? — C’est ce qu’il faut savoir, reprit-elle avec un sourire. Est-elle de ma connoissance ? je vous aiderai si je puis. — Oui, vous la connoissez, et vous pouvez beaucoup sur elle. — Eh bien ! nommez-la-moi, je parlerai pour vous. Je lui dirai que vous aimez de bon cœur et de bonne foi ; que vous êtes capable de fidélité, de constance, et qu’elle est sûre d’être heureuse en vous aimant. — Vous croyez donc tout cela de moi ? — Oui, j’en suis très persuadée. — Ayez donc la bonté de vous le dire. — À moi, mon ami ? — À vous-même. — Ah ! s’il dépend de moi, vous serez consolé, et j’en serai bien glorieuse. »

Ainsi se forma cette nouvelle liaison, qui, comme on peut bien le prévoir, ne fut pas de longue durée, mais qui eut pour moi l’avantage de me ranimer au travail. Jamais l’amour et l’amour de la gloire ne furent mieux d’accord qu’ils l’étoient dans mon cœur.

Denys fut remis au théâtre ; il eut, à la reprise, même succès que dans la nouveauté. Le rôle d’Arétie se ressentit du surcroît d’intérêt qu’y prenoit celle à qui rien n’étoit plus cher que ma gloire. Elle y fut plus sublime, plus ravissante que jamais. Eh ! qu’on s’imagine avec quel plaisir alloient souper ensemble l’actrice et l’auteur applaudis !

Mon enthousiasme pour le talent de Mlle Clairon étoit un sentiment trop vif en moi, trop exalté, pour qu’il me soit possible de démêler, dans ma passion pour elle, ce qui n’étoit que de l’amour ; mais, indépendamment des charmes de l’actrice, elle étoit encore à mes yeux une amante très désirable par une jeunesse brillante de vivacité, d’enjouement et de tous les attraits d’un naturel aimable, sans mélange d’aucun caprice, et avec le désir unique et les soins les plus délicats de rendre son amant heureux. Tant qu’elle aimoit, personne n’aimoit plus tendrement, plus passionnément qu’elle, ni de meilleure foi. Sûr d’elle comme de moi-même, la tête libre et l’âme en paix, je donnois au travail une partie du jour, et l’autre lui étoit réservée. Charmante je l’avois quittée ; la même, et plus charmante encore, j’allois la retrouver. Quel dommage qu’un caractère si séduisant fût si léger, et qu’avec tant de sincérité, de fidélité même dans ses amours, elle n’eût pas plus de constance !

Elle avoit une amie chez qui nous soupions quelquefois. Un jour elle me dit : « N’y venez pas ce soir ; vous y seriez mal à votre aise le bailli de Fleury doit y souper, et il me ramène. — J’en suis connu, lui répondis-je naïvement, il voudra bien me ramener aussi. — Non, me dit-elle, il n’aura qu’un vis-à-vis. » Ce mot fut un trait de lumière. Et comme elle m’en vit frappé : « Eh bien ! mon ami, reprit-elle, c’est une fantaisie, il faut me la passer. — Est-il bien vrai ? lui demandai-je, parlez-vous sérieusement ? — Oui, je suis folle quelquefois ; mais je ne serai jamais fausse. — Je vous en sais bon gré, lui dis-je, et je cède la place à monsieur le bailli. » Pour cette fois je me sentis du courage et de la raison ; et ce qui m’arriva le lendemain m’apprit combien un sentiment honnête est plus analogue et plus doux à mon cœur qu’un goût frivole et passager.

Un avocat de mon pays, Rigal, vint me voir, et me dit : « Mlle B*** vous a promis de ne jamais se marier sans le consentement de votre mère. Votre mère n’est plus ; Mlle B*** n’en est pas moins fidèle à sa parole : il se présente pour elle un parti convenable ; elle n’en veut accepter aucun sans votre propre consentement. » À ces mots, je sentis renaître en moi non pas l’amour que j’avois eu pour elle, mais une inclination si douce, si vive et si tendre que je n’y aurois point résisté si ma fortune et mon état avoient eu quelque consistance. « Hélas ! dis-je à Rigal, que ne suis-je en situation de m’opposer à l’engagement qu’on propose à ma chère B*** ! mais malheureusement le sort que j’aurois à lui offrir est trop vague et trop incertain. Mon avenir court des hasards d’où le sien ne doit pas dépendre. Elle mérite un bonheur solide ; et je ne puis que porter envie à celui qui est en état de le lui assurer. »

Quelques jours après je reçus de Mlle Clairon un billet conçu en ces mots : « Votre amitié m’est nécessaire dans ce moment. Je vous connois trop bien pour n’y pas compter. Venez me voir, je vous attends. » Je me rendis chez elle. Il y avoit du monde. « J’ai à vous parler », me dit-elle en me voyant. Je la suivis dans son cabinet. « Vous me marquez, Mademoiselle, que mon amitié peut, lui dis-je, vous être bonne à quelque chose. Je viens savoir à quoi, et vous assurer de mon zèle. — Ce n’est ni votre zèle ni votre amitié seule que je réclame, me dit-elle, c’est votre amour ; il faut que vous me le rendiez. » Alors, avec une ingénuité qui, pour tout autre que moi, auroit été plaisante, elle me dit combien cette poupée, le bailli de Fleury, ayoit peu mérité que j’en fusse jaloux. Après cet humble aveu, tout ce qu’une friponne aimable peut avoir de plus séduisant, elle l’employa, mais en vain, pour regagner un cœur où la réflexion avoit éteint l’amour.

« Vous ne m’avez pas trompé, lui dis-je ; et, aussi sincère que vous, je me fais un devoir de ne pas vous tromper. Nous sommes faits pour être amis, nous le serons toute la vie, si vous le voulez bien ; mais nous ne serons plus amans. » J’abrège un dialogue dont ce fut là pour moi la conclusion invariable. En la laissant triste et confuse, je sentis cependant que j’étois un peu trop vengé.

Aristomène étoit achevé, je le lus aux comédiens. Mlle Clairon assista à cette lecture avec une dignité froide. On nous savoit brouillés : je n’en fus que plus applaudi. C’étoit un problème parmi les comédiens si je lui donnerois le rôle de la femme d’Aristomène. Elle en fut inquiète, surtout lorsqu’elle apprit que les autres rôles étoient distribués. Elle reçut le sien, et, un quart d’heure après, elle arriva chez moi avec une de ses amies. « Tenez, Monsieur, me dit-elle (en entrant de l’air dont elle entroit sur le théâtre, et en jetant sur ma table le cahier qu’on lui avoit remis), je ne veux point du rôle sans l’auteur, car l’un m’appartient comme l’autre. — Ma chère amie, lui dis-je en l’embrassant, à ce titre je suis à vous : n’en demandez pas davantage. Un autre sentiment nous rendroit malheureux. — Il a raison, dit-elle à sa compagne : ma mauvaise tête feroit son tourment et le mien. Venez donc, mon ami, venez dîner chez votre bonne amie. » Dès ce moment l’intimité la plus parfaite s’établit entre nous ; elle a duré trente ans la même ; et, quoique éloignés l’un de l’autre par mon nouveau genre de vie, rien n’a changé le fond de nos sentimens mutuels.

À propos de cette amitié libre et sûre qui régnoit entre nous, je me rappelle un trait qui ne me doit point échapper.

Mlle Clairon n’étoit ni riche, ni économe ; souvent elle manquoit d’argent. Un jour elle me dit : « J’ai besoin de douze louis. Les avez-vous ? — Non, je ne les ai pas. — Tâchez de me les procurer, et apportez-les-moi ce soir dans ma loge, à la Comédie. » Aussitôt je me mets en course. Je connoissois bien des gens riches, mais je ne voulois point m’adresser à ceux-là. J’allai à mes abbés gascons et à quelques autres de cette classe : je les trouvai à sec. J’arrivai triste dans la loge de Mlle Clairon. Elle étoit tête à tête avec le duc de Duras. « Vous venez bien tard, me dit-elle. — Je viens, lui dis-je, d’être en quête de quelque, argent qui m’est dû ; mais j’ai perdu mes pas. » Cela dit, et bien entendu, j’allai prendre place dans l’amphithéâtre, lorsque, du bout du corridor, je m’entendis appeler par mon nom. Je me tourne, et je vois le duc de Duras qui vient à moi et qui me dit « Je viens de vous entendre dire que vous avez besoin d’argent ; combien vous faut-il ? » À ces mots il tira sa bourse. Je le remerciai en disant que je n’en étois point pressé. « Ce n’est pas là répondre, insista-t-il ; quel est l’argent que vous deviez toucher ? — Douze louis, lui dis-je enfin. — Les voilà, me dit-il, mais à condition que, toutes les fois que vous en manquerez, vous vous adresserez à moi. » Et lorsque je les lui rendis et le pressai de les reprendre : « Vous le voulez absolument ? me dit-il, je les reprends donc ; mais souvenez-vous que cette bourse où je les remets est la vôtre. » Je n’usai point de ce crédit ; mais depuis ce moment il n’est point de bontés qu’il ne m’ait témoignées. Nous nous sommes trouvés ensemble à l’Académie françoise, et, dans toutes les occasions, j’ai eu lieu de me louer de lui. Il avoit de la joie à saisir les momens de me rendre de bons offices. Quand je dînois chez lui, il me donnoit toujours de son meilleur vin de Champagne, et, dans les accès de sa goutte, il témoignoit encore du plaisir à me voir. On le disoit léger ; assurément il ne le fut jamais pour moi. Revenons à Aristomène.

Voltaire alors étoit à Paris. Il avoit eu envie de connoître ma pièce avant qu’elle fût achevée, et je lui en avois lu quatre actes dont il avoit été content. Mais l’acte qui me restoit à faire lui donnoit de l’inquiétude ; et ce n’étoit pas sans raison. Dans les quatre actes qu’il avoit entendus, l’action paroissoit complète et suivie d’un bout à l’autre. « Quoi ! me dit-il après la lecture, prétendez-vous, dès votre seconde tragédie, vous affranchir de la règle commune ? Lorsque j’ai fait la Mort de César en trois actes, c’étoit pour un collège, et j’avois pour excuse la contrainte où j’étois de n’y introduire que des hommes ; mais vous, au grand théâtre, et dans un sujet où rien ne vous aura gêné, donner une pièce tronquée, et en quatre actes, forme bizarre dont vous n’avez aucun exemple ! c’est à votre âge une licence malheureuse que je ne saurois vous passer. — Aussi, lui dis-je, n’ai-je pas dessein de la prendre, cette licence. Ma pièce est en cinq actes dans ma tête, et j’espère bien les remplir. — Et comment ? me demanda-t-il je viens d’entendre le dernier acte ; tous les autres se suivent, et vous ne pensez pas sans doute à prendre l’action de plus haut ? — Non, répondis-je, l’action commencera et finira comme vous l’avez vu ; le reste est mon secret. Ce que je médite est peut-être une folie ; mais, quelque périlleux que soit le pas, il faut que je le passe ; et, si vous m’en ôtiez le courage, tout mon travail seroit perdu. — Allons, mon enfant, me dit-il, faites, osez, risquez ; c’est toujours un bon signe. Il y a dans ce métier, comme dans celui de la guerre, des témérités heureuses ; et c’est bien souvent du milieu des difficultés les plus désespérantes que naissent les grandes beautés. »

Le jour de la première représentation[17] il voulut se placer derrière moi dans ma loge ; et je lui dois ce témoignage qu’il étoit presque aussi ému et aussi tremblant que moi-même. « À présent, me dit-il avant qu’on ne levât la toile, apprenez-moi d’où vous avez tiré l’acte qui vous manquoit. » Je lui rappelai qu’à la fin du second acte il étoit dit que la femme et le fils d’Aristomène alloient être jugés, et qu’au commencement du troisième on apprenoit qu’ils avoient été condamnés. « Eh bien ! lui dis-je, ce jugement que j’avois supposé se passer dans l’entr’acte, je l’ai mis sur la scène. — Quoi ! la Tournelle sur le théâtre ! s’écria-t-il ; vous me faites trembler. — Oui, lui dis-je, c’est un écueil, mais il étoit inévitable ; c’est à Clairon de me sauver. »

Aristomène eut au moins autant de succès que Denys. Voltaire, à chaque applaudissement, me serroit dans ses bras ; mais, ce qui l’étonna et le fit tressaillir de joie, ce fut l’effet du troisième acte. Lorsqu’il vit Léonide chargée de fers, en criminelle, paroître au milieu de ses juges, et, avec son grand caractère, les dominer, s’emparer de la scène et de l’âme des spectateurs, tourner sa défense en accusation, et, discernant parmi les sénateurs les vertueux amis d’Aristomène de ses perfides ennemis, attaquer, accabler ceux-ci de la conviction de leur scélératesse, au bruit de l’applaudissement qu’elle enleva : « Bravo, Clairon ! s’écria Voltaire, macte animo, generose puer ! »

Certainement personne ne sent mieux que moi combien, du côté du talent, j’étois peu digne de lui faire envie ; mais le succès étoit assez grand pour qu’il en fût jaloux, s’il avoit eu cette foiblesse. Non, Voltaire avoit trop le sentiment de sa supériorité pour craindre des talens vulgaires. Peut-être qu’un nouveau Corneille ou qu’un nouveau Racine lui auroit fait du chagrin ; mais il n’étoit pas aussi facile qu’on le croyoit d’inquiéter l’auteur de Zaïre, d’Alzire, de Mérope et de Mahomet.

À cette première représentation d’Aristomène, je fus encore obligé de me montrer sur le théâtre ; mais, aux représentations suivantes, mes amis me donnèrent le courage de me dérober aux acclamations du public.

Un accident interrompit mon succès et troubla ma joie. Roselly, cet acteur dont j’ai déjà parlé[18], jouoit le rôle d’Arcire, ami d’Aristomène, et le jouoit avec autant de chaleur que d’intelligence. Il n’étoit ni beau ni bien fait ; il avoit même dans la prononciation un grasseyement très sensible ; mais il faisoit oublier ses défauts par la décence de son action, et par une expression pleine d’esprit et d’âme. Je lui attribuois le succès du dénouement de ma tragédie ; et, en effet, voici comment il l’avoit décidé. Lorsque, dans la dernière scène, en parlant du décret par lequel le sénat avoit mis le comble à ses atrocités, il dit :


Théonis le défend et s’en nomme l’auteur,


il s’aperçut que le public se soulevoit d’indignation ; et aussitôt, s’avançant au bord du théâtre, avec l’action la plus vive il cria au parterre, comme pour l’apaiser :


Je m’élance, et lui plonge un poignard dans le cœur.

À l’attitude, au geste qui accompagna ces mots, on crut voir Théonis frappé, et ce fut dans toute la salle un transport de joie éclatant.

Or, après la sixième représentation de ma pièce, et dans la plus grande chaleur du succès, on vint m’annoncer que Roselly étoit attaqué d’une fluxion de poitrine ; et, pour le remplacer dans son rôle, on me proposoit un acteur incapable de le jouer. C’étoit pour moi un très grand préjudice que d’interrompre cette affluence du public ; mais c’eût été un plus grand mal encore que de dégrader mon ouvrage. Je demandai que les représentations en fussent suspendues jusqu’au rétablissement de la santé de Roselly, et ce ne fut que l’hiver suivant qu’Aristomène fut remis au théâtre.

À la première représentation de cette reprise, l’émotion du public fut si vive qu’il demanda encore l’auteur. Je refusai de paroître sur le théâtre ; mais j’étois au fond d’une loge. Quelqu’un m’y aperçut du parterre et cria : « Le voilà ! » La loge étoit vers l’amphithéâtre ; tout le parterre fit volte-face ; il fallut m’avancer, et, par une humble salutation, répondre à cette nouvelle faveur.

L’homme qui, du fond de sa loge, m’avoit pris dans ses bras pour me présenter au public, va occuper dans ces Mémoires une place considérable, par le mal qu’il me fit en me voulant du bien, et par les attrayantes et nuisibles douceurs qu’eut pour moi sa société. C’étoit M. de La Popelinière[19]. Dès le succès de Denys le Tyran, il m’avoit attiré chez lui. Mais, à l’époque dont je parle, le courage qu’il eut de m’offrir pour retraite sa maison de campagne, au risque de déplaire à l’homme tout-puissant que j’avois offensé, m’attacha fortement à un hôte si généreux. Le péril d’où il me tiroit avoit pour cause une de ces aventures de jeunesse où m’engageoit mon imprudence, et qui apprendront à mes enfans à être plus sages que moi.

  1. Selon le duc de Luynes et le Journal de Barbier, la retraite ou la disgrâce de Philibert Orry fut officiellement connue dans les premiers jours de décembre 1745 ; mais le bruit s’en était répandu auparavant parmi les gens bien informés, car Marmontel, dans une lettre adressée au marquis de Fulvy, neveu du ministre, dit qu’il arriva à Paris au mois d’octobre 1745. Cette lettre, datée du 26 décembre 1788, a été publiée dans les Étrennes d’Apollon, de d’Aquin de Châteaulyon, pour 1789, et réimprimée par Labouisse-Rochefort dans ses Souvenirs et Mélanges, t.  I, p. 197.
  2. Raisouche-Montet, dit Roselly, né à Paris en 1722, débuta en 1742 et fut reçu l’année suivante. Parmi ses principaux rôles, on cite ceux de Cimber dans la Mort de César, de Voltaire, de Pylade dans Oreste, d’Arcire dans Aristomène, de Marmontel (dont il sera question plus loin) et de Télémaque dans Pénélope, tragédie de l’abbé Genest, reprise en 1745. Ce rôle fut, quelques années plus tard, la cause de sa mort ; insulté et provoqué par son camarade Ribou qui le lui disputait, il reçut deux coups d’épée dont il mourut deux jours plus tard, le 22 décembre 1750. La querelle est racontée tout au long dans le Journal de Collé (éd. H. Bonhomme, I, 264-266). Voir aussi, dans la dernière édition de la Correspondance de Grimm (II, 19), une épigramme sur ce duel.
  3. Jean-Grégoire Bauvin, né à Arras, en 1714, mort le 7 janvier 1776. La tragédie des Chérusques, adaptation d’Arminius de Schlegel, fut jouée au Théâtre-Français, grâce à la protection de Marie-Antoinette (1772). Grimm prétend que les États d’Artois avaient promis une pension à l’auteur si sa pièce était jouée trois fois et que le public mit de la bonne volonté à la lui faire obtenir.
  4. C’est probablement pour cela qu’elle est devenue si rare. L’Observateur littéraire (1746, in-12), qu’il ne faut pas confondre avec la feuille, portant le même titre, rédigée par l’abbé de La Porte (1758-1761), a été réimprimé par Villenave dans l’édition de 1821, d’après un exemplaire incomplet de 24 pages sur 120, le seul que Villenave ait pu se procurer.
  5. Le sujet du concours était la Gloire de Louis XIV perpétuée dans le roi, son successeur.
  6. Il est assez singulier, comme Villenave l’observe avec raison, que Marmontel n’ait rien dit ici de l’édition de la Henriade (Prault, 1746, 2 vol.  in-12, vignettes de Cochin) pour laquelle il écrivit une Préface maintes fois réimpriméé depuis dans les Œuvres complètes de Voltaire. (Voir la Bibliographie de M. G. Bengesco, tome 1er, no 375.) Le débit de cette édition expliquerait encore mieux que celui du poème académique la générosité de Voltaire.
  7. Harenc de Presle, banquier, rue du Sentier. Son cabinet de tableaux renfermait, selon l’Almanach des artistes (1777, p. 180), un Guide, deux Murillo, des Rubens, des Van Dyck, Wouwerman, Van Huysum, Teniers, et autres ; il y avait joint de précieux ouvrages du fameux Boule. M. G. Duplessis a cité, dans son travail sur les Ventes de tableaux… aux XVIIe et XVIIIe siècles (1874, in-8o), le Catalogue d’objets rares et précieux en tous genres provenant du citoyen Aranc (sic) de Presle, vendus aux enchères, le 11 floréal an III (30 avril 1795), par les soins de J.-A. Lebrun jeune. Il faut joindre à ce catalogue une addition de quatre pages contenant la mention de Recueils d’estampes reliés en maroquin et en veau.
  8. Depuis la publication de la Politique de tous les cabinets de l’Europe (1793, 2 vol.  in-8), de la Correspondance secrète inédite de Louis XV, par Boutaric, et du Secret du Roi, par M. le duc de Broglie, la part prise par Favier à la diplomatie occulte n’est pas douteuse. Sa vie privée, qui fut celle d’un épicurien, est moins connue, et, si l’on sait la date de sa mort (2 avril 1784), on n’a pas encore signalé celle de sa naissance. On peut du moins lire sur lui quelques pages de Sénac de Meilhan dont se sont inspirés tous ceux qui, de nos jours, ont parlé de Favier. (Voy. le Gouvernement, les Mœurs et les Conditions en France avant la Révolution, éd. de Lescure, Poulet-Malassis, 1862, in-18.)
  9. Denys le Tyran, joué le 5 février 1748, obtint alors seize représentations, et en eut six autres à la reprise du 25 novembre de la même année. (Mouhy, Abrégé de l’histoire du Théâtre Français.)
  10. Louis-Anne de Lavirotte, né à Nolay (Côte-d’Or), en 1725, mort à Paris le 3 mai 1759, a publié, entre autres traductions, celle de l’Exposition des découvertes physiques de Newton, par Mac-Laurin (Paris, 1749, in-8).
  11. Daniel Huet n’a rien écrit sous le titre de Théologie ; peut-être Marmontel veut-il désigner sa Demonstratio evangelica (1679, in-folio). Mais la traduction de l’abbé de Prades n’a pas vu le jour. Jean-Martin de Prades, né à Castel-Sarrazin en 1720, mort à Glogau en 1782, dut son éphémère célébrité à une thèse sur les miracles (1751), qui fit scandale, et dont Diderot rédigea la défense avec l’auteur et l’abbé Yvon.
  12. L’un s’appelait l’abbé Debon et n’a pas laissé de traces dans l’histoire des lettres ; le second, l’abbé Forest, a publié un Almanach historique et chronologique du Languedoc (1752, in-8), que l’on consulte encore, et des Mémoires contenant l’histoire des Jeux floraux (Toulouse, 1775, in-4o).
  13. Ce n’est pas une simple note, mais tout un petit volume qu’il faudrait consacrer à la destinée bizarre, voluptueuse et tragique de cette Marie-Gabrielle Hévin de Navarre, tour à tour maîtresse de Maurice de Saxe, de Monet, de Marmontel, sans parler des amants dont le nom lui échappait parfois au moment le moins opportun, comme on va le voir bientôt, et, finalement, épouse légitime de Louis-Antoine de Mirabeau, frère de l’« Ami des hommes ». À défaut d’une étude complète que Louis Paris avait annoncée et qu’il n’a pas publiée, on peut consulter, outre les présents Mémoires, ceux de Monet et de Grosley, quelques pages insuffisamment informées de L. de Loménie dans son livre sur les Mirabeau, enfin une notice de M. A. Joly, doyen de la faculté des lettres de Caen, sur Mademoiselle Navarre, comtesse de Mirabeau, d’après des documents inédits (Caen, 1880, in-8o, 56 p.), extraite des Mémoires de l’Académie de cette ville.
  14. Jean Monet, dans ses amusants et trop courts Mémoires (Paris, 1772, 2 vol.  in-8), a cité plusieurs lettres à lui adressées par Mlle Navarre, dont il prétend n’avoir été que l’ami. Ces lettres, charmantes de verve et de naturel, sont précisément datées de Reims et d’Avenay, où l’enchanteresse faisait chaque année un séjour plus ou moins prolongé.
  15. Les deux éditions des Poésies de Lattaignant (1750 et 1757) renferment plusieurs épîtres adressées à Mlle Navarre, mais non pas celle à laquelle Marmontel fait allusion ici, non plus qu’une autre épître à lui adressée par le chanoine, et dont une copie figurait dans un recueil manuscrit provenant de Viollet-le-Duc.
  16. Il y a eu deux personnages de ce nom : Louis de Brancas, marquis de Céreste (1672-1750), maréchal de France en 1741, et Buffile-Hyacinthe-Toussaint de Brancas, comte de Céreste, dit comte de Brancas (1697-1754), tous deux diplomates et militaires. Le titre donné par Mlle Clairon à son interlocuteur fait supposer qu’il s’agit du premier.
  17. Le 30 avril 1749. Aristomène eut alors dix-sept représentations, momentanément interrompues après la sixième par l’indisposition de Roselly. Reprise le 1er décembre suivant, cette tragédie fut encore jouée onze fois. (Mouhy, Abrégé de l’histoire du Théâtre français.)
  18. Voyez ci-dessus, p. 145.
  19. Alexandre-Jean-Joseph Le Riche de La Poupelinière (telle est la véritable orthographe de son nom), né à Paris en 1692, mort dans la même ville le 5 décembre 1762. Ses mésaventures conjugales l’ont rendu plus célèbre que ses goûts de Mécène et de « virtuose ». Voyez le livre suivant.