Mémoires d’outre-tombe/Appendice/Tome 5/10

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LA DUCHESSE DE BERRY EN VENDÉE[1].

Dans la seconde quinzaine de mars 1832, la duchesse de Berry avait adressé à Chateaubriand une lettre ainsi conçue :

Ma lettre au… adressée à M…[2] devant vous être communiquée, je ne vous écris que pour vous dire qu’il est bien important que vous puissiez le joindre sans perdre un instant, et pour vous répéter combien je compte sur vous dans cette occasion décisive. Puissions-nous travailler avec succès au bonheur de la France et être bientôt à même de vous prouver toute ma reconnaissance !

Marie-Caroline, régente de France.
15 mars 1832.

Même communication était faite, à la même heure, à M. Hyde de Neuville et au duc de Fitz-James. Tous les trois, convaincus que la prise d’arme projetée par la mère d’Henri V, ne pouvait qu’aboutir à un échec, s’efforcèrent de l’en détourner. Chateaubriand lui écrivit une lettre qui se terminait ainsi :

Quarante années de tempêtes ont brisé les plus fortes âmes, l’apathie est grande. Si Henri V pouvait être transporté aux Tuileries sans secousses, sans léser le plus léger intérêt, nous serions bien près d’une Restauration. Mais elle est encore loin, si des événements que Dieu seul connaît ne viennent pas changer la situation[3] !

La duchesse de Berry avait passé outre. On apprenait successivement son débarquement en Provence, son arrivée en Vendée. La prise d’armes, confiée au maréchal de Bourmont, était imminente si aucun contre-ordre n’était donné. Chateaubriand, Fitz-James et Hyde de Neuville estimèrent qu’il était de leur devoir de faire un nouvel et suprême appel à la raison et au cœur de la princesse. Chateaubriand rédigea une Note, qui devait être remise par l’homme le mieux fait pour donner des conseils utiles, par Berryer. Cette Note ne figure pas dans les Mémoires. En voici le texte :

Les personnes en qui on a reporté une honorable confiance ne peuvent s’empêcher de témoigner leur douleur des conseils en vertu desquels on est arrivé à la crise présente. Ces conseils ont été donnés par des hommes sans doute pleins de zèle, mais qui ne connaissent ni l’état actuel des choses ni les dispositions des esprits. On se trompe quand on croit à la possibilité d’un mouvement dans Paris. On ne trouverait pas douze cents hommes, non mêlés d’agents de police, qui pour quelques écus feraient du bruit dans la rue, et qui auraient à y combattre la garde nationale et une garnison fidèle. On se trompe sur la Vendée comme on s’est trompé sur le Midi. Cette terre de dévouement et de sacrifices est désolée par une armée nombreuse, aidée de la population des villes, presque toutes antilégitimistes. Une levée de paysans n’aboutirait désormais qu’à faire saccager les campagnes et à consolider le gouvernement actuel par un triomphe facile. On pense que, si la mère de Henri V était en France, elle devrait se hâter d’en sortir, après avoir ordonné à tous ses chefs de rester tranquilles. Ainsi, au lieu d’être venue organiser la guerre civile, elle serait venue commander la paix ; elle aurait eu la double gloire d’accomplir une action d’un grand courage et d’arrêter l’effusion du sang français. Les sages amis de la légitimité que l’on n’a jamais prévenus de ce que l’on voulait faire, qui n’ont jamais été consultés sur les partis hasardeux que l’on voulait prendre, et qui n’ont connu les faits que lorsqu’ils ont été accomplis, renvoient la responsabilité de ces faits à ceux qui en ont été les conseillers et les auteurs. Ils ne peuvent ni mériter l’honneur ni encourir le blâme dans les chances de l’une ou l’autre fortune.

  1. Ci-dessus, p. 507.
  2. Les lacunes qui se trouvent dans cette lettre sont dues à l’emploi de l’encre sympathique.
  3. Mémoires et Souvenirs du baron Hyde de Neuville, t. III, p. 493.