Mémoires d’un Touriste (édition Lévy, 1854)/30

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Michel Lévy frères (volume IIp. 5-34).
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— Vannes, le 5 juillet.

Ce matin, à sept heures, j’ai quitté Nantes par la diligence, fort satisfait de cette noble et grande ville. La colline sur laquelle elle est bâtie procure à plusieurs de ses rues une pente admirable pour la salubrité comme pour la beauté. Il y a même des aspects pittoresques du côté d’une église neuve qui domine l’Erdre. Quoique Nantes n’ait pas les beaux monuments gothiques qui fourmillent à Rouen, elle a l’air infiniment plus noble.

Au sortir de Nantes, par la route de Vannes, on est bientôt abandonné par les maisons de campagne, et l’on se trouve comme perdu au milieu d’une vaste bruyère parfaitement stérile. C’est ainsi que nous avons fait les seize lieues les plus tristes du monde jusqu’à la Roche-Bernard. Je désespérais du paysage, et ne me donnais plus la peine de le regarder ; j’étais sombre et découragé, et bien loin de m’attendre à ce que j’allais voir, lorsque le conducteur m’a demandé si je voulais descendre pour le passage de la Vilaine.

Il était déjà cinq heures du soir, le ciel était chargé de nuages noirs. En descendant de voiture, je n’ai rien vu que de laid. Une pauvre maison se présentait, j’y suis entré pour avoir du feu ; on m’a offert un verre de cidre, que j’ai accepté pour payer le dérangement que j’avais causé.

Je n’avais pas fait deux cents pas, que j’ai été surpris par une des scènes naturelles les plus belles que j’aie jamais rencontrées. La route descend tout à coup dans une vallée sauvage et désolée ; au fond de cette vallée étroite, et qui semble à cent lieues de la mer, la Vilaine était refoulée rapidement par la marée montante. Le spectacle de cette force irrésistible, la mer envahissant jusqu’aux bords cette étroite vallée, joint à l’apparence tragique des rochers nus qui la bornent et du peu que je voyais encore de la plaine, m’a jeté dans une rêverie animée bien différente de l’état de langueur où je me trouvais depuis Nantes. Il va sans dire que j’ai senti l’effet et que j’en ai joui bien avant d’en voir le pourquoi. Ce n’est même qu’en ce moment, en écrivant ceci, que je puis m’en rendre compte. J’ai pensé au combat des Trente et au fort petit nombre d’événements de l’histoire de Bretagne que je sais encore. Bientôt les plus belles descriptions de Walter Scott me sont revenues à la mémoire. J’en jouissais avec délices. La misère même du pays contribuait à l’émotion qu’il donnait, je dirais même sa laideur : si le paysage eût été plus beau, il eût été moins terrible, une partie de l’âme eût été occupée à sentir sa beauté. On ne voit nullement la mer, ce qui rend plus étrange l’apparition de la marée.

Par cette fin de journée sombre et triste, le danger sérieux et laid semblait écrit sur tous les petits rochers garnis de petits arbres rabougris qui environnent cette rivière fangeuse. Les bateliers avaient beaucoup de peine à faire entrer notre grosse diligence dans leur petit bateau. Comme la montée du côté de Vannes est très-rapide, j’ai vu que je pouvais avoir le plaisir d’être seul encore assez longtemps. Deux fort jolies femmes de la classe ouvrière riche ont pris aussi le parti de faire la montée à pied ; mais je préfère de beaucoup les sensations que me donne mon cigare, et je me tiens exprès à cinquante pas d’elles et du vieux parent qui leur sert de chaperon. La plus âgée, veuve de vingt-cinq ans, avait cependant un œil fort vif et bonne envie de parler, et sans doute, si j’avais eu dix ans de moins, je ne lui aurais pas préféré les sensations tragiques que me donnaient les passages des romans de Walter Scott qui me revenaient à la pensée. Je n’ai rien vu d’aussi semblable que le paysage du bac de la Vilaine et l’Écosse désolée, triste, puritaine, fanatique, telle que je me la figurais avant de l’avoir vue. Et j’aime mieux l’image que je m’en faisais alors que la réalité ; cette plate réalité, toute dégoûtante d’amour exclusif pour l’argent et l’avancement, n’a pu chez moi détruire l’image poétique.

Il faut noter qu’à six cents pas au-dessus de ce bac, à droite et du côté de Nantes, on aperçoit, contre la pente du coteau couvert d’une sombre verdure, une route tracée et dont la terre blanche marque une ligne au milieu des broussailles. C’est à l’extrémité de cette ligne que l’on va commencer un pont en fil de fer, qui passera à cent cinquante pieds au-dessus du niveau de la Vilaine. On m’a beaucoup parlé de ce pont à Vannes, mais sous le rapport financier.

Après la longue montée que nous avons faite à pied et un peu par la pluie, nous sommes arrivés à une auberge d’une exiguïté vraiment anglaise. Le toit de la maison est à quinze pieds du sol ; la salle à manger, au rez-de-chaussée, peut avoir huit pieds de hauteur et dix pieds de long ; mais les fenêtres à petits carreaux de cette salle étaient garnies de fleurs charmantes.

Là, de jolies petites servantes bretonnes nous ont servi, avec toute la bonhomie possible, un dîner passable, et il a bien fallu faire connaissance avec les jeunes femmes. Dès lors, adieu à toutes les sensations tragiques. On parle beaucoup du maître de la maison, qui est membre de la Légion d’honneur. Il est allé à Vannes pour le jury. C’est un ancien soldat de la république, haut de six pieds. La servante nous a montré avec respect la belle croix de son oncle suspendue dans l’armoire au linge. Ce soldat de la république, né à l’autre bout de la France et implanté sur les bords de la Vilaine, a dû être là dans une sorte d’hostilité perpétuelle. Je me figure que, lorsqu’il se promène dans la campagne, il a toujours son fusil sous prétexte de chasse. Au bout de dix ans, quand on l’a vu sans peur, il y aura eu réconciliation avec les braves Bretons. Walter Scott a peint souvent ce genre d’existence, auquel une petite pointe de danger enlève la monotonie et toutes les petitesses bourgeoises qui font la vie d’un aubergiste des environs de Bourges.

De la Vilaine à Vannes, le pays devient fort joli ; il y a des arbres bien verts, et souvent, pendant ces dix lieues de chemin, nous avons aperçu l’admirable baie du Morbihan. J’ai eu le courage de lire.

À Nantes, j’ai fait découdre le gros volume des Mémoires du cardinal de Retz, de façon à l’avoir en feuilles, et je mets deux ou trois de ces feuilles dans un portefeuille fort mince que l’on cache sous les coussins de la voiture.

Je vois, page 65 à 90, qu’en 1648, sous la minorité de Louis XIV, la France se trouva vis-à-vis du gouvernement actuel : les impôts délibérés par une assemblée de quatre cents membres suffisamment instruits, et la plupart non nobles. Cette assemblée refusait l’impôt au premier ministre. Elle exigeait que personne ne pût être retenu en prison plus de trois jours sans être interrogé, et la cour était obligée d’y souscrire. La liberté de la presse était suffisante, voir Marigny. La Fronde eût fort bien pu amener l’établissement de ce régime.

Mazarin ne connaissait d’autre pouvoir que le despotisme tel qu’il l’avait vu à la cour des petits princes d’Italie. Il l’emporta ; le grand Condé et le cardinal de Retz furent jetés en prison, et quelques années plus tard Louis XIV réalisa ce pouvoir italien. Ainsi, même à compter le pouvoir absolu depuis 1653, il n’a duré que cent quarante ans en France, de 1653 à 1793, sous Louis XIV, Louis XV et Louis XVI.

En 1649, le grand Condé put se faire roi, en établissant que l’impôt serait voté tous les ans par les quatre cents membres du parlement. Il le désira ; mais la maturité de sens lui manqua pour voir bien nettement cette possibilité et pour tirer parti des circonstances. D’ailleurs, la grandeur de sa naissance lui donnait des moments de folie.

Quoique perdu de fatigue en arrivant à Vannes, j’ai demandé où était le canal qui conduit à la mer. La descente est pittoresque ; le chemin côtoie dans la ville une ancienne fortification et un fossé qui est à vingt pieds en contre-bas. Arrivé au canal, je me suis mis à marcher avec intrépidité ; j’avais besoin de voir la mer, mais j’étais fatigué au point de me coucher par terre. Dans le petit port de mer, me disais-je, je louerai un cheval ou un âne pour remonter à la ville. À une distance énorme, j’ai trouvé une dame qui évidemment se promenait avec un homme qui lui était cher. La nuit tombait, il n’y avait âme qui vive sous les arbres le long de ce canal, j’ai donc été obligé de demander au monsieur, du ton le plus doux que j’ai pu trouver, si j’arriverais bientôt à la mer. Il m’a répondu qu’il y avait encore une lieue et demie.

J’avoue que j’ai été atterré de mon ignorance, je m’étais figuré que Vannes était presque sur la mer. Je me suis assis désespéré sur une grosse pierre. Quand on est de cette ignorance-là, me disais-je, il faut au moins avoir le courage de questionner les passants. Mais je dois avouer cette maladie : j’ai une telle horreur du vulgaire que je perds tout le fil de mes sensations, si en parcourant des paysages nouveaux (et c’est pour cela que je voyage) je suis obligé de demander mon chemin. Pour peu que l’homme qui me répond soit emphatique et ridicule, je ne pense plus qu’à me moquer de lui, et l’intérêt du paysage s’évanouit pour toujours. J’ai perdu bien des plaisirs à…… près de Saint-Flour, parce que j’étais en société forcée avec un savant de province qui appelait Clovis Clod-Wight et partait de là pour dogmatiser sur l’histoire des anciens Gaulois avant les invasions des barbares. Je m’amusais à lui faire dire des sottises, et à lui voir trouver au huitième siècle le principe des usages qui nous gouvernent aujourd’hui. Au fait c’était moi qui étais le sot, j’oubliais de regarder un beau pays où je ne retournerai plus.

Sur les bords solitaires du canal de Vannes, j’aurais donné beaucoup d’argent pour voir arriver une charrette ; j’étais réellement hors d’état de faire cent pas. Si les bords de ce canal n’eussent pas été aussi humides, je me serais mis à dormir pour un quart d’heure. Enfin il a bien fallu remonter à la ville, mais en m’asseyant toutes les cinq minutes. J’ai trouvé un matelot qui arrangeait sa barque ; il m’a pris, je crois, pour un voleur, quand je l’ai prié de me vendre un verre de vin ; car je voyais une bouteille dans la barque. L’excès de la fatigue ne me laissait pas le temps d’être poli, et il a eu l’air fort surpris quand je l’ai payé.

Je suis arrivé à l’auberge pour le souper à table d’hôte ; tous ces messieurs étaient fort occupés des dépenses du pont sur la Vilaine, estimées neuf cent mille francs, et qui s’élèveront, dit-on, à plus d’un million et demi. Ces voyageurs avaient l’air pénétré de respect en prononçant le nom de ces sommes considérables. Rien n’est plaisant, selon moi, comme la physionomie d’un provincial nommant des sommes d’argent ; et ensuite, après un petit silence, avançant la lèvre inférieure avec un hochement de tête. Ces messieurs, d’ailleurs gens d’esprit, prétendent qu’on va rappeler dans le pays M. Lenoir, l’ingénieur en chef qui avait fait le devis, montant à neuf cent mille francs. Je fais grâce au lecteur de toutes les calomnies, du moins je dois le croire, dont cette somme si respectable de un million cinq cent mille francs a été le signal.

On a passé ensuite à la haute politique ; il est imprudent d’envoyer dans ces contrées des régiments dont les officiers sont liés naturellement avec les gentilshommes du pays. Ici, la conversation a été tout à fait dans le genre de celles de Waverley et fort intéressante pour moi.

Cette admirable journée de voyage, si remplie de sensations imprévues depuis la Vilaine, n’a fini qu’à une heure du matin par un vin chaud auquel nous avons fait grand honneur. J’écoutais un négociant du pays, homme fort instruit dans la religion du serpent ou ophique ; il me donnait des renseignements sur les fameuses pierres de Carnac, que je dois aller voir demain matin.

Suivant ce monsieur, l’oppidum gaulois, si longuement assiégé par l’armée de César, a été remplacé par Locmariaker. Ce chétif village occupe le site de Dorioricum. J’ai vu le matin, avant de partir, la cathédrale de Vannes, où se trouvent les tombeaux de saint Vincent Ferrier et de l’évêque Bertin.


— Auray, le 6 juillet.

Ce matin, à cinq heures, en partant de Vannes pour Auray, il faisait un véritable temps druidique. D’ailleurs la fatigue d’hier me disposait admirablement à la sensation du triste. Un grand vent emportait de gros nuages courant fort bas dans un ciel profondément obscurci ; une pluie froide venait par rafales, et arrêtait presque les chevaux. Sur quoi je me suis endormi profondément. À Auray, j’ai trouvé un petit cabriolet qui ne me défendait nullement contre ce climat ennemi de l’homme ; et le conducteur du cabriolet était plus triste que le temps. Nous nous sommes mis en route. De temps à autre, j’apercevais un rivage désolé ; une mer grise brisait au loin sur de grands bancs de sable, image de la misère et du danger. Il faut convenir qu’au milieu de tout cela, une colonne corinthienne eût été un contre-sens. En passant près de quelque petite église désolée, il eût fallu entendre moduler peu distinctement, par l’orgue, quelque cantilène plaintive de Mozart.

Mon guide, silencieux et morose, dirigeait son mauvais cabriolet sur le clocher du village d’Erdéven, au nord-ouest de l’entrée de cette fatale presqu’île de Quiberon, où des Français mirent à mort légalement tant de Français qui se battaient contre la patrie.

Si l’on peut perdre de vue la catastrophe sinistre qui suivit l’affaire, on voit que, militairement parlant, elle présenta la lutte de l’ancienne guerre contre la nouvelle.

L’aspect général du pays est morne et triste ; tout est pauvre, et fait songer à l’extrême misère ; c’est une plaine dont quelques parties sont en culture : celles-là sont entourées de petits murs en pierres sèches.

À cinq cents pas du triste village d’Erdéven, près de la ferme de Kerzerbo, on commence à apercevoir de loin des blocs de granit, dominant les baies et les murs en pierres sèches. À mesure qu’on approche, l’esprit est envahi par une curiosité intense. On se trouve en présence d’un des plus singuliers problèmes historiques que présente la France. Qui a rassemblé ces vingt mille blocs de granit dans un ordre systématique ?

Je me disais : Si quelque savant découvre jamais ce secret qui probablement est perdu pour toujours, mon âme aura la vue des mœurs barbares. Je trouverai un culte atroce et des guerriers braves autant que stupides dominés par des prêtres hypocrites. N’est-ce pas dans ce même pays que, de nos jours, un paysan se battait avec fureur, parce qu’on lui avait persuadé que le décret de la Convention sur le divorce l’obligeait à se séparer de sa femme qu’il adorait ?

Bientôt nous sommes arrivés à plusieurs lignes parallèles de blocs de granit. J’ai compté, en recevant sur la figure une pluie froide qui s’engouffrait dans mon manteau, dix avenues formées par onze lignes de blocs (un bloc de granit isolé s’appelle un peulven). Les blocs les plus grands ont quinze ou seize pieds ; vers le milieu des avenues ils n’ont guère plus de cinq pieds, et le plus grand nombre ne s’élève pas au-dessus de trois pieds. Mais souvent, au milieu de ces pygmées, on trouve tout à coup un bloc de neuf à dix pieds. Aucun n’a été travaillé ; ils reposent sur le sol ; quelques-uns sont enterrés de cinq à six pouces, d’autres paraissent n’avoir jamais été remués : on les a laissés perçant la terre, là où la nature les avait jetés.

Il faut observer que cette construction n’a pas coûté grand’peine ; le territoire d’Erdéven, comme celui de Carnac, se compose d’un vaste banc de granit, à peine recouvert d’un peu de terre végétale.

Ces avenues ont près de cinq cents toises de longueur ; elles semblent se diriger vers un monticule à peu près circulaire, haut de vingt-cinq pieds, aplati à son sommet. Les avenues touchent à sa base, et, le laissant à gauche, elles continuent en ligne droite pendant quelques centaines de pieds. Elles arrivent à un petit lac ou mare ; pour l’éviter, elles s’écartent légèrement vers le nord-est, puis reprennent jusqu’à cent toises au delà leur direction première. Vers l’est, la hauteur des blocs augmente sensiblement ; les avenues finissent à un peu moins de neuf cents toises de Kerzerho. Il y a là un tumulus[1].

Cette antique procession de pierres profite de l’émotion que donne le voisinage d’une mer sombre.

Nous sommes allés, toujours par la pluie, au misérable village d’Erdéven, pour faire allumer un fagot et donner quelques poignées de grain au malheureux cheval. De là, la pluie et le vent redoublant, nous avons gagné Carnac. J’y ai trouvé d’autres lignes de blocs de granit tellement semblables à ceux d’Erdéven, que, pour les décrire, il faudrait employer les mêmes paroles. Elles vont de l’ouest à l’est.

Le pays de Carnac et d’Erdéven était peut-être une terre sacrée ; puisque, après tant de siècles, il est encore couvert d’un si grand nombre de blocs de granit dérangés de leur position naturelle par la main de l’homme.

Comme la pierre de Couhard d’Autun, comme les aqueducs romains près de Lyon, toutes ces lignes de blocs de granit ont servi de carrières aux paysans. On a détruit plus de deux mille pierres dans les environs de Carnac depuis peu d’années ; la culture, ranimée par la révolution, même sur cette côte sauvage, les emploie à faire des murs en pierres sèches. La population d’Erdéven étant plus pauvre que celle de Carnac, elle a détruit moins de blocs de granit.

J’oubliais de noter qu’aucun de ces blocs ne semble avoir été ni taillé, ni même dégrossi ; beaucoup ont douze pieds de haut sur sept à huit de diamètre. L’unique beauté, aux yeux des constructeurs barbares, ou plutôt le rite prescrit par la religion, était peut-être de les faire tenir sur le plus petit bout, c’est-à-dire de la façon la moins naturelle.

Les habitants de ce pays paraissent tristes et refrognés. J’ai demandé ce que l’on pensait d’un monument si étrange. L’on m’a répondu, comme s’il se fût agi d’un événement d’hier, que saint Cornely, poursuivi par une armée de païens, se sauva devant eux jusqu’au bord de la mer. Là, ne trouvant pas de bateau, et sur le point d’être pris, il métamorphosa en pierres les soldats qui le suivaient.

— Il paraît, ai-je répondu, que ces soldats étaient bien gros, ou bien ils enflèrent beaucoup et perdirent leur forme avant d’être changés en pierres. Sur quoi, regard de travers.

Aucune des explications que les savants ont données n’est moins absurde que celle des paysans :

1° Ces avenues marquent un camp de César ; les pierres étaient destinées à maintenir ses tentes contre les vent furieux qui règnent sur cette plage.

2° Ce sont de vastes cimetières : les plus gros blocs marquent le tombeau des chefs ; les simples soldats n’ont eu qu’une pierre de trois pieds de haut. Apparemment que les tumulus coniques répandus çà et là autour des avenues indiquent les rois. Ne voit-on pas dans Ossian que l’on n’enterre jamais un guerrier sans élever sur sa tombe une pierre grise ?

Comme il y avait bien vingt mille pierres dans ces lignes orientées, il a fallu vingt mille morts. Nos aïeux plantaient une pierre pour indiquer tous les lieux remarquables, et non pas seulement les tombeaux ; cet usage était fort raisonnable.

3° La mode, qui octroie une réputation de savant à l’inventeur de l’absurdité régnante, veut aujourd’hui, en Angleterre, que ces avenues soient les restes d’un temple immense, monument d’une religion qui a régné sur toute la terre, et dont le culte s’adressait au serpent. Le malheur de cette supposition, c’est que personne jusqu’ici n’a ouï parler de ce culte universel.

Toutes les religions, excepté la véritable, celle du lecteur, étant fondées sur la peur du grand nombre et l’adresse de quelques-uns, il est tout simple que des prêtres rusés aient choisi le serpent comme emblème de terreur. Le serpent se trouve en effet dans les premiers mots de l’histoire de toutes les religions.

Il a l’avantage d’étonner l’imagination, bien plus que l’aigle de Jupiter, l’agneau du christianisme ou le lion de saint Marc. Il a pour lui l’étrangeté de sa forme, sa beauté, le poison qu’il porte, son pouvoir de fascination, son apparition toujours imprévue et quelquefois terrible ; par ces raisons le serpent est entré dans toutes les religions, mais il n’a eu l’honneur d’être le Dieu principal d’aucune.

Supposons pour un instant que la religion ophique ait existé, comment prouver que les longues rangées de blocs granitiques d’Erdéven et de Carnac nous offrent un dracontium, ou temple de cette religion ? La réponse est victorieuse et toute simple : les sinuosités des lignes de peulvens représentent les ondulations d’un serpent qui rampe. Ainsi le temple est en même temps la représentation du dieu.


Il est certain que la religion ou un despote commandant à des milliers de sujets ont seuls pu élever un monument aussi gigantesque ; mais le premier peuple que trouve l’histoire réelle sur le sol de la Bretagne, ce sont les Gaulois de César, et vous savez que les chevaliers (l’aristocratie des Gaulois) étaient remplis de fierté et de susceptibilité.

Cela prouve, selon moi, que depuis des siècles il n’y avait pas eu en ce pays de despote puissant. Comment les cœurs ne seraient-ils pas restés avilis pour une longue suite de siècles, après un despote, et par l’effet des maximes qu’il aurait laissées dans l’esprit des peuples ?

À défaut de monuments, la bassesse des âmes ne marque-t-elle pas l’existence du despotisme ? voyez l’Asie. C’est donc à une religion qu’il faut attribuer toutes ces pierres levées que l’on rencontre en France et en Angleterre.

Ce qu’il y a de bien singulier, c’est que César, qui a fait la guerre dans les environs de Locmariaker, ne parle en aucune façon des lignes de granit de Carnac et d’Erdéven. C’est dans des lettres d’évêques, qui les proscrivent comme monuments d’une religion rivale, que l’histoire en trouve la première mention. Plus tard, ou voit une ordonnance de Charlemagne qui prescrit de les détruire.

Ces longues lignes de granit ont-elles été arrangées dans l’intervalle de huit cent cinquante années, qui s’est écoulé entre l’expédition de César dans les Gaules et Charlemagne ?

Mais un grand nombre d’inscriptions semble indiquer que les Gaulois adoptaient assez rapidement les dieux romains[2]. Ne pourrait-on pas en conclure que la religion des druides commençait à vieillir ?

Les monuments d’Erdéven et de Carnac sont-ils antérieurs à César ? sont-ils antérieurs même aux druides ?

En les examinant, ma pensée était remplie du peu de pages que César consacre à ces prêtres habiles ; car je n’admets aucun témoignage moderne, tant est violent mon mépris pour la logique des savants venus après le dix-septième siècle. Je vais transcrire quelques pages de César ; les lecteurs que la physionomie morale de nos aïeux n’intéresse point les passeront ; les autres aimeront mieux trouver ici ces paragraphes de César que d’aller les chercher dans le sixième livre de la Guerre des Gaules.

« § 13. Il n’y a que deux classes d’hommes dans la Gaule qui soient comptées pour quelque chose, car la multitude n’a guère que le rang des esclaves, elle n’ose rien par elle-même, et n’est admise à aucun conseil. La plupart des Gaulois de la basse classe, accablés de dettes, d’impôts énormes et de vexations de tout genre de la part des grands, se livrent eux-mêmes comme en servitude à des nobles qui exercent sur eux tous les droits des maîtres sur les esclaves. Il y a donc deux classes privilégiées : les druides et les chevaliers.

« Les druides, ministres des choses divines, peuvent seuls faire les sacrifices publics et particuliers, ils sont les interprètes des doctrines religieuses. Le désir de s’instruire attire auprès d’eux un grand nombre de jeunes gens qui les tiennent en grande vénération. Bien plus, les druides connaissent de presque toutes les contestations publiques et privées.

« Si quelque crime a été commis, si un meurtre a eu lieu, s’il s’élève un débat sur un héritage ou sur des limites, ce sont les druides qui statuent ; ils distribuent les récompenses et les punitions[3]. Si un particulier ou un homme public ose ne point déférer à leur décision, ils lui interdisent les sacrifices ; c’est chez les Gaulois la punition la plus grave. Ceux qui encourent cette interdiction sont regardés comme impies et criminels ; tout le monde fuit leur abord et leur entretien, on semble craindre la contagion du mal dont ils sont frappés ; tout accès en justice leur est refusé, et ils n’ont part à aucun honneur.

« Les druides n’ont qu’un seul chef dont l’autorité est sans bornes.

« À sa mort, le plus éminent en dignité lui succède ; ou, si plusieurs ont des titres égaux, il y a élection, et le suffrage des druides décide entre eux. Quelquefois la place est disputée par les armes. À une certaine époque de l’année, les druides s’assemblent dans un lieu consacré sur la frontière du pays des Carnutes. Ce pays passe pour le point central de toute la Gaule. Là se rendent de toutes parts ceux qui ont des différends, et ils obéissent aux jugements et aux décisions des druides.

« On croit que cette religion a pris naissance dans la Bretagne (l’Angleterre), et qu’elle fut de là transportée dans la Gaule. De nos jours, ceux qui veulent en avoir une connaissance plus approfondie passent ordinairement dans cette île pour s’en instruire.

« § 14. Les druides ne vont point à la guerre et ne payent aucun des tributs imposés aux autres Gaulois ; ils sont exemptés du service militaire et de toute espèce de charges[4]. Séduits par de si grands privilèges, beaucoup de Gaulois viennent auprès d’eux de leur propre mouvement, ou y sont envoyés par leurs proches. On enseigne aux néophytes un grand nombre de vers, et il en est qui passent vingt années dans cet apprentissage. Il n’est pas permis de confier ces vers à l’écriture. Dans la plupart des autres affaires publiques et privées, les Gaulois se servent des lettres grecques. Je vois deux raisons de cet usage des druides : l’une, d’empêcher que leur science ne se répande dans le vulgaire ; et l’autre, que leurs disciples, se reposant sur l’écriture, ne négligent leur mémoire ; car il arrive presque toujours que le secours des livres fait que l’on s’applique moins à apprendre par cœur. Une croyance que les druides cherchent surtout à établir, c’est que les âmes ne périssent point, et qu’après la mort elles passent d’un corps dans un autre. Cette idée leur paraît singulièrement propre à inspirer le courage, en éloignant la crainte de la mort. Le mouvement des astres, l’immensité de l’univers, la grandeur de la terre, la nature des choses, la force et le pouvoir des dieux immortels, tels sont, en outre, les sujets de leurs discussions et des leçons qu’ils font à la jeunesse. »

César, passé maître en toute tromperie, a écrit sur les Gaulois ce qu’il lui convenait de faire croire aux Romains ; mais je ne vois pas quel intérêt il pouvait avoir à tromper la bonne compagnie de Rome sur les druides. Pourrait-on soupçonner ici quelque sarcasme indirect, comme dans les Mœurs des Germains de Tacite ?

César est plus connu des paysans de France que tous les souverains obscurs qui, dix ou quinze siècles plus tard, ont régné sur eux. Malheur à qui doute d’un camp de César ! Dans ce moment, les savants bretons sont animés d’une haine violente contre cet étranger qui eut l’indignité de faire pendre une quantité de sénateurs de Darioricum (Vannes ou Locmariaker).

Les Gaulois comptaient le temps par les nuits. Cet usage subsiste encore dans beaucoup de patois de France, et les Anglais disent fornight pour quinze jours. Cet usage est un reste du culte de la lune.


Hier soir, en arrivant à Auray, j’ai remarqué plusieurs cabriolets de campagne sur lesquels était entassée toute une famille, quelquefois jusqu’à six personnes ; un malheureux cheval à longue crinière sale traînait tout cela. Derrière le cabriolet était lié un matelas, et une marmite se balançait sous l’essieu, tandis que trois ou quatre paniers étaient attachés aux côtés du cabriolet.

— C’est l’époque des déménagements ? ai-je dit à mon guide.

— Eh non ! monsieur, c’est pour quelque grâce reçue.

— Que voulez-vous dire ?

— Eh ! monsieur, c’est un pèlerinage à notre patronne sainte Anne.

Et alors le guide m’a fait l’histoire d’une petite chapelle, située à deux lieues d’Auray, dédiée à sainte Anne, et à laquelle on se rend de toutes les parties de la Bretagne.

Le soir, en assistant à mon souper, l’hôtesse m’a expliqué que la Bretagne devait le peu de bonnes récoltes qu’elle voit encore dans ces temps malheureux et impies à la protection de sa bonne patronne sainte Anne, qui veille sur elle du haut du ciel.

— C’est à cause d’elle, a-t-elle ajouté, qu’en 1815 les Russes ne sont pas venus nous piller. Qui les empêchait d’arriver ?

— Oui, oui, m’a dit, dès que l’hôtesse a été partie, un demi-monsieur qui soupait à trois pas de moi à une grande table de vingt-cinq couverts chargée de piles d’assiettes, et qui n’avait réuni que nous deux ; oui, oui, elle ne dit pas, la bonne madame Blannec, que cette petite chapelle de sainte Anne d’Auray a rapporté l’an passé jusqu’à trente mille livres à M. l’évêque.

En un mot, mon interlocuteur n’était rien moins qu’un ultra libéral, qui voit dans la religion et les fraudes jésuitiques la source de tous nos maux politiques. Ainsi est la Bretagne, du moins celle que j’ai vue : fanatiques, croyant tout, ou gens ayant mille francs de rente, et fort en colère contre les auteurs de la guerre civile de 93.

La partie de la Bretagne où l’on parle breton, de Hennebon à Josselin et à la mer, vit de galettes de farine de sarrasin, boit du cidre et se tient absolument aux ordres du curé. J’ai vu la mère d’un propriétaire de ma connaissance, qui a cinquante mille livres de rente, vivre de galettes de sarrasin, et n’admettre pour vrai que ce que son curé lui donne comme tel.

À peine les soldats qui ont servi cinq ans sont-ils de retour au pays, qu’ils oublient bien vite tout ce qu’ils ont appris au régiment et les cent ou deux cents mots de français qu’on leur avait mis dans la tête.

Ce peuple curieux et d’une si grande bravoure mériterait que le gouvernement établît, au centre de la partie la plus opiniâtre, deux colonies de sages Alsaciens. Le brave demi-paysan dont je traduis ici la conversation m’a avoué en gémissant que la langue bretonne tend à s’éteindre.

— Dans combien de paroisses, lui ai-je dit, le curé prêche-t-il en breton ?

Je faisais là une de ces questions qui sont le triomphe des préfets ; mon brave homme, qui ne savait que ce qu’il avait observé par lui-même, n’a pu me répondre.

J’ai écrit sous sa dictée, et en breton, les huit ou dix questions que je puis être dans le cas d’adresser à des paysans durant mon passage en ce pays. Le breton c’est le kimri.

J’ai un talent marqué pour m’attirer la bienveillance et même la confiance d’un inconnu. Mais, au bout de huit jours, cette amitié diminue rapidement et se change en froide estime.


— Lorient, le 7 juillet.

Ce matin, de bonne heure, j’étais sur la route de la chapelle de sainte Anne. Cette route est mauvaise et la chapelle insignifiante ; mais ce que je n’oublierai jamais, c’est l’expression de piété profonde que j’ai trouvée sur toutes les figures. Là, une mère qui donne une tape à son petit enfant de quatre ans a l’air croyant. Ce n’est pas que l’on voie de ces yeux fanatiques et flamboyants, comme à Naples devant les images de saint Janvier quand le Vésuve menace. Ce matin je trouvais chez tous mes voisins ces yeux ternes et résolus qui annoncent une âme opiniâtre. Le costume des paysans complète l’apparence de ces sentiments ; ils portent des pantalons et des vestes bleues d’une immense largeur, et leurs cheveux blonds pâles sont taillés en couronne, à la hauteur du bas de l’oreille.

C’est ici que devraient venir chercher des modèles ces jeunes peintres de Paris qui ont le malheur de ne croire à rien, et qui reçoivent d’un ministre aussi ferme qu’eux dans sa foi l’ordre de faire des tableaux de miracles, qui seront jugés au Salon par une société qui ne croit que par politique. Les expressions de caractère, bien plus que de passion passagère, que j’ai remarquées à la chapelle de sainte Anne, ne peuvent être comparées qu’à certaines figures respirant le fanatisme résolu et cruel, que j’ai vues à Toulouse.

J’ai été extrêmement content des paysages de Landevan à Hennebon et à Lorient. Souvent j’apercevais des forêts dans le lointain. Ces paysages bretons humides et bien verts me rappellent ceux d’Angleterre. En France, le contour que les forêts tracent sur le ciel est composé d’une suite de petites pointes ; en Angleterre ce contour est formé par de grosses masses arrondies. Serait-ce qu’il y a plus de vieux arbres en Angleterre ?

Voici les idées qui m’occupaient dans la diligence de Hennebon à Lorient.

Je ne sais si le lecteur sera de mon avis ; le grand malheur de l’époque actuelle, c’est la colère et la haine impuissante. Ces tristes sentiments éclipsent la gaieté naturelle au tempérament français. Je demande qu’on se guérisse de la haine, non par pitié pour l’ennemi auquel on pourrait faire du mal, mais bien par pitié pour soi-même. Le soin de notre bonheur nous crie : Chassez la haine, et surtout la haine impuissante[5].

J’ai entendu dire au célèbre Cuvier, dans une de ces soirées curieuses où il réunissait à ses amis français l’élite des étrangers : « Voulez-vous vous guérir de cette horreur assez générale qu’inspirent les vers et les gros insectes, étudiez leurs amours ; comprenez les actions auxquelles ils se livrent toute la journée sous vos yeux pour trouver leur subsistance. »

De cette indication d’un homme raisonnable par excellence j’ai tiré ce corollaire qui m’a été fort utile dans mes voyages : Voulez-vous vous guérir de l’horreur qu’inspire le renégat vendu au pouvoir, qui examine votre passe-port d’un œil louche, et cherche à vous dire des choses insultantes s’il ne peut parvenir à vous vexer plus sérieusement, étudiez la vie de cet homme. Vous verrez peut-être qu’abreuvé de mépris, que poursuivi par la crainte du bâton ou du coup de poignard, comme un tyran, sans avoir le plaisir de commander comme celui-ci, il ne cesse de songer à la peur qui le ronge qu’au moment où il peut faire souffrir autrui. Alors, pour un instant, il se sent puissant, et le fer acéré de la crainte cesse de lui piquer les reins.

J’avouerai que tout le monde n’est pas exposé à recevoir les insolences d’un homme de la police étrangère ; on peut ne pas voyager, ou borner ses courses à l’aimable T***. Mais, depuis que la bataille de Waterloo nous a lancés en France sur le chemin de la liberté, nous sommes fort exposés entre nous à l’affreuse et contagieuse maladie de la haine impuissante.

Au lieu de haïr le petit libraire du bourg voisin qui vend l’Almanach populaire, disais-je à mon ami M. Ranville, appliquez-lui le remède indiqué par le célèbre Cuvier : traitez-le comme un insecte. Cherchez quels sont ses moyens de subsistance ; essayez de deviner ses manières de faire l’amour. Vous verrez que s’il déclame à tout bout de champ contre la noblesse, c’est tout simplement pour vendre des almanachs populaires ; chaque exemplaire vendu lui rapporte deux sous, et, pour arriver à son dîner qui lui en coûte trente, il faut qu’il ait vendu quinze almanachs dans sa journée. Vous n’y songez pas, monsieur Ranville, vous qui avez onze domestiques et six chevaux.

Je dirai au petit libraire qui rougit de colère, et regarde son fusil de garde national quand la femme de chambre du château lui rapporte les plaisanteries que le brillant Ernest de T*** se permettait la veille contre ces hommes qui travaillent pour vivre :

Traitez le brillant Ernest comme un insecte ; étudiez ses manières de faire l’amour. Il essayait de parvenir à des phrases brillantes, d’esprit, parce qu’il cherche à plaire à la jeune baronne de Malivert, dont le cœur lui est disputé par l’ingénieur des ponts et chaussées, employé dans l’arrondissement. La jeune baronne, qui est fort noble, a été élevée dans une famille excessivement ultra ; et d’ailleurs, en cherchant à ridiculiser les gens qui travaillent pour vivre, Ernest a le plaisir de dire indirectement du mal de son rival l’ingénieur.

Si le petit libraire, qui vend des almanachs populaires dans ce petit bourg de quatorze cents habitants, a eu la patience de suivre mon raisonnement et de reconnaître la vérité de tous les faits que j’ai cités successivement, il trouvera au bout d’un quart d’heure qu’il a moins de haine impuissante pour le brillant Ernest de T***.

D’ailleurs M. Ranville ne peut pas plus détruire le libraire que le libraire détruire le riche gentilhomme. Toute leur vie ils se regarderont de travers et se joueront des tours. Le libraire tue tous les lièvres.

Je pense toutes ces choses depuis que je me suis appliqué à ne pas me ravaler jusqu’à ressentir de la colère contre les pauvres diables qui passent leur vie à mâcher le mépris, et qui, à l’étranger, visent mon passe-port. Ensuite j’ai cherché à détruire chez moi la haine impuissante pour les gens bien élevés que je rencontre dans le monde et qui gagnent leur vie, ou qui plaisent aux belles dames, en essayant de donner des ridicules aux vérités qui me semblent les plus sacrées, aux choses pour lesquelles il vaut la peine de vivre et de mourir.

Il n’y a pas un an que, pour me donner la patience de regarder la figure d’un homme qui venait de prouver que Napoléon manquait de courage personnel, et que d’ailleurs il s’appelait Nicolas, j’examinai si cet homme est Gaël ou Kimri ; le monstre était Ibère.

Le Gaël, comme nous l’avons vu à Lyon, a des formes arrondies, une grosse tête large vers les tempes ; il n’est pas grand, il a un fonds de gaieté et de bonne humeur constante.

Le Kimri rit peu ; il a une taille élégante, la tête étroite vers les tempes, le crâne très-développé, les traits fort nobles, le nez bien fait.

À peine s’est-on élancé dans l’étude des races que la lumière manque, on se trouve comme dans un lieu obscur. Rien n’est pis, selon moi, que le manque de clarté ; cette faculté si précieuse aux gens payés pour prêcher l’absurde. Quant à nous, qui essayons d’exposer une science parfaitement nouvelle, nous devons tout sacrifier à la clarté, et il faut avoir le courage de ne pas mépriser les comparaisons les plus vulgaires.

Tout le monde sait ce que c’est qu’un chien de berger. On connaît le chien danois, le lévrier au museau pointu, le magnifique épagneul. Les amateurs savent combien il est rare de trouver un chien de race pure. Les animaux dégradés qui remplissent les rues proviennent du mélange fortuit de toutes les races : souvent ces tristes êtres sont encore abâtardis par le manque de nourriture et par la pauvreté.

Malgré le désagrément de la comparaison, ce que nous venons de dire de l’espèce canine s’applique exactement aux races d’hommes ; seulement comme un chien vit quinze ans et un homme soixante, depuis six mille ans que dure le monde, les chiens ont eu quatre fois plus de temps que nous pour modifier leurs races. L’homme n’est parvenu qu’à deux variétés bien distinctes, le nègre et le blanc ; mais ces deux êtres ont à peu près la même taille et le même poids.

La race canine, au contraire, a produit le petit chien haut de trois pouces, et le chien des Pyrénées haut de trois pieds.

Toutes ces idées que je viens d’exposer si longuement, je les avais avant d’arriver en Bretagne, et elles augmentaient mon désir de voir ce pays.

Je me disais que c’est surtout en cette région reculée que l’on peut espérer de trouver des êtres de race pure. Comment le paysan des autres parties de la France pourrait-il vivre et se plaire dans un village du Morbihan, où tout le monde parle breton et vit de galettes de sarrasin ?

Cependant, après le beau paysage de la Vilaine, j’ai dîné vers le haut de la montée, au nord du fleuve, chez un aubergiste, membre de la Légion d’honneur, et qui est venu là de bien loin. À Lorient, j’ai trouvé que le seul des négociants de la ville auquel j’ai eu affaire était né à Briançon, dans les Hautes-Alpes. Les enfants de ce négociant ont une chance pour être des hommes distingués : le croisement ; mais probablement ils n’appartiendront pas d’une manière bien précise à une race distincte ; ils ne seront ni Gaëls, ni Kimris, ni Espagnols ou Ibères ; car les Ibères ont remonté le rivage de la mer jusqu’à Brest.

Lorsque l’on cherche à distinguer dans un homme la race Gaël, Kimri, ou Ibère, il faut considérer à la fois les traits physiques de sa tête et de son corps, et la façon dont il s’y prend d’ordinaire pour aller à la chasse du bonheur.

Quant à moi, je trouvais mon bonheur hier matin à chercher à deviner la race à laquelle appartenaient les nombreux dévots qui affluaient à la chapelle de Sainte-Anne, près d’Auray. Je m’étais établi dans la cuisine de l’auberge ; j’y faisais moi-même mon thé. Pendant que l’eau chauffait, je suis allé à la chapelle. J’ai d’abord remarqué que là, comme dans la cuisine de l’auberge, je ne trouvais nullement ce fanatisme ardent et ces regards furieux d’amour et de colère que le Napolitain jette sur l’image de son dieu qui s’appelle saint Janvier. Quand saint Janvier ne lui accorde pas la guérison de sa vache ou de sa fille, ou un vent favorable, s’il est en mer, il l’appelle visage vert (faccia verde) ; ce qui est une grosse injure dans le pays.

Le Breton est bien loin de ces excès ; son œil, comme celui de la plupart des Français du Nord, est peu expressif et petit. Je n’y vois qu’une obstination à toute épreuve et une foi complète dans sainte Anne. En général, on vient ici pour demander la guérison d’un enfant, et, autant qu’il se peut, on amène cet enfant à sainte Anne. J’ai vu des regards de mère sublimes.

Je vais aborder la partie la plus difficile de l’étude des trois races d’hommes qui couvrent le sol de la France. Je répète que c’est là le seul remède que je connaisse à cette fatale maladie de la haine impuissante, qui nous travaille depuis que le meurtre du maréchal Brune nous a relancés dans la période de sang des révolutions.

Après la dernière moitié du dix-huitième siècle, on a parlé de trois moyens de connaître les hommes : la science de la physionomie, ou Lavater ; la forme et la grosseur du cerveau, sur lequel se modèlent les os du crâne, ou Gall ; et enfin la connaissance approfondie des races Gaël, Kimri et Ibère (que l’on rencontre en France).

Dieu me garde d’engager le lecteur à croire ce que je dis ; je le prie d’observer par lui-même si ce que je dis est vrai. L’homme sensé ne croit que ce qu’il voit, et encore faut-il bien regarder.

Napoléon avait le plus grand intérêt à deviner les hommes, il était obligé de donner des places importantes après n’avoir vu qu’une fois les individus, et il a dit qu’il n’avait jamais trouvé qu’erreur dans ce que semblent annoncer les apparences extérieures.

Il eut horreur de la figure de sir Hudson Lowe dès la première entrevue ; mais ce ne fut qu’un mouvement instinctif. Par malheur, il était fort sujet à ce genre de faiblesse, suite des impressions italiennes de la première enfance. Les cloches de Rueil ont coûté cher à la France.

Il me semble que si le lecteur veut se donner la peine de se rappeler les signalements de trois races d’hommes que l’on rencontre le plus souvent en France, il reconnaîtra, si jamais il va en Bretagne, que les Ibères ont remonté jusque vers Brest : sur cette côte, ils se trouvent avec les Kimris et les Gaëls. Les Kimris ressemblent souvent à des puritains ; ils sont ennemis du chant, et, s’ils dansent, c’est comme malgré eux et avec une gravité comique à voir, ainsi que je l’ai observé à *** ; les Ibères, au contraire, sont fous du chant et surtout de la danse. C’est, après le penchant fou à l’amour, le trait le plus frappant de leur caractère. Si jamais les femmes se mêlent de politique à Madrid, elles dirigeront le gouvernement.

Dans le Morbihan, les Gaëls sont plus nombreux que les Ibères et les Kimris ; dans le Finistère, c’est la race ibère qui l’emporte, et enfin c’est le Kimri qui domine dans les côtes du Nord, de Morlaix et Lannion à Saint-Malo. C’est sur la côte du nord, en face du grand Océan, de Lannion à Saint-Brieuc, que l’on parle le breton le plus pur. Là aussi se trouve la race bretonne dans son plus grand état de non-mélange. La bravoure que ces hommes, presque tous marins, déploient sur leurs frêles embarcations de pêche est vraiment surnaturelle. Pour eux il y a bataille deux fois par mois en été, et l’hiver tous les jours. La plupart des églises ont la chapelle des noyés.

Vers Quimper, on trouve le breton des accents espagnols ; cette contrée s’appelle la Cornouaille dans le pays.

On peut supposer que le Gaël était la langue parlée dans le Morbihan avant l’arrivée des Kimris. On désigne encore par le nom de Gallos, dans ce département, une partie de la population.

On peut supposer que les Gaëls occupaient la plus grande partie de la France, avant que les Kimris vinssent s’y établir ; les Kimris arrivaient du Danemark. Les savants croient pouvoir ajouter que les Gaëls étaient venus précédemment de l’Asie. On tire cette vue incertaine sur des temps si reculés de la nature de leurs langues, que les savants appellent maintenant indo-germaines.

Le caractère distinctif du dialecte que l’on parle dans le Morbihan et des langues tirées du gaël, c’est de retrancher la fin des mots ou le milieu, comme font les Portugais dans leur langue tirée du latin. Chose singulière ! les Gaéls en apprenant le kimri, ont conservé une partie de leurs anciennes habitudes.

D’un autre côté, la présence des Kimris et des Ibères dans le Morbihan a singulièrement modifié le caractère du Gaël. Vous savez que les gens de cette race sont naturellement vifs, impétueux, peu réfléchis. Eh bien ! ici, ils ont acquis une gravité et une ténacité que l’on chercherait en vain dans d’autres contrées de la France.

Le breton, cette langue curieuse, si différente du latin et de ses dérivés, l’italien, le portugais, l’espagnol et le français, nous fournit, comme on sait, une preuve de la transmigration des peuples. Le breton est une modification de la langue parlée par les habitants de la principauté de Galles en Angleterre, et que ceux-ci appellent le Kimri.

Si le lecteur s’occupe jamais de l’ouvrage de M. Guillaume de Humboldt sur les antiquités bretonnes, je l’engage à se rappeler que des conjectures non prouvées ne sont que des conjectures.

Voir toutes les billevesées dont pendant quelques années M. Niebhur a offusqué l’histoire des commencements de Rome. La gloire des grands hommes allemands n’ayant guère que dix années de vie, on m’assure que M. Niebhur est remplacé depuis peu par un autre génie dont j’ai oublié le nom.

Il y a beaucoup de sorciers en Bretagne, du moins c’est ce que je devrais croire d’après le témoignage à peu près universel.

Un homme riche me disait hier avec un fonds d’aigreur mal dissimulée : « Pourquoi est-ce qu’il y aurait plus de magiciens en Bretagne que partout ailleurs ? Qui est-ce qui croit maintenant à ces choses-là ? » J’aurais pu lui répondre : « Vous, tout le premier. » On peut supposer que beaucoup de Bretons, dont le père n’avait pas mille francs de rente à l’époque de leur naissance, croient un peu à la sorcellerie. La raison en est que ces messieurs qui vendent des terres dans un pays inconnu ne sont pas fâchés qu’on s’exerce à croire : la terreur rend les peuples dociles.

Voici un procès authentique. On écrit de Quimper le 26 janvier :


« Yves Pennec, enfant de l’Armorique, est venu s’asseoir hier sur le banc de la cour d’assises. Il a dix-huit ans ; ses traits irréguliers, ses yeux noirs et pleins de vivacité annoncent de l’intelligence et de la finesse. Les anneaux de son épaisse chevelure couvrent ses épaules, suivant la mode bretonne.

« M. Le Président : Accusé, où demeuriez-vous quand vous avez été arrêté ?

« Yves Pennec : Dans la commune d’Ergué-Gobéric.

« D. Quelle était votre profession ? — R. Valet de ferme : mais j’avais quitté ce métier ; je me disposais à entrer au service militaire.

« D. N’avez-vous pas été au service de Leberre ? — R. Oui.

« D. Eh bien ! depuis que vous avez quitté sa maison, on lui a volé une forte somme d’argent. Le voleur devait nécessairement bien connaître les habitudes des époux Leberre ; leurs soupçons se portent sur vous. — R. Ils se sont portés sur bien d’autres ; mais je n’ai rien volé chez eux.

« D. Cependant, depuis cette époque, vous êtes mis comme un des plus cossus du village ; vous ne travaillez pas ; vous fréquentez les cabarets ; vous jouez ; vous perdez beaucoup d’argent, et l’argent employé à toutes ces dépenses ne vient sans doute pas de vos économies comme simple valet de ferme ? — R. C’est vrai, j’aime le jeu pour le plaisir qu’il me rapporte ; j’y gagne quelquefois ; j’y perds plus souvent, mais de petites sommes ; et puis j’ai des ressources. Quant aux beaux vêtements dont vous parlez, j’en avais une grande partie avant le vol, entre autres ce beau chupen que voilà.

« D. Mais quelles étaient donc vos ressources ?

« Pennec, après s’être recueilli un instant et avec un air de profonde bonne foi : « J’ai trouvé un trésor, voilà de cela trois ans. C’était un soir ; je dormais : une voix vint tout à coup frapper à mon chevet : « Pennec, me dit-elle, réveille-toi. » J’avais peur, et je me cachai sous ma couverture : elle m’appela de nouveau ; je ne voulus pas répondre. Le lendemain, je dormais encore ; la voix revint, et me dit de n’avoir pas peur : « Qui êtes-vous ? lui dis-je ? êtes-vous le démon ou Notre-Dame-de-Kerdévote ou Notre-Dame de Saint-Anne, ou bien ne seriez-vous pas encore quelque voix de parent ou d’ami qui vient du séjour des morts ? — Je viens, me répliqua la voix avec douceur, pour t’indiquer un trésor. » Mais j’avais peur, je restai au lit. Le surlendemain, la voix frappa encore : « Pennec, Pennec, mon ami, lève-toi, n’aie aucune peur. Va près de la grange de ton maître Gourroelen, contre le mur de la grange, sous une pierre plate, et là tu trouveras ton bonheur. » Je me levai, la voix me conduisit, et je trouvai une somme de 350 fr.

« Le silence passionné de la plus extrême attention règne dans l’auditoire. Il est évident que l’immense majorité croit au récit de Fennec.

« D. Avez-vous déclaré à quelqu’un que vous aviez trouvé un trésor ? — R. Quelques jours après, je le dis à Jean Gourmelen, mon maître. À cette époque, Leberre n’avait pas encore été volé.

« D. Quel usage avez-vous fait de cet argent ? — R. Je le destinai d’abord à former ma dot ; mais, le mariage n’ayant pas eu lieu, j’ai acheté de beaux habits, une génisse ; j’ai payé le prix de ferme de mon père, et j’ai gardé le reste.

« Plusieurs témoins sont successivement entendus.

« Leberre : Dans la soirée du 18 au 19 juin dernier, il m’a été volé une somme de deux cent soixante francs ; j’ai soupçonné l’accusé, parce qu’il savait où nous mettions la clef de notre armoire, et qu’il a fait de grandes dépenses depuis le vol. Pennec m’a servi six mois ; il ne travaillait pas, il était toujours à regarder en l’air. Quand il m’a quitté, je ne l’ai pas payé, parce qu’il n’était pas en âge, et que, quand on paye quelqu’un lorsqu’il n’est pas en âge, on est exposé à payer deux fois. (On rit.)

« Gourmelen : Voilà bientôt trois ans, l’accusé a été à mon service : quand il y avait du monde, il travaillait bien ; mais il ne faisait presque rien quand on le laissait seul. Pour du côté de la probité, je n’ai jamais eu à m’en plaindre. Pendant qu’il me servait, il m’a raconté qu’il avait trouvé un trésor. Pennec passe pour un sorcier dans le village ; mais on ne dit pas que ce soit un voleur.

« Kigourlay : L’accusé a été mon domestique ; il m’a servi en honnête homme ; je n’ai pas eu à m’en plaindre ; il travaillait bien ; il jouait beaucoup la nuit, je l’ai vu perdre jusqu’à six francs, c’est moi qui les lui ai gagnés. (On rit.) C’est un sorcier, il a un secret pour trouver de l’argent. (Mouvement.)

« René Laurent, maire de la commune, d’un air décidé et avec l’attitude d’un homme qui fait un grand acte de courage : Pennec passe dans ma commune pour un devin et pour un sorcier ; mais je ne crois pas cela, moi ; ce n’est plus le siècle des sorciers… Un jour, c’était une grande fête, il y avait à placer sur la tour un drapeau tricolore…, maintenant c’est un drapeau tricolore ; mais autrefois, j’étais maire aussi, et alors c’était un drapeau blanc. Pennec eut l’audace de monter, sans échelle, jusqu’au haut du clocher, pour planter le drapeau ; tout le monde était ébahi ; on croyait qu’il y avait quelque puissance qui le soutenait en l’air. Je lui ordonnai de descendre ; mais il s’amusait à ébranler les pierres qui servent d’ornement aux quatre côtés de la chapelle ; je le fis arrêter. Les gendarmes, surpris de la richesse de ses vêtements, le conduisirent au procureur du roi : il fut mis en prison. Plus tard, la justice vint visiter l’endroit où il prétendait avoir trouvé son trésor ; j’étais présent à la visite. Pennec arracha une pierre, puis, quand il eut ainsi fait un vide, il nous dit avec un grand sang-froid : « C’est dans ce trou qu’était mon trésor. » (On rit.) On lui fit observer que le vide était la place de la pierre ; mais il persista. Je suis bien sûr qu’avant le vol de Leberre l’accusé avait de l’argent, et qu’il a fait de fortes dépenses ; je lui avais demandé s’il était vrai qu’il eût trouvé un trésor ; mais il ne voulait point m’en faire l’aveu, sans doute parce que le gouvernement s’en serait emparé. C’est un bruit accrédité dans notre commune que ce que l’on trouve c’est pour le gouvernement ; aussi l’on ne trouve pas souvent, ou du moins on ne s’en vante pas (Explosion d’hilarité.) Surpris que Pennec eût tant d’argent, je fis bannir (publier) sur la croix ; mais personne ne se plaignit d’avoir perdu ou d’avoir été volé.

« M. l’avocat du roi : Vous voyez bien, Pennec, que vous ne pouvez pas avoir trouvé d’argent dans un trou qui n’existait pas.

« Pennec : Oh ! l’argent bien ramassé ne fait pas un gros volume, et puis la voix peut avoir bouché le trou. (Hilarité générale.)

« Jean Poupon : Voilà six mois, Pennec est venu me demander la plus jeune et la plus jolie de mes filles en mariage : « Oui, volontiers, si tu as de l’argent. — J’ai mille écus, dit Pennec. — Oh ! je ne demande pas tant, je te la passerai pour moitié moins ; si tu as quinze cents francs, l’affaire est faite ; frappe là. » Nous fûmes prendre un verre de liqueur, et de là chez le curé, qui fit chercher le maire. Le maire et le curé furent d’avis qu’il fallait que Pennec montrât les quinze cents francs ; il ne put les montrer, et alors je lui dis : « Il n’y a rien de fait. » Pennec passe pour un devin, mais pas pour un voleur ; il m’a servi, j’ai été content de son service.

« Le maire : C’est vrai ce que dit le témoin ; une fille vaut cela dans notre commune.

« Après le réquisitoire de M. l’avocat du roi et la plaidoirie de Me Cuzon, qui a plus d’une fois égayé la cour, le jury et l’auditoire, M. le président fait le résumé des débats. Au bout de quelques minutes, le jury, qui probablement ne veut pas que la commune d’Ergué-Gobéric soit privée de son sorcier, déclare l’accusé non coupable.

« Sur une observation de Me Cuzon, la cour ordonne que les beaux habits seront immédiatement restitués à Pennec, qui n’a en ce moment qu’une simple chemise de toile et un pantalon de même étoffe. Aussitôt tous les témoins accourent et viennent respectueusement aider Pennec à emporter ses élégants costumes. Pennec a bientôt endossé le beau chupen, l’élégant bragon-bras et le large chapeau surmonté d’une belle plume de paon : il s’en retourne triomphant. » (Gazette des Tribunaux.)


Si le lecteur avait la patience d’un Allemand, je lui aurais présenté, pour chaque province, le récit authentique de la dernière cause célèbre qu’on y a jugée.

Comment ne pas croire aux sorciers sur la côte terrible d’Ouessant, à Saint-Malo ? La tempête et les dangers s’y montrent presque tous les jours, et ces marins si braves passent leur vie tête à tête avec leur imagination.



  1. Pour peu que le lecteur trouve dignes d’attention les monuments celtiques ou druidiques, je l’engage à apprendre ces cinq mots par cœur :

    Menhir, Peulven, Dolmen, Tumulus, Galgal.

    Menhir, c’est le nom que l’on donne en Bretagne à ces grandes pierres debout, beaucoup plus longues que larges.

    Peulven indique les pierres debout de médiocre grandeur.

    Un Dolmen littéralement table de pierre, n’est quelquefois qu’une pierre verticale qui en supporte une autre dans une position horizontale, comme un T majuscule. Souvent plusieurs pierres verticales soutiennent une seule pierre horizontale.

    Tout le monde sait que par le mot latin Tumulus on désigne des monticules de terre élevés de mains d’hommes, et qu’on suppose recouvrir une sépulture.

    Galgal est une éminence artificielle composée en majeure partie de pierres ou de cailloux amoncelés.

  2. Recueil de panégyriques prononcés vers le quatrième siècle.
  3. Ainsi les druides sont maîtres des tribunaux, et distribuent les croix. Ce pouvoir préparait celui des évêques.
  4. Les prêtres du dixième siècle et des plus beaux temps du christianisme n’avaient qu’une position fort inférieure à celle des druides. Ce corps paraît avoir résolu parfaitement le problème de l’égoïsme.
  5. Ce qui vieillit le plus les femmes de trente ans, ce sont les passions haineuses qui se peignent sur leurs figures. Si les femmes amoureuses de l’amour vieillissent moins, c’est que ce sentiment dominant les préserve de la haine impuissante.