Mémoires d’un seigneur russe/16

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Traduction par Ernest Charrière.
Hachette (p. 249-266).


XVI.


La Mort. Manière de mourir des Russes.


J’ai un voisin qui est jeune maître de maison et jeune chasseur. Par une belle matinée de juillet, je me rendis chez lui à cheval et lui proposai d’aller chasser à la caille. Il y consentit. « Seulement, me dit-il, nous irons à Zoucha, en passant par mes petites exploitations ; ce sera pour le mieux ; je verrai Tchaplyghino, vous savez, mon bois de chênes ; je l’ai mis en coupe réglée. C’est convenu, n’est ce pas ? » Il se fit seller un cheval, passa un surtout vert dont les boutons bronzés représentaient des hures de sanglier, puis une gibecière brodée en poil de chameau filé et un flacon d’argent ; il posa contre-son épaule un fusil français tout frais battant neuf, se regarda à deux ou trois reprises dans la glace et appela son chien, le bel Espérance, cadeau d’une vieille demoiselle douée d’un excellent cœur, mais qui n’avait pas un cheveu sur la tête.

Dans cet équipage, nous partîmes. Mon voisin avait à sa suite son dizenier Arkhippe, gros petit bonhomme au visage carré et aux pommettes saillantes, et un régisseur qu’il avait tout récemment fait venir de Courlande ou de Livonie, jeune homme de dix-neuf ans, maigre, blond, myope, aux épaules effacées, au long cou, et affligé du nom de Gottlieb von der Kock.

Mon jeune voisin lui-même était depuis bien peu de temps en possession de sa fortune. Ce domaine était un héritage de feu sa tante la conseillère d’État, Kardon-Kartaëf, femme obèse, furieusement obèse, qui, même au repos, même étendue dans son lit, était essoufflée au point de geindre et de s’angoisser.

Arrivés à l’exploitation, nous entràmes dans des taillis.

« Attendez-moi ici sur le préau, » dit Ardalion Mikhaïlovitch (mon voisin), en s’adressant à ses compagnons. L’Allemand s’inclina, descendit de cheval, tira de sa poche un petit livre broché, qui était, je crois, un roman de Jean Chopenhauer, et s’assit sous l’ombrage d’un osier sauvage. Arkhippe resta en plein soleil et garda, une heure durant, la même position. Nous fîmes cent détours à travers les taillis, et nous ne trouvâmes pas la moindre trace de roues suspectes. Ardalion Mikhaïlovitch me déclara son intention de se rendre dans la chênaie.

« Bon, lui dis-je ; je vous y accompagnerai d’autant plus volontiers, que j’ai le pressentiment que je ne tuerai rien de tout le jour. »

Nous regagnâmes le préau. L’Allemand mit dans son livre deux ou trois brins d’herbe pour servir de signet et remonta, non sans peine, sur sa détestable jument, qui reniflait sous prétexte de hennir, et ruait furieusement au moindre contact du cavalier. Arkhippe se remua sur sa bête, tira le bridon des deux côtés à la fois, balança ses courtes jambes contre les flancs de la jument, et finit par mettre en mouvement la triste haridelle, qu’il écrasait de son poids. Nous voilà en marche.

Le bois d’Ardalion Mikhaïlytch m’était connu depuis ma première enfance. J’allais souvent à Tchaplyghino avec mon gouverneur français, M. Désiré Fleury, très-excellent homme qui, au reste, a bien failli gâter à tout jamais ma santé en me faisant prendre tous les soirs la médecine de Leroy. C’était un bois consistant en deux ou trois cents énormes chênes, mêlés de quelques frênes géants. Leurs hauts et puissants fûts noirâtres faisaient merveilleusement ressortir la verdure dorée et transparente des coudriers et des sorbiers ; ils les dominaient de leurs tiges droites, et se dessinaient dans l’atmosphère azurée, ou ils étendaient, comme une tente pittoresquement percée à jour, leurs larges branches entrelacées ; éperviers, bondrées, crécerelles et busards planaient, tournoyaient autour des cimes immobiles ; l’épeiche bigarrée forait énergiquement de son bec d’acier l’épaisse écorce du tronc ; le cri retentissant du merle résonnait dans l’épaisseur du feuillage aussitôt après chaque roulade du loriot ; en bas, dans le fourré, chantaient à l’envi fauvettes, tarins et pouillots. Les pinsons fuyaient agilement le long des sentiers. Le petit-gris se glissait sur le rebord des fourrés, et toujours de biais, par prudence ; l'écureuil roux, au contraire, sautait gaiement d’arbre en arbre et tout à coup se mettait au repos, en se contractant, se pelotonnant et ramenant sa queue par-dessus sa tête. Dans l’herbe, autour des hautes fourmilières, sous l’ombre accidentée des charmantes découpures de la fougère, fleurissaient les violettes et les muguets, et croissaient vingt sortes de champignons blancs, jaunes, roux, ponceau, feuilletés, spongieux, les uns innocents, d’autres vénéneux, tous agréables à la vue, tous utiles à qui en sait l’usage. Dans les éclaircies, le gazon était comme pailleté d’étincelles écarlates : c’était le fruit mûr et parfumé du fraisier des bois. Dans ce bois, quelle ombre ! des ténèbres en plein midi ; un air aromatisé, la fraîcheur, le calme…

J’avais souvent passé des heures bien douces à Tchaplyghino : aussi, je l’avoue, je n’entrai pas à cheval dans cet asile d’innocents, d’émouvants souvenirs, sans un sentiment de vague mélancolie. Le funeste hiver sans neige[1] de 1840-41 n’avait pas épargné mes vieux amis les grands chênes et les beaux frênes ; desséchés, dépouillés, tachés çà et là, souillés d’une verdure maladive, ils étaient tristement étendus sous un jeune bois qui s’élançait pour leur succéder et ne les remplaçait point. Quelques-uns, debout encore et pourvus de feuilles vers le has, élevaient comme avec reproche et désespoir leurs rameaux mutilés et sans vie ; le feuillage d’autres, encore assez touffu, quoique non abondant et surabondant comme autrefois, était dominé par de grosses branches sèches, noires et comme frappées de la foudre ; plusieurs avaient entièrement perdu leur écorce ; mais combien étaient tombés tout de leur long par terre, où, géants superbes, ils pourrissaient ignoblement comme de vils cadavres d’animaux !

Qui aurait pu prévoir en 1840, qu’au bout de quelques années on chercherait en vain de l'ombrage dans le bois de Tchaplyghino ? En regardant ces nouveaux Titans, victimes innocentes d’un ciel impitoyable, je leur prêtais du sentiment, je leur supposais des angoisses de douleur et de honte… et je me rappelais l’apostrophe du poëte Koltsof :


Qu’es-tu devenue,
Parole haute,
Force orgueilleuse,
Vertu de roi ?
Où s’est retirée
Ta verte séve
Montant toujours ?…


« Çà, Ardalion Mikhaïlytch, dis-je à mon jeune voisin, expliquez-moi donc comment il se fait qu’on n’ait pas coupé tout cela en 1841 ou 1842. On ne vous en donnera pas aujourd’hui la dixième partie de ce qu’on vous en aurait offert en ce temps-là. (Le jeune homme se borna à hausser les épaules.) Si une bonne âme eût seulement dit un mot à votre tante, certainement les marchands seraient accourus l’argent à la main, à l’envi les uns des autres.

Mein Gott ! mein Gott ! s’écriait à chaque pas Van der Kock ; mon Dieu ! quelle piété ! mais quelle piété !

— De quelle piété parlez-vous ? demanda en souriant mon voisin.

— Ché feu tire quée c’ée pien bitoyâppe, tout ça. »

Ce qui excitait surtout sa compassion, c’étaient les grands fûts étendus par terre et en partie vermoulus. En effet, il est tel meunier, tel manufacturier qui aurait payé bien cher de pareilles pièces de charpente. Quant au dizenier Arkhippe, il jouissait d’un calme imperturbable ; loin de se lamenter à la vue des cadavres, il prenait quelque plaisir à les franchir en stigmatisant de son fouet les parties vermoulues ou couvertes de mousses parasites.

Nous nous rendions vers le point où se faisait la coupe, quand tout à coup, à la suite du bruit de la chute d’un arbre, retentirent un cri et un bruit de voix, et quelques secondes après s’élança du fourré à notre rencontre un jeune paysan pâle et les traits bouleversés.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Où cours-tu ainsi ? dit le jeune seigneur.

— Ah ! père, ah ! Ardalion Mikhaïlytch, quel malheur !

— Quoi ?

— L’arbre, père ; l’arbre a écrasé Maxime.

— Comment ? Maxime ! l’entrepreneur, l'adjudicataire des travaux de là-bas ?

— Oui, père. Nous coupions un frêne ; il était là à cinq pas qui regardait. Après avoir regardé longtemps, il lui prit soif ; il en parlait et il se préparait à aller du côté de la source, il se mettait déjà en chemin, quand tout à coup l’arbre craqua, s’abattit et tomba droit sur lui. Nous lui criions : « Cours, cours, cours !!! » Il aurait dû se jeter à droite ou à gauche ; mais non, il courait tout droit devant lui ; la peur le troublait ; le frêne le couvrit de ses branches d’en haut. Dieu sait pourquoi l’arbre est tombé si vite. Il faut croire que le cœur est tout pourri.

— Et Maxime a été tué ?

— Il a été tué, père.

— Je te demande s’il est mort.

— Il remue encore, père ; mais quoi, il a les bras et les jambes cassés. Moi, je courais chercher le médecin Sélivertych. »

Ardalion Mikhaïlytch ordonna au dizenier de courir ventre à terre au village prendre Sélivertytch, et lui-même se rendit au grand galop à l’abattage, où je le suivis.

Nous trouvâmes le pauvre Maxime étendu sur l’herbe ; une dizaine de paysans l’entouraient ; nous mîmes pied à terre. Il ne gémissait presque pas ; de temps en temps il ouvrait les yeux très-grands ; il avait l’air de regarder avec surprise autour de lui et il mâchait ses lèvres bleuies… son menton tremblait ; ses cheveux étaient collés sur son front, sa poitrine se soulevait avec des mouvements inégaux, il se mourait ; la pénombre que projetait un jeune tilleul s’étendait doucement sur ses traits.

Nous nous penchâmes sur lui. Il reconnut Ardalion Mikhaïlytch.

« Monsieur, dit-il d’une voix à peine intelligible, envoie chercher le prêtre ; Dieu devait bien me punir… mes jambes et mes bras sont brisés… C’est… aujourd’hui… dimanche… et moi… moi… tu vois… j’ai fait travailler… ces bonnes gens. »

Puis il se tut ; la respiration lui manquait.

« Mon argent, reprit-il ensuite… ce qui en restera comptes faits, donnez-le à ma femme… à ma femme… Onicim que voici… sait à qui… je dois…

— Mon pauvre Maxime, nous avons envoyé chercher le médecin, dit le jeune seigneur au moribond, peut-être que tu ne mourras pas. »

Il voulut en vain rouvrir la bouche, et il souleva avec effort les sourcils et les paupières.

« Non, je vais mourir, murmura-t-il ensuite… voici, voici la mort, elle est ici. Frères, si je vous ai fait du mal… pardon !…

— Dieu te fasse grâce, Maxime Andréytch ! dirent d’une voix sourde tous les paysans sans exception en se découvrant la tête ; c’est à toi, à toi de nous pardonner. »

Il branla la tête avec les signes du désespoir, se souleva de la poitrine avec angoisse, et s’affaissa de nouveau.

« On ne peut cependant le laisser mourir ici, s’écria Ardalion Mikhaïlytch ; mettez ici les nattes de votre chariot, faisons vite une civière et transportons-le à l’hôpital. » Deux hommes se hâtèrent d’exécuter cet ordre.

« Hier, j’ai acheté… bégaya le mourant, j’ai acheté un cheval à Efim… j’ai donné des arrhes… le cheval est à moi, il est pour ma femme… elle payera… donnez-le à ma femme ! »

On le fit avec grande précaution glisser sur la civière… il frémit comme un oiseau blessé, et aussitôt tout son corps se roidit.

« Mort ! » murmurèrent les paysans.

Nous remontâmes à cheval et nous partîmes.

La mort du pauvre Maxime me porta à la réflexion. Le paysan russe à une manière toute à lui de mourir, et l’on ne peut nullement dire que la disposition où il se montre avant d’expirer, puisse, sous aucun rapport, passer pour de l'indifférence et de la stupidité… Il meurt, je l’ai toujours observé ainsi, il meurt avec calme et simplicité, et comme s’il accomplissait un acte, une formalité inévitable et toute naturelle.

Il y a quelques années, dans le village d’un autre voisin, un paysan fut brûlé dans l’incendie de la grange. Il serait resté là à expirer dans la grange, si un bourgeois qui passait n’était allé l’en retirer demi-mort. J’allai voir le malheureux dans sa chaumière ; il y faisait sombre, et l’air y était vicié, chargé de fumée, suffocant.

« Où est le malade ? demandai-je.

— Eh ! là donc, sur la loge du poêle, » me répondit une femme avec la cantilène ordinaire des pauvres paysannes affligées.

J’approche : le malheureux est couché, il s’est couvert de son touloup ; il respire avec grande difficulté. « Eh bien, frère, comment te sens-tu ? » Le malade fait quelques mouvements ; il est tout couvert de plaies, il est à l’article de la mort, il essaye de se soulever un peu. Je lui dis : « Reste, reste tranquille… Eh bien, comment te trouves-tu, frère ?

— Eh ! bien mal, vous voyez.

— Tu souffres ? » Silence. « Ne te faut-il pas quelque chose ? » Silence. « Du thé, hein, veux-tu du thé ?

— Non. »

Je me retire un peu et vais m’asseoir sur le banc ; Je reste là une demi-heure, au milieu d’un silence vraiment sépulcral. Dans un angle, derrière une table sous l’iconostase se tient tapie une petite fille de cinq ans occupée à ronger un croûton… la mère de temps en temps la menace du doigt. Dans l'entrée, on va et on vient, on frappe, on cause ; la belle-sœur hache du chou.

« Hé, Axinia ! dit enfin le moribond.

— Quoi ?

— Du kvass. »

Axinia présenta la boisson demandée, et le silence se rétablit. « A-t-il reçu les sacrements ? » demandai-je bien bas ; on me répondit de même : « Oui, avant votre entrée. »

« Allons, me dis-je en moi-même, tous sont en règle ici ; le malade attend la mort, il l’attend, il n’attend pas autre chose. » Je n’en pouvais plus, je sortis.

Je me souviens, à propos de cela, qu’un jour étant en chasse, j’aperçus le toit de l’hôpital de Krasnogorié, et comme je connaissais là un nommé Capiton, simple aide, carabin, apprenti médecin ou infirmier, je ne sais, mais grand amateur de mon passe-temps favori, j’entrai pour causer un moment avec le frater.

L’hôpital était formé d’une aile d’une ancienne maison domaniale ; c’était la dame du lieu qui avait elle-même organisé cette aile en infirmerie, et voici comment : elle fit clouer au-dessus de la porte une planche peinte en bleu, portant en lettres blanches cette inscription : Hôpital de Krasnogorié, et elle remit le même jour à Capiton, en sa qualité d’ancien infirmier, un joli album où il devait inscrire les noms de ses malades. Sur la première page de cet album, un des pique-assiettes et très-humbles serviteurs de la bienfaisante dame traça en français les vers suivants :


Dans ces beaux lieux où règne l'allégresse,
Ce temple fut ouvert par la beauté ;
De vos seigneurs admirez la tendresse,
Bons habitants de Krasnogorié !


Nous ne prétendons pas justifier la rime ni la mesure du dernier vers : nous avons transcrit diplomatiquement ; c’est tout ce qu’on peut exiger de nous.

Un autre ami de la maison prit aussitôt la plume et ne balança pas à écrire aussi en français et de sa plus belle écriture, avec un à-propos qu’on n’aperçoit pas du premier coup d’œil :

Et moi aussi j’aime la nature !

Et il signa avec paraphe :

Jean Koubiliatnikof.

Je ne saurais dire, au reste, si les Français trouveraient la mesure d’un vers dans cet impromptu auquel ne manque certes pas la grâce. Mais cette page était lettre close pour le bon Capiton.

Le frater, livré à peu près exclusivement à ses moyens matériels comme à ses inspirations médicinales, acheta de ses propres deniers six lits en bois de sapin qu’il peignit en vert à l’huile, et se mit, en invoquant les bénédictions du ciel, à prodiguer ses soins aux gens du bon Dieu. On lui donna pour aides deux individus, dont l’un, Paul, avait été sculpteur, mais il était sujet à des absences d’esprit qui le rendaient assez incommode ; l’autre était la femme Melikitrice, dite Mains-sèches ; elle était chargée de la cuisine de l’établissement. Tous deux étaient employés à préparer les médicaments, à sécher les simples, à faire des infusions, etc., puis à contenir les malades que la fièvre agitait quelquefois outre mesure, ou qui résistaient à quelque opération douloureuse ou pénible. Le sculpteur était habituellement morose et avare de ses paroles ; cependant, la nuit, il chantait : De Vénus la toute-puissante, déesse et reine de beauté, etc. Et il abordait chaque passant en le suppliant de vouloir bien lui permettre (ce qu’il eût été difficile de lui accorder) d’épouser une certaine Malanie, morte et enterrée depuis bien des années : Mains-sèches le rossait d’amitié et le mettait, un peu de force, à un régime calmant, en lui faisant garder les dindons.

J’étais chez le frater, l’infirmier, le médecin, le directeur de l’hôpital, comme on voudra bien l’appeler, chez le bon et honnête Capiton enfin, et nous étions déjà en train de rappeler les circonstances de notre dernière chasse, quand tout à coup entra au galop dans la cour une télègue attelée d’un énorme cheval moreau, comme en possèdent seuls les meuniers. Dans la télègue se carrait un homme vigoureux, dont la barbe était de quatre ou cinq nuances, et vêtu d’un armiak neuf. « Ah ! Vacili Dmitrytch ! cria de sa fenêtre Capiton, soyez le très-bien venu ! C’est le meunier de Leoubovchinsk, » ajouta-t-il pour moi, en rentrant la tête dans la chambre. Le paysan, en poussant un soupir bruyant, plaintif et prolongé, descendit du chariot, entra dans la chambre de Capiton, chercha du regard l’image sainte, et se signa, solennellement

« Eh bien ! eh bien ! Vacili Dmitrytch, qu’est-ce qu’il y a de nouveau ? çà mais, vous ne vous portez pas bien ? vous n’avez pas du tout bon visage aujourd’hui.

— Non, Capiton Timoféytch, c’est vrai, je ne me sens pas bien.

— Qu’est-ce qui vous arrive ?

— Écoutez, Capiton Timoféytch, il y a quelques jours, j’allai à la ville, j’achetai des meules et je les amenai à la maison ; quand je dus les décharger dans ma cour, je voulus agir à peu près seul ; j’y mettais toutes mes forces ; et voilà que dans mes entrailles, je ne sais, quelque chose s’est rompu ou dérangé… Que vous dirai—je ? depuis ce maudit quart d’heure, je n’ai plus de force, et aujourd’hui je suis souffrant et bien souffrant.

— Hum ! fit Capiton en absorbant une triple prise de tabac et en regardant fixement le plancher, ça doit être une hernie. Et y a-t-il longtemps que cela est arrivé ?

— Il y a neuf jours.

— Neuf jours !… L’ancien infirmier ouvrit de grands yeux effarés, retint son haleine et branla la tête… Voyons… Ils disparurent derrière une courtine ; en revenant de la, il ajouta : Mon pauvre Vacili Dmitrytch, j’en ai bien du chagrin pour toi, mais cela va très-mal ; tu es gravement malade, et tu ne dois pas songer à sortir d’ici ; j’y mettrai tous mes soins, mais je ne réponds de rien.

— Est-ce que je suis donc si mal, si mal ? demanda le meunier surpris.

— Oui, Vacili Dmitrytch, bien mal ; si vous étiez venu une couple de jours plus tôt, peut-être que je vous aurais enlevé cela avec la main ; maintenant il y a inflammation, et Dieu veuille que la gangrène ne s’ensuive pas.

— Impossible ! Capiton Timoféytch.

— C’est comme je vous le dis.

— Mais comment… comment ! et je dois mourir pour si peu ?…

— Je ne dis pas que vous mourrez ; je dis que vous devez ne plus bouger d’ici. »

Le paysan réfléchit, se gratta le front, regarda le plancher, puis nous, puis son bonnet, puis il se couvrit et se leva.

« Où allez-vous donc, Vacili Dmitrytch ?

— Où je vais ? Eh ! sans doute à la maison, puisque je suis si mal. Il faut bien, avant de mourir, faire quelques dispositions.

— Vous vous perdez, Vacili Dmitrytch ; sachez que je m’étonne beaucoup que vous ayez pu arriver jusqu’ici. Restez donc.

— Non, frère, non, Capiton Timoféitch ; s’il faut mourir eh bien, que ce soit chez moi ; si je meurs ici, Dieu sait ce qui se passera dans ma maison.

— On ne peut pas savoir, Vacili Dmitrytch, comment le mal tournera… sans doute, c’est dangereux, et même très-dangereux… c’est justement pour cela que vous devriez rester ici.

— Non, dit le meunier en branlant la tête, non, Capiton Timoféytch, je ne resterai pas… mais prescrivez-moi quelque chose à prendre.

— Les potions à elles seules n’y feront rien.

— Je vous dis que je m’en retourne là-bas décidément.

— Tu es le maître… malheureux, je tremble que tu ne te repentes trop tôt… »

Il arracha un feuillet du bel album, y écrivit une ordonnance, et ajouta de vive voix une foule de choses à faire. Le paysan prit l’ordonnance, donna à Capiton un demi-rouble[2], sortit de la chambre et parvint à se remettre dans son chariot avec l’aide de Capiton.

« Eh bien ! adieu, lui dit-il, gardez-moi bon souvenir, et ayez quelque souci des miens, si tant est…

— Ah ! Vacili, reste, reste ici, crois-moi. »

Le paysan branla la tête, toucha son cheval et sortit de la cour. J’allai dans la rue, et je le suivis de l’œil quelque temps. La route était boueuse et cahoteuse ; le meunier cheminait avec précaution et sans hâte, il dirigeait habilement son cheval, et à chaque cahot il avait soin de serrer la bride ; il saluait tous les passants… Trois jours après il n’était plus.

J’en reviens à dire que les Russes sont admirables dans leur manière de prendre la mort. Quantité de mourants assiègent à présent ma mémoire. Je te revois comme si tu respirais encore, mon ancien camarade Avenir Sorokooumof ! Tu n’étais pas parvenu à terminer tes études et à conquérir au moins le premier diplôme, la licence d’étudiant ; mais tu n’en étais pas moins un homme excellent et plein de noblesse. Je vois encore ton visage verdâtre aux pommettes rosées, ta grosse chevelure blonde, ton modeste sourire, ton regard émerveillé, tes longs membres osseux… j’entends ta voix faible et caressante. Tu habitais chez un seigneur Grand-Russien, nommé Gour Kroupianikof, tu élevais ses enfants, M. Fofa et Mlle Zeozia, leur enseignant la langue russe, la géographie et l’histoire. Tu prenais en patience la lourde gaieté de M. Gour en personne et les saillies de son intendant, et les espiègleries un peu fortes de deux élèves pleins de malice ; tu cédais aux exigences fantasques d’une mère que troublaient les vapeurs d’un incurable ennui, tu la satisfaisais non sans un amer sourire, mais sans ressentiment et sans murmure… Mais aussi, quand venait l’heure du repos, le soir, après souper, comme tu goûtais ce repos ! comme tu te sentais heureux d’être momentanément délivré de toute obligation, de toute contrainte, de toute tension d’esprit ! Oh ! alors, tu t’asseyais à la fenêtre, tu fumais ta pipe tout rêveusement, ou bien tu feuilletais une grosse livraison bien déprimée, bien malpropre, de quelque revue russe, apportée de la ville prochaine par l’arpenteur, encore un pauvre diable tel que toi. Comme tu goûtais alors toute pièce de vers, tout conte, toute nouvelle ! avec quelle facilité les auteurs de ces choses te faisaient venir les larmes aux yeux ! avec quel plaisir tu riais ! avec quel sincère amour des hommes, avec quelle noble sympathie pour le bon et pour le beau, ton âme pure et virginale s’enflammait à des fictions plus ou moins ingénieuses, plus ou moins empreintes de vraie sensibilité !

Il faut tout dire : tu ne te distinguais pas par une bien vive intelligence ; la nature t’avait doué de peu de mémoire, la force d’attention, la curiosité érudite te manquaient ; à l’université, tu étais réputé l’un des plus tristes étudiants ; aux leçons, tu dormais ; aux examens, tu gardais un solennel silence… Mais qui avait les yeux étincelants de joie, qui, au succès, au triomphe d’un camarade, perdait la respiration à force de bonheur ? c’était Avenir. Qui croyait aveuglément à quelque haute vocation de ses amis ? qui les prônait avec extase, les défendait avec emportement ? qui était entièrement étranger à l’envie, à la haine, à la vanité ? qui était prêt à s’immoler sans arrière-pensée ? qui se soumettait volontiers à des gens si loin de le valoir par le cœur et par le caractère ? Toujours toi, toujours toi, notre bon et cher Avenir !

Il m’en souvient, c’est avec un cœur brisé que, partant pour une condition[3], tu te séparas de tes camarades ; de fâcheux pressentiments te tourmentaient ; et, à la campagne, dans ta position dépendante, tu dois avoir eu bien du mal, car tu n’avais là personne à écouter avec une pieuse attention, personne que tu pusses admirer ou aimer ! Tous, stepniaks purs[4] et seigneurs terriers civilisés, ne voyaient en toi qu’un précepteur, un homme de rien ; les uns te parlaient grossièrement, les autres te parlaient peu ou point. Pour surcroît de malheur, tu manquais d’assurance ; tu tremblais, tu rougissais, tu te mouillais de sueur, tu bégayais ; tu perdais tout moyen de conquérir ta vraie place. L’air pur des champs n’a pas même eu la puissance de rétablir ta santé ; tu coulais comme une misérable chandelle de suif, mon pauvre ami ! Ta chambre s’ouvrait sur le jardin ; les merisiers, les pommiers, les tilleuls semaient sur ta table, sur ton écritoire, sur tes livres et sur tes papiers leurs fleurs légères ; à la paroi pendait un petit coussinet de soie bleu pour la montre qui, le jour des adieux, t’avait été donnée en souvenir par une bonne et sensible Allemande, gouvernante aux yeux bleus, aux longs repentirs blonds. Quelquefois tu avais la visite d’un ancien ami de Moscou, qui te jetait dans des extases infinies en te lisant des pièces de vers, dont quelques-unes étaient de lui-même ; mais l’isolement habituel, mais l’insupportable servitude de l’état d’instituteur, l’impossibilité d’en jamais sortir, mais les interminables hivers de neuf mois qui commencent et finissent dans la boue, mais une maladie persistante… Pauvre, pauvre Avenir !

Je me fis présenter à M. Gour Kroupianikof sans lui dissimuler que j’avais été attiré chez lui par mon désir de revoir mon ancien camarade d’université ; il ne m’accompagna pas, mais il eut la complaisance de me faire conduire à la chambre d’Avenir Sorokooumof. Hélas ! cette visite eut lieu bien peu de temps avant sa mort ; il ne pouvait déjà presque plus sortir. M. Gour ne l’avait pas chassé de sa maison, mais il avait cessé de lui donner aucun appointement ; c’est qu’il avait loué un autre précepteur pour Zeozia… Fofa avait été mis au corps des cadets.

Avenir se tenait près de sa fenêtre, enfoncé dans un vieux fauteuil à la Voltaire. Le temps était superbe. Un ciel d’automne étendait joyeusement son azur sur une ligne rouge et sombre de tilleuls dépouillés de leur feuillage, dont les restes, déteints en un beau jaune d’or, grelottaient sans force du côté opposé au nord. La terre, mordue déjà plusieurs fois par les gelées blanches, transpirait sous chaque rayon de soleil. Ces rayons obliques et vermeils se glissaient, rampaient à travers les herbes pâlies ; un faible et mystérieux craquement se faisait entendre par intervalles dans l’air animé de temps en temps par les voix fortes et distinctes des gens qui travaillaient dans le jardin. Avenir était enveloppé d’un vieux khalatt[5] boukhare ; un mouchoir vert qu’il avait au cou jetait une teinte cadavéreuse sur son visage jaunâtre et desséché. Ma venue lui causa manifestement un grand plaisir, il me pressa la main., parla et se prit à tousser. Je le calmai, je m’assis tout près de lui… Il avait sur les genoux un cahier des poésies de Koltsof, calligraphiquement copiées ; il frappa de la main en souriant sur ce cahier :

« Voilà un poëte ! » bégaya-t-il en contenant avec peine un accès de toux, et il avait une mortelle envie de me déclamer de sa voix à peine intelligible :


Ou le faucon a les ailes liées,

Ou les chemins de l’univers

Lui sont ouverts.

Je l’arrêtai : le médecin lui avait défendu de parler. Je savais le moyen de lui faire plaisir. Jamais Sorokooumof n’avait, comme on dit, suivi la marche du savoir humain dans ses progrès, mais c’était une de ses fantaisies d’entendre raconter jusqu’où les plus grands esprits étaient parvenus, dans leur carrière. Il lui arrivait autrefois d’accrocher un camarade, de l’emmener un peu à l'écart, et de le questionner avec une naïveté charmante. Et cet étudiant, que la voix du savant professeur et que tout livre d’érudition endormait fatalement en quelques minutes, écoutait, admirait, croyait sur parole un étudiant de son âge, et pouvait longtemps, rendre compte de tout ce que le jeune homme lui avait dit, et presque dans les mêmes termes. La philosophie allemande avait particulièrement un grand attrait pour lui.

Moi, lui sachant ce faible, et dans l'unique intention de complaire au pauvre malade, je me mis à lui parler comme un fervent disciple d’Hegel (on me croira facilement, si j’affirme ici que Hegel et ses doctrines n’ont jamais eu mes hommages). Avenir approuvait par des mouvements cadencés de la tête, haussait les sourcils, souriait, marmottait : « J’y suis, j’y suis, je comprends ; grandes idées, oh ! grandes idées !… » Cette curiosité enfantine d’un mourant, d’un pauvre hère isolé, exposé chaque jour à être mis à la belle étoile, à mourir sur les chemins… cette ingénuité d’un être si malheureux, m’émurent jusqu’aux larmes. Je ferai observer à mes lecteurs qu’Avenir, à l’opposé de la grande majorité des poitrinaires, ne se faisait aucune illusion sur son mal et ses suites ; et pourtant il ne soupirait point, ne tombait point dans l’abattement, et jamais ne faisait la moindre allusion à son état. Ce n’est que plus tard qu’on reconnut qu’il en avait pleine conscience.

La joie lui ayant rendu quelques forces, il put sans fatigue me parler de Moscou, de nos anciens camarades, de Pouchkine, du théâtre, de la littérature russe ; il rappela nos déjeuners, nos réveillons, les chaudes discussions de notre petit cercle, et il prononça avec le plus tendre sentiment les noms de quelques amis défunts,…

« Tu te rappelles Dacha ? ajouta-t-il enfin ; celle-la avait de l’âme ! oh ! c’était un cœur d’or ! Et comme elle m’aimait ! Que sera-t-elle devenue ? sûrement, après mon départ, elle aura desséché, dépéri, la pauvrette ! »

Je n’osai priver le malade de son illusion sur l’attachement de Dacha pour lui. Le fait est que la belle jouit d’un merveilleux embonpoint, qu’elle est en relation avec des marchands barbus, la maison des frères Koudatchkof et Cie ; qu’elle emploie la céruse et le carmin, qu’elle a le verbe très-haut, l'air insouciant et dégagé, et qu’elle ne se prive pas plus d’un bijou pour sa parure que d’un équipage pour ses promenades.

Cependant, pensai-je en regardant le marasme, l’état d’épuisement de mon ancien camarade, ne pourrait-on pas le tirer de cette maison où il a tant souffert, et où il a la perspective de neuf mois à passer dans une véritable casemate ? Peut-être n’est-il pas incurable. J’abordai la question d’un changement de lieu, mais il me devina et ne me laissa pas même en venir à une proposition formelle.

« Non, frère, merci, me dit-il avec un mélange de sensibilité et de résolution ; il importe peu ou l’on meure… Eh ! tu vois bien que je n’irai pas jusqu’aux neiges ; quel besoin donc de causer à autrui d’assez grands embarras ? Je suis accoutumé à cette chambre et à ce fauteuil. J’ai supporté les gens d’ici ; il faut à présent qu’ils me supportent. Ils ont été, huit ans, pour moi assez…

— Méchants, méchants, n’est-ce pas ? ajoutai-je interrogativement.

— Méchants, non… Ce sont de vraies bûches qui veulent briller et flamber, et qui ne seraient plus si le feu venait a elles ; je ne peux pas me plaindre que des bûches soient bûches, ce serait ridicule. Nous avons des voisins… M. Kafsatkine a une fille bien élevée, aimable, une très-bonne demoiselle, exempte de tout orgueil… elle… »

Sorokooumof eut une quinte de toux, puis, malgré mes défenses, il reprit : « Tout cela ne serait donc rien, si l’on voulait seulement me laisser fumer une pipe… Mais mon parti est bien pris ; je ne mourrai pas sans en avoir passé mon envie, et cela dès ce soir, ajouta-t-il en clignotant d’un œil avec une malice infinie. Dieu soit loué, j’ai vécu ; je ne suis pas là sans avoir connu quelques honnêtes gens…

— Fort bien ; mais je t’engage à écrire sans plus tarder aux quelques membres de ta famille qui te portent de l’intérêt.

Écrivez à vos parents, c’est ça, c’est ça. Eh ! cher ami, qu’est-ce que je leur écrirais donc ? Ils ne peuvent ni m’assister ni encore moins se déplacer ; je mourrai ici ; sois sûr qu’on me portera en terre et qu’on y mettra tout l’empressement possible. Mes parents finiront bien par savoir tout cela ; est-ce la peine d’en parler ?… Raconte-moi plutôt un peu ce que tu as vu à l’étranger. »

Je m’empressai de lui faire des récits compliqués pour qu’il restât silencieux. Il me dévorait des yeux. Le soir venu, je partis. Neuf jours après, je reçus de Gour Kroupianikof une lettre cachetée de noir et conçue ainsi :

« Celle-ci n’est à autre fin que de vous informer, mon cher monsieur, que votre ami, l’étudiant qui demeurait chez moi, M. Avenir Sorokooumof, jeudi dernier, 4 du courant, à deux heures après-midi a rendu son âme à Dieu, et que, ce matin, il lui a été fait des funérailles convenables, à mes frais, par les soins de mon intendant, dans mon église paroissiale. Il m’avait fait prier de vous faire tenir les livres et cahiers dont la poste vous annoncera sans doute aujourd’hui l’arrivée. Il s’est trouvé dans ses tiroirs la somme de 22 fr. 50 kop., qui, joints à ses autres effets, vont être expédiés à ses proches. Votre ami a gardé toute sa tête jusqu’au bout, et, pour dire la vérité, il est mort avec une entière insensibilité, ne témoignant aucune espèce de regret, même au moment où nous nous sommes tous trouvés réunis en famille pour lui faire nos adieux. Cléopatre Alexandrovna, mon épouse, vous salue. La mort de votre ami lui a beaucoup agacé les nerfs ; quant à moi, je gouverne bien ma santé, et j’ai l’honneur de rester

« Votre très-soumis serviteur,
« Gour Kroupianikof. »

Beaucoup d’autres exemples sont là pour confirmer ma thèse, et je n’aurai pas l’indiscrétion de vous en faire subir la lecture, sauf pour une femme, lecteur, pour une femme ; je serai bref. ·

Une bonne vieille dame campagnarde mourut en ma présence. Le prêtre, debout à son chevet, récitait les prières des agonisants ; l’assistance écoutait avec recueillement, la moribonde était immobile ; tout à coup il y eut interruption ; l'officiant avait cru remarquer que la mourante s’éteignait, et vite, vite, il lui imposa la croix. La dame se retourna mécontente :

« Où vas-tu si vite, bateouchka (père) ? murmura-t-elle d’une langue déjà paralysée ; sois tranquille, tu arriveras… »

Elle plongea la joue gauche dans l’oreiller, fit ce qu’elle put pour fourrer la main dessous, et, dans cette position, exhala le dernier soupir.

Sous l’oreiller se trouvait un écu ; c’est cette pièce qu’elle voulait atteindre à son dernier moment pour payer de sa propre main la prière suprême.

Oui, les Russes ont une manière à eux de mourir.

  1. L’absence de la neige est une calamité en Russie, où le traînage est le grand moyen de communications ; la neige est d’ailleurs un correctif nécessaire aux rigueurs de l’hiver russe. L’auteur, faisant allusion aux dévastations imprévoyantes que les paysans commettent habituellement dans les forêts, signale ici en note comment les forêts se trouvent, sur certains points, préservées par l’intervention religieuse. Quoi qu’il existe un institut forestier, cette institution, de création récente et encore peu développée, n’a pas une grande efficacité, appliquée sur une aussi vaste surface que la Russie. Voici la note de l’auteur : « Dans l’hiver de 1840, le froid, d’abord très-vif, devint désastreux par son intensité, faute de neiges ; il ne neigea pas avant le 29 décembre. La végétation fut mortellement atteinte ; beaucoup de magnifiques chênaies ont succombé sous cette cruelle intempérie ; il est au moins douteux que ce désastre soit jamais réparé ; la vertu productive de la terre s’est manifestement affaiblie : dans les bois bénits situés à distance de toute habitation, que l’Église même a rendus saints par ses processions sous les bannières, ses aspersions et ses images vénérées portées à l’entour, au lieu des nobles baliveaux d’autrefois, on voit des bouleaux et des pins intrus… Mais jusqu’à présent chez nous on s’en rapporte à la terre du soin de se reboiser. »
  2. Deux francs.
  3. Pour occuper un emploi, remplir quelque fonction chez un particulier.
  4. Stepniak, campagnard du voisinage des steppes, et qui vit exclusivement de la vie locale, sans se soucier des grandes villes.
  5. Sorte de robe de chambre.