Mémoires de Cora Pearl/5

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V

UNE MIOCHE QUI A LE SENS PRATIQUE


J’avais remarqué une maison garnie habitée par des commis et des ouvrières. Cette sorte d’hôtel n’était pas éloigné de la prétendue pâtisserie où l’on m’avait conduite. Je pensais qu’avec de l’argent on trouvait toujours un gîte. Je n’étais pas riche, mais enfin je possédais cinq livres ! un trésor ! J’allai donc trouver la gérante du garni, un type d’exhibition foraine, une colosse, qui se montra pour moi pleine de déférence, quand je lui eus déposé en mains plus ou moins propres, le prix exigé d’avance pour la location. Puis, j’achetai chez une revendeuse les vêtements qui m’étaient nécessaires ; le tout avec un sens pratique, qui me stupéfie aujourd’hui quand j’y pense. Avais-je du chagrin ? non : du regret peut-être. Avant tout, je me suis fait une loi d’être véridique. Je mentirais en disant que j’ai pleuré de la peine d’une séparation des miens. J’avais trop longtemps vécu loin d’eux, et force avait bien été, par suite des circonstances, de me regarder, à mon retour de Boulogne, comme une enfant de treize ans qui revient de nourrice.

J’aurais mieux aimé, en somme, le pensionnat que la famille : mais, tout inexpérimentée que j’étais, je sentais que l’indépendance était encore préférable à tout. Aussi n’était-ce pas sans une réelle satisfaction que je me disais : Je suis chez moi ! Je m’installai, au su et au vu des co-locataires, dont quelques-uns étaient à peu de chose près de mon âge. Ma chambre contenait tout juste un lit, une table, une petite armoire. Je ne pouvais plus compter que sur moi-même : je le savais, et j’envisageais la situation crânement, confiante dans la destinée. Je n’ai plus revu le loup de mon histoire, un marchand de diamants, paraît-il, qu’on nommait Saunders.