Mémoires de Cora Pearl/8

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VIII

EN PATINANT. — MORAY M’INVITE À L’ALLER VOIR À LA RÉSIDENCE. — UNE GRANDE DAME JALOUSE DE GALLEMARD.


Ce fut au Bois de Boulogne, en décembre, par quatre degrés au-dessous de zéro que je fis la connaissance de Moray, en patinant. Je disparaissais sous les fourrures. Moray vint me parler.

— Cora sur la glace ? me dit-il, quelle antithèse !

— Eh bien, fis-je, puisque la glace est rompue, offrez-moi un cordial.

— C’est tout mon désir.

Nous entrâmes dans le café. Ensuite il me prit par le bras, et m’entraîna sur le lac à quelque distance.

— J’espère, me dit-il, que vous voudrez bien venir à la Résidence.

Il avait, en effet, une résidence, et je m’y rendis deux jours après. C’était une maison immense, à double compartiment. Dans le plus grand, toute la France, plus ou moins heureusement représentée, je ne parle qu’au physique. Des tournures faites au moule, des favoris côtelettes, des moustaches cirées : — énormément de moustaches cirées : — et aussi des échalas étayant des tonneaux ; tout un déballage d’infirmités assorties, borgnes, bancals, bossus, une Cour des Miracles. Je ne m’arrêtais jamais la, bien que de l’autre compartiment de la demeure une porte de communication me permît de contempler ce spectacle plus assourdissent encore que celui de la Bourse aux heures de combat.

Moray me fit cadeau d’un arabe blanc, que je montai, depuis, assez souvent. Il paraît que je n’avais pas trop mauvaise grâce, car le donateur, qui occupait dignement sa place au Jockey, me fit ses compliments et me demanda qui j’avais eu pour maître.

— Personne, lui répondis-je. La première fois que je suis montée, j’ai loué un cheval chez Latry, et je suis allée au Bois avec une camarade. Je n’ai appris ni à monter ni à conduire. C’est dans le sang.

Quand je me rendais à la Résidence, je prenais un escalier dérobé. Mon hôte réalisait le type du parfait gentilhomme. Parfois il semblait s’abandonner, mais il se retrouvait toujours. Nul mieux que lui ne tournait un compliment ; mais ses compliments n’étaient jamais fades : il avait horreur de la banalité. Il savait mettre de l’obligeance jusque dans le reproche ; et il y avait plaisir à être grondée par lui. Il était de ceux qui ne vieillissent pas, et qui demeurent toujours vivants dans le souvenir. Adorateur passionné des arts, le théâtre l’intéressait particulièrement. Il avait un culte pour Musset : et cela n’étonnait personne. Qui se ressemble, s’estime. Il eût écrit une comédie entre une réception diplomatique et un discours officiel. Le plus agréable passe-temps, quand il restait chez lui, c’était, à ces chers instants qu’il m’était donné de le voir, de l’écouter avec son intarissable verve, ses railleries délicates, ses critiques fines et sans prétention. Il était charmant, assis au piano, avec son costume en velours violet. Il jouait avec beaucoup de sentiment, et chantonnait avec un goût exquis.

Une « grande dame » ne lui pardonnait pas sa courtoisie à mon égard. « Pourquoi donc, demanda-t-elle un jour à la duchesse de Harling, Cora Pearl ne me salue-t-elle pas ? » Elle était jalouse de moi et de Gallemard. Moray subissait le contre-coup de cette antipathie.