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Mémoires de la société géologique de France/1re série/Tome I/12

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N° XII.


COUP-D’ŒIL D’ENSEMBLE


SUR LES CARPATHES, LE MARMAROSH, LA TRANSYLVANIE,


ET CERTAINES PARTIES DE LA HONGRIE,


RÉDIGÉ, EN GRANDE PARTIE, D’APRÈS LES JOURNAUX DE VOYAGES DE FEU M. LILL DE LILIENBACH ;


PAR M. A. BOUÉ.



Les chaînes de la Hongrie et de la Transylvanie sont très curieuses à étudier, soit à cause des directions différentes de leurs crêtes et de leurs couches, soit à cause de la position de ces pays au-devant de la bifurcation des Alpes orientales.

La chaîne alpine, qui, du col de Tende jusqu’en Styrie et en Autriche, forme une seule muraille courbe, se partage en deux parties distinctes sur les confins de la Styrie occidentale et de la Carinthie. Cette division, en portions méridionale et septentrionale, a lieu sur l’axe central même de la chaîne ; elle y produit un angle très ouvert, et donne lieu à deux systèmes de vallées longitudinales. La branche centrale méridionale, courant environ du nord-ouest au sud-est, se prolonge depuis la Carinthie et la Styrie, entre les vallées longitudinales de la Drave et la Save ; en produisant, en Croatie, en Slavonie et Syrmie, des groupes isolés de montagnes, tandis que ses crêtes secondaires s’étendent de la Carinthie et de la Carniole, dans la Croatie méridionale, la Bosnie et la Servie, et se lient aux dépôts semblables du pied nord du Balkan[1]. La branche centrale des Alpes, qui se dirige au nord-est, sépare la Styrie orientale d’avec la basse Autriche ; puis ce dernier pays d’avec la Hongrie, et se prolonge dans les montagnes appelées vulgairement les monts Carpathes ou Crapacks.

Cette dernière chaîne[2] se subdivise en plusieurs groupes naturels qu’aucune carte n’a reproduits jusqu’ici fidèlement. Les erreurs du tracé topographique sont si nombreuses, même dans les meilleures cartes, qu’on doit attendre avec bien de l’impatience la publication des relevés exécutés par le bureau topographique militaire de l’Autriche. Ces beaux travaux inédits donnent une tout autre idée de la chaîne des Carpathes, et changent la position de beaucoup de lieux et de rivières, et surtout la configuration du pays, de manière que cette dernière ne se trouve plus en désaccord avec la constitution géologique du sol. On y voit en particulier plusieurs chaînes coupées transversalement par des rivières occupant d’étroits défilés marqués sur les cartes comme des vallées.

Les Carpathes sont composées d’une série continue de montagnes, ou forment une chaîne, proprement dite, qui renferme ça et là des îlots ou groupes particuliers de montagnes. Parmi ces derniers, le Tatra occupe le premier rang, soit par son élévation, soit par le rôle important qu’il joue. En effet, c’est lui qui permet de partager les Carpathes en chaîne occidentale et chaîne orientale. La chaîne occidentale se divise à son tour en deux masses principales, les monts Beskides et les petites Carpathes. Les premières montagnes s’étendent du Tatra, ou plutôt du Donajec, vers Teschen et Silein, et de là vers Wisowitz, Trentschin et Jablonicz ; leur partie septentrionale prend aussi, sur quelques cartes, le nom de montagnes de Jablunka. Les petites Carpathes forment un groupe particulier à l’extrémité méridionale des Beskides, ou plus exactement des monts Welka-Jaworna. Cette petite chaîne, portant aussi le nom de groupe de Posing ou de Weterlingberg, se prolonge jusqu’au Danube, entre Presbourg et Theben ; elle comprend géologique nient les coteaux élevés entre Haimburg et le Leytha, et se lie à la chaîne alpine de schistes cristallins du Rosaliengebirge, au moyen du noyau primaire des montagnes du Leythagebirge ; ce n’est, en un mot, qu’un prolongement d’une des bifurcations de la grande chaîne centrale des Alpes.

La chaîne orientale des Carpathes, ou les Carpathes proprement dites, s’étendent presque jusques aux frontières de la Moldavie, et se lient intimement au groupe de schistes cristallins qui sépare la Bukowine du Marmarosh, et à la grande chaîne qui sert de limite naturelle à la Moldavie et à la Transylvanie orientale. Ces dernières montagnes ne partagent la dénomination de Carpathes que faute d’un nom générique particulier.

Dans l’immense espace compris dans le grand arc de cercle décrit par les Carpathes ainsi limitées, se trouvent plusieurs chaînes et groupes de montagnes.

La plupart des chaînes sont évidemment des prolongemens de la bifurcation septentrionale du système des Alpes ; telles sont les montagnes de schistes cristallins qui bordent la vallée de Nyitra ; celles de même nature entre les vallées du Gran et du Sayo ; la chaîne de calcaire secondaire qui borde la rive occidentale du lac Balaton, et qui se prolonge jusque sur les flancs des dernières montagnes mentionnées. La direction du sud-ouest au nord ouest est commune à toutes ces chaînes.

Les groupes de montagnes sont de deux espèces ; les unes sont des massifs granitiques ou schisteux, et les autres porphyriques ou trachytiques. La première classe comprend le Tatra avec ses dépendances méridionales, formant les crêtes de Prassiva, Kralova-Hola, etc. Une cavité comblée par du calcaire et du grès secondaire récens, sépare ces deux masses, à l’ouest desquelles s’élève le petit groupe du Fatra, et plus au nord-ouest, surgissent les granites entre Parnicza et Varin, tandis que des éruptions serpentineuses sont sorties à l’est autour de Dobsina. La direction des crêtes de ces montagnes contraste avec celle des chaînes dont je viens de parler, mais ce contraste est encore bien plus frappant, quand on leur compare les traînées de dépôts trachytiques qui se prolongent à peu près du nord au sud dans les groupes d’Eperies, du Matra, de Dregely, de Bude, et même de Schemnitz. Cette direction nord-sud se retrouve encore dans la grande chaîne trachytique, qui sépare, en Transylvanie, la vallée du Szecklerland du reste de ce pays.

D’une autre part, les groupes de montagnes porphyriques ont l’air de suivre une direction de l’ouest à l’est ou de l’ouest-nord-ouest à l’est-sud-ouest. Les montagnes de Schemnitz seraient, dans ce cas, ainsi que celles entre la vallée d’Ipoly et de Watz, et surtout les hautes crêtes qui séparent la Transylvanie du Marmarosh, et contribuent avec le grès carpathique à former de cette dernière province un bassin séparé. Enfin, les amas porphyriques du sud-ouest de la Transylvanie offrent aussi à peu près cette direction.

Pour achever l’énumération de toutes les chaînes de la Hongrie et de la Transylvanie, il ne me reste plus qu’à parler de celles qui séparent la Transylvanie de la Hongrie, du Bannat et de la Valachie, et qui forment de cette principauté un pays géographiquement et géologiquement bien circonscrit.

La chaîne valaque de la Transylvanie méridionale, quoique assez élevée, n’a pas de nom particulier ; certains auteurs lui ont donné celui de chaîne de Fagaras, parce qu’on peut bien juger de son étendue depuis le bourg de ce nom, situé dans une vaste plaine sur son pied septentrional. Cette chaîne de schistes cristallins court de l’ouest-sud-ouest à l’est-nord-est, ou comme les Alpes allemandes orientales ; elle forme des angles fort prononcés, soit avec la chaîne Moldave-transylvaine, soit avec celle qui limite la Transylvanie occidentale.

On pourrait se demander si cette chaîne ne serait pas une dépendance géographique ou même géologique de la branche centrale des Alpes méridionales, et si on ne devrait pas la considérer comme un des embranchemens d’une seconde bifurcation des Alpes dont l’autre crête serait formée par le Balkan.

Il est difficile de répondre affirmativement à cette question, tandis que l’état de nos connaissances nous force encore à beaucoup de réserve pour le classement de la chaîne schisteuse cristalline qui sépare la Transylvanie de la Hongrie et du Bannat. Cette chaîne, plus ou moins mal figurée sur toutes les cartes, commence dans le Bannat, diminue en largeur en allant du sud au nord, et court du sud-sud-ouest au nord-nord-est, ou au moins du sud-ouest au nord-est. On avait cru jadis qu’elle se prolongeait du Bannat jusqu’au Balkan par les confins de la Servie et de la Valachie, mais M. de Hauslab a rectifié cette erreur, et a trouvé qu’à un petit nombre de lieues au sud d’Orschova, sur le Danube, il n’y avait plus que des collines tertiaires.

D’après ce que je viens de dire, la Hongrie et la Transylvanie se trouveraient comprises en entier dans la bifurcation orientale des Alpes, espèces de murailles qui se lient au moyen de la chaîne transylvaine moldave, et qui circonscrivent plusieurs chaînes moins considérables, dont l’une divise la Hongrie en deux immenses bassins tertiaires, de formes quadrangulaires, et dont la plus singulière sépare la Transylvanie de la Hongrie.

D’une autre part, le pays carré de la Transylvanie est séparé du Marmarosh par de hautes crêtes en partie porphyriques, et est divisé en Transylvanie proprement dite, et Szecklerland, ou pays des Hongrois-Szecklers, au moyen d’une grande chaîne trachytique.

Je passe maintenant à l’étude comparative des directions des chaînes, de leurs vallées et de leurs couches. La direction des couches des chaînes de montagnes est généralement parallèle à la direction de celles-ci ; cet axiome trouve souvent son application en Hongrie et en Transylvanie, mais il y a aussi des exemples du cas contraire. En commençant par les montagnes de schistes cristallins, dans ce dernier pays, les masses composant la chaîne valaque ou de Fagaras courent de l’ouest-sud-ouest à l’est-nord-est, comme ces montagnes ; les couches de la chaîne occidentale de la Transylvanie paraîtraient avoir la direction du sud-est au nord-est, tandis que la chaîne court du sud-sud-ouest au nord-nord-est ; mais il faut avouer que l’étude de cette chaîne est restée imparfaite. Dans la chaîne schisteuse de la Bukowvine, de la partie nord-est de la Transylvanie et de la Moldavie, la direction générale des crêtes étant du nord-ouest au sud-est, on a reconnu que les couches couraient, tantôt du nord-ouest au sud-est, tantôt du nord-est au sud-ouest, ou du nord-est-nord au sud-ouest-sud, et çà et là d’ouest-nord-ouest à est-sud-est.

Dans la Hongrie occidentale, d’après un petit nombre d’observations, les couches schisteuses anciennes courent à peu près comme celles des Alpes et de la Transylvanie méridionale, c’est-à-dire de l’ouest-sud-ouest à l’est-nord-est, la direction des montagnes étant du sud-ouest au nord-est.

Le grand système secondaire des Carpathes présente un des exemples les mieux caractérisés d’une chaîne décrivant une grande courbe, car le groupe cristallin du Tatra est évidemment le point de départ de masses dirigées dans des sens totalement opposés. Toutes les couches tertiaires et secondaires à l’ouest ont la direction du nord-est au sud-ouest, tandis que celles à l’est prennent la direction du nord-ouest au sud-est.

Les chaînes, les principales vallées ou les grandes rivières se conforment entièrement ces deux espèces de stratification, et ce dernier caractère se trouve le même lorsqu’on vient à examiner sous ce rapport les autres chaînes dont je viens de parler.

Ainsi les chaînes des petites Carpathes et des Beskides sont séparées, à l’ouest, des schistes cristallins de la Bohême et des grauwackes des Sudètes, par les vallées longitudinales de la March et de l’Oder supérieur, sillons qui courent du sud-ouest au nord-est, et qui ne sont que le prolongement de celui qu’occupent le Leitha et la Mur dans l’extrémité des Alpes d’Autriche. Plusieurs parties des affluens de ces rivières occupent aussi des vallées parallèles, telles que la Miava, le Raab, le Thurocz, le torrent débouchant à Hradisch. Sur le versant opposé de ces chaînes, le Waag, l’Arva, le Zsilincza, le Nyitra, le Thurocz, le Gran, l’Ipoly, le Sayo, le Bodrog de Zemplin à Keresztur, une partie du cours du Bodva et du Torna, etc., enfin le Theiss de Poroszlo à Salomon, occupent en grande partie des vallées longitudinales qui ont la même direction.

Les Carpathes orientales, courant du nord-ouest au sud-est, sont bordées au nord par les vallées longitudinales du Dniester, du Pruth, du Sereth, du Sutsava, du Moldava, du Bisztricz et du Tatros ; tandis que sur le côté opposé coulent dans la même direction le Theiss et ses nombreux affluens, l’Iza, le Viso, etc., le Szamos et les parties supérieures du Maros et de l’Aluta.

À côté de ce double système de direction, il est facile d’en tracer d’autres. Ainsi la partie supérieure des rivières du Waag, du Gran, du Szlatina, du Poprad, et de l’Hernat occupent les vallées longitudinales d’un système peu différent de celui des Alpes, et courant à peu près de l’ouest à l’est ou de l’ouest-sud-ouest à l’est-nord-est.

Des fentes transversales bien prononcées, ou des défilés y amènent ces rivières, comme cela se voit bien pour le Gran à Neusohl, et pour le Waag à Silein, et entre Varin et Turany, où le Tatra a été séparé violemment des montagnes de Varin. Ces fentes vont à peu près de l’ouest à l’est, comme la vallée de l’Ipoly entre Szecseny et Sagh, la vallée du Sajo au-dessus de Saint-Peter, le cours du Theiss près de Tharpa, les défilés occupés par le Danube, près de Vienne à Presbourg, entre Gran et Watz, ainsi qu’entre Weisskirchen et Orschova.

La Transylvanie nous présente aussi des exemples remarquables de changemens de directions dans le cours des rivières. Ainsi l’Aluta courant du nord-ouest au sud-est dans la vallée longitudinale du Szecklerland méridional, arrive par une crevasse courant du nord au sud, au pied de la grande chaîne de Fagaras, ce qui la force à suivre la direction de l’est à l’ouest ; mais bientôt cette rivière coule de nouveau du nord au sud en se rendant dans la plaine de la Valachie par la profonde crevasse, qui traverse toute cette chaîne au défilé de Rothenthrum.

D’une autre part, le Maros coulant d’abord, du sud-est au nord-ouest, dans la vallée du Szecklerland septentrional, franchit la grande chaîne trachytique des monts Keliman et Hargita par une fente étroite (entre Toplicza et Deda) courant de l’est à l’ouest, puis traverse obliquement le bassin tertiaire de la Transylvanie de manière que les parties supérieure et inférieure de son cours sont à peu près parallèles à la direction de la chaîne de la Transylvanie occidentale. Enfin un second défilé (entre Dobra et Lippa) courant de l’est à l’ouest à travers ces dernières montagnes, lui donne accès dans les plaines de la Hongrie, où il continue à couler dans la même direction jusqu’au Danube.

La rivière de Szamos n’arrive encore dans le bassin hongrois qu’à travers une fente qui coupe l’extrémité septentrionale de la chaîne sur les limites de la Transylvanie et de la Hongrie ; mais cette crevasse est dirigée du sud au nord ; le reste du cours de cette rivière ressemble à celui du Waag, en Hongrie : en effet, les deux branches, le Kis-Szamos et le Szamos, qui se réunissent au-dessus de Dees, coulent toutes deux dans un sillon longitudinal parallèlement à la chaîne hongroise-transylvaine, à l’exception de la partie supérieure du grand Szamos, qui est parallèle à la chaîne porphyrique des frontières septentrionales de la Transylvanie. De Dees à Restolcz une vallée transversale, courant du nord-ouest au sud-est, amène le Szamos jusqu’au pied de la chaîne hongroise-transylvaine, qui le force à suivre de nouveau la direction du nord-est au sud-est jusques auprès de Sibo, où s’ouvre le canal naturel d’écoulement des eaux du nord de la Transylvanie.

La disposition des vallées transversales est aussi très remarquable en Hongrie et en Transylvanie, car les directions de toutes semblent rentrer dans celles du sud au nord ou de l’ouest à l’est ; et si les rivières qui occupent ces vallées s’éloignent plus ou moins de ces deux directions, cette déviation momentanée ou locale ne paraît due qu’à la rencontre de quelques sillons longitudinaux d’une des chaînes principales courant du sud-ouest au nord-est ou du sud-est au nord-ouest, ou de l’ouest-sud-ouest à l’est-nord-est, et plus rarement du sud-sud-ouest au nord-nord-est.

Comme exemples des vallées transversales, dirigées du sud au nord, se présente presque tout le cours du Danube, de Vacz à Belgrade, celui du Theiss, depuis Poroszlo et toutes les rivières sillonnant les deux revers des Beskides et des Carpathes proprement dites, tels sont, sur le côté sud, certaines parties du Gran, le Tareza et l’Hernat, les affluens supérieurs du Bodrog et du Theiss, etc. ; et sur le côté nord, le Sola, le Skawa, le Raba, le Dunajec, le Wisloka, et une grande partie du cours des nombreux affluens du Dniester sur sa rive sud comme sur celle du nord.

La partie supérieure de la Vistule, du Dunajec, du Kiscucza et de l’Arva, présente des cas bien prononcés de ce passage d’une vallée longitudinale, courant du sud-ouest au nord-est, à un sillon dirigé du sud au nord ou du nord au sud.

Si nous passons du système occidental des Carpathes au système oriental, nous retrouverons une liaison semblable dans certaines grandes vallées longitudinales, courant du nord-ouest au sud-est avec d’autres sillons transversaux allant du nord au sud. Le Poprad en offre d’abord un exemple très frappant, parce qu’il se trouve sur la limite des deux directions générales des montagnes carpathiques et parce que c’est la seule rivière qui, prenant sa source sur le revers méridional des Carpathes, traverse toute la chaîne pour déverser ses eaux dans la mer du Nord. Or, ce n’est qu’au moyen d’une vallée longitudinale dirigée du nord-ouest au sud-est qu’il passe d’une vallée longitudinale dirigée dans un sens totalement différent à une fente courant du nord au sud. De plus, la vallée longitudinale qu’il occupe avant de se déverser dans le Dunajec, fait avec le sillon longitudinal, contenant cette dernière rivière, avant leur réunion, un angle qui est juste la somme de la différence de direction entre le système dirigé du nord-ouest au sud-est et du nord-est au sud-ouest. Le cours seul de cette rivière devait donc déjà suffire pour faire soupçonner dans les Carpathes deux grands systèmes opposés de direction.

Déjà plus à l’ouest l’on trouve des indices de ces deux séries de sillons dans le coude décrit par le torrent débouchant, dans le Dunajec, à Zabrzez ; dans les bifurcations du Raba, à Mszana-Dolna ; dans le confluent du Skawa et du Skawica, et dans celui du Koszarawy et du Sola. Dans ces quatre cas, un angle assez aigu est le résultat de cette rencontre.

À l’est du Poprad, de faibles traces du système du sud-ouest au nord-est se reconnaissent dans les coudes de la vallée de Kamenice, près de Neu-Sandec, dans ceux du Biala, au-dessous de Grybrow, du Ropa, au-dessus de Gorlice, et dans certaines parties du cours du San, au-dessus du Mrzyglod, de celui du Wiar à Ryboticze. Plusieurs afflueus du Dniester (Stry, Swica, Lomnica, Bystrica) et du Theiss coulent dans une direction à peu près semblable, mais toujours dans des vallées transversales, qu’on ne peut pas comparer aux autres, qui sont toutes longitudinales.

En poursuivant nos observations à l’est, nous trouvons dans le San, le Stry, le Topolya ou Opla, les extrémités supérieures du Czeremosz, de l’Ungh (le Lyutta, le Turia), du Latoreze (le Zsdenyava, le Szlanka), et même dans la plupart des extrémités des affluens du Theiss (le Repinska, le Tatabor, le Mokra, le Taracz, le Fekete-Tilza, etc.), une suite de sillons longitudinaux que ces rivières quittent brusquement pour prendre leur cours du sud au nord ou du nord au sud. Dans quelques rivières ce changement de direction a lieu plus d’une fois, comme dans le Dunajec, le Poprad, le Stry, etc.

Le changement de direction des canaux d’écoulement du nord-ouest au sud-est, pour celle de l’est à l’ouest, ne commence qu’en Bukowine, et devient fréquent en Moldavie et en Transylvanie, où il est ensuite difficile de distinguer toujours la dernière direction d’avec celle de l’ouest-sud-ouest à l’est nord-est. Une partie du cours des rivières de Moldava, de Bisztricz, du Tatros, du Maros (Passus Remeszel, et entre Dobra et Lippa), du Szamos et de l’Aluta, offrent des exemples de ce que j’avance, tandis que la direction ouest-sud-ouest à est-nord-est est bien manifeste dans les rivières de Kis-Kukullo et Nagy-Kukullo, qui traversent le sol tertiaire de la Transylvanie, dans les branches supérieures du Kis-Szamos, dans les fentes occupées par l’Aranyos et l’Ompoly, et dans le Eéjer-Koros, le Sebes-Koros et le Bisztra, qui coupent plus ou moins complètement la chaîne de la Transylvanie occidentale. L’avant-dernière rivière la traverse totalement entre Banfi-Hunyad et Feketeto, tandis que le lit du Fejer-Koros, de l’Ompoly et de l’Arany os n’y forment que des fentes partielles.

Les vallées courant du nord au sud ne redeviennent fréquentes que dans la Transylvanie méridionale et le Bannat, sur les deux versans de la grande chaîne de Fagaras.

En étudiant la chaîne occidentale de la Transylvanie en elle-même et dans son prolongement dans le Bannat, on y remarque aussi des sillons longitudinaux courant presque du sud-sud-ouest au nord-nord-est, et formant une portion du lit ou tout le lit de quelques rivières. Ainsi, son extrémité septentrionale se trouve entre les deux vallées longitudinales du Szilagy et de deux autres vallées qui viennent aboutir dans celle du Szamos, l’une à Sibo et l’autre à Tihoz. Les parties supérieures du Kraszina et du Sebes-Koros, certains affluens de l’Aranyos, le Reu-Schetz ou Reu-Mare-Strehl, le Bistra et même le Czerna dans le Bannat, sont encore dans des sillons longitudinaux. Toutes ces rivières les quittent ensuite pour prendre la direction de l’est à l’ouest. Près de son extrémité septentrionale, la chaîne en question montre une tendance à passer de la direction sud-sud-ouest au nord-nord-est, à celle du sud-ouest au nord-est, ce qui est indiqué par la direction du lit du Szamos, près de Nagy-Losna et par celui du Lapos, près de Groba.

Si l’on ajoute à cela quelques portions de vallées courant du sud-est au nord ouest, comme celles du Sebes-Koros au sud de Csucsa, du Fejer-Koros au nord de Koros-Banya, du Temes et du Bella-Reka dans le Bannat, on voit que la chaîne occidentale de la Transylvanie se présente avec des caractères très prononcés, qui y démontrent des fendillemens considérables dans divers sens, et probablement de diverses époques.

Enfin si nous considérons la chaîne valaque de la Transylvanie méridionale, nous retrouverons la même association de sillons divers. Ainsi, une série de vallées longitudinales courant d’ouest-sud-ouest à l’est-nord-est, borde ses deux revers. Celles sur le côté nord de la chaîne sont occupées par la partie supérieure du Nera, par le Reu Schetz, tout-à-fait supérieur (dans le Bannat), par le Reu, le Sztry, le Reu-Szaduluj, l’Aluta, le Burezen et le Fekete, tandis que sur le versant opposé on trouve les vallées correspondantes du Cserna supérieur, du Sill-Ramunyazka, du Sill-Unguraszka, du Latoricza, du Lotru et des affluens supérieurs du Boza. Toutes les autres vallées sont transversales, courent du nord au sud, ou rarement du nord-nord-ouest au sud-sud-est ; à mesure qu’on se transporte plus à l’est, leur direction se rapproche toujours plus de celle du nord-ouest au sud-est. En outre, il est remarquable d’observer la régularité avec laquelle cette chaîne est coupée en totalité par la réunion très fréquente et presque complète de deux vallées transversales, situées l’une sur un revers, et l’autre sur le côté opposé. Il se présente même quelques cas où le sillon transversal méridional et septentrional part de la même vallée longitudinale, comme par exemple dans le Sill et le Sebes ou Muhlenbach. Le cas extrême de fendillement se trouve dans la fente transversale complète, occupée par l’Aluta entre Rother-Thurmer-Pass et Rimnik.

En résumant ce que je viens de dire, et faisant abstraction de la direction des rivières dans les plaines, comme trop accidentelle, les montagnes de la Hongrie et de la Transylvanie indiqueraient des redressemens et des fendillemens ayant eu lieu du sud-ouest au nord-est, du nord-ouest au sud-est, de l’ouest-sud-ouest à l’est-nord-est, du sud-sud-ouest au nord-nord-est, et des fendillemens sans redressemens ou des failles produits en général du nord au sud ou de l’ouest à l’est. Parmi les directions de redressemens, les deux premières sont seules communes au sol schisteux primaire et aux couches secondaires, et même celle du sud-ouest au nord-est est plutôt rare dans les schistes anciens. D’un autre côté les fendillemens nord et sud paraîtraient correspondre avec l’apparition des roches trachytiques ou siénitiques, tandis que celles de l’ouest à l’est seraient très récentes ou quelquefois en relation avec l’apparition des porphyres métallifères. Les observations tendent à prouver que ces derniers sont sortis de terre après la formation crétacée ou au moins certainement après celle du grès vert, tandis que les éruptions trachytiques tombent dans la période tertiaire supérieure et les siénites probablement dans une des époques secondaires.

Il faut ajouter que dans les plaines alluviales et tertiaires de la Hongrie et de la Transylvanie, les rivières offrent encore les mêmes directions que dans les montagnes ; pour quelques unes, telle que l’Aluta, etc., cette particularité dépend probablement de fentes produites par suite de redressemens ; mais pour d’autres rivières, comme celles coulant dans la plaine orientale de la Hongrie, de l’est à l’ouest, etc., on ne peut guère se permettre cette idée, vu le peu de profondeur de leurs lits, et les variations qu’ils peuvent subir et ont subies, à cause de la parfaite horizontalité de ce pays bas et marécageux.

L’entrecroisement des systèmes a lieu surtout dans trois points, savoir : la rencontre des systèmes sud-ouest nord-est, et nord-ouest sud-est au centre des Carpathes septentrionales, surtout au-devant du Tatra ; celle des systèmes nord-nord-est sud-sud-ouest et ouest-sud-ouest est-nord-est dans la partie méridionale du Bannat ; celle du système nord-nord-est sud-sud-ouest et du nord-ouest sud-est, et probablement encore une autre entrecroisement sur les frontières de la Bukowine et du Marmarosch.

On ne peut guère préciser l’inclinaison générale des couches de chaque système de redressement, parce qu’on remarque à cet égard beaucoup de variations, et que d’ailleurs les observations à ce sujet ne sont pas assez nombreuses. Néanmoins, dans les Carpathes secondaires, l’inclinaison générale est au nord ouest ou sud-est dans la partie occidentale, où les couches courent du sud-ouest au nord-est, et au nord- est et sud-ouest dans la portion orientale, où les couches courent du nord-ouest au sud-est.

Les couches des monts Carpathiques, ainsi que les molasses déposées à leur pied, et roulées horizontalement ou sur un plan incliné, ont subi un refoulement, d’un côté du sud est au nord-ouest, et de l’autre du sud-ouest au nord-est, ce qui a produit une multitude de contournemens, d’inclinaisons opposées et de sillons longitudinaux. Les fentes transversales ont été formées, soit en même temps, soit plus tard.

Les masses des Carpathes appartenant au grand système crétacé de l’Europe méridionale, leur redressement tombe nécessairement dans l’époque tertiaire ; mais les couches de la molasse, surtout le pied nord des Carpathes, ont pris part à ces mouvemens de bascule ; donc cette révolution est au moins postérieure au dépôt du terrain tertiaire inférieur.

D’une autre part, les deux lignes de fracture, produites par ce redressement unique, ayant des directions diamétralement opposées, ou les Carpathes décrivant un arc de cercle, il faut reconnaître qu’un seul et même redressement a formé quelquefois des lignes de fractures non parallèles, puisque les molasses ont été aussi bien affectées par le mouvement du nord-est au sud-ouest, que par celui du nord-ouest au sud-est.

Les lignes de fractures du sud-ouest au nord-est appartiendraient, d’après M. de Beaumont, à une révolution antérieure à l’existence du grès vert ; et celles du nord-ouest au sud-est à une autre révolution entre la période du dépôt de la craie et la période des terrains tertiaires ; or, ni l’une ni l’autre de ces suppositions ne serait applicable au redressement plus récent des Carpathes. Bref, la structure de ces montagnes renverse à elle seule la doctrine du parallélisme de tous les redressemens d’une même époque, doctrine du reste déjà abandonnée par son auteur.

Pour déterminer l’âge des révolutions qui ont redressé les chaînes schisteuses, il nous manque des données suffisantes, car le sol crétacé n’en est pas séparé par des dépôts secondaires, et quelques uns de ces groupes ont pu subir les effets de plusieurs redressemens ; ainsi, si toutes paraissent avoir été bouleversées, au moins avant la période crétacée la chaîne primaire de la Bukowine et même le groupe du Tatra ont pu prendre part au mouvement de bascule qui a redressé les couches carpathiques. Le soulèvement de ces montagnes peut même nous indiquer la place des centres d’action. D’autres groupes ont pu subir partiellement les influences des éruptions tertiaires ; les observations devront être dirigées dans ce sens.

D’un autre côté, les chaînes de la Hongrie occidentale n’étant que le prolongement des Alpes, le calcaire jurassique et même des grès rouges couvrant quelquefois en stratification discordante le sol alpin ancien, on pourrait être tenté de placer l’époque de redressement des montagnes en question, du moins avant la formation des couches jurassiques et même de quelques grès rouges secondaires.

L’adoption de cette conclusion conduirait donc encore à une supposition incompatible, soit avec la doctrine du parallélisme, soit avec les déductions théoriques de M. de Beaumont. En effet, un redressement aurait été produit dans le même instant sur une ligne courbe allant de l’ouest-sud-ouest à l’est-nord-est, et ensuite du sud-ouest au nord-est. Or, d’après M. de Beaumont, la production de la première partie de ligne appartiendrait à une révolution de l’âge des dépôts d’alluvions, et la formation de la seconde ligne à une époque postérieure au dépôt du calcaire jurassique.

Enfin j’ai déjà essayé de rattacher les fendillemens dans les directions nord-sud, et est-ouest, à deux époques récentes d’activité plutonique.

Je passe maintenant à l’indication succincte des formations composant les Carpathes, le Marmarosch, la Bukowine et la Transylvanie.

Le sol ancien de la Hongrie septentrionale, entièrement situé au sud des Carpathes, est composé surtout de micaschiste, de schiste argileux et de roches quarzo-talqueuses ou chloriteuses. Ces dernières roches sont en apparence les schistes cristallins les plus récens, et çà et là des couches de calcaire compacte ou grenu s’associent même aux quarzites. Le gneiss est une roche comparativement rare dans la Hongrie ; il a souvent une tendance à passer au gneiss talqueux et environne certaines montagnes granitiques, telles que celles du Tatra-Velka, Tatra-Mala, etc ; dans ce dernier cas, la structure granitoïde du gneiss devient plus ou moins prononcée. Ce grand terrain sédimentaire modifié a été percé récemment, d’abord par des éruptions serpentineuses et diallagiques (Dobschau), puis par des siénites et des porphyres siénitiques souvent métallifères (Schemnitz), enfin par différentes éruptions trachytiques et ponceuses. (Pour plus de détails, voyez le Résumé du voyage en Hongrie de M. Beudant).

Les schistes cristallins sont recouverts en général par la grande formation du grès carpatique, terrain composé degrés, d’argile, de marne et de calcaire. Maintenant tous les géologues sont d’accord pour placer ce terrain en parallèle avec le grès vert, tandis que quelques uns seulement croient en outre reconnaître dans les masses inférieures, ou mon grès viennois, des dépôts jurassiques tout à-fait supérieurs. Ces derniers savans prennent un système de calcaire ammonitifère pour la ligne de démarcation entre le sol jurassique et le grès vert, tandis qu’ils font commencer ce dernier par des agglomérats particuliers et des couches à nummulites ou à gryphées colombes, roches existant au-devant du Tatra, près de Varin, à Orlova sur la Waag, etc.

Ce n’est que dans les Carpathes occidentales qu’on trouve des roches secondaires plus anciennes, interposées entre le grès carpatique et les schistes. Ainsi le calcaire jurassique des Alpes avec ses dolomies, ses roches bréchoïdes et ses corgneules, se prolonge des Alpes jusque dans le Tatra ; mais autour de ce dernier groupe, dans les montagnes du Tatra et de Varin, ainsi que dans les petites Carpathes, on a reconnu de plus entre le calcaire jurassique et le système schisteux des grès quarzeux rouges ou blancs formant toujours une petite épaisseur et se liant par alternance au calcaire qui lui est supérieur.

Enfin le grès secondaire récent des Carpathes occidentales est traversé sur le revers nord de cette chaîne par des filons de diorite. Ces masses se prolongent du nord-est au sud-ouest et ont l’air de remplacer les porphyres siénitiques qui se trouvent au sud des Carpathes, et dont je parlerai au long plus bas.

MM. Lill et Zeiszner ont encore reconnu près de Krocienko, en Gallicie, quelques petites buttes d’une roche feldspathique à cristaux d’amphibole, qui perce le grès carpatique et est accompagné de sources minérales et même de quelques minerais.

Le Marmarosch est occupé en grande partie par le grès carpatique dont les couches contournées et les fucoïdes sont, pour ainsi dire, les types caractéristiques. Entre cette province et la Bukowine s’élèvent des montagnes primaires peu connues, métallifères, et d’une hauteur assez considérable. Ce sont toujours les mêmes associations de roches schisteuses avec des masses granitiques et siénitiques, ainsi qu’une zone à bancs calcaires. (Voyez pour plus de détails le Journal de voyages de M. Lill.)

Comme le Tatra, ce groupe est flanqué des deux côtés par le grès carpatique dont le journal de M. Lill contient de nombreuses coupes fort instructives, soit pour la composition du dépôt, soit pour sa structure et les dérangemens qu’il a subis. M. Lill décrit pour la première fois les agglomérats et les calcaires à nummulites et à gryphées colombes du grès carpatique supérieur de la Bukowine. Cette relation géologique achève d’établir la plus grande ressemblance entre les Carpathes orientales et occidentales, et est intéressante en signalant l’extrémité septentrionale d’une formation, qui devient considérable dans la Transylvanie orientale.

La molasse borde tout le pied septentrional des Carpathes ; elle est formée des débris du grès de ces montagnes, et a participé aux mouvemens de bascule qu’elles ont éprouvé. Il n’est donc pas étonnant que la limite des deux formations ait été souvent mal déterminée ; d’ailleurs les alluvions et les vallées longitudinales viennent encore trop souvent ajouter aux difficultés qui se présentent au géologue classificateur.

Sous ce rapport et sous celui des relations de la molasse avec le grand terrain tertiaire salifère du pied des Carpathes en Gallicie, on lira avec intérêt les détails précis et officiels recueillis par M. Lill dans tous les lieux propres à éclaircir ces questions.

La Transylvanie est un grand bassin tertiaire, dont le fond ondulé peut avoir de 500 à 1,000 pieds de hauteur absolue, et qui n’est qu’une dépendance de celui de la Hongrie ; la communication entre les deux s’établit à l’extrémité nord-ouest de ce pays, au moyen de la vallée de la Szamos. D’un autre côté les bassins transylvain et hongrois n’étaient séparés que par de très petites langues de terre à l’ouest de Clauseuburg, ainsi qu’entre Koschova et Dobra, et même à la porte de Fer (Eisernesthor) entre la vallée de Hatszeg et les vallées de Bisztra et de Temes dans le Bannat. D’un autre côté la même chose arrive pour le bassin valaque dans la direction du défilé ou col bas d’Oytosch, et même près celui de Rothenthurm.

La grande chaîne de Fagaras qui borde le côté sud du bassin transylvain est formée par des schistes cristallins, surtout des micaschistes, avec quelques roches amphiboliques ; elle recèle des métaux, comme nous l’apprennent les observations d’autant plus précieuses de M. Lill, que ces montagnes sauvages sont difficiles à visiter.

Un grand terrain de micaschiste constitue en partie la chaîne occidentale de la Transylvanie, et se prolonge dans le Bannat, tandis que des roches semblables, associées à des gneiss indistincts, quelques amphibolites et quelques couches calcaires constituent sur la frontière moldave le prolongement de la chaîne primaire de la Bukowine.

Le terrain qui succède partout immédiatement au sol ancien, est le grès carpatique ; ce grand dépôt passe du Marmarosh dans la Transylvanie septentrionale en même temps que les couches semblables du revers septentrional des Carpathes se prolongent de la Bukowine en Moldavie, et dans toute la Transylvanie orientale.

Ce grès forme même à lui seul les montagnes qui séparent de la Moldavie et de la Valachie l’extrémité angulaire du sud-est de la Transylvanie. On le retrouve au pied de la chaîne de Fagaras, et surtout dans le coin sud-ouest du même pays, près des frontières du Bannat. Enfin, passant de là sous le sol tertiaire, il constitue au nord du Marosh jusqu’au-delà de l’Aranyosh, une vaste étendue de montagnes dans lequel il a été décrit toujours comme grauwacke.

Comme dans les Carpathes cette formation présente en Transylvanie différentes masses, ainsi les parties inférieures paraissent dominer dans le nord de ce pays et forment le noyau central des montagnes des bords de l’Aranyosh, tandis qu’autour de ce dernier groupe il y a un vaste système d’agglomérats et de calcaire bréchoïde ou à nummulites qui appartient au grès vert proprement dit. Ce dernier système est surtout extrêmement développé au sud de Cronstadt, où il forme des montagnes considérables, fort élevées, et flanquées contre les schistes cristallins de la chaîne de Fagaras.

Les détails et les coupes que M. Lill donne à ce sujet sont tout-à-fait nouveaux, et nous reportent dans les Alpes par la puissance des couches calcaires qui y est indiquée. Il y a eu là d’énormes charriages ; on y reconnaît les indices de quelque grande révolution, ou de quelque soulèvement de montagne, et vu le redressement des couches, ces amas de débris ont dû subir ensuite les effets d’une autre catastrophe non moins terrible.

Les mêmes roches agrégées et calcaires ont été retrouvées par M. Lill sur les frontières de la Moldavie et du nord-est de la Transylvanie, dans des lieux non encore visités par aucun géologue. Des gryphées colombes et des hippurites se rencontrent dans ces masses.

Enfin dans le sud-ouest de la Transylvanie, il y a plusieurs localités où des couches arénacées coquillières, en tout semblables à celles de Gosau, en haute Autriche, viennent se placer au-devant des derniers contreforts de la chaîne schisteuse ancienne.

Trois localités en ont été étudiées par MM. Fichtel, Partsch et moi, et il y en a probablement encore d’autres à découvrir ; car le sol tertiaire de la Transylvanie est composé surtout de molasse grossière ou argileuse, suivant les localités ; les masses du premier genre sont surtout reléguées dans le nord-est et le sud-ouest de ce pays, et tout ce dépôt se lie par le moyen de la vallée du Szamos avec la vaste zone de molasse argileuse, qui borde toutes les frontières occidentales de la Transylvanie, et se prolonge de la Hongrie dans le Bannat.

Ce terrain comprend de grandes masses d’argile, plus ou moins pures ou marneuses qui sont salifères ou gypsifères, ou renferment même des bancs de sel et rarement du gypse. C’est, en un mot, le même dépôt qu’en Gallicie, et on le retrouve encore dans le petit bassin du Marmarosch. C’est lui qui produit çà et là des étangs ou des mares plus ou moins saumâtres, en empêchant l’écoulement des eaux pluviales.

Jusqu’ici des coquillages fossiles n’ont été reconnus dans les couches salifères de Transylvanie qu’à Korond ; mais des bois bitumineux et même des impressions végétales y sont des accidens communs. Born cite aussi des coquilles dans le sel du Marmarosch.

L’ouvrage et la carte de Fichtel indiquent la plupart des localités les plus salifères et celles où sourdent les nombreuses sources salées ; et ses données montrent bien les rapports du terrain salifère avec celui de la Valachie, de la Moldavie et de la Gallicie[3], tandis que le journal de M. Lill nous met bien au fait de la position et de la structure de ces dépôts curieux. Ce dernier savant est surtout très explicite sur sa liaison intime du sol avec la formation d’agglomérats trachytiques de la Transylvanie orientale, et surtout avec un aggrégat trachytico-ponceux remanié, dépôt répandu dans presque toute la Transylvanie et existant même dans le Marmarosch.

Ces dernières roches sont fort curieuses, soit à cause de leur stratification parfaite et leurs impressions de feuilles de dicotylédone[4], soit à cause de leur ressemblance extérieure avec des marnes crétacées à particules vertes ou avec des magnésites. Ces ponces broyées, blanches, à lamelles de mica et à cristaux d’amphibole, offrent toujours des débris plus ou moins distincts de trachyte, ou de feldspath décomposé, et assez souvent verdâtre ; elles se rencontrent dans les bassins du Marosh, de l’Aluta, et même du Szamos, et proviennent indubitablement du grand groupe des montagnes trachytiques de la Transylvanie orientale.

Si les molasses ne sont guère coquillières en Transylvanie, et ne recèlent que çà et là quelques lits de mélanges de coquilles marines et d’eau douce ou simplement d’eau douce, elles sont recouvertes dans la partie méridionale et occidentale de la Transylvanie de couches très riches en fossiles marins et déjà figurés en partie par Fichtel. Dans le sud ce sont surtout des sables quarzeux-micacés çà et là coquilliers et quelquefois surmontés de calcaires arénacés, pétris de fossiles, comme dans la partie sud-ouest du pays ; rarement ces sables recèlent des mélanges de coquilles marines et d’eau douce, et en général tous ces fossiles, comme ceux de l’Autriche et de la Hongrie, ont plus d’analogie avec ceux de Bordeaux qu’avec ceux d’autres bassins de l’Europe.

Un dernier trait de ressemblance entre le terrain tertiaire de la Hongrie et la basse Autriche et celui de la Transylvanie, c’est l’existence de l’agglomérat et du calcaire à nummulites et à coraux dans ce dernier pays.

Ce dépôt quaternaire recouvre le sol subappennin ou salifère et n’en est séparé que par les sables et les calcaires arénacés sus-mentionnés. Il n’existe qu’en très petits lambeaux dans le sud de la Transylvanie, comme par exemple près de Rothenthurm, peut-être entre Illyefalva et Arapatak, etc. ; tandis qu’il est abondamment répandu à l’ouest, au sud-ouest et au nord-ouest de Clausenburg. Le long de la chaîne schisteuse de la Transylvanie occidentale, au nord de cette dernière capitale ; il forme même une étroite lisière, et constitue à lui seul des collines assez grandes entre Illonda, Dalmar et le mont Brosa.

Fichtel avait bien étudié aussi les fossiles de ces roches et en a figuré très bien les nummulites et surtout les énormes huîtres, qui restent répandues çà et là sur le sol, par suite de la désagrégation de ce dépôt, quelquefois peu épais. En résumé, il pensait qu’en Transylvanie les coquillages ne se trouvaient jamais au-dessus d’un niveau de quatre-vingts toises sur la plaine. (Voyez son ouvrage, p. 106).

Tous les dépôts tertiaires de la Transylvanie appartiennent donc au terrain subapennin et quaternaire, ou à la deuxième, troisième et quatrième époques de M. Deshayes. Les alluvions qui les recouvrent ne sont guère considérables que dans le bassin de l’Aluta, où ce sont surtout des cailloux et des graviers, tandis qu’ailleurs ce sont plutôt des argiles limoneuses, quelquefois à cailloux, et surtout en masses épaisses dans la partie inférieure du cours des grandes rivières, comme sur les bords du Szamos.

Le phénomène des blocs erratiques n’existe pas plus en Transylvanie qu’en Hongrie et en Gallicie, quoiqu’il y ait de grands amas de cailloux, dont la formation a dû exiger des mouvemens particuliers des eaux ou des révolutions hors du cours ordinaire des phénomènes de la nature.

Les porphyres de Transylvanie comprennent deux séries de roches, savoir : les porphyres siénitiques ou amphiboliques et moins fréquemment pyroxéniques ou à ouralite (M. Rose), et les porphyres quarzifères. Toutes ces diverses masses ne se trouvent accumulées ensemble que dans deux parties de la Transylvanie, sur la limite de ce pays et du Marmarosch ; elles forment une chaîne qui s’élève de 2 à 5,000 pieds et elles ressortent, çà et là, au milieu du grand massif de grès carpathique du sud-ouest de la Transylvanie.

Ces roches paraissent sorties de la terre à diverses époques ; mais, comme dans toutes les contrées volcaniques, il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, d’assigner un âge précis à chaque masse. Néanmoins dans chaque groupe il y a quelques caractères qui y indiquent au moins deux époques distinctes. Ainsi dans le nord de la Transylvanie le porphyre quarzifère pur ou amphibolique paraîtrait plus récent que le porphyre siénitique, qui y est presque seul métallifère.

Quant à la distinction du porphyre amphibolique et pyroxénique, elle est devenue une puérilité, depuis qu’on a des preuves pour attribuer la formation de l’amphibole et du pyroxène aux circonstances accessoires, auxquelles auraient été soumises à peu près les mêmes substances élémentaires. En effet on y voit ces deux minéraux alterner, pour ainsi dire, d’une masse ou d’une coulée, ou d’une portion d’un culot à l’autre, comme cela est bien visible près de Kapnik.

Dans le sud-ouest de la Transylvanie il y a aussi la même distinction à faire, avec cette différence cependant que la métallisation a eu aussi lieu quelquefois dans les porphyres quarzifères purs, comme par exemple à Vorospatak, et que les roches amygdalaires y sont plus fréquentes que dans le nord, et paraîtraient même plutôt liées aux roches pyroxéniques.

Les imprégnations métallifères sont partout du même genre, et présentent une foule de modifications, dont les extrêmes sont, d’un côté, une roche imprégnée de pyrites et traversée d’une multitude de fentes presque invisibles, et çà et là métallifères, comme par exemple à Nagyag ; et de l’autre, une roche traversée de fentes plus continues et dirigées plus régulièrement dans certains sens, et plus ou moins riches en matières exploitables ; tandis que sur leurs côtés la roche est traversée de réseaux de petits filons, en tout semblables aux fentes, elle est remplie de druses, et est imprégnée d’une plus ou moins grande quantité deminerais, comme à Nagybanya.

Il est inutile de répéter que c’est le gîte de l’or, du tellure, des pyrites aurifères, de la galène argentifère, de l’antimoine sulfuré, argentifère, capillaire, etc. ; mais ce qu’il importe de signaler, ce sont les décolorations acides que les masses porphyriques ont subies dans le voisinage des parties traversées par les sublimations métalliques. À cet égard je me flatte que mes notes, réunies à celles de M. Lill, ne seront pas lues sans quelque intérêt, et l’attrait devra augmenter encore par les détails que nous donnons sur les altérations manifestes subies par les grès carpathiques. En effet ces dernières roches sont non seulement décolorées et ça et là frittées, mais souvent encore les marnes sont réduites en roches jaspoïdes, comme le lias près du basalte, en Irlande (Lapos-Banya).

Ailleurs le porphyre empâte des fragmens de grès, de marne ou d’argile, comme le basalte traversant les grès bigarrés d’Allemagne (Nagy-Banya), et il va sans dire que ces débris sont plus ou moins modifiés.

Enfin les grès carpathiques participent même çà et là à l’imprégnation métallifère (Lapos-Banya), et lorsque l’altération a été portée à un haut degré, ces roches secondaires prennent des caractères tout particuliers de texture ou de porosité ; sous ce rapport on doit consulter notre description des environs de Vorospatak, et en général celle de tout le terrain arénacé environnant les porphyres en Transylvanie. On comprendra alors pourquoi des géologues justement célèbres ont si long-temps pris pour des grauwaches ou pour un terrain intermédiaire, des grès d’une époque secondaire si récente.

Comme dans les Apennins, le grès carpathique a été soumis, çà et là, à une grande altération ignée, qui s’est opérée lentement et qui a durci les roches, ou forcé leurs parties élémentaires à prendre en tout ou en partie un arrangement semi-cristallin. Les argiles schisteuses sont devenues des schistes grossiers ou des espèces de schistes siliceux, quelquefois même il s’y est déposé des filets de cinnabre, comme à Dombrava ; tandis que dans les Apennins, le voisinage des Serpentines y a donné lieu à la formation du cuivre natif. Les marnes sont passées à des roches jaspoïdes ou des schistes extrêmement grossiers, et les grès ont subi des modifications dont le terme extrême est un quarzite ou un grès quarzeux plein de druses à pyrites.

Vouloir nier ces faits par défiance des nouvelles idées, ou par crainte d’exagération plutonique, c’est fermer vraiment les yeux à l’évidence ; puisqu’à Nagy-Banya et à Felso-Banya, il est facile à chacun de s’assurer que les véritables roches à fucoïdes des Carpathes environnent ou recouvrent les porphyres, et s’enchevêtrent avec ces masses qui les coupent distinctement à Lapos-Banya. Ensuite on passe de ces roches, par des transitions insensibles, à celles qui enclavent les porphyres du sud-ouest de la Transylvanie, et qui sont pétries de pyrites aurifères, comme à Vorospatak. Dans cette localité, elles renferment même du bois bitumineux et le porphyre est sorti de la terre avec une queue ou une masse de débris des plus bizarres.

Il faut le reconnaître une fois pour toutes : jusqu’ici la série des dépôts plutoniques éprouvait une grande lacune entre les porphyres pyroxéniques postérieurs au terrain houiller ancien et les trachytes ; les porphyres siénitiques et quarzifères, souvent aurifères, ou au moins métallifères, sont venus combler ce vide, et, étant postérieurs au grès vert, ils servent à prouver que la nature a été agissante à toutes les époques par la voie ignée comme par la voie aqueuse.

Les roches qu’on avait crues si long-temps intermédiaires sont de la période crétacée : telle est la nouvelle vérité à l’établissement de laquelle il ne faut pas oublier que M. Partsch a eu une grande part.

Voici un extrait d’une lettre que M. Partsch m’écrivait le 29 septembre 1827.

« Après avoir été dix mois en Transylvanie, permettez-moi de vous faire les observations suivantes sur votre carte géologique de ce pays. Le sol primaire m’a paru plus étendu sur les limites nord-ouest, est et sud-ouest du pays. Les roches des environs de Bihar sont les seules que j’aie pu considérer comme grauwackes. Les roches arénacées appelées jusqu’ici ainsi dans le district aurifère d’Abrud-Banya, sur les frontières septentrionales du pays, près d’Olahlapos-Banya, et celles au sud-est, près du col d’Oytosch, m’ont paru simplement le grès carpathique secondaire ordinaire, dans lequel il y a des couches calcaires qu’on a voulu classer dans le sol intermédiaire. Cette manière de voir explique seule la présence des troncs de dicotylédone dans les roches singulières de Vorospatak, les fossiles particuliers de ce grès à Vidra (Kis-Aranyos) sur l’Aranyosch (Voy. l’ouvr. de Fichtel, vol I, p. 56), la quantité de couches marneuses subordonnées, leurs nombreuses impressions de végétaux et l’aspect si récent des coquillages de certains calcaires subordonnés au grès. D’une autre part, tout le milieu du pays ou le terrain salifère, qui a été placé par MM. Schindler, Beudant, etc., dans le grès carpatique, m’a semblé appartenir au sol tertiaire ou à la molasse. »

C’est ainsi qu’on se rend compte du caractère de nos porphyres de Transylvanie, qui, sans être accompagnés des éruptions fragmentaires et poreuses des trachytes, ont cependant dans les porphyres quarzifères ou sans quarz certains caractères, que M. Beudant a cru dans un temps pouvoir réserver aux trachytes.

M. Beudant avoue lui-même que les caractères minéralogiques ne sont d’aucune utilité, pour séparer les trachytes d’avec les porphyres même anciens ; ainsi, il est impossible de distinguer minéralogiquement, de ces dernières roches, certaines roches trachytiques à quarz ou à grenats, comme celles de Sz. Kereszt, de Leszna, de Nagy-Mihaly dans le comitat de Zemplin, etc. Il en est de même de certains trachytes à actinote au nord-ouest de l’est ou de certains rochers trachytiques prismés de Zithna entre Scheninitz et Hodritsch.

D’une autre part si la porosité, le feldspath vitreux et fendillé, et la nature âpre ou décolorée de la pâte devaient caractériser le trachyte, on serait obligé de placer dans cette classe beaucoup de porphyres aurifères, et surtout presque tous les porphyres de la seconde grande éruption secondaire, qui a suivi le dépôt du grès rouge secondaire. Ainsi donc, beaucoup de dômes porphyriques de la Saxe, de la Bohême, de l’Écosse, de la France, etc., seraient des trachytes, car nier comme M. Beudant que « ces roches ne sont jamais poreuses ni scoriacées, » (Voyez Voyage en Hongrie, vol. III, p. 542), c’est avouer qu’on ne les a pas examinées soigneusement. C’est se refuser à l’évidence et contredire les géologues les plus renommés.

De tous les produits trachytiques, il n’y a que les ponces bien caractérisées qu’on ne retrouve pas dans les dépôts porphyriques secondaires. Or, on devrait déjà être bien étonné d’y voir aussi des roches vitreuses, des rétinites et des perlites compactes (Arran, Trebischthal), mais, de plus, les ponces pourraient bien être représentées dans ces anciens produits de volcans, en grande partie sous-marins, par certaines roches tripoliennes liées aux grès. Il est tout naturel que des dépôts ignés sous-marins soient plus compactes, moins boursouflés, moins souvent vitreux et accompagnés d’une moindre quantité de débris, moins bien agrégés que les dépôts ignés ayant eu lieu sur la terre-ferme ou près de la surface des eaux.

En outre, personne n’a trouvé exacte l’observation que le porphyre prenait près des trachytes un aspect particulier, par suite d’une modification supposée tout-à-fait gratuitement par quelques géologues, ou que ses cristaux de feldspath étaient devenus vitreux et fendillés. M. Beudant, en reconnaissant la nullité des caractères précédens pour la distinction des deux dépôts, voudrait cependant établir que, « le terrain de trachyte forme des masses considérables, indépendantes des formations d’une autre nature, tandis que les porphyres secondaires sont en couches ou en amas, liés intimement avec la formation des grès. » (Vol. III, p. 542).

M. Beudant est encore dans l’erreur sur ce point ; car il y a beaucoup d’exemples de grandes masses porphyriques tout aussi indépendantes du terrain arénacé ou primaire que le trachyte. La montagne de l’Esterelle, les porphyres du Forez, de l’Erzgebirge, de l’Écosse, etc., en sont des exemples. D’ailleurs le trachyte se trouve aussi bien lié au sol tertiaire, soit par ses filons, soit par ses agglomérats, que le porphyre l’est aux grès secondaires ; témoin le Mont-Dore, les environs de Cilly, en Styrie, et certains points de la Hongrie, décrits même par M. Beudant.

Après avoir ainsi montré l’insuffisance des distinctions établies par M. Beudant, il faut conclure, avec MM. de Humboldt et Burkardt, que toute démarcation mathématique entre les deux genres de dépôts est impossible ou incertaine quand ils sont l’un à côté de l’autre, et qu’il s’établit, même dans ce cas, des passages minéralogiques du porphyre au trachyte, comme, par exemple, près de Schemnitz. C’est, en un mot, la même difficulté qu’offre la séparation de courans de laves, de divers âges, et entassés les uns sur les autres.

Enfin, aucun caractère minéralogique de valeur ne distingue même leurs roches ; leurs variétés extrêmes contrastent seules ; aussi doit-on se hâter de lever ainsi les doutes sans cesse renaissans des géologues et des mineurs hongrois, qui, le livre de M. Beudant à la main, ne savent comment appliquer ses principes classificateurs.

Suivant M. Lill et moi, il n’y aurait de trachyte véritable en Transylvanie que dans la partie orientale, tandis que M. Partsch paraîtrait y annexer encore, probablement à cause des rapports minéralogiques, certaines masses de Vorospatak, d’Offen-Banya, de Nagyag, de Deva et de Dees. Suivant moi, la grande chaîne du Keliman et des monts Hargitta serait seule due à des éruptions ignées, sorties pendant les périodes tertiaires moyenne et récente.

On verra dans mes notes sur cette chaîne qu’elle est composée surtout d’agglomérat trachytique encroûtant d’énormes buttes, ou çà et là des coulées trachytiques. On y trouvera aussi indiquées des localités de porphyre trachytique, assez siliceux pour être exploité comme pierre meulière, et on n’y lira pas sans quelque intérêt tout ce que nous avons pu rassembler, M. Lill et moi, sur l’espèce de solfatare (Budoshegy), et les cratères qui se trouvent dans l’extrémité méridionale de la chaîne, partie totalement composée de très beaux trachytes.

L’ancienne activité de ces bouches volcaniques est encore attestée par des puissans dépôts d’agrégats ponceux très récens, qui couvrent toute la vallée du Marosch dans le pays du Szecklerland, et qui ne sont guère recouverts que par les alluvions actuelles des rivières. Des portions de végétaux et même des bois opalisés ou siliceux sont empâtés dans ces conglomérats, comme cela se voit surtout près de Toplitza sur le Marosch, et, d’après M. Partsch, dans le bailliage d’Udvarhely et le comitat de Zarand.

De plus, sur tout le pied de cette grande chaîne trachytique sourdent une multitude prodigieuse de sources acidules et ferrugineuses, qui offrent, à chaque pas, dans la vallée du Szecklerland, un breuvage salutaire au voyageur comme au malade. Enfin, en retrouvant ces mêmes eaux s’écoulant du pied même des roches traversées encore par les vapeurs hydro-sulfureuses chaudes, on achève de se convaincre de l’intime liaison qu’il y a entre les imprégnations acidules de ces eaux et les agens volcaniques.

Je puis ajouter que quelques sources acidules et ferrugineuses se retrouvent encore au pied des montagnes de porphyres métallifères, comme par exemple à Bourboda, non loin d’Illoba, près de Nagy-Banya, etc.

Il ne nous reste plus qu’à dire que la Transylvanie n’offre pas pour ainsi dire de basalte ; tout ce qu’on a cité comme tel, soit à Kapnik, soit dans le sud-ouest de ce pays, ne se trouve être que du porphyre noirâtre, amphibolique ou pyroxénique.

M. Partsch m’a communiqué qu’il n’a cru découvrir du basalte qu’à Reps et dans une butte sortant du milieu du micaschiste de Hayda-Hunyad, dans le sud-ouest de la Transylvanie ; tandis qu’il classe parmi les roches porphyriques foncées les roches noirâtres, basaltoïdes et prismées, qui forment, près de Butsum, la cime appelée Detunata, sommité plusieurs fois décrite comme du basalte véritable.

Il est curieux de remarquer qu’en général dans les pays sans granite le basalte n’existe pas, ou est du moins une grande rareté, tandis qu’il abonde sur ce genre de terrain ou dans son voisinage. L’Auvergne, l’Écosse, l’Irlande, l’Allemagne, et même le nord de l’Italie peuvent être cités en confirmation de cette proposition. Du reste je suis bien aise de saisir cette occasion pour distinguer parmi les géologues deux modes d’appliquer le mot de basalte.

Les uns en ont fait un terme géologique et ne l’appliquent qu’aux roches pyroxéniques, tertiaires, le plus souvent noires, et contenant, dans certains pays, de l’olivine. Je ne partage point cette manière de voir ; car pour moi le basalte est un nom purement minéralogique que j’applique à toute roche composée de feldspath compacte, de pyroxène et de fer titané, par conséquent j’en trouve dans des terrains très divers, et je les vois passer aussi bien à la dolérite qu’à la phonolite et au trachyte, car toutes ces roches ne sont que des modifications minéralogiques les unes des autres, et la dolérite et le basalte feldspathique ainsi que la phonolite basaltique, sont des termes intermédiaires de la série.

Cette manière de procéder me semble en tout conforme à ce qu’on fait pour les roches dont la composition est non moins variable, telles que les granites, les porphyres, et même les roches agrégées ou modifiées, telles que les grauwackes, les gneiss, etc. Le mode opposé m’a paru avoir au contraire l’inconvénient de nécessiter un nom pour les roches non tertiaires, mais semblables au basalte, tandis que si l’on va même jusqu’à ajouter une définition minéralogique à leur détermination purement géologique, on manque son but.

Ainsi, par exemple, le basalte d’Irlande est reconnu par tout le monde, un dépôt tertiaire ; néanmoins, en s’en tenant strictement à la définition du basalte composé de feldspath, de pyroxène, et souvent d’olivine, on hésiterait à l’appliquer à toute cette grande masse du nord de l’Irlande, pays où dans le fait cette roche n’est très souvent qu’un feldspath compacte, fortement coloré par du fer.


  1. Comparez, à cet égard, ce que dit M. de Buch, Mineralogisch. Taschenb, vol. xviii, p. 505.
  2. Voyez la Carte de la Hongrie, dujvoyage de M. Beudant, et celle de la Transylvanie. Pl. 15.
  3. En général, cette description du terrain salifère, par Fichtel, est fort curieuse à lire dans sa Théorie sur l’origine de ce dépôt ; il signale les couches de cendres volcaniques qui le recouvrent et les soulèvemens qu’il a éprouvés, et qui ont produit des montagnes et des chaînes (vol. II, pag. 83 et 86).
  4. M. Partsch trouve des rapports entre quelques unes de ces feuilles et celles du Cornus mascula.