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Mémoires de la société géologique de France/1re série/Tome I/11

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N°. XI.


MÉMOIRE


SUR LES TERRAINS DE COMBLEMENT TERTIAIRES,


PAR M. REBOUL.




§ Ier. De la division de cet terrains.

Les terrains de transport composés de sables, de limons de graviers, de galets et de blocs pierreux, ont comblé des cavités, ou se sont étendus sur la superficie des régions inférieures.

Ils sont ainsi naturellement divisés en terrains de comblement et terrains d’atterrissement.

Ce sont les premiers qu’on a appelés diluviens, dénomination vicieuse, en ce que les comblement ne se sont pas opérés exclusivement par des inondations ; et plus vicieuse encore en ce qu’on a commis cette erreur insigne de rapporter tous les comblement à une seule inondation.

Les limons, les sables, les cailloux sont descendus des montagnes avec les torrens des eaux pluviales et fluviatiles qui sillonnent, corrodent et démolissent lentement les roches de ces régions élevées. Il faut donc, pour en étudier la marche, les progrès, les modifications, remonter à leur origine. C’est dans les montagnes que commence leur histoire.

La superficie des montagnes est excavée de deux manières bien distinctes. On y voit de longues coupures plus ou moins étroites, ou évasées, au fond desquelles coulent les torrens ; et d’autres cavités de forme ronde ou ellipsoïdale dont le fond est aussi traversé par les canaux fluviatiles quand il n’est pas encore occupé par les eaux stagnantes.

L’examen physique de ces cavités prouve suffisamment que toutes ont été originairement ce que sont encore quelques unes, c’est-à-dire des lacs.

Les longues coupures qu’on appelle, selon les circonstances, vallées, gorges, défilés, viennent aboutir à ces bassins circulaires et se prolongent au-delà en traversant tous ceux qui se rencontrent sur le trajet des rivières jusqu’à leur débouché dans les plaines.

On a attribué avec assez de vraisemblance à l’érosion des torrens le creusement de ces longs sillons qui s’étendent d’un bassin à l’autre, ou plutôt depuis le faîte des montagnes jusqu’à leur base ; mais les cavités arrondies placées sur le passage des torrens, loin d’avoir été creusées par eux, n’ont fait que les retenir, et ont été comblées, les unes partiellement, les autres en totalité, par les matières de transport que les eaux entraînaient dans leur cours.

Ainsi, les terrains de comblement les plus anciens sont ceux des bassins lacustres de la région supérieure des montagnes, à moins que ces bassins n’aient été produits par des bouleversemens survenus dans ces hautes régions à des époques tardives.


§ II. Du comblement des bassins supérieurs.

Les bassins supérieurs des grandes chaînes de montagnes sont encore la plupart occupés par les eaux stagnantes, surtout quand ces hautes régions consistent en roches granitiques ou granitoïdes.

Plus ces cavités sont voisines des sommets et des sources des torrens, plus elles ont été à l’abri du choc des eaux courantes, de leurs érosions, et de leurs comblement.

Dans les Pyrénées, le lac ou les lacs du Mont-Perdu sont peut-être les seuls encore existans dans une région calcaire. Aussi se trouvent-ils situés sur des plate-formes hautes d’environ 2600 mètres, que dominent seulement deux ou trois sommets. Dans les terrains primaires de ces montagnes on voit encore plusieurs de ces lacs conservés à la hauteur de 14 à 1500 mètres. Tel est celui de Seculège dans la vallée d’Oo[1].

Cependant quelques uns de ces bassins de l’étage supérieur des Pyrénées ont été comblés. Celui des gravois de Castillon sous le mail Barrat, dans la vallée de la Lys, à 2200 mètres de hauteur, n’est plus qu’un amas de décombres, où le torrent qui descend du glacier demeure enfoui. Dans la vallée de Breas, à environ 1500 mètres au-dessus du niveau de la mer, le lac qui se voit encore indiqué dans la carte de l’Observatoire, fut comblé en 1788 par un immense éboulement.

Les lacs de ces hautes régions ne peuvent guère avoir été comblés par d’autres moyens que celui des avalanches pierreuses. Le charroi habituel des débris des roches, opéré par des courans aussi voisins de leur origine, n’a dû produire au fond de ces cavités que des amas peu considérables de galets et de fragmens pierreux. Le trajet des courans a été trop court pour qu’ils aient réduit ces matériaux de transport à l’état de sables et de limons.


§ III. Du comblement des bassins moyens et inférieurs.

Dans les chaînes peu compliquées, comme celle des Pyrénées, les bassins moyens et les inférieurs, quoique assez généralement plus vastes que les supérieurs, ont été tous mis à sec, soit par les comblement, soit par la rupture ou l’érosion de leurs parois inférieures.

Il n’en est pas de même aux Alpes, où la pluralité, l’étendue et l’entrecroisement des divers systèmes de montagnes ont laissé subsister dans leurs intervalles des cavités spacieuses et profondes qui sont encore occupées par les eaux.

La disposition des dépôts de comblement n’est point la même dans tous les lacs desséchés des régions moyenne et intérieure des montagnes. Elle est modifiée par la position de ces lacs, par leur étendue et par d’autres circonstances : mais c’est dans les bassins qu’on commence à discerner par leurs formes et par l’ordre de succession les diverses parties dont se composent les dépôts.


§ IV. Des diverses espèces de dépôts de comblement.

On y distingue :

1° Les pséphites gomphoïdes ou cailloux roulés agglutinés en roche compacte (Nagelflue) ;

2° Les amas et les couches de limons, de sables et de graviers quarzeux ;

3" Les cailloux roulés déposés en amas ou en couches, et non agglutinés ;

4° Les grands blocs roulés que leur transport dans des régions lointaines a fait appeler erratiques.


§ V. Des pséphites gomphoïdes.

Parmi les plus anciens de ces dépôts de comblement il faut compter une partie de ceux qu’on trouve cimentés en forme de conglomérats ou de pséphites. Toutes les époques de la période secondaire ont produit leurs pséphites, à commencer par celles du granite et du gneiss, dont on a désigné les poudingues parle nom spécial d’anagénites.

Les terrains houiller, pœcilien, liasique, oolitique, crétacé, ont eu aussi leurs pséphites.

La différence des opinions touchant l’âge des nagelflues alpins provient peut-être de ce que ces pséphites appartiennent à plusieurs époques.

Les uns reposent immédiatement sur les roches anciennes, et sont antérieurs aux argiles ou molasses rouges ; d’autres alternent avec les molasses moyennes tertiaires ; d’autres enfin sont mêlés aux molasses supérieures coquillières et aux coquilles elles-mêmes[2].

Tous ont cela de commun qu’ils paraissent avoir été formés dans des lacs dont les eaux ont agglutiné leurs galets.

L’étendue circonscrite des dépôts de pséphites, et la grande épaisseur de quelques uns, indiquent suffisamment que leur accumulation et leur agglutination se sont faites dans des cavités lacustres où les eaux courantes les ont entraînés. Ces indications sont confirmées par les preuves directes que fournit l’étude des terrains tertiaires dont l’assise supérieure est souvent composée de pséphites d’eau douce.

Dans la petite vallée de la Roise, au-dessus de la Vorreppe (Isère), M. E. de Beaumont a reconnu trois assises de lignites intercalées avec des calcaires d’eau douce dans un conglomérat de cailloux roulés épais de plus de 500 mètres[3].

Cette observation démontre 1° que le dépôt des cailloux roulés s’est fait dans un lac ; 2° qu’il s’y est accru lentement et avec le concours des siècles, puisque les matières végétales ont eu le temps de s’y convertir en bitumes, sous les eaux habitées par les mollusques lacustres.

Il est évident que l’accumulation des cailloux roulés dans les lacs des montagnes ayant commencé aussitôt après l’émersion de ces hautes contrées, et n’ayant plus été interrompue jusqu’à l’époque du comblement ou du dessèchement de ces lacs, on ne peut rapporter à un même âge leurs assises inférieures, moyennes et supérieures.


§ VI. Des limons, des sables et des graviers quarzeux.

Quand plusieurs bassins lacustres se sont trouvés étagés sur le trajet d’une longue vallée, les débris pierreux, soit anguleux, soit arrondis, ont été retenus à raison de leur pesanteur, dans les cavités supérieures, avec des limons, des sables, des graviers ; mais une partie de ces détritus pulvérulent a été entraînée au-delà par les eaux agitées et bourbeuses qui ont fait leur dépôt dans les bassins inférieurs ordinairement plus spacieux.

La vallée de la Tet aux Pyrénées, au pied du Canigou, offre un exemple fort instructif de cette double disposition. Le principal torrent qui descend du Canigou a comblé de blocs et de cailloux granitiques le petit bassin du Vernet, qu’une jetée calcaire a tenu séparé de la vallée de la Tet.

À moins d’une lieue au-dessous de ce barrage et de ce bassin, s’ouvre celui de Prades, beaucoup plus vaste, dont le comblement se compose d’une couche de limons, de sables et de graviers, épaisse de 30 à 40 pieds, sur laquelle reposent des cailloux et des blocs roulés, inégalement stratifiés.

Les bassins situés au pied des Alpes ont reçu, comme ceux des Pyrénées, un terrain de transport limoneux et sableux. Avant que les blocs et les cailloux granitiques y soient parvenus en grandes quantités, les sables, les limons, les graviers y ont été d’abord les seuls ou les principaux matériaux de leur comblement. La grande émission de cailloux roulés y est arrivée plus tard et a construit l’étage supérieur.

C’est pourquoi on voit assez généralement dans ces anciens réservoirs, maintenant traversés par les courans fluviatiles, le lit de ces courans excavé d’abord dans la couche supérieure des cailloux roulés, puis dans les assises de limons, de sables et de graviers.

Au bassin de Lyon, en avant des barrages granitiques qui ont retenu les eaux de la Saône et du Rhône, la couche de cailloux atteint jusqu’au faîte des collines qui bordent les courans.

Dans les bassins inférieurs de la région calcaire, traversée par le Rhône, où les cavités ont été moins profondes et les défilés plus larges, la couche de limons est moins épaisse, et celle des cailloux ne s’élève souvent que de quelques pieds au-dessus des eaux du fleuve. Les limons ont été préservés du déblai partout où les cailloux les tiennent encore recouverts ; le restant a été charrié avec les cailloux de lac en lac jusqu’au littoral marin, où se termine le cours du fleuve. Dans les golfes marins qui ont été comblés par ces dépôts, les couches inférieures ont pu appartenir aux anciennes époques. Ces couches se trouvent souvent disposées en strates marneux et arénacés. Dans le bassin de la Garonne, depuis le point de partage des eaux du canal jusqu’au-delà de l’embouchure du Lot, d’épaisses assises de calcaire d’eau douce séparent ce dépôt de comblement ancien de celui qui a terminé la période tertiaire.

Les limons, les sables, les graviers de ce dernier sont rarement agglutinés, si ce n’est vers leur point de contact avec le sédiment pierreux auquel ils se trouvent mêlés comme dans le cragg, les faluns grisons, les pséphites d’eau douce supérieurs.

Les mélanges qui ont précédé la grande émission des dépôts de comblement tertiaires sont les premiers indices du mode progressif et chronique de cette formation. Rien ne ressemble moins aux effets d’une avalanche pierreuse que ces amas souvent stratifiés de détritus sableux et limoneux mêlés de graviers et de petits cailloux, tels que les charrient habituellement les courans fluviatiles. On y rencontre très rarement les gros cailloux et les blocs anguleux que les torrens d’inondation ont seuls pu entraîner. Rien n’est moins diluvien que ce prétendu diluvium.

Les ossemens de mammifères de la période tertiaire y sont disséminés à diverses hauteurs, et se trouvent souvent enveloppés dans les sédimens pierreux qui servent de base à ce terrain de comblement.

Dans le petit bassin de Riége auprès de Pézenas, les débris de cerf, de rhinocéros, d’hippopotame et d’éléphant sont empâtés avec des graviers et des sables dans le calcaire lacustre, superposé au terrain marin, et que recouvre le terrain de comblement. D’autres, en plus petit nombre, se trouvent encore épars dans les lits moyens et supérieurs de ce dépôt limoneux, épais de 40 ou 50 mètres.

Dans le bassin de Lyon des débris d’éléphant fossile sont enfouis à des hauteurs qui diffèrent de 70 mètres dans l’épaisseur du dépôt sableux et limoneux que couronnent les cailloux roulés[4].

Les différences qu’on remarque entre les divers dépôts de comblement tertiaires tiennent à des circonstances locales qui sont mises en évidence par la comparaison des bassins où ils sont situés.


§ VII. Terrain de comblement du golfe marin des Pyrénées-Orientales.

À l’orient des Pyrénées, trois grands torrens, le Pach, la Tet et l’Agly, descendant du faîte de la chaîne, ont comblé un ancien golfe marin, bordé au sud par l’arête des Albères, au nord par celle des Corbières.

Ces torrens, à leur sortie des montagnes, prolongent maintenant leur cours jusqu’à la mer, à travers les amas de sables, de limons et de graviers quarzeux qui se sont amoncelés sous les eaux d’une mer plus haute qu’aujourd’hui d’environ 200 mètres.

Ces amas, qui, depuis l’abaissement du niveau des mers, paraissent avoir été balayés par les courans, entre la Tet et l’Agly, se sont conservés entre la Tet et le Tech. Le village de Banguls-les-Aspres occupe une de leurs terrasses supérieures.

La hauteur de ces terrasses n’excède point l’horizon des plus hautes régions tertiaires qui n’ont pas subi de soulèvemens. Elles servent en quelque sorte de témoins et de points de repère pour indiquer l’ancienne hauteur de ces amas de transport aussitôt après leur émersion.

Les excavations des ravins et du lit des torrens ont mis à découvert la composition de ces terrains mobiles dans toute leur épaisseur au-dessus du niveau de la mer, et les sondages des puits artésiens ont prouvé qu’ils s’enfonçaient à une profondeur inconnue au-dessous de ce niveau.

Les sables et les limons, tantôt en couches régulières, mais peu étendues, tantôt en amas inégaux, sont nuancés de couleurs grises et jaunâtres, avec quelques veines rougeâtres. Les graviers et quelques galets quarzeux y sont plutôt disséminés que stratifiés ; le granite y est très rare.

Les sédimens calcaires s’y trouvent à peine dans la proportion d’un centième, relativement aux matières argileuses et quarzeuses.

Des dépôts de coquilles marines tertiaires sont associés à ce grand amas de sables, de limons et de graviers, mais non d’une manière générale. On les rencontre seulement aux parois de ces larges excavations que les trois grands torrens ont creusées à leur sortie des montagnes pour se rendre à la mer. Les lits sableux où ces coquilles sont disséminées, sont entièrement semblables à ceux que forment aujourd’hui les torrens sur leurs rives, et ces lits reposent sur l’ancien terrain de comblement excavé. Ils ne s’étendent qu’à une très petite distance des courans qui ont fait l’excavation, et n’en dépassent pas la limite.

Il est ainsi démontré que ces dépôts coquilliers sont postérieurs au comblement sous-marin du golfe des Pyrénées orientales, et même à la couche des cailloux, roulés qui a été déblayée par les courans avant qu’ils aient creusé leur lit dans les assises limoneuses et sableuses inférieures, sur lesquelles sont déposées les coquilles. Ce fait vient à l’appui du jugement qu’a porté M. Deshayes sur leur âge, en les classant parmi les fossiles les plus récens de la période tertiaire.

Les hauteurs relatives de la mer, et la mesure approchée de ses dépressions successives se trouvent indiquées par la situation des bancs coquilliers qu’elle a déposés aux embouchures des trois rivières du Tech, de la Tet et de l’Agly. J’ignore à quel horizon se trouvent les derniers, mais ceux de Banguls ne sont pas élevés de plus de 70 mètres au-dessus du niveau de la mer. Ceux de la Tet, auprès de Nafiach, atteignent au moins la hauteur de 120 mètres.

Des ossemens d’anciens pachydermes ont été trouvés dans les sables voisins du lit de la Tet, mais à peu de distance de la mer et à plus de 60 mètres au-dessous de l’horizon des bancs coquilliers de Nafiach. Au demeurant, la différence d’âge qui semble indiquée par la position relative de ces bancs et de ceux du Tech, n’a pas été suffisante pour influer sur le renouvellement des espèces qui paraissent être les mêmes dans les deux dépôts.


§ VIII. Terrain de comblement du bassin septentrional.

L’immense amas de comblement qui borde au nord les Pyrénées françaises, depuis l’appendice des Corbières jusqu’à l’Océan[5], a été décrit par M. Daubuisson[6], et nouvellement par M. Boubée[7]. Le premier de ces observateurs l’a considéré comme un terrain de sédiment bien différent des autres dépôts tertiaires, quoique contemporain. L’autre y a vu un terrain de transport tellement récent qu’il l’a appelé post-diluvien. Ce dépôt limoneux et sableux s’élève au-dessus de la mer, à peu près à la même hauteur que celui du Roussillon, c’est à-dire à l’horizon supérieur de la mer tertiaire. Son épaisseur est au moins de 800 pieds auprès de Toulouse ; puisque dans la plaine, que ce dépôt surmonte d’au moins 200 pieds, un sondage de 600 pieds n’a pas achevé de la traverser. Cette expérience prouve aussi qu’à 50 lieues de la mer il s’enfonce de plus de 150 pieds au-dessous de son niveau.

Ce terrain se compose, comme en Roussillon, de limons argileux et sableux, de graviers et de galets quarzeux. Mais les limons y forment sur quelques points des couches argileuses et marneuses, puissantes et régulières, et les sables s’y trouvent agglutinés en psammites compactes assez semblables aux molasses.

On n’y voit point de coquilles marines, et seulement quelques coquilles terrestres clair-semées. La Peyrouse y a rencontré des empreintes de poisson qu’on croit du nombre de ceux qui habitent les eaux douces.

Les indices d’une grande cavité lacustre au pied des Pyrénées, maintenant comblée et sillonnée par les affluens de la Garonne, sont pleinement confirmés par l’existence d’une bordure de calcaire marin qui commence à se montrer à l’ouest, entre La Réole et Langon, et par une autre beaucoup plus saillante de calcaire d’eau douce qui, s’appuyant sur ce terrain marin entre Langon et La Réole, forme l’enceinte septentrionale de cette cavité sur la rive droite de la Garonne, jusqu’au-dessus de Toulouse, et se trouve interrompue par les grands courans du Lot et du Tarn. Entre les embouchures de ces deux rivières, dans la Garonne, les assises de calcaire lacustre ne reposent plus, comme à l’ouest de La Réole, sur le calcaire marin ou grossier, mais recouvrent immédiatement les assises marneuses et arénacées du terrain de comblement.

Celles-ci, en s’étendant vers l’ouest et la mer, se trouvent ainsi parallèles avec le terrain marin tertiaire inférieur, et paraissent se lier avec lui.

La supposition que les dépôts limoneux et arénacés, descendus des Pyrénées, auraient comblé le bassin de la Garonne, postérieurement à la formation du calcaire d’eau douce d’Aiguillon et d’Agen, n’est pas seulement invraisemblable ; d’après l’aspect général des lieux, elle est formellement contredite par l’observation directe. Un sondage fait au pied de l’escarpement calcaire d’Agen n’a pas atteint le terme des matières de comblement à 400 pieds de profondeur, et n’a rencontré nulle part ce calcaire, qui, à la surface du sol, lui est manifestement superposé.

L’histoire de cette grande cavité sous-pyrénéenne ou aquitanique s’explique d’elle-même sans le secours des hypothèses extraordinaires, et sans le mécanisme des révolutions.

Aussitôt après l’émersion de la chaîne, ou d’une partie de la chaîne des Pyrénées, les débris sableux, limoneux et pierreux des roches sillonnées et démolies par les courans, sont venus s’accumuler dans le golfe marin situé à leur base, et en ont occupé le fond. Dans la suite des temps, des bancs de calcaire marin s’étant formés sur le bord occidental du golfe, lui ont servi de bordure, et l’ont converti en lac quand la mer s’est abaissée.

La mer, en s’abaissant, a laissé ces bancs à découvert et s’est trouvée séparée du golfe, où les eaux douces fluviatiles ont bientôt remplacé les marines. C’est alors qu’ont été déposées sur la bordure septentrionale les calcaires d’eau douce qui reposent en partie sur l’ancien terrain de comblement.

Il s’en est formé ensuite un nouveau par les émissions de sables, de limons et de graviers de la dernière époque tertiaire, qui, dans ce bassin comme dans la plupart des autres cavités lacustres, ont recouvert les calcaires d’eau douce. Les roches de la bordure septentrionale du bassin de Toulouse sont en effet enfouies sous le dernier terrain de comblement, depuis la rive gauche du Tarn jusqu’au plateau de Naurouse, où se fait le partage des eaux du canal.

Les ossemens fossiles paraissent appartenir spécialement à ces dernières émissions de limons et de sables, qui sont néanmoins encore tertiaires, et par conséquent antédiluviennes.


§ IX. Terrain de comblement du bassin Gébenno-Pyrénéen.

Prenons pour dernier exemple des terrains de comblement tertiaires, celui du bassin gébenno-pyrénéen[8], où se trouvent amoncelés les débris des montagnes peu élevées qui en forment l’enceinte, depuis le promontoire de la Nouvelle jusqu’à celui de Cette.

Les graviers y sont aussi presque tous quarzeux et mêlés seulement de quelques galets calcaires et basaltiques qui proviennent des lieux voisins. Les débris quarzeux sont au contraire nécessairement descendus des montagnes où les torrens prennent leur origine.

Les limons sont en général rouges ; quelques uns sont d’un jaune pâle. Tous proviennent de l’altération pulvérulente des roches calcaires qui entourent le bassin tertiaire.

La production d’efflorescences rougeâtres à la surface des roches calcaires secondaires est un fait presque général, et son rapport avec le dépôt limoneux, improprement appelé diluvien, semble évident. On voit partout les saillies et les fragmens de la glauconie, de l’oolite, du lias de ces contrées, se fendiller, se déliter, et se couvrir d’une poussière rouge ou jaunâtre que les eaux pluviales lavent et entraînent.

Les pouzzolanes des volcans éteints fournissent aussi des limons à ces dépôts et y conservent leurs propriétés. Ceux-ci sont peu mélangés de parties calcaires. On les emploie dans les cimens hydrauliques, et on les mêle aux glaises plastiques pour la fabrication des poteries qu’on veut rendre propres à supporter l’action du feu. Les poussières des calcaires d’eau douce prennent aussi une teinte rougeâtre ; celles du calcaire marin tertiaire demeurent ternes et grises.

Le limon rouge des cavernes à ossemens n’a pas d’autre origine que l’altération pulvérulente des roches calcaires où elles sont creusées. La couleur de ces limons devient noirâtre quand leur humidité constante met en décomposition les matières animales qui s’y trouvent enveloppées ; il suffit de les dessécher pour leur rendre la couleur rouge.

Les dépôts limoneux du bassin gébenno-pyrénéen, mélangés ou non de graviers, sont le plus souvent disposés en lits horizontaux ; mais ces lits peu réguliers sont aussi peu étendus.

Dans leurs intervalles, et surtout à leur faîte, se trouvent des amas informes de ces mêmes matériaux qui représentent probablement les inondations survenues pendant et après le comblement du bassin.

On observe un contraste fort remarquable entre les terrains de transport qui ont comblé les bassins de l’Aude, et ceux de la région peu éloignée qui est située entre l’Orb et l’Hérault.

Les dépôts du bassin de l’Aude sont purement limoneux, assez régulièrement stratifiés. On les exploite pour la fabrication des tuiles et des pavés. Ce bassin spécial est tout entouré de montagnes calcaires, et n’a pu recevoir, pendant une grande partie de la période tertiaire, d’autres débris terreux et pierreux que ceux des montagnes de son enceinte. Les matériaux quarzeux qu’aurait pu y entraîner l’Aude, venant des Pyrénées, étaient alors retenus au-dessus de ce bassin par la digue qui le séparait du lac supérieur, dont les derniers bas-fonds ont été depuis peu desséchés[9].

La composition du terrain de comblement au plateau du Libron, entre l’Orb et l’Hérault, est toute différente. Le limon rouge s’y trouve surchargé de graviers et de cailloux quarzeux. Cet amas, large de plus d’une lieue vers la plage maritime, remonte à près de trois lieues vers la région des montagnes. La superficie en a été rendue inégale par les eaux des pluies. Les escarpemens des ravins n’y laissent voir partout qu’un mélange de limons et de graviers.

Dans les bassins de Béziers et de Pézenas, ce dépôt s’est accumulé et nivelé à la hauteur d’environ 130 mètres. Plusieurs vallons actuels sont creusés dans son épaisseur.

Il forme encore quelques plateaux culminans dans les intervalles où il ne subit d’autres érosions que celles des eaux atmosphériques, notamment entre les petits affluens de la Pègue et de la Tougue. Un forage, pratiqué récemment au domaine de Bourgade, auprès de Clairac, et où on a atteint une profondeur de 100 pieds, a prouvé que le terrain de comblement s’enfonce au-dessous du niveau de la mer.

On ne peut guère chercher l’origine des graviers quarzeux de ce vaste dépôt que dans les montagnes de schistes argilo-quarzeux, dont les restes existent encore auprès des sources du Libron, de la Tougue et de la Peyne.


§ X. Des débris quarzeux du terrain de comblement.

L’attention des géologues s’est souvent portée sur cette immense quantité de débris quarzeux qu’on voit épars à la surface de la terre, et qui caractérisent spécialement les plus anciens dépôts de comblement tertiaires.

Pourquoi les torrens, qui charrient maintenant hors des montagnes tant de cailloux, de granite, de gneiss, de porphyres, de diorites, n’ont-ils entraîné antérieurement que des fragmens de quarz compacte ou grenu ?

Que les débris des roches, situées au centre des chaînes de montagnes, aient été long-temps retenus dans les cavités étagées sur le trajet des torrens, cela se conçoit sans difficulté. Mais l’immense volume des terrains de comblement des golfes et des lacs, situés au pied de ces chaînes, tant hautes que moyennes, atteste la démolition de masses très considérables presque dénuées de granites et de porphyres.

Si ces montagnes démolies ont fait partie de la bordure des chaînes, et si cette bordure a été composée principalement de schistes argileux et d’autres roches où le quarz abonde, le phénomène se trouve expliqué d’une manière satisfaisante[10].

Les graviers et les galets quarzeux auront été fournis par ces roches extérieures ; et les limons grisâtres argilo-siliceux des Pyrénées auront été remplacés, au pied des Cevennes, par les débris pulvérulent rougeâtres des roches calcaires qui y prédominent.

Les monumens de la démolition des montagnes argilo-quarzeuses se rencontrent dans toutes les régions moyennes et inférieures.

Le plateau de calcaire secondaire supérieur qui s’étend de Souillac à Cahors, sur un trajet d’environ dix lieues, entre la Dordogne et le Lot, est recouvert en grande partie d’une couche peu épaisse de limon toute parsemée de cailloux de quarz. Ces cailloux n’ont pu provenir que de la dégradation fort ancienne des montagnes situées près des sources de ces rivières.

Leur émission parait s’être faite sous les eaux de la mer plutôt que dans un lac ; et la hauteur du plateau, qui est de 7 à 8000 mètres, fait présumer que les galets y ont été répandus avant la fin de la période secondaire.

Ils seraient probablement agglutinés en pséphites et en lits plus épais, s’ils avaient été déposés dans un lac.

Essayons d’appliquer ces considérations au célèbre dépôt des cailloux de la Crau.

Les sept-huitièmes de ces cailloux sont quarzeux et en général plus volumineux que ceux de la Durance et du Rhône.

M. Dubois-Aimé a reconnu qu’ils étaient recouverts par le calcaire marin tertiaire[11] qui a saisi et cimenté ceux avec lesquels il est en contact ; ils reposent, d’ailleurs, sur un pséphite gomphoïde à cailloux calcaires, que sa composition et son gisement assimilent aux roches de même forme intercalées dans les dernières assises secondaires.

L’antiquité bien démontrée du charroi des cailloux quarzeux explique leur différence de ceux que charrient maintenant le Rhône et la Durance.

Là, comme ailleurs, des montagnes quarzifères ont été démolies avant l’arrivée des cailloux alpins, et même avant la formation du calcaire marin tertiaire qui leur est superposé. La grosseur des cailloux quarzeux prouve que leur ancien gîte était peu éloigné du bassin littoral, pour être lacustre, où ils sont maintenant étalés au-dessus d’un pséphite gomphoïde de la période secondaire.


§ XI. Des cailloux roulés.

Il nous reste à parler des cailloux roulés non agglutinés qui sont superposés aux terrains de comblement limoneux et sableux tertiaires.

Ces cailloux sont amoncelés ou stratifiés. Le volume de leurs amas est en proportion avec la hauteur des montagnes et la force des torrens.

J’ai cité, dans la vallée de l’Isère, au petit bassin de la Roise, un dépôt de pséphites tertiaires épais d’environ 500 mètres. La Dopa Baltea, qui descend, comme l’Isère, des hautes régions du Mont-Blanc, a formé dans la vallée des amas non moins épais de cailloux et de blocs non agglutinés[12].

Ces amas sont au moins en partie l’ouvrage des inondations, mais non d’une seule, et c’est en ce sens seulement qu’on pourrait les appeler diluviens.

La théorie des cailloux roulés stratifiés exige d’autres conditions que celle du charroi par les courans ordinaires ou extraordinaires.

Il est évident que leur stratification ne s’est point opérée en plein air, mais seulement sous les eaux marines ou lacustres. Les courans ont bien pu les charrier et en faire des amas ou des traînées, mais non les mettre en ordre et les niveler. Ce nivellement a été postérieur au charroi. On ne peut l’attribuer qu’à l’agitation sans cesse renouvelée des eaux surnageantes qui, en heurtant et démolissant les amas de ces cailloux vomis par les torrens, les ont déplacés, dispersés et disposés en couches, plus ou moins régulières, sur le sol limoneux et sableux du comblement antérieur.

Dans les bassins intérieurs des montagnes, ces cailloux ne forment ordinairement qu’une seule couche superposée aux limons. Dans les bassins extérieurs et littoraux, on les voit distribués en plusieurs étages horizontaux et parallèles.

Ce phénomène s’explique assez naturellement, si on considère chacun de ces étages comme correspondant à l’un des anciens niveaux de la mer, et leur ensemble comme une série de monumens de ces pressions successives.

Qu’on se représente en effet la mer venant battre le pied d’une chaîne de montagnes ; les cailloux qu’y jette un torrent grossi par les pluies sont d’abord amoncelés à peu de distance de l’embouchure ; puis remaniés, dispersés, rejetés à droite et à gauche par le ressac et les chocs des vagues agitées. Au moyen de ce mécanisme long-temps répété, les cailloux, issus d’une seule gorge ou échancrure des montagnes, se trouvent, à la suite des temps, disposés en couches plus ou moins régulières, dont la superficie occupe plusieurs lieues carrées. Les vallées extérieures de la Garonne et de l’Adour en offrent des exemples.

Si le niveau de la mer vient à s’abaisser de quelques toises, la couche des cailloux roulés laissée à découvert est parcourue, sillonnée et creusée par le torrent qui les a précédemment charriés, et cette excavation se poursuit dans l’épaisseur des limons sableux inférieurs.

Le battement des vagues élargit promptement le nouveau canal que s’est ouvert le courant fluviatile dans ce terrain meuble ; et le sol de ce canal élargi est bientôt recouvert d’une nouvelle couche de cailloux roulés charriés et remaniés de la même manière.

Chaque abaissement de la mer a dû reproduire ce phénomène, dont les monumens se rencontrent partout variés et modifiés par les circonstances locales. Au pied des Pyrénées orientales, la vallée de la Tet ne présente d’une manière bien distincte que deux de ces étages. On en discerne jusqu’à quatre dans celles de l’Arriége et de la Garonne.


§ XII. Des blocs erratiques.

Dans les amas de cailloux roulés dont la Loire a comblé les cavités profondes de sa vallée, il se trouve des blocs granitiques et porphyriques dont le volume est de 30 à 40 mètres cubes.

Les eaux de la vallée de Bagnes, en Valais, retenues par une avalanche de neige, puis mises en mouvement par la rupture de cette digue fragile, nous ont donné l’exemple, il y a peu d’années, de tout ce qu’ont pu produire, dans les temps anciens, les débâcles des réservoirs dont on ne voit plus dans les hautes régions des montagnes que les cavités échancrées et vidées.

Sans recourir à ces débâcles, les longues pluies et les grandes averses suffisent quelquefois pour imprimer aux torrens une force capable d’entraîner au loin des blocs très volumineux, et de les déposer soit au fond des vallées, soit aux étages inférieurs des collines situées sur leur passage.

Mais les plus remarquables de ces amas de roches transportées se trouvent situés de manière à rendre leur transport très difficile à expliquer et à concilier avec la disposition actuelle du sol terrestre.

De grandes et profondes vallées, de grands lacs, et ailleurs des bras de mer se trouvent interposés entre ces amas et les masses dont leurs roches ont été détachées. Des blocs de granite alpin sont maintenant déposés sur les pentes et dans les gorges du Jura. Ils se trouvent ainsi séparés, par les vallées du Rhône et de l’Aar, des hautes chaînes dont ils sont descendus.

Les bords méridionaux de la Baltique sont jonchés de grands fragmens de roches primitives et intermédiaires de la Scandinavie, c’est-à-dire des contrées situées au bord septentrional de cette mer. La période secondaire si variée, si compliquée, si étendue, offre partout les indices du déplacement et du soulèvement de ces roches. Ses immenses formations ont été fréquemment interrompues par les mouvemens convulsifs qui se sont succédé pendant sa durée, et qui ont produit les principales inégalités de la superficie du globe, soit en soulevant, soit en affaissant les terrains. Ces mouvemens convulsifs se sont prolongés en devenant plus rares pendant la période tertiaire. Plusieurs faits attestent qu’ils ont conservé une grande intensité pendant la plus ancienne de ses époques.

Cette considération a offert le moyen, peut-être unique, d’expliquer ce transport mystérieux des blocs alpins et Scandinaves. Dolomieu a pensé que les blocs épars sur les pentes du Jura y sont arrivés sur un plan incliné avant l’excavation des vallées intermédiaires. M. de Buch, après plusieurs tâtonnemens, s’est arrêté à cette conclusion, que leur transport s’est opéré à l’époque où les montagnes d’où viennent ces blocs ont été soulevées.

Mais cet observateur suppose aussi que les blocs ont pu franchir l’espace intermédiaire à travers les eaux des lacs alpins ; il a calculé qu’il leur aurait suffi, pour décrire une diagonale dans ces eaux, d’être mus avec une vitesse de 357 pieds par seconde, c’est-à-dire cinq fois moindre que celle d’un boulet de canon. Mais la vitesse des blocs entraînés à la débâcle de Bagnes n’a été que de 30 pieds. Comment imaginer dans l’intérieur des Alpes, et pendant leur soulèvement, des courans dont la force aurait imprimé aux blocs une vitesse dix ou onze fois plus grande, sur un trajet, non de quelques centaines de toises, mais de plusieurs lieues[13] ?

Il me semble qu’en rapportant, comme l’ont fait plusieurs géologues[14], le transport de ces grands blocs à l’époque du soulèvement de leurs roches, on peut se dispenser de faire passer à travers du lac Léman ceux descendus de la chaîne du Mont-Blanc ; car s’ils ont été charriés pendant le soulèvement de cette chaîne, plus haute que le lac de 10 à 12,000 pieds, il est tout aussi naturel de supposer que l’excavation lacustre, profonde seulement de 8 à 900 pieds, n’a point été antérieure à cet immense exhaussement du sol voisin : elle aurait pu ainsi s’être formée après le transport des blocs de la chaîne des Alpes et celle du Jura.

Cette induction serait même applicable à l’hypothèse du soulèvement partiel de cette région alpine ; et tout en laissant à ces masses centrales la haute antiquité dont elles portent les indices, il n’y aurait rien d’invraisemblable à supposer que l’affaissement du sol et la grande cavité ouverte sur le trajet du Rhône ont coïncidé avec l’exhaussement des roches glauconiennes ou presque tertiaires des montagnes du Valais et de la vallée de l’Arve, à Fiz, et aux Diahlerets.

J’ai cru apercevoir la confirmation de la théorie de Dolomieu dans plusieurs sites des Pyrénées, où l’on a supposé trop légèrement que le phénomène des blocs erratiques ne se rencontrait point.

Les blocs de granite porphyroïde abondent dans le dépôt de comblement de la vallée d’Oueil, près de Bagnères-de-Luchon.

Ce dépôt, enfermé entre deux bordures schisteuses, est séparé de l’arête centrale du port d’Oo, où est le gîte de ces roches culminantes, par le bassin de l’Arboust, creusé aussi dans les schistes. Il faut donc nécessairement, ou que ce bassin intermédiaire ait été comblé de débris jusqu’au faîte, pour que de nouvelles émissions aient pu les répandre dans la vallée d’Oueil, ou que leur charroi se soit opéré avant l’excavation de l’Arboust. On rencontre le même phénomène dans la vallée de Gouroum, creusée aussi dans les schistes, sur l’autre rive du torrent qui descend du port d’Oo à Bagnières-de-Luchon.

Dans le vaste bassin de la Barousse, tout entouré de montagnes schisteuses et calcaires, le sol est partout jonché de cailloux et de grands blocs granitiques, qui, n’ayant pu y venir à reculons par l’ouverture du bassin, ont dû nécessairement franchir les hautes bordures qui séparent cette cavité annulaire des terrains granitiques.

On revoit ce phénomène dans les derniers gradins de la chaîne ou des torrens, tels que la rise du Mas-Dazil et le contiron de Mirepoix, dont le cours est entièrement circonscrit dans la zone calcaire inférieure, traversant néanmoins des bassins pavés de gros cailloux granitiques, dont un seul ne pourrait y arriver aujourd’hui en descendant du lieu de son origine.

Tous ces phénomènes offrent les indices d’une longue série de mouvemens convulsifs qui ont changé, à plusieurs reprises, la forme des contrées montagneuses, en déplaçant leurs masses et leurs inégalités. Ces contrées n’ont acquis définitivement leur forme actuelle que par la cessation de ces grands bouleversemens.

Le creusement de la Baltique, celui du canal de la Manche, et ceux des cavités lacustres que traversent le Rhône et l’Aar dérivent de causes analogues, mais ont pu appartenir à des temps différens.

Les dates des excavations du bassin Léman et de celui de l’Aar paraissent devoir être fixées à une époque avancée de la période tertiaire, puisque les blocs des roches primaires qui ont franchi l’espace occupé par ces vallées, reposent sur les molasses et les pséphites de cette période.

L’excavation de la Manche se serait, au contraire, opérée dans les siècles qui joignent la période secondaire à la tertiaire, puisque l’Angleterre est censée avoir été adhérente au continent pendant que se déposait la craie, et en était déjà isolée quand se sont formés les bassins partiels de l’argile de Londres et du calcaire grossier de Paris.

M. Brongniart, qui a décrit les traînées formées de ces débris roulés, depuis le haut plateau de la Scandinavie jusqu’à la mer Baltique, a observé qu’elles étaient généralement dirigées du nord-nord-est au sud-sud ouest ; qu’elles avaient laissé dans les roches, situées sur leur passage, les empreintes de leurs frottement, et que leurs blocs les plus volumineux occupaient la zone supérieure de ces longs amas. Il a aussi reconnu sur le plateau d’Uddevalla les érosions du courant diluvien qui a détaché et entraîné dans la même direction les roches basaltiques de son étage supérieur.

Deux observations non moins importantes ont été ajoutées par M. Razoumowski[15] : l’une, que ces blocs descendus de la Scandinavie se trouvent bien moins dans les plaines que sur les pentes septentrionales des collines germaniques ; l’autre, qu’il y a eu des émissions de ces blocs dont la direction est du nord-ouest au sud-est. La pluralité et la diversité des torrens diluviens Scandinaves est ainsi démontrée. Il en est de même dans toutes les autres régions. On ne saurait rapporter tous ces phénomènes à une révolution unique et universelle. Chaque contrée a eu ses bouleversemens ; et, dans les montagnes, chaque vallée a eu ses débâcles.

M. de Beaumont a fait cette remarque importante que, dans la plupart des vallées alpines, des blocs énormes font partie du dernier étage ou gradin qui surmonte le grand dépôt de cailloux roulés, et que celui-ci se trouve aussi quelquefois disposé en banquettes étagées sur les parois des vallées où s’était formé leur amas.

Des fragmens de roche anguleux s’y trouvent mêlés avec ceux qui ont été arrondis par les frottement. Ce mélange et le désordre de leur accumulation sont les caractères propres à faire distinguer, parmi les dépôts de comblement, ceux qui peuvent mériter le nom de diluviens. Toutes les époques ont fourni des exemples de ces dépôts d’inondation ou avalanches pierreuses, et il s’en produit encore tous les jours.

La disposition par gradins des amas supérieurs de ces terrains de transport de divers âges se rapporte évidemment aux mêmes causes, déjà exposées, au sujet de la stratification des cailloux roulés dans les bassins inférieurs.

Cette disposition ne se trouve point dans les amas dont le creusement par les eaux courantes n’a point été interrompu depuis le faite jusqu’à la base.

Quand, au contraire, le lit des torrens qui ont charrié et accumulé ces débris a subi des abaissemens périodiques proportionnels à ceux du niveau des mers ou des lacs l’époque de chacun de ces abaissemens se trouve en quelque sorte signalée par l’un de ces gradins étagés sur les parois de la vallée. Les gradins sont les restes de la couche de cailloux et de blocs que le torrent n’a point entraînés en y creusant son lit ; et la superficie du terrain, déblayé par ses eaux, a toujours été en se rétrécissant d’étage en étage, à mesure que l’excavation se faisait plus profonde.


§ XIII. Résumé.

En résumé, les terrains de la période tertiaire, improprement appelés diluviens, sont ceux que les eaux courantes, soit habituelles, soit grossies par les pluies et les débâcles, ont entraînés des hautes régions dans les cavités inférieures, qui ont été ainsi comblées successivement.

Dans celles de l’intérieur des montagnes, de grands amas de cailloux roulés ont été formés, et quelquefois cimentés et mis à l’état de pséphites sous les eaux lacustres.

Dans celles qui sont situées auprès de la base des montagnes, en dedans ou en dehors, les dépôts de limons, de sables, de graviers et galets quarzeux ont précédé l’émission des cailloux granitiques et porphyriques. Ceux-ci étaient, pendant ce temps, retenus dans les cavités supérieures.

Le creusement des vallées les plus récentes s’est opéré dans l’épaisseur du dépôt de comblement qui a succédé immédiatement au dernier terrain d’eau douce, et se trouve, comme lui, parsemé de débris osseux des anciens mammifères pachydermes, ruminans et autres.

L’excavation des terrains de comblement les a laissés en plusieurs endroits disposés par étages, qui vont se rétrécissant à mesure qu’ils se rapprochent du niveau actuel de la mer, et paraissent tous être les indices et les restes de ses anciens rivages.


  1. Les grands groupes granitiques d’où descendent les eaux de la Sègre, de l’Ariége, de l’Essera ; ceux de Neige vieille, auprès de Barège et des environs de Cauterêts, sont couronnés de lacs encore existans.
  2. Mémoire de M. de Studer, sur les Molasses. Voyez le Bull. des Sciences naturelles t. IV, p. 179.
  3. Annales des sciences naturelles, t. XIX, p. 12.
  4. Mém. de M. E. de Beaumont, Ann. des sciences naturelles, t. XIX, p. 96.
  5. Ce bassin s’étend, à l’ouest, jusqu’à l’arête qui joint les Pyrénées aux Cévennes, et que l’Aude traverse entre Homps et Argens. Avant l’ouverture de ce défilé dans le calcaire secondaire, cette arête séparait le versant méditerranéen de l’océanique. Le point dominant est maintenant situé sur le plateau tertiaire et alluvial de Naurouse.
  6. Traite de géognosie, t. II, p. 310.
  7. Bulletin de la société de géologie, t. I, p. 146.
  8. Ce bassin embrasse les vallées de l’Aude, de l’Orb et de l’Hérault.
  9. Detourg, de Marseille.
  10. On pourrait aussi alléguer que les roches granitiques et porphyriques ont été formées les dernières, et cette opinion est fort en vogue aujourd’hui. Mais comment supposer que le centre ou le noyau des montagnes est moins ancien que ses appendices ? D’ailleurs, les cailloux de ces roches centrales occupent les cavités supérieures des montagnes qui ont été comblées avant les inférieures.
  11. Ann. de chimie et de phys., t. XVII, p. 223.
  12. Daubuisson, Traité de géognosie, t. II. p. 463.
  13. Voyez l’extrait du Mémoire de M. de Buch, au Bulletin des Sciences naturelles, mai. 1828, page 5.
  14. M. Deluc, même Bulletin, p. 3 ; M. Boué, etc.
  15. Ann. des sc. nat., t. XVIII, p. 133.