Mémoires du Sergent Bourgogne/03
III
La retraite. — Revue de mon sac. — L’Empereur en danger. — De Mojaïsk à Slawkowo.
Le 18 octobre au soir, lorsque nous étions, comme tous les jours, plusieurs sous-officiers réunis, étendus, comme des pachas, sur des peaux d’hermine, de marte-zibeline, de lion et d’ours, et sur d’autres fourrures non moins précieuses, fumant dans des pipes de luxe, le tabac à la rose des Indes, et qu’un punch monstre au rhum de la Jamaïque flamboyait au milieu de nous, dans le grand vase en argent du boyard russe, et faisait fondre un énorme pain de sucre soutenu en travers du vase par deux baïonnettes russes ; au moment où nous parlions de la France et du plaisir qu’il y aurait d’y retourner en vainqueurs, après une absence de plusieurs années ; où nous faisions nos adieux et nos promesses de fidélité aux Mogolesses, Chinoises et Indiennes, nous entendîmes un grand bruit dans un grand salon où étaient couchés les soldats de la compagnie. Au même instant, le fourrier de semaine entra pour nous annoncer que, d’après l’ordre, il fallait nous tenir prêts à partir.
Le lendemain 19, de grand matin, la ville se remplit de juifs et de paysans russes ; les premiers, pour acheter aux soldats ce qu’ils ne pouvaient emporter, et les autres pour ramasser ce que nous jetions dans les rues. Nous apprîmes que le maréchal Mortier restait au Kremlin avec dix mille hommes, avec ordre de s’y défendre au besoin.
Dans l’après-midi, nous nous mîmes en marche, non sans avoir fait, comme nous pûmes, quelques provisions de liquides que nous mîmes sur la voiture de notre cantinière, la mère Dubois, ainsi que notre grand vase en argent ; il était presque nuit lorsque nous étions hors de la ville. Un instant après, nous nous trouvâmes au milieu d’une grande quantité de voitures, conduites par des hommes de différentes nations, marchant sur trois ou quatre rangs, sur une étendue de plus d’une lieue. L’on entendait parler français, allemand, espagnol, italien, portugais, et d’autres langues encore, car des paysans moscovites suivaient aussi, ainsi que beaucoup de juifs : tous ces peuples, avec leurs costumes et leurs langages différents, les cantiniers avec leurs femmes et leurs enfants pleurant, se pressant en tumulte et en un désordre dont on ne peut se faire une idée. Quelques-uns avaient déjà leurs voitures brisées ; ceux-là criaient et juraient, de manière que c’était un tintamarre à vous casser la tête. Nous finîmes, non sans peine, à dépasser cet immense convoi, qui était celui de toute l’armée. Nous avançâmes sur la route de Kalouga (là, nous étions en Asie) ; un instant après, nous arrêtâmes pour bivaquer dans un bois, le reste de la nuit, et comme elle était déjà très avancée, notre repos ne fut pas long.
À peine s’il faisait jour, que nous nous remîmes en marche. Nous n’avions pas encore fait une lieue, que nous rencontrâmes encore une grande partie du fatal convoi, qui nous avait dépassés pendant le peu de repos que nous avions pris. Déjà, une grande partie des voitures étaient brisées et d’autres ne pouvaient plus avancer, à cause que le chemin était de sable et que les roues enfonçaient beaucoup. L’on entendait crier en français, jurer en allemand, réclamer le bon Dieu en italien, et la Sainte Vierge en espagnol et en portugais.
Après avoir passé toute cette bagarre, nous fûmes obligés d’arrêter pour attendre la gauche de la colonne. Je profitai de cette circonstance pour faire une revue de mon sac, qui me semblait trop lourd, et voir s’il n’y avait rien à mettre de côté afin de m’alléger. Il était assez bien garni : j’avais plusieurs livres de sucre, du riz, un peu de biscuit, une demi-bouteille de liqueur, le costume d’une femme chinoise en étoffe de soie, tissée d’or et d’argent, plusieurs objets de fantaisie en or et argent, entre autres un morceau de la croix du grand Ivan[1], c’est-à-dire un morceau de l’enveloppe qui la recouvrait, qui était d’argent doré et qui m’avait été donné par un homme de la compagnie qui avait été commandé de corvée avec d’autres hommes du même état, couvreurs et charpentiers, pour la détacher.
J’avais aussi mon grand uniforme, une grande capote de femme servant à monter à cheval (cette capote était de couleur noisette, doublée en velours vert, et, comme je n’en connaissais pas l’usage, je me figurais que la femme qui l’avait portée avait plus de six pieds) ; plus deux tableaux en argent d’un pied de long sur huit pouces de hauteur, dont les personnages étaient en relief : l’un de ces tableaux représentait le jugement de Pâris, sur le mont Ida. L’autre représentait Neptune, sur un char formé d’une coquille et traîné par des chevaux marins. Tout cela était d’un travail fini. J’avais, en outre, plusieurs médaillons et un crachat d’un prince russe enrichi de brillants. Tous ces objets étaient destinés pour des cadeaux et avaient été trouvés dans des caves où les maisons avaient croulé par suite de l’incendie.
Comme l’on voit, mon sac devait peser, mais, pour qu’il ne soit plus aussi lourd, je laissai sur le terrain ma culotte blanche, prévoyant bien que je n’en aurais pas besoin de sitôt. Sur moi, j’avais, sur ma chemise, un gilet de soie jaune piqué et ouaté que j’avais fait moi-même avec le jupon d’une femme, et, par-dessus tout, un grand collet doublé en peau d’hermine, plus une carnassière suspendue à mon côté et sous mon collet, par un large galon en argent, contenant plusieurs objets parmi lesquels était un Christ en or et argent, ainsi qu’un petit vase en porcelaine de Chine. Ces deux pièces ont échappé au naufrage comme par miracle ; je les possède encore et les conserve comme des reliques. Ensuite, mon fourniment, mes armes et soixante cartouches dans ma giberne ; ajoutez à cela de la santé, de la gaieté, de la bonne volonté et l’espoir de présenter mes hommages aux dames mogoles, chinoises et indiennes, et vous aurez une idée du sergent vélite de la Garde impériale[2].
À peine avais-je passé la revue de mon butin, que nous entendîmes, devant nous, quelques coups de fusil ; l’on nous fit prendre les armes et doubler le pas. Une demi-heure après, nous arrivâmes sur l’emplacement où un convoi, escorté par un détachement de lanciers rouges de la Garde, avait été attaqué par des partisans.
Plusieurs lanciers étaient tués, et aussi des Russes et quelques chevaux. Près d’une voiture, l’on voyait étendue à terre et sur le dos, une jolie femme, morte de saisissement. Nous continuâmes à marcher sur une route assez belle. Le soir, nous arrêtâmes et nous formâmes notre bivac dans un bois, afin d’y passer la nuit.
Le lendemain 21, de grand matin, nous nous remîmes en marche, et, dans le milieu du jour, nous rencontrâmes un parti de Cosaques réguliers, que l’on chassa à coups de canon. Après avoir marché une partie de cette journée à travers les champs, nous arrêtâmes près d’une prairie, au bord d’un ruisseau, où nous passâmes la nuit.
Le 22, nous eûmes de la pluie. L’on marcha lentement et avec peine jusqu’au soir, où nous arrêtâmes et prîmes position près d’un bois. Dans la nuit, nous entendîmes une forte explosion : nous sûmes, après, que c’était le Kremlin que le maréchal Mortier venait de faire sauter, par le moyen d’une grande quantité de poudre que l’on avait mise dans les caves. Le maréchal était parti de Moscou trois jours après nous, le 22, avec ses dix mille hommes, dont deux régiments de Jeune Garde que nous rejoignîmes, quelques jours après, sur la route de Mojaïsk. Le reste de cette journée, nous fîmes peu de chemin, quoique marchant toujours.
Le 24, nous n’étions pas loin de Kalouga. Le même jour, l’armée d’Italie, commandée par le prince Eugène, ainsi que d’autres corps que le général Corbineau commandait, se battaient, à Malo-Jaroslawetz, contre l’armée russe qui voulait nous disputer le passage. Dans cette lutte, qui fut sanglante, 16 000 hommes des nôtres se battirent contre 70 000 Russes, qui perdirent 8 000 hommes, et nous 3 000. Nous eûmes plusieurs officiers supérieurs tués et blessés, entre autres le général Delzons, frappé d’une balle au front. Son frère, qui était colonel, voulut le secourir ; à son tour, il fut atteint d’une seconde balle ; tous deux expirèrent à la même place.
Le 25, au matin, j’étais de garde depuis la veille au soir, près d’une petite maison isolée où l’Empereur était logé et où il avait passé la nuit ; le soleil se montrait au travers d’un épais brouillard, comme il en fait souvent au mois d’octobre, quand, tout à coup et sans prévenir personne, il monta à cheval, suivi seulement de quelques officiers d’ordonnance. À peine était-il parti, que nous entendîmes un grand bruit ; un moment, nous crûmes que c’étaient des cris de « Vive l’Empereur ! » mais nous entendîmes crier : « Aux armes ! » C’étaient plus de 6 000 Cosaques commandés par Platoff, qui, à la faveur du brouillard et des ravins, étaient venus faire un hourrah. Aussitôt les escadrons de service de la Garde s’élancèrent dans la plaine ; nous les suivîmes, et, pour raccourcir notre chemin, nous traversâmes un ravin. Dans un instant, nous fûmes devant cette nuée de sauvages qui hurlaient comme des loups et qui se retirèrent. Nos escadrons finirent par les atteindre et leur reprendre tout ce qu’ils avaient enlevé de bagages, de caissons, en leur faisant essuyer beaucoup de pertes.
Lorsque nous entrâmes dans la plaine, nous vîmes l’Empereur presque au milieu des Cosaques, entouré des généraux et de ses officiers d’ordonnance, dont un venait d’être dangereusement blessé, par une fatale méprise : au moment où les escadrons entraient dans la plaine, plusieurs de ses officiers avaient été obligés, pour se défendre, et pour défendre l’Empereur, qui était au milieu d’eux et qui avait failli être pris, de faire le coup de sabre avec les Cosaques. Un des officiers d’ordonnance, après avoir tué un Cosaque et en avoir blessé plusieurs autres, perdit, dans la mêlée, son chapeau, et laissa tomber son sabre. Se trouvant sans armes, il courut sur un Cosaque, lui arracha sa lance et se défendit avec. Dans ce moment, il fut aperçu par un grenadier à cheval de la Garde qui, à cause de sa capote verte et de sa lance, le prit pour un Cosaque, courut dessus et lui passa son sabre au travers du corps[3].
Le malheureux grenadier, désespéré en voyant sa méprise, veut se faire tuer ; il s’élance au milieu de l’ennemi, frappant à droite et à gauche ; tout fuit devant lui. Après en avoir tué plusieurs, n’ayant pu se faire tuer, il revint seul et couvert de sang demander des nouvelles de l’officier qu’il avait si malheureusement blessé. Celui-ci guérit et revint en France sur un traîneau.
Je me rappelle qu’un instant après cette échauffourée, l’Empereur, étant à causer avec le roi Murat, riait de ce qu’il avait failli être pris, car il s’en est fallu de bien peu. Le grenadier-vélite Monfort, de Valenciennes, avait encore eu l’occasion de se distinguer, en tuant et en mettant hors de combat plusieurs Cosaques.
Nous restâmes encore quelque temps dans cette position, et nous nous mîmes en marche, laissant Kalouga sur notre gauche. Nous traversâmes, sur un mauvais pont, une rivière fangeuse et fort escarpée, et prîmes la direction de Mojaïsk.
Le 26, nous fîmes encore une petite étape, et, le 27, après avoir marché sans interruption jusqu’au soir, nous allâmes coucher près de Mojaïsk ; cette nuit, il commença à geler.
Le 28, nous partîmes de grand matin et, dans la journée, après avoir traversé une petite rivière, nous nous trouvâmes sur l’emplacement du fameux champ de bataille encore tout couvert de morts et de débris de toute espèce. On voyait sortir de terre des jambes, des bras, et des têtes ; presque tous ces cadavres étaient des Russes, car les nôtres, autant que possible, nous leur avions donné la sépulture. Mais, comme tout cela avait été fait à la hâte, les pluies qui étaient survenues depuis, en avaient mis une partie à découvert. Rien de plus triste à voir que tous ces morts qui, à peine, conservaient une forme humaine ; il y avait cinquante-deux jours que la bataille avait eu lieu.
Nous allâmes établir notre bivac un peu plus avant, et nous passâmes près de la grande redoute où le général Caulaincourt avait été tué et enterré. Lorsque nous fûmes arrêtés, nous nous occupâmes de nous abriter, afin de passer la nuit le mieux possible. Nous fîmes du feu avec les débris d’armes, de caissons, d’affûts de canon ; mais, pour l’eau, nous fûmes embarrassés, car la petite rivière qui coulait près de notre camp et où il se trouvait peu d’eau, était remplie de cadavres en putréfaction ; il fallut remonter à plus d’un quart de lieue pour en avoir de potable. Lorsque nous fûmes organisés, je fus avec un de mes amis[4] visiter le champ de bataille ; nous allâmes jusqu’au ravin, à la place même où, le lendemain de la bataille, le roi Murat avait fait dresser ses tentes.
Le même jour, le bruit courut qu’un grenadier français avait été trouvé sur le champ de bataille, vivant encore : il avait les deux jambes coupées, et, pour abri, la carcasse d’un cheval dont il s’était nourri de la chair, et, pour boisson, l’eau d’un ruisseau rempli de cadavres. L’on a dit qu’il fut sauvé : pour le moment, je le pense bien, mais, par la suite, il aura fallu l’abandonner, comme tant d’autres. Le soir de cette journée, la faim commença à se faire sentir chez quelques-uns qui avaient épuisé leurs provisions. Jusqu’alors chacun, chaque fois que l’on faisait la soupe, donnait sa part de farine, mais, lorsque l’on s’aperçut que tout le monde n’y contribuait plus, l’on se cacha pour manger ce que l’on avait ; il n’y avait que la soupe de viande de cheval, que l’on faisait depuis quelques jours, que l’on mangeait en commun.
Le jour suivant, nous passâmes près d’une abbaye qui avait servi d’hôpital à une partie de nos blessés de la grande bataille. Beaucoup s’y trouvaient encore. L’Empereur donna l’ordre de les transporter sur toutes les voitures, à commencer par les siennes, mais des cantiniers, à qui l’on avait confié plusieurs de ces malheureux, les abandonnèrent sur la route, sous différents prétextes, et cela pour conserver le butin qu’ils emportaient de Moscou et dont leurs voitures étaient chargées. Cette nuit, nous couchâmes dans un bois en arrière de Ghjat, où l’Empereur logea ; pendant la nuit, pour la première fois, il tomba de la neige.
Le lendemain, 30, la route était déjà mauvaise ; beaucoup de voitures, chargées de butin, avaient peine à se traîner, beaucoup déjà se trouvaient brisées, et d’autres, craignant le même sort, s’allégeaient en se débarrassant d’objets inutiles. Ce jour-la, j’étais d’arrière-garde, et, comme je me trouvais tout à fait en arrière de la colonne, à même de voir le commencement du désordre. La route était jonchée d’objets précieux, comme tableaux, candélabres et beaucoup de livres, car, pendant plus d’une heure, je ramassai des volumes que je parcourais un instant, et que je rejetais ensuite pour être ramassés par d’autres qui, à leur tour, les abandonnaient.
C’étaient des éditions de Voltaire, de Jean-Jacques Rousseau et de l’Histoire naturelle par Buffon, reliées en maroquin rouge et dorées sur tranche.
C’est dans cette journée que j’eus le bonheur de faire l’acquisition d’une peau d’ours, qu’un soldat de la compagnie venait, me dit-il, de ramasser dans une voiture brisée, remplie de fourrures. Le même jour, notre cantinière perdit son équipage avec nos vivres et notre grand vase en argent, dans lequel nous avions fait tant de punch.
Le 30, nous arrivâmes à Viasma, ville au schnaps, ainsi nommée, par nos soldats, à cause de l’eau-de-vie que l’on y trouva en allant à Moscou. L’Empereur fit séjour ; notre régiment alla plus avant.
J’oubliais de dire qu’avant d’arriver à cette ville, nous fîmes une grande halte et que, m’étant retiré sur la droite de la route, près d’un bois de sapins, je rencontrai un sergent des chasseurs de la Garde, que je connaissais[5]. Il avait profité d’un feu qui se trouvait tout fait, pour faire cuire une marmite de riz, dont il m’invita à prendre part. Il avait, avec lui, la cantinière du régiment, qui était une Hongroise avec qui il était le mieux du monde, et qui avait encore sa voiture attelée de deux chevaux et bien garnie de vivres, de fourrures et d’argent. Je restai avec eux tout le temps de la halte, plus d’une heure. Pendant ce temps, un sous-officier portugais s’approcha de nous pour se chauffer ; je lui demandai où était son régiment ; il me répondit qu’il était dispersé, mais que lui, il était chargé, avec un détachement, d’escorter sept à huit cents prisonniers russes qui, n’ayant rien pour se nourrir, étaient réduits à se manger l’un l’autre, c’est-à-dire que, lorsqu’il y en avait un de mort, ils le coupaient par morceaux et se le partageaient pour le manger ensuite. Pour preuve de ce qu’il me disait, il s’offrit de me le faire voir ; je refusai. Cette scène se passait à cent pas de l’endroit où nous étions ; nous sûmes, quelques jours après, que l’on avait été obligé d’abandonner le reste, ne pouvant les nourrir.
Le sergent des chasseurs, dont je viens de parler, finit par tout perdre avec sa cantinière, à Wilna ; ils furent tous deux prisonniers.
Le 1er novembre, nous avions, comme la nuit précédente, couché près d’un bois, sur le bord de la route : depuis plusieurs jours, nous avions déjà commencé à vivre de viande de cheval. Le peu de vivres que nous avions pu emporter de Moscou était consommé, et nos misères commençaient avec le froid qui, déjà, se faisait sentir avec force. Pour mon compte, j’avais encore un peu de riz que je conservais pour les derniers moments, car je prévoyais, pour la suite, des misères plus grandes encore.
Ce jour-là, je faisais encore partie de l’arrière-garde, qui était composée de sous-officiers, à cause que déjà beaucoup de soldats restaient en arrière pour se reposer et se chauffer à des feux que ceux qui étaient devant nous avaient abandonnés en partant. En marchant, j’aperçus, sur ma droite, plusieurs hommes de différents régiments, dont quelques-uns étaient de la Garde, autour d’un grand feu. Je fus envoyé par l’adjudant-major, afin de les engager à suivre ; étant près d’eux, je reconnus Flament, dragon vélite. Je le trouvai faisant cuire un morceau de cheval au bout de son sabre, dont il m’invita de prendre part ; je l’engageai à suivre la colonne ; il me répondit qu’aussitôt qu’il aurait fait son repas, il se remettrait en route, mais qu’il était malheureux, puisqu’il était forcé de faire la route à pied, avec ses bottes à l’écuyère, à cause que, le jour avant, dans un combat contre les Cosaques, où il en avait tué trois, son cheval avait attrapé un écart, de sorte qu’il était obligé de le conduire par la bride. Heureusement que l’homme qui me suivait, dans ce moment, était mon homme de confiance, et qui avait, dans son sac, une paire de souliers à moi, que je donnai au pauvre Flament, de manière à ce qu’il puisse se chausser comme un fantassin, et marcher de même. Je lui fis mes adieux sans penser que je ne le reverrais plus ; j’appris, deux jours après, qu’il avait été tué près d’un bois, au moment où, avec d’autres traîneurs comme lui, il allait faire du feu pour se reposer.
Le 2, avant d’arriver à Slawkowo, nous vîmes, sur notre gauche, tenant à la route, un blockhaus, ou station militaire, espèce de grande baraque fortifiée, occupée par des militaires de différents régiments et des blessés. Ceux qui étaient les moins malades et qui purent suivre, se joignirent à nous, et les autres furent mis, autant que possible, sur des voitures ; tant qu’aux plus malades, ils furent abandonnés à la clémence de l’ennemi, ainsi que des médecins et chirurgiens qu’on laissa pour en avoir soin.
- ↑ J’ai oublié de dire qu’au milieu de la grande croix de Saint-Ivan, il s’en trouvait une petite en or massif, d’un pied de long. (Note de l’auteur.)
- ↑ À cause du blocus continental, le bruit courait dans l’armée que nous devions aller en Mongolie et en Chine, pour nous emparer des possessions anglaises. (Note de l’auteur.)
- ↑ Cet officier se nommait M. Leaulteur. (Note de l’auteur.)
- ↑ Grangier, sergent. (Note de l’auteur.)
- ↑ Ce sergent se nommait Guinard ; il était natif de condé (Note de l’auteur.)