Mémoires du Sergent Bourgogne/11

La bibliothèque libre.


XI

Séjour à Elbing. — Madame Gentil. — Un oncle à héritage. — Le 1er  janvier 1813. — Picart et les Prussiens. — Le père Elliot. — Mes témoins.


Nous allâmes, sans perdre de temps, à l’Hôtel de Ville, afin d’avoir des billets de logement. Nous le trouvâmes encombré de militaires.

Nous y remarquâmes beaucoup d’officiers de cavalerie bien plus misérables que nous, car presque tous avaient, par suite du froid, perdu les doigts des mains et des pieds, et d’autres le nez ; ils faisaient peine à voir. Je dirai, en faveur des magistrats de la ville, qu’ils faisaient tout ce qu’il était possible de faire pour les soulager, en leur donnant de bons logements et en les recommandant, afin que l’on eût soin d’eux.

Au bout d’une demi-heure d’attente, on nous donna un billet de logement pour nous cinq et pour notre cheval ; nous nous empressâmes d’y aller.

C’était un grand cabaret ou plutôt une tabagie ; nous y fûmes fort mal reçus. On nous désigna, pour chambre, un grand corridor sans feu et de la mauvaise paille. Nous fîmes des observations ; on nous répondit que c’était assez bon pour des Français, et que, si cela ne nous convenait pas, nous pouvions aller dans la rue. Indignés d’une pareille réception, nous sortîmes de cette maison en témoignant tout notre mépris au butor qui nous recevait de la sorte et en le menaçant de rendre compte de sa conduite aux magistrats de la ville.

Nous décidâmes qu’il fallait tâcher de changer notre billet, et c’est moi qui fus chargé de cette mission, pendant que mes camarades m’attendaient dans une auberge où nous venions d’entrer.

Lorsque j’arrivai à l’Hôtel de Ville, il n’y avait pas beaucoup de monde. Je m’adressai au bourgmestre qui parlait français. Je lui contai la manière brutale dont nous avions été reçus. Je lui montrai mon pied droit enveloppé d’un morceau de peau de mouton, et la main droite dont une phalange, la première du doigt du milieu, était près de tomber. Il parla à celui qui était chargé des logements, qui me dit que nous ne pourrions pas être logés ensemble : « Voilà, me dit-il, un billet pour quatre et le cheval ; en voilà un autre que je vous conseille de garder pour vous. C’est chez un Français qui a épousé une femme de la ville. » Après l’avoir remercié, je retournai trouver mes camarades.

Arrivés au faubourg, nous allâmes au logement du billet pour quatre et le cheval. C’était la maison d’un pêcheur située sur le bord d’un canal dans la direction du port ; nous y fûmes assez bien reçus. Lorsque nous fûmes organisés, j’offris le billet qui était pour un, à celui qui le voudrait, mais personne n’en voulut. Alors je le gardai, et je m’informai si c’était loin de l’endroit où nous étions : il n’y avait qu’un pont à traverser.

La maison me parut très apparente. En entrant, la première personne que je rencontrai, fut la domestique, grosse Allemande aux joues fleuries. Je lui présentai mon billet. Elle me dit que, déjà, il y avait quatre militaires logés et, en même temps, elle alla chercher la dame de la maison, qui me dit la même chose, en me montrant la chambre où ils étaient. C’étaient justement des hommes du régiment qui, comme nous, venaient d’arriver isolément. Je pris aussitôt la résolution de retourner au premier logement rejoindre mes camarades. Mais la dame, qui venait de voir, sur son billet, que j’étais sous-officier de la Garde impériale, me dit : « Écoutez, mon pauvre monsieur, vous me paraissez si souffrant, que je ne veux pas vous laisser sortir d’ici. Suivez-moi, je vais vous donner une chambre pour vous seul, et vous aurez un bon lit, car je vois que vous avez besoin de repos. » Je lui répondis que c’était très bien à elle d’avoir pitié de moi, mais que je ne lui demandais que de la paille et du feu : « Vous aurez tout cela », me répondit-elle. En même temps, elle me fit entrer dans une petite chambre chaude et propre, où se trouvait un lit couvert d’un édredon. Mais je lui demandai en grâce de me faire donner de la paille avec des draps et de l’eau chaude pour me laver.

On m’apporta tout ce que j’avais demandé, plus un grand baquet en bois pour me laver les pieds. J’en avais bien besoin, mais ce n’était pas tout : la tête, la figure, la barbe n’avaient pas été faites depuis le 16 décembre. Je priai le domestique, qui se nommait Christian, d’aller me chercher un barbier. Il me rasa, ou plutôt m’écorcha la figure ; il prétendit que j’avais la peau durcie par suite du froid ; tant qu’à moi, je pensai que ses rasoirs étaient comme des scies.

L’opération finie, je me fis couper les cheveux et même la queue. Après l’avoir généreusement payé, je lui demandai s’il ne connaissait pas un marchand de vieux habits, car j’avais besoin d’un pantalon. Après son départ, un juif arriva avec des pantalons qu’il cachait dans un sac. Il s’en trouvait de toutes les couleurs, des gris, des bleus, mais tous trop petits ou trop grands, ou malpropres. L’enfant d’Israël, voyant que rien ne me convenait, me dit qu’il allait revenir avec quelque chose qui me plairait. En effet, il ne tarda pas à reparaître avec un pantalon à la Cosaque, de couleur amarante et en drap fin. Il était fort large. C’était le pantalon d’un cavalier, probablement d’un aide de camp du roi Murat. N’importe, je l’essayai et, prévoyant que j’aurais bien chaud avec, je le gardai. On y voyait encore, de chaque côté, la marque d’un large galon que le juif avait eu la précaution d’enlever. Je lui donnai en échange la petite giberne du docteur, garnie en argent, que j’avais prise sur le Cosaque, le 23 novembre. En outre, il exigea cinq francs que je lui donnai.

Il me restait encore trois belles chemises du commissaire des guerres : je me disposai à changer de linge, mais, lorsque je me regardai, je me dis que, pour bien faire, il me faudrait un bain, car j’avais encore, par tout le corps, des traces de vermine. Je m’informai à la domestique s’il y avait des bains près de l’endroit où nous étions ; mais ne pouvant me comprendre, elle alla chercher sa dame qui vint aussitôt : c’est alors que je remarquai que mon hôtesse était une belle et jolie femme, mais, pour le moment, mes observations n’allèrent pas plus loin car, dans la position où je me trouvais, j’avais trop à m’occuper de ma personne. Elle me demanda ce que je voulais. Je lui dis que, désirant prendre un bain, je voudrais qu’elle eût la bonté de m’indiquer où je pourrais me le procurer. Elle me répondit qu’il y en avait, mais que c’était trop loin ; que, si je voulais, on pourrait m’en préparer un chez elle : elle avait de l’eau chaude et une grande cuve ; que, si je voulais me contenter de cela, on allait me la préparer. Comme on peut bien le penser, j’acceptai avec le plus grand plaisir, et un instant après, la domestique me fit signe de la suivre. Alors, prenant mon sac et mon pantalon amarante, j’entrai dans une espèce de buanderie où je trouvai tout ce qui était nécessaire, même du savon, pour me nettoyer.

Je ne pourrais exprimer le bien que je ressentis pendant le temps que je restai dans le bain ; j’y restai même trop longtemps, car la domestique vint voir s’il ne m’était rien arrivé de fâcheux. Elle s’était aperçue, en entrant, que j’étais fort embarrassé pour me nettoyer le dos. Aussitôt, sans me demander la permission, elle va chercher un grand morceau de flanelle rouge et, s’approchant de la cuve, elle me pose la main gauche sur le cou et, de l’autre, elle me frotte le dos, les bras, la poitrine. Comme on peut bien le penser, je me laissais faire. Elle me demandait si cela me faisait du bien ; je lui répondais que oui. Alors elle redoublait de zèle jusqu’à me fatiguer. Enfin, après m’avoir bien étrillé, nettoyé, essuyé, elle sortit en riant comme une grosse bête, sans me donner le temps de la remercier.

Je passai une des belles chemises du commissaire des guerres ; ensuite j’enfourchai le large pantalon à la Cosaque et, pieds nus, je regagnai la chambre où était mon lit, sur lequel je me laissai tomber. Il était temps, car il me prit une faiblesse et je perdis connaissance. Je ne sais combien de temps je restai dans cette situation, mais, lorsque je pus y voir, je remarquai, à mes côtés, la dame de la maison, la domestique et deux soldats du régiment qui étaient logés dans la maison et que l’on avait été chercher, pensant que j’avais quelque chose de grave, mais il n’en était rien. Cette faiblesse était occasionnée par le bain et aussi par les misères et fatigues que j’avais éprouvées.

Mme  Gentil — c’était le nom de la dame — voulut me faire prendre un bouillon qu’elle m’apporta et qu’elle voulut me faire prendre elle-même, en me soutenant la tête de son bras gauche. Je me laissai faire. Il y avait si longtemps que je n’avais été câliné !

Mme  Gentil était d’une beauté remarquable. Elle avait la taille mince et flexible, des yeux noirs et, à son teint blanc et vermeil, on reconnaissait une belle femme du Nord. Elle avait vingt-quatre ans. Il me souvint que l’on m’avait dit qu’elle avait épousé un Français ; lui ayant demandé si cela était vrai, elle me répondit que c’était la vérité.

En 1807, un convoi de blessés français venant des environs de Dantzig, arriva à Elbing et, comme l’hôpital était rempli de malades, ces blessés furent logés chez les habitants : « Pour notre compte, me dit-elle, nous eûmes un hussard blessé d’un coup de balle dans la poitrine et d’un coup de sabre au bras gauche. Ma mère et moi, nous lui donnâmes des soins qui hâtèrent sa guérison. — Alors, lui dis-je, en reconnaissance de ce service, il vous épousa ? » Elle me répondit en riant que c’était vrai. Je lui dis que j’en aurais bien fait autant, parce qu’elle était la plus belle femme que j’aie jamais vue. Mme  Gentil se mit à rire, à rougir et à me parler, et elle parlait probablement encore, quand je m’endormis pour ne me réveiller que le lendemain à neuf heures du matin.

Pendant quelques moments, je ne me souvins plus où j’étais ; la domestique entra accompagnée de Mme  Gentil qui m’apportait du café, du thé et des petits pains. Il y avait longtemps que je m’étais trouvé à pareille fête ! J’oubliais le passé pour ne plus penser qu’au présent et à Mme  Gentil. J’oubliais même mes camarades.

Mme  Gentil me regardait attentivement, ensuite, me passant la main sur la figure, elle me demanda ce que j’avais ; je lui répondis que je n’avais rien : « Mais si, me dit-elle, vous êtes bouffi, vous avez la figure enflée ! » Ensuite, elle me conta qu’un sous-officier de la Garde impériale était venu, la veille dans l’après-midi, en lui demandant s’il n’y avait pas un sous-officier logé chez elle ; elle lui avait répondu qu’il y en avait un et, lui ayant montré la chambre où j’étais, il en était sorti en disant que ce n’était pas celui qu’il cherchait.

Au moment où Mme  Gentil me contait cela, mon ami Grangier entra, et il allait se retirer en disant : « Je vous demande pardon ; depuis hier, je cherche un de mes camarades et ne puis le trouver. Cependant c’est bien ici la rue et le numéro de la maison, porté sur le billet ! — Ah ça ! lui dis-je, ce n’est pas moi que tu cherches ? » Grangier partit d’un grand éclat de rire. Il ne m’avait pas reconnu ; cela n’était pas étonnant, je n’avais plus de queue, j’avais la figure enflée, j’étais blanc comme un cygne par suite du bain que j’avais pris, ou plutôt par la manière dont la domestique m’avait étrillé à tours de bras, avec son morceau de flanelle ! J’avais du linge blanc et fin, la tête bien peignée, les cheveux frisés. C’est alors qu’il me conta que, la veille, il était venu pour me voir, mais qu’en voyant un pantalon rouge sur une chaise, il s’était retiré, persuade qu’il s’était trompé.

Il m’annonça qu’il venait d’être prévenu qu’à trois heures il y avait réunion des débris de tous les corps de la Garde, et qu’il fallait que tout le monde fît son possible pour y venir, et qu’il viendrait me chercher. À deux heures, comme il me l’avait promis, il vint me prendre accompagne de mes autres camarades qui, en me voyant, se mirent tellement à rire que leurs lèvres, crevassées par suite de la gelée, en saignèrent.

Je les surpris agréablement en leur présentant du vieux vin du Rhin et des petits gâteaux que Mme  Gentil avait eu la bonté de me procurer, car elle était prévoyante et allait au-devant de tout ce qui pouvait me faire plaisir. Ce fut dans ce moment que je demandai où était son mari, ajoutant que, puisqu’il était Français, j’aurais du plaisir à le voir, afin de prendre un peu de vin avec lui. Elle me répondit que, depuis quelques jours, il était absent ; qu’il était parti avec son père à elle, sur les bords de la mer Baltique, où ils faisaient ensemble le commerce de fruits qu’ils expédiaient à Saint-Pétersbourg[1].

C’était le 24 décembre : un peu avant trois heures, nous nous rendîmes sur la grande place, en face du palais où était logé le roi Murat. En arrivant, j’aperçus l’adjudant-major Roustan qui, s’approchant de moi, me demanda qui j’étais. Je me mis à rire : « Tiens, dit-il, ce n’est pas vous, Bourgogne ? Le diable m’emporte ! On ne dirait pas que vous arrivez de Moscou, car vous paraissez gros, gras et frais. Et votre queue, ou est-elle ? » Je lui répondis qu’elle était tombée : « Eh bien, reprit-il, si elle est tombée, en arrivant à Paris je vous mets aux arrêts jusqu’au temps qu’elle soit repoussée ! »

À cette première réunion, il y avait peu de monde, mais on se revoyait avec plaisir car, depuis Wilbalen, 17 décembre, on ne s’était pour ainsi dire pas rencontrés. Chacun avait marché pour son compte et par des chemins différents.

Les jours suivants se passèrent de même : un appel par jour. Le quatrième de notre arrivée, on nous annonça la mort d’un officier supérieur de la Jeune Garde, mort du chagrin que lui avait causé la fin tragique d’une famille russe, mais d’origine française, domiciliée à Moscou, qu’il avait engagée à le suivre pendant la retraite, et dont j’ai raconte la triste fin, avant notre arrivée à Smolensk. J’appris qu’il était arrive à Elbing trois jours avant nous, mais que, deux jours après, étant de garde chez le roi Murat, au moment où il s’avançait, pour se chauffer, près d’une grande cheminée, sans penser qu’il avait placé sa giberne devant lui afin qu’elle ne le gênât pas pour se reposer, une étincelle mit le feu à la poudre, une explosion eut lieu et, par suite de cet accident, il eut la figure, les moustaches et les cheveux brûlés. On m’assura qu’il n’avait rien de bien grave, qu’il en serait quitte pour changer de peau.

Le 29 décembre, je commençais à bien me rétablir. L’enflure de ma figure avait disparu, le pied gelé allait bien, ainsi que la main, et tout cela grâce aux soins de Mme  Gentil qui me soignait comme un enfant. Son mari, que je n’avais pas encore vu, revint de voyage. Il ne resta que deux jours chez lui ; il en repartit avec des marchandises pour aller rejoindre son beau-père qui les expédiait en Russie par des traîneaux, les communications étant libres depuis que nous n’y étions plus. Il me conta qu’il avait servi dans le 3e hussards pendant trois ans, et qu’après avoir reçu deux graves blessures dans une affaire auprès de Dantzig, reconnu incapable de continuer à servir, il avait reçu son congé ; qu’après cela il avait préféré rester dans ce pays et se marier, puisqu’il avait une connaissance, à retourner dans son pays qui était la Champagne Pouilleuse, où il ne possédait absolument rien.

Le lendemain 30 décembre, je fus, avec Grangier, faire une visite à mon brave Picart ; un grenadier qui avait été logé avec lui m’avait enseigné son logement.

Lorsque nous y fûmes arrivés, une femme habillée de noir, et qui avait l’air triste, nous montra sa chambre située à l’extrémité d’un long corridor. Nous vîmes que la porte était à demi ouverte. Nous nous arrêtâmes pour écouter la grosse voix de Picart, qui chantait son morceau favori, sur l’air du Curé de Pomponne :

Ah ! tu t’en souviendras, larira,
Du départ de Boulogne !

Notre surprise fut grande en lui voyant un visage blanc comme la neige, car il avait un masque de peau qui lui couvrait toute la figure. Il nous conta sa mésaventure ; ensuite il se traita de conscrit, de vieille bête : « Tenez, mon pays, me dit-il, c’est comme le coup de fusil dans la forêt, la nuit du 23 novembre. Je vois que je ne vaux plus rien. Cette malheureuse campagne m’a usé. Vous verrez, continua-t-il, qu’il m’arrivera malheur ! » Et, en disant cela, il s’empara d’une bouteille de genièvre qui était sur la table, et, prenant trois tasses sur la cheminée, il les remplit, pour boire, nous dit-il, à notre bonne arrivée. Nous le remerciâmes : « Eh bien ! nous dit-il, nous allons passer la journée ensemble. Je vous invite à dîner ! » Aussitôt il appela la femme, qui se présenta en pleurant. Je demandai à Picart ce qu’elle avait. Il me conta que, le matin, l’on avait enterré son oncle, vieux célibataire caboteur ou corsaire, très riche, à ce qu’il paraît, et que, par suite, il y avait grand gala à la maison : qu’il y était invité, et que c’était pour cela qu’il nous invitait aussi, parce qu’il y aurait des noisettes à croquer. Mais, se reprenant, il nous dit qu’il faudrait mieux faire apporter le dîner dans la chambre que de passer notre temps avec un tas de pleurnicheuses qui allaient faire semblant de pleurer, comme il arrive toujours, à la mort d’un vieil oncle qui vous laisse quelque chose. Il dit à la femme qu’il ne pourrait aller dîner avec elle à cause de ses amis venus le voir ; que, né avec un cœur sensible, il ne ferait que pleurer. En disant cela, il fit semblant d’essuyer une larme. La femme recommença à pleurer de plus belle et nous, en voyant jouer une comédie pareille, nous fûmes obligés, pour ne pas éclater de rire, de nous couvrir la figure avec notre mouchoir, de sorte que la brave femme pensa que nous pleurions, et nous dit que nous étions des bons hommes, mais qu’il ne fallait pas que cela nous empêchât de dîner, et qu’elle allait nous faire servir. Ensuite elle se retira et deux domestiques femelles vinrent nous apporter le dîner. Il y avait tant de choses, que nous n’aurions pu le manger en trois jours.

Notre repas fut, comme on doit bien le penser, on ne peut plus gai ; et cependant, lorsque nous revenions sur nos misères, sur le sort de nos amis que nous avions vus périr et de ceux dont nous ne savions comment ils avaient disparu, nous devenions tristes et pensifs.

Nous étions encore à fumer et à boire, il commençait déjà à faire nuit, lorsque la dame de la maison entra pour nous dire que l’on nous attendait pour prendre le café. Nous nous laissons conduire et nous arrivons, après quelques détours, dans une grande chambre, Grangier en avant, et moi le second. Picart était resté en arrière. Nous apercevons, en entrant, une longue table bien éclairée par plusieurs bougies. Autour, quatorze femmes plus ou moins vieilles, toutes habillées de noir ; devant chacune d’elles étaient posés une tasse, un verre et une longue pipe en terre, et du tabac, car presque toutes les femmes fument, dans ce pays, et surtout les femmes des marins. Le reste de la table était garni de bouteilles de vin du Rhin et de genièvre de Dantzig.

Picart n’était pas encore entré. Nous pensions qu’il n’osait pas se présenter, à cause de sa figure ; mais à peine avions-nous fait cette remarque, que nous voyons toutes les femmes faire un mouvement et jeter des grands cris en regardant du côté de la porte d’entrée : c’était mon Picart qui faisait son entrée dans la chambre, avec son masque de peau blanche, affublé de son manteau de la même couleur, coiffé d’un bonnet de peau de renard noir de Russie, et fumant dans une pipe d’écume de mer, montée d’un long tuyau, qu’il tenait gravement de la main droite : le bonnet et la pipe appartenaient au défunt. Il avait vu, en passant dans le corridor, ces objets accrochés dans la chambre du défunt et, par farce, il s’en était emparé. De là, la frayeur des femmes, qui l’avaient pris pour le trépassé venant prendre la part du café funèbre. On pria Picart d’accepter le bonnet et la pipe en considération des larmes qu’il avait versées, le matin, devant la dame de la maison.

La conversation devint de plus en plus animée, car toutes les femmes fumaient comme des hussards, et buvaient de même. Bientôt, il n’y eut plus moyen de s’entendre.

Avant de se séparer elles chantèrent un cantique et dirent une prière pour le repos de l’âme du défunt ; tout cela fut chanté et dit avec beaucoup de recueillement, auquel nous prîmes part par notre silence.

Ensuite elles sortirent, en nous souhaitant le bonsoir ; il neigeait et faisait un vent furieux. Nous prîmes le parti de coucher chez notre vieux camarade : la paille ne manquait pas, la chambre était chaude, c’était tout ce qu’il nous fallait.

Le lendemain matin, une jeune domestique nous apporta du café. Elle était accompagnée de la dame de la maison, qui nous souhaita le bonjour et nous demanda si nous voulions autre chose. Nous la remerciâmes. Ensuite elle se mit à causer avec la domestique : cette dernière lui disait que l’on venait de lui assurer que l’armée russe n’était plus qu’à quatre journées de marche de la ville et qu’un juif, qui arrivait de Tilsitt, avait rencontré des Cosaques auprès d’Eylau. Comme je parlais assez l’allemand pour comprendre une partie de la conversation, j’entendis que la dame disait : « Mon Dieu ! que vont devenir tous ces braves jeunes gens ? » Je témoignai à la bonne Allemande toute ma reconnaissance pour l’intérêt qu’elle prenait à notre sort, en lui disant qu’à présent que nous avions à manger et à boire, nous nous moquions des Russes.

Si les hommes nous étaient hostiles, nous avions partout les femmes pour nous.

Je fis souvenir à Picart que le lendemain, c’était le jour de l’an 1813, et que je l’attendais à passer la journée chez moi. Il regarda dans une glace comment était sa figure, ensuite il décida qu’il viendrait : effectivement il allait bien, il n’avait fait que changer de peau. Comme il ne connaissait pas mon logement, il fut convenu que je le prendrais à onze heures, en face du palais du roi Murat ; ensuite nous nous disposâmes à retourner chez nous. Mais il était tombé une si grande quantité de neige, que nous fûmes obligés de louer un traîneau. Nous arrivâmes à notre logement, moi avec un grand mal de tête et un peu de fièvre, suite de la fête de la veille.

Mme  Gentil avait été inquiété de mon absence ; sa domestique avait attendu jusqu’à minuit. Je lui témoignai toute la peine que j’éprouvais, mais le mauvais temps fut mon excuse. Je lui dis que, le lendemain, j’aurais deux amis à dîner ; elle me répondit qu’elle ferait ce qu’il conviendrait pour que je sois content : c’était dire qu’elle voulait en faire les frais. Ensuite elle me donna de la graisse très bonne, disait-elle, pour les engelures ; elle prétendit que j’en fisse usage de suite. Je me laissai faire ; elle était si bonne, Mme  Gentil ! D’ailleurs les Allemandes étaient bonnes pour nous.

Je passai le reste de la journée sans sortir, presque toujours couché, recevant les soins et les consolations de mon aimable hôtesse.

Le soir étant venu, je pensais à ce que je pourrais lui donner pour cadeau du jour de l’an. Je me promis de me lever de grand matin et de voir, chez quelques juifs, si je ne trouverais pas quelque chose. Ensuite, je me couchai avec l’idée de passer une bonne nuit, car la soirée de la veille m’avait fatigué.

Le lendemain, 1er  janvier 1813, neuvième jour de notre arrivée à Elbing, je me levai à sept heures du matin pour sortir, mais avant, je voulus voir ce qui me restait de mon argent : je trouvai que j’avais encore 485 francs, dont plus de 400 francs en or, et le reste en pièces de cinq francs. Partant de Wilna, j’avais 800 francs ; j’aurais donc dépensé 315 francs ? La chose n’était pas possible ! C’est qu’alors j’en avais perdu ; à cela rien d’étonnant, mais je me trouvais encore bien assez riche pour dépenser 20 à 30 francs, s’il le fallait, afin de faire un cadeau à mon aimable hôtesse.

Au moment où j’allais ouvrir la porte, je rencontrai la grosse servante Christiane, celle qui m’avait si bien frotté dans le bain ; elle me souhaita une bonne année, et, comme elle était la première personne que je rencontrais, je l’embrassai et lui donnai cinq francs : aussi fut-elle contente ; elle se retira en me disant « qu’elle ne dirait pas à Madame que je l’avais embrassée ».

Je me dirigeai du côté de la place du Palais. À peine y étais-je arrivé, que j’aperçus deux soldats du régiment : ils marchaient avec peine, courbés sous le poids de leurs armes et de la misère qui les accablait. En me voyant, ils vinrent de mon côté, et je reconnus, à ma grande surprise, deux hommes de ma compagnie, que je n’avais pas vus depuis le passage de la Bérézina. Ils étaient si malheureux, que je leur dis de me suivre jusqu’à une auberge où je leur fis servir du café pour les réchauffer.

Ils me contèrent que, le 29 novembre au matin, un peu avant le départ du régiment des bords de la Bérézina, on les avait commandés de corvée pour enterrer plusieurs hommes du régiment, tués la veille ou morts de misère ; qu’après avoir accompli cette triste mission, ils étaient partis pensant suivre la route que le régiment avait prise, mais que, malheureusement, ils s’étaient trompés en suivant des Polonais qui se dirigeaient sur leur pays. Ce n’est que le lendemain qu’ils s’en aperçurent : « Enfin, me dirent-ils, il y avait un mois que nous marchions dans un pays inconnu, désert, toujours dans la neige, sans pouvoir nous faire comprendre, sans savoir où nous étions et où nous allions ; l’argent que nous avions ne pouvait nous servir. Si, quelquefois, nous nous sommes procuré quelques douceurs, comme du lait ou de la graisse, c’est aux dépens de nos habits, en donnant nos boutons à l’aigle, ou les mouchoirs que nous avions conservés par hasard. Nous n’étions pas les seuls ; beaucoup d’autres de différents régiments marchaient aussi, comme nous, sans savoir ou ils allaient, car les Polonais que nous avions suivis avaient disparu, et c’est par hasard, mon sergent, que nous arrivons ici et que nous avons eu le bonheur de vous rencontrer. » À mon tour je leur témoignai tout le plaisir que j’avais de les revoir ; il y avait quatre ans qu’ils étaient dans la compagnie.

Tout à coup, l’un d’eux me dit : « Mon sergent, j’ai quelque chose à vous remettre ! Vous devez vous souvenir qu’en partant de Moscou, vous m’avez chargé d’un paquet, le voilà tel que vous me l’avez donné ; il n’a jamais été tiré de mon sac ! » Le paquet était une capote militaire en drap fin, d’un gris foncé, que j’avais fait faire, pendant notre séjour à Moscou, par les tailleurs russes à qui j’avais sauvé la vie, l’autre objet était un encrier que j’avais pris sur une table, au palais de Rostopchin, au moment de l’incendie, pensant que c’était de l’argent, mais ce n’était pas tout à fait cela.

L’année commençait bien pour moi ; je voulus qu’elle fût de même pour celui qui me rendait un si grand service. Je lui donnai vingt francs. Ensuite je n’eus rien de plus pressé que d’endosser ma nouvelle capote[2].

Autre surprise non moins agréable : en mettant les mains dans les poches de ma nouvelle capote, j’en retirai un foulard des Indes où, dans un des coins bien noué, je trouvai une petite boîte en carton renfermant cinq bagues montées en belles pierres : cette boîte que je pensais avoir mise dans mon sac, je la retrouvais pour faire un cadeau à Mme  Gentil ! Aussi la plus belle lui fut-elle destinée. Après avoir dit à mes deux soldats d’attendre jusqu’à l’heure de l’appel pour les faire rentrer à la compagnie et leur faire délivrer un billet de logement, je les laissai pour retourner au mien.

Chemin faisant, j’achetai un gros pain de sucre que j’offris à mon hôtesse, ainsi que la bague, en la priant de la garder comme un souvenir, car elle venait de Moscou. Elle me demanda combien je l’avais achetée ; je lui répondis que je l’avais payée bien cher, et que, pour un million, je ne voudrais pas en aller chercher une pareille.

À onze heures, je retournai sur la place du palais. Il y avait déjà beaucoup de monde, notre nombre était presque doublé depuis trois jours ; on aurait dit que ceux que l’on croyait morts étaient ressuscités pour venir se souhaiter une bonne année, mais c’était triste à voir, car un grand nombre étaient sans nez ou sans doigts aux mains et aux pieds ; quelques-uns réunissaient tous les maux à la fois. Le bruit se confirmait que les Russes avançaient ; aussi l’on donna l’ordre de se tenir prêts, comme à la veille d’une bataille, et de ne dormir que d’un œil pour ne pas être surpris ; de tenir les armes en bon état et chargées, de donner de nouvelles cartouches et de venir à l’appel avec armes et bagages.

L’appel n’était pas encore fini, que je me sens frapper sur l’épaule et un gros rire vient me percer les oreilles ; c’était Picart, dans sa belle tenue et sans masque, qui me saute au cou, m’embrasse et me souhaite une bonne année. D’un autre côté, c’était Grangier qui en faisait autant, en me mettant trente francs dans la main : mes compagnons de voyage avaient vendu notre traîneau et le cheval cent cinquante francs. C’était ma part qu’il me remettait. Après plusieurs questions sur ma nouvelle capote, nous partîmes pour aller dîner chez moi, comme cela avait été convenu. En arrivant, nous trouvâmes deux autres dames : ainsi, nous avions chacun la nôtre. Un instant après, nous nous mettons à table sans cérémonie.

Notre dîner finit assez tard, et comme il avait commencé, c’est-à-dire joyeusement.

En sortant, j’entendis une des dames qui disait à Mme  Gentil : « Tarteifle des Franzosen ! » ce qui veut dire : « Diables de français ! » Elle ajouta : « Ils sont toujours gais et amusants ! »

Le lendemain, étant à la réunion, Picart vint me trouver pour me raconter qu’en entrant dans son logement, il avait trouvé toute la famille de son hôtesse réunie, mais jurant contre l’oncle défunt ; que sa bourgeoise lui avait conté que, dans la journée, une femme était arrivée venant de Riga ; elle était accompagnée d’un petit garçon de neuf à dix ans qu’elle avait eu, disait-elle, avec M. Kennmann, l’oncle défunt, et qu’il avait reconnu pour son héritier ; que l’on allait mettre les scellés et que lui, Picart, avait demandé si on les mettrait aussi sur la cave ; qu’on lui avait dit, par précaution, de remonter quelques bouteilles pour sa consommation ; qu’il avait répondu qu’il en remonterait le plus possible ; qu’alors il s’était mis à la besogne, et qu’il en avait déjà remonté plus de quarante qu’il avait cachées sous la botte de paille qui lui servait de traversin, et qu’après l’appel il irait vider son sac pour le remplir de bouteilles ; qu’ensuite il viendrait me l’apporter. Effectivement, une heure après il arriva le sac sur le dos. Il me dit qu’il fallait se dépêcher de les boire, parce qu’il était fortement question, dans la ville, de l’arrivée prochaine des Russes. Il ne manqua pas de m’en apporter chaque jour, pendant le peu de temps que nous restâmes encore dans cette ville. Il aurait, comme il disait, fini par vider la cave ! Mais un jour, le 11 janvier, il entra chez moi de grand matin en tenue de route, en me disant qu’il croyait bien ne pas retourner coucher à son logement ; qu’à chaque moment il fallait s’attendre à entendre battre la générale ; qu’il me conseillait de me tenir prêt et de me disposer à faire mes adieux à Mme  Gentil.

Grangier entra aussi, en tenue de départ : il arrivait fort à propos pour déjeuner avec nous, puisque le vin ne manquait pas.

Il pouvait être huit heures du matin ; nous nous mîmes à table ; à onze heures et demie nous y étions encore, lorsque, tout à coup, Picart, qui s’apprêtait à vider son verre, s’arrête et nous dit : « Écoutez ! Je crois entendre le bruit du canon ! » Effectivement, le bruit redouble, la générale bat, tous les militaires courent aux armes. Mme  Gentil entre dans la chambre en s’écriant : « Messieurs, les Cosaques ! » Picart répond : « Nous allons les faire danser ! » Je me presse d’arranger mes affaires, et un instant après, armes et bagages, le sac sur le dos, j’embrasse Mme  Gentil, pendant que Picart et Grangier vident la dernière bouteille, en bons soldats. J’avale un dernier verre de vin, ensuite je m’élance dans la rue, à la suite de mes amis.

Nous n’avions pas encore fait trente pas, que j’entends que l’on me rappelle ; je me retourne, j’aperçois la grosse Christiane qui me fait signe de rentrer, en me disant que j’avais oublié quelque chose. Mme  Gentil se tenait dans le fond de l’allée de la maison ; aussitôt qu’elle m’aperçoit, elle me crie : « Vous avez oublié votre petite bouilloire ! » Ma pauvre petite bouilloire que j’apportais de Wilna, que j’avais achetée au juif qui avait voulu m’empoisonner, je n’y pensais vraiment plus ! Je rentre dans la maison pour embrasser encore une fois cette bonne femme qui m’avait traité et soigné comme si j’avais été son frère ou son enfant, en lui disant de garder ma bouilloire comme un souvenir de moi : « Elle vous servira à faire bouillir de l’eau pour faire du thé, et toutes les fois que vous vous en servirez, vous penserez au jeune sergent vélite de la Garde. Adieu ! »

J’entends que le bruit du canon redouble ; alors je m’élance dans la rue mais, cette fois, pour ne plus revenir.

Sur un petit pont, j’aperçois Grangier qui m’attendait avec impatience. Nous prenons le chemin le plus direct, le long du quai, pour arriver au lieu du rassemblement. Nous n’avions pas marché cinq minutes, que nous apercevons Picart au milieu de la rue, jurant comme un homme en colère, tenant sous son pied droit un Prussien, et ayant devant lui quatre vétérans prussiens commandés par un caporal sous les ordres d’un commissaire de police. Voici de quoi il était question : en face d’un café, plusieurs individus lui avaient jeté des boules de neige. Il s’était arrêté en les menaçant d’entrer dans la maison pour leur donner une correction, mais ils n’en tinrent pas compte ; un de ces individus, étant descendu dans la rue, s’avança derrière Picart, lui posa une queue de billard sur l’épaule et se mit à crier : « Hourra ! Cosaque ! » Lui, se retournant vivement, l’empoigne par la peau du ventre, lui fait faire un demi-tour et le jette à plat ventre, la figure dans la neige. Ensuite il lui pose le pied droit sur le dos, pendant qu’il met la baïonnette au bout du canon de son fusil, et, se retournant du côté du café, défie ceux qui y sont.

On était allé chercher la garde ; lui, de son côté, avait fait comprendre à l’individu, que, s’il faisait le moindre mouvement, il le percerait d’un coup de baïonnette. Il en dit autant à ceux qui étaient dans le café ; aussi pas un ne bougea ; c’est alors que la garde est arrivée avec le commissaire de police.

Cette garde n’intimida pas Picart. Il était, dans ce moment, comme un lion qui tient sa proie sous ses griffes et qui regarde fièrement les chasseurs. Nous étions près de lui ; il ne nous voyait pas ; les invalides et le commissaire étaient tremblants de peur. Les femmes disaient : « Il a raison, il passait son chemin tranquillement, on l’a insulté ! »

À la fin, un ministre protestant qui avait tout vu et qui parlait français, s’avança, expliqua au commissaire comment la chose s’était passée. Alors on dit à Picart qu’il pouvait lâcher l’homme qu’il tenait sous son pied, qu’on allait lui rendre justice. Il dit à celui qu’il tenait sous son pied : « Lève-toi ! » Celui-ci ne se le fit pas dire une seconde fois.

Lorsqu’il fut debout, Picart lui allongea un grand coup de pied dans le derrière, en lui disant : « Voilà ma justice, à moi ! » L’homme se retira en portant la main à la place où il avait reçu le coup, aux huées de toutes les femmes présentes.

Pendant ce temps, le commissaire faisait payer une amende de vingt-cinq francs aux individus qui avaient insulté Picart, ainsi qu’à celui qui avait reçu le coup de pied. Il en mit la moitié dans sa poche, « pour le Roi, disait-il, et pour les frais de justice ». L’autre moitié, il la présenta à Picart qui d’abord refusa, mais faisant réflexion, il en donna la moitié aux invalides et l’autre au ministre protestant en lui disant : « Si vous rencontrez la femme d’un vieux soldat, vous lui remettrez cela de ma part ! » On se fit expliquer ce que Picart venait de faire, car on ne pouvait comprendre autant de désintéressement de la part d’un soldat ; aussi c’est à qui lui aurait dit des choses flatteuses, même le commissaire de police qui vint lui baragouiner un compliment. Nous continuâmes à marcher dans la direction du palais, Grangier et moi, en faisant des réflexions sur le caractère des Prussiens, et Picart en chantant son refrain :

Ah ! tu t’en souviendras, larira,
Du départ de Boulogne !

Nous arrivâmes sur la place ; nous vîmes, en face du palais où était logé le roi Murat, un régiment de nègres appartenant au roi : c’était vraiment drôle à voir, des hommes noirs sur une place couverte de neige ; ils étaient en colonne serrée par division, les sapeurs avaient des bonnets de peau d’ours blancs, et les officiers qui les commandaient étaient noirs comme eux. Je n’ai pu savoir quelle route ce corps avait pris pour se retirer, mais je pense qu’il alla passer la Vistule à Marienwerder.

Le bruit du canon avait presque cessé. Les Russes venaient d’être chassés des environs de la ville par un corps de troupes fraîches qui n’avait pas fait la campagne de Russie ; quelques coups à mitraille, au milieu de leur cavalerie, avaient suffi pour les faire retirer.

L’encombrement des voitures d’équipage appartenant à différents corps et que l’on voulait faire sortir de la ville avant de l’avoir évacuée, nous fit arrêter. Nous nous trouvions près du logement de Picart. S’en étant aperçu, il nous cria : « Halte ! Mes amis, il faut que je fasse mes adieux à ma bourgeoise, que je prenne mon manteau blanc, la pipe et le bonnet en peau de renard noir du défunt, dont on m’a fait présent, et que nous vidions encore quelques bouteilles de vin qui se trouvent sous mon traversin de paille  ! »

Nous entrâmes dans la maison et nous allâmes directement à sa chambre sans rencontrer personne. Alors Picart, sans perdre de temps, dénicha cinq bouteilles, dont deux de vin et trois de genièvre de Dantzig ; il nous dit d’en mettre chacun une dans notre sac ; c’est ce que nous nous empressâmes de faire. Ensuite il appela la bourgeoise qui arriva aussitôt : « Permettez, dit Picart, que je vous embrasse pour vous faire mes adieux, car nous partons ! — Je m’en doutais bien, nous dit-elle, et vous ne serez pas plus tôt hors de la ville que les sales Russes vont vous remplacer ! Quel malheur ! Mais avant de nous quitter, vous allez prendre quelque chose ; vous ne partirez pas comme cela ! » Et aussitôt elle alla chercher deux bouteilles de vin, du jambon et du pain, et nous nous mîmes à table en attendant que l’on recommençât à marcher.

Bientôt, plusieurs coups de canon se firent entendre, très rapprochés. La femme cria : « Jésus ! Maria ! » et nous sortîmes.

Je me trouvais en avant de mes deux camarades ; à quelques pas devant moi, un individu que je crus reconnaître était aussi arrêté ; je m’approche, je ne m’étais pas trompé : c’était le plus ancien soldat du régiment, qui avait fusil, sabre et croix d’honneur, et qui avait disparu depuis le 24 décembre, le père Elliot, qui avait fait les campagnes d’Égypte. Il était dans un état pitoyable ; il avait les deux pieds gelés, enveloppés de morceaux de peau de mouton, les oreilles couvertes de même, car elles étaient aussi gelées, la barbe et les moustaches hérissées de glaçons. Je regardais sans pouvoir lui parler, tant j’étais saisi.

Enfin je lui adressai la parole : « Eh bien ! Père Elliot, vous voilà arrivé ! D’où diable venez-vous ? Comme vous voilà arrangé ! Vous avez l’air souffrant ! — Ah ! mon bon ami, me dit-il, il y a vingt ans que je suis militaire, je n’ai jamais pleuré, mais aujourd’hui je pleure, plus de rage que de ma misère, en voyant que je vais être pris par des misérables Cosaques, sans pouvoir combattre ; car vous voyez que je suis à demi mort de froid et de faim. Voilà bientôt quatre semaines que je marche isolé, depuis le passage du Niémen, sur la neige, dans un pays sauvage, sans pouvoir obtenir aucun renseignement sur l’armée ! J’avais deux compagnons : l’un est mort il y a huit jours, et le second probablement aussi. Depuis quatre jours j’ai dû l’abandonner chez de pauvres Polonais où nous avions couché. J’arrive seul, comme vous voyez ; voilà, depuis Moscou, plus de quatre cents lieues que je fais dans la neige, sans pouvoir me reposer, ayant les pieds et les mains gelés, et même mon nez ! »

Je voyais des grosses larmes couler des yeux du vieux guerrier.

Picart et Grangier venaient de me rejoindre ; Grangier avait de suite reconnu le père Elliot : ils étaient de la même compagnie, mais Picart qui, cependant, le connaissait depuis dix-sept ans[3], ne pouvait le remettre. Nous entrâmes dans la maison la plus à notre portée ; nous y fûmes bien accueillis ; c’était chez un vieux marin, généralement ces gens-là sont bons.

Picart fit asseoir près du feu son vieux compagnon d’armes ; ensuite, tirant d’une des poches de sa capote une des deux bouteilles de vin, il en remplit un grand verre et dit au père Elliot : « Ah ça, mon vieux compagnon d’armes de la 23e demi-brigade, avalez-moi toujours celui-ci. Bien ! Et puis cela : très bien ! À présent, une croûte de pain, et cela ira mieux ! » Depuis Moscou, il n’avait pas goûté de vin ni mangé d’aussi bon pain ; mais il semblait oublier toutes ses misères. La femme du marin lui lava la figure avec un linge trempé dans l’eau chaude ; cela fit fondre les glaçons qu’il avait à sa barbe et à ses moustaches.

« À présent, dit Picart, nous allons causer ! Vous souvenez-vous, lorsque nous nous embarquâmes à Toulon pour l’expédition d’Égypte ?… »

Dans le moment, Grangier qui était sorti afin de voir si l’on recommençait à marcher, rentra pour nous dire qu’une voiture arrêtée devant la porte et chargée de gros bagages appartenant au roi Murat, était une occasion pour le père Elliot, qu’il fallait de suite le faire monter : « En avant ! » s’écrie Picart, et aussitôt, avec le secours du vieux marin, nous perchâmes le vieux sergent sur la voiture ; Picart lui mit l’autre bouteille de vin entre les jambes et son manteau blanc sur le dos, afin qu’il n’eût pas froid.

Un instant après, on recommença à marcher, et une demi-heure après, nous étions hors d’Elbing. Le même jour, nous passâmes la Vistule sur la glace, et nous marchâmes sans accident jusqu’à quatre heures, pour nous arrêter dans un grand bourg où le maréchal Mortier, qui nous commandait, décida que nous logerions.


Ce n’est pas par vanité et pour faire parler de moi, que j’ai écrit mes mémoires. J’ai seulement voulu rappeler le souvenir de cette gigantesque campagne qui nous fut si funeste, et des soldats, mes concitoyens, qui l’ont faite avec moi. Leurs rangs, hélas ! s’éclaircissent tous les jours. Les faits que j’ai racontés paraîtront incroyables et parfois invraisemblables. Mais qu’on ne s’imagine pas que j’ajoute quelque chose qui ne soit vrai et que je veuille embellir mon récit pour le rendre intéressant. Au contraire, je prie de croire que je ne dis pas tout. Cela me serait impossible, car j’ai peine à y croire moi-même, et cependant tout cela a été mis en note pendant que j’ai été prisonnier en 1813 et à mon retour de cette captivité, en 1814, sous le coup de l’impression et de l’effet que produisent, dans le cœur, la vue et la participation de pareils désastres.

Ceux qui ont fait cette malheureuse et glorieuse campagne, conviendront qu’il fallait, comme disait l’Empereur, être de fer pour avoir résisté à tant de maux et de misères, et que c’est la plus grande épreuve à laquelle l’homme puisse être exposé.

Si j’ai pu oublier quelque chose, comme date ou noms d’endroits, ce que je ne pense pas, il est de mon devoir de dire que je n’ai rien ajouté.

Plusieurs témoins de ce que j’écris, qui étaient dans le même régiment que moi, et quelques-uns dans la même compagnie, et qui ont fait cette mémorable campagne, vivent encore. Je citerai en particulier :

MM. Serraris, grenadier vélite, actuellement maréchal de camp au service du roi de Hollande, natif de Saint-Nicolas en Brabant. Il était lieutenant dans la même compagnie où j’étais alors sergent[4].

Rossi, fourrier dans la même compagnie, natif de Montauban, et que j’eus le bonheur de rencontrer à Brest, en 1830. Il y avait seize ans que nous ne nous étions vus.

Vachin[5], alors lieutenant dans le même bataillon, habitant actuellement Anzin (Nord). Lorsque je le rencontrai, il y avait vingt ans que nous ne nous étions vus.

Leboude, sergent-major alors, à présent lieutenant général en Belgique, était aussi du même bataillon, ainsi que Grangier, sergent, qui était du Puy-de-Dôme, en Auvergne. Celui-la était mon ami intime. Dans plus d’une circonstance il me sauva la vie ; il avait une faible santé, mais un courage à toute épreuve. Il est mort du choléra en 1832.

Pierson, aussi sergent vélite, actuellement capitaine à l’état-major de place à Angers[6]. Il était très laid, mais bon enfant, comme tous les vélites. Il n’y avait pas de figure comme la sienne. Il était tellement reconnaissable qu’il ne fallait l’avoir vu qu’une fois pour se le rappeler. À propos de Pierson, je vais conter un fait pour venir à l’appui de ce que je viens de dire.

Au commencement de cette campagne, à l’époque où nous étions à Wilna, capitale de la Lithuanie, un jour qu’il était de garde à la manutention, c’était le 4 juillet, au moment où l’on faisait construire de grands fours pour la cuisson du pain de l’armée, l’Empereur fut voir si les travaux avançaient. Pierson, qui était le chef du poste, voulut profiter de cette occasion pour solliciter la décoration et, s’avançant près de Sa Majesté, il la lui demanda. L’Empereur lui répondit : « C’est bien ! Après la première bataille ! » Depuis, nous eûmes le siège de Smolensk, la grande bataille de la Moskowa, ainsi que plusieurs autres pendant la retraite. Mais l’occasion ne se présenta pas pour lui de rappeler à l’Empereur sa promesse, car ce n’était pas le cas d’en parler, pendant la retraite désastreuse que nous fîmes et où il eut le bonheur d’échapper. Ce ne fut qu’à Paris, quelques jours après notre retour, le 16 mars 1813, à la Malmaison, où nous passions la revue, le même jour où je fus nommé lieutenant, que Pierson put rappeler à l’Empereur la promesse qu’il lui avait faite et, s’approchant de lui, l’Empereur lui demanda ce qu’il voulait : « Sire, répondit-il, je demande la croix à Votre Majesté. Vous me l’avez promise. — C’est vrai, répond l’Empereur en souriant, à Wilna, à la manutention ! » Il y avait dix mois que cette promesse lui avait été faite. Ainsi l’on voit que l’individu avait une figure à ne pas oublier ; mais, aussi, quelle mémoire avait l’Empereur !

Je citerai encore d’autres témoins :

M. Peniaux, de Valenciennes, directeur des postes et relais de l’Empereur, qui m’a vu mourant, couché sur la neige, sur le bord de la Bérézina.

M. Melet, dragon de la Garde, que j’ai souvent rencontré dans la retraite, traînant son cheval par la bride et faisant des trous dans la glace sur les lacs, pour lui donner à boire. Il était de Condé, du même endroit que moi. On pouvait le citer comme un des meilleurs soldats de l’armée. Avant d’entrer dans la Garde, M. Melet avait déjà fait les campagnes d’Italie. Il fit, dans cette même arme et avec le même cheval, les campagnes de 1806, 1807, en Prusse et en Pologne ; 1808, en Espagne ; 1809, en Allemagne ; 1810 et 1811, en Espagne ; 1812, en Russie ; 1813, en Saxe, et 1814, en France. Après le départ de l’Empereur pour l’île d’Elbe, il resta, pour attendre sa retraite, dans la Garde royale, toujours avec son cheval qu’il n’a jamais voulu abandonner. À la rentrée de l’Empereur de l’île d’Elbe, il reparut encore dans le même corps, comme garde impérial, à Waterloo. Il fut blessé, et son cheval fut tué. C’était toujours le même avec lequel il avait fait tant de campagnes et avec qui il avait assisté à plus de quinze grandes batailles commandées par l’Empereur. Si l’Empereur fût resté, ce brave militaire eût été dignement récompensé. Quoique chevalier de la Légion d’honneur, il est aujourd’hui dans la misère. Dans la retraite de Russie, quelquefois, seul au milieu de la nuit, il s’introduisait dans le camp ennemi pour y prendre du foin ou de la paille pour Cadet : c’était le nom de son cheval. Il ne revenait jamais sans avoir tué un ou deux Russes, ou pris ce qu’il appelait un témoin, c’est-à-dire fait un prisonnier.

Monfort, grenadier vélite à cheval, actuellement officier de cuirassiers en retraite à Valenciennes. Quoiqu’étant du même pays et aussi de la Garde impériale, je ne le connaissais, à l’armée, que de réputation, par la manière dont il se distingua dans différents combats que nous eûmes en Espagne ; en Russie, il traversa la Bérézina, à cheval, au milieu des glaçons. Mais son cheval y resta. À Waterloo, sur le mont Saint-Jean, dans une charge que son régiment fit contre les dragons de la reine d’Angleterre, il tua le colonel d’un coup de sabre dans la poitrine qui l’envoya souper chez Pluton.

Pavart, capitaine en retraite à Valenciennes, était, pendant la campagne de Russie, aux chasseurs à pied de la Garde impériale. Tout ce qu’il conte de cette campagne, de ce qui lui est arrivé, et de ce qu’il a vu, est très intéressant. Dans la retraite, à Krasnoé, où nous nous sommes battus pendant les journées des 15, 16 et 17 novembre, contre l’armée russe forte de cent mille hommes, la nuit du 16, la veille de la bataille du 17, lorsque les Russes nous serraient de près, Pavart, qui était alors caporal, commandait une patrouille de six hommes. En cheminant, il aperçoit, sur sa droite, une autre patrouille composée de cinq hommes. Pensant, et presque certain que c’étaient des nôtres, il dit aux hommes qu’il commandait : « Halte ! attendez-moi. Je vais parler à celui qui la commande afin de marcher dans la même direction, pour ne pas tomber dans les avant-postes des Russes. » aussitôt, les hommes s’arrêtent et lui s’avance vers cette patrouille qui, en voyant un homme seul venir à elle, croit probablement que c’est un des leurs. Mais Pavart reconnaît que ce sont des Russes. Il était trop tard pour rétrograder, il s’avance résolument et, sans donner le temps aux Russes de se reconnaître, il tombe dessus et, à coups de baïonnette, il en met trois hors de combat. Les autres se sauvent. Après ce coup hardi, il retourne pour rejoindre ses hommes, mais ils étaient près de lui ; ils accouraient pour le secourir.

Wilkes, sous-officier dans un régiment de ligne, habitant de Valenciennes, prisonnier sur les bords de la Bérézina, conduit en captivité à quatorze cents lieues de Paris, où il resta pendant trois ans.

Le capitaine Vachin, dont j’ai parle plus haut, avant de partir pour la Russie, lorsque nous étions en Espagne, eut, avec mon sergent-major, une discussion très vive, qui finit par un duel et un coup de sabre qui partagea la figure de mon sergent-major en deux, car cela lui prenait depuis le haut du front jusqu’au bas du menton. Il en fit autant à l’occasion, aux Autrichiens, Prussiens, Russes, Espagnols, Anglais contre lesquels il combattit pendant dix ans sans interruption, car pendant ce laps de temps il assista à plus de vingt grandes batailles commandées par l’empereur Napoléon.

À la bataille d’Essling, le 22 mai 1809, Vachin portait pendue à son côté une gourde remplie de vin. Un de ses amis, sous-officier comme lui, lui fait signe qu’il voudrait bien boire un coup de son vin. Vachin lui crie d’avancer, et lorsqu’il fut près de lui, il lui présenta à boire en se baissant de côté. Cela se passait au fort de l’action où les boulets et la mitraille nous arrivaient de toutes parts. Mais à peine le buveur avait-il avalé quelques gorgées, qu’un brutal de boulet autrichien emporte la tête du buveur ainsi que la gourde. Deux jours avant, ils avaient dîné ensemble à Vienne et, là, ils s’étaient fait réciproquement un don mutuel de ce qu’ils avaient comme montre, ceinture, en cas que l’un ou l’autre fût tué. Mais Vachin n’eut pas l’envie de mettre à exécution ce qu’ils étaient convenus de faire. Il se retira, reprit son rang, heureux de n’avoir pas été atteint par le même boulet, mais en pensant que, d’un moment à l’autre, il pouvait lui en arriver autant, car l’affaire était chaude. Je fus blessé le même jour.

Outre les anciens militaires que j’ai connus particulièrement, je puis citer encore, comme ayant fait la glorieuse et terrible guerre de Russie :

MM. Bouy, capitaine en retraite, à Valenciennes, et de Valenciennes ; chevalier de la Légion d’honneur.

Hourez, capitaine en retraite, à Valenciennes, et de Valenciennes ; chevalier de la Légion d’honneur.

Piète, sous-lieutenant, de Valenciennes.

Legrand, ex-fusilier des grenadiers de la Garde impériale, habitant Valenciennes ; chevalier de la Légion d’honneur.

Foucart, casernier, qui fut blessé et prisonnier ; chevalier de la Légion d’honneur.

Izambart, ancien sous-officier, garde des musées ; chevalier de la Légion d’honneur.

Petit, sous-lieutenant de la Jeune Garde.

Maujard, garde du génie, en retraite à Condé (Nord) ; chevalier de la Légion d’honneur.

Boquet, de Condé.

Bourgogne,
Ex-grenadier vélite de la Garde impériale,
Chevalier de la Légion d’honneur.



  1. Ces fruits étaient expédiés de Tournai, en Belgique. (Note de l’auteur.)
  2. Cette capote à servi à un de mes frères. Je la laissai chez mes parents, à mon retour de cette campagne, lorsque je venais d’être nommé lieutenant et que je repartais pour la campagne de 1813. (Note de l’auteur.)
  3. Depuis la campagne d’Italie. (Note de l’auteur.)
  4. Ancien camarade de Bourgogne aux vélites de la Garde où il était aussi entré en 1806, le lieutenant Serraris fit toutes les campagnes de l’Empire, reçut la croix des mains de l’Empereur à la revue du Kremlin (v. page 46), et quitta le service en 1814, après avoir été promu chef de bataillon et officier de la Légion d’honneur. Il est mort en 1855, lieutenant général au service des Pays-Bas. Il a laissé, nous écrit son fils, un journal de ses campagnes dont la partie relative à celle de Russie confirme entièrement l’exactitude des récits de Bourgogne.
  5. Mort à Valenciennes en 1856. (Note de l’auteur.)
  6. C’est-à-dire en 1835, à l’époque où je mettais mes Mémoires en ordre. (Note de l’auteur.)