Mémoires extraits des recueils de l’Académie des sciences de Paris et de l’Institut de France/Second Mémoire sur la Théorie de la variation des constantes arbitraires dans les Problèmes de Mécanique

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SECOND MÉMOIRE SUR LA THÉORIE
DE LA
VARIATION DES CONSTANTES ARBITRAIRES
DANS LES PROBLÈMES DE MÉCANIQUE,
DANS LEQUEL ON SIMPLIFIE L’APPLICATION DES FORMULES GÉNÉRALES À CES PROBLÈMES[1].


(Mémoires de la première Classe de l’Institut de France, année 1809.)


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La variation des constantes arbitraires est une Méthode nouvelle dont l’Analyse s’est enrichie dans ces derniers temps, et dont on a déjà fait des applications importantes. Dans la Mécanique, elle sert à étendre la solution d’un Problème à des cas où de nouvelles forces, dont on n’avait pas tenu compte, seraient supposées agir sur les mobiles. Ainsi lorsque, après avoir résolu le Problème du mouvement d’une planète autour du Soleil en vertu de la seule attraction de cet astre, on veut avoir égard aussi à l’attraction des autres planètes, on peut, en conservant la forme de la première solution, satisfaire à cette nouvelle condition par la variation des constantes arbitraires qui sont les éléments de la Théorie de la planète.

Les observations avaient depuis longtemps indiqué les variations de ces éléments ; mais Euler est le premier qui ait cherché à les déterminer par l’Analyse. Ses formules étant de peu d’usage par leur complication, et n’ayant pas même toute l’étendue que la question peut comporter, M. de Laplace et moi en donnâmes de plus générales et plus simples, que nous parvînmes ensuite à réduire au plus grand degré de simplicité.

Enfin je viens de donner dans un Mémoire lu à cette Classe le 13 mars 1809, et imprimé dans le volume des Mémoires de 1808[2], une Théorie complète de la variation des constantes arbitraires dans tous les Problèmes de la Mécanique. J’étais parvenu d’abord, par une analyse assez compliquée, à un résultat simple et inespéré ; j’ai ensuite trouvé moyen d’arriver directement et par un calcul très-court à ce même résultat, comme on le voit dans l’Addition et dans le Supplément au Mémoire, cité, imprimés dans le même volume. Mais l’application des formules générales aux Problèmes particuliers démandait encore un long calcul, à cause des éliminations qu’il fallait faire pour obtenir séparément l’expression de la variation de chacune des constantes devenues variables. Heureusement une considération très-simple, que je vais exposer et qui m’avait échappé, facilite et simplifie extrêmement cette application et ne laisse plus rien à désirer dans la Théorie analytique de la variation des constantes, relativement aux questions de Mécanique.

On peut regarder cette Théorie comme toute concentrée dans la formule très-simple que j’ai donnée dans le Supplément cité, et qui consiste en ce que la différence partielle d’une certaine fonction dépendante des seules forces ajoutées au système, prise relativement à une quelconque des constantes arbitraires, est toujours égale à une fonction des variables du Problème et de leurs différences prises séparément par rapport au temps et par rapport aux constantes arbitraires, laquelle fonction jouit de cette propriété singulière et très-remarquable, qu’en y substituant les valeurs des variables exprimées par le temps et par les constantes arbitraires elle doit devenir indépendante du temps, et ne plus contenir que les mêmes constantes avec leurs différences premières.

Cette circonstance de l’évanouissement de la variable, qui représente le temps dans la fonction dont il s’agit, m’a fait penser que, si les variables étaient exprimées par des séries de puissances ascendantes du temps, la fonction dont nous parlons ne contiendrait, après les substitutions, que les premiers termes tous constants de ces séries et les coefficients des seconds, à cause des différences premières des variables qui se trouvent dans la fonction. Or ces-quantités sont justement les constantes arbitraires que l’intégration introduit naturellement dans l’expression finie des variables, lorsqu’elles dépendent d’équations différentielles du second ordre, comme cela a lieu dans tous les Problèmes de la Mécanique. Il suit de là qu’en adoptant ces constantes arbitraires il suffira d’avoir égard aux deux premiers termes des expressions des variables réduites en séries.

Mais on voit par notre formule du Supplément que les différentielles des variables, relativement au temps, ne s’y trouvent que dans les différences partielles de la fonction de ces variables que nous avons nommée et qui n’est autre chose que la moitié de la force vive du système. Si donc on suppose que les valeurs de ces différences partielles soient aussi réduites en séries de puissances du temps, leurs premiers termes ne dépendront que des premiers termes et des coefficients des seconds termes des séries des premières variables. On pourra donc, pour plus de simplicité, adopter les premiers termes de ces nouvelles séries pour constantes arbitraires, à la place des coefficients des seconds termes des premières séries. De cette manière il suffira, dans les substitutions, d’avoir égard aux seuls premiers termes de ces différentes séries et la simple inspection de notre formule fait voir qu’alors la différentielle partielle de la fonction des forces, relativement à chacune des constantes arbitraires, est égale à la différentielle d’une seule de ces constantes de sorte qu’on a ainsi directement les différentielles de ces constantes devenues variables, exprimées de la manière la plus simple par les différences partielles de la même fonction.

Maintenant on sait que toutes les constantes arbitraires, que les différentes intégrations peuvent introduire, sont toujours réductibles à ces constantes arbitraires primitives ; car pour cela il n’y a qu’à supposer le temps égal à zéro dans les différentes équations intégrales qu’on aura obtenues. On aura ainsi les nouvelles constantes arbitraires en fonction de celles qu’on avait adoptées, et l’on en déduira facilement, par les opérations connues, les valeurs de leurs différentielles exprimées en différences partielles de la même fonction, mais rapportées à ces nouvelles constantes arbitraires. Tout cela ne dépend plus que d’un calcul connu, et nous donnerons les formules générales qui en résultent. Ce sera le complément de notre Théorie de la variation des constantes.

M. Poisson a lu, le 16 octobre dernier, à cette Classe, un Mémoire sur la variation des constantes arbitraires dans les questions de Mécanique, lequel est imprimé dans le volume qui vient de paraître du Journal de l’École Polytechnique[3]. Ce Mémoire contient une savante analyse qui est comme l’inverse de la mienne, et dont l’objet est d’éviter les éliminations que celle-ci exigeait. L’Auteur parvient en effet, par un calcul assez long et délicat, à des formules qui donnent directement les valeurs des différentielles des constantes arbitraires devenues variables. Ces formules ne coïncident pas immédiatement avec celles que je donne dans ce Mémoire, parce qu’elles renferment les constantes arbitraires en fonction des variables du Problème et de leurs différentielles, au lieu que les nôtres ne renferment ces constantes qu’en fonction d’autres constantes mais il est facile de se convaincre à priori qu’elles conduisent aux mêmes résultats.

Voici maintenant notre analyse, d’après les principes que nous venons d’exposer.

1. En conservant les noms donnés dans le premier Mémoire, on a cette formule générale trouvée dans le Supplément[4]

où la caractéristique indique des différences relatives uniquement aux constantes arbitraires contenues dans les expressions des variables

Le point capital de cette formule est que le second membre de l’équation doit devenir indépendant du temps après la substitution des valeurs de comme je l’ai démontré d’une manière fort simple dans le no 34 de l’Addition. C’est pourquoi, si l’on suppose, ce qui est toujours permis,

et ensuite

tous les termes de ces séries, excepté les premiers, s’en iront après les substitutions ; de sorte qu’il suffira de substituer dans la formule générale à la place des quantités ce qui la réduira d’abord à la forme

et, comme est une fonction de et de il est clair que les premiers termes seront donnés en fonction de et de et que ces fonctions seront semblables aux de

2. Les équations différentielles entre les variables et étant du second ordre, les constantes arbitraires que l’intégration introduit naturellement dans les expressions de sont leurs valeurs initiales ainsi que les valeurs initiales de Donc si, à la place de ces trois dernières constantes, on prend les trois constantes qui sont données en et on pourra représenter les six constantes arbitraires du Problème par les six quantités

Ainsi, en substituant successivement, dans la formule précédente, chacune de ces quantités à la place de qui représente une des constantes arbitraires, et changeant la caractéristique en puisque les variations des constantes arbitraires se rapportent maintenant au temps on aura tout de suite les six équations

qui sont, comme l’on voit, sous la forme la plus simple qu’il soit possible.

3. Mais, quelles que soient les constantes arbitraires qu’on. veuille employer dans les expressions des variables elles ne peuvent être que des fonctions des constantes qu’on trouvera facilement en faisant dans les équations qui donnent les valeurs de et dans leurs différentielles, et changeant en

Ainsi, comme les quantités sont données aussi en on aura les nouvelles constantes, que nous désignerons maintenant par en fonction des constantes

Donc, en différentiant les valeurs de et substituant les valeurs de qu’on vient de trouver, on aura, en divisant par

Or, en regardant comme fonction de et ces quantités comme fonctions de on a par les formules connues

4. Faisant toutes ces substitutions dans les expressions précédentes de et ordonnant les termes suivant les différences partielles de on voit d’abord que le coefficient de est nul dans la valeur de que celui de est nul dans la valeur de et ainsi des autres ; qu’ensuite, en employant des symboles analogues à ceux du premier Mémoire, tels que l’on ait

on aura ces formules

dans lesquelles la loi de la continuation est évidente, en remarquant que les symboles changent de signe quand on change l’ordre des deux lettres renfermées entre les crochets, mais sans changer de valeur.

Ainsi

Ces formules donnent, comme l’on voit, la solution la plus directe et la plus simple du Problème de la variation des constantes arbitraires, et elles s’étendent à autant de constantes qu’on voudra.


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  1. Lu le 19 février 1810.
  2. Voir le Mémoire précédent, p. 771 du présent volume.
  3. 15e Cahier, page 266.
  4. Voir page 805 de ce volume.