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Mémoires extraits des recueils de l’Académie des sciences de Paris et de l’Institut de France/Mémoire sur la Théorie générale de la variation des constantes arbitraires dans tous les Problèmes de la Mécanique

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MÉMOIRE SUR LA THÉORIE GÉNÉRALE
DE LA
VARIATION DES CONSTANTES ARBITRAIRES
DANS TOUS LES PROBLÈMES DE LA MÉCANIQUE[1].


(Mémoires de la première Classe de l’Institut de France, année 1808.)


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L’application de l’Algèbre à la Théorie des courbes, qu’on doit à Descartes, avait fait naître la distinction des quantités en constantes et en variables, et la découverte du Calcul différentiel a appris à soumettre au calcul les variations instantanées de ces dernières quantités. Depuis on a beaucoup étendu la considération de la variabilité, et l’on peut dire que presque tous les artifices d’Analyse qu’on a inventés se réduisent à faire varier de différentes manières, soit ensemble ou séparément, tant les quantités qui sont par leur nature variables, que celles que l’état de la question suppose constantes. L’art consiste à choisir parmi toutes les variations possibles celles qui, dans chaque cas, peuvent conduire aux résultats les plus simples et les plus avantageux.

On sait que l’intégration introduit toujours dans le calcul des quantités constantes relativement aux variables des équations, et dont la valeur est arbitraire. On peut donc aussi faire varier ces constantes ; ces variations, envisagées sous différents points de vue, ont produit des Théories nouvelles, parmi lesquelles celle de la variation des éléments des planètes est la plus importante.

Dans le Mémoire[2] que j’ai lu, il y a six mois, sur cette Théorie, j’ai cherché à déduire immédiatement des équations différentielles du mouvement des planètes les variations de leurs éléments, en considérant ceux-ci comme les constantes arbitraires que l’intégration doit introduire lorsqu’on fait abstraction des forces perturbatrices, et en attribuant tout l’effet des perturbations à la variation de ces constantes. Je suis parvenu de cette manière à un résultat général et indépendant de la figure des orbites planétaires. J’ai trouvé que la fonction des distances qui exprime la somme des intégrales des forces perturbatrices, multipliées chacune par l’élément de sa direction, a cette propriété remarquable, qu’en y faisant varier les seules constantes arbitraires, ses différences partielles relatives à chacune de ces constantes ne renferment point le temps, et ne sont exprimées que par des fonctions linéaires des différences de ces constantes, et dans lesquelles les coefficients de ces différences ne dépendent que des mêmes constantes. De là il a été facile de déduire les variations des éléments, exprimées par des formules différentielles qui ne renferment que les éléments eux-mêmes et les différences partielles de la fonction dont on a parlé par rapport à ces éléments ; résultat important auquel M. de Laplace est parvenu de son côté par la considération des formules du mouvement elliptique.

J’ai entrepris depuis d’étendre à un système de corps qui agissent les uns sur les autres, d’une manière quelconque, l’Analyse qui m’avait réussi pour les variations des éléments des planètes, en l’appliquant ; aux formules générales que j’ai données dans la Mécanique analytique, pour le mouvement d’un système quelconque de corps ; après plusieurs tentatives infructueuses je suis parvenu, non sans étonnement, vu la grandie généralité des équations différentielles, à un résultat analogue à celui que j’avais trouvé pour les planètes, et dont celui-ci n’est plus qu’un cas particulier. Cette nouvelle Analyse, qui fait l’objet de ce Mémoire, sera le complément de la Théorie de la variation des constantes arbitraires, et pourra être utile dans plusieurs Problèmes de Mécanique.

Quel que soit le système de corps dont on cherche le mouvement, et de quelque manière qu’ils agissent les uns sur les autres, on peut toujours réduire les variables, qui déterminent leur position dans l’espace, à un petit nombre de variables indépendantes, en éliminant, au moyen des équations de condition données par la nature du système, autant de variables qu’il y a de conditions ; c’est-à-dire, en exprimant toutes les variables, qui sont au nombre de trois pour chaque corps, par un petit nombre d’entre elles, ou par d’autres variables quelconques qui, n’étant plus assujetties à aucune condition, seront indépendantes. Cette réduction supposée, le Problème mécanique consiste à déterminer chacune de ces variables par le temps ; or j’ai donné, dans la seconde Partie de la Mécanique analytique, la forme générale des équations différentielles pour chacune des variables indépendantes dont il s’agit ; de sorte que la solution du Problème ne dépend plus que de l’intégration de ces différentes équations différentielles, qui sont essentiellement du second ordre, et qui sont plus ou moins compliquées suivant la nature du Problème.

Supposons que dans un Problème donné on soit parvenu à intégrer complétement les équations dont il dépend, mais en faisant abstraction de certaines forces qui agissent sur les corps dans une raison quelconque des distances, et qu’on peut regarder comme des forces perturbatrices du mouvement du système. À l’imitation de ce qu’on fait à l’égard des planètes, on peut réduire l’effet de ces forces, surtout si on les suppose très-petites, à ne faire varier dans la solution générale que les constantes arbitraires introduites par les différentes intégrations ; et, comme il doit y avoir deux constantes arbitraires à raison de chaque variable, puisque ces variables dépendent d’équations différentielles du second ordre, on peut faire en sorte que, non-seulement leurs expressions finies, mais encore leurs expressions différentielles, soient les mêmes que si les constantes dont il s’agit demeuraient invariables ; de sorte qu’à chaque instant les lieux des corps dans l’espace, ainsi que leurs vitesses et leurs directions, soient représentés par les mêmes formules, en ayant égard aux forces perturbatrices, que lorsqu’on fait abstraction de ces forces, comme cela a lieu pour les planètes.

En considérant sous ce point de vue la variation des constantes arbitraires, j’ai trouvé que la fonction qui représente l’intégrale de toutes les forces perturbatrices, multipliées chacune par l’élément de la distance dont elle dépend, jouit aussi de la même propriété, que ses différences partielles relatives à chacune des constantes arbitraires sont exprimées uniquement par des fonctions différentielles de ces mêmes constantes sans le temps ; de sorte que l’on a, pour les variations de ces constantes, des équations différentielles qui ne renferment que ces constantes avec les différences partielles de la fonction dont il s’agit, relatives à chacune d’elles, comme dans le cas des perturbations des planètes, forme extrêmement avantageuse pour le calcul des variations des constantes, et surtout pour la détermination de leurs variations séculaires. Ainsi cette propriété, que j’ai reconnue à l’égard du mouvement des planètes, a lieu, en général, pour tous les Problèmes sur le mouvement des corps, et peut être regardée comme un résultat général des lois fondamentales de la Mécanique. Elle fournit en même temps un nouvel instrument pour faciliter la solution de plusieurs Problèmes importants.

Le Système du monde, outre les perturbations des planètes, auquel la Théorie de la variation des éléments s’applique naturellement, en offre encore un autre plus difficile, et susceptible également de la même Théorie c’est celui de la rotation des planètes autour de leur centre de gravité, en ayant égard à leur figure non sphérique et à l’attraction que les autres planètes exercent sur chacune de leurs molécules. En faisant abstraction de ces forces d’attraction, qu’on peut regarder comme des forces perturbatrices, le Problème consiste à déterminer le mouvement d’un corps solide de figure quelconque autour de son centre de gravité, lorsqu’il n’est sollicité par aucune force et qu’il a seulement reçu une impulsion initiale quelconque ; et l’on sait que ce Problème, pour lequel d’Alembert avait donné le premier les équations différentielles, a été résolu complétement par Euler. On a ici, comme pour le mouvement d’une planète dans son orbite, trois équations différentielles, du second ordre entre trois variables indépendantes ; par conséquent les expressions finies de ces variables doivent renfermer six constantes arbitraires qu’on peut regarder comme les éléments de la rotation, et dont trois tiennent à la rotation elle-même, et les trois autres sont relatives au plan auquel on rapporte la rotation, comme dans le cas du mouvement de translation. Ces éléments deviendront variables par l’action des forces perturbatrices, et la détermination de leurs variations est un Problème dont la solution n’a pas encore été donnée, ni même tentée, que je sache, sous ce point de vue général. Je me propose d’en faire l’objet d’un autre Mémoire ; dans celui-ci je ne vais exposer que l’Analyse générale et applicable à tous les Problèmes de Mécanique.

Formules générales pour la variation des constantes arbitraires,
dans les Problèmes de Mécanique
.

1. Soit un système de corps qui agissent les uns sur les autres d’une manière quelconque, et qui soient de plus sollicités par des forces accélératrices tendant à des centres fixes ou à des corps mêmes du système, et proportionnelles à des fonctions quelconques des distances en sorte que les différentielles soient toujours intégrables.

Soient les coordonnées rectangles du corps celles du corps et soit

étant l’élément du temps supposé constant.

Soit de plus

Cette quantité sera aussi une fonction des coordonnées

puisque, en désignant par les coordonnées du centre de la force on a

et ainsi des autres.

2. Les conditions du système dépendantes de la disposition des corps entre eux, étant traduites en Analyse, fourniront autant d’équations de condition entre leurs coordonnées par lesquelles quelques-unes de ces variables seront déterminées en fonctions des autres ; de sorte qu’il ne restera qu’un certain nombre de variables indépendantes, par lesquelles la position du système sera déterminée a chaque instant.

Désignons, en général, par les variables indépendantes dont les coordonnées seront des fonctions connues ; il est clair que les quantités et deviendront aussi des fonctions de ces mêmes variables ; et en particulier la quantité sera une fonction de et de leurs dérivées que nous dénoterons pour plus de simplicité, par mais la quantité sera une simple fonction de

3. Cela posé, j’ai démontré, dans la Mécanigue analytigue [Partie II, Section IV[3]], que ces variables fournissent autant d’équations différentielles de la forme

Il est visible que ces équations seront toutes du second ordre, de sorte que les expressions finies de contiendront deux fois autant de constantes arbitraires qu’il y a de variables. Nous dénoterons ces constantes par

4. Supposons maintenant que, le Problème étant résolu dans cet état et les expressions de étant connues en fonctions de et de on demande de résoudre le même Problème, dans le cas où les différents corps du système seraient de plus soumis à l’action de forces perturbatrices de la nature des forces mais dont les centres soient mobiles d’une manière quelconque indépendante du système.

Désignons par ce que devient la fonction pour les forces perturbatrices dont il s’agit ; il n’y aura qu’à mettre à la place de dans les équations précédentes, pour avoir les équations du mouvement du même système altéré par les forces perturbatrices.

Ces équations seront ainsi

et, si l’on suppose que les mêmes expressions de ainsi que celles de y satisfassent encore en regardant comme variables les constantes arbitraires la question sera réduite à déterminer ces variables d’après ces conditions.

5. Nous ne considérerons ici que trois variables indépendantes, mais on verra aisément que l’Analyse est générale, quel que soit le nombre de ces variables. On n’aura donc entre ces variables que trois équations, qui, à cause que ne contient point peuvent se mettre sous cette forme plus simple

en faisant

Dans ces équations, est une fonction donnée de et de et est aussi une fonction donnée seulement de mais qui peut contenir encore d’autres variables dépendant du mouvement des centres des forces perturbatrices.

6. Nous supposerons connue la solution complète de ces équations dans le cas où l’on fait abstraction des seconds membres qui dépendent de la fonction ainsi, pour ce cas, les valeurs de seront censées connues en fonctions de et des six constantes arbitraires et il s’agira de faire varier ces constantes de manière que les expressions finies de ainsi que celles de c’est-à-dire, de leurs différentielles relatives seulement à et indépendantes de la variation des constantes, satisfassent en entier aux mêmes équations, en ayant égard aux termes dépendants de

7. Dénotons par la caractéristique, comme dans le Mémoire sur la variation des éléments des planètes, les différentielles provenant de la variation des six constantes arbitraires on aura par l’algorithme des différences partielles, en regardant ainsi que comme fonctions de et de

et de même

En regardant les constantes comme variables en même temps que les différentielles de seront ainsi

donc, pour que ces différentielles se réduisent à comme si les constantes arbitraires ne variaient pas, il faudra que l’on ait

8. Maintenant, si l’on considère l’équation

il est facile de voir que, comme estune fonction de et de la partie de la différentielle de provenant de la variation des constantes arbitraires sera simplement

à cause de Donc cette partie seule devra être égalée au second membre puisque l’équation est censée satisfaite, sans cette partie et sans le second membre, par les mêmes valeurs de en que dans le cas où il n’y a que de variable.

On aura de cette manière l’équation

et pareillement les deux autres équations donneront

Ces trois équations, jointes aux équations

renferment toutes les conditions du Problème, et serviront à déterminer les valeurs des nouvelles variables en

Le but de l’Analyse que nous allons exposer est simplement de réduire les valeurs des différentielles

données par ces équations à des expressions qui ne renferment que les quantités et les différences partielles de relatives à ces mêmes quantités, sans le temps comme nous l’avons fait pour les variations des éléments des planètes dans le Mémoire cité.

9. En multipliant la première équation par et retranchant les équations

multipliées respectivement par

je forme celle-ci

J’aurai de même par les deux autres équations ces transformées

J’ajoute ces trois équations ensemble, et comme n’est fonction que de sans il est clair qu’on a

On aura donc cette équation

10. J’y substitue maintenant les valeurs de données ci-dessus (7), et j’ordonne les termes par rapport aux différences on aura une formule de cette forme

et il est d’abord facile de voir que le coefficient sera nul par la destruction mutuelle des termes qui le composent. On aura ensuite

En changeant successivement dans cette expression de la lettre en c’est-à-dire, les différentielles partielles relatives à en pareilles différentielles relatives à on aura les expressions des valeurs de

Comme est une fonction donnée de et que ces quantités sont des fonctions supposées connues de et de il est visible que les coefficients dont il s’agit seront aussi des fonctions de et de La question est maintenant de déterminer la nature de ces fonctions.

11. Pour cela on se rappellera que les fonctions et leurs dérivées sont telles qu’elles satisfont aux trois équations

en y regardant les quantités comme des constantes arbitraires quelconques, et la quantité comme seule variable. Ainsi, en donnant aux constantes des accroissements quelconques

infiniment petits et constants, c’est-à-dire, indépendants de les équations différentielles qui en résulteront seront encore satisfaites par les mêmes valeurs de et de leurs différences.

Désignons de nouveau par la caractéristique les différentielles de qui résultent des accroissements attribués aux constantes il est clair que, puisque est une fonction de et de on aura, par l’algorithme des différences partielles, ces différences relatives à

Donc la première équation, différentiée suivant donnera

De même la deuxième et la troisième donneront ces deux-ci

12. Si, au lieu des accroissements on attribue aux mêmes constantes d’autres accroissements infiniment petits et constants que nous désignerons par et qu’on dénote par la caractéristique les différences des fonctions qui en proviennent, on aura trois autres équations semblables aux précédentes, dans lesquelles la caractéristique sera simplement remplacée par la caractéristique

13. Qu’on ajoute maintenant ensemble les trois équations précédentes multipliées respectivement par et qu’on en retranche la somme des trois pareilles équations, dans lesquelles le est changé en après les avoir multipliées respectivement par on aura cette équation

14. Et, si l’on exécute les différentiations relatives à la caractéristique qui se rapporte au temps qu’on efface les termes qui se détruisent et qu’on ordonne les autres par rapport aux différentielles de on aura

15. Si maintenant on fait attention que et par conséquent

à cause de l’indépendance des caractéristiques et et par la même raison

ainsi que

on verra d’abord que les coefficients de se détruisent

d’eux-mêmes, et que le premier membre de l’équation devient intégrable par rapport à ce qu’on ne pouvait pas espérer.

L’équation intégrale est ainsi

la quantité étant une constante par rapport à et qui peut être par conséquent une fonction de et de leurs différences relatives aux caractéristiques et À l’égard des valeurs des différences il est facile de concevoir qu’elles doivent être exprimées comme celles du no 7, mais en y changeant les différentielles en Il en sera de même des différences en changeant en

16. Comme ces différences ainsi que sont constantes, c’est-à-dire, indépendantes de et absolument arbitraires, l’équation précédente subsistera toujours, quelques valeurs qu’on leur donne. Supposons d’abord

ensuite

on aura (7)

et, ces valeurs étant substituées dans l’équation intégrale ci-dessus, on aura, après avoir effacé le facteur commun

Je désigne par le symbole une quantité constante relativement à et composée des constantes laquelle sera égale à ce que devient le premier membre de l’équation lorsque, après la substitution des valeurs de et de leurs dérivées en fonction de et de on y fait ou bien on en rejette tous les termes dépendants de .

17. Or on voit que les premiers termes de cette équation coïncident avec ceux de l’expression du coefficient du terme dans la valeur de (10). Ainsi, en substituant à la place de ces termes, on aura simplement

d’où l’on tire

18. Supposons ensuite dans les valeurs de les différences nulles ; on aura

En substituant ces valeurs dans la même équation générale, et conservant les valeurs précédentes de on aura, en effaçant le facteur commun cette autre équation

La quantité désignée par le symbole exprime la valeur de la formule qui forme le premier membre de l’équation lorsque l’on y fait ou qu’on rejette tous les termes indépendants de et l’on voit que cette quantité répond à celle qu’on a désignée par le symbole en ce que la lettre est partout à la place de On voit aussi de la même manière que les premiers termes de cette équation forment la valeur du coefficient du terme de l’expression de ainsi l’on en peut déduire la valeur de e coefficient exprimée de cette manière

Comme cette expression de résulte de celle de en y changeant simplement en on aura pareillement celles de en changeant successivement en

19. Ainsi la valeur de (10) deviendra, par ces substitutions,

20. Si maintenant on se rappelle que les équations du no 7 donnent

on voit tout de suite que cette expression de se réduit à la forme très-simple

et de là, par l’analogie qui règne dans nos formules, on pourra déduire immédiatement les expressions de en changeant simplement a en On aura ainsi, en observant que la valeur de ne fait que changer de signe par le changement de en et en et qu’il en est de même des valeurs de tous les autres symboles

formules entièrement semblables à celles que nous avons trouvées dans le Mémoire sur la variation des éléments des planètes (6), et qui n’en diffèrent que par la valeur des symboles

21. À l’égard de ces valeurs, il est bon d’observer qu’elles ne dépendent pas de la fonction elle-même, mais seulement de ses différences partielles relatives à de sorte que, comme on a supposé (5), et que n’est fonction que de (2), on aura simplement

par conséquent, dans les expressions des valeurs dont il s’agit, on pourra mettre partout à la place de

De cette manière on aura, en général, pour un symbole quelconque