Mémoires extraits des recueils de l’Académie royale de Berlin/Démonstration d’un Théorème d’Arithmétique

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DÉMONSTRATION
D’UN
THÉORÈME D’ARITHMÉTIQUE.


(Nouveaux Mémoires de l’Académie royale des Sciences
et Belles-Lettres de Berlin
, 1770.)


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C’est un Théorème connu depuis longtemps que tout nombre entier non carré peut toujours se décomposeren deux, ou trois, ou quatre carrés entiers ; mais personne, que je sache, n’en a encore donné la démonstration. M. Bachet de Méziriac est le premier qui ait fait mention de ce Théorème ; il paraît qu’il y a été conduit par la question 31e du IVe Livre de Diophante, où le Théorème dont nous parlons est en quelque sorte tacitement supposé ; mais M. Bachet s’est contenté de s’assurer de la vérité de ce Théorème par induction, en examinant successivement tous les nombres entiers depuis jusqu’à et quant à la démonstration générale, il avoue qu’il n’avait pas encore pu y parvenir. « Mihi sane (dit-il dans son Commentaire à la question citée) perfecta id demonstratione assequi nondum licuit, quam qui proferet maximas ei habebo gratias, præsertim cum non solum in hac quæstione sed et in nonnullis libri quinti hoc supponere videatur Diophantus. » Je ne connais, jusqu’à présent, que deux Auteurs qui se soient appliqués à cette recherche, savoir M. Fermat et M. Euler. Dans les Notes que le premier a ajoutées au Commentaire de Bachet sur Diophante, il annonce un grand Ouvrage qu’il avait dessein de composer sur la théorie des nombres, et il promet d’y démontrer cette proposition générale que tout nombre est, ou triangulaire, ou composé de deux ou de trois nombres triangulaires ; qu’il est, ou carré, ou composé de deux, ou de trois, ou de quatre carrés, et ainsi de suite ; mais cet Ouvrage n’a jamais paru, et dans tout ce qui nous reste des écrits de ce grand Géomètre, on ne trouve absolument rien qui puisse fournir la moindre lumière pour la démonstration dont il s’agit. À l’égard de M. Euler, si son travail sur ce sujet n’a pas eu tout le succès qu’on pourrait désirer, on lui a du moins l’obligation d’avoir ouvert la route qu’il faut suivre dans ces sortes de recherches. On peut voir dans le tome V des Nouveaux Commentaires de Pètersbourg le résultat des tentatives ingénieuses que ce grand Géomètre a faites pour parvenir à démontrer le Théorème de M. Bachet.

M. Euler fait voir que le produit de deux, ou de plusieurs nombres, dont chacun serait composé de quatre carrés entiers, sera aussi toujours composé de quatre, ou d’un moindre nombre de carrés entiers ; d’où il suit d’abord que si le Théorème proposé peut être démontré pour tous les nombres premiers, il le sera aussi pour tous les autres nombres. M. Euler démontre, de plus, qu’un nombre premier quelconque étant proposé, on peut toujours trouver deux ou trois nombres carrés dont la somme soit divisible par ce nombre sans que chacun des carrés en particulier le soit, et que ces nombres carrés peuvent toujours être supposés tels que le quotient de la division de leur somme par le nombre premier donné soit moindre que ce même nombre. De là M. Euler conclut, avec raison, que le Théorème en question serait démontré pour tous les nombres premiers si l’on pouvait seulement démontrer cette autre proposition, savoir, que lorsque le produit de deux nombres est la somme de quatre ou d’un moindre nombre de carrés, et que l’un des nombres produisants est pareillement la somme de quatre ou d’un moindre nombre de carrés, l’autre produisant le sera de même. « Si summa quatuor quadratorum (dit-il, page 55 du volume cité) fuerit divisibilis per summam quatuor quadratorum tum quotum non solurn in fractis sed etiam in integris esse summam quatuor quadratorum, est Theorema elegantissimum Fermatii, cujus demonstratio cum ipso nobis est erepta fateor me adhuc hanc demonstrationem invenire non potuisse, etc. »

C’est donc cette dernière proposition seule qu’il s’agit de démontrer. Or pour cela nous n’aurons pas besoin de supposer que le diviseur soit aussi représenté par la somme de quatre carrés, et nous démontrerons, en général, que tout nombre premier qui est diviseur d’un nombre quelconque composé de quatre ou d’un moindre nombre de carrés, sans l’être de chacun des carrés en particulier, est nécessairement aussi composé de quatre ou d’un moindre nombre de carrés ; après quoi il n’y aura plus rien à désirer pour la démonstration complète du Théorème général de Bachet, que nous nous sommes proposé de donner dans ce Mémoire.

Lemme.

Les nombres qui sont la somme de deux carrés premiers entre eux n’admettent d’autres diviseurs que ceux qui sont pareillement la somme de deux carrés.

Cette proposition, qui est de M. Fermat, a été démontrée par M. Euler dans un Mémoire imprimé dans le tome IV des Nouveaux Commentaires de Pétersbourg.

Corollaire I.Si deux nombres égaux chacun à la somme de deux carrés tels que et sont divisibles par un même nombre et que les quatre carrés n’aient aucun diviseur commun, je dis que les deux quotients et seront aussi chacun égaux à la somme de deux carrés.

Car soit la plus grande commune mesure de et et la plus grande commune mesure de et de sorte qu’en faisant

les nombres et soient premiers entre eux, comme aussi les nombres et entre eux ; on aura donc les deux nombres et qui seront divisibles à la fois par Or je remarque d’abord

que et seront premiers entre eux ; autrement les quatre nombres et auraient une commune mesure, ce qui est contre l’hypothèse. Maintenant soit la plus grande commune mesure entre et en sorte que l’on ait et que soit premier à donc sera divisible par et il faudra que le soit par de sorte qu’on aura

or et étant premiers entre eux, il suit du Lemme précédent que tant le diviseur que le quotient seront la somme de deux carrés ; ainsi l’on aura

Soit de plus le plus grand facteur carré du nombre en sorte que étant un nombre qui ne soit divisible par aucun carré, et il est clair que ne pourra être divisible par à moins que ne le soit par soit donc et l’on aura

Or doit être aussi divisible par donc divisera mais divise déjà donc, puisque et sont premiers entre eux, il s’ensuit que sera aussi premier à par conséquent il faudra que divise et comme sera aussi un diviseur de donc, puisque et sont premiers entre eux, le diviseur sera égal à la somme de deux carrés par le Lemme. Faisant donc on aura

et de là

c’est-à-dire égal à la somme de deux carrés. On démontrera de la même manière que le quotient sera aussi égal à la somme de deux carrés.

Corollaire II.Si la somme de deux carrés est divisible par une autre somme de deux carrés, le quotient sera toujours égal à la somme de deux carrés.

Car soit divisible par et si les nombres ont une commune mesure, dénotons-la par en sorte que l’on ait

et que n’aient aucun commun diviseur ; donc on aura

de sorte que sera divisible par or, faisant on aura par le Corollaire précédent égal à la somme de deux carrés ; donc, etc.

Théorème I.

Si la somme de quatre carrés est divisible par un nombre premier plus grand que la racine carrée de la même somme, ce nombre sera nécessairement égal à la somme de quatre carrés.

Car soit divisible par étant un nombre premier, en sorte que l’on ait

et comme on suppose que le diviseur est plus grand que

il est clair que le quotient sera plus petit que la même racine, de sorte qu’on aura

Cela posé, si les nombres et ont un diviseur commun il est clair que la somme de leurs carrés sera divisible par et qu’ainsi il faudra que le soit aussi ; or étant plus petit que sera plus petit que à cause de donc, puisque est premier (hypothèse), il est clair que et seront premiers entre eux ; d’où il s’ensuit que ne pourra être divisible par à moins que ne le soit ; ainsi, divisant tant le nombre que chacun des carrés par on aura une équation de la même forme que la précédente, où le coefficient sera toujours plus petit que et où les quatre carrés n’auront plus de commun diviseur.

Considérons donc l’équation

comme déjà réduite à cet état, et si le nombre n’est pas premiers à soit leur plus grande commune mesure, en sorte que l’on ait

et étant premiers entre eux ; on aura donc

d’où l’on voit que doit être aussi divisible par de sorte que, nommant le quotient l’équation deviendra

or, puisque divise tant que et que et n’ont aucun diviseur commun, il s’ensuit du Corollaire I du Lemme précédent que les quotients et seront l’un et l’autre la somme de deux carrés ; ainsi l’on aura

donc, multipliant toute l’équation par on aura

ou bien, en faisant et en sorte que on aura cette équation-ci

Maintenant, comme et sont premiers entre eux, on peut toujours trouver deux multiples de et tels que leur somme ou leur différence soit égale à un nombre quelconque donné, et de plus on peut supposer que l’un de ces multiples soit moindre que [voyez le Lemme I du Mémoire sur les Problèmes indéterminés, qui est imprimé dans le tome XXIV des Mémoire de l’Académie royale des Sciences et Belles-Lettres de Berlin, pour l’année 1768[1]] ; ainsi l’on peut faire


et étant des nombres entiers positifs ou négatifs, et l’on peut supposer en même temps que et pris positivement, soient l’un et l’autre plus petits que Qu’on fasse donc cette substitution dans l’équation précédente, elle deviendra

où l’on voit que tous les termes sont multipliés par à l’exception de ceux-ci

ainsi, pour que cette équation puisse subsister en nombres entiers comme il le faut, il est nécessaire que soit aussi divisible par mais et sont premiers entre eux, donc il faudra que divise de sorte qu’en nommant le quotient on aura

et comme et sont chacun plus petits que sera plus petit que par conséquent sera plus petit que

Or, mettant dans l’équation ci-dessus à la place de et divisant ensuite par on aura

où je remarque encore que tous les termes étant multipliés par excepté ceux-ci

il faudra que le nombre soit divisible par et comme et sont premiers entre eux, il faudra que soit divisible par t.

Si l’on multiplie l’équation que nous venons de trouver par elle pourra se mettre sous cette forme

ou bien sous celle-ci

mais on a

donc l’équation précédente deviendra

c’est-à-dire

Or nous avons dit ci-dessus que doit être divisible par donc il faudra aussi que le nombre

le soit ; mais on a

donc, par le Corollaire II du Lemme, chacun des deux quotients sera nécessairement la somme de deux carrés ; de sorte qu’on aura

Donc on aura, après avoir divisé toute l’équation par

Il s’ensuit de là que si est la somme de quatre carrés, sera aussi la somme de quatre carrés, étant plus petit que et ainsi si est plus grand que sera nécessairement plus petit que et, si est encore plus grand que on prouvera de la même manière que sera aussi la somme de quatre carrés, étant plus petit que et ainsi de suite ; donc comme les nombres sont des nombres entiers, dont aucun ne peut être égal à zéro (à cause que ces nombres sont des diviseurs des nombres qui, comme on voit, ne peuvent jamais devenir nuls), et que ces nombres vont en diminuant, il est clair qu’on parviendra nécessairement à un de ces nombres qui sera égal à l’unité, et alors on aura égal à la somme de quatre carrés entiers.

Corollaire. — Si un nombre premier quelconque est un diviseur de la somme de quatre carrés qui n’aient point de commun diviseur, ce nombre sera aussi la somme de quatre carrés.

Car nommant, comme ci-dessus, le nombre premier donné et le nombre composé de quatre carrés qui est divisible par il est clair que, si chacune des racines était moindre que on aurait

de sorte que seraitplus grand que comme on l’a supposé dans le Théorème précédent ; donc, etc.

Or je dis que quels que soient les nombres on peut toujours les réduire à être moindres que car soit, par exemple, il est visible que si est divisible par le sera aussi, de même que quelque soit le nombre or on peut toujours prendre tel que ou soit moindre que donc il n’y aura qu’à mettre au lieu de le nombre ou et l’on fera la même chose par rapport aux autres nombres s’ils se trouvent plus grands que

Si était divisible par on aurait

de sorte que dans ce cas il faudrait mettre à la place de il en serait de même à l’égard de s’il était aussi divisible par et ainsi des autres ; mais comme on suppose que et n’ont aucun diviseur commun, ils ne peuvent pas être tous divisibles à la fois par et même il ne pourra pas y en avoir plus de deux qui le soient ; autrement il faudrait que tous quatre le fussent ; de sorte qu’il n’y a pas à craindre que, par ces réductions, le dividende devienne nul.

Remarque. — Au reste il est clair que la démonstration du Théorème précédent n’en subsistera pas moins si l’on suppose qu’un ou deux des quatre carrés qui composent le dividende soient nuls ; d’ailleurs il peut aussi arriver qu’un ou deux des quatre carrés qu’on trouvera pour le diviseur soient nuls ; donc, en général, tout nombre premier qui divisera la somme de quatre ou d’un moindre nombre de carrés entiers, pourvu qu’ils n’aient entre eux aucun diviseur commun, sera nécessairement égal à la somme de quatre ou d’un moindre nombre de carrés entiers.

Théorème II.

Si est un nombre premïer et que et soient des nombres quelconques positifs ou négatifs non divisibles par je dis qu’on pourra toujours trouver deux nombres et tels que le nombre soit divisible par

Car : 1o Si l’on peut trouver un nombre tel que soit divisible par il n’y aura alors qu’à prendre divisible par ou bien

2o S’il n’y a aucun nombre qui étant pris pour puisse rendre divisible par faisons, pour abréger, et supposant

on aura

multiplious cette équation par que nous supposerons égal à et l’on aura

Or, par le Théorème connu de Fermat, que M. Euler a démontré dans les Commentaires de Pétersbourg, on sait que si est un nombre premier quelconque et un autre nombre quelconque non divisible par sera toujours divisible par Donc, si l’on suppose que ne soit pas divisible par on aura les deux nombres et divisibles à la fois par à cause que n’est jamais divisible par quel que soit (hypothèse). Donc le nombre sera divisible par de sorte que, si ni ni n’étaient divisibles par il faudrait que le fût, à cause que est un nombre premier par l’hypothèse. Ainsi la difficulté se réduit à prouver que l’on peut toujours prendre et tels que ni ni ne soient pas divisibles par ne l’étant pas non plus.

Pour cela je remarque d’abord que, quelle que soit la valeur de on peut toujours trouver une valeur de plus petite que et par conséquent non divisible par telle que ne soit pas divisible par Car si l’on substitue successivement dans l’expression de les nombres jusqu’à inclusivement à la place de et qu’on nomme les valeurs résultantes de on aura, par la théorie connue des différences,

Or, si tous les nombres jusqu’à étaient divisibles par il faudrait que le nombre le fût aussi ; ce qui ne pouvant être à cause que est premier, il s’ensuit que parmi les nombres il s’en trouvera nécessairement quelqu’un qui ne sera pas divisible par donc, etc.

Ainsi Il ne reste plus qu’à prouver que l’on peut toujours prendre tel que ou ne soit pas divisible par

Soit, pour plus de simplicité, et l’on aura

Or si n’est pas divisible par il est clair qu’il n’y aura qu’à prendre divisible par ou bien car alors ne sera pas divisible par

Mais si est divisible par alors pour que ne le soit pas, il faudra que ne le soit pas, et que la quantité

ne le soit pas non plus ; or on peut démontrer, comme plus haut, qu’il doit nécessairement exister une valeur de plus petite que et par conséquent non divisible par telle que la quantité dont il s’agit ne le soit pas. Car nommant cette quantité, et désignant par les valeurs de qui résulteraient de la substitution des nombres à la place de on aura

Or comme est premier et que n’est pas divisible par il est clair que le nombre ne le sera pas non plus ; donc, etc.

Corollaire I. — Si l’on fait et on aura le nombre qui sera divisible par d’où il s’ensuit qu’étant donné un nombre premier quelconque on peut toujours trouver un nombre égal à la somme de trois carrés entiers dont l’un soit même l’unité, lequel soit divisible par le nombre premier donné.

Ce Théorème a déjà été démontré par M. Euler d’une autre manière, dans le tome V des Nouveaux Commentaires de Pétersbourg ; mais pour ne rien laisser à désirer à nos lecteurs nous avons cru devoir le démontrer de nouveau, d’autant plus que notre démonstration a l’avantage d’avoir une très-grande généralité.

Corollaire II. — Combinant donc le Théorème précédent avec celui de la Remarque qui est après le Théorème I, on en déduira celle-ci : que tout nombre premier est nécessairement égal à la somme de quatre ou d’un moindre nombre de carrés entiers. D’où il est aisé de conclure que tout nombre entier est aussi égal à la somme de quatre ou d’un moindre nombre de carrés entiers ; car on sait que le produit de deux, ou de plusieurs nombres égaux chacun à la somme de quatre, ou d’un moindre nombre de carrés, est aussi nécessairement égal à la somme de quatre, ou d’un moindre nombre de carrés en effet on a

et même plus généralement


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  1. Œuvres de Lagrange, t. II, p. 659.