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Mémoires inédits de l’abbé Morellet/D’Alembert et M. Fiévé

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D’Alembert et M. Fiévée.

Pag. 86. « Contre un roi que nous appelions philosophe. » L’abbé Morellet, dans une note manuscrite, avait recueilli quelques vers de d’Alembert en l’honneur du roi de Prusse ; il lui attribuait ceux-ci :


Héros dans les malheurs, prompt à les réparer,
Aux coups de la tempête opposant son génie,
Aux Il vit l’Europe réunie
Aux Pour le combattre et l’admirer.

« Lorsque d’Alembert, ajoutait-il, disputa le prix de l’Académie de Berlin sur la cause des vents, qu’il trouve, en général, dans les oscillations réciproques du soleil et de la lune, qui agissent sur notre atmosphère, il avait mis à son Mémoire une devise ingénieuse, une espèce de parodie des vers de Virgile,


.....Hæc super arvorum, etc.
Hæc ego de ventis, dum ventorum ocyor alis
Austriacos Fredericus agit, etc.

Il a fait quelquefois des vers français pleins de force ; entr’autres, l’épitaphe du duc de Boufflers, mort à Gênes de la petite vérole, après avoir contribué à délivrer ces républicains de l’oppression des Autrichiens.


Au sein de la victoire, à la fleur de son âge,
D’un peuple de héros en mourant regretté,
Boufflers, tu leur laissas le plus digne héritage,
BoufTon exemple et la liberté.


Et l’épitaphe du maréchal de Saxe :


Par le malheur instruit dès ses plus jeunes ans,
Cher au peuple, aux guerriers, au prince, à la victoire,
Redouté des Anglais, hai des courtisans,
RedIl ne manqua rien à sa gloire.


J’ai oublié des vers sur le prince Édouard, que je lui ai entendu réciter.

J’aime, continuait l’abbé Morellet, à conserver ici le jugement qu’a porté de d’Alembert un M. Fiévée, pendant quelque temps rédacteur du Mercure. Nos lecteurs y verront « que le fond du caractère de d’Alembert était l’envie ; et que, comme cette envie était froide, il acquit de l’ascendant sur des écrivains qui lui étaient supérieurs, sans en accorder à personne sur lui ; que c’est à cette disposition de son âme qu’il dut sa réputation dans les lettres, etc. ; que d’Alembert, après la mort de Mlle de l’Espinasse, allait lisant partout des élégies sur cette mort, et que, pendant six semaines, il fut à la mode à Paris de s’assembler pour le voir s’affliger ; et l’on promettait ses larmes en invitant pour une soirée, comme on annonce la romance de Bélisaire ou un proverbe de Brunet. Ils apprendront que d’Alembert arracha des pensions de la cour ; que d’Alembert détestait sa patrie, en même temps qu’il sacrifiait tout pour y rester. » Enfin, une foule de faits pris on ne sait où, rassemblés on ne sait comment ; et tout cela exprimé d’un ton, d’un goût, d’un style qui fait honte à notre pauvre pays, où l’on invente de pareilles choses ; où l’on ose les écrire ; où l’on suppose apparemment que quelqu’un voudra bien les lire, puisqu’enfin il se trouve des gens qui les impriment.

Je suis vraiment effrayé de cette ineffable confiance, de cet imperturbable sang-froid, avec lequel se débitent aujourd’hui les phrases les plus dépourvues de sens. Il faut véritablement que ces gens-là croient être quelque chose, penser quelque chose, dire quelque chose. Voyez dans l’article de M. Fiévée,


La constante hauteur de sa présomption,
Cette intrépidité de bonne opinion,


Cela fait frémir. Et comme, après tant de belles inventions, ce nom de M. Fiévée s’étend complaisamment en grosses lettres comme pour avertir les passans, etc. »