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Mémoires inédits de l’abbé Morellet/XXII

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CHAPITRE XXII.

Mort de Beauvau. Lettres de Marmontel. Quelques portraits. Suppression de l’Académie française.

Au mois de mai 1793, je perdis le maréchal de Beauvau, dont la mort fut sans doute hâtée par les malheurs publics. Dès la fin d’avril, attaqué d’un gros rhume qui le fatiguait beaucoup, il crut pouvoir trouver quelque soulagement dans un séjour au Val, à ce moment si beau de l’année, et il m’emmena avec lui et madame de Beauvau. Son mal empira bientôt, et un catarrhe suffoquant, après l’avoir fait beaucoup souffrir, l’emporta vers la fin de mai, au grand regret de tous ceux qui l’ont connu. Homme d’une âme élevée, d’un abord froid, mais qui n’était en lui que de la dignité et non de la hauteur ; d’un esprit un peu lent, mais droit et en même temps délicat, et démêlant avec justesse les moindres convenances.

Le spectacle de son union avec madame de Beauvau était agréable et touchant. Le sentiment qui les avait unis autrefois se soutenait encore, ou du moins l’amitié qui en avait pris la place était presque aussi tendre. Mais ce que j’ai vu avec un grand intérêt et un grand plaisir, c’est la considération réelle et l’espèce de respect qu’ils avaient l’un pour l’autre.

J’ai vu beaucoup de femmes avoir dans le monde pour leurs maris des égards qui me paraissaient n’être que de système, pour la parade, et pour se relever elles-mêmes par la considération qu’elles cherchaient à donner à leur époux ; mais j’ai vu rarement ce respect sincère et ressenti ; mérité de part et d’autre, et dont tous les deux étaient de fort bons juges.

« La seule présence de M. le maréchal de Beauvau (ce sont les termes de M. Marmontel, dans une lettre qu’il écrivit de sa retraite, près Gaillon, à madame la maréchale, le 25 mai 1795), recommandait, dans les assemblées de l’Académie, la décence, le calme, l’union, la modération, l’amour de l’ordre et du travail. Sa bonté, sa politesse noble et délicate, avertissaient les gens de lettres de la bienveillance et des égards qu’ils se devaient les uns aux autres. Si dans des temps de trouble et de désordre, l’Académie a conservé son caractère de dignité, de sagesse et de bienséance, elle en est surtout redevable à l’exemple que lui donnait le plus considérable de ses membres, sans parler des lumières qu’un goût sévère et pur, un sentiment exquis des convenances du langage répandaient habituellement sur les travaux de l’Académie ; le moindre mérité de M. le maréchal, aux yeux de ses confrères, fut d’être un excellent académicien. » Je n’ai pas besoin de dire que j’ai partagé tous ces sentimens de Marmontel.

En relisant au mois de janvier 1805 ce que j’ai écrit sur M. de Beauvau, je me trouve conduit à quelques détails de plus sur cet homme estimable que j’ai tant regretté.

Les Mémoires de Marmontel ayant paru en 1800, madame la maréchale de Beauvau y avait lu ce que Marmontel y dit de son mari, ainsi que l’éloge qu’il y fait d’elle, et où ceux qui la connaissent voient un fidèle portrait. Or, la manière dont elle a été affectée à cette lecture mérite d’être conservée. C’est ce que je ferai en rapportant un fragment de la lettre qu’elle a écrite à ce sujet à madame la princesse de Poix, sa belle-fille, et qui peut donner une juste idée du caractère de M. et de Mme de Beauvau.

« Je viens de lire, dans les Mémoires de M. de Marmontel[1] un portrait, ou plutôt un éloge de moi ; ce portrait est trop flatté pour être flatteur, et la seule satisfaction qu’il m’a donnée a été de me faire sentir combien un attachement profond, tendre, passionné, pouvait anéantir tout amour-propre. Si l’auteur vivait encore, il m’eût été impossible de ne pas lui témoigner plus de mécontentement que de reconnaissance. Comment un homme qui a connu M. de Beauvau, qui rappelle sa mémoire, peut-il se borner à excuser la dignité froide de son maintien, en ajoutant seulement qu’il était bon, obligeant, serviable, même sans se faire valoir ? Ce genre d’éloge, si fort au-dessous de celui qu’il méritait, m’a fait éprouver un sentiment douloureux ; mais c’est surtout lorsque, continuant à me louer, il dit : Son grand art, comme son attention la plus continuelle, était d’honorer son époux, de le faire valoir, de s’effacer pour le mettre à sa place. Ah ! combien j’étais loin du soin de m’effacer pour le mettre à sa place, moi, qui ai toujours cru que c’était de lui seul que je pouvais tirer quelque considération, que j’avais été honorée par son choix, et que le seul éloge qui me parût désirable et digne des sentimens qui m’attachaient si fortement à lui, était qu’on sût qu’il m’avait aimée ! Voilà les seuls mots que je voudrais qui fussent gravés sur ma tombe, quand elle m’aura réunie à ce qui me reste de lui. Si j’avais pu me flatter qu’en déchirant cette page des Mémoires, elle n’eût été connue de personne, j’aurais cédé au mouvement qui m’y portait, un des plus pénibles que j’aie jamais éprouvé. »

J’avoue que madame de Beauvau me paraît avoir de justes motifs de se plaindre de quelques-unes des expressions qui regardent son mari : mais ce qu’elle dit d’elle-même est trop modeste de beaucoup ; ce n’est pas elle qu’il faut croire.

À l’époque même où mourut M. de Beauvau, que la Providence voulut peut-être soustraire ainsi aux horreurs qui suivirent, je trouve dans mes souvenirs un petit fait historique qui peut contribuer à faire mieux connaître, par un trait de caractère assez bizarre, un de ceux qui étaient alors à la tête du gouvernement, Garat, dont j’ai déjà dit quelques mots. Un homme de foi, mon ami, m’a raconté que, vers le mois de mai 1793, après la mort du roi, lorsqu’on préparait le mouvement du 31 mai, c’est-à-dire, l’épuration de l’Assemblée et la perte des girondins, en cherchant à répandre l’alarme sur les subsistances, il alla rendre visite à Garat, alors ministre de l’intérieur, et trouva dans son antichambre un grand nombre de magistrats du temps, officiers municipaux, de police et autres, apportant leurs inquiétudes et leurs terreurs. Admis dans le cabinet du ministre, il le voit un petit volume à la main. Garat s’avance vers lui, et sans autre préambule : « C’est une chose bien étrange, lui dit-il, que l’abbé de Condillac ait entendu si mal le système de Spinosa ; il est clair que Spinosa, etc. : » et il se met à déduire et exposer l’opinion du Juif. Mon homme, surpris comme on peut le croire, lui répliqua : « Vraiment, vous pouvez avoir raison contre l’abbé de Condillac ; mais je vous conseille plutôt de songer à ce que vous avez à dire à trente personnes qui sont dans votre antichambre, et qui viennent vous demander du pain pour la ville de Paris[2]. »

De retour dans cette malheureuse ville, après la mort du maréchal, je repris mon assiduité aux séances de l’Académie, dont la destruction était prévue et prochaine. Cependant, quoique toujours menacée, ainsi que tous les anciens établissemens, elle subsistait encore ; et je profitais de cette distraction utile au milieu de tant de sujets de peine. Ce n’est pas qu’elle n’eut aussi ses dégoûts depuis quelque temps, la révolution ayant amené dans la compagnie un grand conflit d’opinions.

Il y en avait un bon nombre parmi nous qui étaient révolutionnaires dans toute la force de ce mot, Laharpe, Target, Ducis, Sedaine, Lemierre, Chamfort, Condorcet, Chabanon, Beauzée, Bailly, etc. Du bord opposé, nous comptions Marmontel, Maury, Gaillard, le maréchal de Beauvau, Brecquigny, Barthélemy, Rulhières, Suard, Saint-Lambert, Delille, Vicq-d’Azyr, moi, etc. Je ne parle ici que des assidus, presque tous hommes de lettres ; et quand je les range en deux classes seulement, je ne prétends pas que l’aristocratie des uns et la démocratie des autres n’eussent dans les indications qu’une même nuance. L’aristocratie de l’abbé Maury et de l’abbé Delille, par exemple, pour parler le langage du temps, était plus prononcée que celle de Suard et la mienne ; il y avait peut-être moins de différence dans les degrés de démocratie de ceux de nos confrères qui tenaient pour la révolution ; et j’avoue que j’ai entendu Chamfort, et Sedaine, et Ducis, et Laharpe lui-même, qui en est depuis si bien revenu, tenir des propos tout semblables à ceux qui, de la tribune de l’Assemblée, ont fait traquer et égorger les nobles et les prêtres d’un bout de la France à l’autre comme des bêtes féroces.

Cette opposition, et les disputes qu’elle excitait sans cesse, détruisaient tout l’agrément de la société. La conversation, qui était auparavant piquante et instructive, était dégénérée en querelle habituelle. Les moins mauvais se taisaient ; d’autres ne craignaient pas de faire l’apologie des plus grandes cruautés. Chamfort triomphait lorsqu’il avait paru un décret bien atroce ; et La Harpe venait s’asseoir, content de lui-même, entre l’abbé Barthélemy et moi, après avoir imprimé dans le Mercure contre les prêtres une diatribe sanglante ; dont la tendance naturelle et le but inévitable étaient l’horrible persécution dont ils ont été les victimes. Il est dur, dira-t-on, de rappeler des fautes réparées par un repentir éclatant, et La Harpe a depuis abjuré ses erreurs avec une solennité, une publicité, qui peuvent faire croire à la sincérité de son retour. Je le veux bien ; mais si sa conversion est réelle, j’en relèverai le mérite en rappelant d’où il est revenu.

Il faut donc dire que, le 3 décembre 1792, il avait déclamé en plein lycée, le bonnet rouge sur la tête, un hymne en l’honneur de la révolution, où se trouvent ces deux vers aussi atroces que de mauvais goût :


Le fer, il boit le sang ; le sang nourrit la rage,
Le fEt la rage donne la mort.


Que, dans le Mercure du 23 novembre 1793, en parlant de l’apostasie de quelques prêtres, et de leur profession d’incrédulité à la tribune, il a imprimé ces mots : « Lorsque des prêtres viennent nous dire, sans y être forcés en aucune manière, en conscience, mes amis, nous vous trompons, il n’est pas possible de ne pas les croire… »

Que, dans le Mercure du 15 février 1794, lorsque les assassinats juridiques se multipliaient, lorsqu’on égorgeait M. de Marbœuf, pour avoir semé en luzerne un champ de blé, il a imprimé que les destinées de la république s’embellissaient tous Les jours.

Que, dans le Mercure du 1er mars 1794, il a dit que c’était de la messe qu’étaient venus tous nos malheurs.

Qu’en parlant de la commune de 1793, il l’a désignée par cet éloge : Cette mémorable commune, si constamment et si éminemment révolutionnaire ; et que, dans le Mercure du 8 mars 1794, il a appelé les comités de salut public et de sûreté générale, souillés de tant de crimes, cette autorité révolutionnaire qui a produit tant de merveilles.

Quels qu’aient été depuis ses sentimens, voilà ce qu’ils étaient alors ; et on conçoit qu’en les laissant apercevoir, ceux de nos confrères qui étaient révolutionnaires comme lui, empoisonnaient pour les autres le plaisir de la réunion.

Le remède fut pire que le mal. J’arrive à une époque bien remarquable et bien triste pour un homme de lettres, membre de l’Académie française, celle de la destruction de toutes les académies.

À la dernière séance du mois de juin 1793, j’avais été fait directeur, et Vicq-d’Azyr chancelier. On annonçait, dès-lors, la suppression de tous les corps littéraires, parmi lesquels l’Académie française était, sans contredit, celui que les barbares avaient le plus en horreur.

Dans le courant de juillet, un décret ayant ordonné l’abolition de tous les signes de la royauté, de la noblesse, et généralement de toutes les distinctions, telles que les couronnes, fleurs-de-lis, armoiries, cordons ; des ouvriers étaient venus mutiler les boiseries des portes et des appartemens du Louvre, barbouiller les tableaux de Rigaud et de Lebrun qui décoraient la salle de l’Académie des inscriptions, effacer la figure et le nom de Louis xvi, arracher les tapisseries semées de fleurs-de-lis, et imprimer partout la trace de cette puissance du mal, qui régnait alors despotiquement sur nous.

La salle de l’Académie française devant bientôt être profanée par les mêmes outrages, je m’occupai de dérober aux vandales, et de conserver pour de meilleurs temps, ce que je pourrais sauver de leurs mains.

Le mobilier de l’Académie consistait en une soixantaine de portraits d’académiciens, quelques bustes et quelques médailles ; une bibliothèque de cinq à six cents volumes, dictionnaires, grammaires et ouvrages des membres de l’Académie ; ses titres, les registres de ses délibérations, les procès-verbaux de ses assemblées, de ses élections, de ses relations immédiates avec nos rois.

Ne pouvant sauver la bibliothèque nous avions eu la pensée d’en partager les livres entre nous, ce qui était assez juste, puisque cette petite collection avait été formée par les académiciens eux-mêmes ; mais on nous eut accusé de voler la nation, et nous renonçâmes à ce projet.

Pour sauver les portraits, s’il était possible, j’imaginai de les faire mettre en piles dans une des tribunes de la salle des assemblées publiques, dont j’emportai la clef, et que, sans doute, on ne s’est pas avisé de faire ouvrir, dans les premiers temps où le pillage et la destruction avaient le plus d’activité ; et je puis croire que c’est à cette précaution que nous devons de les avoir conservés. Ils ont été retrouvés l’année dernière[3], et rassemblés par les soins de nos collègues à l’Institut, M. de Lacuée et M. Raymond, architecte du Louvre.

Nous devions surtout songer à nos titres et à nos registres, aux lettres et papiers de l’Académie, au manuscrit du Dictionnaire, dont la copie pour une nouvelle édition venait d’être terminée.

Les premiers jours d’août, nous approchions de l’anniversaire du 10 de l’année précédente, qu’on annonçait comme devant être fêté, et du 25, jour de la saint Louis, où se tenait une assemblée publique de l’Académie, qui pouvait devenir facilement une occasion de désordres et de violences populaires.

D’un commun accord nous convînmes, dans la séance du 5, d’interrompre nos assemblées, et c’est en effet la dernière qu’ait tenue l’Académie française, dont j’ai été le dernier directeur.

J’exerçais, comme directeur, la fonction de secrétaire pendant l’absence de Marmontel. À ces deux titres, je me crus autorisé, et même obligé par les circonstances, à faire tous mes efforts pour sauver les restes précieux qu’on allait détruire, et je les emportai chez moi, disposé à toutes les restitutions qu’exigerait l’autorité, mais comptant bien qu’elle n’en exigerait pas. S’il y avait d’ailleurs quelque témérité dans cette démarche, j’en prenais sur moi le danger.

Je sauvai ainsi douze volumes in-folio, c’est-à-dire, 1° un portefeuille, contenant les titres de l’Académie, entre autres les lettres-patentes de son établissement en 1655 ; divers papiers et titres, tels que ceux des fondations de prix entre ses mains, et plusieurs autres pièces ;

2° Cinq volumes des registres de présence, de 1673 à 1795 ;

3° Trois volumes des registres proprement dits, formés des procès-verbaux de chaque séance ;

4° Un volume manuscrit des Remarques de l’Académie sur la traduction de Quinte-Curce par Vaugelas ;

5° La copie de la nouvelle édition du Dictionnaire.

J’ai depuis replacé tous ces monumens dans la bibliothèque de l’Institut ; et l’Académie nouvelle, en recouvrant les titres de sa généalogie littéraire, a repris, pour ainsi dire, possession de l’héritage de l’ancienne Académie, dont elle conservera sans doute l’esprit et la tradition.

Bientôt (le 8 août) fut porté le décret qui supprimait les Académies, et les scellés furent mis sur les salles du Louvre qu’elles occupaient, sans qu’on daignât appeler à cette opération aucun des officiers des corps littéraires dont on saisissait les propriétés.

Je fus averti, vers la fin du mois, par le suisse de l’Académie, que des commissaires devaient venir lever les scellés, et qu’on l’avait chargé d’en prévenir le secrétaire, le directeur et le chancelier.

Marmontel était absent ; le chancelier, Vicq-d’Azyr, frappé d’une terreur extrême, assez bien fondée sur l’aversion des patriotes pour la reine, dont il était le médecin, ne se serait montré pour rien au monde. La corvée retombait donc sur moi, et je me rendis au Louvre.

L’un des deux commissaires était Dorat-Cubières, alors secrétaire de la fameuse commune de 1793 ; l’autre était Domergue, aussi mal intentionné que son collègue pour l’Académie française. Ces messieurs me traitèrent assez légèrement, ainsi que l’Académie. Ils me dirent que son Dictionnaire ne valait rien ; que le plan était vicieux et l’exécution défectueuse, et qu’il fallait en ôter tout ce qui était contraire à l’esprit républicain ; enfin que l’Académie elle-même était un très-mauvais établissement.

Je confesserai ici ma sottise. J’eus l’imprudence de répondre à ces messieurs, et de défendre l’Académie. Cependant, après quelques mots et quelques répliques, dans un intervalle lucide, je conçus que je ne les convertirais pas, et que je courrais quelque danger à prolonger la querelle. Ils me demandèrent alors la copie du Dictionnaire que l’Académie préparait pour la nouvelle édition ; je leur dis qu’elle était chez moi, qu’il y en avait divers cahiers épars chez quelques académiciens, que je les rassemblerais, et que je remettrais l’exemplaire à la première injonction que je recevrais du comité d’instruction publique. Ils se contentèrent de ma réponse, et je me retirai. Quelques jours après, je reçus du président du comité d’instruction publique, Romme, l’ordre d’envoyer au comité le manuscrit du Dictionnaire. J’obéis.

Quant aux registres et autres manuscrits, ils ne me les demandèrent point, et je les gardai jusqu’à l’année 1805, où, dans une séance publique pour la réception de M. Lacretelle, en les rapportant à l’Institut, je rendis compte de la manière dont je les avais conservés.

Le manuscrit du Dictionnaire, qu’on avait commencé de livrer à l’impression, était le fruit du travail des séances de trente années, la dernière édition étant de 1762 ; ce travail consistait en corrections faites à la marge d’un exemplaire de cette édition, ou recueillies sur des papiers séparés ; elles étaient, pour la plupart, de Duclos, d’Olivet, d’Alembert, Arnaud, Suard, Beauzée, et en général d’académiciens qui ont fait de la langue et de l’art d’écrire une étude approfondie. On verra plus tard qu’elles ont été employées dans l’édition en 2 vol.  in-4, publiée par Smith et compagnie, à qui notre copie a été donnée ou vendue, j’ignore à quelles conditions.

On pensera peut-être que les registres, les titres, le Dictionnaire de l’Académie ne couraient pas ce risque dont je crois les avoir sauvés ; mais ceux qui feraient cette objection n’auraient pas une idée juste des circonstances de ce temps-là et de celles qui suivirent.

Le Dictionnaire était sans doute moins exposé, parce qu’il pouvait être de quelque valeur pour un libraire qui voudrait l’imprimer. Et cependant il faillit être perdu, et ce fut un de nos confrères, Garat, qui le tira de la poussière du comité d’instruction publique, où il était oublié depuis trois ou quatre ans. Quel eût donc été le sort des titres et des registres de l’Académie, qui n’avaient aucune valeur vénale, et n’intéressaient aucunement les destructeurs mêmes de ce corps littéraire ? Ils auraient été vraisemblablement livrés aux flammes par les vandales qui ont dominé jusqu’au milieu de 1795, ou bien ils se seraient perdus, comme tant d’autres pièces, dans le désordre des dépôts.

Je puis donc m’applaudir de mon heureuse audace, qui a conservé à l’Académie l’acte authentique de sa fondation, ses procès-verbaux, les signatures de ses grands hommes, et tous ces monumens qui sont pour elle comme ses titres de noblesse.

  1. Tome II, page 108, édit. de 1818.
  2. Nous trouvons cette note dans l’histoire de la Convention, par M. Lacretelle le jeune : « Pache, ce fourbe qui trompa madame Roland elle-même, égarait alors le ministre Garat. Il endormait sa surveillance en lui présentant l’espoir d’une conciliation. Garat a démontré dans ses Mémoires, Garat démontre encore mieux par son caractère, que son erreur fut innocente. » Convention, edit. in-18, tome 1, page 255.
  3. En 1804. V. les Mélanges, tome I, page 112.