Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 003

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Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 8-10).


III

Généalogie


Mais puisque j’ai parlé de mes deux oncles, le moment est opportun pour ébaucher ma généalogie.

Un certain Damion Cubas, qui florissait dans la première moitié du xviiie siècle, fut le fondateur de ma famille. Il était né à Rio-Janeiro, où il exerçait la profession de tonnelier. S’il se fût limité à cet état, il serait mort sans doute dans la gêne et l’obscurité. Mais étant devenu agriculteur, il planta, cueillit et troqua ses produits contre de bons deniers sonnants jusqu’au jour où il mourut, laissant une grosse fortune à son fils, le licencié Luiz Cubas. C’est de lui que date vraiment la série de mes aïeux, de ceux que ma famille avoue — Damion Cubas n’ayant été après tout qu’un tonnelier, peut-être même un mauvais tonnelier, tandis que Luiz Cubas passa par l’Université de Coimbra, occupa de hautes charges, et fut un des confidents du vice-roi, comte de Cunha. Comme ce nom de Cubas sentait par trop le muid, mon père, qui était l’arrière petit-fils de Damion, alléguait les hauts faits d’armes d’un certain chevalier qui, sur la terre d’Afrique, aurait reçu ce titre, un jour qu’il enleva trois cents cuves[1] aux Mores. Mon père, homme d’imagination, échappait ainsi à la tonnellerie sur l’aile d’un calembour. C’était un digne homme, d’un bon naturel, digne et loyal entre tous. Il avait bien quelques fumées de vanité. Mais trouve-t-on quelqu’un en ce bas monde qui échappe à ce travers ? Il est bon d’ajouter qu’il ne recourut à ce stratagème qu’après avoir cherché à greffer notre famille sur le vieux tronc de mon célère homonyme, le capitan Braz Cubas, qui fonda la ville de S. Vicente où il mourut en 1592. Ce fut pour ce motif qu’il me donna le nom de Braz. Mais les descendants légitimes protestèrent, et il inventa les trois cents cuves mauresques.

J’ai encore quelques parents vivants : ma nièce Venancia, par exemple : le lis de la vallée, fleur des dames de son temps. Son père aussi, Cotrim, un individu qui… mais n’anticipons pas sur les événements. Finissons-en d’une fois avec l’emplâtre.



  1. Cubas (cuves) en vieux portugais. (Note du traducteur.)