Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 067

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Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 247-250).
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LXVII

La petite maison


Je dînai ; après quoi, je rentrai chez moi. Je trouvai une boîte de cigares que m’envoyait Lobo Noves et qui était entourée de papier de soie et ornée de faveurs roses. Je compris, j’ouvris le paquet, et y trouvai ce billet :

Mon cher B…

On nous soupçonne ; tout est perdu ; oublie-moi pour toujours. Nous ne nous verrons plus. Adieu. Oublie la malheureuse.

V…a.

Quel choc ! Nonobstant sa défense, dès que la nuit fut venue, je courus chez Virgilia. Il était temps. Elle se repentait de sa précipitation. Dans l’embrasure d’une fenêtre, elle me raconta sa conversation avec la baronne. Celle-ci lui avait franchement répété les commentaires qu’on avait faits, la veille, en ne me voyant pas dans la loge de Lobo Neves. On glosait sur mon intimité dans la maison ; en somme, nous étions l’objet des soupçons d’un chacun. Elle termina en me disant qu’elle ne savait vraiment à quel parti s’arrêter.

— Le meilleur est de fuir.

— Ça, jamais ! dit-elle en secouant la tête.

Je vis qu’il était impossible de séparer deux choses qui étaient étroitement liées dans son esprit : notre amour, et l’idée de la considération publique. Virgilia était capable des plus grands sacrifices pour conserver ces deux avantages, et elle en perdait un en fuyant. Je ressentis en ce moment une impression qui ressemblait à du dépit ; mais les émotions des deux derniers jours avaient émoussé ma sensibilité et le dépit disparut presque aussitôt.

— C’est bon, dis-je, va pour la petite maison !

Effectivement en deux jours, je trouvai notre affaire, dans un recoin de la Gamboa. Un bijou ! La maisonnette était toute neuve, fraîchement crépie, ayant quatre fenêtres sur le devant, et deux sur les côtés. Les persiennes étaient couleur brique ; des plantes grimpantes s’agriffaient aux quatre angles, le jardin s’étendait devant moi. Mystère et solitude : un bijou !

Il fut résolu que la garde en serait confiée à une ancienne couturière de Virgilia, qui avait habité chez elle, et était demeurée familière de la maison. Virgilia exerçait sur elle une sorte de fascination. On lui dirait ce que l’on voudrait, et elle accepterait le reste de confiance.

C’était pour moi une phase nouvelle de notre amour, avec l’apparence de la possession exclusive, capable de calmer les scrupules dans la conversation d’un certain décorum. J’en avais assez des rideaux, des chaises, du canapé, de tous les meubles du prochain, qui me reprochaient sans cesse notre duplicité. Je pouvais désormais éviter les dîners trop fréquents, le thé quotidien, et la présence de l’enfant qui était mon complice et mon ennemi. La maison m’épargnait tout cela. Le monde vulgaire finirait sur le seuil. Au delà s’ouvrait l’infini, l’éternité d’un monde supérieur, exceptionnel, nôtre, seulement nôtre, au-dessus des institutions, des lois, inaccessible aux baronnes, et aux curieux de toute sorte : un seul monde, un seul couple, une seule vie, une seule volonté, une seule affection, l’unité morale de tout par l’exclusion des contraires.