Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 093

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Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 326-327).


XCIII

Le dîner


Quel supplice, ce dîner !… Heureusement que Sabine me donna pour voisine de table la fille de Damasceno, Mlle  Eulalia ou plus familièrement Nha-lolo, jeune fille gracieuse et seulement un peu timide de prime abord. Elle était sans élégance, mais ses yeux superbes faisaient compensation. Ils n’avaient qu’un seul tort, celui de ne se détacher de moi que pour s’abaisser sur son assiette. Et Nha-lolo mangeait très peu… Après dîner, elle chanta. Sa voix était suave. Nonobstant le charme, je pris congé. Sabine m’accompagna jusqu’à la porte et me demanda comment je trouvais la fille de Damasceno.

— Comme ci comme ça.

— Extrêmement sympathique, pas vrai ? Il lui manque un peu l’usage du monde. Mais quel cœur ! c’est une perle : ça ferait une si gentille petite femme pour toi.

— Je n’aime pas les perles.

— Entêté ! quand te décideras-tu à faire une fin ? Tu commences pourtant à être mûr. Eh bien ! mon cher, que tu le veuilles ou non, Nha-lolo sera ta femme.

Et ce disant, elle me donnait de petites tapes sur la joue, douce comme une colombe, mais pourtant intimante et résolue. Grand Dieu ! était-ce là le motif de la réconciliation ? Cette idée me contraria. Mais une voix mystérieuse m’appelait chez Lobo Neves. Je dis adieu à Sabine et à ses menaces.