Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 094

La bibliothèque libre.
Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 328-329).


XCIV

La cause secrète


— Comment allons-nous ? ma chère petite maman.

À ces mots, Virgilia fit la moue, comme d’habitude. Elle se trouvait dans l’embrasure d’une croisée, en train de regarder la lune, et elle m’avait reçu gentiment. Mais quand je lui parlai de notre fils, elle fit la moue. Elle n’aimait pas ces allusions ; mes caresses paternelles anticipées l’ennuyaient. Je la laissai en paix, car elle était alors pour moi une arche sainte, un vase d’élection. Je supposai d’abord que l’embryon, ce profil de l’inconnu, qui se projetait sur notre aventure, troublait la conscience de Virgilia. Mais non. Jamais elle n’avait été plus expansive, plus à son aise, moins préoccupée des autres et de son marie. Elle ne ressentait aucun remords. Je m’imaginai alors que cette grossesse était une pure invention, un moyen de m’attacher davantage, et dont elle se fatiguait à la longue. L’hypothèse était admissible : ma douce Virgilia mentait parfois avec tant de désinvolture !…

Ce soir-là, je compris qu’elle avait peur du dénouement, et qu’elle trouvait son état gênant. Ses premières couches avaient été laborieuses. Et cette heure cruelle, tissée de minutes de vie et de minutes de mort, lui faisait passer le frisson du condamné. Quant à la gêne, elle se compliquait de la privation de certaines habitudes de vie élégante. Ce devait être cela. Je le lui donnai à entendre, en la grondant un peu, au nom de mon autorité paternelle. Virgilia me regarda ; puis elle détourna les regards avec un geste d’incrédulité.