Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 147

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Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 458-459).


CXLVII

Le problème insoluble


Je publiai le journal. Vingt-quatre heures après son apparition, je lus dans un autre une déclaration de Cotrim, disant en substance que, bien qu’étranger à tous les partis, il jugeait devoir déclarer hautement qu’il n’avait aucune part directe ou indirecte dans la publication de la feuille de son beau-frère, le Dr  Braz Cubas, dont il désapprouvait entièrement les idées et les procédés en cette circonstance. Le ministère actuel, comme d’ailleurs n’importe quel autre composé de gens aussi éminents, lui paraissait propre à faire le bonheur de la nation.

Je n’en pouvais croire mes yeux. Je me les frottai deux ou trois fois. Puis je relus la déclaration inopportune, insolite et énigmatique. S’il était étranger aux partis, que pouvait bien lui faire un incident aussi banal que la publication d’un nouveau journal ? Est-on donc obligé de déclarer par la voie des journaux si l’on est ou non favorable à un ministère ? Réellement l’intrusion de Cotrim dans cette affaire était aussi mystérieuse que son agression personnelle. Nos relations s’étaient toujours maintenues dans les meilleurs termes, après notre réconciliation. Nous n’avions plus eu l’ombre d’un dissentiment. Bien au contraire, je lui avais rendu des services ; comme par exemple, alors que j’étais député, l’obtention pour lui d’une fourniture à la marine, qui continuait encore, et qui, suivant ses propres calculs, et comme il me l’avait dit deux ou trois semaines auparavant, devait lui donner en trois ans près de deux cents contos de reis. Le souvenir du bienfait ne l’avait point empêché de renier publiquement son beau-frère. Il devait avoir un motif bien puissant pour venir si mal à propos manifester son ingratitude. J’avoue que c’était pour moi un problème insoluble…