Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 151

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Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 468-469).


CLI

La monnaie de Vespasien


Tout le monde était parti ; ma voiture m’attendait à la porte du cimetière. J’y montai et m’éloignai en allumant un cigare. La cérémonie continuait présente à ma vue, comme les sanglots de Virgilia continuaient présents à mon ouïe, d’une façon mystérieuse, vague et problématique. Virgilia avait trompé son mari avec enthousiasme, et le pleurait avec sincérité. Il était difficile de combiner ces deux attitudes, et je m’y efforçai en vain pendant le reste du trajet. Ce ne fut qu’en mettant pied à terre, devant chez moi, que je m’avisai de la possibilité et même de la facilité d’une telle combinaison. Douce nature ! la monnaie de la douleur est comme celle de Vespasien, elle n’a pas d’odeur ; on la prend de la même manière, qu’on la trouve sur le mal ou sur le bien. La morale pourra bien censurer ma complice ; mais que t’importe, implacable amie, douce, trois fois douce Nature, puisque tu as reçu ponctuellement ses larmes ?