Mémoires secrets d’un tailleur pour dames/19

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(Auteur présumé)
Gay et Doucé (p. 118-121).
Le ratelier de Madame de Remigny

Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, médaillon de début de chapitre
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, médaillon de début de chapitre


LE RATELIER
DE MADAME DE REMINY

Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, séparateur de texte
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, séparateur de texte



M adame de Reminy passait à juste titre pour une des femmes les mieux douées du monde. Visage du galbe le plus pur, cheveux noirs, comme l’aile du corbeau, une peau d’un blanc de satin, taille aux ravissants contours, et des yeux noirs, de ces yeux magnétiques qui, sous leurs longues paupières, semblent appeler la volupté ! Avec cela un grand nom, alliée aux familles souveraines de l’Europe, et de plus un esprit charmant, (elle maniait avec talent la plume). Vous voyez donc qu’elle avait tous les charmes.

Marie, comme l’appelaient ses intimes, n’avait qu’un seul défaut, mais terrible, car il ternissait le brillant ensemble de sa beauté ; elle avait un ratelier !

Oui, un râtelier, mais si bien fait, que le vulgaire point ne s’en apercevait......

. . . . . . . . . . . . . .

Son mari lui-même, qui l’aimait comme un fou, et qui l’avait épousée malgré vent et marée ; son mari, dis-je, avait respecté pendant son vivant le secret de sa toilette.

Un jour elle prit un amant, c’était bien le dixième, un riche marquis, aussi quelque peu homme de lettres. Mais il était difficile, il avait beaucoup vécu et malgré la beauté plastique de Marie, il lui fallait des mets excitants pour arriver à la réalisation de ses désirs.

Il aimait la musique à huis-clos ce gentilhomme, et l’instrument qu’il portait toujours sur lui, sa petite flûte, comme il l’appelait, avait souvent, besoin des doigts caressants de la belle créature qu’il s’était donnée pour partenaire.

Un jour, Ô malheur épouvantable !!! la petite flûte, malgré le toucher délicat de madame de Reminy, ne voulut plus rendre aucun son. Vains efforts, la musette restait sourde......

. . . . . . . . . . . . . .

C’est que probablement, la vilaine s’était enrouée à force de jouer.

— Voyons, Marie, mon ange, soupira le marquis, je parie que sous tes jolies lèvres, elle retrouvera une voix plus brillante que jamais !…

Et voilà Marie, agenouillée sur un coussin qui, doucement, doucement, avec les lèvres d’abord, avec la langue ensuite, cherche à ranimer la rebelle.

Tout d’un coup. Crac ! Au beau moment où la musette, couronnant leurs efforts, s’apprêtait à entonner ses airs les plus joyeux, un bruit singulier se fait entendre, le ratelier se décroche et enserre l’instrument qui n’en peut mais !......

. . . . . . . . . . . . . .

Madame, horrible tableau ! ne peut plus parler ; Monsieur, sacre et jure ! d’une voix entrecoupée par la douleur et la colère, il ne peut que prononcer « Sacré nom de Dieu ! Marie, vous m’avez trompé, quand on a un ratelier, on ne joue pas de l’instrument des gens qu’on aime… »

Et enveloppant d’un mouchoir sa flûte chérie, il court chez le dentiste le plus renommé.

— Cinq louis, si vous retirez de suite l’objet de torture qui enserre mon trésor.

— Soyez tranquille, monsieur le marquis, dit l’artiste dentaire, après l’avoir scrupuleusement examiné, c’est l’affaire d’un instant, je le connais bien, c’est le râtelier de madame de Reminy ; on nous l’apporte pour pareil cas, environ deux fois par semaine.

Jugez de la tête de monsieur le marquis ! qui jura honteux et confus,…

Qu’on ne l’y prendrait plus.


Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, vignette de fin de chapitre
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, vignette de fin de chapitre