Mémoires secrets et inédits pour servir à l’histoire contemporaine/Tome 2/6

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Collectif
Texte établi par Alphonse de BeauchampVernarel et Tenon (Tome 2p. 225-342).


MÉMOIRES

SUR

Mme TURPIN DE CRISSÉ.


QUELQUES dames du parti royaliste, telles que mesdames de Larochejaquelin, de Bonchamps, et madame la vicomtesse Turpin de Crissé, ont plus ou moins figuré d’une manière historique dans les armées royales de la Vendée et de la Bretagne. Les deux premières ont publié successivement des mémoires. Madame la vicomtesse de Turpin, soit modestie, soit réserve, n’a rien livré au public ; mais elle a bien voulu mettre à ma disposition des notes et des documens précieux sur les différentes missions que les principaux chefs de l’armée de la haute Bretagne et du bas Anjou lui ont confiées dans des temps difficiles, et sur différentes opérations de cette armée pendant la guerre civile. Ces matériaux m’ont d’abord servi à rectifier quelques circonstances consignées dans mon Histoire de la guerre de la Vendée, qui se rapportent à l’armée où a figuré madame de Turpin, à compter de l’année 1794 jusqu’en 1801. C’est particulièrement dans ma quatrième édition que j’ai fait usage d’une partie de ces matériaux, mais avec toute la sobriété de détails que comportait le cadre d’une histoire générale.

Il s’agit ici de mémoires détaillés et de souvenirs personnels, qui offrent une source bien plus abondante de particularités historiques et anecdotiques.

Depuis long-temps je me proposais de rédiger et de mettre au jour les notes circonstanciées dont je suis redevable à la confiance de madame la vicomtesse de Turpin ; il s’agissait d’en former des mémoires susceptibles de fixer l’attention du public et d’exciter à la fois sa curiosité et son intérêt. Tel est le projet que je réalise aujourd’hui, c’est-à-dire dans un temps qui paraît de plus en plus destiné aux investigations de l’histoire et à la publication des mémoires contemporains. Puissent ceux-ci, qui sont relatifs aussi à notre guerre civile, prendre rang un jour à côté des Mémoires de mesdames de Larochejaquelin et de Bonchamps, que le public a lus avec avidité. Je donnerai d’abord quelques notions biographiques sur madame la vicomtesse Turpin de Crissé, avant de passer aux récits des faits qui la concernent, ou qui se rapportent aux opérations de l’armée de la haute Bretagne et du bas Anjou ; j’y joindrai les pièces historiques et justificatives que je tiens également de la confiance de madame de Turpin.

Jeanne Élisabeth de Bongars, vicomtesse Turpin de Crissé, habitait la province de l’Anjou en 1789. Elle avait épousé M. Turpin de Crissé, lieutenant des gardes-du-corps de Monsieur, frère de Louis XVI, depuis Louis XVIII. M. de Turpin émigra en même temps que ce prince. Madame de Turpin habitait à cette époque la terre de La Ferté, aux environs de Segré. Son attachement bien connu au parti royaliste lui suscita de fréquentes persécutions. Elle fut arrêtée au mois de mars 1793, au moment des premiers troubles de la Vendée. Au mois de juin suivant, lorsque les Vendéens eurent pris Saumur, elle fut délivrée par eux et rentra dans le district de Segré. Peu après le passage de la Loire par la grande armée vendéenne, les royalistes des environs de Segré commencèrent leur organisation. Madame de Turpin ne fut point étrangère à la formation naissante de ce nouveau parti royaliste ; elle contribua puissamment à donner à l’esprit public de ce pays une direction et une impulsion utiles à la cause royale, pour laquelle elle montra un grand zèle et un parfait dévouement.

Signalée et persécutée par les agens révolutionnaires, ainsi que toute sa famille, elle fut réincarcérée au mois de mars 1794, dans la ville d’Angers, maison d’arrêt du Calvaire, où elle resta huit mois. Mme  de Turpin ne sortit de prison que trois mois après le 9 thermidor, époque de la mort de Robespierre ; elle resta en surveillance dans la ville d’Angers jusqu’au moment où MM. de Turpin eurent organisé plusieurs districts et repris les armes. Ce fut alors que les républicains aux abois cherchèrent, comme dans la Vendée, à faire porter des paroles de paix aux chefs royalistes de la rive droite de la Loire. Un commissaire de la Convention y fut envoyé ; il se nommait Bezard. Instruit qu’on s’était servi à Nantes de la sœur de Charette pour porter à ce chef royaliste des propositions pacifiques, il crut que madame de Turpin, dont le caractère de modération était connu, ne refuserait pas une mission de cette importance auprès des chefs de la rive droite. Madame de Turpin ne s’y prêta que pressée elle-même par les généraux de son parti. Telles furent les circonstances qui l’amenèrent à figurer d’une manière active dans les événemens de la guerre civile et dans les différentes négociations qui en furent la suite.

Entrons maintenant dans le récit détaillé des faits. On sait que le parti royaliste armé était divisé en plusieurs circonscriptions ou arrondissemens militaires ; il faut donc commencer par donner une idée de l’origine du parti, considéré isolément, auquel madame la vicomtesse de Turpin, par ses opinions et sa position, s’est attachée de cœur et d’âme pendant les années les plus intéressantes et les plus agitées de sa vie.

Après la destruction de la grande Vendée, qui avait jeté tant d’éclat en 1793, soit dans les bocages du haut Poitou et du haut Anjou, soit dans l’expédition d’outre Loire, une autre confédération royaliste se forma dans la haute et la basse Bretagne, et dans les pays de la rive gauche de la Loire qui confinent à la province du Maine, ou qui font partie du bas Anjou. L’un de ces nouveaux partis armés s’éleva vers le commencement de 1794, entre Ancenis, Angers et la Mayenne, par l’influence et l’impulsion du vicomte de Scépeaux, du jeune comte de Dieusie, et de son oncle, le chevalier Turpin de Crissé. Ils avaient fait tous les trois leurs premières armes sous l’illustre Bonchamps ; tous trois avaient suivi l’armée vendéenne jusqu’au moment de sa destruction, à la suite de tant de combats et de batailles livrés aux républicains, ou plutôt aux soldats de cette Convention, d’où était sorti le règne de la terreur.

Restés sur la rive droite de la Loire, ces trois officiers royalistes s’étaient efforcés, d’après les vues de Bonchamps, d’étendre l’insurrection contre-révolutionnaire de proche en proche, jusque dans le Maine et les frontières de la Normandie.

Le vicomte de Scépeaux avait organisé le pays depuis Becon jusqu’à Candé et Saint-Mars d’une part, et de l’autre jusqu’aux portes d’Angers et d’Ancenis ; le comte de Dieusie et le chevalier de Turpin poussaient leur organisation depuis Candé jusqu’au-delà de la Mayenne, vers La Flèche et Château-Gonthier.

Quoique ardens royalistes, ils évitèrent d’abord d’agir ostensiblement sous leurs propres noms, pour ne pas compromettre leurs familles, alors en otages et captives dans les prisons d’Angers. Ils se faisaient représenter, dans le commandement en chef des paysans insurgés, par un gentilhomme du nom de Sarrazin, d’un caractère hardi et d’une bravoure chevaleresque. Ce nouveau parti, élevé tout-à-coup, prit des insurgés de Fougères et de Vitré le nom de Chouans, par analogie et par extension. Cette désignation, dont voici l’origine, semble n’appartenir qu’au hasard.

Quatre frères, nommés Cottereau, contrebandiers à Saint-Ouen-des-Toits, près Laval, avaient pris l’habitude, pour éviter toute surprise dans leurs opérations nocturnes, de contrefaire le cri du chat-huant pour se reconnaître dans les bois ; aussi finit-on par ne plus les désigner que sous le nom de chouans, par corruption du mot chat-huant, que prononcent ainsi les paysans du Maine et de la Bretagne. Ces intrépides contrebandiers, au commencement des troubles, se retirèrent dans la partie de la forêt du Pertre qui avoisine la Gravelle ; là, se mêlant parmi les mécontens royalistes, ils se firent remarquer par leur force et leur audace. Jean Chouan, l’un d’eux, ne tarda pas à se signaler par sa témérité et son courage, et bientôt les insurgés de la forêt du Pertre en firent une sorte de chef, dont ils prirent ou reçurent le nom. De là vint la dénomination de chouans, que les révolutionnaires étendirent en peu de temps à tous les royalistes armés de la Bretagne. Ceux-ci, parvenus à une certaine consistance, s’en firent un titre qui attestait leurs longues souffrances et leurs premiers combats contre les ennemis du Roi et de la religion.

La forêt du Pertre ne fut pas le seul berceau des insurgés bretons ; celle de Fougères servait aussi de refuge aux royalistes de cet arrondissement lorsque les insurgés de la rive droite de la Loire, dont nous venons de faire mention, commencèrent à s’organiser.

Partout cette petite guerre, préparée sourdement, eut à peu près le même caractère. Les insurgés n’attaquaient que des détachemens isolés, des convois, quelquefois des voitures publiques et les fonctionnaires ambulans. Relégués au fond des forêts, les chouans n’eurent d’abord aucune ressemblance avec les royalistes de la Vendée, qui combattaient en rase campagne des armées aguerries et nombreuses.

Peu à peu cependant ces hommes fidèles, mais voués au malheur, devinrent redoutables par leur nombre et par leur intrépidité ; ils acquirent chaque jour plus de consistance, en évitant avec adresse les troupes envoyées pour les détruire. On ne connaissait point au juste leurs forces ; les noms de leurs chefs étaient ignorés aussi bien que leurs retraites.

Dans le courant de 1794, tout s’organisa dans le sens royaliste depuis Vannes jusqu’aux portes de Rennes et de Saint-Brieux ; depuis Vitré, Fougères et Laval, jusqu’aux portes d’Angers, d’Ancenis et de Nantes. Toutefois les premières levées entre la Loire et la Mayenne n’excédèrent pas d’abord trois mille hommes, sous différens chefs secondaires ; mais leurs progrès furent rapides. Voici quelle en fut la première organisation : Sarrazin commanda les rassemblemens de la forêt de Combrée ; Desloges, ceux de Genêt, Bains et Marans ; Gourlay dirigea les insurgés de Maumusson ; ceux de Château-Neuf le furent par l’intrépide Coquereau, et ceux de Juigné, par Duparc. L’organisation du chevalier de Caquerey, qui s’étendait du côté de Rennes, vint se lier à celle du vicomte de Scépeaux, dont le quartier-général était à Becon.

Vers la fin d’août, le rassemblement des environs de Combrée marcha sous les ordres du comte de Sarrazin pour attaquer le poste républicain cantonné dans ce bourg. De son expulsion dépendait l’affranchissement de tout le canton. L’attaque fut poussée avec intelligence et bravoure. Malgré la plus vive résistance, le poste fut emporté d’assaut ; mais le valeureux Sarrazin y laissa la vie. Soit pour le venger, soit dans la chaleur de l’action, les royalistes égorgèrent une cinquantaine de soldats qui avaient défendu le cantonnement.

La mort du comte de Sarrazin fut une perte d’autant plus sensible pour les royalistes du bas Anjou, qu’il en était le régulateur le plus actif. Le chevalier de Turpin et le comte de Dieusie sentirent alors la nécessité de se déclarer ouvertement ; ils ne balancèrent plus, et leur résolution, en ranimant leur parti, qui était encore à sa naissance, lui donna plus de solidité ; c’est ainsi qu’ils prirent le commandement de tout le pays compris depuis Candé jusqu’à Château-Gonthier au-delà de la Mayenne, tandis que M. de Scépeaux commandait les bords de la Loire depuis Angers jusqu’aux divisions insurrectionnelles de la Bretagne.

Qu’on juge si madame la vicomtesse de Turpin devait s’intéresser aux entreprises et à la destinée de ces différens chefs : l’un, le chevalier de Turpin, était son beau-frère ; l’autre, le comte de Dieusie, était son neveu. Ce dernier, fils unique de M. de Dieusie, député à l’assemblée constituante, président du département de Maine-et-Loire, et condamné à mort à Paris pour cause de fédéralisme, n’était âgé que de vingt-deux ans. Rempli de mérite, de zèle et de valeur, il venait de contribuer puissamment à organiser la province du bas Maine, les environs de Segré et de Château-Gonthier. Le chevalier de Turpin était capitaine au régiment de Flandre quand il partit pour Coblentz en décembre 1791. Tombé malade en route, il revint chez lui, où sa santé, constamment mauvaise, le retint jusqu’au mois de mars 1793. À cette époque il fut arrêté de même que madame la vicomtesse de Turpin, et conduit dans les prisons d’Angers comme royaliste. Délivré par les Vendéens au mois de juin de la même année, il servit dans la division de Bonchamps, où s’étaient rangés tous les Angevins de la rive droite. Ce fut lui qui, après la perte de la bataille de Cholet, passa le premier la Loire, à la tête de quatre cents hommes, à la faveur d’un brouillard épais ; gagna la rive droite au point du jour, et renvoya les bateaux, pour ne laisser à sa troupe d’autre espoir que dans son courage.

Le général des conventionnels, Tabari, apprenant que les Vendéens passaient la Loire à Saint-Florent, abandonna d’abord Varades et vint ensuite les attaquer : il fut repoussé vivement par le chevalier de Turpin. Trompé sur la force des Vendéens qui marchaient sur lui, et battu d’ailleurs, Tabari se replia sur Angers, ce qui facilita le passage de toute l’armée vendéenne. Le passage de la Loire exécuté par le chevalier de Turpin servit de prétexte à la persécution suscitée contre ses deux neveux, qui furent conduits comme otages à la citadelle d’Angers. L’un était âgé de douze ans, l’autre de quatorze.

Le chevalier de Turpin, en passant à Candé avec l’armée vendéenne, s’opposa aux vengeances qu’on voulait exercer contre les ennemis de sa famille ; il n’exigea d’autres conditions pour les laisser libres que la délivrance de ses deux neveux et de madame la vicomtesse de Turpin. Il continua de faire partie de l’armée vendéenne jusqu’à son retour dans le bas Anjou. Alors, d’après l’ancien plan de Bonchamps, qui consistait à étendre l’insurrection dans les parties limitrophes de la Bretagne et du Maine, il y travailla, comme on l’a vu, de concert avec le comte de Dieusie, son neveu, le vicomte de Scépeaux et autres chefs.

Les principes de madame la vicomtesse de Turpin, les intérêts de son mari émigré, de ses enfans et de toute sa famille, l’attachaient au parti royal. Restée dans sa province, ainsi que mesdames de Turpin et de Dieusie, ses belles-sœurs, elle n’avait pas d’autre route à suivre, d’autres intérêts à défendre, d’autres pays à habiter. On savait qu’elle était douée de beaucoup d’énergie, de courage et d’intelligence ; aussi était-elle souvent consultée par les chefs de son parti qui, presque toujours, prenaient ses avis et y déféraient.

Cependant la Convention nationale, effrayée de ses propres excès et de l’affreuse situation de la France, profita du supplice de Robespierre pour imputer à ce régicide tous les crimes de la révolution, quoiqu’elle les eût partagés et autorisés. Ne pouvant plus gouverner par la terreur et redoutant les suites de la guerre civile, elle offrit la paix aux royalistes. Pour ne pas les blesser, elle exigea seulement qu’ils missent bas les armes sans leur parler d’amnistie. Une proclamation qui engageait les Vendéens et les Bretons insurgés à rentrer dans le devoir moyennant l’oubli du passé, fut adoptée sans discussion. Le décret qui accompagna cette proclamation portait que toutes les personnes connues dans les départemens de l’ouest sous le nom de rebelles de la Vendée et de Bretagne, ne seraient ni recherchées, ni inquiétées pour le fait de leur révolte. L’exécution de ce décret fut confiée à onze commissaires pris dans le sein de la Convention, et au général Canclaux, rappelé au commandement de l’armée de l’ouest.

Ce qui rendait épineuse et incertaine la mission des délégués conventionnels, c’était le vague de leurs instructions qui supposaient la facilité de se ménager des intelligences parmi les royalistes de la Vendée et de la Bretagne : rien au contraire ne présentait plus d’obstacles. Le changement de système opéré dans le parti révolutionnaire ne se faisait point encore sentir dans la Vendée ; il importait peu aux royalistes qu’une faction ennemie l’emportât sur une autre : c’étaient toujours des régicides.

Toutefois les délégués de la Convention n’étaient pas tellement dépourvus de renseignemens, qu’ils n’eussent connaissance des discussions survenues entre Charette et Stofflet dans la Vendée, et du peu d’unité qui régnait sur la rive droite de la Loire, de même qu’en Bretagne, entre les divers chefs et les différentes organisations royalistes.

La réputation de Charette et son voisinage de Nantes les décidèrent à s’adresser d’abord à lui dans la vue, d’ailleurs, de l’isoler encore davantage de Stofflet. Avant de lui faire aucune ouverture, ils envoyèrent vers les limites du pays insurgé des personnes connues par leurs opinions mitigées et conciliatrices, qui, sans être royalistes, avaient eu à souffrir de la révolution, et auxquelles il était à peu près indifférent qu’on eût un roi ou une république, pourvu qu’on pût vivre tranquille. Elles annoncèrent partout sur leur passage, elles écrivirent dans la Vendée que tout tendait au rétablissement de l’ordre, et qu’on arriverait avant peu au régime monarchique. Leurs assertions ainsi propagées s’accréditèrent. En même temps les commissaires de la Convention à Nantes, Angers, Saumur, Fontenay, ouvraient les prisons à une multitude de personnes détenues pour cause de royalisme, et délivraient des certificats d’amnistie à celles qui déclaraient avoir participé à l’insurrection. Ils intéressaient ainsi au système pacifique les femmes, les enfans, les blessés ou malades vendéens restés cachés en Bretagne après avoir échappé miraculeusement à la mort.

Quand ils eurent assez développé les vues de la Convention, ils jugèrent qu’il était temps d’entrer en pourparlers avec Charette et successivement avec les autres chefs qui tenaient le commandement sur l’autre rive de la Loire.

Ils n’avaient encore ouvert aucune communication avec les arrondissemens royalistes du vicomte de Scépeaux, du chevalier de Turpin et du comte de Dieusie. Personne dans le parti révolutionnaire n’avait d’accès dans les districts de Candé, de Segré et d’Angrie, foyers de cette nouvelle insurrection qui chaque jour prenait plus d’accroissement. Le chevalier de Turpin venait même d’adresser au général Hoche, qui commandait alors du côté d’Angers, une lettre menaçante, demandant un armistice dont il dictait lui-même les conditions.

Les délégués de la Convention, Bezard et Delaunay d’Angers, voulant à tout prix suspendre les horreurs de la guerre civile entre la Loire, la Mayenne et la Sarthe, pays qu’ils étaient chargés de pacifier, adressèrent d’Angers à Mme  la vicomtesse de Turpin qui résidait à Angrie, des paroles de paix et de vives instances pour qu’elle amenât les chefs à poser les armes. Cette dame, dont le nom est devenu historique, et qu’on retrouve à plusieurs reprises dans les événemens de la guerre civile, hésita pourtant à préparer les esprits à un rapprochement. Deux opinions divisaient alors les royalistes ; les uns regardaient la paix comme devant entraîner la ruine de leur parti ; les autres, comme pouvant au contraire en assurer le salut : tous les chefs éclairés penchaient pour cette dernière opinion.

Lorsque la lassitude et la pénurie des armées royales leur faisaient sentir le besoin du repos, ou au moins d’une trève, n’était-il pas politique, important, utile même de faire la paix ? et lorsqu’il devenait impossible aux royalistes de garantir de sa destruction le pays où leur sûreté ne reposait que sur la force de leurs bras, sans aucun secours étranger, devaient-ils se laisser écraser en s’obstinant à résister au torrent ? c’eût été évidemment une folie. Selon Mme  de Turpin, toutes les personnes sages, attachées uniquement au Roi et à leur patrie, furent alors de cet avis. « Dans les circonstances que nous rappelons, dit-elle, les royalistes étaient-ils plus blâmables de suspendre le carnage que ne le furent depuis toutes les autres nations et toutes les couronnes d’en agir ainsi quand la nécessité le réclama ? »

Les commissaires et les généraux de la Convention ne demandèrent d’abord qu’une suspension d’armes ; elle n’eut lieu dans le district de Segré, que vers les premiers jours de mars.

Cormatin, major-général des royalistes de Bretagne, avide de traiter, s’étant rendu à Nantes sans avoir pu ouvrir de communications avec le parti de MM. de Scépeaux, Turpin et Dieusie, crut néanmoins pouvoir aussi négocier en leur nom. Mais ces trois chefs ne pouvaient avouer Cormatin qui appartenait à l’armée de M. le comte de Puisaye et auquel ils n’avaient donné aucune mission. En général, les insurgés ne pouvaient avoir de confiance qu’en ceux qui se battaient avec eux et qui partageaient leur infortune.

Dès que MM. de Scépeaux, de Turpin et de Dieusie eurent connaissance de la démarche de Cormatin, ils invitèrent Mme  de Turpin à déférer aux instances des commissaires de la Convention qui la pressaient de porter des paroles de paix aux chefs royalistes ; alors seulement elle accepta une mission aussi délicate.

Elle l’était d’autant plus alors, que le droit des gens ne pouvait s’introduire dans une guerre aussi irrégulière ; les routes mêmes n’étaient pas sûres. Deux dragons, porteurs de dépêches, venaient d’être tués dans l’arrondissement de la division de Pallierne, par des chouans qui reconnaissaient pour chef le nommé Desmarets, lequel faillit être fusillé pour ce fait. Le représentant Bezard hésitait à se mettre en route et à parcourir le pays. Mme  de Turpin et M. Charles de Turpin, son neveu, ne balancèrent pas d’aller à Segré se mettre en otage pour la sûreté des communications entre les républicains et les chefs royalistes.

Ce fut alors que le délégué Bezard revint à la charge pour que Mme  de Turpin voulût bien accompagner et accréditer ceux qui étaient chargés de porter le décret d’amnistie dans le district de Segré ; là, ce décret n’était reçu qu’avec la plus grande défiance, tant on doutait de la droiture et des intentions de la Convention qui siégeait à Paris. Les royalistes se fiaient davantage aux chefs militaires du parti républicain.

Le rapprochement fut déterminé par la démarche loyale d’un aide-de-camp du général Leblée, du nom de Leclair, qui vint seul dans les bois conférer avec MM. de Turpin et de Dieusie. Il leur inspira tant de confiance que ces deux chefs adhérèrent, ainsi que M. de Scépeaux, aux préliminaires de la paix.

Ce fut madame de Turpin qui en apporta la première nouvelle à Angers : elle y fut reçue avec joie. Les commissaires de la Convention lui écrivirent une lettre de félicitation sur le succès de ses démarches, et lui assurèrent au nom des Français une reconnaissance générale. De leur côté les chefs royalistes lui témoignèrent dans les mêmes termes leur satisfaction relativement à sa conduite et au service qu’elle venait de rendre à leur pays.

Madame de Turpin profita de ce moment de faveur pour obtenir des commissaires de la Convention la mise en liberté de beaucoup de royalistes, de prêtres et de religieuses qui étaient encore détenus dans les prisons d’Angers.

Avant même que les conférences de la Mabilais fussent ouvertes, madame de Turpin fit étendre les conditions des préliminaires de paix aux districts de Château-Gonthier, de la Mayenne et de la rive droite de la Loire. De leur côté, MM. Dieusie et de Turpin furent accueillis avec transport à Laval, à Angers, surtout à Château-Gonthier et à Segré : c’était une ivresse de bonheur pour les Français des deux partis.

Cependant MM. de Turpin, de Dieusie et de Scépeaux, instruits par madame la vicomtesse de Turpin, des propositions faites par les commissaires de la Convention pour signer une paix définitive, résolurent d’aller trouver Charette et de conférer avec lui à ce sujet, d’autant plus qu’il venait de son côté de signer une trève. Leur but était de fortifier leur confédération en se concertant et en se ralliant, non-seulement avec Charette, mais encore avec les chefs du Morbihan, où les royalistes prenaient une certaine consistance.

Ils passèrent aussitôt dans la Vendée, et allèrent s’aboucher avec Charette. À leur retour, ils chargèrent madame de Turpin d’aller annoncer aux délégués Bezard et Delaunay d’Angers, qu’ils étaient prêts d’adhérer au traité qu’allait signer Charette, déclarant toutefois qu’ils ne poseraient définitivement les armes qu’autant qu’on retirerait les troupes qui marchaient alors contre Stofflet : ils tinrent à cette condition jusqu’à ce qu’elle leur fût accordée.

Les mêmes chefs avaient aussi chargé madame de Turpin d’inviter le conventionnel Bezard à se rendre en personne à Segré, afin d’être plus à portée de s’expliquer, et d’aplanir les obstacles qui pouvaient s’élever pour la conclusion de la paix. En effet, il y avait beaucoup d’opposition dans le parti royaliste, et il s’élevait sans cesse de nouvelles difficultés. En général, les chefs du bas Anjou n’avaient reçu les propositions de la Convention qu’avec une extrême défiance. Le comte de Dieusie fut même compromis pour s’être conformé au traité de Charette, signé à la Jaunais, quoiqu’il n’y eût accédé que d’après l’avis d’un conseil tenu à cette occasion.

Pendant le cours de ces négociations épineuses, la vicomtesse de Turpin habitait la maison de campagne de M. Bancelin, patriote éclairé et tolérant, propriétaire à Angers. Lui et sa femmes recevaient les chefs royalistes, et leur faisaient l’accueil le plus cordial. On redoutait une rupture, et tout était tenté pour la prévenir.

Les deux délégués de la Convention, Bezard et Delaunay d’Angers, après avoir pris à Segré les arrangemens nécessaires pour le moment, et pleins de confiance dans madame de Turpin, la prièrent de se trouver à Rennes lors de l’assemblée générale des chefs royalistes de Bretagne, ce qu’elle refusa, en alléguant qu’elle ne connaissait pas d’autres chefs que ceux qui tenaient à sa province et à sa famille.

Cependant, plusieurs officiers royalistes s’autorisaient, pour rompre les préliminaires de paix, de quelques infractions partielles impossibles à prévenir ou à empêcher ; la plupart des paysans connus sous le nom de chouans refusaient même de poser les armes. Ce fut sous ces auspices que s’ouvrirent les conférences de la Mabilais, près Rennes. Ce qui s’y passa tient à l’histoire générale ; il nous suffira de dire que l’armée royale du bas Anjou ne sollicita ni n’obtint aucun à-compte ni indemnité pour les frais de la guerre, à l’imitation de Charette ; que toutefois la paix devait et pouvait se faire, eu égard à la position des deux partis ; qu’il y avait un commun intérêt à y accéder au moment où elle fut négociée ; qu’en général, les chefs royalistes croyaient qu’il était possible d’en tirer avantage, soit pour rétablir la royauté par la fusion et la réunion des partis opposés, soit que plus tard on se vit forcé de courir aux armes de nouveau, ce qui donnerait au moins le temps de se rallier, de s’entendre, et de s’organiser militairement.

Mme  de Turpin a entendu dire depuis à M. le comte de Puisaye, qui passait avec raison pour être l’âme du parti royal en Bretagne, qu’il regrettait de n’avoir pas traité lui-même à la Mabilais parce qu’il était alors en Angleterre ; que là, il n’avait pu juger aussi sainement des choses qu’il l’avait fait depuis en se reportant aux circonstances de cette époque.

M. de Scépeaux, après s’être rendu à la Mabilais, alla secrètement à Paris pour réclamer les conditions du traité ; il ne donna même à aucun officier connaissance des motifs de son voyage, et ne laissa aucune direction pour la conduite de son armée pendant son absence.

Cette paix de la Mabilais ne fut qu’une trève de quelques mois ou tout au plus une suspension d’armes. Ni l’absence du vicomte de Scépeaux, ni l’inaction de Charette, ni celle de Stofflet, ne retinrent les royalistes du bas Anjou. Avant même le débarquement de Quiberon, l’arrestation de Cormatin, les troubles du Morbihan et des Côtes-du-Nord, y rallumèrent l’incendie. La plupart des chefs de cantons et de paroisses, étrangers aux ruses de la politique et tenant peu à une pacification qui n’était point dans leur cœur, se hâtèrent de courir aux armes. Les districts de Châteauneuf, Beaugé, Craon et Segré, furent les premiers à prendre une attitude hostile. On y fut instruit du débarquement des émigrés à Quiberon, par le bruit du canon et par une proclamation au nom de Louis XVII, qui dans l’intervalle mourut dans la prison du Temple ; mais comme le Roi ne meurt pas, on se mit bientôt en campagne au nom de Louis XVIII, avec la même ardeur. Déjà même une dépêche adressée par Charette aux principaux chefs du bas Anjou ne leur ayant plus laissé aucun doute sur sa détermination de reprendre les armes, ils venaient de décider en conseil, et en l’absence du vicomte de Scépeaux, qu’il n’y aurait plus ni paix ni trève avec les bleus et la Convention nationale.

Des émissaires furent envoyés dans le Morbihan pour s’assurer de l’événement de la descente, et faire commencer l’attaque ; déjà on harcelait sur les routes les bataillons républicains qui se dirigeaient vers la Vilaine, et on ne cachait plus l’intention d’opérer un mouvement général.

Les divisions du bas Anjou se rassemblèrent vers les communes de Clément, de la Place, Becon et le Loroux-Beconcais, renforçant ainsi les royalistes que venaient de réunir le comte de Dieusie et le chevalier de Turpin. Vers les premiers jours de juillet, ils se portèrent avec le chevalier de Mesnard dans la direction d’Angers et de Segré. La ville d’Angers eut alors à se défendre contre leurs entreprises. Les troupes républicaines se mirent de leur côté en mouvement sous les ordres du général Leblée ; plusieurs rencontres et plusieurs combats s’ensuivirent ; les royalistes restèrent maîtres des campagnes ; les républicains des villes et des postes retranchés ou fortifiés.

Cependant le 21 juillet, à sept heures du matin, le chevalier de Turpin et le comte de Dieusie, après avoir investi la ville de Segré, à la tête de deux mille royalistes, sommèrent la garnison de se rendre. Deux heures avaient été accordées pour se décider ; les conditions n’étant point acceptées, on attaqua de vive force la ville, défendue seulement par cent cinquante soldats. Cette faible garnison, quoique éparpillée, opposa d’abord la plus vigoureuse résistance ; elle fut néanmoins forcée d’abandonner Segré dans le plus grand désordre. Au moment où cette poignée de braves cherchait à se rallier sur la route du Lyon-d’Angers, quatre cents royalistes embusqués tombèrent sur eux et les taillèrent en pièces. Les révolutionnaires de Segré, pris les armes à la main, furent mis à mort. Ceux qui étaient restés cachés dans la ville auraient éprouvé le même sort si le général Bonneau, accouru d’Angers à la tête d’un détachement républicain, n’eût marché promptement à leur secours. À son approche, les royalistes évacuèrent Segré, emportant les caisses publiques.

Le général Bonneau offrit un passe-port et une retraite assurée à Mme  de Turpin, qui préféra rester dans le sein de sa famille et au milieu du pays insurgé. Par suite des événemens de la reprise d’armes, elle eut à déplorer la perte de son neveu ; voici comment :

Le conseil du bas Anjou, voulant propager l’insurrection et réorganiser sur un nouveau plan les divisions de Laval et pays circonvoisins, y envoya le comte de Dieusie, chargé en même temps de se procurer les munitions dont les royalistes du Maine étaient abondamment pourvus. Il se hâte d’aller remplir sa mission. À son retour, il entre avec deux officiers et un domestique dans un château près de Château-Gonthier, et s’y arrête : déjà il a été signalé au commandant républicain, qui dans la nuit fait investir le château. Dieusie s’évadait et gagnait la campagne, quand, au détour d’un chemin creux, il tombe dans un poste ennemi. Les soldats veulent le fusiller à l’instant même et le faire mettre à genoux ; il s’y refuse, et on le perce à coups de baïonnettes, de la manière la plus cruelle. Il n’avait pas vingt-deux ans et avait fait toute la guerre.

Vers cette époque, le vicomte de Scépeaux, ayant eu à Paris des relations avec les agens du Roi, revint dans l’Anjou, muni de pouvoirs pour commander en chef toute cette partie du pays insurgé qui s’étend de la rive droite de la Loire jusque vers le Maine et la Normandie. Il prit le titre de général en chef de la haute Bretagne et bas Anjou, et bientôt il eut sous ses ordres une des armées royales les plus redoutables.

Cette armée, presque indépendante, prit un grand accroissement après le désastre de Quiberon, et s’enrichit pour ainsi dire des débris de cette expédition malheureuse. Le quartier-général avait été porté au château de Bourmont, près Candé. Là un grand nombre d’officiers émigrés, échappés au carnage, vinrent grossir l’état-major. Le comte Godet de Châtillon, l’un d’eux, y prit une prépondérance que donnent l’estime et le respect. Il avait fait la guerre sous les yeux du prince de Condé. Blessé dangereusement à l’attaque des lignes de Weissembourg, son âge et ses honorables cicatrices semblaient le dispenser et même le rendre incapable d’un service actif ; pourtant il avait tourmenté le comte de Puisaye, à l’ouverture de la campagne, pour qu’il le fît passer dans le pays qui était le lieu de sa naissance, et où étaient ses propriétés ; il n’avait demandé ni rang ni grade, mais son passage et un fusil. Arrivé entre la Loire et la Vilaine, à l’armée du vicomte de Scépeaux, il avait éludé toutes les déférences pour donner le premier l’exemple de l’obéissance au général en chef. Trop enclin à s’exposer dans les combats, il excitait la continuelle sollicitude de ses compagnons d’armes, qui ne virent aucun autre moyen de modérer son ardeur que de le nommer président du conseil royaliste d’Anjou et de Bretagne. Ce fut aussi à cette armée que s’attachèrent plus particulièrement le chevalier d’Andigné et le comte de Bourmont, qui en devint le major-général. Le conseil, dont le comte de Châtillon était président, se composait du vicomte de Scépeaux, du comte de Bourmont, du chevalier d’Andigné et de M. d’Avaisne l’aîné, propriétaire du château de Combré, officier plein de fidélité et de bravoure.

Parmi les officiers émigrés qui y trouvèrent un refuge, se faisaient remarquer les fils du comte de Botherel, le comte de Tercier, de Maklot, de la Cochère, de Gai-Fontaine, de la Briffe, de Margadel dit Joubert, et d’autres gentilshommes. Tous recevaient dans les châteaux de Turpin, d’Avaisne et de Dieusie, l’accueil qu’inspire l’intérêt le plus touchant, et qui, au sein d’une guerre civile, leur faisait trouver la sécurité avec tout le charme de l’hospitalité française. Là, les soldats eux-mêmes trouvaient aussi un asile, et les blessés des soins et des secours qui leur étaient prodigués par les femmes royalistes, parmi lesquelles se faisait surtout remarquer la vicomtesse de Turpin.

Ce fut vers cette époque que le chevalier de Turpin, son beau-frère, fut reçu chevalier de Saint-Louis par le comte de Châtillon ; sans ambition personnelle, il n’aspirait à aucun commandement ; il se contenta du titre d’inspecteur général de l’armée royale du bas Anjou et haute Bretagne. Le même dévoûment se fit remarquer dans le baron Charles de Turpin, frère de Lancelot de Turpin, et gendre de la vicomtesse Turpin de Crissé.

Voici comment il débuta dans le parti royaliste : il avait à peine treize ans, lorsque, enfermé pour la seconde fois dans les prisons de la citadelle d’Angers, il fut jugé pour cause de royalisme, et acquitté provisoirement par une commission militaire. Éclairé par l’expérience, devenu suspect, comme parent et ami de plusieurs chefs angevins, et notamment du chevalier de Turpin de Crissé qui avait assuré le passage de la Loire à l’armée vendéenne, à Saint-Florent, il sentit que, puisque les nobles en masse étaient voués à la mort, mieux valait l’affronter glorieusement que de passer de la prison à l’échafaud. Il prit donc rang parmi les royalistes de sa province avant l’âge de quatorze ans ; à l’époque dont il s’agit, il servait comme volontaire avec le titre d’aide-de-camp du général vicomte de Scépeaux. Il n’usait de sa fortune que pour la consacrer à secourir les hommes de son parti ; en outre, il avait un corps de cavaliers qu’il équipait, montait, armait à ses frais, qui lui servaient d’ordonnances, et faisaient les reconnaissances les plus périlleuses.

Cette armée ayant achevé de s’organiser, on créa des divisions, et on forma des compagnies ; elles furent habillées, et on leur donna des instructeurs. Le baron Charles de Turpin se chargea d’armer et d’équiper à ses frais la compagnie d’Angrie, dont il prit le commandement ; il combattit souvent à la tête de cette compagnie de braves. Son château offrait d’ailleurs aux officiers émigrés toutes les ressources qu’on pouvait attendre d’une hospitalité noble et généreuse ; les blessés y étaient recueillis et soignés, sous la direction de la vicomtesse de Turpin, sa belle-mère.

Le conseil royal du bas Anjou et haute Bretagne siégeait d’ordinaire au couvent des Augustins, commune de Candé. Trois cents chouans ou royalistes d’élite, casernés dans le bourg, et mis sur le pied de guerre, étaient commandés par le piémontais Marianis, qui avait embrassé à Toulon la cause royale. Étant tombé au pouvoir des républicains à Quiberon, il s’était évadé et venait de se jeter dans le parti des insurgés d’Anjou et Bretagne. Quelques postes avancés épiaient les mouvemens des cantonnemens républicains placés à Ancenis, Ingrande et Varades. Outre le camp de Becon, qui fut maintenu, le conseil en établit plusieurs autour de Candé ; ils étaient plus ou moins nombreux, selon la population des campagnes. Chaque jour les insurgés se rendaient au camp qui leur était assigné, se soumettant aux appels et aux réquisitions, suivant la discipline introduite par les officiers émigrés. À la moindre apparition des troupes républicaines, le cornet à bouquin, signal de ralliement, se faisait entendre de toutes parts.

L’insurrection de ce côté avait pris un tel accroissement que presque toute la rive droite de la Loire était occupée par les royalistes, depuis Nantes jusqu’à Blois, où l’on ne pouvait arriver sans escorte. Les détachemens républicains qui se montraient sur la route étaient fréquemment attaqués, et souvent surpris. C’était au Mans et à Angers que l’armée d’Anjou et de Bretagne s’approvisionnait de munitions de guerre. Au risque d’être découvert, le comte de Bourmont se chargeait parfois de ces commissions périlleuses.

Au commencement de 1796, l’organisation de l’armée du bas Anjou et de la haute Bretagne fut arrêtée de la manière suivante :


ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL.

Général en chef : le vicomte de Scépeaux.

Commandant en second : le comte de Châtillon.

Major-général : le comte de Bourmont.

Adjudant-général : le chevalier d’Andigné.

Inspecteur-général : le chevalier Turpin de Crissé.

Commandant-général de la cavalerie : M. Gourlet.

Commandant du quartier-général : M. de Gai-Fontaine.


AIDES-DE-CAMP DU GÉNÉRAL EN CHEF.

Le baron Charles de Turpin ; MM. Le Meignan, Du Pin, Kermartin, et Brisard.


AIDES-DE-CAMP DU COMMANDANT EN SECOND.

MM. de Marville, de Lamorinière, Bedeau de l’Écochère.


COMMISSAIRE-GÉNÉRAL ET AUMÔNIER.

L’abbé Cadoux, ancien chanoine de Quimper.


MÉDECIN.

Le docteur Huart.


CHIRURGIEN.

M. Terrier.


Aide-de-camp du major-général : le chevalier De Badun.

Secrétaire-général en chef : M. de Livernais.


GRAND CONSEIL DE L’ARMÉE.

Le vicomte de Scépeaux, le comte de Châtillon, président ; MM. de Bourmont, d’Andigné, Turpin, Gourlet, Plouzin, Tercier, Palierne, Sans-Peur, le chevalier de Tercier, Gaulier, Amant, de Valois, Coguereau, Denis, de Botherel-Moron, Rousseau, La Renais, Eroudelle aîné, Mayenne, le comte de Thoron.


ORGANISATION ET FORCE DE L’ARMÉE.

CORPS DE CHASSEURS COMPOSÉ DE DÉSERTEURS.

Commandant : de Gai-Fontaine.

Capitaines : Bernand, d’Aubenton, Faubras, Marianis.

Lieutenant : Cornu.

  Officiers et chasseurs : 200 hommes.


PREMIÈRE DIVISION.

Chefs : Plouzin, le commandeur de Fougeroux, De Margadel, le chevalier de Margadel.

Chefs de cantons : François Bernard, Baitrillon, Cailleau.

  Infanterie : 1,740 hommes.

  Cavalerie : 60 hommes.


DEUXIÈME DIVISION.

Chefs : Terrien, Cœur-de-Roi, Lemaître.

Chefs de cantons : Hardi, Le Tigre, Le Léopard, Rougé.

  Infanterie : 1,450 hommes.

  Cavalerie : 30 hommes.

[Total à reporter] : 3,480 hommes.
Report : 3,480 hommes.
TROISIÈME DIVISION.

Chefs : Palierne, Mayenne, Rousseau.

Chefs de cantons : de Lahoussaye, de Donavin, L’Épivant, de la Renais.

  Infanterie : 2,180 hommes.

  Cavalerie : 220 hommes.


QUATRIÈME DIVISION.

Chefs : Sans-Peur, le comte D’Avaisne, le chevalier de Dieusie.

Chefs de cantons : Mercier, le chevalier de Candé.

  Infanterie : 1,700 hommes.

  Cavalerie : 100 hommes.


CINQUIÈME DIVISION.

Chefs : Gaulier, Coquereau.

Chefs de cantons : Armand, L’Espérance, Frédéric.

  Infanterie : 1,450 hommes.

  Cavalerie : 50 hommes.


SIXIÈME DIVISION.

Chefs : de Valois, de Placenette, chevalier de Monklo.

[Total à reporter] : 9,180 hommes.
Report : 9,180 hommes.

Chefs de cantons : Moustache, Mousqueton, Fleur-d’Épine, chevalier de Bregest.

  Infanterie : 1,450 hommes.

  Cavalerie : 50 hommes.


SEPTIÈME DIVISION.

Chefs : Chevalier de Tercier, Lechandelier.

Adjudans : Raoul, Tamerlan.

Chefs de cantons : Saint-Paul, Rochambeau, Lafrance, Lafosse, de Tilly, d’Escarbouville.

  Total de cette division : 3,000 hommes


HUITIÈME DIVISION.

Chefs : Amant, de Tremignon.

Deux chefs de cantons.

  Infanterie : 440 hommes.

  Cavalerie : 60 hommes.


NEUVIÈME DIVISION.

Chefs : le comte de Thoron, Eroudelle junior, Charette de la Gacherie, de Lamorinière.

[Total à reporter] : 14,180 hommes.
Report : 14,180 hommes.

Chefs de cantons : Henri, Lagarde.

  Infanterie : 1,200 hommes.

  Cavalerie : 30 hommes.


DIXIÈME DIVISION.

Chefs : Denis, Palierne cadet, etc.

  Infanterie et cavalerie : 500 hommes.

Total général en hommes : 15,710
dont 500 hommes de cavalerie.

On évaluait le nombre des blessés ayant besoin de secours à quatre cent cinquante, terme moyen. Parmi les officiers on en comptait trente ou quarante qui étaient des émigrés rentrés, étrangers au pays, sans autres moyens d’existence que ceux qu’ils tenaient de la bonne volonté et de l’hospitalité des habitans des campagnes.

Cependant le général Hoche venait d’être élevé au commandement en chef des armées républicaines de l’Ouest par le Directoire exécutif. Général ferme et habile, plein d’ambition, il avait juré de soumettre et de pacifier la Vendée et la Bretagne. Il avait poursuivi Charette et Stofflet avec tant de vigueur, que ces deux chefs célèbres venaient de tomber en son pouvoir. L’un ayant été fusillé à Nantes, l’autre, surpris, conduit à Angers, fut également passé par les armes. Toute la Vendée, le haut Anjou et la rive gauche de la Loire se trouvant pacifiés, Hoche tourna ses regards vers la rive droite ; il croyait n’avoir rien fait tant qu’il n’aurait pas soumis la Bretagne. Il y porta toute son attention, et passa la Loire avec quinze mille hommes pour forcer enfin les Chouans à recevoir la paix.

Le danger était pressant. Depuis près de quatre mois les efforts du comte de Puisaye, qui aspirait au commandement général des royalistes de Bretagne et pays circonvoisins, tendaient à prévenir la dissolution de son parti. Il ne lui voyait plus d’autre appui que dans les subsides du gouvernement britannique. Dès le mois d’octobre, ayant senti la nécessité d’un secours pécuniaire fixé et réglé, sur lequel on pût établir toutes les opérations, il avait formé la demande d’une somme de vingt-sept mille livres sterling par mois, pour les armées de Bretagne, de Charette, de Scépeaux et de Stofflet. Tout fut accordé ; Puisaye en donna aussitôt avis par une lettre circulaire à toutes les divisions royalistes, et il reçut lui-même la confirmation du subside par une note officielle que lui transmit sir John Warren ; elle portait qu’il serait mis à terre dix-sept barils contenant vingt-six mille livres sterling pour être distribuées, onze mille livres à l’armée de Bretagne, et cinq à chacune des trois autres. Le paiement de ce subside devait former la solde des armées royales pour le premier mois. Mais les royalistes, accablés déjà de revers, n’ayant pu s’emparer de la côte du Morbihan, où le versement devait s’effectuer, l’amiral Herwey, chargé de ramener les forces navales anglaises, avait fait remettre à bord l’argent, les armes et autres secours, et le tout était rentré dans les ports d’Angleterre. Puisaye en réclamait vivement le prompt renvoi. Ses instances étaient appuyées par l’autorité du comte de Botherel, l’un des Bretons royalistes les plus considérés à la cour de Londres et auprès des princes de la maison royale. Nul ne fut chargé de plus de missions périlleuses. Plus de quarante fois il passa de Bretagne en Angleterre, et d’Angleterre en Bretagne, où il était alors. Après avoir parcouru pendant plusieurs mois les différentes armées royalistes de la Bretagne et du bas Anjou ; après s’être assuré par lui-même de leur situation et de leurs besoins ; après avoir examiné leur organisation, leur ensemble, et surtout les motifs qui les empêchaient de s’étendre ou de faire des conquêtes stables, il fut député, par leur conseil-général, auprès du gouvernement anglais pour lui demander les secours nécessaires et promis.

De son côté, le vicomte de Scépeaux et son conseil venaient de charger le comte de Bourmont, major-général, d’une mission semblable. Muni des pouvoirs nécessaires, le comte de Bourmont, accompagné des chevaliers de Payen et de Verdun, se joignit au comte de Botherel, au marquis de la Ferronière et au chevalier de la Garde, s’embarqua avec eux pour Jersey, et de là pour l’Angleterre.

Dans l’intervalle, Puisaye, s’étant mis en route dans l’espoir de déterminer les Vendéens à reprendre les armes, arriva au quartier-général du vicomte de Scépeaux. Ce fut à cette époque que madame de Turpin eut occasion de voir Puisaye et de s’entretenir avec lui de la situation du parti royaliste armé. La Vendée était aux abois ; et, comme on l’a vu, Charette et Stofflet succombèrent.

Bientôt l’armée du général Hoche ayant passé la Loire, toute la rive droite du fleuve depuis Angers jusqu’à Nantes fut couverte de soldats. Hoche, qui avait promis aussi de dompter les Chouans, leur adressa une proclamation fière et menaçante. Tandis que plusieurs de ses colonnes traversaient la Vilaine, pour soumettre aussi le Morbihan, des troupes nombreuses achevaient d’envahir le territoire du vicomte de Scépeaux. Dès le mois de février, au moment même où ce chef allait passer en revue les divisions de Laval et conférer avec le comte de Frotté et d’autres officiers royalistes, vingt bataillons de l’armée de Hoche commençaient à traverser le pays compris entre Amiens, Angers et Segré.

L’une de ces colonnes s’était dirigée sur le château de Bourmont, où se tenait le quartier-général. Le comte de Châtillon, en l’absence du vicomte de Scépeaux, n’ayant avec lui qu’une poignée de royalistes, envoya les malades et les blessés au château d’Angrie et se retira d’abord à Candé. Là, il espérait réunir une ou deux divisions et opposer quelque résistance ; mais, forcé de se battre, soit dans leur camp, soit sur les routes, les insurgés ne purent le joindre ni se concentrer.

Cependant le vicomte de Scépeaux, à son retour du Maine, se porte avec le comte de Châtillon sur le bourg d’Auvernet, où avait pris position un corps républicain qui gênait les communications des royalistes ; ce corps avait atteint peu de jours auparavant un chef de canton nommé Rossignol qui avait péri dans le combat, ainsi qu’une centaine d’insurgés sous ses ordres. Scépeaux attaque l’ennemi sans hésiter, et emporte le bourg après un engagement vif et court. Les républicains se replient sur le grand Auvernet, et laissent deux cents des leurs sur la place. La perte des royalistes fut peu sensible à cause de la promptitude de l’attaque ; ils eurent à regretter toutefois le capitaine de la paroisse de Saint-Mars-la-Jaille, homme intrépide qui avait reçu neuf blessures dans la guerre vendéenne et d’outre-Loire.

Du côté de Segré, le chevalier de Turpin, Mesnard et d’Avaisne attaquèrent le 8 mars, avec un autre rassemblement, l’adjudant-général Henri qui, à la tête d’un détachement d’infanterie et de vingt hussards, conduisait à Segré un convoi. L’action s’engagea des deux côtés de la route, à la hauteur du moulin de Saint-Denis, entre Segré et le village de Dandigné. Les Chouans y étaient embusqués. À leur première décharge, les soldats républicains lâchent le pied ; l’adjudant-général Henri veut tenir ferme avec une poignée de grenadiers, cinq chasseurs de Cassel et le capitaine Roger. Assailli de tous côtés, forcé de céder au nombre, il se replie sur le village de Dandigné ; en y entrant, il est atteint d’une balle. Bientôt affaibli par la perte de son sang, il refuse de monter à cheval et de fuir, voulant partager le sort des braves qui ne l’ont point abandonné ; tous succombent, et, lui, blessé à mort, a la douleur de voir égorger sous ses yeux soixante de ses soldats, que rien ne peut garantir de la fureur des insurgés, dont les chefs n’étaient plus écoutés. Il expire lui-même sous de nouveaux coups. L’enlèvement du convoi et le massacre de l’escorte enivrèrent les royalistes angevins qui virent bientôt grossir leur nombre : tel était l’effet que produisait dans leur parti le moindre avantage.

Mais le général Hoche, qui venait de tout soumettre sur la rive gauche de la Loire, y laissant peu de troupes, se mit à poursuivre de nouveau avec des forces imposantes l’armée du vicomte de Scépeaux. Elle était devenue le refuge, depuis un dernier débarquement d’émigrés sur la côte de Saint-Malo, de tous ceux qui s’étaient d’abord destinés pour la Vendée. L’un d’eux, Armand de Beaumont, neveu et aide-de-camp du marquis d’Autichamp, arrive au milieu de ces nouveaux compagnons d’armes au moment où les républicains surprenaient, au château de Beauchêne, une division d’insurgés qui n’était pas encore réunie. L’avant-garde était déjà en déroute, et plusieurs officiers avaient succombé. Avec quinze hommes seulement Beaumont résiste aux premiers pelotons de la colonne d’attaque, et les force de regagner le château, où, presque seul, il les tient en échec jusqu’à ce que les royalistes, ralliés, puissent se replier en bon ordre. Ils lui furent redevables de n’avoir pas été entièrement défaits.

Cependant le comte de Bourmont, de retour d’Angleterre, et le meilleur officier de l’armée de Scépeaux, avait réuni près de Candé un gros corps d’insurgés, et marchait sur Angers au-devant des républicains. Il les rencontre, dans une lande, au nombre de quatre mille hommes, et les attaque avec une force presque double, mais qui laisse peu d’espoir de résister à des troupes régulières. Toutefois l’engagement, une fois commencé, ne finit qu’avec le jour, et le succès fut si balancé qu’aucun parti ne put se vanter d’avoir remporté la victoire. La journée fut plus glorieuse pour les royalistes angevins qui, en combattant en ligne, ne furent point enfoncés.

Malgré tous les efforts des royalistes entre la Loire et la Vilaine, ils ne pouvaient guère opposer qu’environ quinze mille hommes éparpillés, à trente mille soldats marchant en colonnes, qui s’emparaient successivement des bourgs, des villages, des hameaux ; et qui, par des mouvemens combinés, finissaient par disperser tous les rassemblemens. Les deux partis marchaient souvent en tirailleurs, et dans les lieux fourrés se trouvaient si près l’un de l’autre que les soldats se tiraient à bout portant. Tous les grains étaient enlevés pour l’armée républicaine. Rien ne pouvait plus arrêter la licence du soldat. Les familles des chefs royalistes n’avaient plus pour asile que les bois et les forêts. Des femmes, nées dans l’aisance, accoutumées aux superfluités du luxe, dormaient sur la terre, se cachaient sous des cabanes ouvertes aux animaux, et entendaient autour d’elles le bruit des combats et le cri des mourans. Hoche accablant l’armée de Scépeaux, ce chef assemble son conseil et décide que, pour arrêter les dévastations et gagner du temps, une suspension d’armes sera proposée. Muni de pouvoirs pour traiter, il s’adresse directement à Hoche. « Peut-être, répond ce général, êtes-vous un de ces mêmes pacificateurs qui ont déjà trompé la république ; et peut-être espérez-vous obtenir les mêmes avantages qui furent offerts et accordés autrefois à la faiblesse : détrompez-vous, je me charge d’opérer seul ce désarmement de quelques hordes qui sont sur le point d’abandonner leurs chefs qu’elles abhorrent : soumettez-vous, ou je saurai vous atteindre. »

Il ne restait plus qu’à recevoir la loi, et le vainqueur pouvait l’imposer humiliante, sans aucune concession dont l’honneur pût se prévaloir. Heureusement d’autres voies de négociations étaient ouvertes. La vicomtesse de Turpin, qui, l’année précédente, avait contribué à rapprocher les deux partis, recevait lettres sur lettres du sieur Bancelin, ce même riche propriétaire qui était en grand crédit auprès de Hoche : il la pressait d’employer sa médiation auprès des chefs royalistes, pour les décider à accepter l’amnistie offerte à plusieurs reprises par le général républicain. Elle avait d’abord répondu que puisqu’il en exceptait les chefs par les conditions mêmes qu’il imposait, elle ne pouvait hasarder la moindre ouverture, tous les généraux royalistes étant d’avis de mourir les armes à la main plutôt que de traiter sur le pied de brigands.

Retirée alors au village de la Menantais, madame de Turpin y était entourée de paysans pieux, de domestiques fidèles. De la colline où est assis le village, elle apercevait et le château d’Angrie, et les bivouacs des républicains qui couvraient tout le pays. Les principaux chefs de son parti, tels que Scépeaux, Bourmont, Châtillon et d’Andigné, venaient conférer avec elle. Un jour, se trouvant réunis, elle reçoit une nouvelle lettre du sieur Bancelin qui revenait à la charge et protestait qu’elle obtiendrait de meilleures conditions. Elle communique aux chefs toute sa correspondance. On lui dicte une réponse ; et on sollicite, pour un officier de l’armée, un sauf-conduit afin qu’il puisse aller conférer avec le général Hoche et aviser aux moyens de soustraire le pays à une ruine totale. Hoche refuse le sauf-conduit et imprime encore plus d’activité à ses colonnes et de vivacité à ses attaques.

Le vicomte de Scépeaux battu à Auverney, surpris à Saint-James, défait à Saint-Sulpice et près d’Ancenis, ne voyant plus d’autre voie de salut que dans une prompte paix, assemble de nouveau le conseil. La sûreté des émigrés, celle des chefs, la liberté du culte, l’exemption de la réquisition, la conservation des armes : telles sont les bases qui sont posées pour régler la capitulation.

La vicomtesse de Turpin, qui assistait au conseil, reçut pour traiter des pouvoirs du vicomte de Scépeaux, datés de Vritz, le 1er mai 1796, conçus en ces termes :

« Je donne pouvoir à madame de Turpin de traiter avec le général Hoche, sur tous les articles qu’elle croira avantageux à l’intérêt général du pays. Si quelques articles souffraient des difficultés et qu’elle n’osât prendre sur elle de les lever, madame de Turpin voudra bien m’en faire part, afin que sur-le-champ je prenne avec mes officiers un arrêté définitif. »

Signé le vicomte de Scépeaux.

À ces pouvoirs étaient jointes les instructions suivantes :

« Dans l’impossibilité où je suis de communiquer avec le général Hoche, pour les affaires de mon armée, et madame de Turpin voulant bien se transporter auprès de ce général, je la charge de lui exprimer les demandes que je fais pour l’intérêt général.

» 1° Madame de Turpin exposera l’utilité d’une réunion totale du parti royaliste, seul moyen d’arrêter les maux désastreux de la guerre civile.

» 2° Elle assurera que nos désirs nous portent à n’accepter des conditions de paix que d’accord avec M. de Puisaye et autres chefs.

» 3° Elle demandera la suspension de la marche des colonnes mobiles.

» Fait à Vritz, ce 1er mai 1796. »

Signé le vicomte de Scépeaux, général
de l’armée de haute Bretagne
et bas Anjou.

En même temps le vicomte de Scépeaux donnait avis au comte de Puisaye de l’ouverture des négociations. « C’est un piége, lui répond ce chef… il faut gagner du temps. Le parti royaliste est un comme le Roi pour lequel il combat : une portion ne peut traiter sans l’autre. »

Déjà même M. d’Autichamp avait envoyé M. de Beaumont auprès de M. de Scépeaux pour le prévenir qu’il était dans la même position que lui, et pour le prier de le faire comprendre dans les conditions qu’on lui accorderait. M. de Beaumont le dit lui-même à madame de Turpin, en lui communiquant la lettre de M. d’Autichamp ; lettre dont il était porteur.

Mais le général Hoche ne voulait que des soumissions séparées ; il faisait attaquer partout les rassemblemens royalistes ; partout il les dispersait et les mettait en fuite. Ce fut dans ces circonstances terribles que madame de Turpin prit la détermination courageuse d’aller remplir la mission délicate qui lui était confiée. Elle était bien moins accessible à la crainte du danger qu’à l’inquiétude, bien plus grande encore, de ne pas réussir ; et prévoyant toutes les tribulations qui pourraient s’attacher à sa démarche, elle éprouvait les plus vives angoisses que l’on puisse s’imaginer. La mort, qu’elle allait braver, les obstacles qu’il lui fallait surmonter, les préventions qu’il lui faudrait vaincre, tout semblait aggraver sa position et lui en faisait le tableau le plus affreux. Enfin, par le plus grand effort qu’on puisse faire sur soi-même, madame de Turpin partit le 4 mai du village de la Menantais, où venaient se rassembler les principaux chefs de son parti. Ils l’avaient beaucoup pressée, dans le cas où elle ne trouverait pas le général Hoche à Angers, ni à Nantes, d’aller jusqu’à Rennes ; et pour en prévenir M. de Puisaye, on lui dépêcha M. d’Andigné qui avait assisté à tous les conseils. On mandait au comte de Puisaye que telle était la position critique de l’armée de la haute Bretagne et du bas Anjou, qu’elle était dans la nécessité d’avoir recours à la faible intervention d’une femme ; mais que l’accablement où l’on était, et la perte inévitable du pays, en faisait une loi ; que madame de Turpin, d’ailleurs, était très-attachée au parti royaliste ; qu’elle était remplie de droiture et de probité ; que déjà, dans la première pacification, elle avait obtenu les succès les plus flatteurs ; que dans les circonstances actuelles, elle se dévouait au salut de son parti ; qu’elle se mettait en route sans passe-port, pour se rendre auprès du général Hoche ; que si elle ne pouvait le joindre qu’à Rennes, elle irait jusque-là, en passant par Angers et Nantes. M. de Puisaye manda qu’il était fort aise qu’on eût choisi madame de Turpin, et envoyant une adresse où elle pourrait le trouver à Rennes, il avertit qu’il s’en rapprocherait et la guiderait pour tout ce qui concernait les armées royales. Mais au moment où madame de Turpin se mettait en route pour Rennes, on vint l’avertir que le général Hoche arrivait à Angers : elle prit alors cette direction, ce qui mit obstacle à l’entrevue qu’elle devait avoir avec le comte de Puisaye.

D’un autre côté, M. de Bourmont venait d’être envoyé aux comtes de Rochecotte et de Frotté, l’un chef des royalistes du Maine, l’autre des royalistes de la Normandie, à l’effet de leur faire connaître les circonstances où se trouvait l’armée du vicomte de Scépeaux ; il était chargé de recevoir leurs avis et de solliciter leur adhésion. Les deux chefs signèrent une délibération par laquelle ils souscrivirent d’avance aux conditions qu’on accorderait à M. de Scépeaux. Cette pièce fut confiée à madame de Turpin, qui en a été dépositaire long-temps ; elle la tenait de M. de Bourmont.

Cependant, partie sans sauf-conduit et bravant tous les dangers, madame de Turpin vint s’aboucher avec le général Baillot, qui commandait à Angers ; il favorisa sa mission, tout en l’assurant qu’elle n’obtiendrait rien sans la reddition des armes. Elle revint sur ses pas et demanda aux chefs de son parti de nouvelles instructions ; ils se bornèrent à confirmer ses premiers pouvoirs, et la pressèrent de se remettre en route. Madame de Turpin court à Ancenis. Là, se voyant environnée de dangers, elle préfère s’embarquer sur la Loire jusqu’à Nantes, malgré la surveillance des chaloupes canonnières ; car il ne faut pas oublier que la négociatrice n’avait ni sauf-conduit, ni passe-port. Au moment où elle mettait le pied sur le bateau, le général Baillot vient l’avertir que le général Hoche arrive le même jour à Nantes : elle dépêche aussitôt vers ce général l’homme qui s’était dévoué pour l’accompagner ; sorte de guide, très-intelligent ; il fut bien reçu par le général Hoche qui lui donna un sauf-conduit pour madame de Turpin : elle ne le reçut que vingt-quatre heures après.

À son arrivée à Nantes elle apprend que Hoche vient de se porter sur Angers ; trois fois elle fait le trajet de Candé à Angers ; elle obtient enfin de ce général une entrevue, dont les détails appartiennent essentiellement à l’histoire de cette guerre.

Hoche l’accueillit avec distinction ; il applaudit à sa mission et à ses démarches. Madame de Turpin lui représenta d’abord que le vicomte de Scépeaux et les autres chefs de son parti ne pouvaient être amenés à des moyens de conciliation qu’après avoir conféré avec lui sur les conditions de la paix. « Les Chouans, répond Hoche, n’existent pas comme corps d’armée ; je ne leur reconnais point de chef ; je les regarde comme des brigands dont je verrai bientôt l’entière destruction. — Mais, répliqua madame de Turpin, les royalistes n’ont-ils pas assez fait connaître leur existence par la destruction de trois cent mille républicains ; et puisque vous les appelez chouans, ne serais-je pas forcée de nommer les républicains des bleus ? Ne serait-il pas plus convenable de parler avec estime de deux partis qui défendent avec une égale bravoure, l’un les droits de la monarchie, l’autre des usurpations ? Un capitaine tel que vous, général, aime à reconnaître la valeur même dans ses ennemis. Serait-il possible que vous n’eussiez pas une grande idée d’un peuple qui, depuis cinq ans, combat avec tant de constance et de courage des troupes qui sont la terreur de l’étranger ? Quant aux chefs royalistes, vous le savez, ils n’ont d’autre refuge que dans leur énergie et un noble désespoir. Vous ne pouvez méconnaître des Français à de tels sentimens et à de telles actions ; et vous les traiterez avec générosité, j’en suis sûre ; vous le devez à vous-même et à la nation. — Madame, réplique Hoche, je veux répondre à votre démarche généreuse et à votre sollicitude toute française. Une partie de ce qu’on me demande est contenue dans mes proclamations aux soldats royalistes ; je puis accorder quelque chose aux officiers ; mais vous avez des émigrés dans votre parti, et les lois sont formelles contre eux. — Pourquoi en connaître, général ? Il n’y a parmi nous que des officiers royalistes ; ils sont tous sous le même contrôle. Quand nos longues querelles seront assoupies et que la raison pourra se faire entendre, la patrie n’aura-t-elle pas besoin de tous ses enfans ? Ah ! général, essayez de la clémence ; si vous en sentiez une fois les douceurs, vous jouiriez bien mieux de votre gloire ; vous serviriez mieux votre pays par un acte conservateur, que par mille victoires achetées avec du sang français. »

Hoche alléguant les difficultés qu’opposeraient les délégués du directoire, qui regardait les émigrés comme étant toujours un sujet de troubles, madame de Turpin s’offrit elle et ses enfans comme otages et caution de la conduite des émigrés dans cette circonstance. Ce fut alors que Hoche lui dit : « Madame, j’aurais bien mauvaise opinion des royalistes s’ils n’avaient pas pour vous l’estime que vous m’inspirez à moi-même. Eh bien ! reprend ce général, dont l’âme était élevée, je veux vous témoigner la considération que m’inspire le caractère de votre mission. Pour ne pas vous exposer à de nouveaux dangers, je vais écrire ce que je peux vous accorder, au risque même de dépasser mes pouvoirs. » Prenant alors la plume, il rédigea sept articles, dont le plus remarquable fut celui qui accordait aux émigrés, non plus par des instructions adressées à ses propres généraux et susceptibles d’être interprétées ou révoquées, mais par une clause expresse, la permission de se retirer soit en Suisse, soit en Angleterre, soit en Amérique, et dans un délai qui n’était pas limité.

Dans aucun de leurs traités les puissances de l’Europe n’avaient rien stipulé d’aussi favorable pour des hommes toujours abandonnés et voués au malheur à cause de leur fidélité.

N’ayant plus rien à obtenir, madame de Turpin prit congé de Hoche, qui la pressa de faire consentir les chefs à une reddition prompte s’ils ne voulaient pas s’exposer à la destruction totale de leur parti et à la dévastation de la province. Le lendemain il écrivit au vicomte de Scépeaux pour l’inviter à venir conférer avec lui à Angers, lui annonçant qu’il trouverait une escorte sur la route. Cette conférence, à laquelle madame de Turpin assista, eut lieu, mais les deux généraux ne purent s’accorder, et quand madame de Turpin parut, Scépeaux lui dit : « Tout est perdu, madame. » On reprit néanmoins la conférence dans un salon où se trouvèrent réunis, d’une part, une trentaine de généraux républicains, et de l’autre M. de Scépeaux, debout, ainsi que ses officiers. Toutes les difficultés furent enfin aplanies.

Se tournant vers ses généraux, Hoche leur dit qu’à compter de ce jour il espérait ne plus les employer à combattre des Français ; que la paix allait être le fruit de leurs travaux et le signal de la réunion des insurgés à la majorité de la nation. Il invita ensuite M. de Scépeaux à signer son adhésion ; ce qu’il fit, en disant qu’il mettait toute sa confiance dans la loyauté des militaires français.

« Ce pays, reprit Hoche, en s’adressant à madame de Turpin, ce pays, si long-temps déchiré et si long-temps malheureux, vous doit son repos, madame, et tous les Français vous doivent des hommages. Que désirez-vous que je fasse maintenant ? — Général, répondit-elle tout émue et ne pouvant plus retenir ses larmes, je n’ai rien à vous demander pour moi, mais en grâce faites ouvrir les prisons à tous ceux qu’on y retient comme insurgés, ou à raison de leurs opinions politiques. »

Hoche s’adressant aussitôt à ceux de ses officiers qui commandaient à Angers, à Laval, à Château-Gonthier, leur prescrivit de lui faire un prompt rapport sur les détenus susceptibles d’être mis en liberté. On se sépara après qu’il eut nommé le général Gratien pour veiller à l’exécution du traité.

Il ne restait plus qu’à poser les armes. M. de Scépeaux et ses officiers motivèrent leur adhésion à la paix par la proclamation suivante : « Compagnons d’armes ! tant que nous avons cru pouvoir rétablir par la force l’exercice libre du culte de nos pères et l’héritier légitime de la monarchie française, nous n’avons cessé de combattre à votre tête et d’exciter le courage et la persévérance que vous avez déployés aux yeux de l’Europe entière ; mais aujourd’hui que de plus longs efforts n’attireraient que de nouveaux malheurs sur notre pays, déjà dévasté, nous vous invitons à rendre les armes pour mettre fin à une guerre qui deviendrait le fléau de la patrie que nous voulions défendre : à cette condition vos personnes et vos biens seront sous la sauvegarde des lois, et le passé restera dans l’oubli. Ce n’est que d’après une telle assurance que nous avons pu consentir à une démarche contraire au vœu de notre cœur, mais dictée par des circonstances impérieuses. »

Le commissaire du directoire exécutif, Delmas, qui n’avait pas été appelé aux conférences, manda chez lui le général en chef, madame de Turpin, et le sieur Bancelin que Hoche, sur la demande de madame de Turpin, venait de nommer commissaire civil pour l’expédition des passe-ports aux officiers émigrés. Tous trois se présentèrent chez ce fonctionnaire public, qui, prenant la parole et s’adressant à madame de Turpin, lui dit : « Le général a dû vous signifier que les émigrés ne peuvent rester en France, et qu’il faut qu’ils en sortent à l’instant. — Oui, monsieur, lui répondit-elle ; mais avez-vous la certitude qu’il ne leur arrivera rien en route, et que le malheur sera respecté dans leur personne ? — Il ne peut rien leur arriver, répliqua Delmas, puisque le général a donné sa parole. — Il l’avait donnée à Quiberon, s’écrie alors madame de Turpin, et vous avez fait feu sur l’élite de la marine française ! » Le commissaire et le général restèrent interdits. Mais, se hâtant de justifier le général Hoche, elle ajouta du fond de son cœur : « Que Dieu soit loué, messieurs ; le général n’y fut pour rien. Vous tiendrez votre parole, général, et nous la nôtre. » Le général répondit : « La vôtre me suffit, j’aurais bien mauvaise opinion des royalistes s’ils n’étaient pleins de confiance en vous. » On se sépara aussitôt après que le général eut présenté à madame de Turpin le général Gratien, qu’il envoyait à Candé avec une colonne de troupes républicaines pour veiller à l’exécution de la paix ; il lui recommanda de correspondre avec madame de Turpin et d’agir d’accord avec elle pour tout ce qu’elle pourrait lui représenter comme pouvant être utile et convenable à la tranquillité du pays.

Le lendemain le général Gratien partit pour Candé à la tête de ses troupes, et madame de Turpin se rendit au village de la Menantais pour rendre compte aux autres chefs qui s’y trouvaient encore de tout ce qui venait de se passer. Avant de quitter Angers, elle avait demandé au général Hoche et obtenu l’autorisation de résider au château d’Angrie, appartenant à son neveu, Charles de Turpin ; elle et son neveu se rendirent responsables de la conduite de tous les émigrés qui s’y trouvaient et qui ne pouvaient être en sûreté ailleurs, jusqu’au jour de leur départ. C’est d’Angrie que partirent MM. de Châtillon, de Bourmont, Duplessis-Legout, de Loménie, et beaucoup d’autres encore ; munis de sauf-conduits, ils repassèrent librement en Angleterre dans le courant de juin 1797.

Ainsi l’armée, entre la Loire et la Vilaine, déposa les armes dans les places d’Angers, de Segré, de Candé, de Saint-Georges et d’Ingrande : les réfugiés rentrèrent successivement dans leurs foyers. Le vicomte de Scépeaux, après avoir engagé sa parole dans deux traités successifs, a été fidèle au second et n’a plus repris les armes.

L’événement qui arriva peu de temps après prouve jusqu’à l’évidence que l’article accordé en faveur des émigrés, par l’intercession de madame de Turpin, à l’armée du vicomte de Scépeaux, avait été refusé précédemment aux officiers émigrés qui avaient joint l’armée du haut Anjou, commandée alors par Stofflet. Le 26 juillet de la même année, madame de Turpin reçut une lettre de MM. de Montjean, Grandjean et Chafoi, pris dans l’arrondissement du haut Anjou, et traduits devant une commission militaire. Ils s’adressaient à madame de Turpin pour obtenir du général Hoche le bénéfice de la condition accordée aux émigrés de l’armée de Scépeaux ; mais l’exprès qu’ils envoyèrent perdit plus de six heures en route, et ces malheureux condamnés furent fusillés. Madame de Turpin reçut le lendemain la réponse du général.

Quelques semaines s’étaient à peine écoulées qu’on surprit à Hoche l’ordre de faire arrêter tous les chefs royalistes des départemens de l’ouest qui venaient de se soumettre. Scépeaux fut arrêté à Nantes ; M. de Bejari et beaucoup d’autres le furent dans la Vendée ; M. d’Autichamp parvint à se soustraire à cette mesure ; M. de Turpin et le chevalier d’Andigné se mirent également à couvert.

Ce fut le Directoire exécutif qui força Hoche à faire arrêter les chefs royalistes et les prêtres ; Hoche s’en plaignit ; on lui répondit en l’invitant à rendre compte de sa conduite. En allant à Candé, il passa par Angrie et vint y dîner avec le général Gratien et quelques aides-de-camp. Madame de Turpin sollicita vainement la grâce de plusieurs émigrés. Dans une conversation confidentielle, Madame de Turpin dit à Hoche : « Mais, général, au lieu d’aller en Irlande (dont on préparait l’expédition), que ne remettez-vous le Roi sur le trône ? — Cela est impossible, madame, répondit Hoche. — Vous n’êtes pourtant pas républicain, je le parierais ; vous ferez un roi, ou bien vous le serez vous-même. — Moi ! lui dit-il, tant d’ambition ne va pas à un particulier. — Mais, général, vous pouvez y prétendre comme bien d’autres ; le trône semble d’ailleurs vacant ; mais peut-être auriez-vous trop de concurrens ; ne vaudrait-il pas mieux y replacer le roi légitime, en faisant vos conditions et celles de la France entière ? — Madame, réplique Hoche, je n’aime pas mieux que vous l’anarchie actuelle ; soyez tranquille, les choses changeront en mieux. Je veux aller en Irlande sous peu : ce pays-ci remuera-t-il, en cas de malheurs ? » Madame de Turpin lui dit qu’elle ne le croyait pas ; que le pays semblait vouloir jouir des douceurs de la paix ; qu’il ne serait pas troublé de nouveau si l’on suivait la ligne de la modération et de la justice.

À son retour de l’expédition, qui échoua, le général Hoche alla prendre le commandement de l’armée de Sambre-et-Meuse, et laissa le commandement des contrées de l’Ouest au général Hédouville. Madame de Turpin correspondait, dans l’intérêt de son parti, avec ce général et avec d’autres généraux républicains.

Cet état de calme dura depuis 1797 jusqu’en 1799. On peut affirmer que pendant cet intervalle on fut en partie redevable de la tranquillité à madame de Turpin, qui, par la confiance et la considération qu’elle s’était acquises, était seule en mesure d’apaiser les querelles, et d’obtenir justice, soit pour les personnes faussement accusées, soit pour réprimer ou prévenir les troubles toujours prêts à renaître. Beaucoup d’anciens chefs royalistes étaient absens, ou dans les prisons ; et un grand nombre d’émigrés qui n’avaient point obtenu les conditions accordées à ceux de la haute Bretagne et du bas Anjou, venaient au château d’Angrie demander à madame de Turpin son intervention, afin de participer aux mêmes avantages. Tout le monde avait besoin de sa bonté et de sa prudence ; et comme le général Hédouville lui montrait autant d’estime que d’intérêt, elle a pu être utile à une foule de royalistes, de prêtres et d’anciennes religieuses.

Elle n’en fut pas moins en butte à la méchanceté et à la calomnie ; et même, après tant de sacrifices faits au bonheur de son pays, elle fut arrêtée, ainsi que M. Charles de Turpin, son neveu, alors âgé de dix-sept ans, et traduite dans la prison de la Rossignolerie, d’Angers, par mesure de sûreté générale ; et par suite de la révolution du 18 fructidor (4 septembre 1797), MM. de Scépeaux et d’Autichamp furent l’objet d’une mesure semblable.

L’arrestation de madame de Turpin, loin de diminuer son crédit, lui donna encore plus d’influence morale dans l’Anjou, et augmenta l’intérêt qu’elle inspirait déjà. Pendant sa détention, le commissaire du directoire vint plusieurs fois la visiter ; elle lui demanda pour quel crime elle et son neveu se trouvaient compris dans une mesure générale qui ne devait atteindre que les conspirateurs ou les perturbateurs ? Cet homme voulait remettre le séquestre, à peine levé, sur les biens de la maison de Turpin ; il voulait même les faire vendre, ainsi que tous les meubles. L’administration du département opposa la loi qui était en faveur des détenus, personne n’approuvant la rigueur qu’on exerçait contre madame de Turpin et contre son neveu. C’était comme femme suspecte et dangereuse qu’on l’avait arrêtée à cette époque.

Quelques mois après, le Directoire ordonna de la rendre à la liberté, ainsi que les autres prisonniers royalistes. Madame de Turpin, ne pouvant obtenir la levée du séquestre, se rendit fermière des biens de sa famille, et fit sa résidence à Angers. Elle y resta jusqu’au mois de septembre 1798. Depuis plus de six mois les prisons se remplissaient de prisonniers de toutes les classes. Des intrigues dont les fils sont encore inconnus, et que semblait tenir entre ses mains le commissaire du Directoire, agitaient les campagnes. Beaucoup d’anciens chefs de Chouans, persécutés, vinrent secrètement à Angers demander à MM. de Turpin ce qu’il fallait faire ; ces messieurs les engagèrent fortement à ne pas remuer ; ils les mirent en garde contre certains aventuriers qui prétendaient avoir les ordres des princes pour recommencer la guerre civile ; ils les signalèrent comme des instigateurs, eux n’ayant reçu aucun ordre semblable ; et, malgré les dangers de leur position, ils résolurent de maintenir la paix tant qu’ils en auraient le pouvoir. Ces dispositions franches et généreuses, partagées par les anciens chefs principaux, n’empêchèrent pas le commissaire du Directoire d’appliquer à MM. de Turpin, de Scépeaux et d’Autichamp, la loi des otages.

M. d’Autichamp se sauva ; et madame de Turpin se mit également à l’abri en fuyant, et en faisant sept lieues à pied, en rase campagne, vers Candé. En sortant d’Angers, il lui fallut passer trois portes, que le hasard fit trouver ouvertes, sans qu’elle fût reconnue. Le hasard aussi lui fit rencontrer un exprès porteur d’une lettre du comte de Châtillon, et qui lui était adressée. Le comte lui annonçait son débarquement et son séjour en Bretagne, ajoutant que la loi des otages et toute l’agitation de la France avaient fait regarder ce moment comme favorable aux princes pour une nouvelle prise d’armes ; qu’il était envoyé pour venir apporter leurs ordres aux chefs persécutés, et qu’il priait madame de Turpin d’inviter MM. de Scépeaux, d’Autichamp et de Suzannet, à se rendre au quartier-général de Georges Cadoudal, dans le Morbihan ; que là, il attendrait ces messieurs, et qu’il espérait bien que cette campagne, si l’on ne pouvait l’éviter, aurait un résultat favorable pour la France, et qu’elle amènerait enfin le rétablissement de la monarchie et de la maison de Bourbon.

Cette dépêche fut très-agréable à madame de Turpin ; mais elle fut sans effet, cette dame n’ayant point trouvé à Angers, où elle rentra secrètement, les chefs convoqués par M. de Châtillon ; chacun d’eux était parti de son côté sans avoir eu le temps de se concerter. Le premier général royaliste qu’elle rencontra le lendemain, aux environs de Segré, fut M. d’Andigné, qui, apprenant sa persécution, et proscrit lui-même, vint la voir et s’entretenir avec elle des intérêts de son parti. Madame de Turpin lui fit part de l’arrivée de M. de Châtillon, et lui communiqua sa lettre. M. d’Andigné partit aussitôt et fut le trouver. M. de Scépeaux, averti d’un autre côté, fut aussi dans le Morbihan, au rendez-vous.

Les instructions du comte de Châtillon portaient que si M. de Scépeaux n’avait pas conservé son crédit, et que l’armée demandât un autre chef, il fallait donner à cet ancien chef le grade d’inspecteur-général des armées royales, et, dans ce cas, remettre à M. de Châtillon le commandement en chef de l’armée de la haute Bretagne et du bas Anjou. Le chevalier d’Andigné et les officiers qui l’accompagnaient manifestèrent ce même vœu chez Georges Cadoudal. À cette entrevue, toutefois, M. de Châtillon fit tout ce qui était personnellement en son pouvoir pour que M. de Scépeaux conservât le commandement ; ce qui ne fut pas décidé alors, mais trois semaines plus tard, au château de Bourmont, dans la forêt de Pouancé, à la suite d’un conseil militaire. M. de Bourmont, qui venait d’arriver aussi d’Angleterre, M. d’Autichamp, qui arrivait de la Vendée, de même que MM. de la Beraudière, Frotté, Georges et M. d’Andigné, assistaient également à ce dernier conseil. Toutes les voix se réunirent pour que M. de Châtillon prît le commandement en chef. M. de Scépeaux était absent, et M. de Châtillon ayant vainement et généreusement essayé de le maintenir, se vit obligé par le vœu général de suivre les instructions de Son Altesse Royale Monsieur, et de se mettre à la tête de l’armée qu’avait commandée le vicomte de Scépeaux.

On touchait à l’automne de 1799, et les chefs royalistes allaient recommencer les hostilités, qu’ils éludaient depuis deux ans. Ils rédigèrent une espèce de manifeste qu’ils adressèrent aux corps constitués pour justifier leur conduite provoquée par la persécution. Là, ils annonçaient que si absolument on ne revenait pas sur les mesures révolutionnaires, ils reprendraient les armes ; on ne leur répondit qu’en faisant marcher contre eux de nombreuses colonnes mobiles, ainsi que tous les jeunes gens des villes et des bourgs.

Tous les chefs principaux ayant joint leur quartier-général respectif, ordonnèrent d’armer et de rassembler les soldats royalistes qui étaient sous leurs ordres, voulant que partout on fût en mesure de prendre simultanément l’offensive. Quinze jours suffirent au comte de Châtillon pour mettre sur pied toutes ses forces, pour lever un régiment de hussards, sous le nom de Royal Chouans, commandé par MM. de Turpin, et pour organiser tout le pays dans le sens royaliste. Madame de Turpin lui a entendu dire qu’alors le zèle et l’enthousiasme furent tels, que deux mille écus, somme qu’on n’aurait pu dépasser, suffirent pour couvrir les dépenses du premier établissement. M. de Châtillon nomma le chevalier d’Andigné son major-général ; et, après avoir réuni environ quatre mille hommes entre Candé et Angers, il adressa des sommations royalistes aux autorités républicaines ; puis, interceptant les grandes routes et les approvisionnemens d’Angers, il montra partout les insurgés réunis en bataillons ; s’empara de Beaugé, envahit rapidement les districts de Segré, de Candé et de Châteauneuf, attaqua Oudon, menaça Ingrande, Varades et Ancenis, et partout força les cantonnemens républicains à se renfermer dans les villes.

Voici le tableau de l’état-major et des différens chefs de divisions de cette armée, dite armée du comté Nantais, d’une partie de l’Anjou et du bas Maine, tel qu’il fut arrêté avant l’ouverture de la campagne de 1799.

Le comte de Châtillon, maréchal-de-camp.

Le chevalier d’Andigné, adjudant-général.

Le chevalier Turpin de Crissé, inspecteur-général.

M. Plauzin, chef de division de Varades, depuis Ancenis jusqu’à Ingrande : a fait toute la guerre, et a reçu deux blessures.

M. Terrien, chef de la division de Châteaubriant : a fait toute la guerre ; trois blessures.

M. Pallierne, chef de la division de Niort : a fait toute la guerre ; trois blessures.

M. Denis, chef de la division de Blin, a fait toute la guerre ; une blessure.

M. de Tharon, chef de la division de Pontchâteau, ancien capitaine de dragons, passé en Bretagne en 1795 et 1796.

Le chevalier de Pioger, chef de la division de Guerande, ancien capitaine de Rohan-Soubise.

M. Sans-Peur, chef de la division de Segré ; toute la guerre : plusieurs blessures.

M. Amand, chef de la division de Craon ; toute la guerre.

M. Gaullier, chef de la division de Sablé ; toute la guerre, et a été blessé.

Le chevalier de Tercier, chef de la division d’Évron, ancien officier ; a servi dans la Châtre.

M. de Gai-Fontaine ; a servi aussi dans la Châtre ; a commandé les Chouans de Bourmont, et a été blessé à leur tête.

M. Gourlet, commandant de la cavalerie, ayant fait toute la guerre : blessé plusieurs fois.

M. de Châtillon, dans une lettre adressée à son Altesse Royale Monsieur, demandait le brevet de colonel pour chacun de ses officiers supérieurs.

Au conseil tenu dans la forêt de Pouancé, et déjà mentionné, M. de Bourmont fut chargé de commander, sous les ordres des princes, l’armée du Maine. On persista toutefois dans le système de ne point attaquer qu’on ne le fût une première fois. C’était d’ailleurs le vœu général, et en cela il était conforme aux ordres de Monseigneur le comte d’Artois. « On me promet des secours, mandait le prince ; j’espère enfin que l’Angleterre me conduira avec plus de succès vers les côtes de France ; quarante mille hommes me sont promis ; mais si vous pouvez éviter le renouvellement des hostilités, faites-le. Si, au contraire, vous êtes réduits à vous défendre, je ferai tout ce que je pourrai, ainsi que ma famille, pour aller vous secourir. »

Peu de jours après, des colonnes républicaines parties de Segré et de Candé, informées qu’une réunion de chefs royalistes avait lieu dans le village de Noyant, à la suite du conseil tenu dans la forêt de Pouancé, marchèrent sur le camp des Angevins. Le combat, soutenu par un millier de Chouans, fut vif ; il dura trois heures, et la victoire se déclara pour les royalistes.

M. de Scépeaux s’abstint de paraître dans les conseils ; il rédigea un mémoire où il rendit compte de sa conduite à ses camarades et à l’armée.

Les événemens se succédèrent rapidement. M. de Bourmont surprit le Mans ; on attaqua et l’on prit plusieurs villes. M. de Châtillon pénétra dans Nantes avec la seule intention de délivrer des prisonniers, de prendre de la poudre et des draps d’habillement, et en outre pour en imposer aux républicains. On fit, dans cette reprise d’armes, des prisonniers de part et d’autre, et la guerre prit un caractère moins barbare et une marche plus régulière. Tout le monde était alors et est encore dans l’opinion que si l’Angleterre, au mois d’octobre 1799, au lieu d’aller opérer un débarquement inutile et mal combiné en Hollande, l’eût effectué en Bretagne et en Normandie, il eût été possible de rétablir la maison de Bourbon sur le trône ; car soixante mille royalistes étaient en armes, tant dans la Vendée, qu’en Bretagne, en Normandie et dans le Maine.

Il parut bientôt que les promesses de l’Angleterre seraient illusoires, comme par le passé, et que les royalistes ne pourraient compter que sur leurs propres forces. La poudre manquait ; et, faute d’argent pour la solde, il était impossible de tenir les Chouans en corps de troupes réglées. Il eût fallu au moins à chaque armée séparée quelques bataillons de ligne et de quoi les solder, de même que les Chouans qui se montraient disposés à rester sous les drapeaux ; on eût pu obtenir alors de très-grands résultats. Le mécontentement des républicains était au comble ; il se manifestait partout. Jamais peut-être le parti royaliste armé n’avait eu de plus heureuses chances de fortune et de succès.

Mais la pénurie s’étant fait sentir dans les armées royalistes, les espérances étant trompées par le débarquement opéré en Hollande, les princes se voyant entravés dans leur vif désir de venir se mettre à la tête de leurs partisans, les ordres étant d’ailleurs presque contradictoires entre Mittau et Édimbourg, beaucoup d’autres considérations encore donnèrent au général Hédouville, envoyé comme pacificateur, de puissans moyens de rétablir la paix publique. Le débarquement inopiné de Bonaparte, venant d’Égypte, et la révolution qu’il opéra dans le gouvernement, dont il prit les rênes, acheva la dissolution et la ruine du parti armé.

Voici les événemens qui se développèrent : M. de Bourmont avait surpris le Mans et marchait sur Laval ; M. de Châtillon avait effrayé Nantes ; et Georges la ville de l’Orient ; mais toutes ces opérations étaient demeurées sans résultats, quand le général Hédouville arriva, précédé d’une réputation parfaite, aussi estimé des royalistes que de son parti. Il était alors évident qu’il n’y avait rien de solide à attendre de l’Angleterre, et, d’un autre côté, que des événemens importans se préparaient à Paris, de manière à faire espérer un changement heureux dans le gouvernement.

On voyait arriver des troupes ; on pouvait en craindre de nouvelles. Le général Brune ayant forcé les Anglais à se rembarquer en Hollande, on faisait refluer les troupes de son armée dans les provinces de l’Ouest. D’un autre côté le Morbihan accaparait tous les secours partiels de l’Angleterre, ce qui faisait des mécontens. Toutes ces raisons eussent disparu devant la nécessité de combattre un Robespierre ou même le Directoire ; mais le changement inespéré dans le gouvernement, désormais concentré en un seul homme, préparèrent les esprits des propriétaires patriotes à désirer que les Chouans fissent la paix ; d’autant plus que la guerre ne pouvait se perpétuer que par un concours respectif d’intérêts et d’opinions dans les deux partis qui étaient aux prises, et qui se trouvèrent presqu’à la fois désintéressés.

Ces motifs préparèrent les voies et contribuèrent à aplanir des difficultés qu’ensuite la sagesse du général Hédouville et sa patience surmontèrent. Ce général avait peu de troupes à sa disposition ; et pour se conformer aux instructions qu’il avait reçues, il crut devoir employer les moyens de médiation. Il se rappela les services que madame de Turpin avait rendus aux provinces de l’Ouest, dans les deux pacifications précédentes ; il lui écrivit, l’invitant à venir à Angers, et à faire aux chefs de son parti des propositions telles qu’ils auraient tout intérêt à les accepter, et pour eux et pour leur pays. Dans ce cas il n’y aurait plus de sang répandu, et l’on commencerait par une suspension d’armes.

Madame de Turpin était alors malade ; et presqu’en même temps elle reçut une lettre du comte de Châtillon annonçant quelques succès dus au courage des royalistes, mais exprimant d’un autre côté les plaintes les plus justes sur la pénurie des secours répartis aux royalistes, et sur les avantages qu’en retirait l’ennemi, dont les forces devenaient tous les jours plus imposantes. Il fallait ou accepter la trève, ou renouveler toutes les horreurs d’une guerre sans espérance.

Cependant madame de Turpin cherche d’abord à éluder, par une réponse pleine de déférence, la mission que lui propose le général Hédouville ; en même temps elle croit devoir en prévenir les chefs de son parti, et elle leur envoie la lettre du général. Aussitôt MM. de Châtillon, d’Andigné, et d’autres officiers, viennent près d’elle et trouvent que ces propositions méritent une sérieuse attention ; que, sans les accepter brusquement, il faut se les ménager : ils en préviennent MM. d’Autichamp, de Bourmont, Georges et Frotté.

Le général Hédouville écrivit une seconde lettre à madame de Turpin en lui envoyant une voiture et un aide-de-camp pour l’accompagner à Angers, ajoutant qu’il était venu pour substituer les lois de la justice à l’anarchie et au désordre, et qu’elle pouvait prendre confiance dans ses paroles.

Elle hésitait encore ; mais MM. de Châtillon et d’Andigné la pressent de se rendre à l’invitation du général républicain. Elle part malade et à pied ; fait trois lieues dans des chemins de traverse, et gagne la voiture du général Hédouville, qui l’attendait sur la grande route. À peine est-elle arrivée à Angers, que ce général vient la voir et ouvre avec elle des conférences sur les moyens d’arriver à la paix. Elle lui déclare d’abord que les chefs ne traiteront pas séparément, et qu’il est indispensable de consentir à une suspension d’armes pour rétablir les bases sur lesquelles on pourra pacifier. « Je brûlerai plutôt le pays s’il le faut, dit Hédouville. — Et les Chouans aussi, » répond madame de Turpin. Le général ne put rien décider ; il attendait un courrier de Paris.

Enfin, après quelques hésitations de part et d’autre, il fut conclu une suspension d’armes qui permit aux chefs de Chouans de se réunir à Pouancé. S’ils eussent pris un parti prompt ils auraient eu à se louer de cet ensemble ; mais ils s’embarrassèrent dans des lenteurs ; les esprits se divisèrent ; les républicains furent servis par des émissaires adroits.

L’Angleterre alarmée se réveilla tout-à-coup ; elle dépêcha un convoi chargé de quelques guinées. L’escadre de l’amiral Keit vint mouiller devant Quiberon ; elle donna quelques cartouches, quelques fusils ; mais il n’en parvint pas à l’armée du comte de Châtillon, quoique ce général eût envoyé le commandeur de Fougeroux et d’autres officiers solliciter des munitions. Madame de Turpin a ouï dire qu’on avait distribué très-peu de poudre, et que seulement cent mille francs avaient été disséminés dans cette armée assez nombreuse et qui occupait un pays très-étendu.

Avant la réunion de Pouancé, madame de Turpin revint à Angrie, où tous les chefs, avertis de son retour, se trouvèrent ; ils y tinrent conseil et y admirent madame de Turpin. Le conseil se composait de MM. de Châtillon, d’Andigné, de Fougeroux, de Quinlis, de Bourmont et de Frotté. Georges Cadoudal écrivit qu’il se trouverait aux conférences de Pouancé. Dans cette première réunion, madame de Turpin crut devoir disposer tous les chefs à la paix. Elle jugea dès lors que l’avénement de Bonaparte au pouvoir allait changer la face des choses ; qu’il lui serait facile de rallier les Français à un gouvernement dont la gloire les éblouissait, et que tout serait perdu pour les royalistes ; ce qu’elle n’avait pas envisagé de même sous la Convention, sous le Directoire, ni sous le règne des institutions révolutionnaires. Les chefs convinrent de la situation critique où ils se trouvaient, et de la nécessité de suivre les négociations. Madame de Turpin ouvrit l’avis de ne pas prolonger l’armistice, et de faire plutôt un traité prompt et militaire qui aurait laissé le parti royaliste intact et impénétrable. Elle eût désiré que tous les chefs ensemble et d’un commun accord en eussent fait la demande au Ier Consul Bonaparte par l’intermédiaire du général Hédouville.

Les choses se firent à peu près ainsi quant au fond, mais non quant à la forme. Madame de Turpin écrivit au général Hédouville : « Les chefs de Chouans vont se rassembler à Pouancé dans trente-six heures ; ils communiqueront avec vous, et vos relations seront rétablies entre tous ces messieurs. J’ai demandé la permission de ne plus être comptée pour rien dans tout ce qui va suivre des opérations du conseil. »

Elle fut invitée à y assister par le général Hédouville et par les chefs de son parti ; sa santé lui servit d’excuse ; et, laissant marcher les négociations, elle se retira au château d’Angrie. Toutefois elle recevait à Angrie des courriers d’Angers et de Pouancé, et répondait de son mieux aux dépêches dont ils étaient porteurs.

Enfin le conseil nomma pour commissaires à Angers MM. de Bourmont, de Kainlis, de Fougeroux, d’Andigné de Mainœuf, et un autre officier pour la Vendée. Le jour de la séparation du conseil, M. de Suzannet le père arriva inopinément à Angers venant de Londres, où l’on était très-alarmé de la paix.

Les chefs devaient se réunir à Candé, lorsqu’une ordonnance du général Hédouville vint avertir que le terme de la suspension d’armes expirait le surlendemain, et que si la paix n’était pas arrêtée, il allait reprendre les armes sur-le-champ. Georges Cadoudal partit aussitôt pour le Morbihan, et M. de Suzannet père pour la Vendée, où il alla joindre son fils. Sur les instances du marquis de Suzannet et de M. de Châtillon, madame de Turpin prit la route d’Angers pour y ouvrir les négociations en masse, et suspendre ainsi la reprise des hostilités de quelques jours, afin de donner le temps à M. de Suzannet de remplir sa mission.

Madame de Turpin trouva la ville d’Angers dans la consternation : toute espérance de paix semblait perdue. Toutefois l’aide-de-camp Lacuée, envoyé par le premier consul, dit à madame de Turpin que Bonaparte désirait vivement que la paix pût se faire, et que ce serait avec chagrin qu’il se verrait obligé d’y amener les royalistes par la force des armes. Madame de Turpin en fit part aux chefs de son parti ; mais l’exaltation, la crainte, et on ne sait quelle fatalité attachée à ces malheureuses provinces, semblaient les avoir dévouées aux puissances infernales et à tous les genres de malheurs.

Madame de Turpin ne pouvant plus être utile au parti royaliste, rentra dans ses bois au milieu de sa famille. Le général Hédouville avait reçu l’ordre de l’engager à se rendre à Paris si la paix ne se faisait pas ; et, en cas de refus de sa part, de l’y faire escorter ; mais le général Hédouville eut plus de noblesse dans sa conduite, quoiqu’il sût que madame de Turpin fût suspecte à la police de Paris. Il la pressa seulement de s’y rendre, et lui fit dire que la Vendée acceptait la paix ; et que si, le lendemain, toutes les autres divisions royalistes n’y adhéraient pas, il les réduirait par la force. Madame de Turpin en avertit le comte de Châtillon, sans se permettre une seule réflexion, mais en joignant à sa lettre une proclamation imprimée, assez menaçante, et en prévenant les chefs que le général Brune, avec des renforts, était sur la route de Nantes.

M. de Châtillon, instruit que trente mille hommes marchaient sur lui et sur Georges Cadoudal, dépêcha une ordonnance à ce chef pour le prévenir que la Vendée ayant fait sa paix particulière, par suite de l’adhésion de M. d’Autichamp et des intrigues du curé Bernier, il devenait urgent d’agir ensemble ; qu’il venait aussi d’avertir le comte de Bourmont afin qu’il adhérât aux conditions accordées aux Vendéens, sans pourtant les connaître.

Cette ordonnance partit à l’heure même ; et les chefs divisés, sans concert, et s’abandonnant réciproquement, signèrent et se prosternèrent.

La résistance du comte de Bourmont fut courte et celle du comte de Frotté fut tragique. Georges Cadoudal eut seul le mérite d’une soumission forcée, après avoir plus long-temps combattu et résisté au général Brune.

Le 25 janvier 1800, finit la mission de madame de Turpin. Après la restauration, elle obtint une audience particulière de Sa Majesté Louis XVIII, qui parut reconnaître les services que cette dame avait rendus à son pays.

Une chose est à remarquer ; c’est qu’aux trois époques où le parti le plus fort a proposé la paix au parti le plus faible, ces différentes suspensions d’hostilités ont été utiles à la France ; car c’est toujours à ces époques que les institutions anarchiques ont été modifiées ou détruites, tellement que le rétablissement du système monarchique a pris sa naissance à la pacification intérieure de 1800 : nul doute en effet que Bonaparte n’ait servi de planche aux Bourbons. Mais que de cadavres sous ce pont jeté du rivage de l’anarchie et de l’usurpation au port salutaire de la monarchie légitime !


PIÈCES JUSTIFICATIVES
DES MÉMOIRES
SUR MADAME LA VICOMTESSE
TURPIN DE CRISSÉ.

Nantes, le 17 floréal, 4e année républicaine.

Je me rends à Angers, madame ; j’aurai l’avantage de répondre de cette ville même aux articles de votre lettre, du 4 mai, qui vient de m’être remise à l’instant. Puisse, madame, la démarche que vous faites, procurer une paix solide à cette partie de la république.

Le général en chef. Signé L. HOCHE.

LE GÉNÉRAL EN CHEF,
Aux commandans des colonnes mobiles et autres.

Vous laisserez passer librement la citoyenne Jeanne-Anne-Élisabeth Bongars Turpin de Crissé, domiciliée à Angers ; taille cinq pieds un pouce, cheveux et sourcils châtains, les yeux bleus, le nez long, bouche moyenne, menton rond, le front élevé et le visage rond. Vous lui donnerez aide et assistance pour aller partout où ses affaires l’appelleront.

Signé L. HOCHE.

Avec ce passe-port, le général Hoche remit un arrêté que M. de Beauchamp a rapporté dans son histoire de la Vendée. Il fut consenti et écrit devant madame de Turpin, le 21 floréal, 4e année républicaine.


N° 2. Copie de l’arrêté que le général Hoche écrivit devant madame de Turpin, et qu’il lui remit à sa première audience.
À Angers, le 21 floréal, 4e année républicaine.

Article 1er. — Les chefs du parti chouan remettront leurs armes au commandant du cantonnement plus voisin ; ils en tireront un reçu. — Refusé : les chefs ont gardé leurs armes.

Art. 2. — Les chefs devront vivre sous la surveillance, soit d’une municipalité, soit d’un commandant divisionnaire, auxquels ils indiqueront le lieu de leur résidence. — Accordé.

Art. 3. — Les chefs donneront les ordres aux commandans des paroisses, pour que les habitans remettent le nombre d’armes convenu aux commandans des cantonnemens républicains, ou à une commission civile. — Accordé avec modification.

Art. 4. * — Les émigrés se retireront en Angleterre, ou en Amérique, ou en Suisse. — Accordé. Les lieux ont ensuite été absolument à leur choix.

Art. 5. * — À ces conditions, et en reconnaissant les lois de la république, le pays sera libre et protégé. Le refus attirera sur lui les fléaux de la guerre. — Accordé, avec la seule modification qu’au lieu de reconnaître les lois, ils ont écrit : Je me soumets.

Art. 6. * — Les jeunes gens de la réquisition ne seront point inquiétés ; ils resteront dans le pays pour le cultiver. — Obtenu.

Art. 7. * — La constitution permet la liberté des cultes ; aucun ministre ne sera inquiété dans ses fonctions, si d’ailleurs il ne prêche point contre les lois. — Obtenu.

Les quatre articles marqués * ont été accordés aux demandes formelles des chefs de Chouans, qui n’eussent pas posé les armes s’ils ne les eussent pas obtenus.


N° 3. Copie d’une réponse du général Hoche à madame de Turpin, qui lui représentait combien la marche des colonnes mobiles dans le pays soumis excitait des plaintes, et pouvait devenir dangereuse au repos public.
Au quartier-général à Angers, le 4 prairial,
4e année républicaine.
LE GÉNÉRAL EN CHEF,
À Madame de Turpin.

Je suis éloigné, madame, de mériter les reproches que la marche des colonnes mobiles pourrait m’attirer ; je la suspends par l’ordre le plus formel, dicté devant le porteur du présent.

Je compte sur une paix prochaine et générale. Les habitans de ce pays vous devront beaucoup, madame, et en mon particulier, je m’applaudirai d’avoir eu l’honneur de vous connaître.

Signé L. HOCHE.

N° 4. Copie de l’ordre donné aux colonnes mobiles, en vertu de la Lettre numérotée 3.
Au quartier-général, à Angers, le 5 prairial,
4e année républicaine.
LE GÉNÉRAL DE BRIGADE BAILLOT,
Au commandant des colonnes mobiles d’Angers.

Vous rentrerez de suite à Angers avec votre colonne.

Salut et fraternité.
Signé BAILLOT.

N. B. Cet ordre fut général en Anjou.


N° 5. Réponse du général Baillot à madame de Turpin, qui explique que l’ordre donné aux chefs de chouans de rentrer en ville, ne regarde pas ses neveux, mais son beau-frère.
Du quartier-général à Angers, le 13 fructidor,
4e année républicaine.
LE GÉNÉRAL DE BRIGADE BAILLOT,
À la citoyenne Turpin.

J’ai reçu, madame, votre lettre, où je vois vos craintes mal fondées. Vous ne me rendez pas justice. Le citoyen Turpin, que je désire voir, est votre beau-frère, à qui je vous prie de faire passer ma lettre, afin qu’il connaisse l’ordre que j’ai reçu, et l’invite en conséquence à se rendre à Angers pour y rester. Les officiers-généraux voudront bien, au reçu du présent, faire rentrer dans les villes et vivre sous la surveillance des autorités militaires et civiles tous les chefs chouans d’un ordre supérieur, tels que les chefs de divisions, etc…

L’arrestation de M. de Scépeaux, à Nantes, n’a rien de commun avec cet ordre ; je pense même qu’il est sorti. Donnez-vous la peine d’aller à Serrant, vous y trouverez madame de Chombères, qui vous mettra au fait pourquoi M. de Scépeaux n’est pas rentré de Nantes. Croyez, madame, que je mérite votre confiance : tout ce que je puis vous assurer, c’est que j’ignore qui a donné lieu à cette mesure ; ce ne sont pas les chefs chouans de ce département, à qui je rends justice, et madame de Chombères vous dira ce qui en est. Pour votre tranquillité, allez au château de Serrant, cela vous donnera plus de tranquillité, car votre lettre est alarmante.

Recevez, madame, les assurances de mon respectueux attachement.

Signé BAILLOT.

N. B. Madame de Turpin, en remarquant combien cette lettre était extraordinaire, et par son style et par l’invitation qu’on lui faisait d’aller à Serrant, d’y rester, d’y voir madame de Chombères qu’elle n’avait pas l’honneur de connaître, crut que les mesures pouvaient aussi la regarder ; et cependant on n’avait pas cru prudent d’enlever de chez elle une personne que la confiance publique entourait : peut-être eût-on trouvé cela plus facile ailleurs. Elle resta à Angrie ; elle écrivit à M. le général Hoche. Sa réponse ne se retrouve pas dans les papiers de madame de Turpin ; elle était cependant une des plus honorables de toute sa correspondance ; mais, par le n° 5, on verra que le général Hoche, si l’ordre lui avait été surpris aussi contre madame de Turpin, l’avait au moins révoqué comme une injustice ; il lui avait demandé même son neveu, aujourd’hui son gendre, pour son aide-de-camp ; elle motiva son refus par des raisons trop nobles pour que ce général, qui avait de l’élévation dans le caractère, n’en respectât pas les motifs ; cependant elle craignit un moment de voir attribuer à ce refus un mouvement de mécontentement, pendant lequel ce général se serait refroidi à son égard.

Toutefois cela n’altéra ni sa confiance en madame de Turpin, ni sa sollicitude pour le bien général.


N° 6. Copie d’une lettre du général Hédouville.
Rennes, 10 messidor, 4e année républicaine.

J’ai reçu votre lettre, madame, en l’absence du général Hoche, et je m’empresse de vous répondre qu’il a écrit, avec l’approbation du gouvernement, aux administrations centrales de départemens, pour les inviter à faire lever les séquestres mis sur les biens des Chouans qui se sont soumis aux lois de la république. Ainsi, madame, ils ne doivent plus trouver d’obstacles pour rentrer en jouissance. La franchise de la conduite du général Hoche doit vous inspirer une entière confiance dans ses promesses. L’arrestation de M. de Tharon provient d’un malentendu, dont j’ai rendu compte au Directoire exécutif, et je crois pouvoir vous assurer qu’il sera remis en liberté, et qu’on lui fournira les moyens de transport pour passer à l’étranger.

Agréez, je vous prie, madame, mes salutations respectueuses.

Le général de division, chef de l’état-major
de l’armée des côtes de l’Océan,
Signé X. HÉDOUVILLE.

M. de Tharon était un des émigrés de l’armée de Scépeaux, qui, au moment de passer en Angleterre, avait été arrêté à Nantes, et pour lequel madame de Turpin réclamait le bénéfice des arrêtés du général en chef.


N° 7.

LE GÉNÉRAL HOCHE,
À madame de Turpin de Crissé.

Je consens volontiers, madame, à ce que M. Maklot, au lieu d’aller en Suisse, se rende en Angleterre, où, sans doute, d’après ce que vous me faites l’honneur de me dire, il trouvera plus de ressources. Je vous invite en conséquence à le faire partir pour Rennes, et à l’adresser au général Hédouville, qui y commande, et qui trouvera les moyens de le faire embarquer pour Saint-Malo.

Signé L. HOCHE.

N° 8. Réponse du général Hoche, aux réclamations que madame Turpin lui adressa en faveur de M. de Maklot, émigré, et sur l’ordre qu’elle croyait avoir été donné pour arrêter M. Charles de Turpin, son neveu, aujourd’hui son gendre.
LE GÉNÉRAL EN CHEF,
À Madame de Turpin.

J’ai reçu, madame, avec la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, le 12 de ce mois, celle que vous adressez à M. Maklot. Je fais passer à Angers le passe-port dont il aura besoin pour se rendre en Suisse, avec recommandation au général Baillot de le faire voyager de manière qu’il n’ait point à se plaindre.

Je vous engage à être parfaitement tranquille sur le sort de monsieur votre neveu ; j’ignore ce que le général Baillot peut avoir à lui dire ; mais je n’imagine pas que cette démarche puisse avoir rien de fâcheux pour lui. Agréez, je vous prie, madame, l’hommage de mon respect.

Signé L. HOCHE.

N. B. M. de Maklot, émigré, qui d’abord avait désiré aller en Suisse, ensuite en Angleterre, ayant enfin reçu une invitation de sa famille d’aller en Suisse, il pria madame de Turpin d’obtenir ce changement, ce que M. le général Hoche accorda avec bonté et avec indulgence pour toutes ses incertitudes.


N° 9.

Madame de Turpin se trouvant à Angers le 30 thermidor, lorsque le général Hoche y passa revenant de Paris, elle lui écrivit pour lui demander la liberté de M. le curé Bandirgnie, incarcéré à Nantes, et la liberté d’autres prisonniers envoyés à Noirmoutiers, ce que M. le général Hoche ordonna quelques jours après. N’ayant pu voir madame de Turpin, il lui écrivit en ces termes :

Le 30 thermidor.

Il est si tard, madame, que je ne puis espérer avoir l’honneur de vous voir aujourd’hui ; croyant avoir celui de vous recevoir ce matin, j’ai attendu jusqu’à midi et demi : je suis désolé de votre inutile course. Puis-je espérer que vous voudrez bien m’indiquer l’heure où je pourrai avoir l’avantage de vous voir demain matin chez vous. Je suis honteux de n’avoir pu encore vous saluer.

Signé le général en chef, L. HOCHE.

N° 10. Correspondance relative à la paix de
l’an 8.
LE GÉNÉRAL EN CHEF,
À la citoyenne Turpin de Crissé.

Il est extrêmement important, Madame, que j’aie l’avantage de vous voir, pour causer avec vous des intérêts de votre malheureux pays, où vous avez contribué d’une manière si efficace à rétablir la tranquillité.

Je vous promets que vous ne resterez à Angers qu’autant de temps que vous le voudrez, et que vous aurez toute sûreté pour vous y rendre et pour retourner où cela vous conviendra.

J’ai vu M. de Bongars avant de quitter Paris ; il ne désire pas moins vivement que moi que je puisse m’entretenir avec vous.

Je vous prie, madame, d’agréer l’assurance de mes hommages respectueux.

Signé X. HÉDOUVILLE.

N° 11.

Angers, le 17 brumaire an 8.

LE GÉNÉRAL EN CHEF,
À Madame Turpin de Crissé.

  Madame,

Je m’empresse de vous assurer de nouveau que vous trouverez toute sûreté à vous rendre ici demain, à sept heures du matin ; un de mes aides-de-camp vous attendra au Chêne-Lapalu, avec une voiture ; ainsi, vous ne serez pas connue en entrant en ville, et je vous en ferai sortir aussitôt que vous le désirerez, avec les mêmes précautions. Vous descendrez dans telle maison que vous voudrez, et je m’empresserai de vous y aller joindre.

Je vous attendrai avec la plus vive impatience, et je me féliciterai toute ma vie de notre entrevue, si elle peut contribuer au rétablissement de la tranquillité dans ce malheureux pays, et à votre satisfaction particulière. Je vous prie d’agréer, madame, l’assurance de mon respect.

Signé X. HÉDOUVILLE.

N° 12. Copie d’un passe-port donné à la paix
de 1800.
LE GÉNÉRAL EN CHEF,

Ordonne aux commandans militaires de laisser passer librement le porteur du présent passe-port, accompagné d’une personne, et de lui prêter aide et assistance, s’il y a lieu, sous leur responsabilité personnelle. Le présent passe-port sera valable jusqu’au 13.

Signé X. HÉDOUVILLE.

N° 13.

LE GÉNÉRAL EN CHEF,
À Madame Turpin de Crissé.

La fièvre vous a donc harcelée et forcée de vous arrêter en route. Quoique vous soyez aussi souffrante, madame, M. de Fougeroux m’a dit qu’il vous avait trouvé meilleur visage qu’avant votre départ d’Angers. Je le crois, parce que je suis certain que vous n’éprouverez pas de plus vive satisfaction que celle de contribuer encore une fois à rendre la paix intérieure à ce malheureux pays. Ménagez-vous. Je désire bien que vous soyez bientôt en état de braver encore les fatigues de la route pour revenir ici ; j’y resterai jusqu’à ce que j’aie eu des entrevues avec les personnes que M. de Châtillon m’enverra : puissent-elles tourner à la satisfaction commune ! Je vous prie, madame, de vouloir bien agréer l’assurance des sentimens d’intérêt et de respect que je vous ai voués.

Signé X. HÉDOUVILLE.

N° 14. Copie des pouvoirs donnés à madame la vicomtesse de Turpin, par le général de Scépeaux, pour conclure la paix avec le général Hoche.

Je donne pouvoir à madame de Turpin de traiter avec le général Hoche sur tous les articles qu’elle croira avantageux à l’intérêt général du pays. Si quelques articles souffraient des difficultés, et qu’elle n’osât prendre sur elle de les lever, madame de Turpin voudra bien m’en faire part, afin que sur-le-champ je prenne avec mes officiers un arrêté définitif.

Fait à Vritz, ce 1er mai 1796.

Signé le vicomte de SCÉPEAUX.

N° 15. Copie des instructions données à madame
de Turpin.
1er mai 1796.

Dans l’impossibilité où je suis de communiquer avec le général Hoche par un officier de mon armée, madame de Turpin voulant bien se transporter auprès de lui, je la charge de lui exprimer les demandes que je fais pour l’intérêt général.

1° Madame de Turpin exposera l’utilité d’une réunion totale du parti royaliste, seul moyen d’arrêter les maux désastreux de la guerre civile.

2° Elle assurera que nos désirs nous portent à négocier des conditions de la paix, d’accord avec M. de Puisaye et autres chefs.

3° Elle demandera la suspension des marches des colonnes mobiles.

Fait à Vritz, ce 1er mai 1796.

Signé le vicomte de SCÉPEAUX,
général de l’armée de haute Bretagne
et bas Anjou.
FIN DES PIÈCES JUSTIFICATIVES.