Méthode des moindres carrés/Note V

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Traduction par Joseph Bertrand.
Mallet-Bachelier (p. 160-167).

NOTE V.

SUR LA DÉTERMINATION CHRONOMÉTRIQUE DES LONGITUDES.

(Astronomische Nachrichten, tome V, page 227.)

Soient , , , etc., les époques (au nombre de ), auxquelles un chronomètre a accusé les différences , , , etc., avec les temps des lieux dont les longitudes sont , , , etc., , , , etc., étant supposées réduites au temps d’un seul et même lieu et désignant l’avance journalière du chronomètre ; on aurait, si l’instrument était parfaitement régulier, les équations

Pour que ces équations suffisent à la détermination des inconnues , , , , il faut, d’une part, considérer l’une des longitudes comme donnée, et, d’autre part, il est nécessaire que l’on ait observé au moins deux fois dans le même lieu, de telle sorte que deux au moins des inconnues , , , etc., soient égales entre elles. Si parmi ces quantités il n’y en a que deux qui soient identiques, le problème est entièrement déterminé ; dans le cas contraire, il devient indéterminé, et l’on doit faire en sorte que les équations

soient satisfaites aussi exactement que possible, car les imperfections inévitables du chronomètre ne permettront jamais de satisfaire rigoureusement à toutes. Mais on ne doit pas accorder à ces équations des poids égaux ; car les quantités

représentent l’accumulation de tous les écarts de marche des chronomètres dans les intervalles , , etc., et s’il s’agit d’un bon chronomètre, à qui l’on puisse réellement attribuer une marche moyenne sans variation croissante dans un seul sens, la valeur moyenne à craindre pour une pareille somme peut être considérée comme proportionnelle à la racine carrée du temps écoulé.

On devra donc, dans l’application de la méthode des moindres carrés, regarder les équations précédentes comme ayant des poids inversement proportionnels aux différences , , , etc.

La solution n’a alors aucune difficulté, et fournira les valeurs les plus probables de , , , etc., ainsi que le poids de chaque détermination.

J’ajouterai pourtant quelques remarques.

I. Si la première et la dernière observation ont été faites au même lieu, la valeur la plus plausible de est celle qui résulte simplement de la comparaison de ces observations extrêmes. Le calcul devient alors très-simple, car, en vertu d’un théorème bien facile à démontrer, on peut, dans les équations, remplacer par sa valeur la plus plausible, ou, ce qui revient au même, on peut employer cette valeur supposée exacte pour corriger les observations et les ramener à ce qu’elles seraient avec un chronomètre fictif dont l’avance serait nulle.

II. Si l’on a attribué simplement aux diverses équations des poids égaux à

l’unité de précision pour les poids obtenus sera l’exactitude de celle que l’on obtiendrait à l’aide du même chronomètre observé deux fois seulement, et à un jour d’intervalle ; mais pour pouvoir comparer les résultats obtenus à l’aide de divers chronomètres inégalement précis, il faut encore introduire dans le résultat un facteur qui dépende de la plus ou de la moins grande perfection de chaque chronomètre employé.

Pour y parvenir, je suppose que les expressions

deviennent respectivement , , , etc., quand on substitue aux inconnues leurs valeurs les plus plausibles, soit

si est le nombre des inconnues et que l’on pose

le facteur spécifique relatif à chaque chronomètre est proportionnel à ou à , et l’on peut regarder comme l’écart de la marche moyenne qui est à craindre pour la marche d’une journée.

III. Les règles qui précèdent sont relatives à un chronomètre dont la marche n’est soumise à aucune irrégularité sensible et croissante avec le temps. Si cette hypothèse n’était pas permise, on pourrait supposer, lorsque les observations n’embrassent qu’une période qui n’est pas excessivement considérable, une variation proportionnelle au temps dans l’avance journalière de l’instrument, en introduisant ainsi une inconnue de plus.

Les équations prendraient alors la forme suivante :

IV. Pour ce qui concerne la résolution des équations d’après la méthode des moindres carrés, il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’on doit commencer, dans le plus grand nombre des cas, par calculer les valeurs approchées des inconnues et appliquer ensuite la méthode à la détermination des corrections très-petites que les valeurs doivent subir.

Il nous a paru utile de rappeler ce conseil général, parce que beaucoup de calculateurs ont paru l’oublier, et ont été conduits à des calculs plus laborieux et peut-être moins exacts.

J’ai déterminé la marche des cinq chronomètres suivants :

1 4 BREGUET
3056.
BARRAUD
904.
KESSEL
1252.
Greenwich, 30 Juin 03h.22 08.17,14 +01.02,37
25 Juill. 2.15 10.44,39 +01.32,15 +30.59,75 +48.29,20 +50.29,31
28 » 3.13 11.00,69 +01.36,96 +30.50,07 +48.40,24 +50.39,69
2 Août 1.15 11.28,48 +01.44,44 +30.31,78 +48.58,87 +50.52,14
17 » 10.18 12.59,40 +02.06,24 +29.35,69 +49.57,83 +51.38,66
25 » 7.27 13.47,98 +02.15,84 +29.10,48 +50.27,15 +52.02,45
10 Sept. 7.40 15.24,47 +02.40,36
Helgoland, 3 Juill. 3.40 −40.08,00 −30.26,84
22 » 12.40 42.02,02 30.03,89 00.20,34 +16.47,39 +18.48,39
5 Août 1.48 43.18,11 29.43,35 −01.10,24 +17.37,51 +19.26,77
11 » 13.09 43.35,77 29.33,43 −01.32,75 +18.01,30 +19.47,22
30 » 19.30 45.53,08 29.07,96 −02.40,67 +19.17,03 +20.47,68
6 Sept. 3.06 46.51,56 28.58,94 −03.04,55 +19.43,80 +21.06,56
7 » 8.42 46.38,72 28.56,71
Altona, 6 Août 5.55 −51.38,95 −37.55,76 09.28,50 +09.28,48 +11.16,25
9 » 12.35 51.57,35 37.50,03 −09.38,81 +09.40,30 +11.27,76
31 » 9.57 54.10,33 37.21,30 10.56,68 +11.05,92 +12.25,96
4 Sept. 22.12 54.39,16 37.15,21 11.15,36 +11.24,49 +12.48,10
Brême, 13 Août 0.02 −47.50,65 −33.16,49 05.23,37 +14.21,86 +16.05,83

Prenons pour exemple le chronomètre de Breguet 3056. Soient 0 la longitude de Helgoland, celle de Greenwich, celle d’Altona. Je ne fais pas entrer celle de Brême dans le calcul, car n’ayant pour cette ville qu’une seule observation, il est impossible de la contrôler. Je compte le temps à partir de la première comparaison du chronomètre n° 1 (Greenwich, 30 juin, 3h 22m). En substituant au chronomètre de Breguet un instrument fictif dont l’avance soit nulle, nous trouvons :



22,4 + 60,20 ;
25,0 + 1 949,60 ;
28,0 + 1 950,87 ;
32,9 + 1 950,29 ;
35,9 + 59,08 ;
37,1 434,98 ;
40,4 433,49 ;
42,4 + 59,88 ;
48,3 + 1 949,60 ;
56,2 + 1 952,74 ;
61,6 + 61,32 ;
62,2 432,53 ;
66,8 434,98 ;
68,0 + 60,19 .

Dans les équations ci-dessus, les inconnues et sont séparées, ce qui facilite leur détermination ; nous trouvons pour quatre déterminations :

POIDS.
1 889,40 1/2,6 = 0,38 ;
1 891,21 1/3,0 = 0,33 ;
1 889,78 1/5,9 = 0,17 ;
1 891,42 1/3,4 = 0,19 ;

d’où l’on déduit :

1890″,361,07 ;

on trouve de même :

1494″,123,83.

D’après ces valeurs, le chronomètre fictif marquera, en temps de Helgoland,





22,4 60,20 ;
25,0 59,24 0,96 ;
28,0 60,51 + 1,27 ;
32,9 59,93 0,58 ;
35,9 59,08 0,85 ;
37,1 59,14 + 0,06 ;
40,4 60,63 + 1,47 ;
42,4 59,88 0,75 ;
48,3 59,24 0,62 ;
56,2 62,38 + 3,14 ;
61,6 61,32 1,06 ;
62,2 61,59 + 0,27 ;
66,8 59,14 2,45 ;
68,0 60,19 + 1,05 ;

d’où l’on déduit

et l’erreur moyenne à craindre est :

pour ,0″,75 ;
pour ,0″,40. 

Les résultats fournis par les cinq chronomètres donnent

    erreur moyenne
à craindre.
poids.
Breguet 
= 1 890,36 0,75 1,78
Kessel 
1 893,39 0,67 2,23
Barraud 
1 892,32 0,49 4,16
1 892,39 0,43 5,41
1 892,52 0,35 8,16
Moyenne 
= 1 892,35 21,74

on trouve de même, pour  :

Breguet 
= 494,12 0,10 6,25
Kessel 
493,89 0,36 7,72
Barraud 
493,67 0,21 14,79
493,98 0,29 11,89
494,16 0,24 17,36
58,01

Le nombre placé sous le nom de poids dans la dernière colonne, est l’inverse du carré de l’erreur moyenne à craindre, en prenant ainsi, pour poids unité, celui qui correspond aux observations qui donnent une erreur moyenne à craindre égale à 1″, de sorte que, pour Altona, l’erreur moyenne à craindre est  ; mais il vaut mieux considérer les nombres de la dernière colonne comme indiquant seulement des rapports, et déduire la précision absolue de la différence entre les valeurs des derniers résultats trouvés pour et au moyen de chaque chronomètre. La précision trouvée de cette manière sera toujours un peu trop grande, puisque les déterminations de temps à Greenwich, à Helgoland et à Altona n’ont pas une précision absolue, et que, par conséquent, quel que soit le nombre des chronomètres, les erreurs qui proviennent de cette source se feront toujours sentir dans chaque résultat final.

On peut obtenir, de la manière suivante, la longitude de Brême.

Soit cette longitude à l’est de Helgoland : la comparaison du chronomètre de Breguet donne la position du chronomètre fictif,

− 165″,52 + ,

et l’on déduit de la comparaison avec les résultats précédents,

poids.
= 225,40 
1/1,4 = 0,7 ;

les autres donneraient

poids.
= 224,76
  
  
1/4,5 = 0,2
225,24     0,9

Le poids 0,9 doit être multiplié par 10/6.00 ; les cinq chronomètres donnent :

Breguet 
  
225,24 0.00 1,5
Kessel 
  
225,84 1,9
Barraud 
  
225,39 3,6
  
226,04 2,9
  
224,86 4,3
225,42 14,2

La longitude de Brême, qui serait, d’après cela, 268″,54 à l’ouest d’Altona, est naturellement affectée des erreurs sur la détermination du temps à Brême, et cette différence semble trop petite de plusieurs secondes. D’après mes triangulations, la tour de Ansgarius est de 273″,51 en temps à l’ouest de Gottingue, et l’observatoire d’Olbers à 271″,9.