Méthode et invention nouvelle dans l’art de dresser les chevaux/I/II

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CHAPITRE II.

Contre les Maîtres qui bâtent & injurient continuellement leurs Ecoliers, & ſe ſervent toujours de la chambrière.

PLusieurs Maîtres ſont ſi colères, ou pour le moins en ſont le ſemblant, qu’ils bâtent toûjours leurs écoliers avec la houſſine, ou une longue perche : J’ai meſme ouï dire que quelques uns ont leurs pochettes pleines de pierres à leur jetter. S’ils ne ſe ſervent de choſes ſi atroces & odieuſes, ils injurient leurs écoliers tout le temps qu’ils ſont à cheval, avec des diſcours tres-mal ſèants ; comme, ô Pauvre homme ! je vous baiſe les mains ; Hà le lourdaut ! il ſe tient à cheval comme une valiſe ; Innocent ! tournés vôtre main, aidez-vous de vos jambes, donnés les éperons, ſoutenés ; Hà le diable ! Quel ſot ! Quelques uns ſe ſervent d’un langage encore pire que celui-ci, & qui plus eſt d’une façon hautaine & infolente, penſans ainſi paſlèr pour ſçavans & grands Maîtres en monſtrant leur âuthorité ; au lieu qu’ils monſtrent leur indiſcretion & folie, faiſans un peu trop des bâteleurs. Cela eſt plus propre à un crocheteur, & à la canaille, qu’à un Gentil-homme, que leur profeſſion rend tels. Qui plus eft, cela leur ôte l’affection de leurs écoliers ; & eſt plus propre à ſe faire meſpriſer, & donner ſujet à leurs écoliers, de rechercher les occasions de ſe venger plûtoſt que de les aimer : or ſans l’amour il ne ſauroit y avoir grand plaiſir, ni grand profit dans une telle école. Outre que cela confond le cheval & celui qui le monte ; car il eſt impoſſible qu’un bon-homme de cheval, ſur un cheval bien-dreſſé, fasse toutes choſes au juſte temps, & auſſy vîte que va la langue du Cavallerizze. Que ſeront donc des écoliers ? Et peut être que le cheval ne ſera pas dreſſé, que ſi le Maître étoit deſſus, il ne feroit pas beaucoup mieux. C’eſt pourquoy le Maître doit, pour l’honneur de ſa profeſſion, étre (en Cavalier) honneſte & civil, avec gravité & modeſtie : neantmoins avec authorité, & dire à ſon écolier ce qu’il doit faire, devant qu’il remuë ſon cheval ; après qu’il l’a aſſés manié, luy commander de l’arreſter & luy dire en particulier les fautes qu’il aura commiſes, ſans les luy reprocher tout haut devant la compagnie ; après cela le faire éprouver derechef, en luy repetant ſouvent ce qu’on luy aura dit ; car un écolier ne ſauroit étre Maître dès le premier jour, non plus qu’un poulain ne ſauroit étre un cheval dreſſé. Enſeignés donc premierement à vôtre écolier ce qu’il doit faire, le luy répétant ſouvent avec beaucoup de patience, ou il n’apprendra jamais. Quant à la chambrière, elle aide ſouvent beaucoup, mais je voudrois qu’on la laiſsât auſſy tôt qu’il eſt poſſible ; vrayement ſon trop grand uſage fait qu’un cheval ne ſauroit aller ſans elle ; outre que c’eſt une choſe de mauvaiſe grâce de voir deux hommes après un cheval lors qu’on le monte, & qu’un Ecuyer, comme charretier, ait toujours la peine de faire aller ſon cheval. Je voudrois donc qu’on ne s’en ſerviſt qu’a l’extrémité, & jamais autrement. Car c’eſt une choſe qui n’a guere de grace, & qui eſt contraire à tout uſage, qu’un homme ne puiſſe monter un cheval ſans qu’un autre l’aide avec un foüet, outre que c’eſt une choſe odieuſe, excepté que ce ſoit dans quelque charrette pour aller terre à terre ; mais alors un charretier ſera aſſés propre à cela. Lors qu’un homme eſt à la guerre, ou qu’il doit combatre à cheval, faut-il qu’un autre ſoüette ſon cheval ? certes cela ſeroit bien ſot & ridicule. Je dis donc, que je veux m’en ſervir, pourveu que ce ſoit à une neceſſité ; autrement je voudrois la banir du Manege ; d’autant qu’un cheval qui demande à étre toujours ſoüetté n’eſt pas propre pour le Manège. Si la main & les talons ne ſuffiſent, la faute provient du Cavalier, ou bien le cheval n’eſt pas propre pour le Manege ; alors condamnés & le cheval & le foüet à la charrette. Qui plus eſt, la chambrière eſt devenuë aujourd’huy une maladie ſi univerſelle dans le Manege de les Academies, que le Maître ne ſe croit pas Maître, s’il ne l’a toujours en main. Et lors que quelque Prince ou grand Seigneur vient voir ſon Manege, il eſt aſſeuré de le trouver la chambriere à la main, comme la plus grande grace qu’il puisse avoir, ſelon qu’il penſe ; au lieu que cela luy eſt plus meſſeant. Ne vous en ſervez donc qu’aux extrémités ; comme elle eſt très-bonne pour un temps derriere le cheval, lors qu’il eſt entre les deux piliers, pourveu qu’on la laiſſe par après : ou bien lors qu’un cheval retient ſes forces & eſt pareſſeux, mais quand il eſt reduit, jettés-la, comme avec dedain à vôtre laquais, & prenés une gaule en vôtre main. La çhoſe la plus honneſte qu’un Cavalier puiſſe avoir à la main, tant à pied qu’à cheval, eſt une belle houſſine. Voila mon opinion ſur ce chapitre.