Ma double vie/08

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Charpentier et Fasquelle (p. 82-93).
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VIII


Enfin le jour de l’examen arriva. Tout le monde m’avait donné des conseils. Personne ne m’avait donné un conseil. On n’avait pas songé à prendre un professionnel pour me préparer à passer mon examen.

Je m’étais levée le matin, le cœur gros et l’esprit mal à l’aise. Maman m’avait fait faire une robe de soie noire légèrement décolletée, avec une berthe froncée. La robe était un peu courte et laissait passer mon pantalon de broderie anglaise, qui reposait ses deux jambes brodées sur des brodequins en peau mordorée. Une guimpe blanche émergeait de mon corsage noir et enserrait mon cou trop gracile ; mes cheveux séparés sur mon front encadraient ma tête selon leur bon vouloir, car aucune épingle, aucun ruban ne les retenaient. J’avais un grand chapeau de paille malgré la saison avancée.

Tout le monde était venu passer la revision de ma toilette. Je m’étais tournée et retournée vingt fois, On m’avait fait faire la révérence… pour voir.

Enfin tout le monde paraissait content. « Mon petit’dame » était descendue avec son grave mari et m’avait embrassée, très émue. Notre vieille Marguerite me fît asseoir et posa devant moi une tasse de bouillon froid, qu’elle avait si longtemps et si tendrement fait réduire que ce bouillon était une délicieuse gelée que j’avalai en une seconde. J’étais pressée de partir.

En quittant ma chaise, je me levai si brusquement que ma robe se déchira à je ne sais quel éclat de bois invisible. Maman se retourna fâchée vers un visiteur qui venait d’entrer depuis cinq minutes et qui restait dans l’admiration contemplative : « Tenez, voilà la preuve de ce que je vous disais ; toutes vos soies se déchirent au moindre mouvement. — Mais, reprit vivement l’interpellé, je vous ai dit que celle-là était par trop cuite, et vous l’ai laissée pour cela à si bon compte. »

Celui qui parlait ainsi était un jeune juif pas laid ; il était timide et Hollandais ; il était sans violence, mais tenace. Je le connaissais depuis mon enfance. Son père, ami de mon grand-père maternel, était un commerçant riche, mais père d’une nombreuse tribu. Il envoya ses fils, dotés d’un léger pécule, chercher fortune où bon leur semblerait. Jacques, celui dont je parle, était venu à Paris. Il avait d’abord vendu des pains de Pâques ; et il vint souvent, jeune garçon, m’en apporter au couvent avec les gâteries que maman m’envoyait. Puis, quelle ne fut pas ma surprise de le voir, un jour de sortie, offrant à maman des rouleaux de toile cirée qui servaient de nappe pour le premier déjeuner. Je me souviens d’une de ces toiles dont l’encadrement était fait par des médaillons représentant tous les rois de France. C’est sur cette toile cirée que j’appris le mieux mon histoire. Enfin il était depuis un mois possesseur d’une petite tapissière assez élégante, et il vendait des soies trop cuites. Il est maintenant un des plus considérables bijoutiers de Paris.

L’accroc à ma robe fut vite raccommodé et, sachant que ma robe était trop cuite, je la traitai avec respect.

Enfin, nous partîmes, Mlle de Brabender, Mme Guérard et moi, dans un petit fiacre à deux places ; et j’étais heureuse que ce fiacre fût si petit, car je me tenais blottie entre ces deux tendresses, ma robe trop cuite étalée délicatement sur leurs genoux.

Quand j’entrai dans la salle d’attente qui précède la salle d’auditions, il y avait déjà une quinzaine de jeunes gens et une vingtaine de jeunes filles qui, toutes, étaient accompagnées de mère, père, tante, frère ou sœur, etc.

Une odeur de moelle de bœuf à la vanille me saisit à la gorge et me donna un haut-le-cœur.

Quand la porte s’ouvrit pour me livrer passage, tous les regards convergèrent vers moi, et je me sentis rougir jusqu’à l’occiput. Mme Guérard m’entraîna doucement, et je me retournai, cherchant la main de Mlle de Brabender. Elle avançait timidement, plus rouge que moi, plus embarrassée encore. Tout le monde la regardait, et je voyais les jeunes filles se pousser le coude et la désigner de la tête. Une jeune fille se leva d’un bond pour courir vers sa mère : « Ah ! chouette ! regarde le vieux tableau ! »

Ma pauvre institutrice se sentait mal à l’aise, moi je devenais colère. Je la trouvais mille fois mieux que toutes ces grosses mères empanachées et communes. Bien sûr, elle ne ressemblait pas à tout le monde, Mlle de Brabender, avec sa robe saumon, son châle des Indes très serré aux épaules, retenu devant par un camée très large, et son chapeau dont le tour de tête était fait de ruches si serrés qu’on eût dit une coiffe de religieuse. Elle ne ressemblait surtout pas à ce vilain milieu dans lequel nous étions et dont il fallait tout au plus excepter dix personnes.

Les garçons se tenaient en peloton serré prés des fenêtres, ils riaient et faisaient des réflexions d’un goût douteux, je crois.

La porte s’ouvrit ; une jeune fille très rouge et un jeune homme écarlate venaient de réciter leur scène. Chacun d’eux se rendit vers les siens, papotant, jasant, se plaignant l’un de l’autre.

Un nom fut appelé : Mlle Dica-Petit. Et je vis une grande jeune fille, blonde, distinguée, s’avancer sans embarras. Elle s’arrêta pour embrasser une jolie femme grasse, blanche, rose et toute pomponnée. « N’aie pas peur, maman chérie… », puis elle dit une phrase en hollandais et elle disparut, suivie d’un garçon et d’une petite maigrelette qui devaient lui donner la réplique. Ce détail me fut expliqué par Léautaud, qui faisait l’appel des élèves et prenait le nom des récitants et des répliquants.

Je ne savais rien de cela. Qui donc me donnerait la réplique pour Agnès ? Il m’indiqua plusieurs jeunes gens, mais je l’arrêtai : « Non, non. Monsieur, je ne veux pas demander cela à personne. Je ne connais personne. Je ne veux pas ! — Alors, qu’est-ce que vous direz, Mademoiselle ? répliqua Léautaud avec un accent fouchtra des plus prononcés. — Je dirai une fable. »

Il pouffa de rire en écrivant mon nom et le titre : Les Deux Pigeons, que je lui indiquai comme fable.

Je l’entendais ronronner encore dans sa grosse moustache pendant qu’il continuait sa tournée. Puis je le vis rentrer dans la salle du Conservatoire.

Je commençais à m’enfiévrer. J’inquiétais Guérard, car j’étais, hélas ! de santé très délicate. Elle me fit asseoir et me mit quelques gouttes d’eau de Cologne derrière les oreilles.

« Pan ! ça t’apprendra à cligner de l’œil comme ça ! » Et une gifle formidable s’abattit sur le plus joli visage qu’il fût possible de voir. C’était la mère de Nathalie Manvoy qui venait de frapper sa fille.

Je m’étais dressée, tremblante de peur, d’indignation, courroucée comme un coq. Je voulais qu’on rendît la gifle à la vilaine femme. Je voulais aller embrasser la jolie tête offensée par le soufflet ; mais je me sentis énergiquement retenue par mes deux gardiennes.

Dica-Petit sortant de la salle d’auditions changea le cours des idées de tout ce petit monde. Elle était rayonnante et contente d’elle. Oh ! très contente. Son frère lui tendit une petite gourde dans laquelle se trouvait je ne sais quel cordial (et j’en aurais bien voulu, car j’avais la bouche sèche et brûlante). Sa mère lui mit un petit carré de laine sur la poitrine avant d’attacher son manteau ; et tous trois disparurent.

D’autres jeunes filles et jeunes garçons furent appelés avant que vint mon tour.

Enfin, l’appel de mon nom me fit sursauter, telle une sardine poursuivie par un gros poisson. Je secouai ma tête pour rejeter mes cheveux en arrière. « Mon petit’dame » tapota ma soie trop cuite. Mlle de Brabender me recommanda bien les o, les a, les r, les p, et les t ; et j’entrai toute seule dans la salle.

Je n’avais jamais été seule une heure dans ma vie. Petite enfant, toujours cramponnée aux jupes de ma nourrice ; au couvent, toujours collée à une amie ou à une sœur ; à la maison, toujours entre Mlle de Brabender et Mme Guérard, ou, si elles n’étaient pas là, dans la cuisine avec Marguerite.

Et me voilà toute seule dans cette salle bizarre, avec une estrade au bout, une grande table dans le milieu, et tout autour de cette table : des hommes, grognant, grognards ou moqueurs. Une seule femme, au verbe haut, tenant un binocle qu’elle ne quittait que pour prendre sa lorgnette.

Je sentais tous les regards dans mon dos pendant que je grimpais les quelques marches.

Arrivée sur l’estrade, Léautaud se pencha et me souffla : « Faites la révérence, puis commencez, et arrêtez-vous quand le président sonnera. »

Je regardai le président, c’était M. Auber. C’est vrai, j’avais oublié qu’il était directeur du Conservatoire. J’avais tout oublié.

Alors, je fis ma révérence, et je commençai :

Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre.
L’un d’eux s’ennuyant au…

Un grognement sourd se fit entendre et un ventriloque bourdonna : « On n’est pas à la classe ici. En voilà une idée de réciter des fables… » C’était Beauvallet, le tragédien tonitruant de la Comédie-Française.

Je m’arrêtai le cœur battant.

« Continuez, mon enfant », dit un homme à la chevelure d’argent : c’était Provost. « Oui, ce sera moins long qu’une scène », exclama Augustine Brohan, la seule femme présente.

Je repris :

Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre.
L’un d’eux s’ennuyant au logis
Fut assez…

« Plus haut, mon enfant, plus haut », dit avec bienveillance un petit homme aux cheveux blancs tout frisés : c’était Samson.

Je m’arrêtai interdite, affolée, prise d’un énervement fou, prête à crier, à hurler ; ce que voyant, M. Samson me dit : « Voyons, nous ne sommes pas des ogres. » Il venait de causer tout bas avec Auber. « Allons, recommencez, et plus haut. — Ah ! non, s’écria Augustine Brohan, si elle recommence, ce sera plus long qu’une scène ! »

Cette boutade fit rire toute la tablée. Pendant ce temps, je repris conscience de moi-même.

Je trouvais ces gens méchants, de rire devant ce pauvre petit être tremblant qui leur était livré pieds et poings liés.

Je me sentais, sans le définir, un léger mépris pour ce tribunal impitoyable. — J’ai bien souvent, depuis, pensé à cette épreuve, et je me suis rendu compte que des êtres bons, intelligents, pitoyables, deviennent inférieurs lorsqu’ils sont groupés. Le sentiment de l’irresponsabilité personnelle éveille les mauvais instincts. La crainte du ridicule chasse les bons.


Ayant repris possession de ma volonté, je recommençai ma fable sans vouloir m’inquiéter de ce qui se passerait.

Ma voix s’était mouillée dans l’émotion. Le désir de me faire entendre faisait chanter mon timbre. Le silence s’était fait.

Avant la fin de la fable, la clochette tinta. Je saluai, et descendis les quelques gradins, brisée de fatigue.

M. Auber m’arrêta au passage : « Eh bien, ma fillette,


LE CONSERVATOIRE NATIONAL DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION
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c’est très bien, cela. Voilà M. Provost et M. Beauvallet qui veulent vous avoir dans leur classe. »

Je reculai un peu quand il me montra M. Beauvallet. C’était le ventriloque qui m’avait fait si peur.

« Eh bien, lequel de ces messieurs préférez-vous ? »

Je ne répondis pas et montrai du doigt Provost.

« Voilà qui est parfait. Ramassez votre mouchoir, mon pauvre Beauvallet. Je vous confie cette enfant, mon cher Provost. »

Je compris, et m’écriai, folle de joie : « Alors, je suis reçue ! — Oui, vous êtes reçue ; et je n’ai qu’un regret, c’est que cette jolie voix-là ne soit pas pour la musique. »

Mais je n’entendais plus. J’étais folle de joie. Je ne remerciai personne. Je courus vers la porte.

« Mon petit’dame, Mademoiselle… Je suis reçue ! » À leurs pressions de mains, à leurs questions, je ne répondais que : « Oui, oui, je suis reçue ! »

On m’entourait, on m’interpellait : « Comment savez-vous que vous êtes reçue ? — On ne le sait jamais d’avance. — Si, si, moi, je le sais ! C’est M. Auber qui me l’a dit ! J’entre dans la classe de M. Provost ! M. Beauvallet voulait de moi, mais je n’ai pas voulu. Il a une trop grosse voix ! »

Une méchante fille exclama : « As-tu fini !… on s’m’arrache ! »

Une jeune fille jolie, mais trop brune pour mon goût, s’approcha doucement : « Qu’est-ce que vous avez dit, mademoiselle ? — J’ai dit la fable des Deux Pigeons. »

Elle s’étonna. Tout le monde s’étonna. Et j’étais heureuse à mourir de joie, parce que j’étonnais.

Je campai mon chapeau sur ma tête, je bousculai ma robe trop cuite, et j’entraînai mes deux amies dans une sortie rapide et dansante. Elles voulurent me faire prendre quelque chose chez le pâtissier, je refusai. Nous montâmes en voiture. Oh ! j’aurais voulu la pousser, cette voiture.

Sur toutes les façades des boutiques, je lisais : « Je suis reçue ! »

Quand la voiture stationnait pendant un embarras quelconque, il me semblait que les gens me regardaient, étonnés, et je me surpris hochant la tête pour dire : « Oui, oui, c’est vrai, je suis reçue ! »

Je ne pensais plus au couvent. Je ne ressentais qu’un sentiment d’orgueil d’avoir réussi dans la première tentative entreprise. Tentative dont le succès ne dépendait que de moi seule.

Il me semblait que le cocher n’arriverait jamais au 265 de la rue Saint-Honoré. Je sortais sans cesse ma tête par la portière, et je disais : « Plus vite, s’il vous plait, plus vite, cocher ! »

Enfin, nous arrivâmes à la maison, je sautai de la voiture pour arriver vite et crier la bonne nouvelle à maman. Je fus arrêtée par la fille de la concierge qui était corsetière et travaillait dans une petite mansarde qui donnait en face de la fenêtre de la salle à manger dans laquelle je prenais mes leçons avec mon institutrice, de sorte que, malgré moi, mes yeux rencontraient sans cesse son minois roussâtre et éveillé. Je ne lui avais jamais parlé, mais je savais qui elle était. « Eh bien, Mademoiselle Sarah, êtes-vous contente ? — Oui, oui, je suis reçue ! » Et je m’arrêtai une seconde, ne pouvant résister à l’étonnement joyeux de toute la gent portière.

Cependant, je me dérobai pour courir chez maman, quand je fus clouée sur place en pénétrant dans la cour. La colère et le chagrin s’emparèrent de moi, en voyant « mon petit’dame » arrêtée, les deux mains en cornet, la tête en l’air, criant à maman penchée à la fenêtre : « Oui, oui, elle est reçue ! »

Je lui envoyai mon poing fermé dans le dos et me pris à pleurer de rage, car j’avais préparé pour maman toute une petite histoire qui finissait par la surprise joyeuse. Je devais prendre l’air triste dès la porte ; un air navré, confus, pour recevoir en plein le : « Ça ne m’étonne pas, tu es si bête, ma pauvrette », et lui sauter au cou en disant : « C’est pas vrai, c’est pas vrai, je suis reçue ! » Et dans ma tête, je voyais les figures s’illuminant : la vieille Marguerite, mon parrain s’esclaffant, mes sœurs dansant… Et voilà Mme Guérard qui soufflait par son cornet sur tous mes effets si bien préparés.

Je dois dire que l’aimable femme a continué jusqu’à sa mort, c’est-à-dire pendant la plus grande partie de ma vie, à me couper tous mes effets. J’avais beau lui faire des scènes violentes, elle ne pouvait pas s’empêcher, quand je racontais une aventure dont j’attendais un gros effet, de pouffer de rire avant la fin. Et si j’ébauchais une histoire qui se terminait lamentable, elle poussait des soupirs, levait les yeux au ciel et marmonnait des « hélas ! » qui arrêtaient tout l’effet que j’attendais.

Cela m’exaspérait à un degré fou ; si bien que j’avais fini par dire avant de commencer une histoire : « Guérard, sors, ma chérie », et elle sortait en riant à l’idée des gaffes qu’elle aurait pu faire.

Tout en maugréant contre Guérard, je montai chez maman que je trouvai devant la porte grande ouverte. Elle m’embrassa tendrement et voyant ma figure boudeuse : « Eh bien, tu n’es pas contente ? — Si, mais c’est Guérard… Je suis furieuse contre elle… Sois gentille, maman, fais comme si tu ne savais rien. Ferme la porte. Je vais sonner. »

Et je sonnai. Et Marguerite ouvrit. Et maman vint. Et elle fit l’étonnée. Et mes sœurs. Et mon parrain. Et ma tante… Et quand j’embrassai maman en criant : « Je suis reçue ! » tout le monde s’exclama avec joie. Et je redevins gaie. J’avais quand même fait un effet. C’était la carrière qui prenait possession de moi sans que je m’en doutasse.

Ma sœur Régina, qu’on n’avait pas voulu garder au couvent et que les sœurs avaient renvoyée à maman, se mit à danser la bourrée. Elle avait appris cette danse en nourrice et la dansait à tout propos, puis finissait toujours par ce petit couplet :

Mon p’tit venir’ ’éjouis toi,
Tout ce ze gagn’ est pou’ toi…

Et rien n’était plus comique que cette grosse pouponne, à l’air sérieux.

Ma sœur Régina n’a jamais ri ; à peine un sourire entr’ouvrait ses lèvres minces et détendait sa bouche trop petite. Oui, rien n’était plus comique que de la voir grave et brutale, dansant la bourrée. Ce jour-là elle fut plus drôle que jamais, car elle était excitée par la joie générale.

Elle avait quatre ans, et rien ne la gênait. Elle était sauvage et effrontée. Elle détestait la société, le monde. Et, quand on l’amenait de force dans le salon, elle gênait tout le monde par ses propos crus, baroques, et par ses réponses brutales et ses coups de pied et ses coups de poing. C’était une enfant terrible, avec des cheveux d’argent, un teint nacré, des yeux bleus trop grands pour son faciès, et des cils drus et fournis qui faisaient ombre sur sa joue quand elle baissait les paupières et rejoignaient ses sourcils quand elle avait les yeux ouverts. Elle était têtue et triste. Elle restait parfois quatre, cinq heures sans desserrer les dents, sans répondre à quelque question qu’on lui adressât ; puis elle sautait de sa petite chaise, se mettait à chanter à tue-tête et dansait la bourrée.

Ce jour-là, elle était en belle humeur. Elle me caressa tendrement, desserra ses lèvres minces pour me sourire.

Ma sœur Jeanne m’embrassait et me faisait lui raconter mon audition.

Mon parrain me donna cent francs ; et M. Meydieu, qui venait d’arriver pour apprendre le résultat, me promit de m’emmener le lendemain chez Barbedienne pour me faire choisir une pendule pour ma chambre : c’était un de mes rêves.