Madame Adonis/07

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J. Ferenczi et fils (p. 183-208).

VII

― Voyons, cher monsieur Tranet, expliquez-moi tout. Je peux vous tirer d’embarras s’il ne s’agit que d’une question d’argent.

Mme Désambres déjeunait devant un grand feu clair et le père Tranet, piteux, regardait d’un œil d’envie le vin blanc pétillant qu’elle se versait. Il était resté trois semaines dans un cabaret de la banlieue de Tours, faisant le métier de garçon d’hôtel, gagnant un franc par jour, sans vêtements convenables, les chaussures percées, la barbe et les cheveux en broussailles. Puis, n’y pouvant plus tenir, il avait eu une idée lumineuse comme celle de son ciel de lit : aller trouver la Parisienne pour lui demander un appui ; entre gens de même nation on doit tout risquer. Depuis qu’il avait quitté la maison Bartau il maigrissait et il mourait de soif. Si sa fille le voulait bien, aidée de sa grande amie, elle le ferait revenir chez ces sacrés avares. Quels êtres, mon Dieu ! Des richards qui liardaient comme des gueux et qui, pour un pauvre incendie de vieilles souches, l’avaient jeté dehors, malgré le froid de décembre, sans le sou.

— Je vais vous dire, ma belle dame, commença-t-il, oh ! tout vous dire ! On aime bien ma fille chez vous, c’est ce qui m’encourage, Là-bas, ils ont pris le prétexte d’un morceau de bois brûlé pour me jouer le tour, car c’était dans leur caboche, ils n’attendaient que le moment de me flanquer à la porte. Moi, leur père ! nom d’un rabot ! Est-ce que je leur ai demandé leur bourse ? Ils m’ont appelé, autrefois, pour que je tienne propre leur sale magasin, comme si c’était le rôle d’un beau-père respectable ! Ils sont cause que j’ai laissé mes affaires basculer à Paris, où je me trouvais très heureux, madame ! J’habitais Belleville ; madame ne connaît pas Belleville ? Dommage ! un endroit gai, des ouvriers bons vadrouilleurs et des fillettes pleines de sentiment. Je fabriquais la chaise de paille et quelques articles de mon invention. Patatras ! les voilà qui me font prendre l’express ! « Vous serez chez nous comme chez vous ! Nous vous donnerons votre rond de serviette, le matelas, des pantalons neufs, une goutte de cognac de temps en temps. Restez donc, père Tranet, faites votre pelote… Papa, tu seras le parrain de notre petit dès qu’il en viendra un. » Du coup, madame, je fus tout émotionné… alors, je m’installe, je popote… et v’lan… pour une allumette mal soufflée, on me fiche dans la rue. Si vous aviez entendu la mère Bartau… elle chauffe, quand elle s’y met, la grosse mère !… Elle parlait d’aller chercher le préfet… Moi, j’ai fait de la dignité, et je suis sorti… leur abandonnant ma tirelire, n’est-ce pas ? Je voudrais retourner à Paris… seulement… (il se frappa le gousset) seulement… pas la moindre galette, ma chère dame.

Marcelle Désambres l’écoutait en souriant.

— Avez-vous déjeuné, père Tranet ? demanda-t-elle d’une voix caressante.

— Non… je casserais volontiers une petite croûte… dans vos cuisines… s’entend, madame, on a du respect, nous, les Parisiens… de l’éducation.

— Pourquoi pas là, en face de moi ? Est-ce que je vous intimide ?

— Jour de Dieu ! non, les beaux brins de femme ne m’intimident guère, et je vois que vous avez du cœur tout de même… (Il allait ajouter : « si vous n’avez plus de poitrine », mais il s’arrêta, bouche béante).

— Jacques, un couvert, tout de suite ! dit Marcelle au domestique la servait.

Jacques apporta le couvert, Tranet rompit son pain avec une joie enfantine.

— Ce que je voudrais inventer quelque chose pour vous, nom d’un rabot ! s’écria-t-il, attrapant le flacon de vin blanc.

— Et votre fameuse colle, mon bon monsieur Tranet ?

— Ma colle forte parfumée !… Un peu plus et ça y était, madame ! Une affaire superbe ! Des matières premières à bon marché, rien que des débris de peau de lapins, un peu de gélatine, de la cire blanche et un extrait de romarin, pour donner une odeur agréable. Mais ils n’ont pas voulu comprendre, ces idiots-là. Les braves types comme moi on ne les comprend jamais !

— Exemple, Christophe Colomb ! murmura Marcelle gravement.

Le père Tranet dévorait. On fut obligé de lui refaire une omelette. Deux bouteilles de vin disparurent complètement, car il les fourra tout doucement sous la table pour qu’on ne s’aperçût pas qu’il les avait vidées.

— Mangez bien, disait Marcelle, l’admirant mangez… nous nous occuperons plus tard de la tristesse des temps.

Au café, il devint presque éloquent. Il narra sa vie de pauvre inventeur toujours plumé par les femmes et se lamenta contre les lésineries odieuses de maman Bartau qui faisait coucher sa fille, sa Louise, dans une chambre où la cheminée fumait, une chambre simplement passée à la chaux.

— Combien nous faudrait-il pour monter l’affaire de la colle ? interrogea enfin Mme Désambres, tout en allumant une cigarette.

— Je crois qu’avec cinq… avec cinq… Mon Dieu, madame, vous trouverez sans doute que c’est une grosse somme.

Il voulait lui dire cinq cents francs, il n’osait plus.

— Cinq mille francs, n’est-ce pas, monsieur Tranet ?

Le marchand de chaises demeura ébloui. Cette femme avait donc des trésors à jeter par la croisée ? Cinq mille francs !…

— Madame, c’est peut-être trop… Songea que si je manquais ma colle… Le romarin n’est peut-être pas assimilable, comme prétendent les chimistes.

— Monsieur Tranet, je vous prête cinq mille francs à une condition, c’est que vous inventerez chez moi, logé, nourri à mes frais et que vous ne retournerez plus à la maison Bartau. Votre fille viendra vous voir ; si elle a froid dans sa chambre, vous ferez des feux terribles qui la réchaufferont. J’ai justement un petit pavillon au bord de l’eau… un pavillon très humide, ce sera une excellente occasion pour le sécher… hein ?

le père Tranet fit une moue. Il avait deviné ; mais il devait fermer les yeux pour l’honneur. Après tout, ce bête de Louis était le seul responsable en ces sortes de choses ridicules.

— Madame, j’accepte ! déclara-t-il, hochant le front, et pourvu que ma fille ne me blâme pas… tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Je perfectionnerai ma colle forte et je lui donnerai votre nom si elle est réussie !…

— Monsieur Tranet, nous réfléchirons à cette proposition… Je vous avoue qu’elle m’effraye…

Marcelle ayant terminé sa cigarette envoya chercher son manteau.

Ils visitèrent le pavillon du bord de la Loire. Il y avait deux petites pièces avec un fourneau très commode pour les expériences. Le domestique reçut l’ordre d’installer un lit, des chaises, des marmites, des bûches. Tranet, fier de lui, lançait des tas d’explications qu’il croyait nécessaires.

— Bien sûr que je ne vais plus bouger de ma boîte. Je fondrai mes matières nuit et jour… dans l’espoir de recevoir ma pauvre fille, je serai sage, on ne m’entendra pas remuer. Du reste, je ne suis pas gênant. On ne me verra pas traîner sur les tapis des salons. Il y a des vieux qui ont la manie d’écouter aux portes ; moi, je sais me tenir, allez !…

Marcelle souriait.

— Il faudra prévenir Louise, car elle n’est pas gentille depuis les fêtes de janvier.

— Madame, soyez tranquille. Le père Tranet n’est pas un ingrat.

Le lendemain le grand inventeur se rendit à la maison Bartau. Il fut reçu par son gendre.

— Ah ! vous voilà, monsieur ? dit le jeune homme étonné. Nous pensions que vous étiez dans l’eau ! Votre fille vous pleurait déjà.

— Mon cher ami, fit Tranet haussant son ton ordinaire, avez-vous déjeuné ?

— Moi ! pas encore, balbutia Louis au comble de la stupeur, et pourquoi cette question ?

— Parce que je vous invite, jeune homme ; je connais des huîtres chez le restaurateur de la gare qui sont d’une jolie fraîcheur et ce vin de Joué… vous savez, je le trouvais âpre, maintenant j’y suis habitué, nous les arroserons d’une ou plusieurs fioles… Tapez-là ! le cours de la Bourse a remonté, et comme je n’ai pas de rancune…

— Il est fou ! se dit Louis abasourdi.

Mme Bartau, entendant causer dans les magasins, arriva.

— Vous, le pétroleur !… vous n’êtes donc pas mort ? cria-t-elle, furieuse.

— Moi-même, madame Bartau… moi-même avec cinq mille balles au fond de ma poche. Cinq mille francs pour parler tourangeau ! et je viens inviter toute la famille à déjeuner : un petit repas d’huîtres, ce sera mon cadeau de jour de l’an, bien que le jour de l’an soit passé. Je vous la souhaite.

Et, avant qu’elle ait eu la pensée de se reculer, Mme Bartau fut embrassée sur les deux pommettes.

— Monsieur Tranet, que signifie cette plaisanterie ? demanda Louis à bout de patience.

Mais alors le père Tranet sortit de sa poche un billet de mille francs.

— Atout ! j’ai cinq cartes pareilles, maman, la Révolte ; et elles sont à moi, nom d’un chien ! Il y a des gens qui ont eu foi dans mon étoile, des âmes charitables… Mme Désambres, une crème de femme, celle-là, que si elle avait une demoiselle à marier je voudrais être son gendre, tant je serais sûr de palper une grosse dot. Venez-vous déjeuner ? Moi j’ai le ventre aussi creux qu’un chaudron pendu… Et ma fille, où est-elle ?

— Monsieur Tranet, ajouta Louis, nous n’irons pas manger un argent dont nous ne connaissons pas la provenance.

— Mais, espèce de petit crétin, rugit Tranet, c’est pour la colle qu’on me les prête, mes cinq mille balles ! et la Parisienne s’associe aux bénéfices. Comprends-tu ?

— Encore moins !

Mme Bartau pinça légèrement son fils.

— Va chercher Louise, si elle ne retourne plus là-bas, c’est qu’elle a flairé quelque vol, son chagrin n’est pas naturel.

Il appela sa femme par une fenêtre. Elle descendit de sa chambre et traversa la cour.

— Tonnerre de Dieu ! ma petite est malade ! gronda Tranet qui fut tout attendri par la démarche lente, le teint livide, les yeux rouges de sa fille.

Louise essaya de sourire.

— Ah ! mon père, tu nous a fait bien peur ! Où étais-tu donc ?… Tu n’as même pas écrit un mot.

— J’étais sur les chemins, ma fille, je mendiais… comme un vagabond, comme un exilé ! nous ne sommes pas de fer… ma pauvre enfant. Les chagrins, cela nous use ! Et quand nous trouvons tout d’un coup un abri, du pain, cinq mille francs… — Il ajouta très bas : — C’est elle, sa sœur, qui m’a prêté de l’argent… tu n’as pas fauté, alors, je n’ai pas de remords, tout se terminera heureusement… du reste… le divorce est là, une crâne invention que je voudrais avoir signée !

Ils s’embrassaient. Louise pleurait d’une façon navrante. Louis mordillait sa plume, assis devant son livre de caisse ; il pensait à Mme Désambres.

— Hum ! hum ! faisait maman Bartau, cinq mille francs, c’est une somme… Et il ne les aurait pas volés ? Quelle bonne histoire !… Louis, va donc voir la Parisienne ; pendant ce temps je le retiendrai… S’il veut dépenser, qu’il dépense chez nous, il nous doit bien des compensations pour cet incendie. Je lui achèterai des huîtres moi-même. Au restaurant on nous écorcherait.

Louis prit son chapeau et partit d’un pas résigné.

Marcelle Désambres faisait sa toilette quand le valet de chambre lui apporta la carte de la maison Bartau, douves en chêne.

— Sa femme est-elle avec lui ? demanda Marcelle dont les yeux étincelèrent.

— Non, madame.

— Faites-le entrer dans le boudoir, tant pis, il attendra.

Elle n’avait pas remarqué que la porte de son cabinet était ouverte et cette porte donnait sur le salon où Louis l’attendait, debout.

— Merci, répondit-il tout haut, je ne suis pas pressé, madame !

Le domestique se retira vivement craignant d’être tancé, car Mme Désambres ne ménageait guère ses gens.

— Ma foi, mon ami, dit-elle en riant, je ne vous savais pas là, recevez toutes mes excuses, je me déshabille, et puis, votre petite femme n’est vraiment pas polie. Je lui envoie des fleurs » des gâteaux, des livres, elle m’écrit au lieu de venir ! On serait de mauvaise humeur à moins. Racontez-moi vos nouveaux malheurs. Il s’agit du beau-père ? Vous l’avez retrouvé, ce cher beau-père. J’ai déjeuné, je le regrette bien… Je vais à la chasse, chez mes frères… mais, si vous aviez, par hasard, déjeuné aussi, je vous permets de vous joindre à moi…

Louis répliqua, un peu désappointé :

— Je n’aime pas la chasse, Madame. Louise est souffrante. Il ne faut plus la gâter, parce que je me fâcherais à la fin. Vous lui envoyez des robes et des fleurs, et vous prêter de l’argent à son père… pour qui nous prenez-vous ? Je ne suis pas content. Est-ce que nous vous demandons quelque chose ?

Il marchait d’une allure très rageuse sur le tapis oriental et secouait les chaises, saisi brusquement du désir de tout casser.

— Ah ! les cinq mille francs… c’est bien simple, monsieur Bartau, il m’associe aux bénéfices de l’affaire.

Louis respira.

— Vous êtes folle ! déclara-t-il, se radoucissant.

— Toujours vos flatteries ! railla Marcelle qui promenait le long de ses tempes une houppe de cygne.

Elle était à présent presque nue vis-à-vis de son miroir, et, comme elle ne se défiait pas du jeune homme, elle continuait sa toilette avec une entière insouciance.

Le cabinet, tendu de taffetas mauve et de dentelles bises, avait un aspect séduisant. Tout empli de violettes naturelles, il exhalait une mystérieuse odeur de femme se mêlant à l’odeur des fleurs fraîches, le lavabo était de marbre noir serti d’argent et un trépied supportait de fabuleux candélabres, des statues de bacchantes agitant des torches. Marcelle, droite, dans une attitude sculpturale, la chemise de batiste retenue seulement par la pression de ses genoux, démêlait ses cheveux bruns magnifiques. Un rictus méchant retroussait sa lèvre : le petit marchand de bois était donc humilié par son or ? Où la dignité allait-elle se nicher ?

— Mon cher monsieur Bartau, reprit-elle, dédaigneuse, j’ai recueilli votre beau-père parce qu’il mourait de faim. Je ne crois pas à sa colle, mais j’aime beaucoup votre femme et je n’ai songé qu’à elle lorsque je lui ai prêté cette minime somme. Je dis prêté pour employer un terme convenable !

— Madame, il vous les rendra demain matin… sur ma caisse particulière. Vous vous moquez de moi… faire une aumône à mon beau-père !… Oh ! non, je m’y oppose, Madame… vous m’entendez ?

La glace refléta une ironique et muette gaieté. Marcelle s’amusait de sa colère. Quel excellent nigaud, ce mari de vingt-sept ans, toujours sérieux comme un garçon qui cherche à ce que deux et deux fassent six ! Le charmant modèle des maris !

Elle tournait le dos à la porte et elle baissait la tête pour nouer ses cheveux derrière elle.

— Opposez-vous, cher ami, voilà qui m’est bien égal. Je ne reprends jamais ce que je donne… ensuite, votre beau-père est libre de ses actions… On ne l’enfermera pas comme Louise dans une chambre sans feu, avec des vêtements d’été…

— Madame !

Elle poussa un cri étouffé. Louis, exaspéré, avait fait irruption dans le cabinet de toilette. Il resta tout étourdi de son audace et la mine confuse. Il n’aurait pas pu se douter aussi que cette créature se gardait de pareille façon. Elle causait de choses solennelles en sortant de sa chemise et elle laissait les portes ouvertes dans une quiétude qui frisait l’impudeur. Marcelle saisit un peignoir à la hâte.

— Mais, mon cher, dit-elle, déjà remise de son effroi, vous êtes un homme très mal élevé. Allez donc vous asseoir plus loin.

— Madame, je vous prie de croire que je ne voulais rien de déshonnête !… Je pensais vous trouver… comme tout le monde… Je suis désolé.

Il recula jusqu’au mur.

— Eh bien ; c’est bon… asseyez-vous là, sur le divan, nous nous entendrons mieux, et d’ailleurs, je n’ai pas la coquetterie des vieilles femmes qui se cachent pour préparer leurs effets… Vous disiez, monsieur Bartau ?

Il tomba tout anéanti sur le divan, dans des tas de violettes éparpillées. Mme Désambres était nerveuse, elle brisa son large démêloir d’écaille en l’ôtant de la masse épaisse de ses cheveux.

— Je disais, madame, gémit-il d’un ton boudeur, que vous ne ferez pas l’aumône à mon beau-père.

— Vous n’avez pas d’ordre à me donner, monsieur, et je vous déclare qu’il dormira sous mon toit, tant que cela lui sera agréable.

Son idée, pour le moment, était de lui prouver qu’il ne l’occupait pas plus qu’un meuble. Il était entré et il pouvait rester, l’homme n’existait pas dans le mari de Louise, elle bravait ce mâle avec un calme cynique. Elle acheva de se coiffer lentement sans un geste provocateur, mais aussi sans agrafer le haut de son peignoir de soie noire. La glace renvoyait aux yeux effarés de Louis deux seins à peine bombés, deux seins d’éphèbe aux boutons frêles, duvetés de brun. Et il avait le secret de ses hanches onduleuses ; elle mettait des paniers sous ses jupes, car elle n’avait pas de hanches du tout.

— Vous ressemblez à un garçon de quinze ans, balbutia Louis, se penchant vers elle, l’air très intéressé.

— Qui vous demande votre avis ?

Elle le toisa, le regard plein d’éclairs.

— Je n’aurais jamais cru, non, jamais… qu’une femme fût bâtie de la sorte… recommença-t-il pouffant de rire tout à son aise…

Mme Désambres frappa du pied.

— Sortez d’ici, monsieur, et dépêchez-vous ! dit-elle.

Louis allait sortir. Son flegme ne l’avait pas quitté une seule seconde. Marcelle, que la colère envahissait à son tour, serrait les dents.

— Imbécile ! grinça-t-elle.

Louis fit une volte.

— Madame… en êtes-vous bien sûre ? J’ai pourtant lu votre petit livre rouge, où il est question d’une coquette qui fait des avances à un collégien naïf… Comme je ne suis pas un collégien naïf, vous pouvez croire que j’aime assez ma femme pour ne pas oser lui faire d’infidélité… même quand l’on me tente. Et il riait, ses bons yeux francs clignant, malicieux, quoique allumés.

— Vous m’écœurez, mon cher, répliqua Marcelle, dont la lèvre avait des tremblements de rage.

— Adieu, madame, je sors…

Louis traversa le salon, riant encore intérieurement.

— Je perds la partie ! songeait Marcelle toute frémissante… Ils ne reviendront plus ni l’un ni l’autre.

Dans la maison Bartau, on banquetait. Les douzaines d’huîtres se succédaient sans interruption. Le docteur Rampon, invité par le père Tranet, découpait une volaille appétissante, en expliquant qu’il n’était pas communard, mais qu’il admettait certains principes de la Commune. Louise buvait du champagne pour s’étourdir, maman Bartau daignait l’approuver.

— Allons ! ma petite, oublions les mauvais jours… C’est le papa qui nous régale…

Louis s’assit près d’eux, il but comme un fou.

— Ce sera cher, mais c’est très bon, cette noce-là ! s’écria-t-il débouchant les bouteilles.

Marie, leur bonne, se sauvait, éperdue.

— Moi… je ne peux pas m’y habituer… ça me fait l’effet d’un fusil.

La physionomie de Louis ne témoignant pas d’un malheur, Caroline se livra plus franchement à la joie de manger gratis. Au dessert elle serra la main du failli.

— Vous serez un homme, si vous voulez, père Tranet ! lui dit-elle dans un élan spontané.

— Ah ! belle-maman, murmura le marchand de chaises, pleurant au-dessus d’une énorme part de tarte à la confiture, je suis bien indigne de vous le prouver !…

Elle ne se gendarmait pas. Le docteur fit une grimace.

— Oui, débita Tranet, levant son verre, j’aurais dû réfléchir jadis quand j’ai quitté le pays. J’étais un ouvrier solide et je n’avais qu’à me servir de mes bras pour vous amasser une dot. Ah ! si j’avais eu mes cinq mille francs… Cré nom de nom ! Nous aurions fait un ménage modèle, Caroline ! Je ne regrette pas le passé, mais l’avenir m’épouvante… Tout seul, sans direction… je suis comme un enfant sur une glissade, la culbute m’attend toujours. Il me fallait une femme économe, une maison tranquille… un tran-tran de pot-au-feu, quoi ! j’étais né pour la vie de province, voyez-vous.

Caroline était très rouge.

— Mettez donc votre argent dans notre commerce ! dit-elle d’une voix chevrotante.

— Je ne peux pas, je dois des comptes… à celle qui me le prête… elle veut s’associer avec moi pour la colle.

— Allons donc ! une grande dame, elle n’y pense déjà plus à votre colle, père Tranet.

— Et puis, je vais réussir, les matières premières ne sont pas chères… des vieilles peaux d’animaux, de l’essence de romarin…

— Vous me coupez l’appétit, grommela Rampon.

— Papa, tu as eu tort, répéta pour la dixième fois Louise, que le champagne ne parvenait pas à égayer.

— Tort ? Pourquoi, fifille ?… on n’emprunte qu’aux riches, tiens.

— Et si on ne leur rend pas ?

Le père Tranet avala sa tarte.

— Laisse donc, tu sais bien qu’elle ne les réclamera jamais… Ses frères sont derrière elle.

Louise prétexta la migraine et remonta dans sa chambre.

Vers neuf heures du soir, Rampon se querellait encore avec Tranet, tout en terminant le déjeuner au milieu d’un dîner plantureux. Maman Bartau versait son cassis à flots. Marie s’essuyait le front.

— Ils ont mangé pour un an, pensait la cuisinière hors d’elle.

Louise était couchée. Louis parlait de reconduire le papa Tranet qui voyait double.

— Il faut le garder, souffla Caroline à l’oreille de son fils.

— Non, il faut qu’il aille chez Mme Désambres… par reconnaissance, et nous devons le lui ramener.

— C’est dommage, il va gaspiller cet argent, — Que veux-tu ? son argent appartient à Mme Désambres.

Ils gagnèrent la promenade tous les deux. Tranet perfectionnait sa colle. Louis semblait l’écouter avec une religieuse attention.

— Une colle forte parfumée, criait Tranet, ce sera la gloire de l’ébénisterie française !…

Ils arrivèrent devant la grille dorée de la villa. Louis la poussa le cœur battant, ils errèrent de taillis en taillis, le long des pelouses, et atteignirent enfin le pavillon. Tranet s’affaissa sur son lit comme une bête, il se mit à souffler, le jeune homme referma sa porte soigneusement et se dirigea du côté de la terrasse. Il avait vu un rayon de lumière rose filtrer par la fameuse glace sans tain qui trouait le mur sur la Loire. Mme Désambres était rentrée. Il mesura la hauteur de la terrasse, il y avait deux mètres pour les espaliers garnis de lierre sec et deux mètres pour les colonnettes de marbres italiens.

— J’ai fait de la gymnastique pendant mes classes, se disait Louis un peu perplexe.

Il se débarrassa de son pardessus et de son chapeau, empoigna les lattes de l’espalier, s’accrocha contre les saillies de quelques pierres. Aux colonnettes, il respira.

— J’ai bien l’air d’un voleur ! murmura-t-il souriant et c’est une drôle de chance… Quand on vient pour opérer des restitutions…

Il enjamba la balustrade et sauta sur la terrasse. Le froid piquait ; les étoiles brillaient au ciel comme des pointes de verglas.

Une silhouette se dressait immobile dans la clarté d’une lampe. Marcelle Désambres, anxieuse, avait suivi toutes les péripéties de l’ascension, elle tenait un revolver à la main et ne paraissait nullement d’humeur à le bien recevoir. Il s’arrêta, hésitant, la poitrine oppressée. Il voyait tout le boudoir, la Sapho teintée d’or, les meubles recouverts de velours vert, le piano s’enfonçant dans les étoffes japonaises bleues et argentées. La glace s’abaissa, Marcelle étendit son revolver.

— Vous, monsieur Bartau ? Ah ! je vais vous tuer comme un chien !

— Madame, dit très doucement le jeune homme, je savais que vous ne voudriez plus me recevoir, mais j’avais, malgré votre colère, quelque chose de pressé à vous dire… Madame, voici vos cinq mille francs.

Il déposa une liasse de billets de banque sur le rebord de sa croisée.

— Quelle folie ! bégaya Marcelle, clouée à sa place par la délicatesse de ce rustre.

— Je me suis juré que vous ne nous feriez pas l’aumône…

Marcelle jeta son arme dans les coussins de son divan.

— Et le père Tranet ? interrogea-t-elle.

— Il est au pavillon, il dort, c’est inutile de lui raconter cela. Je vous demande le secret.

— Vous n’êtes donc pas avare, monsieur Bartau ?

— Oh ! répondit le jeune homme, levant la tête, il n’y a pas besoin d’être prodigue pour payer ses dettes, et ce sont de terribles dettes que celles que l’on contracte vis-à-vis d’une femme.

— Monsieur Bartau, voulez-vous me faire l’honneur de repasser par ma porte, au lieu de vous sauver par cette terrasse.

— Volontiers, Madame, car je ne vous cache pas que je peux me rompre les os.

Marcelle hésita un instant, puis elle lui offrit la main. Il sauta dans le boudoir.

— Quel froid ! murmura-t-il. J’ai laissé mon pardessus et mon chapeau sur la pelouse.

— Étourdi !

Elle lui souriait, à présent, de son sourire affectueux. Toute la journée, durant la chasse, elle avait été nerveuse, tourmentée, troublée. On n’est pas dédaignée par un homme de vingt-sept ans sans que votre imagination ne rêve une jolie vengeance. Certes, elle haïssait les brutes, mais elle avait des perversités diaboliques, et, depuis quelques mois, la fièvre d’un désir irréalisable surexcitait ses sens. S’amuser un peu aux dépens de ce marchand de bois n’était qu’un moyen de plus pour ramener la maison Bartau à sa merci.

— Asseyez-vous, Monsieur, ce sont vos jolis copeaux qui brûlent, fit-elle très gracieuse.

— Non… je suis en retard. Louise m’attend.

Marcelle eut une audacieuse expression de défi.

— Vous mentez, dit-elle, Louise ne couche plus avec vous !

Louis chancela. Comment le devinait-elle ? Il avait eu tort de narguer les tentations. À peine était-il entré dans ce boudoir que le vertige le saisissait. D’un geste machinal, il comptait les billets de banque. Elle les lui arracha et les jeta par terre.

— Vous m’avez insultée, aujourd’hui, monsieur !

Ses doigts longs, fins comme des griffes, s’incrustèrent dans ses poignets, qu’elle tordit avec une force inouïe chez une femme.

— Moi, madame ? bégaya-t-il ; c’est le contraire que vous pourriez, à la rigueur, me reprocher !

Il évitait de la regarder en face. Un frisson bizarre lui effleurait la chair. Louise ? Oh ! Louise ne l’aimait plus, elle était la tristesse après avoir été la gaieté. Louise s’éloignait de lui pour se plonger dans des sentimentaleries de blonde fatiguée de l’existence. Louise, navrée probablement d’être stérile, ne savait plus ni rire ni chanter. Quand il touchait ses lèvres, elles étaient trempées de larmes amères. Une révolution s’opérait à travers tout son corps vigoureux. Il avait bu, lui aussi, du champagne, mangé beaucoup de poulet rôti, et l’atmosphère de ce boudoir se saturait d’une pénétrante odeur de violettes.

— Madame, je suis un imbécile, vous me l’avez dit !

— Mettez-vous à genoux.

Il s’agenouilla, la tête perdue.

— Louis Bartau, je vous le répète, vous êtes un imbécile ! fit-elle en éclatant de rire, et elle le souffleta avec un gant, qui se trouvait là, oublié sur un fauteuil.

— Tiens ! le gant de mon petit frère, Marcel Carini ! ajouta-t-elle, sardonique, je ne me doutais pas que je vous frappais avec un gant d’homme !

— Ne recommencez pas, Madame ! dit-il d’une voix sourde.

— Et s’il me plaît ? riposta la fougueuse créature.

Avant qu’elle ait eu le temps de lever la main, le jeune homme bondit, lui arrachant le gant qu’il jeta dans le feu.

— Madame… vous me faites de la peine.

Marcelle Désambres haussa les épaules.

— Je vous hais, monsieur Bartau, ne le comprenez-vous pas ?

— Moi, je crois que je vais vous aimer ! avoua-t-il vaincu.

Très lasse, elle alla s’asseoir sur le divan sombre. Elle s’étirait en lionne satisfaite, tandis que ses deux yeux s’épanouissaient comme deux fleurs de lumière.

— Vous êtes libre, cher monsieur.

— Vous me renvoyez ?

— Oui, je vais sonner mon valet de chambre qui vous reconduira.

Alors Louis se rapprocha d’elle, les bras croisés.

— Et s’il me plaît de rester ?

Elle braqua vers lui son microscopique revolver à crosse de nacre.

— Je te tuerais tout net, mon ami, j’en ai le droit car je puis prouver que tu t’es introduit chez moi par une escalade très nocturne. Ainsi, tu n’as qu’à te retirer.

Louis était absolument détraqué. Des larmes brûlantes ruisselèrent sur son visage.

— Madame… tuez-moi, cela me consolera !… Je suis si malheureux !

Il s’agenouilla de nouveau, volontairement cette fois, et lui entoura la taille de ses bras puissants.

— Oh ! je t’en prie ! sanglota-t-il, courbant le front.

Elle se raidit, son arme lui échappa.

— Je t’ordonne de partir… Va-t’en !

Elle faisait des efforts tellement violents pour se dompter elle-même qu’une écume frangeait sa lèvre, sa lèvre orgueilleuse qu’elle mordait de ses dents pointues.

— Non… Je préfère mourir !

Il baisa, ivre de volupté, la main qui le repoussait. Marcelle se renversa en arrière avec un râle furieux.

— Je vous hais… je vous hais… Oh ! les hommes, les misérables… Êtes-vous donc assez lâches !…

Louis se précipita sur sa bouche.

— Tais-toi, Marcelle, je ne suis pas un lâche. Je ne te prendrai pas de force, bien que tu le mérites pour tes cruautés atroces… Marcelle* je t’en supplie !…

Elle haletait.

— Tu es un enfant ! finit-elle par lui dire au milieu d’un spasme…

Une heure après ils devisaient de l’amour. Cette inexplicable crise les avait unis dans une inexplicable tendresse. Couché devant le feu, Louis l’admirait, car elle était superbe, sa lionne devenue chatte : elle se drapait d’une mousseline neigeuse pour aller chercher le repos sous les rideaux roses de son lit de princesse. Les billets jonchaient le sol répandus là comme le prix de ses faveurs, éveillant une idée courtisanesque, peut-être un souvenir assez drôle pour faire rire le jeune amant.

— Mais oui ! j’ai trahi ma femme, disait-il d’un ton tranquille, cuvant sa joie avec cette sérénité qu’ont tous les hommes honnêtes lorsqu’ils accomplissent ce genre de crime. Tu le voulais, j’aurais eu mauvaise grâce de ne pas profiter d’une si belle occasion… car tu es très belle ! Un garçon de quinze ans tout à fait. Ni hanches ni poitrine, et cependant quelle peau fine, blanche, chaude ! Quelle chevelure, quelle bouche, quels yeux. Ils me font une frayeur, tes yeux… Je les sens sur moi comme deux piqûres d’aiguille. Brusquement il ajouta : Quand reviendrai-je ?

— Je te défends de revenir, Louis !

— Ah ! par exemple… je reprendrai le chemin de la fenêtre, ce ne sera guère malin… tu m’ouvriras…

— Et si je n’ouvre pas ?…

— Je briserai la vitre.

— Singulière façon d’aimer, Louis ! Non, il faut nous arrêter là, j’ai des frères chatouilleux sur le point d’honneur. Tu as une femme charmante que j’adore et à qui je ne veux pas faire le moindre chagrin, Louis… je te prie d’oublier cette heure comme tu oublierais un vilain rêve. Tu sais, je ne suis pas bonne quand on m’irrite.

Elle parlait mollement, ses yeux se fermaient malgré elle. Louis lui baisait les pieds, tout en ôtant ses bas de soie.

— Alors, madame, soupira-t-il, puisque me voici dans la place, j’y reste. Aurez-vous le courage de me chasser ?

Il resta, et franchit le seuil de la chambre aux tentures roses de Chine. Marcelle Désambres avait quelquefois des faiblesses féminines.

Louis se sauva au petit jour. Sa mère le guettait, très inquiète.

— Malheureux, d’où sors-tu ? lui cria Caroline, flairant le fameux coup de canif.

— Mère, répondit le jeune homme, bravant tous dangers, je dois vous avouer que je possède une maîtresse en ville. Louise fait fit à part et moi j’ai vingt-sept ans, comprenez-vous ?

Il tenait son bougeoir et regardait sa mère fixement. Caroline frissonna.

— Toi, mon fils, un homme si rangé ? balbutia-t-elle. Ah ! mademoiselle Tranet, c’est votre œuvre… Malheureuse ! Malheureuse !

Louis haussa les épaules.

— Que veux-tu que j’y fasse ? mère… un peu plus tôt, un peu plus tard… Louise ne m’aime plus parce que nous l’avons menée trop durement… Je ne lui reproche rien… Tous les torts sont de mon côté : je l’ai soupçonnée, elle était innocente ; je l’ai privée de mes caresses, elle en avait besoin, car c’est une nature passionnée… Je regrette de n’avoir pas mieux connu les femmes avant de me marier… Maintenant… maintenant, tâchez qu’elle n’apprenne jamais que je la trompe, car je ne vous le pardonnerais pas. Bonsoir, ma mère.

Il passa, très froid en apparence, et le cerveau pourtant plein de désespoir. Dans sa chambre, il se mit à réfléchir, ne se doutant pas de ce qu’il allait faire de son nouvel amour. De près, cette femme le dominait ; de loin, elle le révoltait comme une créature immonde. Est-ce qu’on pouvait donc aimer une femme de quarante ans, que la débauche avait dû flétrir encore plus que sa prétendue maladie de cœur… une femme qui en savait si long ? D’où tenait-elle sa science ? Quels avaient été ses maîtres ?

— Oh ! elle a bien raison de me défendre d’y retourner… elle a bien raison… elle me dégoûte.

Et il s’endormit pour rêver qu’il recommençait.

Une semaine s’écoula. Marcelle Désambres fit une visite aux Bartau. Elle cajola tant Louise que celle-ci accepta une promenade en voiture par une belle après-midi de février.

Les deux femmes s’observaient comme deux lutteurs, l’une avait des remords, l’autre avait le désir de se venger de ses propres faiblesses.

— Marcelle, déclara Louise, je vous remercie de ce que vous faites pour mon père. Je suis sûre qu’il tâchera de vous le rendre. D’ailleurs, j’ai, moi, une petite réserve, si vous la désirez.

Marcelle fronça les sourcils.

— Quelle rage d’honnêtetés inutiles vous avez dans votre famille ! s’exclama-t-elle, mécontente.

Louise essuya une larme.

— Votre frère se porte bien ? interrogea-t-elle, toute tremblante.

— C’est-à-dire qu’il se meurt, Louise. Vous ne l’aimez donc plus ?

— Si, toujours.

— Il sera ce soir chez moi. Nous dînerons ensemble et je vous laisserai vers dix heures. Il vous faudra prendre beaucoup de précautions, car votre mari a un air très sombre, ma mignonne.

Mme Désambres voulut l’embrasser follement selon son habitude, Louise se recala et la promenade se termina dans un morne silence.

À dix heures du soir, Marcelle laissa la jeune femme. Elle allait au théâtre, car il y avait à Tours une troupe vraiment excellente, des acteurs choisis et de jolies actrices, bref, un régal d’amateur.

Marcel Carini n’arriva que fort tard. Il avait rencontré le père Tranet le long des taillis du jardin et il avait dû causer malgré ses impatiences d’amoureux. Il fit asseoir Louise sur ses genoux.

— Vous ne m’aimez plus ? demanda-t-il, anxieux, du même ton que sa sœur, quelques heures auparavant.

Louise éclata en pleurs. Mêlant ses caresses à ses larmes, elle lui défila tout son petit chapelet de reproches.

— Je ne suis pas une femme éhontée, moi, Monsieur, j’ai des remords de tromper mon époux, un homme que j’adorais au début de notre mariage. Vous êtes entré de force dans ma vie. Est-ce que je vous cherchais ? Vous serez ma damnation, Marcel ! Quant à votre sœur, je l’ai en horreur, c’est une misérable, capable de tout pour se distraire. Elle nous a jetés dans les bras l’un de l’autre pour se moquer de nous, ensuite, et, qui sait ?… l’aller dire à mon mari ?…

Louise se leva, exaspérée.

— Elle est capable de pousser Louis à me tromper aussi pour qu’il ne pense pas à nous espionner.

Mme Désambres eût été édifiée si elle avait écouté ses amoureux derrière une draperie. Ils se mirent à déblatérer sur son compte à qui mieux mieux. Marcel Carini, voyant qu’il ne gagnait rien à la défendre, la noircissait de bon cœur.

— Sais-tu, fit-il vivement, que ton mari doit te tromper depuis longtemps. Pour être sérieux avec leurs femmes, les maris ont toujours une raison légère qu’ils se gardent bien de leur donner.

Louise hochait la tête.

— Ah ! si je le croyais !

— Que ferais-tu ?

— Je fuirais avec toi… mon cher amour.

— Eh bien ! il m’est venu une pensée… je t’aime tant que je vais te la dire… une vilaine pensée, ma chère adorée.

— Laquelle ?

— Ton mari te trompe peut-être avec ma sœur.

Louise demeura pétrifiée. Une clarté subite l’inonda… Comment n’avait-elle pas découvert cela toute seule ?…

Cette nuit-là elle fut très heureuse avec… son amant.