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Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Jardinage en Europe

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Texte établi par Jacques Alexandre Bixiola librairie agricole (Tome cinquièmep. 408-409).
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COUP D’ŒIL
SUR LE JARDINAGE EN EUROPE

Parvenus au terme de la partie didactique de cet ouvrage, il nous reste à en esquisser la partie descriptive. Que ce mot n’alarme pas le lecteur ; nous ne lasserons pas son attention en l’appelant sur une interminable série de tableaux plus ou moins incapables de donner une juste idée des objets décrits ; c’est au public horticole français que nous nous adressons ; notre but doit être de satisfaire dans le cercle de nos attributions ses goûts, ses désirs et ses besoins. Le célèbre horticulteur anglais Loudon, écrivant principalement pour des lords qu’une dépense d’un ou deux millions ne fait pas reculer dès qu’il s’agit de satisfaire un caprice sans se préoccuper des prolétaires qui viennent expirer de besoin à la porte de leurs parcs, Loudon consacre plus des deux tiers de son volumineux ouvrage à mettre sous les yeux de son public la description et les dessins des jardins et des parcs les plus renommés du monde connu : c’était pour son livre la principale condition de succès. Nous l’imitons en ce point que, comme lui, nous décrivons de préférence tout ce qui, dans le jardinage européen, nous semble offrir à la majorité de nos lecteurs intérêt et utilité.

Le jardinage proprement dit, celui qui a pour but la production des végétaux utiles à l’homme, est né primitivement là où de nombreuses populations industrielles offraient à ses produits des débouchés avantageux et certains. L’an d’embellir les sites naturellement pittoresques ou de les créer au besoin, a pris naissance là où des fortunes colossales mettaient à la disposition de leurs possesseurs de vastes terrains à orner et des sommes illimitées à dépenser. La culture spéciale des plantes d’ornement a dû naître avec le goût des fleurs partout où l’opulence manquant, comme en Hollande, d’espace pour créer des parcs, a dû se contenter d’une serre et d’un parterre. Le génie de chaque peuple imprime à chacune de ces créations diverses un cachet particulier : l’orgueil anglais, la patience hollandaise, l’activité belge, le goût français, la paresse espagnole, ont leur reflet dans les jardins.

L’antiquité n’a rien légué au jardinage des peuples modernes ; les parcs immenses qui couvraient et affamaient l’Italie du temps des empereurs ne sont pas connus ; à peine les fouilles récentes dans les ruines de Pompéï et d’Herculanum ont-elles fait entrevoir dans ces derniers temps ce que pouvaient être les parterres joints aux habitations bourgeoises d’une petite ville romaine sous Vespasien. De longs siècles de dévastations avaient passé sur tout cela quand les moines créèrent autour des monastères les premiers jardins. Plus tard, les républiques municipales en Italie, en Allemagne, en Flandre surtout, avec leurs populations compactes d’ouvriers, et leurs puissantes fortunes commerciales, appelèrent autour des grandes cités l’industrie du jardinage, et créèrent l’art des jardins. Nous retrouverons les traces de cette marche liée à la nature des choses, dans notre excursion rapide, pour considérer comme à vol d’oiseau les jardins des divers peuples, et en l’aire connaître les traits essentiels.

Hollande et Belgique 
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Grande-Bretagne 
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France 
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Espagne 
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Portugal 
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Italie 
 ib.
Suisse, Tyrol et Allemagne 
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Pologne et Russie 
 440
Suède, Norwege, Danemark 
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HOLLANDE et BELGIQUE.

Nous ne commençons point par la France ; la priorité appartient’de droit au pays où l’art du jardinage est porté à son plus haut degré de perfection. Le jardinage, dont il n’entre pas dans notre plan de tracer ici l’historique, est un art tout moderne. On connaît la date précise de l’envoi en France dis premières graines de laitues, vers le commencement du seizième siècle ; nos salades actuelles peuvent être considérées comme la postérité de ces laitues ; presque tous nos légumes un peu recherches ne sont pas plus anciens ; sous Charles IX, le chanoine Charron, auteur du livre de la sagesse, les regardait tous comme des objets de luxe, hors le chou et la rave^ productions gauloises ; on sait qu’il résumait la sagesse humaine dans ces deux monosyllables : paix et peu ; il avait adopté pour armoiries le navet, comme symbole de la frugalité.

La Hollande, avant la grande révolution qui la constitua en république indépendante, au seizième siècle, avait peu de jardins ; son sol marécageux, alors presque dépourvu de grandes villes, semblait peu propre à l’horticulture ; la Belgique était au contraire comme un vaste jardin plus de deux siècles auparavant ; le goût du jardinage y était général avant même que toutes ses provinces ne se trouvassent réunies sous le sceptre de la puissante maison de Bourgogne. Mais du moment où une grande partie de la population riche et éclairée de la Belgique, fuyant le joug de l’Espagne et les persécutions religieuses, se fut réfugiée en Hollande avec d’énormes capitaux, les moindres bourgades de ce pays devinrent des villes importantes ; les besoins de toutes ces populations urbaines, plus nombreuses de beaucoup que les populations rurales, et fort en état, grâce au commerce, de bien payer les travaux du jardinier, firent prendre au jardinage un très grand développement. Plus tard, toutes les contrées de l’ancien et du nouveau continent où les Hollandais entretenaient des relations de commerce, devinrent, ainsi que leurs nombreuses colonies, tributaires des jardins de la Hollande, qui en reçurent une foule de végétaux exotiques répandus aujourd’hui dans toute l’Europe. Il était naturel que, sous l’empire de ces circonstances, la Hollande devînt la terre classique du jardinage. On nomme encore les pois, les choufleurs, les haricots nains, et une foule d’autres légumes des variétés les plus recherchées, légumes de Hollande, ce pays étant celui de tous où leur culture a été portée au plus haut point de perfection. Ces légumes étaient presque tous venus de Belgique en Hollande. En Belgique de même qu’en Hollande, un sol fertile, un climat constamment humide, des grandes villes les unes sur les autres, avaient, comme nous l’avons dit, donné lieu aux cultures jardinières les plus florissantes, bien avant l’existence de la Hollande comme état indépendant.

Considérons dans leur état présent les jardins de ces deux contrées naguère dépendances du grand empire, puis un moment réunies sous le sceptre de la maison de Nassau. Nous faisons choix pour donner un coup d’œil aux jardins de la Frise et de la Nord-Hollande, par où doit commencer notre excursion, d’un de ces rares beaux jours de la fin de mai où le soleil triomphe pendant quelques heures des brouillards constamment assis sur la Hollande pendant les trois quarts de l’année. Ici, le climat est si rude et l’hiver si long, que les habitants ne comptent pas au-delà de quarante beaux jours par an, constituant à la fois le printemps et l’été : c’est ce temps que les jardiniers nomment les six semaines aux légumes. Après avoir admiré l’art infini que mettent les jardiniers à triompher d’un riel si austère, nous donnons un coup d’œil aux belles serres et aux planches parfaitement tenues du jardin botanique de l’université de Groningue, nous consacrons une matinée au parc de la résidence royale du Loo, dont l’ensemble a conservé le style des jardins du dix-septième siècle ; nous y remarquons cependant des bosquets dans le style moderne, dessinés avec beaucoup de goût, deux fort belles fontaines et d’autres ornements de sculpture et d’architecture, dignes de la demeure d’un prince éclairé. Puis nous reprenons le chemin de la Hollande proprement dite, et nous ne nous arrêtons qu’aux portos d’Amsterdam. Si du haut d’un de ses principaux édifices nous planons sur cette ville immense, nous avons peine à croire que ses 300 000 habitants tirent les légumes dont ils absorbent de si énormes quantités, de ces tout petits compartiments de verdure qui l’environnent vers le sud. Descendons dans un de ces admirables potagers ; nous ne reverrons les mêmes prodiges de production que dans les marais des environs de Paris. Mais ici, les peines du jardinier hollandais ne sauraient être comparées à celles du maraîcher parisien ; l’arrosoir est inutile en Hollande où les pluies sont toujours surabondantes. L’engrais employé avec profusion dans un sol déjà très riche, est très chargé de matières animales, car le pays abonde en fourrages de toute espèce, tandis que les pailles et les autres ressources pour la litière du bétail y sont généralement rares ; on ne voit pas qu’il en résulte d’altération dans la qualité des légumes. C’est un exemple que, dans notre sol brûlant, très chargé de principes calcaires, nous ne pourrions imiter ; nos jardins veulent au contraire des fumiers où les matières végétales soient en excès et qui laissent un terreau presque tout végétal quand ils sont arrivés au dernier terme de leur décomposition. Nous ne quittons pas Amsterdam sans visiter les serres du jardin botanique, afin d’y saluer de très vieux pieds de caféier, conservés dans ces serres depuis 1690 ; un seul plant provenant des graines de l’un de ces caféiers, fut envoyé d’Amsterdam à Paris en 1714 ; 12 ans plus tard, en 1726, deux plants, provenant des graines de ces caféiers, lurent envoyés à la Martinique ; tous les caféiers de celle colonie descendent de ces deux plants. En avançant vers le sud, nous verrons près de Harlem et de Leyde ces célèbres collections de tulipes, de jacinthes, de renoncules et d’anémones, dont les plus belles n’appartiennent point au commerce ; elles font les délices de quelques riches amateurs. Félicitons-nous de pouvoir sans nous ruiner l’aire l’acquisition de ce que le commerce a de plus rare à nous offrir en ce genre ; il y a 60 ans, un de ces ognons qui nous coûtent quelques francs, nous en eût coûté 2 ou 3 mille. Les registres des recettes publiques de la ville d’Alkmaar font loi qu’en l’année 1637, 120 tulipes ont été vendues au profil de l’hospice des orphelins pour la somme de 9,000 florins, environ 20 mille francs, qui en représentaient au moins 40 de la monnaie actuelle, en raison du prix moyen des denrées ; un seul de ces ognons, nommé le vice-roi, avait été payé 4,203 florins, près de 9,000 francs, qui en vaudraient près de 20,000 de nos jours. Du reste, comme l’avait si victorieusement démontré dans la pratique feu notre habile confrère, M. Tripet, les Hollandais n’ont d’avantage sur nous, quant aux plantes bulbeuses, que par le climat ; c’est le voisinage de la mer qui conserve leurs ognons indéfiniment, tandis que sous notre climat méditerranéen, les mêmes végétaux dégénèrent en quelques années et veulent être maintenus par des rajeunissements continuels qui permettent à nos collections de rivaliser avec celles de Hollande, sauf par la durée.

Nous rencontrons au bord des canaux et des rivières des bateaux chargés de cendres de houille ; elles viennent de Belgique ; Anvers, Gand, Bruxelles, et une foule d’autres villes envoient en Hollande le superflu de leurs cendres dont une partie seulement est employée par l’horticulture et l’agriculture de la Belgique. Cet amendement très excitant, soigneusement débarrassé des scories à demi vitrifiées auxquelles il est toujours mêlé, est pour les jardiniers hollandais un moyen puissant d’activer la végétation.

Les produits forcés sur couches ou dans la serre sont beaucoup plus abondants, toute proportion gardée, en Hollande qu’en France ; le goût des fleurs y est particulièrement l’objet d’un luxe fort élégant. Grâce au talent des horticulteurs, elles y sont en abondance et à des prix assez modérés en toute saison.

Nous arrivons en Belgique par Anvers ; les potagers des environs de celle ville nous offrent tous les produits de ceux de Hollande qui sont semblables à ceux des nôtres. Nous y remarquerons, en outre, de grands carrés de choux rouges ; leur culture est de tout point semblable à celle de nos choux pommés. On en mange une grande partie crus, à la manière de nos salades ; mais, faute d’huile, on les assaisonne avec du beurre fondu mêle de vinaigre. Comme ce mets se mange froid, il faut se hâter de l’avaler avant que le beurre ne se fige ; la salade de chou rouge cru n’est réellement supportable que pour les palais qui en ont l’habitude. Nous goûtons à Gand un légume plus généralement estimé ; c’est la grosse asperge qu’on n’obtient nulle part ailleurs aussi belle et d’aussi bonne qualité. Toutefois, ce n’est pas à Gand même qu’il faut manger l’asperge de Gand, à moins d’être du pays. Pour les consommateurs français, l’asperge n’a toute sa valeur que quand elle a passé au moins un jour hors de terre, et que son extrémité y est devenue verte ou violette ; les Flamands la préfèrent blanche ; ils vont la chercher entre deux terres, avant qu’elle se soit colorée par l’influence du soleil ; elle est alors plus tendre, mais elle a moins de saveur. On suit la même méthode dans toutes les autres provinces belges.

A Bruxelles, nous ne pouvons oublier de goûter les spruyt ou jets de choux, improprement nommés choux de Bruxelles, car les meilleurs croissent aux environs de Malines et de Louvain. L’ordre, la régularité, l’absence de toutes mauvaises herbes, et une succession non interrompue de légumes, distinguent les potagers flamands, dans lesquels l’arrosoir n’est pas beaucoup plus en usage ni plus nécessaire qu’en Hollande. Néanmoins, chaque jardin a son puits toujours peu profond, car dans toute la Belgique, l’eau se rencontre à fleur de terre. Il n’est encore question ici, ni de norias, ni de manivelles pour élever l’eau ; l’arrosage proprement dit est inconnu ; seulement, par un temps très sec, on est quelquefois obligé de mouiller légèrement le plant pour assurer sa reprise, tandis qu’en Hollande, il y a au contraire le plus souvent des précautions à prendre pour l’empêcher de pourrir par excès d’humidité.

Plus nous avançons dans la partie de la Belgique désignée sous le nom de Pays Wallon, s’élevant par des pentes de plus en plus prononcées jusqu’au plateau des Ardennes, plus les jardins nous offrent d’analogie avec le jardinage du nord et du centre de la France. Ce sont à peu près les mêmes légumes, à l’exception de l’artichaut qui n’y figure que rarement, quoiqu’il y soit d’excellente qualité. L’un des points les plus intéressants de cette contrée pour le jardinage, c’est la vallée de la Meuse, aux environs de Liège. Les moines du moyen âge l’avaient surnommée, à cause de sa prodigieuse fertilité, la vallée bénite (Li Val-Benoît), nom qu’elle a conservé sans altération dans le patois du pays. Outre la population de Liège, qui compte au-delà de 60,000 habitants, les jardins de cette vallée doivent encore fournir de fruits et de légumes les 12 à 15,000 ouvriers de Verviers, ville manufacturière dont ils sont séparés par une distance de 3 myriamètres. Verviers. admirablement située pour l’industrie à cause de ses innombrables chutes d’eau, n’est d’ailleurs environnée que de coteaux arides, entièrement rebelles à la culture jardinière.

Il n’existe point en Europe de femmes d’une constitution plus vigoureuse et mieux faites pour supporter toute espèce de fatigues que les jardinières des environs de Liège. On désigne sous le nom de Botresses, celles de ces femmes qui l’ont le commerce des légumes frais. L’étranger s’étonne de les voir marcher lestement portant sur leur tête, que couvre un feutre à larges bords, une charge capable de faire ployer un homme de force ordinaire ; elles vont a Verviers ou à Spa durant la saison des eaux, faisant, ainsi chargées, 3 à 4 myriamètres pour réaliser un modique bénéfice sur la vente du produit de leurs jardins. Parmi ces produits, nous distinguons la belle fraise écarlate de Virginie, d’une variété trop peu connue en France ; les Botresses ont l’art de balancer sur leur tête leurs pesants paniers avec tant d’adresse, que ces fraises arrivent à Verviers et à Spa sans avoir souffert le moindre froissement.

Les divers instruments de jardinage des Hollandais et des Belges nous ont offert bien peu de différence avec ceux dont l’usage nous est familier. La pelle ou bêche flamande mérite cependant notre attention. Sa forme atteste à la fois le discernement et la vigueur de ceux qui l’emploient ; elle est large et longue, propre à donner des labours profonds. Au lieu d’une surface entièrement plate, elle offre une légère courbure vers le milieu de sa longueur (voir Instrument de Jardinage). Quelque peu consistant que soit le sol, quelque poli que soit le fer de l’instrument par un long service, jamais la charge soulevée par le jardinier ne retombe dans la jauge sans avoir été complètement retournée, ce qui, pour les terres légères, s’obtient difficilement avec la bêche plaie, surtout quand elle est plus étroite du bas que du haut. C’est un inconvénient grave ; la terre remuée sans être retournée laisse constamment à la même couche le soin de nourrir les végétaux ; un bon bêchage ne doit pas seulement ameublir la terre, il doit la rajeunir. La manière de bêcher diffère aussi de la nôtre en deux points qu’il est utile de noter. D’abord, le jardinier hollandais ou belge n’appuie pas le pied sur le bord de sa bêche pour la faire entrer dans le sol ; il n’en a jamais besoin, parce que d’une part, il travaille une terre peu compacte en elle-même, et que de l’autre, cette terre est si souvent et si bien remuée qu’elle n’a pas le temps de durcir. Puis, si nous considérons attentivement sa manière de bêcher, nous verrons qu’au lieu de soulever de gros blocs de terre d’un seul coup, il a soin de ne prendre à la fois qu’une tranche d’une épaisseur médiocre qu’il enlève sans effort, et qu’il place dans la jauge, en la renversant sens dessus dessous. Ce mode de labour est très bien adapté au jardinage dans un sol léger, quoique pour une terre compacte, il puisse être utile, surtout pour les labours d’hiver, de lever de grosses mottes, qu’on livre à l’action des gelées et des dégels. Alors, le vigoureux coup de talon aidé d’un lourd sabot n’est pas de trop pour faciliter le labour. Mais ce cas excepté, la pelle flamande l’emporte sur la bêche et le louchet de la France centrale, et la manière flamande de s’en servir sans s’aider du pied pour déplacer plus de terre à la fois est préférable à celle de nos jardiniers.

Un volume de descriptions ne suffirait pas pour exposer toutes les richesses horticulturales de la Belgique ; presque toutes ses villes du premier et du second ordre ont des sociétés de Flore et des expositions périodiques des plus rares végétaux.

En 1817, un voyageur anglais visitant la petite ville d’Enghien (Hainaut), s’étonna d’y trouver réunis dans le jardin de M. Parmentier, alors maire de cette ville, une réunion de plantes rares plus complète que ce qu’il y avait alors de mieux en Angleterre ; ce jardin n’a cependant guère plus de 60 ares ; mais il est presque en entier couvert par des serres magnifiques peuplées de plantes du plus grand prix.

La seule Ville de Gand, centre de l’horticulture belge, possède au delà de 400 serres appartenant à des amateurs. Rien n’égale la beauté des serres des jardins publics ; nous admirons par-dessus tout celles de la Société d’horticulture de Bruxelles ; sans déranger les plantes de leurs dressoirs, ce somptueux local recouvert en vitrages sert à donner des bals où 1,500 personnes circulent sans encombrement.

La Société d’horticulture de Bruxelles est une des plus actives de l’Europe ; disons aussi qu’elle est une des plus nombreuses et des plus riches. C’est en Belgique que les sociétés d’horticulture ont pris naissance sous le nom de confrérie de Sainte-Dorothée. Nous croyons que la confrérie de Sainte Dorothée constituée au moyen-âge à Bruxelles, n’avait pas de précédents ; elle serait donc le modèle et l’origine de toutes les autres. Sous la domination autrichienne, elle comptait au nombre de ses membres des princes, des grands seigneurs, des magistrats et des artistes pêle-mêle avec des jardiniers de profession qui, formant la majorité, prenaient d’ordinaire dans leurs rangs le doyen ou président de la confrérie.

Cette société pacifique céda la dernière de toutes aux orages révolutionnaires ; ses registres l’ont loi de son existence en 1793 ; il y a des noms de confrères reçus en 1794 ; cette date en dit beaucoup sur le caractère et les mœurs du peuple belge. C’est avec le noyau de l’ancienne confrérie de Sainte-Dorothée, dont les membres avaient continué à se voir et à s’occuper ensemble d’horticulture, que fut reconstituée en 1826 sur de larges bases, la Société d’horticulture de Bruxelles. Cette société ne peut que continuer à prospérer à la faveur de la paix, sous un prince amateur passionné de l’horticulture.

A Gand, le jardin botanique récemment agrandi renferme aussi de très belles serres qui servent aux fêles périodiques données tous les cinq ans sous le nom de Festival, par la société d’horticulture de cette ville. Les Gantois n’ont point oublié que leur jardin botanique eut pour fondateur Napoléon, alors premier consul ; ce fut lui qui en désigna l’emplacement, et qui voulut qu’il servît en même temps de promenade publique dont la ville de Gand était alors dépourvue ; cette fondation remonte à l’année 1801.

Dans les parterres, nous retrouvons les mêmes collections qu’en Hollande ; à Bruxelles, à Louvain et principalement à Liège, nous rencontrons de plus les collections d’œillets d’amateur, nommés par excellence œillets flamands. Quant aux jardins anglais de toutes dimensions, depuis celui du château de Laken, jusqu’aux plus charmants bosquets en miniature, ils sont répandus dans le Brabant et les Flandres avec profusion. Les deux rives du canal de Bruxelles à Boom, sur une longueur de 3 myriamètres, n’offrent qu’une succession de parcs et de jardins d’agrément. Nous sommes frappés en pénétrant dans ces jardins dont, plusieurs sont dessinés avec un goût parfait, d’y retrouver l’empreinte du caractère belge dans l’alliance de l’agréable et de l’utile ; personne mieux que les jardiniers de ce pays ne sait tirer parti des localités pour placer à l’abri d’un pli de terrain ou d’un massif d’arbres conifères, quelque arbre fruitier sensible aux impressions du froid et au souffle des vents d’ouest si violents en Belgique. C’est ainsi qu’en regard de divers groupes de rhus cotinus, d’acacia inermis, de mélèzes et de sumacs de Virginie, des compartiments de forme élégante réunissent les meilleures espèces de poiriers, pommiers, pruniers, cerisiers et abricotiers en plein-vent. Regardez sous ces massifs ; le sol y est caché sous des touffes bien entretenues de muguet et de violettes de Parme ; un recoin peu fréquenté et mal exposé reçoit des buissons de framboisiers ; et les meilleures variétés de fraisiers bordent la lisière des bosquets. Le jardinier d’une grande maison, et nous en connaissons qui sont des hommes fort distingués, ne veut pas que les visiteurs aient besoin de passer par le verger pour admirer et goûter les meilleurs fruits de la saison, prétendant que les arbres qui les produisent, étant mis à leur place, sont d’un effet tout aussi pittoresque que les autres dans le jardin paysager. Cela n’empêche pas qu’un verger spécial ne soit joint au parc comme accessoire indispensable.

Les jardins du duc d’Aremberg à Enghien contiennent une des plus belles orangeries qui existent, en exceptant celles des palais des souverains ; elle a 55 mètres de long sur 9 mètres de large et renferme de nombreux orangers respectables par leur long âge ; le plus grand nombre dépasse deux siècles ; il y en a qui n’ont pas moins de 300 ans ; enfin quelques-uns des plus beaux, donnés autrefois par les rois d’Espagne aux ancêtres du duc actuel, datent authentiquement de quatre siècles.

La culture des arbres fruitiers mérite une mention particulière. Qui ne serait frappé, dans le pays Wallon, à l’aspect de ces vergers immenses qui sous le nom de prairies arborées, couvrent les vallées de la Meuse, de la Sambre, de l’Ourthe et de leurs affluents ? On se croirait au centre d’une grande production de cidre ; mais les diverses qualités de bière sont si bonnes et à si bas prix dans toute la Belgique, que le cidre se vendrait difficilement. Tous ces pommiers dont le dénombrement donnerait un chiffre incroyable, ont une autre destination. L’espèce la plus généralement répandue est une pomme de belle-fleur, bien digne de son nom par les dimensions de ses corolles pourprées au dehors et d’un blanc de neige à l’intérieur. Le fruit joint au volume de la pomme de rembour les lignes veineuses de la pomme de châtaignier ; il est employé de préférence à la préparation d’une sorte de sapa, connu dans toute la Belgique-Wallone sous le nom de sirop de pommes ;

il s’en fait une consommation prodigieuse. Ce sirop fait avec le suc épaissi des pommes écrasées auxquelles on ajoute une petite quantité de carottes râpées, se conserve plusieurs années sans altération ; c’est un aliment agréable et fort sain équivalent à notre raisiné, mais préparé avec infiniment plus de soin et de propreté. Nous sommes convaincus que la pomme de belle-fleur wallone, très grosse et très productive, serait pour nos vergers de Normandie une excellente acquisition, elle est moins sujette que toute autre aux attaques des vers et à l’action des derniers froids.

Parmi les plantations de pommiers de belle-fleur, il se trouve toujours quelques pommiers de court-pendu. Cette pomme plate comme un ognon et presque dépourvue de support, possède par-dessus toute autre la faculté précieuse de se garder un an et même deux sans se rider et sans rien perdre de ses qualités recommandables.

Quoique nous soyons trois degrés plus au nord que Paris, toutes les variétés d’autres fruits suit à noyau soit à pépins, ne le cèdent guère à celles que Paris tire de ses environs. C’est que partout où un pan de mur bien exposé peut recevoir un arbre à fruit, il est utilisé ; c’est ainsi que Bruxelles, Malines, Gand, et même Anvers sont fournies à bas prix de traits excellents parmi lesquels nous recommandons aux amateurs français la poire de calebasse et le beurré d’hiver, connu dans le pays wallon sous le nom de goulu-morceau. Tout le monde, connaît en France les succès obtenus dans la propagation des arbres fruitiers par M. Van-Mons à Louvain ; les jardins du duc d’Aremberg, à Enghien, sont aussi l’une des pépinières de l’Europe les plus renommées pour la perfection des variétés qu’on y crée fréquemment ; il suffit de rappeler le beurré d’Aremberg, aujourd’hui répandu dans toute la France, l’Allemagne et l’Angleterre ; il sort des pépinières d’Enghien. Le climat et le sol du Hainaut font de cette province, mais spécialement des environs de Tournay, le canton du nord de l’Europe où les fruits acquièrent le plus de volume et de saveur ; on se souvient qu’en 1816, la Société d’horticulture de Gand mettait au concours l’examen de cette question : Rechercher pour quelles causes les poires de toute espèce acquièrent aux environs de Tournay plus de volume, de couleur et de saveur que dans tout le reste des Pays-Bas ? Donnons, avant de quitter la Belgique, un souvenir aux religieux du monastère de Saint-Laurent, à Liège ; la Belgique leur doit la belle pèche de Saint-Laurent, soigneusement conservée sur sa terre natale ; ce n’est pas la pèche de Montreuil, sans doute ; mais c’est presque aussi bien, et pour le climat de Liège, c’est un tour de force. Les jardins de la Belgique exportent avec avantage sur les marches de Londres de grandes quantités de fruits d’une rare beauté ; Gand et Anvers ont plusieurs grands établissements dont les produits forcés, ananas, melons, pèches, abricots et raisin, sont presque en entier vendus à Londres a des prix contre la modération desquels les producteurs anglais ne peuvent soutenir la concurrence.

En traversant la Belgique de lest à l’ouest pour passer le détroit et visiter l’Angleterre, nous ne trouverons, sur une longueur d’environ 25 myriamètres de Verviers à Ostende, pas une ferme, pas une simple chaumière, qui n’ait son jardin d’une propreté coquette, entouré de baies vives d’aubépine ou de cornouiller, régulièrement taillées en forme de murs à angles vifs, à hauteur d’appui. Nous aimerions à voir plus généralement adopté en France ce mode de clôture suffisant pour protéger les produits du jardin, sans empêcher de communiquer avec les voisins, et surtout sans manger un espace énorme, comme les haies abandonnées à elles-mêmes. Dans les jardins de chaque presbytère, nous voyons croître à côté des plus beaux fruits et des meilleurs légumes quelques plantes médicinales d’un usage salutaire, secours souvent utile que le paysan belge est toujours certain de trouver chez M. le curé.

GRANDE-BRETAGNE.

Nous voici sur le sol de la vieille Angleterre, sur la terre classique des jardins paysagers. Chaque comté nous en offre plusieurs, grands comme trois ou quatre de nos communes de dimensions moyennes. Les dessinateurs de ces jardins, taillant en plein drap, ayant à discrétion l’espace et l’argent, ont exécuté de fort belles choses. Les scènes variées d’une belle nature, la fraîcheur incomparable du feuillage et des gazons ; le choix et l’assemblage des arbres et arbustes les plus précieux, disposés de manière à faire ressortir tous leurs avantages, voilà ce qui nous saisit d’abord dans les vastes jardins anglais. Nous admirons le parti que les jardiniers anglais savent tirer des beautés naturelles de chaque site, et des moindres ressources de chaque localité. Dans ces larges et belles créations l’emploi de l’art ne laisse rien à désirer, si ce n’est quelquefois quant aux fabriques répandues avec plus de profusion et surchargées de plus d’ornements qu’un goût sévère ne l’exigerait peut-être. En Ecosse et en Irlande, contrées moins favorisées de la nature que la fertile Angleterre, on rencontre souvent autour des parcs immenses des grands seigneurs, de grands espaces nus et dépouillés ; la misère est là tout près du luxe le plus splendide ; à côté d’une serre grande comme tout un village, il n’y a pas de village ; il y a le plus misérable amas de cabanes près desquelles la hutte d’un sauvage semblerait un palais. Connaissant la délicatesse de leurs maîtres, les jardiniers anglais savent, au milieu des contrées ou règne le plus affreux paupérisme, ménager les points de vue de manière à dissimuler tout objet propre à blesser les regards. Si l’œil découvre quelque pauvre et sale chaumière, c’est de si loin que sa laideur disparaît ; souvent même pour la faire contribuer à l’effet pittoresque du paysage on l’entoure d’arbres exotiques ; rarement on songe à la réparer ou à l’assainir.

Tout a été dit sur le mérite des jardins paysagers de la Grande-Bretagne ; c’est là qu’il Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/426 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/427 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/428 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/429 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/430 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/431 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/432 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/433 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/434 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/435 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/436 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/437 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/438 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/439 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/440 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/441 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/442 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/443 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/444 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/445 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/446 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/447 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/448 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/449 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/450 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/451 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/452 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/453