Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Tome 5

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Texte établi par Jacques Alexandre Bixiola librairie agricole (Tome cinquième, ).
Maison rustique
du xixe siècle

Tome V.

AVANT-PROPOS.

A l’époque où parut la Maison rustique, vivement frappés de l’immense étendue des matières à traiter, nous avions résolu de ne nous préoccuper d’aucun objet qui leur fût étranger. Il nous eût semblé téméraire de dépasser les limites déjà si vastes du cadre de l’ouvrage primitivement conçu et d’ajouter à la masse des travaux que son exécution nous imposait. Tels furent nos motifs pour nous borner exclusivement aux matières du ressort de l’agriculture proprement dite, sans aborder ni l’horticulture, ni l’économie domestique. Mais, les vœux unanimement exprimés par nos abonnés ne tardèrent pas à nous convaincre que nous avions laissé dans notre publication une lacune qu’il devenait indispensable de remplir. En effet, les propriétaires de terres, grandes ou petites, les cultivateurs de tout étage, tous ceux enfin qui trouvent dans la Maison rustique leur guide habituel, ont ou peuvent avoir un jardin grand ou petit ; presque tous font du jardinage leur principal délassement ; s’ils sont à proximité d’un marché, ils peuvent trouver dans les diverses cultures jardinières une ressource importante ; la Maison rustique du XIXe siècle devait donc être complétée par un traité d’horticulture. L’opportunité d’un traité d’économie domestique n’est pas moins évidente ; tandis qu’en Angleterre et en Allemagne des ouvrages spéciaux sur cette matière mettent entre les mains de tout le monde les moyens le mieux appropriés à toutes les conditions pour rendre la vie intérieure de chaque ménage aussi confortable que ses ressources le permettent, en France, ceux qui souvent ne demanderaient pas mieux que de sortir d’une routine dont ils sentent tous les inconvénients cherchent en vain un guide pour les diriger.

Le cadre du livre consacré à l’horticulture était tracé d’avance par les besoins de ceux pour lesquels nous devions l’écrire : c’est le jardinage pris au point de vue de son contact avec l’agriculture dont il n’est qu’une dérivation, puisqu’il a, comme elle, pour but de tirer parti du sol. Quiconque, comme nous, a parcouru la France à pied et dans tous les sens, pour en étudier l’agriculture, pour connaître à fond les conditions diverses des populations rurales, demeure frappé des incalculables ressources que l’habitant des campagnes laisse perdre. Quel accroissement de bien-être une famille de pauvres cultivateurs ne pourrait-elle pas trouver, par exemple, dans les fruits d’un verger, même de peu d’étendue, facile à créer comme le désert de Barbeau-Brunet [1], avec peu ou point de frais, mais avec une volonté ferme et un travail persévérant ! La consommation des fruits, surtout celle des bons fruits, est presque nulle dans plusieurs de nos départements, ce ne sont pas les acheteurs qui manquent, ce sont les produits. Nous en dirons autant des légumes, et bien souvent des fleurs. Nous avons vu chaque année à Marseille, à l’époque des processions qui se succèdent pendant quinze jours, les fleurs les plus communes se payer pour ainsi dire au poids de l’or ; il n’y en avait pas sur le marché la dixième partie de ce qu’on en aurait pu débiter avec avantage. C’est donc répondre à un besoin réel et vivement senti des populations rurales, que de placer sous leurs yeux, à la suite de l’ouvrage le plus complet et le plus avancé sur l’agriculture, l’exposé des procédés de l’horticulture qui peuvent si facilement augmenter leur aisance, en même temps qu’ils influent par un enchaînement naturel sur l’amélioration du régime alimentaire des populations urbaines ; c’est par conséquent à cette partie de l’horticulture si éminemment utile que nous avons consacré le plus d’espace et donné les plus larges développements. En traitant de la culture des plantes d’ornement, nous avons eu également égard à la position du plus grand nombre de nos lecteurs. Le goût de l’horticulture est en progrès parmi nous ; le nombre des propriétaires riches qui s’adonnent à la culture des végétaux exotiques augmente rapidement ; les orangeries et les serres sont multipliées de tous côtés avec la plus louable émulation. Néanmoins, une statistique exacte de nos richesses horticoles nous montrerait plus d’orangeries que de serres, plus de serres tempérées que de serres chaudes ; parmi les plantes qu’elles renferment, les plus rares, celles dont le prix est le plus élevé, s’y trouveraient à peine par exception ; nous y verrions au contraire les jardins ornés seulement d’un parterre devenir presque aussi nombreux que les habitations rurales ; nous appelons de tous nos vœux le jour où chaque chaumière en France aura sa plate-bande de fleurs. Que l’on compare l’état moral des populations parmi lesquelles le chef de famille consacre habituellement à l’ivrognerie le jour du repos, avec celles où, au sortir de l’église du village, il donne le reste de son dimanche à ses fleurs, sa plus douce passion, source d’échanges de bons offices avec ses voisins ; il y a là tout un puissant système de civilisation pour les campagnes ; nous pourrions citer dans les plus âpres régions de la France des curés de campagne qui, prêchant d’exemple, ont opposé, avec le succès le plus éclatant, le jardin au cabaret. Puissions-nous avoir à nous féliciter d’avoir, nous aussi, contribué à propager ce goût si naturel, si parfaitement en harmonie avec la vie habituelle du peuple des campagnes, cette source de plaisir qui tend à rendre les paysans à la fois meilleurs et plus heureux ! Ainsi, sans négliger aucune partie de l’horticulture, nous avons particulièrement insisté sur celles qui touchent le plus intimement aux intérêts du plus grand nombre de nos lecteurs, sur les objets qui nous ont paru de nature à concourir au but commun de toutes les branches de l’agriculture : améliorer la condition matérielle et morale du peuple des campagnes.

C’est dans le même esprit que nous avons consacré un long chapitre aux jardins paysagers, cet ornement privilégié des châteaux. La campagne doit devenir le séjour habituel des grands propriétaires ; ceux qui possèdent le sol doivent vivre au milieu de ceux qui l’exploitent afin d’apprendre à s’aimer les uns les autres, en travaillant ensemble à tirer de la terre, selon la parole de Dieu, tous les trésors promis à l’union de la force et de l’intelligence.


SOMMAIRE DE CE VOLUME :

Livre Huitième

HORTICULTURE

  1. Voir Journal d’agriculture pratique, t. IV, p. 410.