Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 2/ch. 2

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Texte établi par Jacques Alexandre Bixiola librairie agricole (Tome secondp. 16-37).
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CHAPITRE II. — des plantes textiles ou filamenteuses et de leur culture spéciale.

* Sommaire des sections de ce chapitre *
Sect. 1re
Du lin et de sa culture. 
 ib.
Sect. 2. 
Du chanvre et de sa culture. 
 23
Sect. 3. 
Du cotonnier, de ses variétés et de sa culture. 
 26
Sect. 4. 
De diverses autres plantes textiles. 
 30
§ 1er
Du phornium. 
 ib.
§ 2. 
De l’agave. 
 ib.
§ 3. 
De l’apocin. 
 31
§ 4. 
De l’abutilon. 
 32
§ 5. 
De l’alcée. 
 33
§ 6. 
Des mauves. 
 ib.
§ 7. 
Des mûriers. 
 34
§ 8. 
Des orties. 
 ib.
§ 9. 
Du genêt. 
 35
Sect. 5. 
Des plantes propres aux ouvrages de spar­terie. 
 ib.
§ 1er
De la stipe. 
 36
§ 2. 
Du jonc. 
 ib.
§ 3. 
Du lyglé. 
 ib.
§ 4. 
De la massette. 
 ib.
§ 5. 
Du scirpe. 
 37

Section 1re. — Du lin et de sa culture.

Le Lin (Linum usitatissimum ; en anglais Flax ; en allemand Flache ; en italien et en espagnol Lino (fig. 12), appartient à la famille des Caryophyllées.

Fig. 12.

Cette plante, cultivée depuis un temps immémorial, principalement dans le nord de l’Europe, a donné naissance à diverses variétés locales qui dégénèrent promptement en changeant de climat et de terrain.

Le lin de Riga, grand lin, lin froid de quelques ailleurs, est un de ceux qui s’élèvent le plus ; sa graine est fort estimée dans le commerce. Depuis 15 à 20 ans on a commencé à le cultiver avec succès sur quelques points de la France.

Le lin de Flandre est originaire de Riga. Les Belges en renouvellent fréquemment la semence en Russie ou en Zélande. Quoiqu’il s’élève moins que le premier, beaucoup dé cultivateurs le préfèrent à cause de la finesse de sa filasse ; sa culture semble aussi devoir prendre une certaine extension en France, ainsi que je le dirai bientôt.

Le lin de Chalonnes-sur-Loire acquiert encore moins de hauteur. Rarement dépasse-t-il 26 à 30 po. (0m702 à 0m810), souvent même il ne les atteint pas ; cependant, la qualité de son brin est telle que, dans les bonnes années, les fileuses le prêtèrent à tout autre pour les fils d’une grande finesse, et que, des départemens voisins de celui de Maine-et-Loire, on vient en acheter la graine à des prix fort élevés. Ce lin qu’on peut considérer comme une des bonnes races du type français, a l’avantage de donner beaucoup plus de semences que les lins de Riga et de Flandre.

Indépendamment de ces variétés et de quelques autres dues également à des circonstances locales, il en existe deux dont les botanistes n’auraient pas plus de raison de s’occuper que des précédens, mais que les cultivateurs ont grand intérêt à ne pas confondre, car les marchands font souvent une différence de plus d’un tiers dans la valeur des uns et des autres : je veux parler des lins d’été et des lins d’hiver. — Les seconds se distinguent des premiers, non seulement par leur plus grande rusticité et la rudesse de leurs filamens, mais par la grosseur considérable, la forme arrondie, la couleur foncée et l’aspect général de leurs graines, qu’il est impossible de ne pas reconnaître au premier coup-d’œil.

Le sol de la France ne produit pas à beaucoup près tout le lin qui se consomme sur son territoire, soit pour le tissage des toiles, soit pour la filature des fils à coudre. La nécessité dans laquelle nous nous trouvons de nous approvisionner en partie en Belgique, n’est pas un des moindres obstacles à la prospérité de nos fabriques de toiles fines, et la cherté plus grande de la filasse rend toute concurrence avec nos voisins du Nord de plus en plus difficile.

§ 1er. — Du choix du terrain.

Cette plante, assez délicate, est loin de donner partout de bons produits. — Pour les lins d’été, on peut dire, d’une manière absolue, qu’il n’y a de l’avantage à les cultiver que dans les terres très-meubles et très-fertiles.

Les sols d’alluvion d’une consistance moyenne, doux, plutôt sablo-argileux qu’argilo-sableux, et cependant substantiels et frais ; — les défriches de vieilles prairies ; les trèfles rompus ; — enfin toutes les terres franches facilement divisibles, profondément ameublies, et richement fumées pour les récoltes précédentes, sont propres à la culture du lin.

Toutes choses égales d’ailleurs, les terres un peu fortes, grasses, humides, donnent, au moins dans les années de sécheresse, de plus beaux produits en apparence ; le brin y acquiert de la longueur ; mais la filasse en est grosse. — Les terres légères au contraire, lorsque les pluies printanières viennent à manquer et qu’on ne peut les remplacer par des irrigations, produisent du lin plus court, souvent même si court qu’on doit renoncer à en tirer aucun parti. Cependant, en général, vers le centre, et à plus forte raison dans le nord de la France, elles donnent les produits sinon les mieux assures, au moins de la meilleure qualité.

Dans certaines terres, non-seulement les lins dégénèrent promptement, mais on ne peut les faire revenir avec profit sur les mêmes soles avant 6 on 7 ans et plus, même avec la précaution de renouveler la graine. — Dans d’autres, ils peuvent se conserver sans altération ou réussira des époques rapprochées, pendant fort long-temps. Telles sont, dit-on, aux environs de Riga, les linières destinées plus spécialement à la production des graines de semence ; telles, dans le département de l’Aisne, celles du voisinage de Chauny et de Coucy, où, d’après M. André, les lins, renouvelés de loin en loin de Riga, se succèdent tous les trois ans avec un succès égal, et telles encore les fertiles vallées de Chalonnes, où cette plante fait presque partout, avec le froment, la base d’un assolement biennal dont l’origine remonte à plusieurs siècles, et où l’on a cependant, jusqu’à ces dernières années, évité avec un soin, à mon gré, trop scrupuleux, d’introduire la moindre quantité de semences étrangères. — Toutefois, des cas semblables sont exceptionnels, et je les cite comme tels.

Le lin d’hiver est moins difficile que celui d’été sur le choix du terrain. En effet, dans les contrées où on cultive l’un et l’autre, comme aux environs d’Angers, il n’est pas rare de voir le premier donner de beaux et utiles produits dans les champs où l’on oserait à peine risquer le second.

On a cru remarquer aussi que la variété de Flandre résiste mieux qu’une autre à la sécheresse, et qu’elle peut, par conséquent, donner des récoltes plus assurées dans les sols très-légers et brûlans.

Cet avantage, fort grand pour les cultures méridionales et même pour celles des contrées de l’ouest, où la rareté des pluies printanières est trop souvent le plus grand obstacle à la réussite du lin, est cependant compensé par quelques inconvéniens que nous aurons plus tard à examiner.

On cultive le lin, non seulement pour la filasse qu’on retire de ses liges, mais pour l’huile qu’on exprime de ses graines, et, dans quelques parties du midi de l’Europe, pour le fourrage qu’il procure aux herbivores.

§ II. — Préparation du sol.

La préparation du sol doit varier selon sa propre nature et l’étal dans lequel il se trouve par suite des cultures précédentes.

En Flandre, dans les terres fortes où on ne sème habituellement le lin que sur jachère, connue aux environs de Courtrai, d’Anvers, de Gand, de Bruges, etc., on trouve indispensable de donner au moins trois labours dont le dernier est suivi de hersages et de roulages. — Ailleurs, après un seul labour d’automne, on ameublit la surface du sol à 3 ou 4 po. (0m066 à 0m088) de profondeur, par deux ou trois cultures à l’extirpateur, qui n’excluent pas les hersages répétés.

En Zélande, où les Hollandais récoltent la majeure partie des beaux lins qui alimentent leurs manufactures, et où les terres sont grasses, assez fortes et un peu humides, on donne aussi trois ou quatre labours, et même plus pendant l’année de jachère, ou bien on ne fait venir le lin qu’en troisième récolte, après le froment et la garance. Dans ce cas, voici, d’après Parmentier, les façons nécessaires : après avoir bien fumé le’ sol et l’avoir labouré deux fois, on y jette du grain ; l’année suivante on plante de la garance qui y reste deux ans ; la quatrième année on y sème le lin. Par ce moyen, il est impossible de ne pas avoir une terre bien meuble ; car, outre les deux ou trois labours donnés avant l’ensemencement du grain, outre la fermentation du fumier et les autres labours qu’on répète quelquefois jusqu’au nombre de cinq pour la garance, il y a encore des façons continuelles pour recouvrir de terre les racines de cette plante.

Aux environs du Mans, on laboure une première fois vers le mois d’août ou de septembre, dès que le champ est débarrassé de la moisson ; une seconde fois dans le courant d’octobre pour enterrer le fumier, et on profite des premières journées favorables de février ou de mars pour donner les dernières façons. Le mode le plus certain et le meilleur est incontestablement de les donner à la pelle, à la bêche ou à la houe ; mais la dépense étant beaucoup plus considérable, dans la grande culture on se contente, pour le dernier guéret, de deux labours en sens croisé.

En Maine-et-Loire, pour les lins d’hiver qui succèdent presque toujours au froment, on laboure aussi le plus profondément possible, en billons de 4 raies, sitôt que la récolte est enlevée ; on herse ensuite, et, peu de temps avant de répandre la semence, on se contente de briser les mottes et de redresser le terrain à l’aide du hoyau. — Dans les momens de presse, j’ai même vu assez souvent semer immédiatement sur le hersage ; et quoique cette dernière méthode ne me semble pas de nature à être recommandée, il est certain que parfois elle laisse peu à désirer. — Pour les lins d’été, dans les métairies, la préparation du terrain jusqu’au moment du semis est à peu près la même. Rarement on donne plus d’un labour à la charrue, d’un hersage, et d’une façon au hoyau ; mais, dans les fermes de la vallée, où tous les travaux se font à bras d’hommes on a dû adopter un mode différent : là, le labour de déchaumage s’opère au moyen de la houe décrite page 30, fig. 22 du livre premier. On lui donne de 10 à 12 et 15 po. (0m271 à 0m325 et 0m406) de profondeur, en laisant passer deux fois l’instrument dans la même tranchée. — Assez rarement il est nécessaire de herser. — Immédiatement avant le mom’ent des semailles, on hâle la terre, c’est-à-dire que, pour détruire les mauvaises herbes et pour ameublir la surface sans favoriser l’évaporalion de la masse inférieure, on détranche, toujours à la houe, à environ 2 po. (0m054). Le résultat de cette opération, lorsque la saison se comporte favorablement, est de procurer un guéret qui se répandra bientôt après sur la semence finement comme de la cendre.

Dans le département de l’Aisne, on suit à peu près partout le même assolement triennal, qui consiste à faire succéder le lin au chanvre et le blé au lin. Les cultivateurs fument pour le chanvre, retournent la terre après la récolte, l’ameublissent dans les premiers jours du printemps suivant par quelques hersages et roulages, sèment immédiatement le lin sans nouvelle fumure, et emblavent ensuite un froment qui vient très-bien après cette plante.

Quand la terre a été suffisamment ameublie, il faut encore parfois lui donner une dernière façon avant de lui confier la semence. C’est ainsi que dans les contrées septentrionales, sur les fonds qui seraient disposés à retenir l’eau outre mesure, on sépare les planches par de petits fossés d’écoulement, d’une largeur et d’une profondeur calculées d’après les besoins locaux. En Nort-Hollande, on donne à ces sortes de planches de 30 à 60 pieds (10 à 20 mètres) de large. Les fossés ont un peu plus d’un mètre de profondeur sur un pied et demi (0m487) de largeur. J’ai retrouvé une disposition analogue non loin d’Anvers ; mais, en général, en Belgique et mieux encore en France, à moins de cas particuliers, au lieu de donner au sol les moyens de s’égoutter, on cherche au contraire à lui faire conserver l’humidité nécessaire, et pour cela on le laboure uniformément à plat, ou en planches largesdont les côtés sont à peine indiqués par de légers sillons d’écoulement.

§ III. — Des engrais.

Si on semait le lin sur une terre nouvellement couverte de fumiers de litière, quel que soin qu’on eût pris de les répartir également, il en résulterait nécessairement une inégalité de végétation plus préjudiciable pour cette plante que pour toute autre ; tandis qu’un certain nombre de pieds prendraient le dessus et se lamifieraient de bonne heure, parce qu’ils auraient trop d’air, les autres seraient étouffés, et la récolte perdrait ainsi sa plus grande valeur. En général, c’est donc sur la culture préparatoire à celle du lin, qu’on répand les engrais, en assez grande quantité pour que cette culture n’en enlève qu’une partie, mais de manière que, l’année suivante, ce qui en reste soit complètement et également réparti dans la couche labourable.

Dans le département du Nord, cependant, non seulement on fume le trèfle ou le blé auquel ou veut faire suocéder le lin, à raison de 30 à 36 voitures de bon fumier et on y ajoute assez communément une dizaine de voitures de cendres de tourbe par hectare ; mais on emploie en quelques lieux une quantité de fumier à peu près égale pour le lin lui-même. En pareil cas on a soin de répandre et d’enterrer l’engrais avant l’hiver, afin qu’il se consomme, qu’il se divise par les labours subséquens, et que son action soit uniforme autant que possible.

Aux environs du Mans, M. Vétillart a adopté une méthode analogue ; en effet, vers le mois d’août ou de septembre, il donne un premier labour ; le mois suivant, il répand sur le terrain une quantité d’engrais double de celle que l’on mettrait pour le froment, et la fait enterrer par un second labour. — Sur les terres fortes il préfère le fumier de cheval, pour les terres légères celui de bœuf et de vache.

Toute espèce d’engrais convient au lin. Ceux en poudre sont d’autant plus avantageux que leur décomposition est uniforme et qu’on peut les répandre fort également. En Hollande et en Belgique on emploie assez souvent la poudrette ; je ne doute pas que l’on ne puisse obtenir un égal succès avec le noir animal en l’utilisant à propos, c’est-à-dire sur les terres d’une certaine consistance, naturellement plus froides que chaudes.

L’engrais liquide auquel les Flamands donnent le nom de purin et qui se compose de tourteaux oléagineux, piles et dissous dans l’urine des bestiaux, après qu’il a été étendu d’une grande quantité d’eau et qu’on l’a laissé fermenter plusieurs mois dans les citernes dont il a été parlé dans une autre partie de cet ouvrage, est un des meilleurs dont on puisse faire usage pour le lin. A la vérité il ne dispense pas absolument des autres fumures, mais il ajoute sans danger à leur énergie ; et comme on ne le répand que peu de jours avant le semis, il pénètre la terre d’une fraîcheur qui favorise la germination et qui active puissamment la première végétation des jeunes plantes.

§ IV. — De l’époque des semis et du choix de la graine.

Les lins d’hiver, semés dès les premiers jours de l’automne, ont moins à redouter l’effet des froids. — Les lins d’été se mettent en terre de la fin de mars à la première quinzaine de mai, vers le centre et le nord de la France. En semant trop tôt, on aurait à redouter les dernières gelées ; — en semant trop tard, on devrait craindre l’insuffisance des pluies, indispensables au développement de la végétation. Du reste, selon que se comportent les saisons, il peut arriver, sans qu’on puisse malheureusement le prévoir, qu’il y ait de l’avantage à semer plus tôt ou plus tard ; car la croissance du lin est rapide ; il ne prend que très-difficilement du développement en hauteur lorsque sa première pousse est maigre et coriace, et il cesse d’en prendre tout-à-fait aussitôt que la floraison commence, de sorte que les pluies ne lui sont vraiment indispensables que jusqu’à cette époque. Si elles viennent de bonne heure, les semis précoces réussissent ; si elles viennent plus tard, ils ne peuvent plus profifer, aussi bien que les semis tardifs, de leur heureuse influence.

Quelle que soit la variété dont on aura fait choix, on reconnaît la bonne qualité des graines à leur grosseur, à leur pesanteur relatives et à leur éclat luisant. — Si leur maturité n’était pas complète, elles seraient à la fois moins luisantes, moins pleines, conséquemment moins dures et d’une couleur brune nuancée de verdâtre.— Si elles avaient mûri prématurément sur des pieds d’une faible végétation, elles seraient plus petites que de coutume. — Quoique ces graines conservent assez longtemps leur propriété germinative, les plus fraîches doivent être préférées comme les meilleures.

Le soin que l’on met à obtenir de bonnes graines n’est pas d’une faible importance pour le résultat futur des cultures de lin. On assure que c’est en partie à une pareille précaution que les lins de Riga doivent leur haute stature, et je suis convaincu qu’on les verrait dégénérer moins vite si l’on jugeait à propos de la prendre ailleurs. Dans ces contrées, c’est-à-dire dans la Livonie, la Courlande et même l’Estonie et la Lithuanie, pour renouveler les semences de choix dont on fait usage sur chaque exploitation, on recherche les meilleures terres ; on les travaille plus soigneusement que d’autres ; on les fume davantage ; on sème moins dru, afin d’obtenir des plantes plus vigoureuses, et surtout on laisse mûrir complètement sur pied. — Cependant, à moins que la variété de Riga ne soit plus féconde là qu’en Belgique et en France, ce qui paraît peu probable, il faut consacrer à cette culture un espace considérable ; car on ne doit guère espérer de recoller plus de 2 ou 3 fois la semence, et un semblable semis ne peut produire ni autant, ni d’aussi bonne filasse qu’une culture ordinaire. — Les variétés françaises étant plus grainantes, le sacrifice serait moins grand, et le résultat probablement tout aussi assuré dans celles de nos terres qui conviennent le mieux au lin.

§ V. — Des divers modes de semis.

La méthode la plus ordinaire est de semer le lin à la volée sur un dernier hersage ou un roulage, et de l’enterrer à la herse ; mais cette méthode est loin d’être la plus parfaite.

En Maine-et-Loire, même pour les lins d’hiver, auxquels on accorde moins de soins qu’aux autres, à la herse on préfère un large râteau qui recouvre infiniment mieux la semence, encore juge-t-on nécessaire, quand on opère ainsi, de répandre une plus grande quantité de graines, parce qu’on suppose qu’une partie lèvera mal ou sera détruite par les oiseaux. — Pour les lins d’été, on les sème en quelque sorte sous raie de la manière suivante : quand on juge que la surface du terrain précédemment hâlé, c’est-à-dire labouré à une faible profondeur, est dans un état de division convenable, à l’aide de la houe dont j’ai déjà parlé, par un mouvement des bras en quelque sorte analogue à celui que fait un faucheur, le semeur ouvre sur l’un des côtés de la planche un sillon ou une tranchée profonde tout au plus d’un pouce (0m027), et large de 3 pi. 1/2 à 4 et 5 pi. (de 1 à près de 2 mètres), selon sa taille et la perfection qu’il cherche à apporter à l’opération. Le fond de cette tranchée se trouve ainsi plombé de la manière la plus régulière par le fer de l’instrument, et présente une surface parfaitement unie sur laquelle les graines reposent toutes à une même profondeur. Dès qu’elles y sont placées, on les recouvre de la terre enlevée de la tranchée suivante. Le grand art de l’ouvrier consiste à répandre cette terre également, ce qui devient d’autant plus difficile que, pour économiser le temps, on fait des sillons plus larges. — Un homme exercé à ce genre de travail, en ne rayonnant que d’environ 4 pi. (1m299), peut semer ainsi de 6 à 7 ares par jour.

La quantité de graines employée est d’un peu moins de 3 mesures de 4 au boisseau, par boisselée cadastrale de 15 15/100 à l’hectare, ou le boisseau comble de graines de lin équivalant au décalitre, d’environ 1 hectolitre par hectare. — Le décalitre pèse de 13 à 14 kilogrammes.— Cette quantité, bien suffisante d’après la méthode que je viens d’indiquer parce que toutes les graines sont mises dans une position également favorable à la germination, cesserait de l’être en des circonstances moins heureuses ; aussi, en résumant un assez grand nombre de documens pris dans la pratique, trouve-t-on que, suivant les diverses destinations des semis, la manière de les effectuer et le choix des variétés, elle s’élève communément jusqu’à 175, et même dans quelques cas au-delà de 250 kilog. lorsqu’on veut obtenir des lins très-fins. — Dans le but principal de récolter de belles graines, on ne doit pas semer, terme moyen, plus de 125 kilog. à l’hectare.

Pour les lins de Riga, M. Vétillart recommande d’employer de 150 à 160 livres de graines par arpent de la Mayenne, et de passer sur tout le semis un rouleau léger, traîné par deux hommes, ou une herse faite de branchages enlacés en manière de claie.

« Si l’on veut semer des carottes ou du trèfle dans le lin, ajoute-t-il, on attend huit jours après le semis du lin ; on choisit une belle journée, et on passe sur le terrain ensemencé une herse très-légère de branchages ou d’épines, et qui ne fait qu’égratigner un peu la surface au sol : on sème alors la graine de trèfle ou de carotte sans la recouvrir. La quantité de ces graines dépend de la nature du sol ; dans les terres bien amendées et bien cultivées, en Belgique, on sème 10 livres de trèfle par arpent, ou 2 livres et demie de carottes. Cette pratique a souvent des inconvéniens : dans une année humide le trèfle pousse trop vile et fait pourrir le pied du lin. C’est pour éviter en partie cet inconvénient qu’on sème le trèfle huit jours après le lin, pour que celui-ci ait le temps de lever le premier et de prendre le dessus.»

§ VI. — De la culture d’entretien.

La culture qui suit le semis et précède la récolte est parfois nulle pour le lin ; — souvent elle se borne à des sarclages que les bons cultivateurs ont soin de répéter, au besoin, plusieurs fois. — Mais, dans les pays où les lins s’élèvent à une grande hauteur, on est obligé de les ramer, et cette opération, dans quelques lieux, commence immédiatement après les semailles. — On répand sur la surface du terrain des rameaux de bruyère qui ont le double avantage d’empêcher le sol d’être battu par les pluies, et de soutenir les jeunes plantes contre les vents qui pourraient les coucher pendant leur première croissance ; plus tard on ajoute des piquets de distance en distance, et on attache des uns aux autres des perches, ou des branches d’arbres, à environ 1/3 de mètre de hauteur. Ce travail, qui nécessite de grands frais, est regardé comme à peu près indispensable dans presque tout le Nord.

Le plus grand obstacle à la culture du lin, dans la majeure partie de la France, c’est la sécheresse du printemps. Sur un sol susceptible d’être arrosé par submersion ou par infiltration, on pourrait regarder presque toutes les récoltes de lins de mars comme bien mieux assurées. — La cuscute (Cuscuta minor), en frappant de mort tout ce qu’elle enlace dans ses longs filamens, occasione cependant aussi de grands dommages, si on n’a le soin de la détruire aussitôt qu’elle parait ; — et, parmi les insectes, le ver blanc n’est pas moins redoutable. J’ai vu des linières et des chenevières presque décimées par lui, sans que le cultivateur pût y apporter le moindre remède. Espérons que les circonstances atmosphériques mettront bientôt un terme à l’extension toujours croissante d’un tel fléau. — Resteront encore à craindre les effets de la grêle qui, en coupant la filasse, empêche de tirer parti même des plus beaux lins.

§ VII. — De la récolte.

Si on ne visait qu'à la récolte des graines, on aurait grand soin de les laisser mûrir complètement sur pied, mais alors la filasse serait de moins bonne qualité. En acquérant de la force, elle perdrait de son moelleux. Il faut donc choisir avec discernement le moment où les liges prennent une teinte jaune dorée, et où les semences, brunissant dans la plupart des capsules, sont déjà mûres complètement dans celles qui ont paru les premières.

On arrache le lin par poignées ; — on en forme des bottes d’environ 1/3 de mètre de circonférence ; — on le laisse ainsi sécher quelques jours, et on en forme ensuite une espèce de muraille, en posant alternalivement chaque botte en sens inverse, c’est-à-dire, la graine ou les racines en dehors. — Quelque temps après, on procède au battage.

En Flandre, on enlève les têtes à l’aide d’un peigne d’un pied (0m 325) de long à 2 ou 3 rangs de dents de fer, et qui peut se fixer sur un chevalet. L’ouvrier prend une poignée de lin du côté des racines, il en fait pénétrer les liges entre les dents et les retire ensuite vers lui juscju’à ce que toutes les graines soient tombées. Il ne reste plus qu’à les battre sur des draps et à les vanner. — En d’autres endroits on bat, sans séparer la graine de la tige, au moyen d’un battoir ordinaire et d’un billot sur lequel repose la partie grenue de la poignée ou de la botte de lin. — La diversité qui existe à cet égard dans la pratique me paraît de peu d’importance.

§ VIII. — Des frais de culture et de produits.

L’un des livres de cet ouvrage étant destiné à faire connaître, avec tous les développemens que comporte cet important sujet, les divers arts agricoles parmi lesquels le rouissage tient nécessairement une place, je n’aurai à m’occuper ici que des frais de culture et des produits bruts du lin. Cependant, c’est ordinairement le cultivateur lui-même qui le fait rouir, qui le broie, le teille et le livre au commerce sous forme de filasse, et cette industrie, qui exige peu d’autres frais que ceux de la main-d’œuvre, et qui a l’avantage, le rouissage à l’eau excepté, d’occuper tous les bras de la famille, même ceux des femmes et des enfans, grâce à un surcroît d’activité dans la ferme, ajoute nécessairement beaucoup au bénéfice de la récolte.

En cherchant à indiquer le rapport qui existe entre les dépenses et les produits de cette culture, je ne me dissimule pas que l’estimation approximative que j’en ferai pour quelques localités seulement, n’est pas applicable à toutes les autres, et, qu’à ne considérer même que les contrées qui me sont le mieux connues, je courrais risque d’induire le lecteur en une grave erreur, si je ne le prévenais d’avance que nulle récolle n’est peut-être plus variable, selon les années, dans ses résultats, que celle du lin. J’espère néanmoins que ce qui suit pourra être utilement consulté par les personnes qui voudraient se livrer à des essais sur cette culture dans les lieux où elle n’est pas encore pratiquée.

Si on n’avait en vue que la quantité, la grosseur, et par conséquent la qualité oléagineuse des graines, il serait souvent avantageux de préférer le lin d’hiver à celui d’été. — Plus robuste que ce dernier, il craint peu les gelées ordinaires du Sud et du Sud-Ouest de la France dans les terrains qui ne sont pas sujets au déchaussement ; — il donne encore quelques produits alors que les sécheresses précoces détruisent presque entièrement les autres ; — il mûrit communément de la fin de juin à la mi-juillet, ordinairement une quinzaine de jours plus tôt que le lin d’été ; — enfin, et c’est son plus grand avantage, il s’accommode de terrains moins riches ; mais, d’un autre côté, il donne, comparativement, une filasse de qualité bien inférieure.

A tout calculer, dans les années médiocres, en labourant d’une manière aussi dispendieuse qu’on le fait dans la plus grande partie du Maine et de la Bretagne, à peine peut-on compter que la culture du lin d’hiver donne un bénéfice.

Rente d’un hectare au prix de 4 fr. 50 c. la boisselée 
 68 f. 25 c.
Labour et hersage, quatre journées et demie de 6 bœufs, d’un garçon de charrue et d’un toucheur 
 47    75

Façon à la houe ; une boisselée environ par jour, à 1 f. 25 c. la journée, pour un hectare 
 18    75
Un hectolitre deux décalitres de graines, au prix moyen de 40 f. l’hectolitre 
 48      »
Semis à la volée en repassant trois fois sur le même terrain ; — râtelage au râteau de 10 dents de fer pour recouvrir la semence, et de plus, pour relever à la pelle la terre qui tombe dans les raies de séparation et la rejeter également sur les billons, 7 journées environ à 1 f. 25 c. 
 8    75
Récolte, battage, etc., 25 journ. 
 31    25
Un tiers au moins du compost de l’année précédente à raison de 1 charretée et demie ou de 15 charges, à 60 c. la charge par boisselée, ce qui fait un peu plus de 135 fr. pour l’hectare, ci 
 45      »

Total des frais 
 267    75

Dans une année médiocre, on ne peut guère compter sur une récolte de plus de 12 douzaines de poignées par boisselée cadastrale. — 6 douzaines font une grosse ; ainsi on obtient deux grosses par boisselée, ou environ 30 grosses par hectare — La grosse ne pèse pas dans ce cas plus d’un poids 1/2 ou 19 livres 1/2 ; elle vaut en lin brut, non dépouillé de sa graine, environ 10 fr.

Produit 
 300 f.   » c.
Frais 
 267    75

Bénéfice 
 32    25

En diminuant le nombre d’animaux de labour, en semant sur un simple hersage comme on le fait ailleurs, et en enterrant le semis à la herse de branchages, on obtiendrait sur les frais une diminution sensible.

Dans les bonnes années, non seulement au lieu de 12 douzaines par boisselée on récolte jusqu’à 18 douzaines, mais la grosse donne plus de filasse en poids. — On trouve alors les résultats suivans :

45 grosses par hectare, à environ 11 fr., égalent en produit 
 495 f.   » c.
Frais 
 267    75

Bénéfice 
 227    25

Pour les lins d’été cultivés dans les îles et vallées de la Loire, l’évaluation est quelquefois fort différente.

Rente d’un hectare au prix de 10 fr. la boisselée 
 200 f.   » c.
Labour dit en plein rang, de 10 à 12 p. (0m271 à 0m325), 5 journées, terme moyen, par boisselée (un peu moins quand le sol est doux et propre, un peu plus quand il est rude ou sali de mauvaises herbes) ; ou 75 journées pour 1 hectare, à 1 f. 25 c la journée 
 93    75
Hâlage et râtelage de la terre avant le semis, une journée par boisselée 
 18    75
Un hectolitre environ de semences 
 80      »
Semis, une journée par boisselée 
 18    75
Sarclage, 2 journées par boisselée 
 37    50
Arrachage et mise en tas nommées mouches, idem 
 37    50
Battage et vannage, une journée par boisselée 
 18    75
Engrais à 50 c. la charge (on n’emploie pas de chaux), pour le tiers, un peu plus de 
 37      »

Total des frais 
 542      »
Dans une année moyenne, la boisselée donne environ 14 douzaines ou 2 grosses 1/3 à l’hectare, par conséquent elle produit 35 grosses du prix de 15 f. chacune, ou 
 525 f.   » c.
35 décalitres de grains à 7 f. 
 245      »

Produit 
 770      »
Frais 
 542      »

Bénéfice 
 228      »

La graine valait en 1834 8 à 9 f. Soit 8, le bénéfice se trouverait ainsi porté à 290 fr.

Dans les bonnes années, on peut compter 45 grosses à 17 f. ou 
 765 f.   » c.
45 décalitres de grains à 7 f. 
 315      »

Produit 
 1080      »
Frais 
 542      »

Bénéfice 
 538      »

Ce calcul n’est point exagéré. Toutes les terres de la vallée ne sont même pas affermées au taux que j’ai indiqué comme terme moyen ; et le prix de la graine, que la fraude a fait baisser sur le marché, s’est au contraire élevé chez les fermiers, auxquels on s’adresse en confiance, jusqu’à 10 f. et plus ; et pourtant les printemps sont si rarement favorables, elles récoltes nulles ou presque nulles sont devenues si fréquentes depuis un certain nombre d’années, que la culture du lin perd annuellement de son importance, tandis que celle des chanvres, qui exige des pluies moins fréquentes, s’étend dans les mêmes proportions.

Les lins d’été, récoltés ailleurs que dans la vallée, ont une valeur moindre de 3 à 4 f. par grosse. Leur graine s’est élevée par extraordinaire, l’année précédente, jusqu’à 6 f. le décalitre.

Depuis une vingtaine d’années, la culture des lins s’est propagée dans le département de l’Aisne. Là, d’après M. André, qui a publié sur la culture, le travail des lins et la fabrication des toiles, un Mémoire assez étendu dans le n° d’avril 1832 des Annales de l’Agriculture française, dans la crainte de ne pas réussir, beaucoup de cultivateurs n’ensemencent point eux-mêmes la terre destinée à porter le lin ; ils la louent. D’un autre côté, les personnes qui s’occupent du teillage (les liniers exploitans) traitent rarement avec les cultivateurs ; ne faisant valoir que le produit de quelques arpens qui exigent souvent l’emploi de la majeure partie de leur avoir, le manque de récolte leur ferait un tort trop considérable et d’autant plus sensible qu’ils n’auraient aucun moyen de subvenir à leurs besoins pendant l’année. Cet état de choses nécessite l’intervention d’un spéculateur désigné sous le nom de linier locataire. Le cultivateur traite avec le linier locataire, à raison de 150 fr. par an pour un arpent du pays (environ 1/2 hectare), ci : 150 f.   » c.

dépenses.
Redevances et impôts 
 20 f.   » c.
Labour, hersage, roulage 
 25      »
Engrais, 2 cinquièmes d’un assolement 
 30      »
Frais de maison du cultivateur 
 10      »

Total 
 85      »

Bénéfice net 
 65      »

Les liniers locataires fournissent la graine, font ou font faire l’ensemencement, se chargent du sarclage et vendent la récolte aux liniers exploitans, lorsqu’elle arrive à maturité, à raison de 250 f. par arpent, ci : 250 fr.

dépenses.
Location 
 150 f.   » c.
Graine, 1 hectolitre 1/4 et semage. (La graine de Riga vaut 50 f. l’hectolitre ; celle qu’elle produit ne se vend plus que 36 f., et il s’établit ainsi une diminution progressive en rapport avec le nombre d’années d’importation, de manière qu’après 4 ou 5 ans, la graine ne vaut plus que 15 f.) 
 38      »
Etaupinage 
 2    50
Sarclage 
 7      »
Démarches et pour-boire que nécessitent la location, l’ensemencement, le sarclage et la vente 
 7      »

204 fr. 50 c.

Le linier locataire a donc par arpent un bénéfice brut de 
 45    50

D’après ce rapide extrait, on voit que la graine de Riga est de beaucoup préférée à celle du pays dans le département de l’Aisne. Dans celui de la Sarthe, depuis les importantes expériences de M. Vétillart, il en est de même. En 1814, cet habile industriel fit venir de Russie plusieurs barils de cette graine, qu’il répartit entre les meilleurs cultivateurs de ses environs. « Avant cette époque, dit-il, la récolte était si peu assurée que l’on comptait à peine une bonne année sur cinq, et quelquefois la récolte manquait totalement… La réussite de la graine de Riga a été telle que nos lins, qui ne s’élevaient qu’à 18 pouces, se sont élevés jusqu’à 3 et 4 pieds. Outre cette grande amélioration en quantité, le lin a beaucoup augmenté en qualité ; ces deux avantagesontétésuivisd’un troisième non moins précieux ; les graines venant d’un pays froid nous ont donné une plante beaucoup plus robuste et moins sensible aux intempéries du printemps, ce qui a assuré nos récoltes pour tous les ans, plus ou moins abondantes à la vérité, mais toujours capables de dédommager le cultivateur de ses frais.»

Un journal de deux tiers à l’arpent produit, en lin du pays, 400 livres de graines, qui valent 30 f. le 100, ci 
 120 f.   » c.
500 livres de lin broyé, qui vaut 12 sols la livre, ou 60 f. le cent 
 300      »

Total brut d’un journal de lin du pays 
 420      »

Un journal de lin de Riga produit 400 livres de graines à 40 f. le cent 
 160      »
700 livres de lin broyé à 85 f. 
 595      »

Total brut d’un journal de lin de Riga [1]
 755      »
En portant pour le soin que ce lin exige de plus que le lin du pays, et pour l’achat de la grame dont le prix est plus élevé, une somme de 55 f., il restera 
 700 f.   » c.
Le lin du pays ne donnant que 
 420      »

La différence en faveur du lin de Riga est de 
 280      »

Afin d’éviter en partie le surcroît de dépense dont parle M. Vétillart, un excellent agriculteur des Ponts-de-Cé, M. Bouton-l’Evèque, a cherché à cultiver le lin de Riga sans le ramer. — Pendant cinq ans ilfit,àcetégard, des essais qui le convainquirent que la grame venant directement de Riga ne peut soutenir, dans la vallée de la Loire, la concurrence avec celle de Chalonne. Mais il n’en fut pas de même de la graine de Flandre ; celle-là réussit beaucoup mieux, puisque M. Bouton put vendre, après quelques années, sa récolte sur pied un tiers plus cher que ses voisins. — D’après lui,le lin de Flandre convient dans presque tous les terrains, et vient partout beaucoup mieux que celui de Chalonne. Dans les terres brûlantes, où ce dernier peut à peine végéter, il vient à 30 ou 32 po. (0m812, ou 0m866). Dans les terres fortes et fertiles, où le lin vient ordinairement très tendre, et se couche à la moindre pluie, il parvient à la plus haute taille, donne une forte filasse ; sa tige, peu chargée de graines, ne se couche pas.

Depuis les premiers essais de M. Bouton-l’Evèque, c’est-à-dire depuis 1827, le lin de Flandre gagne de proche en proche du terrain aux environs des Ponts-de-Cé, où il réussit généralement. Plusieurs fermiers ont aussi cherché à l’introduire dans l’île de Chalonne ; deux des miens, entre autres, ont répété, l’un pendant deux ans, l’autre pendant trois années consécutives, des expériences qui n’ont malheureusement pas répondu à mon attente. Chez tous, cette variété de lin est restée très-peu féconde, inconvénient fort grave dans la localité, et elle a végété, malgré la bonne culture, avec une telle u’régularité qu’on n’a pu en retirer que de mauvais produits. Toutefois, je suis loin de croire que ce non-succès sur un point soit de nature à empêcher de nouvelles expériences. Les saisons ont été peu favorables, et je crois en avoir d’ailleurs assez dit dans le cours de cet article, pour faire voir combien les essais sont nécessaires en pareille matière, et combien le changement de localité peut apporter de différence dans les résultats.

Oscar Leclerc-Thouin.
Section ii. — Du chanvre et de sa culture.

Le Chanvre (Cannabis sativa, en anglais Hemp, en allemand Hanf, en italien Canapa, en espagnol Canomo) (fig. 13) est une des conquêtes les plus utiles que nous ayons faites sur le règne végétal. Cette plante se cultive pour sa filasse, dont on fabrique les cordes et cordages et les trois quarts des toiles employées dans l’économie domestique et dans les arts ; on la cultive aussi pour l’huile contenue dans les graines que portent les pieds femelles, cette plante étant dioïque ou ayant les deux sexes sur des individus différens.

Fig. 13.

§ Ier. — Usages du chanvre.

Outre ses usages dans la lingerie, le chanvre trouve encore un débouché bien plus considérable dans la corderie et la marine. Aucune plante textile ne peut jusqu’à présent l’y remplacer pour la voilure et les cordages.

On extrait de ses graines une huile employée à la peinture, à l’éclairage, à la fabrication du savon, et propre à beaucoup d’autres usages. On en nourrit aussi les oiseaux de basse-cour et de volière. Elle rend la ponte des poules plus hâtive et plus abondante. On réduit le marc des huiles en tourteaux, dont les animaux domestiques sont avides.

§ II. — Terrain convenable.

La culture du chanvre intéresse tous les pays maritimes, et plus particulièrement, en France, la Bretagne où elle réussit très-bien ; en effet, elle y est favorisée : 1° par un climat humide et tempéré, dont la latitude correspond à celle de l’Ukraine, qui fournit au commerce de Riga des chanvres si renommés par leur souplesse, leur élasticité et leur longueur ; 2° par le sol de ses vallées et de ses plaines, formées d’une argile mêlée de sable, recouverte d’une forte couche d’humus, et où la plante est protégée contre la violence des vents par l’abri excellent des collines, ainsi que par des haies et des berges garnies d’arbres ; 3° par le bas prix de la main-d’œuvre ; 4° par l’immense consommation de voiles, cordages et filets, que font dans cette contrée, sur une étendue de près de 140 lieues de côtes, les grands et les petits établissemens de la marine.

Le chanvre demande une terre humide, forte, argileuse, recouverte d’une couche d’humus très-épaisse, ameublie par de profonds et fréquens labours, fumée par des engrais substantiels et abondans. Lorsque toutes ces conditions se trouvent réunies, on peut le cultiver à perpétuité sur le même sol, qu’il suffira de défoncer à la bêche et de fumer convenablement. Ceci ne forme pas précisément une exception à la règle de l’assolement alternatif, puisque le sol est entièrement et complètement régénéré par l’abondance de l’engrais ; et, dans beaucoup de pays, où la culture du chanvre, quoique florissante et étendue, est cependant morcelée comme le sont en plaine les héritages, il n’en peut pas être autrement, chaque petit propriétaire n’ayant que le même terrain à consacrer à la même culture, et le couvrant de chanvre chaque année sans jamais y intercaler aucune autre semence.

Si le terrain est trop humide, on facilite l’absorption des eaux par une addition de sable et par des labours profonds ; on l’amende avec du fumier peu ou point fermenté, provenant des fientes de porcs, de brebis, de chevaux, avec des composts de gazon et de chaux, avec des matières fécales ; pour donner de la compacité et de la fraîcheur à un sol calcaire ou sablonneux, on emploie des fumiers très-fermentés et consommés, composés de feuilles et de fientes de bêtes à cornes, de boues d’étangs, de substances végétales et animales très-putréfiées, de muriate de soude et de plantes marines.

Dans les terres fertiles du Bolonais, on fait entrer le chanvre dans les rotations de culture et on le fait alterner avec le blé, parce qu’une partie de l’engrais donné au chanvre sert encore pour le grain. On laboure le champ en juillet, et, en septembre, on le fume avec des débris de laine, des plumes, des cornes, des rognures de peaux et d’autres substances animales qu’on recouvre par un second labour ; on pourrait encore enfouir des lupins ou des fèves. En novembre, on donne une troisième façon, et l’on dispose le champ en planches de 2 mètres environ, divisées par un sillon profond. Au printemps on répand encore sur le champ un engrais bien consommé, tel que de la poudrette ou des chrysalides de vers-à-soie ; on sème ensuite le chanvre que l’on enterre immédiatement avec le soc, après quoi on égalise le terrain avec une herse de fer. On sème dru, si l’on veut un fil fin. On sarcle quand la planche a cinq doigts de haut. Si elle est exposée à souffrir de la sécheresse, on arrose le champ par irrigation.

Dans les parties de la Bretagne où la culture du chanvre est le plus florissante, on donne généralement trois labours. Le premier est retardé jusqu’en février, mais il serait mieux placé à la fin de l’automne ; la terre, exposée tout l’hiver aux influences de l’air, s’ameublit, s’imprègne des gaz atmosphériques, et reçoit de l’action alternative des météores aqueux une plus grande force de végétation. — Thouin et Bosc recommandent de donner ce labour en octobre ou en novembre. Ces agronomes veulent aussi qu’on répande les fumiers avant le premier labour. En Bretagne, on le répand à la mi-avril, au moment du second labour qui sert à l’enfouir, à raison de 25 et 30 charretées de la force de deux bons chevaux chacune, par hectare. On brise les mottes, soit à la houe, soit à la herse, et, du 1er au 10 mai, on donne le dernier labour, sur lequel on sème par Elanches de 4 pieds de largeur, après avoir bien ameubli et régalé la terre.

§ III. — Espèces et variétés.

L’espèce commune est une plante annuelle, herbacée, dioïque, de la famille des urticées. Les fleurs sont paniculées, axillaires et terminales dans le chanvre mâle. Le calice a cinq divisions et porte cinq étamines dont les filamens sont courts et les anthères oblongues. — Dans le chanvre femelle, les fleurs sont axillaires et sessiles. Leur calice alongé, étendu seulement sur le côté, couronne un ovaire portant deux styles avec leurs stigmates. Une petite capsule arrondie à deux valves renferme une petite graine d’abord blanche, et qui brunit en vieillissant.

On a obtenu, en Italie, une variété appelée Chanvre de Bologne ou Chanvre de Piémont, qui s’élève quelquefois dans les bons terrains jusqu’à 10 pieds ; elle donne généralement peu de graines et de médiocre qualité ; son exportation est défendue. M. Catros en avait essayé la culture dans la pépinière royale de Valence en 1789, et elle avait été presque aussitôt oubliée. Mais, en 1829, M. Cazenavette a rappelé l’attention de la Société linnéenne de Bordeaux sur cette variété, que la Société a nommée Chanvre gigantesque (Cannabis saliva gigantea), et if lui en remit deux livres de grames qu’il était parvenu à se procurer, et qui furent distribuées aux cultivateurs. Depuis cette époque, de nombreux essais ont réussi et démontré les avantages de l’introduction de ce chanvre. En 1803, M. de Matha, de Blanquefort (Gironde), a obtenu les résultats suivans d’un semis comparatif : le chanvre du Piémont a levé 15 jours plus tard, quoique semé en même temps, et sa maturité a aussi été plus tardive de 15 jours ; il s’est élevé de deux pieds plus haut que l’autre et a donné une filasse qui n’a pas paru inférieure. L’Ami des champs de Bordeaux a annoncé en 1834 que, dans des terrains de landes et d’assez mauvaise qualité, cette plante s’était élevée à 7, 9, 11 et même 13 pieds de hauteur ; que ce chanvre demande une terre légère et sablonneuse ; qu’il s’accommode très-bien du sol des landes de Bordeaux ; enfin, que, cultivé sur une terre qui n’a reçu aucun engrais, il y devient aussi beau que le chanvre ordinaire.

§ IV. — Semis : préparation.

L’époque des semailles varie en France, du 15 mars au 1er juin, et, en général, on peut semer immédiatement après les premières gelées que le chanvre redoute beaucoup. La graine est recouverte très-légèrement avec des râteaux ou une herse garnie d’épines. Il est à propos de répandre sur le semis des débris de chénevotte, de la fougère, de la vieille paille, qui tiennent la surface de la terre fraîche et meuble, en protégeant le jeune plant. On répand aussi des composts de boues bien consommées, mais c’est une addition d’engrais qui ne remplit pas aussi bien le but qu’on se propose.

Le choix de la semence est toujours une condition de la bonté des récoltes ; il influe particulièrement et d’une manière remarquable sur celle du chanvre. — En Bretagne, on n’y apporte aucune attention ; aussi les plus belles liges y dépassent-elles rarement 6 pi. En Alsace elles atteignent communément 8 pi. Elles sont beaucoup plus élevées en Italie, où l’on est parvenu, à foree de soins, à créer la nouvelle variété dont il a été parlé plus haut.

Lorsqu’on veut avoir de la graine de qualité supérieure, on sème plus clair, environ 5 hectolitres par hectare, et on arrache ensuite les plants les plus faibles, de manière à ce que ceux qui restent soient espacés entre eux de 8 à 10 pouces et plus. Les tiges grossissent davantage, étant mieux exposées au soleil ; elles deviennent rameuses et portent plus de graines, mais elles ne peuvent donner qu’une filasse propre à être employée dans la corderie. Il y a des cultures spéciales pour cet objet. La graine de la dernière récolte étant la seule qui puisse germer, on ne conserve que la quantité nécessaire aux semailles de l’année ; il faut aussi que la graine soit changée souvent ; autrement elle dégénère. La bonne graine doit être nette, d’un grain foncé, luisante, pesante et bien nourrie. — Plusieurs de nos départemens en fournissent de très-bonne, sans qu’il soit nécessaire de la tirer du Piémont ou de Riga.

Quantité de semence nécessaire. Ordinairement il en faut 8 hectol. par hectare ; on sème plus épais et plus tard dans les terres légères et sablonneuses que dans les terres humides et fortes ; on sème aussi beaucoup plus épais (environ 12 hectol. par hectare) lorsqu’on veut obtenir une filasse blonde, bien douce, facile à teiller et à filer, avec laquelle on fabrique ces belles toiles de ménage, qui pour la force et la durée sont si supérieures aux toiles de lin. On voit donc que la quantité de la semence dépend de l’emploi auquel on destine le chanvre, et de la nature du terrain auquel on le confie.

§ V. — Soins d’entretien.

Il faut biner et sarcler le plant deux fois, et arroser même si la sécheresse était trop prolongée. Quand on a semé très-dru, le sarclage et le binage sont inutiles, parce que la plante croissant rapidement, ses feuilles ont ientôt recouvert la surface du sol et étouffé les herbes parasites ; mais alors les labours doivent être plus profonds, parce que les tiges étant très-rapprochées, les racines ne peuvent s’étendre latéralement ; il faut donc, pour se bien nourrir, qu’elles trouvent à pénétrer une couche épaisse de terre végétale. Lorsque le plant est modérément espacé, il donne d’autant plus de filasse, dont la ténacité est d’autant plus grande, qu’il a acquis plus complètement sa croissance à l’air libre. Sa graine mûrit mieux et est infiniment plus abondante.

§ VI. — Maladies et remèdes ; plantes et animaux nuisibles, moyens d’en préserver.

Quelque bien couverte qu’ait été la graine, il ne faut pas la perdre de vue jusqu’à ce qu’elle soit entièrement levée ; car les oiseaux, et les pigeons surtout, en sont extrêmement friands. Il faut les en écarter souvent, soit par le bruit de quelques coups de fusil, soit par des mannequins de paille ; il est bon de veiller aussi sur les campagnols, les mulots et autres quadrupèdes rongeurs.

Deux plantes parasites font encore beaucoup de tort aux chenevières ; ce sont la cuscute et l’orobanche ; on ne peut les détruire qu’en les arrachant avant leur floraison ; et, pour le faire, il ne faut pas craindre d’arracher un peu de chanvre ; car cette perte est un gain pour l’année suivante.

Aucun insecte n’attaque le chanvre, mais une chenille vit dans l’intérieur de sa lige et le fait souvent périr.

§ VII. — De la récolte.

Pour récolter le chanvre, il faut saisir l’instant de sa maturité. Si on tarde trop, il pourritou devient ligneux, et,dans les deux cas, il est impropre à la filature et au tissage. Si on se hâte de l’arracher, on n’obtient qu’une filasse dont les fils ont peu de résistance, et la toile qu’on en fabrique s’use promptement.

L’époque de la maturité est différente pour les deux sexes. Le chanvre mâle est mùr lorsque son pollen est dissipé et que ses sommités jaunissent. On l’arrache, en Bretagne, vers la mi-juillet. Il faut cent dix ouvriers pour cette opération sur l’étendue d’un hectare. Ils ont l’attention de marcher dans les allées qui séparent les planches, afin de ménager le chanvre femelle, qui n’est mûr qu’environ 6 semaines après le mâle. On l’arrache, en septembre, lorsque ses feuilles jaunissent et tombent, que ses sommités se fanent et s’inclinent, et que la graine commence à brunir. Soixante ouvriers suffisent pour ce travail sur un hectare. On a conseillé de scier avec la faucille, ce qui occasionerait moins de frais.

Au fur et à mesure qu’on arrache le chanvre, soit mâle, soit femelle, on le lie en petites bottes que l’on dresse en faisceaux. Le mâle reste 3 ou 4 jours exposé au soleil ; la femelle y demeure plus long-temps, parce que la graine achève ainsi de mûrir. Il faut veiller à ce qu’elle ne soit pas dévorée par les oiseaux qui en sont très-friands. S’il pleut, les faisceaux doivent être déplacés et retournés pour les faire sécher.

Pour extraire la graine, on frappe avec des battoirs sur les têtes des bottes, ou bien on les passe sur un gros peigne ou seran en fer qui arrache les sommités, qu’on pourrait même couper, ainsi que les racines, sous un hache-paille. Ensuite les graines, enveloppées de leur calice et mêlées avec des feuilles, etc., sont exposées au soleil et vannées ou criblées comme le blé. On les porte au grenier, pour y être étendues par couches très-minces, et régulièrement remuées, de crainte qu’elles ne s’échauffent. On sait que toutes les graines oléagineuses sont de difficile conservation, et qu’elles perdent promptement, en s’échauffant, leur faculté germinative. Il faut aussi veiller aux souris. La bonne conservation des graines demande une extrême attention ; quand elles sont bien sèches, on peut, au bout d’un mois, les mettre dans des sacs ou dans des tonneaux défoncés par un bout.

Il est assez difficile de déterminer exactement le moment le plus convenable pour l’extraction de l’huile, à cause des différens degrés de maturité des graines, provenant d’une même récolte. Si on les porte trop tôt au moulin, on a moins d’huile ; trop tard, il y a beaucoup de graine rancie qui altère la bonne qualité de fhuile. 2 à 3 mois sont un bon terme moyen.

§ VIII. — Du rouissage.

Le rouissage a pour objet de dissoudre une gomme résine qui maintient l’adhérence des fibres de l’écorce entre elles et à la partie ligneuse de la plante, s’oppose à leur subdivision en fibrilles plus ténues, ainsi qu’à la blancheur et à la durée des tissus. Elle est généralement dans la proportion de 5 à 148, puisque 148 livres de chanvre ne pèsent plus que 143 livres après le rouissage ; mais cette proportion varie en raison de l’état de siccité où se trouve le chanvre lorsqu’on le dépose dans les routoirs.

Le chanvre qui est roui le plus promptement donne une meilleure filasse, des fils plus élastiques, plus forts, plus durables. Donc, moins le chanvre a macéré dans l’eau, mieux il vaut ; donc, plus le mode de rouissage s’éloigne de la fermentation, plus les fibres textiles conserveront de qualité. C’est sur cette théorie que sont fondées les tentatives que l’on a faites pour débarrasser l’écorce du chanvre de ses sucs concrets sans le secours de l’eau. De là les projets de broyes mécaniques. Mais des expériences suivies pendant longtemps ont fait conclure que si les procédés mécaniques détachaient bien réellement une partie des sucs concrets, il en restait de très-adhérens à la fibre qu’on ne pouvait détruire que par la macération. Quant aux procédés chimiques qu’on a proposés pour exécuter cette macération, quoiqu’on puisse dire que les recherches à cet égard ne sont pas épuisées, la dépense plus considérable que le rouissage ordinaire qui en résultait, les a fait rejeter ; il en a été de même de la macération dans l’eau chaude.

On submerge ordinairement le chanvre après que le soleil l’a séché quelques jours ; le mâle séjourne dans les routoirs de 8 à 12 jours, et la femelle 15 jours au moins, parce que l’endurcissement de sa tige, par une plus longue maturité, rend la dissolution de la gomme plus difficile. L’eau courante est préférable. Le chanvre mâle, cueilli à un degré de maturité convenable, peut y être complètement roui en cinq jours, la température de l’atmosphère étant à 20° Réaumur. Le plus important et le plus difficile est d’obtenir la dissolution de la gomme avant que les fibres soient endommagées par la macération.

Au sortir du routoir, on délie les boites et on les met sécher sur un pré. Si le vent est favorable, c’est l’affaire de 7 à 8 jours. Ensuite, on fie le chanvre par grosses bottes bien séchées qu’on entasse dans les granges.

On réserve pour l’hiver les préparations subséquentes dont il sera traité dans le livre des Arts agricoles. Elles consistent : 1° dans le teillage, opération dans laquelle, après avoir brisé l’extrémité de chaque tige, on enlève à la main, d’un bout à l’autre, l’écorce qui recouvre la partie ligneuse ou chenevotte : on ne le pratique que sur les chanvres fins ; 2° le broyage, qui brise parfaitement la chenevotte et dégage la filasse d’un reste de résine qu’elle contenait encore ; la filasse qui en résulte, pour être bien assouplie et dégagée de petites parties ligneuses très-adhérentes, a encore besoin d’être battue avec des espades ou pilée dans des mortiers ; 3° enfin le peignage, qui a pour objet de diviser les fibres et de séparer les diverses longueurs de brins.

§ IX. — Des frais et produits.

On a vu, par ces détails rapides, combien les frais sont multipliés et considérables ; les produits sont au contraire assez faibles, et il arrive souvent que les frais sont à peine remboursés avec un bénéfice suffisant par la vente des produits. Les calculs donnés dans la section précédente pour le lin, pourront servir jusqu’à un certain point pour la culture du chanvre. Cette petite industrie semble devoir être surtout dévolue, sous ce rapport, aux populations chez qui la main-d’œuvre est peu élevée, et qui peuvent, par conséquent, donner à très-bas prix le produit de leur travail. Elle serait susceptible, sans doute, d’améliorations que ce n’est pas ici le lieu de rechercher, mais qui méritent d’occuper les agronomes et les hommes d’état.

Cependant, lorsque le chanvre est converti en toile à voile par le premier producteur, sa culture donne deux fois plus de bénéfices qu’aucune autre qui soit connue. Elle a l’avantage de faire vivre un très-grand nombre d’ouvriers, et de les occuper dans les jours pluvieux et dans les longues soirées d’hiver durant lesquelles on peut renvoyer toutes les opérations qui suivent le rouissage.

Soulange Bodin.
Section iii. — Du Cotonnier, ses espèces et variétés, et sa culture.

Le Cotonnier (Gossypium ; en anglais, Cotton ; en allemand, Baumwollenstaude ; en italien, Cotone) (fig. 14) est une plante de la famille des Malvacées, à tiges ligneuses et à racines pivotantes. Elle croît spontanément dans les contrées les plus chaudes de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique. On est parvenu à l’acclimater en Europe, par degrés, à des latitudes dont la température, quoique assez chaude, n’égale pas celle de la zone torride. Le fruit de cette plante contient un duvet précieux qu’on appelle coton.

Fig. 14.

Le Cotonnier présente quelques espèces et un assez grand nombre de variétés qui sont souvent confondues entre elles par les botanistes. Linné admet 6 espèces de cotonniers ; Lamark, 8 ; Rohr, 29. Dans le nombre de ces dernières, Rohr pense que les espèces les plus avantageuses pour les planteurs américains peuvent être portées à six. Ce sont :

1° Le Cotonnier Yeard rounel ;
2° Le C. sorel rouge ;
3° Le C. de la Guyane ;
4° Le C. du Brésil ;
5° Le C. indien ;
6° Le C. siam blanc.

Notre but étant d’introduire le cotonnier en France ou dans la colonie d’Alger, nous croyons que les espèces les plus convenables pour ces contrées seraient les suivantes :

Le C. herbacé. Il est annuel en Europe, vivace en Afrique, et forme un arbrisseau qui s’élève à 1 pi. et demi ou 2 pi. de terre. Sa tige est, ligneuse et velue. Elle se partage en courts rameaux garnis de feuilles à 5 lobes arrondis vers leur milieu et pointus à leur extrémité. Ces feuilles ont sur le dos une glande verdâtre peu remarquable. Elles sont dures au toucher et soutenues par d’assez longs pétioles, au-dessous desquels se trouvent 2 stipules ordinairement lancéolés et un peu arqués. Les fleurs naissent dans les aisselles des feuilles, et toujours en plus grande quantité vers l’extrémité des branches. Le fruit de ce cotonnier est de la grosseur d’une noix, divisé en 4 compartimens couverts de valves, qui s’ouvrent lorsque le coton, qui y est renfermé, est parvenu à sa maturité.

Le C. de l’île Bourbon est une espèce précieuse, transportée de cette île aux îles Lucanes en Amérique. Ce coton, dit M. de Lasteyrie, ne redoute ni les vents, ni la pluie, ni le froid. Son fruit ne se détache jamais de ses rameaux qu’à sa parfaite maturité. Il a une croissance rapide et fructifie plutôt que les autres. Ses fruits mûrissent tous à peu près à la même époque : ses filamens sont d’une grande finesse, et son produit est double en quantité, quoique ses capsules soient extrêmement petites. Il s’élève peu. Lorsque ses capsules commencent à grossir, elles penchent vers la terre. Il exige le même terrain et la même culture que les autres. Il préfère cependant les bords de la mer.

Le C. de Géorgie à graines noires. Cette espèce est annuelle, ou demande au moins à être semée de nouveau chaque année. Son colon, connu dans le commerce sous le nom de coton de Géorgie, se vend en Angleterre à un prix double de celui des meilleures espèces à semences vertes. Il donne par acre, sur les bords de la mer, dans un terrain meuble et fertile, 200 à 210 livres de coton nettoyé.

Le C. bush cotton. Cette espèce est annuelle ; ses graines sont vertes, petites. Ce cotonnier s’élève d’1 à 2 pi. de terre tout au plus. C’est celui qui réussit le mieux vers le nord. Les fruits arrivent à maturité jusque sous le 40* degré de latitude en Amérique. Le climat du midi de la France lui conviendrait parfaitement. Son colon est d’une qualité inférieure et a des filamens très-courts.

Le C. santorin. Il vit plusieurs années, supporte les gelées de l’hiver, pourvu qu’on ait soin de couper sa tige rez-terre à l’entrée de cette saison.

Le C. d’Ivica, à tiges demi-frutescentes. Il est assez rustique, il supporte les gelées sèches et rapporte beaucoup. Sa récolte se lait communément en octobre.

Quoique les botanistes ne soient pas d’accord entre eux sur le nombre des espèces et des variétés du cotonnier, tous cependant distinguent les cotonniers en ligneux et en herbacés. Les premiers sont vivaces de leur nature, comme les arbres et les arbrisseaux ; les autres ne le sont qu’accidenlellemcnl, quand, semés dans un pays où les hivers sont doux, on les taille très-courts au printemps. A Malte, en Sicile et dans les lies de Lipari, le coton herbacé vit plusieurs années. Pour les espèces vivaces, le climat doit être celui où il ne gèle pas, ou du moins où il gèle si peu que ces espèces ne puissent en souffrir.

Ce climat favorisé du ciel existe à Alger, et c’est là où l’on pourrait se livrer sans crainte à la culture des espèces que nous venons d’indiquer.

Indépendamment de la colonie d’Alger, la France possède beaucoup de départemens où elle pourrait acclimater le Cotonnier herbacé. M. de Candolle, ce savant botaniste, qui a voyagé dans une partie du midi pour compléter sa Flore française, a indiqué comme propres au colon : 1° le sud des Cévennes, dans les départemens du Gard et de l’Hérault ; 2° le Roussillon ; 3° le département des Landes. Nous y ajouterons celui de la Corse : d’après les essais faits en 1828 par notre honorable collègue, M. Angellier, alors préfet de ce département, il résulte que plusieurs espèces ou variétés de cotonnier, telles que le Caroline, graine verte, graine noire et longue soie, le santorin et le nankin de Siam, peuvent accomplir leur végétation sur plusieurs points de cette île, et y devenir l’objet d’une culture importante.

Nous ferons maintenant connaître la nature et la préparation du terrain convenable au cotonnier.

§ 1er. — Terrain, engrais.

Le meilleur terrain est un sol meuble, modérément argileux, substantiel, frais, bien divisé, qui permette aux racines de s’enfoncer et de s’étendre. On a remarqué que plus la racine du cotonnier s’enfonce, plus on en obtient de duvet. Il est donc essentiel de labourer le terrain profondément. La charrue est le moyen le plus actif et le plus économique.

Le cotonnier étant une plante vorace, il lui faut des engrais bien préparés et d’une prompte et facile dissolution On emploie à cet effet, en divers endroits de l’Italie, les matières fécales fermentées, mélangées avec de la terre meuble et bien préparée, les dépôts des rivières, les vases des canaux, des fossés et mares ou étangs, les terreaux suffisamment consommés, la chaux, les résidus des plantes oléifères, les cendres végétales ou minérales. Nous recommandons aussi le noir animalisé de M. Payen, qui, doué d’une activité merveilleuse, offre l’avanlage d’être très-économique.

§ II. — Graines et ensemencement.

La graine du cotonnier garde plusieurs années sa faculté germinative, surtout si elle est conservée avec son duvet et en lieu sec. La plus mûre, la plus fraîche et la plus pesante, est celle qui doit obtenir la préférence. Il faut aussi choisir la semence qui vient d’un climat qui se rapproche le plus, par sa latitude, de celui où on veut la semer ; le succès en est plus assuré.

Dans plusieurs espèces ou variétés, la graine est très-adhérente au duvet : avant de la semer, il faut la bien frotter avec de la terre sèche et tiue pour en séparer ce duvet, afin qu’il n’oppose pas de difficultés à l’ensemencement.

Nous ne déterminerons point l’époque fixe a laquelle on doit semer le coton. La saison la plus propice est celle où l’on n’a plus à craindre les gelées printanières, c’est-à-dire du milieu de mars à la fin d’avril. Le temps le plus favorable à l’ensemencement est celui qui est disposé à la pluie. Il est utile, pour faciliter la germination, de faire tremper pendant 36 heures la graine, soit dans de l’eau de rivière, soit dans une lessive de cendre ou de suie. Après l’ensemencement on aplanit le terrain.

On sème le coton de 3 manières : à la volée, en rayons, ou dans des trous creusés à la surface du sol. La première méthode, ne pouvant mettre d’égales distances entre chaque plant, présente des difficultés pour les travaux subséquens, qu’on doit exécuter avec la houe à cheval. La seconde et la troisième sont meilleures. La semence doit être peu recouverte, surtout lorsque le terrain est humide à l’époque de la semaille.

Pour ensemencer un hectare, en plaçant les graines 4 par 4 dans les trous espacés à 3 pieds les uns des autres, nous estimons qu’il en faut 40 lit., contenant par aperçu 120,000 graines ou environ 30 livres, le litre pesant les 4 cinquièmes d’une livre.

Le coton lève ordinairement au bout de huit jours, et quelquefois plutôt.

§ II. — Soins pendant la végétation.

Dès que les jeunes plantes commencent à sortir de terre, la principale attention est d’extirper les mauvaises herbes, et cela autant de fois qu’elles paraîtront, en rapprochant un peu la terre des pieds du cotonnier pour les soutenir contre les vents, et pour les aider à résister plus facilement à la sécheresse. On ne laisse dans chaque trou qu’un seul pied, et on enlève les autres à l’époque où ils ont au moins 4 feuilles. Si des grames ont manqué quelque part, on les remplace par des pieds enlevés avec précaution dans les trous trop garnis.

L’arrosage est indispensable pour certaines espèces, inutile pour d’autres. Les Maltais prétendent que le coton blanc du Levant, et celui de Siam à couleur rousse, ont besoin d’être arrosés, tandis que celui des Indes peut s’en passer. Les habitans des îles Baléares pratiquent et conseillent l’irrigation. Nous pensons que, sous le climat de la France, on ne doit pas en abuser, surtout si l’on est Elacé près d’une rivière, d’un lac ou sur les ords de la mer. En général, on ne doit l’employer que pour faciliter l’accroissement, car on retarderait la floraison, la fructification et la maturité, si on prolongeait longtemps l’irrigation.

Lorsque le cotonnier est parvenu à la hauteur de 30 centimètres, on doit pincer ou tailler l’extrémité des tiges principales qui monteraient trop, ne donneraient pas de gousses ou n’en donneraient que de tardives. Il ne faut pas pincer ou tailler dans le tendre, mais dans la partie où la tige commence à se durcir. On pince également ou on coupe à leur tour les extrémités des branches latérales, lorsqu’on y voit deux gousses, de manière à obtenir une touffe à la partie supérieure. — On répète cette opération chaque ibis que les pousses se reproduisent. A l’époque où les fruits se disposent à se former, on commence à ébourgeonner. On pratique rarement cette dernière opération sur les espèces qui doivent durer un certain nombre d’années, et cet usage est inconnu en Espagne, où le colonnier vit jusqu’à 10 ans, lorsqu’il n’est pas détruit par les gelées ou par quelque autre accident. Mais il est indispensable d’ébourgeonner l’espèce dite annuelle, et toutes celles qu’on ne veut conserver qu’un an.

§ IV. — Maladies et animaux nuisibles.

Le cotonnier craint les grands vents froids, les sécheresses excessives, les trop fortes pluies, surtout au moment de la floraison.

Cet arbrisseau est aussi attaqué par plusieurs ennemis qui lui font beaucoup de tort : en outre de ceux qui lui sont communs avec beaucoup d’autres plantes, et dont il est traité ailleurs, la chenille à coton est le plus redoutable, d’abord parce qu’elle se jette souvent avec tant de voracité et en telle abondance sur les cotonniers, qu’en 2 ou 3 jours elle les dépouille de toutes leurs feuilles, ensuite parce que, après avoir parcouru en moins d’un mois les différens élats de chenille, de chrysalide et de papillon, elle reparaît sous sa première forme, disposée à faire de nouveaux ravages, qui durent quelquefois 10 mois de suite. Nous faisons observer cependant que c’est dans l’Inde et en Amérique que le cotonnier rencontre ces ennemis : il est probable qu’en Europe et sous notre climat il en trouvera en moindre quantité, et peut-être ceux-là seulement qui attaquent les mauves et les guimauves.

Il y a peu de moyens pour détruire tous ces insectes. Une surveillance excessive, des soins continuels, et quelquefois les secours du ciel, c’est-à-dire les pluies fraîches et abondantes, les nuits froides qui sont suivies de chaleurs excessives, délivrent la culture de quelques-uns de ces fléaux. En France, les vers blancs sont beaucoup à redouter, d’autant plus qu’il n’y a encore aucun remède qui puisse les atteindre. Nous faisons des vœux bien ardens pour que le gouvernement français nous écoute une fois et qu’il ordonne le hannetonnage par commune, en accordant des primes à ceux qui en présenteront à la mairie locale une certaine quantité.

§ V. — Récolte.

Après la floraison des cotonniers, il se forme des gousses en nombre plus ou moins considérable : d’abord elles sont vertes, ensuite elles jaunissent. Lorsqu’elles sont toutà-fait mûres, les valves qui renferment le duvet s’écartent, et laissent échapper le coton en flocons avec les semences qui y sont adhérentes ; c’est alors qu’il faut les cueillir. On choisit à cet effet un temps chaud, ou au moins sec, et, lorsque les capsules sont suffisamment ouvertes, il vaut mieux enlever avec les doigts le coton adhérent aux graines, et qui est prêt à s’échapper, que de cueillir les capsules elles-mêmes dont les débris peuvent le tacher. La récolte doit se faire à plusieurs reprises, suivant les degrés de maturité des capsules.

A mesure qu’on détache le coton des gousses, on le place dans des corbeilles en le secouant d’abord, afin de faire tomber les insectes ou autres ordures qui pourraient y rester attachés, et ou sépare le bon du mauvais. Ensuite on le dépose dans un lieu bien aéré, bien sec ; on l’étend, s’il est possible, sur un plancher ; c’est la manière d’obtenir une prompte et entière dessiccation.

Il faut aussi faire attention à ce que certains animaux, qui sont friands de la semence, ne pénètrent pas dans cet endroit ; car ils y laisseraient des ordures qui détérioreraient considérablement le coton.

Le coton, sorti de sa gousse, retient avec quelque ténacité les graines qui lui sont adhérentes. Pour l’en séparer, on a imaginé de petits moulins très-simples, peu coûteux, composés de deux rouleaux de bois ou cylindres, qu’on fait mouvoir l’un sur l’autre en sens contraire, soit avec une manivelle (fig. 15), soit avec une pédale comme pour le rouet (fig. 16) : un volant est placé sur l’axe de la manivelle ; on engage le coton entre les cylindres qui, ayant des rainures longitudinales et peu profondes, attirent les filamens qui pourraient se rouler autour d’eux, au lieu de passer si leur surface était unie. On donne à ces cylindres un diamètre proportionné à leur longueur et à la grandeur du moulin. Cette machine se lixe à volonté contre une muraille : elle est supportée par 4 pieds et garnie d’une table, sur laquelle l’ouvrier dispose le coton vis-à-vis les cylindres auxquels il le présente. A mesure qu’il est entraîné, les graines tombent par l’ouverture pratiquée à l’extrémité et le long de la table, et le coton, s’échappant du côté opposé, va se rendre dans une caisse placée au-dessous. On le nettoie ensuite des ordures qui peuvent s’y trouver, et on l’emballe pour le livrer au commerce.

Fig. 15.

Fig. 16.

§ VI. — Usages du coton.

Il n’est point de plante textile dont la culture soit plus généralement répandue dans les deux continens. La finesse excessive à laquelle le coton peut être réduit, fait qu’on peut le combiner avantageusement avec la laine, la soie, le lin et le chanvre. Le coton a, sous certains rapports, de la supériorité sur ces deux dernières matières, il exige moins de préparations pour être converti en vêlemens, il reçoit plus facilement la teinture, et il est plus recherché pour la salubrité de l’homme. Les étoffes de coton sont durables, chaudes, légères, et d’un prix modéré. Avec le coton on fait des tissus de la plus grande utilité, et variés presque à l’infini. Le linge de table damassé, qu’on fabrique en France avec le coton, égale en finesse et en beauté le plus beau linge de table en lin qu’on fait en Saxe.

La mousseline de coton est regardée comme la plus légère, la plus souple, la plus moelleuse et la plus déliée de toutes les étoffes : le fil de coton se trouve employé dans la couture et la broderie. Avec le coton on fait du papier d’une blancheur extraordinaire. Aux Grandes-Indes, en Perse, on fait les matelas, les coussins, les sofas et presque tous les meubles domestiques en coton. En Chine, on en confectionne des tapis magnifiques, dont on fait un commerce considérable. En France, le bazin, le piqué, le nankin, la futaine, les velours, les couvertures de lit, la bonneterie, les bas, le linge de corps, les garnitures des meubles en coton, etc., forment une des branches les plus importantes de l’industrie nationale.

Indépendamment de toutes ces qualités, le cotonnier possède encore des propriétés médicinales. Le duvet du coton, appliqué promptement sur les brûlures, en est un remède très-efficace. La semence du coton étant très-mucilagineuse et huileuse, est un remède très-adoucissant dans les toux opiniâtres, et, comme elle est très-rafraichissante, on la donne en tisane dans les fièvres inflammatoires. Cette graine est aussi très-nourrissante, et sert pour engraisser la volaille et les animaux domestiques.

Nous bornerons ici les instructions que nous avons pensé devoir donner aux riches propriétaires des départemens du midi. Il serait possible que, dans les premiers essais, ils rencontrassent des difficultés provenant du défaut de germination de certaines graines, du mauvais choix des variétés, de l’intempérie de la saison, d’une culture peu convenable, etc. Dans ce cas, nous supplions les cultivateurs de ne pas se décourager, de ne pas être étonnés si, dès l’abord, ils ne réussissent pas, d’en bien examiner les causes, de recommencer en prenant plus de précautions, et de n’abandonner une entreprise conçue dans les vues de l’intérêt public, que quand il leur sera clairement démontrequ’elle ne peut procurer les avantages qu’ils s’en promettaient.

L’abbé Berlèse.
Section iv. — De diverses autres plantes textiles.
§ Ier. — Du phormium.

Phormium, Lin de la Nouvelle-Zélande (Phormium tenax, Forst ; en anglais, Iris-leaved flax lily ; en allemand, Neu Hollœndischer flachs ; en italien, Lino della Zeelande) (fig. 17).

Fig. 17.

Voici la plante textile par excellence, celle dont les fibres tirées de ses feuilles sont les plus fortes et les plus élastiques ; les expériences faites à ce sujet par Labillardière les placent entre le chanvre et la soie, et elles pourraient remplacer avantageusement toutes les filasses avec lesquelles ou fabrique les cordes, les câbles, et les toiles dont nous faisons nos vêtemens.

En 1791, Labillardière partit comme botaniste, dans l’expédition de d’Entrecasteaux, à la recherche de l’infortuné Lapeyrouse, et revint en France vers 1798, avec plusieurs plantes de phormium ; mais, en arrivant sur nos côtes, les hasards de la guerre maritime lui enlevèrent ses collections, qui lui furent cependant rendues par l’intervention du célèbre Banks, excepté les plantes de phormium. Peu de temps après, Aiton, directeur du jardin de Kew, en adressa un pied à Thouin, de respectable mémoire, au Jardin des Plantes de Paris. C’est de ce pied, multiplié par drageons, que proviennent tous ceux répandus aujourd’hui sur divers points de la France, où Thouin s’est empressé d’en envoyer, d’après les relations des voyageurs sur l’immense utilité de cette plante. L’expérience a démontré que, plantée eu pleine terre, sous le climat de Paris, elle n’y végète que médiocrement, et qu’elle y est endommagée ou tuée par nos hivers rigoureux ; niais qu’elle végète vigoureusement et ne souffre pas des hivers dans nos départemens les plus méridionaux. C’est donc dans ces départemens que sa culture et sa multiplication doivent être encouragées. On en a obtenu des fleurs pour la première fois en 1816, dans le midi de la France, chez Faujas Saint-Fond, et depuis à Cherbourg. Mais, jusqu’à présent, les fruits nont pas mûri, de sorte que c’est toujours par la division des vieux pieds que l’on multiplie cette plante précieuse dont je vais donner une légère description.

Le phormium, ou lin de la Nouvelle-Zélande, appartient à la famille des liliacées. De sa racine noueuse, charnue, divisée iniérieurement en fibrilles, s’élèvent de 10 à 20 feuilles engainantes à la base par les côtes, distiques, lancéolées, longues d’environ 4 pieds, larges de 3 pouces, d’un vert gai, sèches, assez minces, coriaces, et d’une telle force qu’il est impossible de les rompre en travers. A ce premier appareil de feuilles s’en ajoutent bientôt d’autres semblables à l’entour, qui partent du collet de la plante et forment, avec le temps, une grosse touffe d’un aspect aussi étrange qu’agréable. La floraison consiste en une tige ou hampe qui sort du centre des feuilles, haute de 7 ou 8 pieds, divisée en panicule dans la partie supérieure, et portant un grand nombre de fleurs jaunes assez grandes.

En rendant compte de cette floraison, Faujas Saint-Fond a fait connaître les expériences qu’il avait tentées pour extraire les fibyes des feuilles et les convertir en filasse ; mais il avoue que le rouissage et les procédés usités pour le chanvre ne lui ont pas réussi ; les moyens employés par d’autres personnes n’ont pas eu plus de succès. On en a bien fait des cordes d’excellente qualité, mais on n’a pu donner à la filasse la pureté, la division ni le blanc soyeux dont elle est susceptible. C’est probablement à la chimie qu’est réservé l’honneur de préparer le phormium de manière à l’obtenir pur et à le débarrasser des tissus et du gluten qui en cache la finesse et la blancheur. Les chimistes devraientd’autaut plus s’empresser de mettre la main à l’œuvre, qu’il est bien certain que le phormium contient une plus belle et plus précieuse filasse que toutes les plantes connues.

§ II. — De l’Agave.

Agave d’Amérique (Agave Americana, Lin. ; en allemand, Americanische aloe) (fig. 18 et 19). J’ai cru devoir figurer A (fig. 18 ) l’agave tel qu’il se présente en Amérique, et B (fig. 19) tel qu’on le trouve dans le midi de la France, aux environs de Toulon, où il s’est acclimaté et se reproduit spontanément sans culture, afin qu’on puisse juger de la différence qui me semble assez grande pour constituer deux espèces. En effet, l’agave, en Amérique, produit une tige qui ne s’élève pas à plus de 10 à 12 pieds ; à Toulon, la tige ou hampe de l’agave s’élève à la hauteur de 20 à 24 pieds. En Amérique, les rameaux de la panicule sont simples, se courbent avec grâce en girandoles, et leur ensemble forme un lustre de la plus grande élégance ; les fleurs sont toutes réunies en ombelle au sommetdes rameaux, et les étamines sont plus courtes que le style. A Toulon, les rameaux de la panicule sont rameux ou plusieurs fois divisés, à divisions toutes tournées du côté supérieur, et leurs fleurs, également jaunâtres, ont les étamines plus longues que le style. Je laisse aux botanistes à apprécier ces différences. Les feuilles ne m’en ont offert aucune.

Fig. 19. Fig. 18.

L’agave est une plante qui ne fleurit qu’une fois, à l’âge de 30 ou 40 ans, et qui meurt naturellement après sa floraison, à moins que, par quelque circonstance, elle n’ait produit au pied un ou plusieurs œilletons, ou qu’on ait coupé sa hampe au moment de son premier développement pour forcer les bourgeons axillaires à se développer. Ses feuilles nombreuses, étendues en rosette près de la terre, sont glauques, épaisses, raides, succulentes, meurtrières par l’épine acérée qui les termine et par celles dont elles sont bordées.

M. le baron de Humboldt a fait connaître que les Mexicains tirent de cette plante, en lui couipant la hampe, une quantité considérable de liqueur qui devient vineuse et que l’on boit dans le pays sous le nom de pulque. Sans doute les agaves qui fleurissent en France en donneraient aussi, si on en coupait la hampe au milieu de sa croissance, si rapide que l’œil peut en suivre les progrès ; mais on n’en a pas encore fait l’expérience, non plus que l’analyse de la liqueur miellée que distille abondamment l’intérieur de ses fleurs.

En Amérique, l’agave croit naturellement sur les terres élevées, médiocres, où l’eau ne séjourne pas ; à Toulon, il affecte la même position. C’est quand la plante est près de fleurir qu’on en coupe les feuilles pour en extraire la filasse qui est assez grossière, et dont on fait des cordes. M. Pavy a récemment introduit, sous le nom de soie végétale, une substance filamenteuse très-belle qu’il déclare être de l’agave et provenir du territoire d’Alger. Quoiqu’il en soit, il en confectionne des cordes d’une grande puissance, qui résistent parfaitement à l’humidité, toutes sortes d’objets de passementerie, et des tapis de divers genres.

Poiteau.
§ III. — De l’Apocin.

Fig. 20.

Apocin ou herbe à ouate, Asclépiade de Syrie (Asclepias Syriaca, Lin.; angl., Syrian swallow-wort ; all., Syrische seiclenpflauze) (fig. 20), plante à tiges nombreuse, droites, herbacées, simples, cotonneuses, hautes d’environ 6 pi., qui se renouvellent et meurent chaque année. Ses racines sont vivaces, rameuses et très-traçantes. Ses fleurs rougeâtres, axillaires, disposées enombelles terminales, sont remplacées par des gousses qui renferment un grand nombre de graines rousses, aplaties, surmontées d’une grande aigrette soyeuse très-blanche, qui est proprement la ouate. Ce duvet soyeux a quelque ressemblance avec le coton. Bien qu’originaire de Syrie, l’asclépiade est acclimatée en France depuis longtemps, mais sa culture n’est pas aussi généralement appréciée que ses qualités précieuses le méritent. Cependant, peu de plantes réunissent plus d’avantages que l’asclépiade de Syrie. Si elle ne peut remplacer le coton et le chanvre, elle offre un duvet qui, par sa finesse, peut en faire diminuer la consommation, et ses tiges, coupées à leur maturité, rouies et teillées convenablement, donnent une filasse fine, forte et blanche, propre à faire différentes sortes de toile. Des essais heureux et encourageans en ont été faits depuis longtemps, et on a lieu de s’étonner que, vu la facile multiplication de la plante, la simplicité de sa culture dans les terrains médiocres ou mauvais, elle ne soit pas cultivée pour en tirer de la filasse. Les étoffes que l’on confectionne avec ce duvet et avec les fibres corticales des tiges sont douces, chaudes, fortes et fines, prennent bien la teinture noire, se blanchissent parfaitement, et paraissent pouvoir être imprimées.

On ne parvient à filer le duvet de l’asclépiade de Syrie qu’après l’avoir cardé, parce que les fils en sont courts et droits ; il faut même le mêler avec un quart de soie, de coton ou de laine de la plus grande finesse. On garnit la carde en partie de ces matières, et on remplit de duvet les intervalles de la carde. On peut employer le duvet sans être filé et sans mélange pour des courte-pointes, des jupons piqués et autres ouvrages. C’est même un de ses principaux usages, une livre peut remplacer deux livres de coton, parce qu’elle est plus légère et s’étend davantage. Ce qu’on lui reproche principalement, c’est de ne pas être élastique et de ne pas se laisser feutrer suffisamment.

Les fleurs de cette plante sont très-recherchées des abeilles, qui y recueillent abondamment du miel. Les chimistes en tirent aussi un sucre, un peu brun à la vérité, mais d’une excellente qualité. Les jeunes pousses se mangent comme les asperges. La graine est un puissant sudorifique ; la volaille la mange avec voracité. Les feuilles sont un caustique très-actif.

L’asclépiade de Syrie n’est ni délicate, ni difficile à multiplier. Sa culture est facile et exige peu de frais. Elle croît dans toutessortes de terrains, même les plus ingrats ; mais cultivée dans une terre substantielle, plutôt légère que forte, modérément humide, bien préparée par des labours et des hersages, elle rapporte le double. On la multiplie par la voie des semis, ou par celle des drageons, ou par ses racines. On marque à cet effet des rayons parallèles, éloignés d’environ 2 pieds l’un de l’autre. Dans ces rayons on place derrière la charrue, les semences ou plants rapprochés d’un pied à peu près dans la ligne, en laissant un sillon vide entre deux qui sont plantés. Cet intervalle facilite l’emploi des instrumens à cheval pour les sarclages et hersages nécessaires. A la 2e et à la 3e année, les racines garnissent complètement les intervalles de nouvelles pousses qui, par les fibres corticales des tiges et par le duvet précieux des aigrettes, donnent des produits aussi abondans, plus soyeux et plus souples que le chanvre.

Cette plante peut ainsi fournir, pendant plusieurs années consécutives, 2 récoltes précieuses, en lui donnant des engrais de temps en temps, surtout lorsque ses racines très-multipliées ont envahi tout le sol. Un arpent de terre bien préparée peut rapporter de 350 à 400 livres de duvet à 2 f. et quelquefois à 3 f. la livre. La récolte se fait quand la gousse est mûre, ce qu’on reconnaît à ce qu’elle s’entr’ouvre. Alors on coupe les gousses et on les fait sécher au soleil. Après leur dessiccation on sépare le duvet d’avec la graine et on le met dans des sacs à labri de toute humidité. Quant aux tiges, elles sont coupées et disposées en javelles aussitôt après l’enlèvement des gousses, et on les fait rouir comme celles du chanvre. Ce n’est qu’à la fin de la seconde année que l’asclépiade de Syrie produit des gousses, et elle n’en donne en abondance qu’à la 3e année.

Pour détacher le duvet de sa graine, on en remplit un baquet ; une ou plusieurs personnes y enfoncent leurs bras nus, et tournent circulaircment. Le duvet s’attache aux bras, qu’on en débarrasse facilement pour le poser sur un drap placé auprès. La graine bien mûre reste séparée au fond du baquet ; celle qui n’est pas mûre retient du duvet ; il faut la jeter, parce qu’elle n’a pas les qualités convenables.

Apocyn-Chanvre (Apocynum cannahinum, Lin.; anglais, Hemp dogs-bane ; allemand, Ilundskohl seïdenpflauze ; italien, Apocino). Originaire de l’Amérique septentrionale, cultivée seulement dans les jardins de botanique, cette plante, vivace et rustique, s’élève à la hauteur de 3 ou 4 pieds ; ses feuilles oblongues et velues en dessous, ses fleurs verdâtres disposées en corymbes plus élevés que les feuilles, la distinguent de ses congénères. Feu le professeur Thouin trouvait que les fibres de son écorce étaient plus fortes que celles du chanvre, et conseillait de la cultiver dans les terrains médiocres, dont elle s’accommode très-bien, pour en retirer la filasse qu’elle contient en abondance. Cependant, jusqu’ici les économistes ne s’en sont pas occupés, et l’apocyn-chanvre est resté confiné dans les jardins de botanique.

L’abbé Berlése.
§ IV. — De l’Abutilon.

Fig. 21.

Abutilon (Sida Abutilon, Lin.; angl., Round-leaved sida ; all., Sammet-malve, Sammet-sappel ; ital., Abutilo) (fig. 21 ). Plante annuelle, originaire de l’Inde, depuis longtemps introduite en France, où elle végète parfaitement et s’élève à la hauteur de 3 à 5 pieds ; produit des fleurs jaunes et fructifie en abondance. Elle est douce, comme veloutée, et ses feuilles sont grandes, cordiformes et fort belles. Appartenant à la famille des Mauves, cette plante est mucilagineuse dans toutes ses parties. — En Chine on fait rouir l’Abutilon comme nous rouissons ici le chanvre, et, de son écorce, on fait de la filasse qui ne vaut pas notre chanvre, il est vrai, mais dont on fabrique de gros tissus et des cordes à bon marché. Les expériences faites en France ont confirmé ce que les voyageurs avaient rapporté de ses qualités. Pour l’obtenir belle, il faut la semer à la fin d’avril ou dans les premiers jours de mai. en terre fertile, légère, à bonne exposition, et faire en sorte que les jeunes plants ue se trouvent pas à plus d’un pied les uns des autres, afin qu’ils soient obligés de filer sans se ramifier, et que leur écorce donne ainsi une filasse plus longue, plus fine et plus facile à extraire.

§ V. — De l’Alcée

Fig. 22.

Alcée à feuilles de chanvre (Althœa cannabina, Linn., anglais, Hemp leaved, marshmallow) (fig. 22 ). Les botanistes modernes ayant réuni en un seul les genres Alcea et Althœa de Linné, c’est sous le premier de ces noms que l’on doit demander la plante qui nous occupe. L’Alcée à feuilles de chanvre est une plante vivace qui croit naturellement en Autriche. Ses racines sont longues, rameuses et mucilagineuses, et il en sort chaque année des tiges menues, rameuses, longues de 4 à 6 pieds, qui ne peuvent se soutenir que mutuellement ou par le secours d’un tuteur. Elles ont les feuilles divisées en 3 ou 5 lobes étroits et dentés ; les fleurs sont roses, axillaires et terminales, assez jolies pour servir à l’ornement des jardins. Cette plante n’est pas difficile sur le terrain ni sur l’exposition ; elle se multiplie facilement de graines et par la division des gros pieds. Ses tiges se coupent à l’automne, ou les fait rouir comme le chanvre et on en extrait une filasse très-forte dont on fait de la toile ou des canevas d’une grande solidité. La culture de cette plante étant très-facile, on ne devine pas pourquoi elle n’est pas cultivée en grand.

Alcée de Narbonne (Alcea Narbonensis, Jacq.; angl. Narbonne Marsh-mallow). Celle-ci ressemble extrêmement à la précédente par ses feuilles el ses fleurs, mais elle s’élève un peu moins. Les Espagnols la cultivent beaucoup, et, après le rouissage, en tirent une filasse avec laquelle ils fabriquent de bonnes toiles.

§ VI. — Des Mauves.

Fig. 23.

Mauve en arbre, Lavatére (Lavatera arhorea, Lin.; angl., Tree mallow ; all., Malver baum ; ital., Malva arbusto) (fig. 23). Cette espèce croit spontanément dans le Piémont et dans l’île de Corse, et vient très-bien en France ; on la dit bisannuelle ; mais, quand les hivers ne sont pas rigoureux, elle persiste plusieurs années, s’élève en petit arbre, se ramifie, conserve ses feuilles, et devient une belle plante d’ornement par ses larges feuilles arrondies, lobées, sinuées, et ses fleurs violâtres, disposées en grappes interrompues au sommet des rameaux de l’année précédente. Cette plante étant d’une vigoureuse végétation, il lui faut une bonne terre. On la multiplie facilement de graines qu’il faut semer fin d’avril. Cavanilles a expérimenté que les fibres de son écorce, après avoir été purgées de leur mucilage et du tissu cellulaire par le broiement et la macération, pouvaient être converties en cordes assez bonnes. Dernièrement l’expérience de Cavanilles a été répétée à Toulon avec succès, et l’auteur a envoyé à la Société d’horticulture, des échantillons de cordes faites avec cette plante.

Mauve à feuilles crépues (Malva crispa, Lin.; angl., Curled leaved mallow ; ital., Malva riccia), plante annuelle, originaire de la Syrie, croissant très-bien en France, où elle atteint presque la hauteur d’un homme, et fait l’ornement des jardins par ses grandes feuilles élégamment crispées et frisées sur les bords. Je n’en parle ici que parce que l’on dit que Cavanilles est parvenu à fabriquer d’assez bonnes cordes avec les fibres de son écorce. Je ne sache pas que depuis cet auteur personne ait tenté d’en extraire.

§ VII. — Des mûriers.

Fig. 24.

Mûrier à papier (Broussonetia papyrifera, Willd.; angl., Paper mulberry ; all., Papier-Maulbeerhaum ; ital., Moro papirifero) (fig. 24 ), grand et gros arbre du Japon, à fleurs dioïques, les mâles réunis en chaton, et les femelles formant une boule de 8 à 9 lignes de diamètre, de la circonférence de laquelle sortent de gros filets rouges, charnus, mangeables, portant chacun une graine noirâtre au sommet ; les feuilles, grandes, drapées et un peu rudes, sont la plupart divisées en deux ou trois lobes. Cet arbre croit très-bien en France, n’est difficile ni sur le terrain ni sur l’exposition, et se multiplie facilement de graines. On a cru pendant longtemps que c’était avec l’écorce des rameaux de cet arbre que les Chinois faisaient ce beau et fin papier que nous appelons ici papier de Chine, et on espérait, en l’introduisant en France, trouver le moyen d’en tirer aussi un papier d’une qualité supérieure aux nôtres ; mais on a appris depuis peu que c’est avec une plante cypéracée, dont l’espèce ne nous est pas connue, que les Chinois fabriquent leur beau papier. Du reste, le mûrier en question leur sert à faire du papier inférieur et quelques tissus ; dans des îles voisines du Japon, on en fait des habillemens ; mais il n’entre pas dans la confection de ce qu’on nous vend sous le nom de papier de Chine. Néanmoins, d’après les premières idées, Faujas de Saint-Fond a essayé d’en fabriquer du papier à la manière européenne, et il a eu lieu de s’applaudir de son essai. Aujourd’hui, on se borne à considérer le mûrier à papier comme pouvant contenir une assez bonne filasse dans son écorce, sans que personne le démontre par des expériences convaincantes.

Mûrier blanc (Morus alba, Lin.; angl., White mulberry ; all., Weisser maulbeerbaum ; ital., Moro bianco). Olivier de Serres, dans son Théàtre d’agriculture, rapporte et détaille le procédé qu’il a employé pour tirer de l’écorce du mûrier une belle et forte filasse dont il a fait faire de la toile. On ne doute pas de la vérité de ce qu’a dit ce patriarche de l’agriculture, et pourtant on ne s’occupe guère aujourd’hui ni de répéter, ni de perfectionner son expérience.

§ VIII. — Des Orties.

Fig. 25.

Ortie de la Chine (Urtica nivea. Lin.; angl., White leaved nettle ; ital., Ortica blanca) (fig. 25), plante vivace, d’une végétation vigoureuse, formant, par le nombre de ses tiges, de grosses touffes hautes de 5 à 6 pieds. Ses feuilles, dénuées de ces poils piquans et brûlans, propres à plusieurs espèces d’orties, sont innocentes, alternes, ovales-acuminées grandes et très-blanches en dessous, ce qui rend la plante propre à l’ornement des grands jardins. Elle ne fleurit pas ordinairement aux environs de Paris, mais on la multiplie par la division de ses touffes.

L’écorce des tiges contient des fibres d’une grande force, très-nombreuses, qui peuvent être préparées comme le chanvre et converties en toile. Sous ce rapport, l’ortie de la Chine offrirait de grands avantages par la persistance de ses racines, par les tiges nombreuses qui s’en élèvent chaque année sans presque aucun soin, et par la finesse et le moelleux de la filasse de son écorce.

Ortie ordinaire, grande ortie (Urtica dioica, Lin.; angl., Common nettle ; all. Brennessel, ital., Ortica pungente). Si l’on excepte les pauvres gens qui cueillent l’ortie pour la donner à manger à leurs vaches, cette plante est généralement dédaignée par tout le monde, et même en horreur, parce qu’on ne peut guère la toucher sans en ressentir une démangeaison brûlante, causée, dit-on, par une liqueur qui transsude à l’extrémité de chacun des poils qui couvrent la surface des feuilles et des tiges. A part cet inconvénient, l’ortie n’est pas sans mérite, puisque ses tiges brûlées fournissent une grande quantité de potasse, et que, rouies et préparées à la manière du chanvre, on en retire une filasse peu inférieure à celle du chanvre même, sinon par la force, du moins par la finesse, la blancheur et la facilité de la convertir en toile. On en a fait de très-beau papier en Allemagne. Au Kamtschatka, les habitans en font des cordages, des filets pour la pêche et du fil pour coudre. Toutes ces propriétés de l’ortie ont été confirmées par la Société d’agriculture d’Angers, qui en conseille la culture sous ces divers points de vue.

Quant à la culture en elle-même, elle n’est nullement difficile ; l’ortie vient partout ; les endroits pierreux, d’un labour impraticable, peuvent lui être consacrés, soit en y répandant de ses graines, soit en y plantant de ses racines qui tracent et se propagent avec rapidité. Cette plante n’a pas d’ennemis, et les intempéries sont presque sans action sur sa végétation.

Ortie à feuilles de chanvre (Urtica cannabina. Lin.; angl., Hemp leaved nettle). Celle-ci est originaire de la Tartarie, et croit très-bien en France, où elle n’est connue que dans les jardins de botanique. Elle est vivace et ses tiges s’élèvent chaque année à la hauteur de 5 pieds ; ses feuilles, quoique velues, ne sont pas piquantes comme celles de notre ortie ordinaire. Je trouve que ses tiges se rompent sans de grandes difficultés ; cependant Bosc pense que sa culture serait une bonne spéculation agricole, ne fût-ce que pour en retirer du papier commun.

§ IX.— Du Genêt.

Genêt d’Espagne (Spartium junceum, Lin.; Genista juncea, Desf.; angl., Spanish broom ; all., Pfrieme, Skorpion-Pfrieme ; ital., Ginestro) (fig. 26), arbrisseau de 10 à 12 pieds, dont les rameaux effilés, verts, flexibles et très-forts, sont munis latéralement de petites feuilles lancéolées, peu nombreuses, et se terminant par de grandes fleurs jaunes papillonacées, d’un bel effet et recherchées dans les jardins d’agrément. Il se multiplie facilement de graines, qu’il donne abondamment dans des cosses longues de 2 à 3 pouces et larges de 3 lignes. Ses racines, longues comme des cordes, dont elles ont force et la souplesse, s’accommodent des terres pierreuses, sèches et de médiocre qualité.

Fig. 26

Pour cultiver le genêt d’Espagne dans l’intention d’extraire la filasse de ses rameaux, il faut faire de petites fosses naviculairesavec une houe, à 4 pieds les unes des autres ; mettre dans chacune 3 ou 4 graines et les recouvrir d’un demi-pouce de terre ; quand elles sont levées, on arrache les plus faibles et on ne laisse qu’une plante dans chaque fosse. Au printemps de la 3e année, on rabat les plantes à un pied de terre, pour les faire ramifier, leur donner la forme de têtard, et les obliger à produire chaque année un grand nombre de branches longues et vigoureuses. A l’automne, et mieux au printemps de chaque année, on coupe ces branches, on les fait rouir, on les bat avec un maillet pour en briser et en faire sortir le plus gros du bois, et, par des serançages répétés, les fibres de l’écorce se divisent en fil comme du chanvre ; on en fait de la toile qui est d’autant plus belle et meilleure que les manipulations du rouissage, du battage et du serançage ont été mieux exécutées. Il arrive qu’au lieu de mettre le genêt dans l’eau pour le rouir, on l’enterre quelquefois et ou arrose la terre qui le recouvre de manière à la tenir constamment très-humide pendant 8 ou 10 jours, après quoi on retire le genêt, suffisamment roui, et on le lave.

Poiteau.
Section v. — Des plantes propres aux ouvrages de sparterie.

Sous ce titre, je comprends quelques plantes dont on fait des chaussures, des nattes, des tapis de pied, et certains paniers légers utilisés dans les campagnes.

§ Ier. — De la Stipe.

Stipe tenace (Stipa tenacissima, Lin.; angl., Rush leaved feather grass ; all., Spanisches spartogras ; italien, Stipa tenace), plante graminée, vivace, croissant naturellement en Espagne, et que l’on pourrait acclimater aux environs de Bayonne, dans les mauvais terrains secs et montueux. Ses feuilles sont presque cylindriques, longues de 2 à 3 pieds ; son chaume s’élève à la hauteur de 3 pieds, et se termine par une panicule de fleurs dont l’une des valves se prolonge en une très-longue barbe soyeuse, ce qui d’ailleurs est commun à toutes les espèces du genre. J’aurais pu ranger celle-ci dans l’article précédent, puisqu’on lui fait subir le rouissage pour en diviser les fibres, lorsqu’on veut l’employer à la confection de certains tissus ; mais, comme ou l’emploie plutôt sans préparation, j’ai cru devoir la placer dans cette section.

Ce sont les feuilles de la plante dont on fait usage. Depuis un temps immémorial, on eu tresse une chaussure ou espèce de soulier, chez les Basques et d’autres habitans des Pyrénées. Ce sont ces mêmes feuilles qui, sous le nom de sparterie, composent les petits tapis de pied, unis ou plucheux, teints de ditférentes couleurs, usités dans les appartemens, ainsi que d’autres plus grands tapis, des nattes, des cordages, etc., d’une grande solidité. La sparterie est aujourd’hui un commerce assez étendu pour que l’on fasse l’essai de multiplier la stipe tenace en deçà des Pyrénées, et de nous affranchir de la contribution que nous payons aux Espagnols.

Le Stipe-Jonc (Stipa juncea ; ital., Stipa giunco) croit naturellement en France ; ses feuilles ont aussi une grande force et paraissent posséder à peu près les qualités de celles de la stipe tenace, mais je ne sache pas qu’on en fasse usage. Peut-être n’y a-ton pas encore pensé.

§ II. — Du Jonc.

Jonc des jardiniers (Juncus effusus, Lin.; angl., Soft rush ; all., Flattergras ; ital., Giunco commune). Celle plante, très-vivace par ses racines nombreuses et traçantes, croît sur le bord des rivières, des fossés et aux endroits humides, où elle forme des touffes qui s’élargissent de plus en plus ; au lieu de feuilles, elle n’a que des gaines courtes qui embrassent le bas de ses liges ; celles-ci sont cylindriques, striées, longues de 2 pieds, d’une ligne de diamètre, terminées en pointe aiguë, et portant une panicule latérale de fleurs à quelques pouces au-dessous du sommet. Tant que ces tiges sont vertes ou fraîchement coupées, elles conservent toute leur souplesse et toute leur force ; elles perdent l’une et l’autre en séchant, mais on les leur rend en les faisant tremper dans l’eau pendant une journée. Les jardiniers en font un grand usage pour palisser et attacher les branches de leurs arbres. Il remplace économiquement, dans beaucoup decas, la ficelle, la paille, les écorces d’arbres et d’autres liens ; on en fait des paniers, de petites nattes sur lesquelles on place les fromages pour qu’ils s’égouttent, etc. C’est le seul de tous les joncs dont la tige a assez de ténacité pour être employée à tous ces usages.

§ III. — Du Lygée.

Lygée sparte (Lygeum spartum, Lin.; angl., Rush leaved lygeum ; all., Unechtes spartogras) (fig. 27), graminée vivace de l’Europe méridionale et qui prospère bien sous le climat de Paris ; ses feuilles sont fort étroites, longues de 3 pieds et plus, tenaces et très-difficiles à rompre ; elles me semblent avoir tant d’analogie avec celles de la stipe, qui fait la base de la sparterie, que je crois qu’elles pourraient être employées aux mêmes usages. Déjà on en fait des sommiers, des cabas, etc., en Espagne et dans le midi de la France, dit M. de Théis.

Fig. 27.

§ IV. — De la Massette.

Massette (Typha latifolia, Lin.; angl., Broad leaved cats’tail ; all., Gemeine rohrkolhe, Tuttenkolbe, Schmackedusen ; ital., Tiffa ; fig. 28). On trouve abondamment cette plante vivace dans les étangs, dans les rivières où l’eau a peu de courant. Sa tige est de la grosseur du doigt, cylindrique, simple, terminée par un gros et long cylindre (massette), fleurs très-serrées, entremêlées de beaucoup de soie. Les feuilles naissent sur la souche, embrassent le bas de la tige, s’en écartent ensuite, et s’élèvent aussi haut qu’elle sous forme de lames larges de 6 à 7 lignes. C’est à l’automne que l’on coupe les tiges et les feuilles de cette plante, et qu’on les fait sécher à l’ombre, autant que faire se peut, pour les conserver souples. Les feuilles s’emploient telles qu’elles sont, mais il faut aplatir les tiges avec un maillet ou les faire passer dans une espèce de laminoir pour les aplatir et les rendre plus souples. Le plus grand usage des unes et des autres est d’en former des couvertures de petits bâtimens dans les campagnes ; on en fait aussi des nattes, des paillassons qui durent longtemps ; on en rembourre les chaises avec plus d’avantage qu’avec de la paille. On a en vain cherché à utiliser la soie, assez abondante, qui se trouve dans l’épi dense (massette) des fleurs de cette plante, mais on n’en a obtenu aucun résultat satisfaisant.

Fig. 28.

§ V. — Du Scirpe.

Scirpe des étangs (Scirpus lacustris. Lin. ; angl., Marsh club-rush ; all., Sumpfbense, Sumpfsende, Riesch ; ital., Scirpo acquatico). Cette cypéracée est très-vivace et se trouve abondamment dans les étangs et dans les rivières. Elle a les tiges cylindriques, un peu diminuées de grosseur dans le haut, longues de 7 à 8 pieds, et terminées par des fleurs en épis paniculés.Les botanistes ne parlent pas de ses feuilles, probablement parce qu’ils n’en ont pas vu ; en effet, lorsque la plante croit dans les étangs dont l’eau est tranquille, elle n’en produit pas ; mais, dans les rivières, les gaines qui embrassent le bas des tiges se développent en rubans minces, flexibles, larges de 3 lignes, plus longs que les tiges, s’élèvent et flottent à la surface de l’eau, dans la direction du courant. J’ai découvert ce fait en cherchant à connaître quelle sorte de plante formait chaque année une masse de verdure flottante au milieu de la Seine, vis-à-vis Bercy, à des époques où on n’y apercevait aucune tige de scirpe. Quand les tiges de scirpe parurent et furent en fleurs, la flottille des feuilles était presque détruite, mais j’en trouvai une assez grande quantité dans toute leur longueur, adhérentes encore à la souche des scirpes et engaînant un peu leurs tiges à la base, pour que je puisse assurer que le Scirpus lacustris produit des feuilles aussi longues que ses tiges dans l’eau courante de la Seine. Je pense que ce sont ces feuilles que Dalibard a prises pour les feuilles de la Valisneria spiralis qu’il avait cru avoir trouvée dans la Seine.

C’est quand les tiges du scirpe sont en fleurs qu’on les juge assez mûres pour être coupées. On les fait sécher à l’ombre, on les aplatit et on en fait des nattes tressées pour les appartemens, des couvertures de petits bâtimens dans les campagnes, des abris et des paillassons plus durables que ceux faits en paille.

Poiteau.

  1. Dans cette évaluation on voit que M. Vétillart parle du prix de la filasse et non plus du lin dans son état brut, comme je l’ai fait jusqu’ici. — Pour comparer les résultats, il faudrait donc porter en déduction les frais assez considérables du rouissage, du broyage, etc.