Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 2/ch. 1

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Texte établi par Jacques Alexandre Bixiola librairie agricole (Tome secondp. 2-16).
Chapitre 2  ►

Chapitre Premier. — des plantes oléagineuses et de leur culture spéciale.

En nous conformant au plan de cet ouvrage, nous avons dû nous borner dans ce chapitre, auquel l’article Assolement doit servir de complément comme à la plupart des autres, à traiter des cultures oléagineuses proprement dites, sans nous occuper de l’extraction, ni même, à proprement parler, de l’emploi des diverses huiles végétales. C’est ainsi que nous renverrons le lecteur, pour le Lin et le Chanvre, au chapitre des Plantes filamenteuses ; — pour la Gaude, à celui des Plantes tinctoriales ; — pour les Courges, aux Végétaux fourragers ; et que nous ne citerons ici que pour mémoire : l’Olivier, le Noyer, le Hêtre, le Prunier briançonnais, l’Amandier, le Noisetier, la Vigne, les Pins, etc., dont il sera parlé plus tard dans la division de ce livre consacrée aux Arbustes et Arbres.

Sect. 1re
Du colza. 
 ib.
Sect. 2. 
Des choux. 
 7
Sect. 3. 
De la navette. 
 8
Sect. 4. 
De la caméline. 
 ib.
Sect. 5. 
De la moutarde blanche et noire. 
 10
Sect. 6. 
De la julienne. 
 11
Sect. 7. 
Du radis oléifère. 
 ib.
Sect. 8. 
Du cresson alénois. 
 ib.
Sect. 9. 
Du pavot. 
 ib.
Sect. 10. 
Du soleil. 
 13
Sect. 11. 
Du sésame jugoline. 
 14
Sect. 12. 
Du ricin. 
 ib.
Sect. 13. 
De l’euphorbe épurge. 
 15
Sect. 14. 
De la pistache de terre. 
 ib.

[1.1]

Section Ire. — Du colza.

Le Colza (en anglais, Rape ou Cole-seea ; en allemand, Raps ; en italien Colza) (fig. 1),

est une plante de la famille des Crucifères, du genre Brassica et du groupe des Choux (Brassica oleracea). Elle a été désignée par les botanistes sous le nom de Brassica oleracea campestris. — Il en existe deux variétés principales : l’une d’hiver, l’autre de printemps.

Le colza ou colsa, que l’on confond encore dans quelques lieux avec la Navette, a les feuilles lisses et d’un vert glauque, les aspérités et les poils épars qu’elles présentent dans leur jeunesse disparaissant plus tard ; les radicales sont pétiolées et légèrement découpées, et les caulinaires sont entières, sessiles et cordiformes.

La variété que l’on cultive le plus communément, est connue en Flandre sous le nom de colza froid, désignation qui correspond presque partout à celle de colza d’hiver. — Elle a les fleurs ordinairement jaunes ; — ses tiges sont plus branchues, plus élevées ; — ses siliques, par conséquent, plus nombreuses ; — ses feuilles à la fois plus épaisses et plus larges que celles du colza de mars ou de printemps, dont le principal mérite consiste dans sa précocité. — Le colza d’hiver occupe le sol du commencement d’un été à l’autre ; — celui de mars, au contraire, semé au printemps, mûrit ses graines dans le même été, particularité assez remarquable dans un Chou.

La production du colza en France est loin d’équivaloir, dans la plupart des années, à la consommation qu’on fait de ses graines ; aussi pensons-nous que sa culture est une de celles qu’il importe le plus de répandre, tant à cause des bénéfices qu’elle peut présenter, que parce qu’elle se combine fort bien avec les meilleurs systèmes d’assolement. Cette plante ne donne pas seulement une huile que la Flandre et la Belgique fournissaient naguère, presque sans rivalité, à Paris et au reste de la France ; — on la cultive aussi, comme nous le verrons ailleurs, pour fourrage ; — les tourteaux ou le marc qu’on obtient du résidu de ses graines, procurent une excellente nourriture aux animaux de la race bovine, et un engrais puissant pour les terres ; — ses tiges sèches peuvent être utilisées à défaut d’autres litières ; — enfin, on les emploie pour chauffer le four. Comme toutes les plantes à graines abondantes, qui mûrissent entièrement sur le sol, le colza, malgré les opinions contraires qui ont été émises récemment, doit être considéré comme une culture épuisante.

Ainsi que les autres Choux, il aime une terre franche, substantielle, suffisamment ameublie et richement fumée. Cependant il peut donner des produits avantageux en des circonstances moins favorables, et nous nous croyons fondés à croire, d’après des observations réitérées, qu’il réussit sur des sols plus variés et de bien moindre qualité qu’on ne le croit généralement.

Le colza d’automne, qui est facilement détruit par l’hiver dans les localités humides ou mal égouttées, résiste, au contraire, à de fortes gelées sur les terrains qui ne retiennent pas l’eau. Cette circonstance explique pourquoi, dans le Nord, ses récoltes sont parfois, sinon plus belles, au moins plus assurées sur les terres médiocres, naturellement sèches, que sur des terres plus substantielles et plus fécondes ; et de là vient sans doute que, dans plusieurs parties de la Flandre, on ne craint pas de confier cette variété à des sols légers, crayeux ou graveleux, tandis qu’on choisit rigoureusement la variété de printemps pour les terrains de meilleure qualité.

On cultive en grand le colza par le moyen des semis a demeure ou de la transplantation. Selon l’un ou l’autre de ces modes, dont nous traiterons successivement en nous occupant d’abord du colza d’hiver, le sol exige une préparation différente.

[1:1:1]
Art. ier. — Du Colza d’hiver.
[1:1:1:1]
§ i. — Des semis.

A ne considérer que la main-d’œuvre et les frais de culture, les semis pourraient paraître plus économiques que la transplantation, mais il n’en est pas toujours ainsi dès que l’on compare les deux méthodes dans l’ensemble de leurs résultats.

Comme la terre doit être préparée par plusieurs façons, et comme les semailles réussissent incomparablement mieux, année commune, dans nos climats, lorsqu’elles sont faites dès la fin de juillet, ou, au plus tard, dans le courant d’août, il arrive trop souvent que les semis en place ne sont possibles que sur jachère. — Dans ce cas peu favorable, le compte de la récolte se trouve chargé de deux années de loyer. — Il est de plus à remarquer que si, dans la pratique habituelle, les semis n’exigent pas plus d’engrais que les transplantations, ils épuisent davantage la terre, attendu que tout l’accroissement du colza se fait sur le même sol, tandis que, d’après le 2e mode, il se fait réellement sur deux sols différens. — Des faits nombreux semblent même attester, quelque étrange que cela puisse paraître, que le terrain qu’on emploie en pépinière et qui n’est guère, à la vérité, qu’un sixième de l’espace destiné à être planté, est épuisé au moins autant que celui dans lequel le colza porte ses graines.

Le semis à la volée est le plus simple, mais aussi le moins productif. Voilà, d’après M. Hotton, comment on le pratique le plus ordinairement en Belgique: «Aussitôt après l’enlèvement de la récolte qui a précédé le colza, on donne à la terre un labour qui, quelque temps après, est suivi de la herse. Un second labour a lieu immédiatement, puis on sème après avoir encore passé la herse. On couvre ensuite par deux dents, c’est-à-dire en passant deux fois une herse légère sur le semis. Enfin, on roule en long et en travers. — Aussitôt qu’on a semé, hersé et roulé, on tire à la charrue des rayons espacés de 8 en 8 pieds, ayant soin de les diriger vers la pente pour favoriser l’écoulement des eaux pluviales. La terre, ainsi divisée en planches, est laissée dans cet état pour le moment. — Mais, lorsque le colza a atteint un certain degré d’accroissement, ce qui arrive ordinairement deux mois et même plus après la sémination, on procède au buttage en creusant un fossé à la place de chaque rayon et dans le rayon même, et en jetant les terres qui en proviennent à droite et à gauche entre les plants de colza. — Ce fossé a ordinairement un pied carré, et on a soin, en le creusant, de conserver, autant que possible, les mottes de terre dans leur entier, afin de mieux abriter le colza. Ce travail fini, on n’ajoute plus rien à la culture jusqu’à la récolte.» On remarquera qu’il s’agit ici de la Belgique, où les terres sont habituellement dans un état parfait d’ameublissement et de propreté.

Dans d’autres localités, après avoir éclairci le plant selon le besoin, au lieu de le butter, ainsi qu’il vient d’être dit, et malgré la dépense assez forte qu’entraîne cette seconde opération, on le bine une ou deux fois à la houe à main. — Ce sont souvent des femmes qui exécutent ce travail.

De bons cultivateurs n’emploient pas moins de 40 voitures de fumier par hectare. D’autres en répandent de 25 à 30 seulement. Il est clair que ces proportions peuvent et doivent varier suivant l’état du sol.

Les semis de colza à la volée exigent de 6 à 8 litres de graines par hectare, ce qui équivaut, en poids, à environ 4 à 5 kilogrammes.

Ces sortes de semis succèdent fréquemment, dans le Nord, à des récoltes d’avoine, afin d’être à temps de les effectuer en temps opportun, on fait javeler cette céréale en petites meules régulièrement alignées ou en gerbes appuyées deux-à-deux et rangées par lignes de manière à ne couvrir qu’une faible partie de la surface du champ ; on peut ainsi donner un premier labour et un hersage entre les lignes. — Aussitôt après l’enlèvement des meules ou des cordons parallèles, on répand l’engrais ; — on laboure la pièce en entier ; — on herse de nouveau, puis on donne le labour qui doit précéder immédiatement le semis.

Les semis à demeure en rayons partagent avec les plantations en ligne l’avantage précieux de rendre les binages plus faciles et de permettre d’en donner à peu de frais de plus fréquens, ce qui contribue non seulement à augmenter les produits de la récolte, mais encore à améliorer sensiblement le sol pour les cultures suivantes.

Sur une jachère après une récolte précoce, toutes les fois enfin qu’il est possible de préparer suffisamment le sol avant l’époque la plus favorable aux semis, ce mode peut donner de fort bons résultats.

La terre ayant été préparée comme il a été dit plus haut, au moyen du rayonneur on trace à sa surface de petits sillons espacés de 18 po. (0 m 50 environ), après quoi on répand dans chacun d’eux la semence à l’aide d’un semoir à brouette, d’une bouteille ou de toute autre manière (voy. Tome I, Ensemencemens), de façon qu’il se trouve environ une douzaine de graines par pied de longueur des lignes. Un seul homme peut ainsi semer à peu près un hectare et demi dans sa journée.

La quantité de graine employée par hectare est de 2 à 3 litres.

La quantité d’engrais est la même que pour le semis à la volée.

Il est essentiel d’éclaircir et de biner le colza de bonne heure en automne, c’est-à-dire, dès que les plants sont assez forts pour supporter une façon ; dans les semis en rayons, le binage se donne avec la houe-à-cheval et l’on éclaircit les plants à la main ou avec la binette. Rarement on réitère ce binage avant l’hiver, mais on ne doit pas manquer d’en donner un nouveau et même deux au besoin, en mars et avril. En bonne pratique, quelques femmes suivent la houe pour déraciner complètement les mauvaises herbes soulevées par l’instrument.

Quoique le semis en lignes espacées de 18 pouces au plus (environ 50 cent.) ait un avantage marqué sous le rapport de la facilité et de l’accélération des façons, ce n’est cependant pas le meilleur mode dans tous les cas. M. de Dombasle a judicieusement fait remarquer que si le terrain n’est pas riche, les plants se trouvent trop écartés pour garnir suffisamment le sol et donner une pleine récolte ; il conseille donc de préférence dans ce cas le semis à la volée. Mais, pour approprier à celui-ci une partie des avantages que procurent les instrumens à sarcler, il a pratiqué une méthode que nous avons vue aussi mettre en usage avec beaucoup de succès par feu M. Nic. Demars, excellent cultivateur des environs de Paris. Le champ étant couvert de son plant et celui-ci assez fort pour devoir être éclairci, on y fait passer un extirpateur auquel on n’a laissé que ses pieds de derrière, écartés plus ou moins, selon que l’on veut détruire une plus ou moins grande proportion du plant. Ce travail doit se faire en lignes aussi directes que possible et également espacées. Les socs ayant coupé tout ce qui se trouvait devant eux, le champ se trouve, après l’opération, disposé par petites bandes alternativement vides et pleines ; on n’a plus ensuite qu’à éclaircir sur ces derniers s’il y a du trop. Les binages subséquens se donnent à la main, mais ils sont plus faciles que dans la culture ordinaire à la volée. M. de Dombasle emploie pour cette méthode 10 litres de graines à l’hectare.

Des semis en pépinière. — Le colza que l’on destine à la transplantation doit être semé dans le courant de juillet, afin que les jeunes plantes acquièrent le plus de force possible ayant de sortir de la pépinière. — Par la même raison, il ne faut pas semer trop dru afin d’éviter l’étiolement. Les Flamands emploient un quart seulement de semence en plus dans ce cas que pour un semis à demeure ; encore jugent-ils presque toujours nécessaire d’éclaircir lorsque les tiges ont atteint un certain développement. — Un plant bien conditionné, lorsqu’il présente déjà à sa base 15 à 18 lignes (0m,033 à 0m,040) de tour, ne doit pas avoir plus de 8 à 10 po. (0m216 à 0m270) de hauteur. On sème le colza en pépinière, soit à la volée, soit en rayons espacés de 9 pouces les uns des autres, de manière qu’en enlevant une ligne entre deux, pour subvenir aux besoins de la transplantation, et en éclaircissant celles qui restent, on puisse les conserver et les traiter ultérieurement comme tout autre semis en rayons.

§ II.— De la transplantation.

Quoiqu’à la rigueur la transplantation du colza puisse avoir lieu jusqu’en octobre, il est toujours préférable de le faire dans le courant de septembre, parce que, mieux et depuis plus long-temps le plant est enraciné aux approches des gelées, moins il doit être endommagé par leurs effets. La plantation petit s’opérer de plusieurs manières.

Au plantoir : En Belgique, dès que les récoltes de froment ou d’avoine, auxquelles succède le plus souvent le colza, ont été enlevées, on déchaume à l’extirpateur ou à la charrue. — Quelque temps après on étend le fumier ; — on l’enterre par un second labour ; — on herse une ou deux fois ; — puis on donne un dernier labour de 8 à 10 pouces (0m216 à 0m270) de profondeur qui divise le terrain en planches d’environ 3 mètres de largeur ; — on égalise, s’il y a lieu, le sol au moyen de la herse renversée ou du rouleau, et on commence immédiatement la plantation. — Pour cela, que l’on fasse ou non usage du rayonneur, un homme ouvre au plantoir des trous distans de 11 à 12 po.(0m297 à 0m324) sur la même ligne ; enfin, des enfans ou des femmes, qui le suivent, déposent un pied de colza dans chacun de ces trous et compriment la terre avec le pied autour des racines.

La distance des Lignes de plantation varie de 12 à 16 et 18 po. (0m324 à 0m487) selon que les binages devront avoir lieu ultérieurement à la binette ou à la houe-à-cheval. — Presque partout, vers la mi-novembre, on creuse le sillon de séparation des planches, et on jette la terre qui provient de ce travail entre les plants pour les chausser.

La transplantation à la pioche diffère peu de celle-ci ; seulement, au lieu d’ouvrir les trous au plantoir, chaque ouvrier, armé d’une pioche ou d’un boyau léger, le fait pénétrer dans le sol à l’endroit où doit se trouver un pied de colza. — En appuyant légèrement sur lemanche, il opère, le long du fer, un vide destiné à recevoir une des jeunes plantes dont son tablier est en partie rempli, et, lorsque ce plant a été placé à la profondeur voulue, avant de s’en dessaisir de la main gauche, de la droite il retire la pioche et affermit le sol à l’aide de la douille de l’instrument. Par ce moyen, qui exige à la vérité quelque habitude, mais qui devient fort expéditif sitôt qu’elle est acquise, les ouvriers marchent de front et laissent derrière eux un travail achevé.

La plantation à la charrue, de toutes la plus prompte, mais aussi dans la plupart des cas ta moins parfaite, est cependant assez souvent employée faute de bras. — Elle est fort simple : des femmes placent les plants dans la raie ouverte, en les appuyant contre la terre retournée, elle trait suivant les recouvre. — On conçoit qu’un pareil travail ne peut être bon que lorsque la terre est suffisamment pulvérisée pour se tasser naturellement autour des racines.

Sur des sols d’une fertilité moyenne on peut sans crainte planter dans toutes les raies, de sorte que les lignes se trouvent distantes de 9 à 10 po. (0m143 à 0m270). — Dans les terrains d’une richesse très-grande, il serait préférable de ne planter que de deux raies l’une, afin que les plantes destinées à devenir larges et fortes aient suffisamment d’air et d’espace.

Les pièces plantées doivent, de même que celles semées en place, être binées ou rechaussées au moins une fois vers la fin de l’hiver.

Art. ii. — Du colza de printemps.

Le colza de printemps, comme toutes les plantes dont la végétation est en quelque sorte hâtée par le temps, donne généralement des produits moins abondans, une huile moins grasse et de moindre qualité que celui d’hiver ; aussi le cultive-t-on moins communément. Cependant, lorsque les semis d’automne ont manqué, ou lorsque, par une cause quelconque, le terrain n’a pas été disposé plus tôt, sa culture présente encore de grands avantages.

Cette variété exige plus que l’autre un terrain fécond. Nous en avons déjà fait connaître un des motifs. — On conçoit du reste que n’ayant plus à redouter les gelées et ne devant être semé qu’assez tard, le plus grand obstacle à son développement est une excessive sécheresse, et que par conséquent un sol frais, substantiel et profond, est la première condition de sa réussite.

Le colza de printemps se cultive exclusivement de semis. — Quelquefois on le sème en mars ou avril ; par ce moyen il est plus facile de trouver dans le sol le degré d’humidité convenable à la prompte croissance de la jeune plante, ce qui rend les ravages des insectes moins redoutables ; mais, d’un autre côlé, beaucoup de personnes ont cru remarquer, avec le savant directeur de la ferme de Roville, que, dans ce cas, la floraison arrive précisément à l’époque où la fécondation des graines des plantes de cette famille, par suite sans doute de la brièveté des nuits, paraît se faire avec le plus de difficulté, c’est-à-dire dans les environs du solstice. M. Mathieu de Dombasle conseille en conséquence de fixer l’époque des semis au mois de mai. — Pour le semis à la volée, le seul qui soit ordinairement employé, attendu que presque nulle part on ne bine ou ne butte le colza d’été, on emploie de 10 à 12 litres de semence par hectare, quantité, comme on voit, du tiers environ plus considérable que pour les semis de colza d’hiver.

Art. iii. — Des insectes nuisibles au colza.

Indépendamment des gelées qui annullent parfois les récoltes de colza, cette plante redoute encore un autre ennemi souvent tout aussi destructeur et presque aussi inévitable ; nous voulons parler de Altise bleue (Altica oleracea)

Fig. 2.


que la fig. 2 représente grossie des 3 quarts. Ce coléoptère, qui fait en certaines années le désespoir du cultivateur sous le nom Tiquet ou de puce de terre, bien qu’il nuise aux plantes déjà grandes en détruisant une partie de leurs feuilles, de leurs fleurs et même de leurs graines, est surtout nuisible aux végétaux qui viennent de lever parce qu’il dévore leurs feuilles séminales. Il n’est pas rare de voir des semis entiers de crucifères anéantis de la sorte avant l’apparition de la 3e feuille. A mesure que la végétation prend plus de développement, le danger diminue ; aussi pensons-nous que le meilleur moyen d’éviter les dégâts de l’alltise, c’est moins de chercher à la détruire par des moyens toujours insuffisans ou inapplicables à la grande culture, que de tâcher de procurer aux plantes un développement rapide pendant leur première jeunesse. — Disons cependant que la fumée pénétrante du brûlis de végétaux encore verts éloigne efficacement ces insectes. Il est fort rare d’en voir en quantité notable sur des terrains nouvellement écobués[1].

Art. iv. — De la récolte du colza.

Aussitôt que le colza est suffisamment mûr, ce que l’on reconnaît à la couleur jaunâtre de toutes ses parties extérieures et à la teinte brune de ses graines, c’est-à-dire de la fin de juin aux premiers jours de juillet pour nos départemens du centre, et vers le milieu de ce dernier mois pour ceux du nord ; — pas trop tôt, dans la crainte d’obtenir des graines moins nourries, qui donnent par conséquent moins au mesurage, et, qui pis est, qui rendent moins d’huile à mesure égale ; — pas trop tard, afin de ne pas perdre une partie des produits : on commence la récolte du colza.

En Belgique, dit M. Hotton, duquel nous extrayons le passage suivant parce qu’il est parfaitement en rapport avec les souvenirs que nous avons rapportés de ce pays, on coupe le colza avec une faucille, à 4 ou 5 po. (0m108 à 0m135) de terre, et on le pose par poignées de deux rangées entre les fossés qui bordent les planches. — Les pieds sont placés du côté des fossés, les rameaux vers le centre de la planche. — L’ouvrier a ordinairement les pieds dans le fossé même, et coupe tantôt a droite, tantôt à gauche, jusque vers le milieu de chaque planche. Cette position facilite singulièrement le travail. Ce sont ordinairement des femmes qui le font. — Quand le temps est sec, on ne coupe que pendant la matinée, parce qu’alors les siliques étant fermées, laissent échapper peu de graines.

Dès que les tiges sont suffisamment sèches, ce qui arrive assez souvent après deux ou trois jours, on les ramasse dans des draps et on les enlève, soit pour les mettre en meules, soit pour les battre.

L’emmeulage n’a lieu que lorsqu’on n’a pas le temps de battre tout de suite, ou quand le colza n’est pas parfaitement mûr ou parfaitement sec, ou enfin quand le temps n’est pas assez beau ou assez sûr pour pouvoir entreprendre le battage, opération qui se pratique en plein air, au milieu des champs.

Lorsqu’on veut faire une meule, on dispose une place circulaire de manière que la terre soit élevée eu cet endroit de quelques pouces au-dessus du sol, afin d’empêcher l’humidité de se répandre dans l’interieur. On met ensuite une couche égale de paille de 3 à 4 po. (0m081 à 0m108), sur laquelle on étend un lit d’égale épaisseur de regain destiné à recevoir les graines qui tombent au fond de la meule, et qui seraient en partie perdues sans cette précaution.

On peut aussi, et cette méthode est recommandée, d’après son expérience, par M. de Dombasle, mettre la récolte en meulons coniques de 5 à 6 pieds (1 m. 60 c. à 2 m.) de haut, que l’on établit, soit immédiatement, soit 24 heures après le faucillage, selon le point de maturité. La graine s’y achève mieux et avec moins de risques qu’en javelle. Pour enlever ces menions, au lieu de les démonter par brassées, ce qui pourrait égrainer beaucoup, on étend à côté de chacun une toile de 8 pieds (2m. 60 c.) en carré, puis au moyen de 2 perches de bois léger que l’on passe sous la base du tas, deux hommes enlèvent celui-ci en entier et le posent sur la toile, qui, garnie elle-même sur ses côtés de deux perches semblables, sert à le transporter sur l’aire où se faille battage.

Pour battre le colza en plein air (voy. la fig. 2 qui sert de frontispice à ce volume), on se sert d’une grande toile nommée bâche, d’une étendue proportionnée à la récolte. Ce drap couvre tout l’espace disposé pour le battage ; il est relevé tout autour par le moyen d’un bourrelet en terre ou en paille.

Ces dispositions étant faites, on apporte le colza et on le place circulairement sur le drap. Aussitôt que l’aire est garnie aux deux tiers, les batteurs commencent leur opération en tournant ; à mesure qu’ils avancent, des ouvriers ramassent les tiges battues, les lient en bottes, et les mettent en tas dans le voisinage. D’autres ouvriers placent de nouveau colza, et ainsi successivement. — les poseurs sont en tête, les batteurs suivent, et les ramasseurs viennent les derniers.

Dans quelques contrées, au lieu de battre le colza au fléau, on a recours au dépiquage. — Depuis que les machines à battre se sont multipliées dans de grandes exploitations, on les a aussi utilisées dans le même but. M. de Dombasle écrivait en 1829 qu’il était très-satisfait de ce nouveau mode, au moyen duquel on peut battre facilement dans la journée dix à douze voitures de colza, sans avoir rien à craindre de tous les accidens de température qui dérangent si souvent le battage lorsqu’on le pratique en plein champ.

Assez souvent on vanne la graine sur le lieu même, d’autres fois on ne la nettoie complètement que lorsqu’elle est parfaitement sèche, ou même lorsqu’on veut la vendre, parce qu’elle se conserve mieux mêlée d’un peu de menue paille. — Dans l’un ou l’autre cas, comme elle est sujette à s’échauffer, on l’étendra au grenier, en couches minces, et on la remuera fréquemment à la pelle ou au râteau pendant les premiers temps.

Art. V. — Des produits de la culture du colza.

Dans les environs de Lille, on a calculé que 2 hectares de terre, les mieux fumés et les plus propres au colza d’hiver, rapportent, en bonne année, 100 sacs de graines, d’environ 50 kilog. chacun. — En général, il faut cultiver 3 ou 4 hectares pour obtenir cette quantité.

La graine de colza pesant, terme moyen, 72 kilog. l’hectolitre, la récolte est donc de 34 hectolitres par hectare.

Si nous rapprochons ces calculs de ceux que nous avons pu recueillir dans l’ouest de la France, notamment en Maine-et-Loire, aux environs de la Jumellière, où M. Cesbron a introduit la culture du colza, nous verrons que les résultats sont peu différens. Là, dans les circonstances les plus favorables, le colza d’hiver, planté et convenablement biné, rapporte jusqu’à 12 doubles décalitres à la boisselée de 15 à l’hectare, soit 36 hectolitres à l’hectare ; — le plus ordinairement il ne donne que 9 à 10 doubles décalitres, c’est-à-dire 30 hectolitres, tandis que le colza semé à la volée rapporte tout au plus 12 à 16 décalitres par boisselée.

M. de Dombasle a établi, d’après ses cultures, les calculs suivans qui pourraient, selon les localités, donner des résultats différens, mais qui, étant fondés sur la pratique, ne peuvent manquer d’offrir un intérêt positif :

colza d’hiver
.
Semis à demeure et à la volée.
Loyer du terrain, 2 années ; par hect. 
140 f.
Engrais : 40 voitures par hectare, à 6 fr. la voiture, y compris les frais de transport et la main-d’œuvre pour le répandre ; pour moitié 
120
Un labour à la charrue et deux à l’extirpateur 
50
Hersage 
10
Semence : 6 litres, et semaille 
4
Faucillage 
10
Battage, vannage 
18
  ————
Total 
352 f.
Produit moyen, 18 hectol., à raison de 25 fr. 50 cent, l’hectolitre, fait 
459 f.
A déduire pour les frais 
352
  ————
Reste en bénéfice 
107 f.


Semis à demeure et en lignes.
Loyer, engrais, labours comme ci-dessus 
310 f.
Hersage 
10
Travail du rayonneur pour tracer des lignes à 18 po. de distance, parfaitement espacées 
2
Semence : 2 litres, et semaille au semoir. 
6
3 binages à la houe à cheval 
12
Faucillage 
10
Battage et vannage 
18
  ————
Total 
368 f.
Produit moyen, 22 hectolitres à raison de 25 fr. 50 cent. 
561 f.
A déduire les frais 
368
  ————
Reste en bénéfice 
193 f.


Transplantation en rayons.
Loyer d’une année 
70 f.
Engrais 
120
Labours comme ci-dessus 
50
Hersage et rayonnage 
12
Replant : 45 milliers, les lignes étant à 18 po. et les plants à 12 po. dans la ligne ; à raison de 50 c. le millier, ce qui est bien suffisant pour indemniser des frais de culture de la pépinière
22 f. 50 c.
Transplantation 
25
Deux binages à la houe à cheval 
8
Faucillage 
10
Battage et vannage 
18
  ——————
Total 
335 f. 50 c.
Produit moyen, 22 hectolitres à raison de 25 fr. 50 cent. l’hectolitre 
561 f.
Frais à déduire 
335   50 c.
  ——————
Reste en bénéfice 
226 f. 50 c


colza de printemps.
Loyer d’une année 
70 f.
Un labour à la charrue et deux à l’extirpateur 
50
Engrais 
80
Hersage et rayonnage 
12
Semence et semaille au semoir 
6
Un binage à la houe à cheval 
4
Faucillage 
10
Battage et vannage 
18
  ————
Total 
250 f.
Produit moyen, 14 hectolitres à 22 fr. 
308 f.
A déduire pour les frais 
250
  ————
Reste en bénéfice 
58 f.

On a estimé en Flandre que 50 kilog. de bonne graine de colza d’hiver peuvent donner 17 à 19 kilogramm. d’huile, tandis qu’une même quantité de graine de colza de mars n’en produit guère que de 13 à 15. — Nous avons déjà dit que la première est d’ailleurs préférable à la seconde.

D’après M. Gaujac, 960 kilogrammes de graines rendent en huile 380 kilog., et en tourteaux, 520 kilog.

Il n’entre pas dans notre sujet de parier ici de l’extraction de l’huile et de son emploi. Nous devons renvoyer le lecteur à la partie de cet ouvrage qui traitera des Arts agricoles.

Vilmorin et O. Leclerc-Thouin.
Section ii. — Des Choux.

Dans quelques lieux, on a cherché à remplacer le colza par divers Choux rustiques, dans l’espoir d’obtenir autant ou plus de graines, ou de réunir sur le même sol une récolte fourrage à une récolte oléagineuse ; mais nous n’avons pas connaissance d’essais de ce genre qui aient présenté jusqu’ici des résultats décidément avantageux.

Les choux que l’on a essayé ou qu’on pourrait essayer de cultiver dans cette vue, sont principalement : le Chou à faucher (Brassica oleracea foliosa ; en allemand, Schnillkohl), espèce allemande inusitée en Angleterre ; le chou-navet (Brassica napo-brassica ; angl. Turnip-rooted cabbage ; all. Kohlrabe ; ital. Cavolorape), surtout la variété à racine entièrement enterrée ; le Rutabaga ou Navet de Suède (Brassica rutabaga ; angl. Rutabaga ou Swedish turnip ; all. Rutabaga, Swedische Rübe ; ital. Rutabaga) ; les Choux frisés du Nord (Brassica oleracea fimbriata ; angl. 'Scotch kale ; ital. Cavolo riccio ou Verza riccia), Vert, (angl. Green ; ital. Verde), et Pourpre (angl. purple ; ital. rosso), particulièrement les variétés à pied court ; le Chou cavalier ou grand Chou à vaches (Brassica oleracea procerior ; angl. Tall anjou kale ou Borecole ; ital. Cavaliere) ; le Chou vert branchu ou Chou mille-têtes du Poitou (Brassica oleracea ramosa ; angl. Thousand headed kale) ; le Caulet de Flandre (Brassica oleracea belgica ; angl. Flemish purple kale).

Tous sont loin probablement de présenter d’égales chances de succès. Nous donnerons à cet égard quelques aperçus fondés sur nos observations. — Les grands Choux verts, tels que le Chou cavalier, ont l’inconvénient de faire de trop fortes plantes ; l’espacement considérable qu’elles exigent et le petit nombre que l’on en pourrait dès-lors placer sur un arpent , nous semblent laisser peu de chances que leur produit puisse égaler habituellement celui du colza. Ces choux, plantés en juin, s’effeuillent depuis le mois d’octobre jusqu’au commencement de mars ; on les laisse ensuite monter pour les couper en avril ou les faire grainer ; mais, quelque heureuse que puisse paraître cette dernière combinaison par suite de l’économie de main-d’œuvre, elle réussit assez rarement. — Le Chou, cultivé si avantageusement dans l’Ouest comme fourrage, outre l’inconvénient de geler assez facilement, surtout lorsqu’il tombe de la neige que le soleil fait fondre rapidement, a encore celui d’être très-sujet à cette sorte de brûlure qu’on connaît sous le nom de brime. Dans beaucoup de localités, ses siliques et même ses feuilles se couvrent, peu avant l’époque de la maturité des graines, d’une foule de taches noires ; aussi la récolte est-elle très-incertaine. — Nous l’avons vu de près de 30 hectolitres à l’hectare, et parfois de moins de 8.

Les Choux frisés du Nord, qui seraient précieux par leur rusticité, ont presque constamment les graines menues et mal nourries. Aussi, malgré quelques exceptions à cette règle, n’osons-nous en conseiller l’emploi.

En 1817, à Verrières, près Paris, une pièce de Rutabaga jaune a fourni de la graine sur le pied de 2,000 kilog. à l’hectare, sur une terre légère et qui n’est pas de première qualité. Ce produit est peu éloigné du maximum de celui du colza sur les terres les plus riches. Mais le Rutabaga est sujet à pourrir du collet, et l’on n’en pourrait pas espérer habituellement des récoltes semblables. — Il ne resterait donc guère, dans notre opinion, que le Chou à faucher et le Chou navet à racine enterrée qui pussent offrir des chances de rivalité avec le colza.

Notre confrère Sageret avait créé des hybrides qui paraissaient fort intéressans. L’un de nous (M. Vilmorin) en a essayé quelques-uns ; l’inconstance de leurs caractères et l’inégalité des plantes entre elles l’ont fait de bonne heure renoncer à leur culture.

Quoique ce que nous venons de dire soit peu propre à encourager la culture du chou en remplacement de celle du colza, nous ne pensons pas que les essais faits jusqu’ici soient suffisans pour décider la question, et loin de déconseiller d’en faire d’autres, nous les appelons au contraire de nos vœux, cet objet étant d’un intérêt et d’une utilité très-réels.

Section iii. — De la Navette.

La Navette, comme le Colza, appartient à la famille des Crucifères et au genre Brassica, mais elle fait partie des Navets. C’est le Brassica napus sylvestris des botanistes (en anglais confondue avec le colza sous le nom de Rape seed [2]; all. Rubsamen ; ital. Rapetto). Ses feuilles, au lieu d’être lisses et glauques comme celles du colza et de la plupart des choux, sont au contraire rudes au toucher et d’un vert plus franc, comme celles des navets et des raves.

On connaît, eu égard à la durée de végétation de celte plante, deux variétés ou laces désignées l’une sous le nom de Navette d’hiver, l’autre sous celui de Navette de printemps ou quarantaine.

Si la Navette donne en général des produits moins abondans que le colza, elle est aussi moins exigeante que lui sur la qualité du sol et les soins de culture. Elle se contente encore mieux d’une terre légère, graveleuse même, pour peu qu’elle soit suffisamment fumée.

La Navette d’hiver se sème toujours à la volée et à demeure ; au moins ne l’avons-nous jamais vue cultivée enrayons, parce que sans doute on ne juge à propos d’accorder cette culture soignée qu’à d’excellentes terres, et qu’alors on préfère le colza. Nous pensons toutefois que cette méthode pourrait lui être appliquée avec avantage.

L’époque du semis est de la fin de juillet au commencement de septembre ; dans quelques cantons cependant on sème dès le mois de mars dans les avoines, ou bien à la Saint-Jean avec les sarrasins. A l’automne, ou, à défaut, au printemps suivant, on doit éclaircir et, pour le mieux, biner la navette ; l’éclaircissage à l’extirpateur, conseillé par M. de Dombasle pour les colzas semés à la volée, est parfaitement applicable à cette plante.

La récolte a lieu de juin à juillet dans le centre de la France ; plus tôt ou plus tard, selon qu’on s’éloigne de ce point vers le sud ou vers le nord. Elle se fait en tout comme celle du colza.

La Navette de printemps se plaît surtout dans les terres légères, sablonneuses et surtout calcaires. Sur les bons fonds. des pays de plaines dont l’assolement est bien combiné, il n’y a presque jamais avantage à semer cette variété, parce qu’elle manque très-souvent, donne des récoltes inférieures, et qu’on peut la suppléer par des cultures plus productives et plus certaines ; mais il n’en est pas de même dans les pays de calcaire argileux très-élevés. où les nuages peuvent entretenir une humidité suffisante pendant l’été ; là, dit Bosc, qui a été à même de suivre la culture de cette plante en de telles localités, elle est aussi et même plus productive que la navette d’hiver.

Du reste, c’est principalement lorsqu’une autre culture a manqué par suite des intempéries de l’hiver, qu’il est avantageux de la remplacer par de la Navette d’été, qui peut se semer jusqu’à la fin de juin et qui n’occupe le sol qu’environ deux mois.

La quantité de semence est de 7 à 8 litres par hectare. — On sème ordinairement un peu moins dru la navette d’hiver.

La principale cause de destruction de la navette, pendant sa jeunesse, est l’Altise bleue, et, aux approches de la maturité, les oiseaux nombreux qui recherchent ses graines avec avidité.

Le produit moyen d’un hectare de colza, semé a la volée, étant de 18 hectolitres, dans des circonstances relativement semblables on a évalué celui d’une pareille étendue de navette d’hiver à 16 hectolitres seulement et celui d’un hectare de navette de printemps à 12.

La graine de navette donne un dixième environ d’huile de moins que celle de colza.

Vilmorin et O. Leclerc-Thouin.
Section iv. — De la Caméline.

La Caméline (Myagrum sativum ; angl. Gold of pleasure ; all. Lein dotter, Flachs dotter ; it. Alisso commune) (fig. 4), appartient à la

Fig. 4. famille des Crucifères.— Elle est toujours annuelle. — Sa tige, cylindrique et très-rameuse, s’élève de 1 a 2 pieds (0m 325 à 0m 650). — Ses feuilles sont velues, alternes ; les inférieures oblongues et presque spatulées ; les caulinaires semi-amplexicaules, auriculées et ciliées sur les bords. — La fleur est jaune.

Cette plante, que nous considérons ici sous le seul point de vue de la production de ses graines, a cependant quelques autres usages : — ses tiges sont employées dans diverses localités pour couvrir les maisons ; — dans beaucoup d’autres pour chauffer le four ; — on a pu en tirer une filasse de médiocre qualité ; — enfin, on les a recommandées depuis long-temps pour la fabrication du papier commun.

Indépendamment de l’espèce ordinaire, il en existe une autre connue depuis quelques années en France sous le nom de Caméline majeure, dont nous aurons occasion de parler à la fin de cet article.

La Caméline partage avec la navette d’été l’avantage d’être un des végétaux oléagineux qui occupent le moins long-temps le sol. Elle peut se semer plus lard avec d’autant plus de chances de succès qu’elle n’exige pas des pluies fréquentes, qualité bien précieuse dans les années où les récoltes d automne ou de printemps ont été détruites. Aussi en fait-on grand cas en divers lieux pour remplacer les lins, les colzas, les pavots, et, dans des cas heureusement moins fréquens, les blés qui ont péri par suite du froid, de la grêle ou des inondations.

La Caméline, qui aime de préférence les sols légers, peut croître passablement bien dans les terres à seigle de médiocre qualité et de faible profondeur. De toutes les plantes oléagineuses, c’est peut-être celle dont la culture est la moins limitée pour le choix du terrain. — On peut dire, avec un habile cultivateur de la Flandre, qu’elle vient partout et qu’elle y vient avec succès, pour peu qu’on lui accorde les soins de culture et les engrais nécessaires.

On lui a reconnu d’ailleurs des avantages d’un autre genre qui ne sont pas à dédaigner : le premier, c’est qu’elle est à l’abri des altises, qui attaquent, comme nous l’avons déjà dit, presque toutes les plantes de la famille des crucifères dans leur jeunesse ; et des pucerons (Aphis), qui se multiplient parfois tellement à l’époque de la floraison, qu’ils diminuent sensiblement les récoltes de colza et de navette ; — le second, c’est, d’après M. de Dombasle, qu’il est possible d’obtenir une récolte dérobée de carottes ou un fort beau trèfle après la caméline [3].

Vers le centre de la France, sur des sols précoces, on diffère parfois les semis de cette plante jusqu’à la fin de juin et même au commencement de juillet. Dans les fonds qui s’echauffent moins facilement, eu égard à la rapidité moins grande de la végétation, il convient de les commencer dès le mois de mai. — La pratique du nord est à peu près la même.

Préalablement à cette opération, on a eu soin de préparer le champ par un ou deux labours à la charrue et un égal nombre de hersages, ou par un seul labour d’automne et une ou deux cultures à l’extirpateur aux approches du moment des semailles.

On sème la caméline à la volée à raison de 4 à 5 kilogrammes et souvent moins à l’hectare, à cause de la grande finesse de la graine. — Aux environs d’Amiens, d’après M. de Saveuse, on ne répand qu’une pinte de cette graine au journal, c’est-à-dire les deux tiers de moins que pour un semis à demeure de colza d’hiver.

Le seul soin qu’on accorde à la caméline après qu’elle est levée, c’est de l’éclaircir de manière que chaque pied se trouve à la distance de 6 pouces (0m 162) au moins de son voisin. — On détruit en même temps les mauvaises herbes qui pourraient entraver sa croissance.

Nous devons ajouter encore, d’après l’expérience de M. de Dombasle, que l’époque de la maturité de la graine de caméline étant la même que celle de la moutarde blanche, lorsqu’elles ont été semées en même temps, il y a un grand avantage à les semer ensemble sur le même terrain. Le produit est de cette sorte beaucoup plus abondant que si on les avait semées à part, et la graine mélangée, qu’il serait d’ailleurs facile de séparer par le criblage, ne perd rien de sa valeur pour la fabrication de l’huile.

La récolte de la Caméline ne diffère en rien de celle du colza. — Dans quelques contrées on l’arrache au lieu de la fauciller.

En des circonstances ordinaires le produit de cette plante a été évalué à 15½ hectolitres à l’hectare. — Il est à remarquer que dans les mêmes circonstances, lorsqu’on la cultive simultanément avec la moutarde blanche, on obtient de la même étendue, terme moyen, de 17 à 18 hectolitres.

M. Gaujac, sur 875 kilog. de graines de caméline, produit de 40 ares, a obtenu 238 kilog. d’huile et 630 kilog. de tourteaux.

L’huile de caméline est très-bonne à brûler ; elle a même moins d’odeur et donne moins de fumée que celle de colza, à laquelle elle est inférieure sous les autres rapports.

La Caméline majeure a les graines plus grosses, plus abondantes en huile que celles de l’espèce commune, ce qui avait fait espérer à M. Bourlet qu’elle pourrait la remplacer avec avantage. Mais des essais comparatifs de l’une et de l’autre, dont l’un de nous a rendu compte à la Société d’encouragement, ont fait reconnaître qu’à terrain égal elle produisait beaucoup moins de graine que l’espèce ordinaire ; il est donc douteux que sa culture puisse présenter quelques avantages.

[1.5]

Section V. — De la Moutarde blanche et noire.

Ces deux plantes, du genre Sinapis, appartiennent à la famille des Crucifères comme toutes les précédentes. Elles sont annuelles. — La première (Sinapis alba ; angl. White mustard ; all. Weisser senf ; it. Senape bianco) (fig. 5), a les tiges velues, rameuses, hautes


de 1 à 2 pieds ;— les feuilles pétiolées, ailées, à lobe terminal dentelé ; — les fleurs d’un jaune très-pâle ; — les siliques velues ; — les graines plus grosses que celles de la moutarde noire et d’un blanc jaunâtre.

Cette espèce est un peu moins difficile sur le choix du terrain que la moutarde noire. — Cependant, pour donner un produit abondant, elle exige une terre riche et ameublie par une bonne culture préparatoire.

On sème la moutarde blanche ordinairement un peu plus tard que le sénevé ou moutarde noire, c’est-à-dire vers le commencement d’avril, sur 2 ou 3 labours à la charrue et à l’extirpateur, et après une bonne fumure, tantôt à la volée, tantôt en rayons. — Dans le premier cas on met 6 à 7 kilog. de graines par hectare ; — dans le second, seulement 4 ou 5.

Après un semis à la volée, on se contente d’éclaircir et de biner une fois. — Après le semis en rayons, on donne ordinairement 2 binages à la houe-à-cheval, ainsi que nous l’avons dit pour le colza.

La Moutarde noire (Sinapis nigra ; angl. Black mustard ; all. Schwarzer senf ; it. Senape nero) (fig. 6), se distingue de la blanche


par ses tiges striées et hautes de 2 à 3 pieds ; — par la couleur jaune prononcée de ses fleurs ; — par ses siliques glabres et la teinte noire de ses graines.

Cette espèce, connue dans divers lieux sous le nom de sénevé, se sème dès le mois de mars. — Elle exige du reste les mêmes soins de culture que la précédente.

La récolte des graines de moutarde offre cette difficulté particulière que leur maturité s’opère progressivement, de sorte qu’on ne peut attendre qu’elle soit complète pour toutes les siliques, sous peine de perdre une grande partie du produit, et, qui pis est peut-être, de salir la terre, pour plusieurs années, de semences qui s’y conservent, en état de germination , au grand détriment des cultures suivantes. — Cet inconvénient grave est surtout sensible après les semis de moutarde noire. Aussi la coupe-t-on dès que les tiges sont devenues jaunes ; on les amoncèle ensuite, soit dans un champ en les couvrant de paille, soit dans une grange où elles puissent se perfectionner, et on ne les bat qu’un mois environ après la récolte.

Comme le fléau écrase une partie des graines, souvent, pour le battage, on préfère des baguettes longues et flexibles dont le choc provoque suffisamment l’ouverture des siliques.

La moutarde noire, cultivée comme plante oléagineuse, est moins productive que la navette d’hiver. — On estime qu’elle donne, terme moyen, de 14 à 15 hectolitres à l’hectare. — La moutarde blanche, semée sans mélange, est, dit-on, encore moins féconde. — Il n’y a donc pas généralement grand avantagea multiplier l’une ou l’autre pour en retirer de l’huile ; mais elles ont dans le commerce un prix assez élevé, la première surtout, par suite de leur emploi à la fabrication de la moutarde. C’est principalement sous ce dernier point de vue qu’on peut essayer profitablement leur culture.

Indépendamment des 2 espèces que nous venons d’indiquer, il en existe une 3e, la Moutarde sauvage ou Sanve (Sinapis arvensis ; angl. Charlock ; all. Wilder senf ; it. Senape selvaggio), qui se multiplie naturellement dans les champs, au point de causer parfois le plus grand dommage aux récoltes. — Ses graines sont cotées sur les mercuriales de divers marchés, bien qu’elles ne soient estimées ni par les huiliers ni par les vinaigriers. Elles se consomment en assez grande quantité à Paris pour la nourriture des oiseaux, et servent trop souvent à frauder les graines de moutarde noire.

[1.6]

Section VI. — De la Julienne.

La Julienne fait partie du genre Hesperis et de la famille des Crucifères. L’espèce qu’on cultive pour l’ornement des jardins (Hesperis matronalis ; angl. Rocket ; all. Frauennacht viole ; ital. Giuliana) (fig. 7), est la même que


celle qu’on a cherché à propager pour en extraire de l’huile ; mais, malgré l’importance qu’on lui a donnée sous ce rapport dans divers écrits, il semble désormais démontré par les faits que si sa culture a pu quelquefois donner en petit de belles espérances, elle est loin d’atteindre, en grand, les résultats avantageux qu’on avait annoncés. — Presque partout, à la suite d’essais plus ou moins répétés, elle a été abandonnée, et nous devons dire que nos observations personnelles sont d’accord avec ce résultat.

Cette plante étant ordinairement vivace, afin de lui faire occuper le sol le moins longtemps possible, on doit la semer en automne. — Elle réussit aussi au printemps, mais elle ne monte pas dans la même année. — Nous avons été à même d’observer qu’elle se ressème d’elle-même à la fin de juin, et que le plant qui naît à cette époque est fort beau.

Si l’on voulait encore tenter la culture de la Julienne sur une certaine échelle, nous conseillerions de recourir aux semis en rayons.

Sur 40 ares de bonne terre bien nettoyée, labourée et fumée, M. Gaujac a obtenu 770 kilogrammes de graines qui n’ont donné que 140 kilog. d’huile.

[1.7]

Section VII. — Du Radis oléifère.

Le Radis oléifère ou Raifort de la Chine (Raphanus sativus oleifer ; angl. Oil radish ; all. Oel rettig ; it. Rape oleifero) est encore une plante de la famille des Crucifères.

Ce radis, comme la julienne, a été fort vanté dans divers écrits, notamment pour la culture du midi, et pourtant nous ne croyons pas qu’il ait survécu, dans la pratique, à une vogue passagère. — Si l’abondance de ses siliques avait d’abord pu séduire, on s’est bientôt aperçu qu’elles ne contenaient souvent que très-peu de bonnes graines, cas fort ordinaire dans tous les raiforts. — Ces graines sont d’ailleurs d’une extraction beaucoup plus difficile que celles du colza, et la plante semble redouter davantage encore les atteintes de l’altise.

D’un autre côté, l’huile qu’on en obtient, et qui devait, disait-on, remplacer celle d’olive, d’après les expériences directes de l’un de nous (M. Vilmorin), est âcre et à peine mangeable.

Dans le midi de la France, il faudrait semer le radis oléifère assez clair, en septembre, dans une terre franche, plutôt humide que sèche, et d’une certaine profondeur. — La récolte peut avoir lieu souvent dès la fin de mai. — Vers le Nord, les grands froids étant à redouter, il est nécessaire de ne semer qu’au printemps, quoiqu’alors on doive s’attendre a un moindre produit.

Dans tous les cas il est utile de sarcler, de biner et d’éclaircir, de manière que les plantes laissées sur le sol se trouvent à environ 1 pied (0m325) les unes des autres.

[1.8]

Section VIII. — Du Cresson alénois.

Ajoutons, pour terminer ce que nous avons à dire des plantes oléagineuses de cette famille, qu’en Allemagne Schubler a retiré en petit des graines du Cresson des jardins (Lepidium sativum ; angl. Common cress ; all. Kresse ; it. Crescione alenois) une huile bien plus abondante que des graines du colza, puisqu’elle a fourni au-delà de 50 p. 100.

Malheureusement, même en admettant un résultat si remarquable, nous devrions encore prévenir nos lecteurs que le cresson alénois craint singulièrement le ravage de l’altise, et que, de toutes les plantes cultivées pour leurs graines, c’est peut-être une de celles qui épuisent davantage le sol.

[1.9]

Section IX. — Du pavot.

Le Pavot, Œillette ou Oliette, plante de la famille des Papavéracées, à laquelle il a donné son nom, présente à la grande culture trois espèces ou variétés principales.

Le Pavot ordinaire, à graines grises (Papaver somniferum ; angl. Maw ou Oilpoppy ; all. Mohn ; it. Papavero commune) (fig. 8), a des


racines pivotantes ; — des tiges cylindriques, rameuses, glabres, hautes de 3 à 4 pieds (1m à 1m299) ; des feuilles alternes amplexicaules, plus ou moins dentées et plissées, épaisses, longues et glabres ; — ses fleurs, ordinairement rouges ou lilas, mais de couleur variable, ont jusqu’à 4 po. (0m108) de diamètre ; ses capsules sont globuleuses et percées latéralement à leur sommet, aux approches de la maturité, de plusieurs opercules.

Le Pavot aveugle (Papaver somniferum inapertum ; it. Papavero cicco) diffère de l’espèce précédente par la grosseur plus considérable de ses capsules (fig. 9) et l’absence des opercules.

Enfin le Pavot blanc (Papaver somnferum candidum ; angl. White poppy ; it. Papavero bianco), à capsules grosses et fermées comme celles du pavot aveugle, se distingue, en outre du pavot commun, par la couleur constamment blanche de ses fleurs et de ses graines.

L’Œillette grise, par suite sans doute de la multiplicité plus grande de ses fleurs et de ses fruits, est généralement préférée dans nos départemens du nord pour la production de l’huile. — Le Pavot blanc, au contraire, est à peu près exclusivement cultivé pour la récolte des têtes destinées à des usages médicinaux. La grosseur de ses capsules d’où les graines ne peuvent s’échapper avant et pendant la récolte, la saveur sensiblement plus douce de ces mêmes graines qui semblerait promettre une huile de qualité supérieure, n’ont peut-être pas été prises jusqu’ici assez sérieusement en considération, et nous pensons que des essais comparatifs restent encore à faire.

Un terrain doux, léger, quoique substantiel, profondément ameubli par les labours, et fumé à peu près comme nous l’avons dit pour le colza, convient particulièrement au pavot. — Dans les terres médiocres sa culture est rarement productive. — On peut en dire autant des terres argileuses, où la multiplicité des façons absorbe le plus souvent presque tout le bénéfice.

L’époque des semis d’œillette varie, selon les contrées ou les habitudes locales, du commencement de l’automne à la fin du printemps. — Cette plante ayant peu à craindre de l’effet des gelées de notre climat, et donnant des pieds incomparablement plus forts, toutes circonstances égales d’ailleurs, lorsqu’elle devient bisannuelle, ce dont chacun a pu se convaincre sans sortir de son jardin, nous serions disposés à recommander les semis de septembre, et nous croyons qu’on pourrait les étendre avantageusement du midi au centre et même plus avant vers le nord de la France. Toutefois, comme le sol peut n’être pas toujours convenablement préparé dès cette époque, nous ne prétendons nullement proscrire les semis du printemps dont une longue et heureuse expérience a sanctionné la pratique dans l’Artois, la Flandre et une partie de l’Allemagne.

Pour semer en septembre ou octobre, on donne un premier labour immédiatement après la récolte dernière ; un second peu de temps après ; et on multiplie, coup sur coup, les hersages jusqu’à parfait ameublissement du sol. — On répand ensuite la semence à la volée dans la proportion de 4 à 5 livres (2 à 2 1/2 kil.) à l’hectare ; — on l’enterre, à une très-faible profondeur, par un dernier hersage ; — enfin, dans beaucoup de lieux, on termine l’opération en faisant passer le rouleau. — Il est bon de faire observer que le pavot réussit incomparablement moins bien après une céréale qu’après un trèfle ou une luzerne, et que, dans ce dernier cas, le cultivateur est mieux à même de prendre son temps pour donner au sol les façons nécessaires.

M. de Dombasle recommande de semer le pavot dans le courant de l’hiver, le plus tôt qu’il est possible d’entrer dans les terres. Parfois on peut le faire dès le mois de janvier ; en général, d’après cet agronome, on ne doit pas passer celui de février. — En pareil cas on sème presque toujours sur un labour d’automne, suivi peu avant le semis des hersages nécessaires ; mais alors la terre est rarement assez ressuyée pour permettre un bon travail, et les semis en rayons, si on voulait les essayer, seraient on peut dire impossibles dans presque tous les sols de consistance moyenne, par suite du piétinement qu’entraînent les hersages, le rayonnage et le semis au semoir.

Dans la Flandre on donne aussi un premier labour avant l’hiver. — Aux approches de mars, après la fumure, on en donne un second suivi de hersages répétés et quelquefois d’un roulage, qui précède immédiatement les semailles. — On enterre à la herse retournée et on roule de nouveau.

Assez souvent on sème avec le pavot des graines de carottes qui remplissent utilement l’espace qu’on est forcé de laisser entre chacun de ses pieds, mais qui entravent nécessairement la bonne culture de la plante principale.

Le produit brut de l’œillette est considérable, mais les frais de main-d’œuvre ne le sont souvent guère moins. — Les sarclages et les binages qu’on est obligé d’opérer à la main sur les cultures à la volée, élèvent considérablement la dépense. — La culture par rangées la diminuerait d’autant en facilitant et en simplifiant ces travaux. On doit même croire qu’elle ajouterait à la quantité des produits ; mais, d’un autre côté, on ne peut se dissimuler qu’elle donnerait plus de prise aux vents qui nuisent parfois considérablement aux recolles de pavots. — Nous regrettons de ne pouvoir donner aux cultivateurs des données assez bien assises sur les avantages comparatifs des deux modes de semis à la volée et en rayons ; le 1er étant presque le seul en usage dans la pratique, nous n’engagerions à tenter le second qu’à titre d’essai.

Quoi qu’il en soit, la culture d’entretien de cette plante consiste en plusieurs façons à la binette. La première, dès que les jeunes pavots ont quatre à cinq feuilles, et la dernière quand ils commencent à monter en tige. Assez communément deux binages suffisent ; quelquefois on en donne jusqu’à trois, ce qui augmente sensiblement la dépense, quoiqu’un troisième binage ne soit jamais aussi dispendieux qu’un premier et même un second.

Au second binage on éclaircit les pieds de manière à les espacer de 6 à 8 po. (0m162 à 0m216) et même plus les uns des autres, selon la fécondité du sol.

La récolte de la graine se fait de diverses manières ; le plus souvent, dès que la maturité s’annonce par la couleur grisâtre que prennent les capsules, on arrache les plantes, on les lie par poignées sans les incliner, et on les réunit debout par petits faisceaux : c’est la méthode que nous avons observée en Artois.

D’autres fois on coupe les têtes sur place et on les transporte sur des draps dans un grenier sec, aéré, et dont le plancher soit bien joint, pour les y laisser mûrir complètement. D’autres fois encore, pour l’espèce ordinaire, afin de ne rien perdre, après avoir étendu des draps dans le champ, même au pied des plantes semées en rayons, on les incline et on les secoue pour faire tomber les graines mûres avant de les arracher et de les lier en faisceaux.

Dans beaucoup de lieux, on égrène les têtes de pavot une à une à la veillée, après avoir coupé la sommité des capsules qui ne sont pas naturellement munies d’opercules ; — dans d’autres, on réunit les tiges par poignées et on frappe deux de ces poignées l’une contre l’autre.

Feu M. Armand Rousseau, qui a cultivé avec succès l’œillette dans l’arrondissement d’Etampes pendant un certain nombre d’années, la faisait battre dans des cuves à lessive que l’on transportait dans les champs d’un faisceau à l’autre ; — on frappait les poignées avec un petit bâton, à un pied des capsules. Toute la graine n’étant pas obtenue de ce premier battage, huit ou dix jours après on procédait à un second qui produisait peu au-delà de ses frais, et on liait les poignées en fagots.

Enfin, on a essayé avec succès le battage au fléau, et l’on est facilement parvenu à éloigner les minces débris des capsules par le ventement. Cette méthode expéditive offre d’autant moins d’inconvéniens, que l’on peut au besoin achever de nettoyer la graine, avant de l’envoyer au moulin, dans un crible percé de trous assez fins pour ne laisser passer qu’elle.

M. Rousseau établit la moyenne de production de graines d’œillette dans ses cultures à 15 hectolitres à l’hectare ; — M. de Dombasle à 14 et demi. — Dans le nord on compte généralement sur 18 à 20 hectolitres. — Notre confrère Dailly, sur neuf hectares ensemencés en pavot, avait obtenu, vers 1820, à Trappes (arrondissement de Versailles), 18 hectolitres de graines par hectare, plus 360 bottes de tiges bien garnies de feuilles, pesant chacune eniron 9 kilog. — La graine récoltée sur chaque hectare lui a rapporté 121 fr., déduction faite de toute dépense. — Son troupeau s’est fort bien accommodé des feuilles et des tiges encore un peu fraîches de la plante, quoique cependant, après en avoir mangé une certaine quantité, ses bêtes aient éprouvé un léger effet d’assoupissement, au moins dans le commencement. — Les tiges entièrement sèches ont servi à chauffer l’étuve de la belle féculerie établie près de la ferme.

Dans diverses localités, afin de ménager la paille, au lieu de donner le bois d’œillette à fourrager aux moutons, on préfère l’utiliser pour former sur les meules une couverture parfaite.

— Il peut servir 2 ans à cet usage, après quoi il n’est plus propre qu’à augmenter la masse des fumiers.

La graine d’œillette donne en huile environ 28 litres par hectolitre. — Cette huile, qu’il serait déraisonnable de comparer à celle d’olive, est cependant douce, saine, d’une saveur agréable, et elle n’a rien de l’odeur désagréable de celle du colza, du lin, du chanvre, etc.

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Section X. — Du Soleil.

Le Soleil ou Tournesol, Hélianthe annuel (Helianthus annuus ; angl. Sunflower ; all. Sonnenblume ; ital. Gir ou Sole annue) (voy. sa figure, tome I, p. 22, fig. 19), appartient à la tribu des Corymbifères dans la famille des Synanthérées. — Ses tiges cylindriques, remplies de moelle, garnies à leur sommet de quelques rameaux florifères, s’élèvent jusqu’à la hauteur de 3 à 4 mètres ; — ses feuilles sont alternes, en cœur, hérissées de poils, longues souvent de plus d’un tiers de mètre ; — ses fleurs sont jaunes, portées sur un court pédicule et fixées sur un réceptacle parfois large de plus de 6 po. (0m162). — Ses graines, volumineuses, noires, grises ou blanchâtres rayées de gris, sont tellement rapprochées qu’on en a compté jusqu’à dix mille sur un seul pied.

On connaît et on cultive maintenant dans beaucoup de jardins, une race d’Hélianthe (Hel. ann. nanus ; angl. Dwarf sunflower ; it. Gir ou Sole nano), qui se distingue principalement de l’espèce ordinaire par sa taille peu élevée et ses moindres dimensions en tous sens. Rarement dans sa croissance elle dépasse 18 po. (0m487). Cependant sa fécondité est tout aussi remarquable, et, comme on peut la planter 3 ou 4 fois plus épais dans le même terrain, on doit croire qu’on en obtiendrait, en grand, des produits plus considérables.

Les graines d’Hélianthe contiennent en abondance une huile douce et de saveur agréable, également bonne à manger et à brûler ; — elles sont en outre pour les volailles une excellente nourriture ; — en Portugal, on en fait même du pain et une espèce de gruau, et , en Amérique, on les fait brûler et on les emploie comme le café. — Les feuilles, vertes ou sèches, produisent un excellent fourrage pour les vaches, et, chose importante, leur abondance est telle qu’on peut en supprimer une partie avant la maturité des graines, sans nuire sensiblement à leur production ; enfin, les tiges, soit qu’on les brûle comme chauffage ou pour en extraire la potasse, soit qu’on les destine à servir de tuteurs dans les jardins potagers, présentent encore d’utiles produits.

Malheureusement, à côté de ces avantages se trouvent d’assez graves inconvéniens : le soleil ne prospère que sur de bons fonds, en des terres abondamment fumées, et il les effrite tellement qu’on a pu le considérer comme une des plantes les plus épuisantes ; — les oiseaux sont tellement avides de ses graines qu’ils les détruisent en partie avant l’époque de la complète maturité ; — enfin, l’huile dont ces mêmes graines abondent est en grande partie absorbée, lors de l’extraction, par l’écorce épaisse qui les recouvre et dont on ne connaît jusqu’ici aucun moyen de les débarrasser. — Cette absorption est si grande que, d’après les expériences de M. Gaujac, tandis que 960 kilogrammes de graines de colza ont donné 380 kilogrammes d’huile, 800 kilogrammes de graines de soleil n’en ont produit que 120.

L’hélianthe étant originaire du Pérou, est fort sensible aux gelées de nos climats ; on ne peut donc le semer vers le centre de la France que dans le courant d’avril. — Le semis se fait en place à la volée, ou mieux en ligne, parce qu il est très-utile de pouvoir butter la plante, ce qui s’exécute beaucoup plus économiquement au cultivateur qu’à la binette à main.

Les gelées seules arrêtent la végétation de cette plante, et, à cette époque, il y a déjà long temps que les premières têtes sont mûres. — La récolte ne peut donc se faire que progressivement. — Pour empêcher le pillage des oiseaux, qui sont très avides des graines du tournesol, on pourrait les couper lorsque ces graines commencent à noircir, et les suspendre ensuite dans un lieu aéré ; mais, par ce moyen, il est reconnu que la quantité d’huile est sensiblement moindre.

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Section XI. — Du Sésame jugoline.

Le Sésame jugoline (Sesamum orientale ; angl. Oily grain ; all. Sesam ; it. Giuggiolena) est originaire de l’Inde. On le cultive abondamment en Egypte et dans l’Orient, absolument de la même manière que le sorgho. C’est une plante annuelle, de la famille des Bignones, à tiges droites, cylindriques, velues, hautes d’un à deux pieds ; — à feuilles opposées, pétiolées, ovales entières et légèrement velues ; — à fleurs blanches, solitaires sur des pédoncules axillaires et accompagnées de bractées.

Non seulement dans les contrées que nous venons de citer on fait une très-grande consommation de l’huile de Sésame, mais en Italie on cultive aussi cette plante pour ses graines. On les y mange grillées comme celles du maïs, bouillies et assaisonnées comme celles du millet, ou réduites en farine comme celles du sarrazin. — On en retire une huile journellement utilisée pour l’assaisonnement des mets au lieu de beurre.

La culture du Sésame ne serait possible en France que dans nos départemens les plus méridionaux.

[1.12]

Section XII. — Du Ricin.

Le Ricin ou Palma Christi (Ricinus communis ; angl. Palma Christi major ; all. Wunderbaum ; it. Ricino) (fig. 10), est une grande plante originaire

Fig. 10.


d’Asie et d’Afrique, qui appartient à la famille des Euphorbiacées.

Dans son pays natal elle s’élève en arbres de 8 à lO mètres, qui vivent un grand nombre d’années; — sous le climat de la France elle est devenue annuelle; elle s’élève rarement à plus de deux mètres et elle périt à l’approche des premiers froids. Cependant, au moins dans le midi, elle mûrit communément ses graines.

L’huile qu’on en extrait dans les pays où elle est commune, est recherchée pour l’éclairage ; — elle est susceptible de divers emplois dans les arts ; — les Indiens et les Chinois ont même trouvé, dit-on, le moyen de l’utiliser comme aliment en la faisant bouillir avec une petite quantité de sucre et d’alun en poudre ; mais son principal et son plus important usage est de servir de médicament.

Sous la latitude de Paris on ne peut guère espérer de récolter du ricin à moins de semer ses graines sur couche au printemps, pour les repiquer ensuite à demeure lorsque les dernières gelées sont passées. — Dans les départemens méridionaux il est possible de faire les semis en place. — On a même calculé qu’un are pouvait donner 14 kilog. de graines et environ 2½ kilog. d’huile, et, quoi qu’on ait écrit, il y a certain nombre d’années, qu’une pareille culture serait rarement profitable parce qu’elle prend beaucoup de place proportionnellement à la quantité de graines qu’elle produit, et que ces graines mûrissent fort inégalement ; cependant elle a pris depuis lors, notamment dans la plaine de Nîmes, une importance réelle. — Une grande partie de l’huile de ricin que la médecine française emploie de nos jours, n’a pas d’autre origine.

[1.13]

Section XIII. — De l’Euphorbe épurge.

« L’espèce d’Euphorbe connue sous le nom d’Epurge (Euphorbia lathyris ; angl. Caper spurge; all. Springkraut, Springkærner, Purgirkærner ; it. Catta puzza), ayant été recommandée depuis quelque temps comme une plante propre à donner de l’huile, M. Schubler fit recueillir ses semences dans le jardin botanique de Tubinge, où elle croît très-bien en plein air, et les soumit à la pression. 8½ onces de ces graines retirées de leurs capsules, ont donné 2½ onces et 20 grains ou 30 pour 100 d’huile ; ce qui met cette Euphorbe au rang des plantes oléagineuses les plus riches en produit.

L’huile s’éclaircit promptement par le repos ; sa couleur est le jaune clair ; sa pesanteur spécifique, à 12° de Réaumur, est égale à 0,9201, celle de l’eau étant 1. Elle se concrète à 9° R. en une sorte de masse butireuse qui, à une température un peu plus élevée, se fond avec lenteur ; elle fait partie des huiles peu siccatives à l’air et possède un arrière-goût. M. Schubler la croit très-propre à être employée dans un grand nombre d’arts, mais non pas sur la table. » ( Journ. fur. tech. chim., n° 12.)

La famille à laquelle appartient la plante porte à penser que l’huile en question doit partager les propriétés purgatives de celle du ricin.

[1.14]

Section XIV. — De la Pistache de terre.

La Pistache de terre ou Arachide (Arachis hypogaea ; angl. American earth-nut ; all. Erdnuss ; it. Arachidna ou Arachide americana) (fig. 11), appartient à la famille

Fig. 11.


des Légumineuses, et croît en Asie, en Afrique et en Amérique. Elle porte une tige simple, velue ; ses feuilles sont alternes, ailées ; ses fleurs jaunes, axillaires, solitaires ; — sa graine ressemble à un gros haricot.

Les Espagnols l’ont tirée de Santa-Fé de Bogota, et l’ont acclimatée, même dans les parties les plus septentrionales de leur pays. La fève de cette plante donne une huile abondante, limpide, inodore, moins grasse et presque aussi bonne que celle d’olive ; elle ne rancit presque jamais, et donne un savon très-sec et inodore ; elle est connue par ses qualités précieuses, non seulement en Espagne,- mais même en Italie et en France, et, si elle n’est pas appréciée et cultivée autant qu’elle le mérite, c’est parce que, dans le département des Landes où elle fut premièrement introduite, on s’est découragé par la difficulté de se défaire de ses produits, encore inconnus dans le commerce.

Sa culture est aussi facile que celle des haricots : elle demande une bonne terre, légère, bien labourée et bien fumée. On sème cette fève au printemps à la volée, ou une à une comme les fèves ordinaires, à un pied d’intervalle. On hâte la germination de la graine en la trempant dans de l’eau pendant deux ou trois jours avant de la semer ; mise en terre au mois de mai, elle fleurit en août, et on la récolte en novembre.

Cette plante a une particularité singulière, c’est d’enterrer ses gousses pour les faire mûrir. A cet effet il est essentiel de tenir la terre bien meuble, en la binant plusieurs fois avant la floraison, afin que ces gousses, qui s’enfoncent à mesure qu’elles se développent, puissent y pénétrer sans obstacles. — C’est à plus d’un pouce de profondeur qu’il faut aller les chercher.

Thouin dit dans son Cours de culture : « Le fruit de cette plante précieuse donne une grande quantité d’huile préférable à la meilleure huile d’olive… ses graines font partie de la nourriture des habitans du royaume de Grenade… Cette plante rapporte de 400 à 600 pour un.» Thouin veut dire aux Indes ; car, dans les pays les plus méridionaux de l’Europe, elle ne donne pas le tiers de ce produit ; mais, quand même elle ne donnerait que 50 pour un, ce produit serait immense : elle rapporterait, d’après cette proportion, une quantité de semences qui contiendraient une livre d’huile par toise. On peut donc affirmer sans crainte que la culture de cette plante offre plus d’avantages que bien d’autres plantes oléifères, et qu’on devrait en propager la culture, surtout dans les contrées méridionales de la France.

L’abbé Berlèse.

  1. M. Poiteau, dans les Annales de la Société d’horticulture (août 1834), a rapporté des expériences faites en Belgique, desquelles il résulterait que les œufs de l’altise sont apportés dans le sol, accolés aux graines du colza au nombre d’un à cinq ; par suite de ces expériences, l’auteur a été porté à tremper ses graines, pendant 24 et même pendant 3 heures seulement, dans une forte saumure avant de les semer ; dès-lors les jeunes plantes levèrent et se développèrent parfaitement, sans qu'aucune altise parût. (Note de la direct.)
  2. On peut s’étonner que les Anglais n’aient pas deux noms distincts pour la navette et le colza, et leur appliquent indifféremment ceux de Rape et de Cole-seed qui, pour eux, sont synonymes. On voit même, par les écrits de leurs meilleurs agronomes, qu’ils confondent les deux plantes ; M. Loudon est le seul, à ma connaissance, qui ait indiqué quelque différence entre elles, mais d’une manière vague et sans donner à chacune un nom spécial. S’il était possible de substituer une nomenclature raisonnée à celle consacrée par l’usage, on la trouverait ici toute faite, seulement en séparant les deux synonymes ; car, en se basant sur l’étymologie. Rape (Rapa) est un nom exact pour la navette, tandis que Cole-seed est précisément l’équivalent de colza (Kohl-saat), graine de chou, par inversion de chou-à-graine.
  3. « J’avais employé par hectare 5 livres de graines de carottes qui avaient été répandues à la volée en même temps que la graine de plantes à huile. Au moment de la récolte de ces dernières, les carottes étaient assez belles, à la réserve de quelques sillons où elles étaient fort claires. J’en ai fait sarcler une partie en arrachant les herbes à la main ; comme l’ouvrage était coûteux à cause du grand nombre de mauvaises herbes, je me suis contenté de faire herser fortement et à plusieurs reprises le reste avec une herse de fer fort pesante. Les carottes n’ont pas souffert de cette opération ; mais elles ont pris peu d’accroissement, parce que la terre n’était pas suffisamment nettoyée. Celles qui avaient été sarclées à la main, au contraire, ont donné une récolte satisfaisante et équivalente à moitié d’une récolte de carottes cultivées seules. — J’ajouterai que j’ai semé dans la même année beaucoup de trèfle dans de la caméline, ainsi que dans du colza de printemps et de la moutarde blanche. Il est venu beaucoup plus beau que celui qui a été semé dans des céréales.» (Mém. de la Soc. roy. d’agriculture.)