Malgrétout (RDDM)/02

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MALGRÉTOUT

SECONDE PARTIE[1].

M. Nouville était bien tel que mon père nous l’avait dépeint. Sa ligure douce et rêveuse, ses manières u ;i peu gauches s’accordaient bien avec l’idée qu’on pouvait ne faire d’un homme exquis sans initiative. Comme il voyageait moins qu’Abel, j’avais eu l’occasion de l’entendre à Paris, et je pus lui parler de succès auxquels j’avais assisté, ce qui le mit à l’aise avec moi. J’étais assez musicienne pour le juger et pour le complimenter sans maladresse. C’était un simple virtuose, mais de premier ordre. Il n’avait pas, comme Abel, le don de l’improvisation heureuse, le feu créateur, l’idée en propre. Il était trop craintif ou ti’op indécis pour inventer et produire quoi que ce soit d’original. Religieux interprète des maîtres, s’il développait leurs idées, c’était en restant dans leur couleur et dans leur esprit avec une fidélité remarquable. On sentait qu’il les connaissait tous à fond, et qu’il s’était rendu un compte minutieux de leurs procédés, du mécanisme de leur génie. En cela, il était intéressant comme un érudit qui a du goût. Quant à son exécution, elle était large, pure, délicate et puissante. Certes il était plus irréprochable qu’Abel ; emporté par des audaces surprenantes, celui-ci semblait quelquefois sauter sur les épaules des maîtres et se faire emporter par eux comme un enfant qui ose monter un cheval terrible. Je ne pouvais pas le suivre toujours dans ces accès de témérité, et j’avais Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/808 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/809 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/810 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/811 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/812 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/813 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/814 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/815 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/816 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/817 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/818 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/819 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/820 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/821 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/822 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/823 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/824 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/825 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/826 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/827 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/828 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/829 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/830 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/831 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/832 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/833 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/834 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/835 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/836 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/837 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/838 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/839 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/840 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/841 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/842 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/843 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/844 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/845 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/846 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/847 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/848 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/849 refuge, et j’avais été assez folle pour vouloir me dévouer à lui, qui n’avait réellement que faire de moi. Certes il n’avait pas songé à me tromper, il m’estimait ; mais il s’était trompé lui-même : la vérité vraie exprimée par lui, c’est lorsqu’il avait dit que l’artiste doit arriver à l’exubérance de ses forces et mourir jeune.

Il voulait donc mourir, ou tout au moins ne pas se soucier de vivre, et si j’avais eu l’autorité de combattre ce suicide, je l’aurais probablement hâté. Je n’avais d’autre capacité, d’autre rôle dans la vie que celui de petite tante, autrement dit de bonne d’enfans, et je voulais prendre un aigle en sevrage, je voulais enfermer le génie dans un berceau et l’endormir avec mes chansons de nourrice !

J’avais été folle, et pis que folle, sotte ! Je devais me dire cela, rougir un peu et n’y plus songer, guérir. Pourquoi donc cette blessure, qui ne devait atteindre que mon amour -propre, avait- elle pénétré jusqu’au fond de mon être ? Quel mystère était-ce là ? Étais-je tourmentée par une trop longue et trop complets chasteté ? N’avais-je plus la force de vaincre en moi ce besoin de floraison qui n’est absolu que pour les plantes et que la volonté anéantit chez les êtres intelligens, aux prises avec les devoirs sociaux ? Je rougissais plus encore à cette idée d’une révolte de mes sens, et ma haine contre moi s’en exaltait d’autant.

Voilà ce que je me disais au commencement de mon épreuve. À présent, je suis plus calme, et ma vie me paraît moins dramatique. Je me rends mieux compte de moi-même et de l’ingénuité ridicule peut-être, mais irrésistible de mon caractère. J’ai aimé Abel pour son regard curieux et son sourire enfantin. Je suis sûre qu’il n’y a pas eu d’autre cause à la soudaineté de mon entraînement vers lui. 11 a beau être un homme fait et robuste ; la première impression que sa physionomie produit sur tout le monde, c’est qu’il n l’air d’un enfant et que son âme doit répondre à sa physionomie. Mon âme, à moi, a tellement contracté l’habitude de l ;i maternité qu’elle s’est égarée dans l’amour sans perdre son pli. .l’ai la certitude désormais que, si Abel a besoin d’une mère, il ne saurait rester longtemps absorbé par la tendresse, et que la passion lui est bien plus nécessaire. Je ne saurais la lui donner, et il faut que je me résigne à être ce que je suis.

J’y parviendrai, j’espère ; j’y travaille. Aidez-moi, non en me disant que mon fiancé reviendra, mais en me disant au contraire que je dois chercher le bonheur dans l’oubli de ce rêve et dans le sentiment de mes vrais devoirs. — Sarah Owen.

George Sand.

(La troisième partie au prochain n".)

  1. Voyez la Revue du 1er février.