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Malherbe et ses sources (Counson)/Texte entier

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H. Vaillant-Carmanne (p. 7-237).


INTRODUCTION


« C’est maintenant une banalité de l’histoire littéraire que de représenter Ronsard comme le fondateur de la littérature classique en France[1] », et peut-être un jour se demandera-t-on quelles différences séparaient les écrivains du XVIIe siècle de ceux du XVIe. L’une des premières, ou du moins des plus facilement reconnaissables, est dans la manière de concevoir l’imitation des Grecs et des Latins. Cette imitation est commune aux deux siècles, et à d’autres ; elle diffère de nature suivant les époques. Si le moyen âge en célébrant la largesse d’Alexandre ou en paraphrasant Ovide, la Pléiade en étudiant les beaux parleurs et les élégants poètes anciens, le XVIIe siècle en habillant les héros homériques en gentilshommes galants, le révolutionnaire en « enfonçant

Le casque étroit de Sparte au front du vieux Paris ».

continuent tous la même tradition classique, Jean de Meung n’en diffère pas moins de Ronsard, et Racine de M.-J. Chénier : la façon d’imiter importe plus que ce qu’on imite, et pourrait servir à définir la littérature de chaque génération. Les classiques français entendaient bien s’y prendre autrement que leurs devanciers, si Boileau accuse Ronsard d’avoir parlé grec et latin, si La Fontaine reproche au même Ronsard de gâter

Des Grecs et des Latins les grâces infinies[2].

De du Bellay à Boileau, de Ronsard à Racine, il y avait donc quelque chose de changé, et aux yeux de beaucoup de critiques, le novateur, en ce point comme en d’autres, était le seul Malherbe. « À proprement parler, avait dit Balzac en son Entretien XXXI, ces bonnes gens (les poètes de la Pléiade) estoient des Frippiers et des Ravaudeurs. Ils traduisoient mal au lieu de bien imiter. J’oserois dire davantage, ils barbouilloient, ils desfiguroient, ils deschiroient, dans leurs Poëmes, les Anciens Poëtes qu’ils avoient leus… Les imitations de l’homme que j’ay connu… sont bien moins violentes, sont bien plus fines et plus adroites. Il ne gaste point les inventions d’autruy en se les appropriant. Au contraire, ce qui n’estoit que bon au lieu de son origine, il sçait le rendre meilleur par le transport qu’il en fait. Il va presque toujours au delà de son exemple et dans une Langue inférieure à la Latine, son François égale ou surpasse le Latin. » C’est à peu près ce que pense aussi le panégyriste de Malherbe, Godeau, moins sévère pourtant pour la Pléiade, et cette opinion a fait fortune ; on la retrouve tout entière au XIXe siècle. Si Sainte-Beuve ne se borne plus, comme Ménage, à renvoyer le lecteur à « cet illustre Mr. de Balzac dans son Entretien XXXI[3] », il conclut, en parlant de la façon dont les deux disciples de Malherbe « ont très bien marqué un des points principaux de son innovation et de sa réforme » : « Cette observation de Balzac et de Godeau se peut résumer ainsi : Ronsard et son école ne savaient pas l’art d’imiter ; dans leur ardeur et leur inexpérience première, ils transportaient tout de l’antiquité, l’arbre et les racines : Malherbe le premier sut et enseigna l’art de greffer les beautés poétiques[4] ». Ainsi Malherbe a joui pendant deux siècles de cette réputation d’originalité relative, et l’on a vu en lui l’homme supérieur qui avait tiré la poésie française de l’école et des mains des pédants[5]. Mais voilà que les meilleurs juges s’aperçoivent que Malherbe est moins original qu’on ne l’avait cru, et trouvent qu’on a parfois surfait son rôle : M. Brunot découvre l’influence de Du Vair là où l’on ne voyait que l’élaboration naturelle d’un génie indépendant[6], M. Allais montre que déjà l’adaptation des Larmes de saint Pierre était beaucoup plus littérale et moins ingénieuse qu’on ne pensait[7], M. Brunetière nous dit non seulement que « la sensation du poète ne vibre pas dans les vers de Malherbe… », que, « sachant ce qu’il voulait dire, c’est alors seulement que, pour le mieux dire, d’une manière plus vive, qui frappe davantage, et qu’on retienne mieux, il a cherché de quelle image il pourrait revêtir sa pensée ![8] », mais encore il rappelle ailleurs que « toute une partie de la réforme de Malherbe n’a guère consisté qu’à remplacer l’imitation des modèles grecs par celle des modèles purement latins ?[9] » ; enfin M. Lanson, dans les pages pénétrantes qu’il consacre à Malherbe, écrit : « Il a l’imagination livresque de l’honnête homme qui a fait ses classes et vécu à la ville… Il a parlé de la mort : toujours on sent Horace, ou Sénèque, ou la Bible derrière lui[10] ».

Peut-être donc n’est-il pas sans intérêt d’examiner les sources de Malherbe, de voir exactement ce qu’il a emprunté à la Bible, aux Grecs et aux Latins, et aussi aux Italiens et aux Français, par lesquels les pensées et les images antiques lui ont souvent été transmises, de se demander enfin comment il comprenait ces diverses poésies et comment elles se conciliaient avec l’esprit classique alors en train de s’établir. Quelque part qu’il faille faire à Malherbe dans l’élaboration de cet esprit[11], les cinq mille trois cents vers qui nous sont restés de son travail d’un demi-siècle, et qui furent faits en grande partie sur commande, « par petits morceaux, un vers d’un côté, un vers de l’autre[12] », nous présentent au moins la mise en œuvre méthodique, laborieuse, des idées, des souvenirs et des lectures de la première génération du XVIIe siècle. C’est un moyen de comprendre cette époque et ses sources d’inspiration que de rechercher quel milieu et quelles œuvres ont agi sur celui qui, dit-on, a soustrait la poésie française aux impressions changeantes et aux sentiments du poète, et, croyait-on, à l’imitation pédantesque. Avant d’étudier tout ce que Malherbe doit à l’antiquité et à la renaissance, nous examinerons d’abord quel était l’esprit de son pays natal et du monde où il vécut : il faut voir le sol avant la plante, et savoir quelle sève coulait dans le tronc où furent entées les palmes antiques et les fleurs d’oranger.


CHAPITRE PREMIER.

La Normandie[13].


Depuis que les divers dialectes ont cédé à celui de l’Île-de-France leur rôle littéraire, la centralisation de la littérature, comme de la société, n’a pas cessé de s’accentuer : Paris est devenu la France, pensant pour elle et parlant en son nom. Cela n’a pas empêché les provinces de garder dans une certaine mesure leurs caractères distinctifs, non seulement dans l’ordre économique — où l’on aime aujourd’hui à rechercher les souvenirs des nationalités provinciales — mais aussi dans le domaine de la pensée. À travers la littérature on peut suivre certaines tendances, certains états d’esprit qui ont trouvé, dans tel ou tel coin de France, leur patrie d’élection. Il y a un esprit parisien qui pétille déjà dans certaines « gaberies » du moyen âge, et qui grandit de Villon à Molière, de Boileau à Voltaire. Il y a un mysticisme breton qui s’emmêle dans la trame du roman arthurien, et dont il flotte encore des survivances dans l’imagination de Chateaubriand, ou dans la religiosité inquiète de Lamennais ou le sens idéaliste de Renan. Il y a une fougue méridionale qui s’épanche en plusieurs générations de rhéteurs et de tribuns. Et de tous ces éléments qu’un mouvement incessant amène vers le centre moral du pays, la France littéraire — comme la France politique — s’assimile à chaque époque ceux qui répondent le mieux aux conditions organiques de son développement et aux besoins du moment. L’esprit normand se trouva être, une fois, l’esprit du temps, et c’est alors que parut Malherbe[14].

Peu après la publication de Salammbô, Flaubert voyageait avec un industriel de ses concitoyens, qui lui demanda comment Carthage avait pu disparaître si complètement de l’histoire du monde. « C’est que, répondit l’auteur, à Carthage tout le monde faisait de la rouennerie. » En Normandie, presque tout le monde fait de la rouennerie, ou de la culture rationnelle, et tous tâchent de faire de bonnes affaires. Quelques-uns pourtant s’y adonnent aux sciences et aux lettres. Aux sciences, passe encore : calculateurs, méthodiques, ils peuvent faire d’éminents mathématiciens — Laplace est de leur pays — ou de lucides vulgarisateurs comme Fontenelle, que n’étouffa jamais le sentiment ; on s’explique parmi eux Casimir Delavigne célébrant la découverte de la vaccine, et peut-être comprendrait-on de leur part ce

qu’on trouve chez leur Louis Bouilhet, « comme ambition suprême un poème résumant la science moderne, et qui aurait été le De natura rerum de notre âge[15] ». Mais dans les lettres pures ils doivent se sentir, à première vue, un peu dépaysés. D’abord, en en cherchant l’utilité — le Normand Turnèbe écrit, en manière de satire, de nova captandae utilitatis et litteris ratione — ils s’aperçoivent vite qu’elles ne sont pas faites « pour le profit[16] ». Aussi arrive-t-il à tel d’entre eux de « quitter tout à fait cet exercice quand le roi lui fait l’honneur de l’occuper en ses affaires[17] », ou à tel autre, plus récent, de déconseiller la poésie aux jeunes gens :

Jeune homme au cœur léger, ne touche point la lyre.
Va demander ta joie aux rêves d’ici-bas[18].

D’autres continuent, non sans se trouver « bien fous de n’avoir pas plutôt songé à l’établissement de leur fortune[19] ». Ils ne se résignent d’ailleurs pas à y perdre, et depuis le vieux Wace jusqu’au grand Corneille[20] — en passant par Malherbe, qui « mendie le sonnet à la main » — on les voit tous soucieux de gagner[21] et occupés à quémander. Mais ce n’est pas assez pour faire un homme de lettres, et il ne suffit pas de tourner une requête spirituelle en vers, comme savait le faire Clément Marot, ce fils de Normand, ou Corneille lui-même. Pour être écrivain il faut aborder un sujet, et l’on n’a pas encore réalisé le rêve de Flaubert, d’un livre qui ne tiendrait que par la force du style. Mais quel sujet ? Autrefois on pouvait encore rimer des sermons, ou mettre en vers le Comput ecclésiastique[22], ou les Institutes de Justienien, ou la Coutume de Normandie[23] : et cela au moins servait[24] aux clercs mal frottés de latin, aux étudiants et aux plaideurs. Mais les temps ont changés. La poésie ne se prête plus à toutes les tâches. Devenue grande dame, et fière, elle n’a plus que des paroles caressantes ou sonores, et des idées qui voltigent au-dessus de la vie quotidienne, et ne s’y posent que par instants. Comment les Normands se prêteront-ils à tout cela ? Chanteront-ils la nature ?

Mais j’y deviens plus sec, plus j’y vois de verdure[25].

« Je ne suis pas l’homme de la nature[26] » répondent-ils : d’où leur viendrait l’inspiration, à eux « que la campagne a toujours ennuyés[27] » et qui sont nés

Dans un pays que le soleil
Ne peut regarder de bon œil,
Où nul fruit n’honore sa sève
Que celui qui fit pécher Ève[28].

De pareilles dispositions ne peuvent guère inspirer de chant plus illustre que la Normandie de Bérat, et ne sont guère favorables à l’églogue : « J’ay ouy dire à feu M. de Malherbe, raconte à Théopompe (Godeau) un de ses amis, qu’il eust mieux aimé faire un poëme épique qu’un seul chant pastoral[29] » La surprenante exception de Bernardin de Saint-Pierre est d’un Normand déraciné, comme on dit aujourd’hui, qui a merveilleusement compris Rousseau, a surtout voyagé très loin et s’entend fort à décrire les papayers et les cœurs sensibles.

Quant à l’amour, les plus grands d’entre eux sont un peu revenus des « chaleurs de foie[30] » de leur jeunesse, les plus petits mettent Rabelais en vers[31], et la plupart ne se font pas plus d’illusion que, par exemple, Maupassant.

Et puis, à parler net, où donc est la vergogne
De suspendre sa lyre auprès d’un cotillon ?
L’art saint me paraît propre à tout autre besogne
Qu’à broyer la céruse avec le vermillon[32].

Ainsi dit Bouilhet, et Malherbe n’en pensait pas moins, s’il faut en juger d’après le début des Larmes de Saint Pierre :

Ce n’est pas en mes vers qu’une amante abusée…

Peut-être aurait-il moins souvent oublié cette profession de foi si les princes avaient moins bien payé ses vers d’amour.

Le bonheur, la joie de vivre ? Le cidre du pays peut bien faire flotter quelques vapeurs bachiques[33] dans les vaux-de-vire d’un Olivier Basselin ou d’un Jean Le Houx : mais les Normands sont si peu lyriques ! Puis ils savent que le bonheur est fugitif, et ils se souviennent — connaissant les proverbes anciens —

Est toujours à la fiqu’un déplaisir extrême
Est toujours à la fin d’un extrême plaisir[34].

La tristesse, la douleur, et ces chants désespérés qui en d’autres temps seront les plus beaux ?

Mais en un accident qui n’a point de remède
Il n’en faut point chercher[35].

Tous ces grands cris, c’est bon pour « Musset, le poète des tout jeunes gens[36] ». Mais ne les demandez ni à Malherbe ni à Corneille :

Leurs âmes à tous deux, d’elles-mêmes maîtresses,
Sont d’un ordre trop haut pour de telles bassesses[37].

Alors ? Si la poésie n’a de prix que par les chimères dont nous peuplons la vie, si elle n’est que la parole ailée du sentiment, si la nature et l’amour, la douleur et la joie sont ses éternels refrains, pourquoi des hommes si sensés se mêlent-ils d’écrire ? Ah ! c’est qu’ils pensent justement que « l’art n’est pas une débilité de l’esprit, et que ces susceptibilités nerveuses en sont une[38] ». « Il ne faut pas s’écrire, l’art doit s’élever au-dessus des affections et des susceptibilités nerveuses[39]. » Il ne faut pas s’abandonner à ses impressions : « nul lyrisme, la personnalité de l’auteur absente[40] » ; « il n’y a rien de plus faible que de mettre en art des sentiments personnels[41] ». Qu’ils témoignent pour leur art un mépris aussi brutal qu’intermittent, ou qu’ils en parlent avec religion, ils pensent ou devinent tous que cet art doit être impersonnel, que leur cœur ne contient pas leur génie et n’en est pas la mesure, que le mélodrame n’est pas bon parce que Margot y aurait pleuré, que le poète n’a pas à se donner en pâture au public, mais peut, et doit être impassible :

Poètes, à vos luths ! l’art est ce fleuve antique
Où Thétis aux yeux verts trempa son fils naissant :
Il faut y plonger nu, pour que le flot magique
Nous fasse autour du cœur un bouclier puissant[42].

Le tempérament personnel explique moins ici que chez d’autres la matière de l’œuvre : Malherbe, poète fort sec, écrit à force de labeur les plus beaux vers sur les jeunes filles et les roses, le timide bonhomme Pierre Corneille fait des héros à volonté de fer, le désagréable Bernardin de Saint-Pierre fait une idylle charmante. C’est que l’artiste n’a pas à puiser dans son cœur. Il doit regarder froidement l’homme et le monde, voir juste et bien comprendre, et rendre exactement ce qu’il observe ou ce qu’il pense. En observant bien on pourra écrire, selon les temps, la Princesse de Clèves, où Madame de La Fayette se félicite surtout de voir décrite « la manière dont on vit », ou bien Madame Bovary. En s’élevant plus haut, l’homme de génie dégagera les idées générales qui expliquent la conduite humaine, il démêlera dans le fouillis de la vie les sentiments qui sont immuables, et il n’en retiendra que l’élément le plus général, le plus abstrait. Mieux il saura élaguer les détails, les circonstances environnantes dans lesquelles semblent se noyer la volonté et la raison, et plus il sera grand : « ce qui distingue les grands génies, c’est la généralisation[43] ». Si, avec cette méthode, l’écrivain de génie trace des caractères, ses types les mieux réussis seront simples comme des machines faites de peu de pièces, et leur sort sera réglé, leur âme se développera comme un théorème de géométrie. Elle comportera un sentiment ou deux

Et sur les passions la raison souveraine.[44]

Dans la poésie lyrique, ou plus exactement dans ce qu’on appelle alors la poésie héroïque, les poètes normands pourraient avouer avec Pauline :

Ma raison, il est vrai, dompte mes sentiments[45].

Tous leurs écrivains en sont là : « il y a, dit Flaubert, un mot de La Bruyère auquel je me tiens : Un bon esprit doit écrire raisonnablement[46] » La raison ira avant tout : c’est elle que Corneille « fait voir sur la scène[47] », c’est elle qui parle dans les meilleurs vers de Malherbe, et, plus ou moins gauchement, dans les vers de la plupart des Normands de sa génération. Et que dit-elle ? Quand elle se recueille, elle entreprend

De montrer l’incertain de la grandeur humaine[48].


elle « apprend à mépriser les choses grandes de ce monde, seule et divine grandeur de l’esprit humain[49] » : on sait si Malherbe et Corneille ont prêché cette leçon. Or déjà les chœurs des tragédies de Montchrestien, « développements éloquents de grands lieux communs, ressemblent à s’y méprendre aux strophes de Malherbe[50] ». Mais les Normands ne sont pas toujours si sombres, ils ne lisent pas tout le temps Sénèque ou la Bible ou l’Imitation, et leur philosophie est souvent plus pratique. Le fond de leur tempérament — quand il n’a pas été transformé par une éducation romantique, par le XIXe siècle, par le « gendelettrisme » — c’est un esprit d’observateur prudent et d’homme d’affaires, parfois processif, toujours en éveil, rusé, pratique, et minutieusement exact. Resté proverbial à cet égard, il était déjà bien tel au XVIIe siècle, où tous les grands classiques l’ont remarqué : Racine qui place ses Plaideurs en Basse-Normandie, Boileau[51], La Fontaine dont le renard est plus qu’à demi normand[52], et Molière qui fait de Monsieur Loyal un Normand[53]. En hommes d’affaires, les meilleurs écrivains iront de préférence aux grandes affaires, à celles de l’État, à l’histoire des empires et des conjurations. « Où donc Corneille a-t-il appris l’art de la guerre ? » aurait dit le grand Condé ; les économistes d’aujourd’hui se demandent où Montchrestien, cette « ébauche de Corneille », a appris l’économie politique ; car ce poète normand a écrit un Traité de l’économie politique, et il paraît même que c’est lui qui a répandu cette expression, quelque temps après que du Bellay, le chantre de la « mère des arts, des armes et des lois » et de la douceur angevine, avait employé le mot patrie et que Desportes, l’abbé galant et entremetteur, avait mis en vogue celui de pudeur. Si les poètes normands n’écrivent pas tous des traités comme Montchrestien, ils ont tous le sens de la politique. Malherbe n’est nulle part plus à l’aise que quand il dit que la paix va renaître, que le roi triomphant va ramener la prospérité en France, que les révoltés vont être anéantis ; et dès la fin du moyen âge le Normand Alain Chartier, « le très noble orateur » qu’admirent encore Marot et bien d’autres[54], se trouvait être le fondateur de l’éloquence politique en vers. Corneille disserte habilement — parfois à la Machiavel — sur l’idée républicaine et la raison d’État et se félicite d’avoir mis la politique au théâtre[55] ; et il n’est pas jusqu’au petit Boisrobert dont on n’ait pu vanter le discernement dans les troubles et les complications politiques de son temps. Casimir Delavigne encore, ce « Normand rusé[56] », a dû la plus grande part de son succès à un thème heureusement adapté aux circonstances politiques. De la politique à l’histoire il n’y a qu’un pas, et les Normands l’ont franchi. Dès le moyen âge leurs trouvères sont des chroniqueurs en vers et « se sont piqués d’exactitude[57] ». L’« exact Mézeray » était un Normand (qui dans sa jeunesse avait pensé faire des vers) ; et on pourrait retrouver la même qualité jusque chez un de ses compatriotes d’aujourd’hui, M. Léopold Delisle. Montchrestien songeait à écrire l’histoire de la Normandie ; Malherbe, si dédaigneux pour l’érudition, traduit Tite-Live et estime les travaux de traducteur et d’historien de Coeffeteau et de Faret ; Colomby traduit Justin et Tacite ; plus tard Saint-Évremond, dans ses Réflexions sur les Romains, devancera Montesquieu ; et n’a-t-on pas écrit un gros livre sur « le grand Corneille historien » ? Mais, si le poète s’attache à la froide raison, s’il n’est qu’un esprit juste ou même profond qui a le sens exact des choses et des hommes, de la vie publique et de l’histoire, où sera la poésie ? Elle sera dans l’élévation de la pensée, dans la généralisation des idées, dans les vers bien frappés, dans les sentences lapidaires, dans la beauté des discours, c’est-à-dire que la poésie, ce sera l’éloquence, et que le poète sera le meilleur des orateurs. C’est ce que disait le panégyriste d’un des maîtres de Malherbe, poète latin et professeur d’éloquence et de droit : « On eust dit qu’il estoit orateur afin d’estre très bon poète, et qu’il estoit poëte afin d’estre très éloquent orateur[58] ». Ainsi la poésie ne sera qu’une prose plus soignée, plus mesurée, plus éloquente que l’autre, mais ni moins raisonnable ni moins raisonneuse. C’est ainsi que l’entendent les Normands d’alors : en Malherbe, Vauquelin vante l’éloquence[59] et, avant que Mathurin Régnier reprochât à l’ennemi de Desportes de « proser de la rime et de rimer de la prose », Vauquelin avait dit

Que notre poésie, en sa simplesse utile,
Était comme une prose en nombres infertile[60].


Les poètes écriront donc des morceaux éloquents : en 1624 Puget de la Serre put réunir en un volume « le bouquet des plus belles fleurs d’éloquence, cueilly dans les jardins des sieurs du Perron, Coeffeteau, Du Vair, Bertaut, Malherbe[61]… » ; et s’il y a un orateur dans la poésie française, c’est bien Corneille[62]. Si du reste ni Bossuet ni Mirabeau ni leurs pareils ne sont normands, c’est que le grand orateur proprement dit doit avoir une part de poésie, de lyrisme, d’exaltation qui n’est jamais forte dans les esprits raisonneurs.

Les Normands sont trop pratiques pour ne pas songer au goût du public pour lequel ils écrivent, et pour ne pas tenir compte de l’esprit du temps. Ils le font même avec habileté, et quand ils ne se bornent pas, comme Duperron et Malherbe, à écrire des pièces de circonstance, ils tâchent, comme le grand Corneille, de se faire aux modes du jour : c’est à quoi excelle Thomas Corneille, qui, ayant moins de génie, doit montrer plus de savoir-faire ; c’est ce que fait encore Delavigne, « qui épiait le goût du jour et s’y conformait, conciliant tous les partis et n’en satisfaisant aucun, un Louis-Philippe en littérature[63] » (en des temps plus propices, Malherbe et Corneille avaient été comme un Henri IV et un Richelieu en littérature. Leur œuvre est d’autant plus heureuse que le goût régnant répond mieux au leur, et à leur talent. En effet, malgré toute leur bonne volonté, ils se mettent difficilement au diapason du lyrisme exalté des révolutions littéraires ; et plusieurs d’entre eux sont trop pénétrés de leur conviction artistique pour accepter les variations de la critique. Vauquelin de la Fresnaye à la queue de la Pléiade, Bouilhet chez les romantiques, ne sont guère que des suiveurs ; Wace ne s’attarde pas dans la forêt de Brocéliande, Malherbe rompt avec les ronsardisants. Parfois même les Normands se désolent ou s’indignent des goûts littéraires dominants, quand ceux-ci ne peuvent pas se concilier avec leur tempérament raisonnable, réaliste, positif et méthodique. Il y a des moments où Corneille gémit :

Et la seule tendresse est toujours à la mode ;


il y en a où Flaubert écrit avec colère : « Les nerfs, le magnétisme, voilà la poésie[64] ! » En ces temps-là la faveur publique se détourne de la poésie raisonneuse ou de l’observation réaliste pour aller à Racine ou à Musset ; en d’autres temps elle était pour Malherbe, autre champion de la raison, contre les « mauvaises imaginations » de Desportes. Car Malherbe contre la Pléiade et les disciples attardés de Ronsard. Corneille contre Quinault et Racine, Flaubert et Maupassant contre Musset, c’est toujours la même cause de la raison contre le sentiment, de la logique contre l’émotion, du cerveau contre le cœur. Les Normands — du moins les meilleurs, ceux qui se sont bien compris, et qui ont trouvé leur voie — ont toujours plaidé la cause de la raison. Comment ne l’auraient-ils pas gagnée dans un pays dont l’esprit est « la raison elle-même[65] », « où la logique, dirait-on, est le fondement des arts[66] », où l’imagination est pour tous « la folle du logis », en un temps où le plus illustre des Français l’appelait « maîtresse d’erreur[67] ». La Pléiade, qui se recruta surtout chez les Angevins, avait reçu sa première impulsion du midi de la France, et notamment de Lyon[68] ; elle avait eu un enthousiasme méridional pour la culture classique rapportée d’Italie ; et dans une exubérance de jeunesse et de rénovation, à travers des ambitions illimitées, elle avait fait entendre des accents émus et avait laissé des vers agréables en leur verte nouveauté. On commençait à soupçonner qu’elle avait échoué — du moins pour un temps — dans l’entreprise de donner à la France ses classiques définitifs. Une autre brigade, venue du Nord de la France, et plus sage, plus prudente, plus retenue, moins exaltée, moins poétique, allait recueillir sa succession. Celle-ci n’était même pas encore ouverte quand les Normands se présentèrent ; et c’est peut-être pour cela qu’on ne s’est pas toujours bien entendu sur ce qu’était venu faire Bertaut. À vingt ans Bertaut faisait des vers, et, avec le respect que les jeunes gens graves ont, à cet âge, pour les autorités littéraires, il révérait Desportes et Ronsard. Le vénérable chef de la Pléiade, chargé d’années et plus encore de gloire, montrait aux débutants d’alors la bienveillance que Hugo, dans sa vieillesse, accordait aussi à tous les jeunes ; Ronsard lisait même parfois leurs vers. Desportes lui ayant un jour présenté ceux de Bertaut, « étincelants et de lumière et d’art,

Il ne sut que reprendre en son apprentissage,
Sinon qu’il le jugeoit pour un poëte trop sage[69] ».

« Sage », c’était bien la qualité de Bertaut,

Ce poète prudent, dont la muse sensée
Sut de toute façon si bien se contenir
Qu’à sa place d’honneur Despréaux l’a laissée[70].

Aussi ce poète est le seul des « anciens poètes français » que Malherbe estime un peu[71]. La sagesse, la « retenue » que Boileau attribue à Desportes et à Bertaut, va s’imposer de plus en plus à la poésie française, et les Normands sont de tous les Français ceux qui s’y prêtent le mieux. Qu’on ne s’étonne pas d’entendre un poète d’alors vanter

La douceur de Malherbe et l’ardeur de Ronsard :


la douceur n’est ici que le ton calme, raisonnable et posé qui succède à l’ardeur lyrique, aux ambitions pindariques et à tous les enthousiasmes de la Pléiade. Les nouveaux écrivains ne sont plus des vates inspirés ; le poète à leurs yeux est même, après réflexion, assez peu de chose : Malherbe ne le place guère au-dessus du bon joueur de quilles, et je n’oserais dire à quoi le comparait Vauquelin[72] — car les Normands bravent parfois l’honnêteté. Qu’on ne parle pas pour lui de mission sociale ou de sacerdoce ; et, pour entendre à merveille l’histoire et la vie, que le poète ne s’imagine pas être le prophète et le mage de son époque. Amuseur patenté, mouleur de vers et de périodes, l’écrivain, pas plus qu’il ne doit étaler sa propre âme au public, ne peut prétendre à le conduire. L’art est son but à lui-même. Malherbe fait de beaux vers pour toutes les causes, comme un bon tapissier fait de beaux décors pour toutes les fêtes ; Corneille dit tout au long que le drame n’a pour but que l’amusement du spectateur, et sa tragédie, on l’a montré[73], n’est que la peinture de la volonté en soi — comme Melaenis ne sera que l’évocation du passé romain, comme Salammbô ne sera que la description de Carthage :

La foule a ses transports, ses amours et ses haines ;
Ne mêlons point notre âme à ce tumulte humain :
Aux convives joyeux le choc des coupes pleines,
À nous la lyre d’or au pilier du festin[74].

Mais, cet art qu’on sépare de la mêlée de la vie comme des passions personnelles, l’écrivain habile peut le polir en bon ouvrier[75] ; les esprits raisonnables peuvent devenir profonds, et s’ils se montrent « faibles d’inventions », comme Régnier le reproche aux ennemis de son oncle, ils ont le sens du vrai, de la clarté, de l’ordre, et de l’art littéraire fait de ces qualités Ils savent l’importance du mot propre, ils ne tolèrent pas l’à peu près ; ils veulent, comme le voudra un Normand du XIXe siècle, qu’on « trouve, à force de chercher, l’expression juste qui était la seule et qui est, en même temps, l’harmonieuse[76] ». L’inspiration est peut-être moins nécessaire encore que la réflexion, la méthode, le travail, la patience : « on doit arriver enfin, à force d’étude, de temps, de rage, de sacrifices de toute espèce, à faire bon[77] ». L’expression juste a une importance capitale, la forme doit être châtiée, chaque mot doit être pesé ; aussi Malherbe épluche chaque vers de Desportes pour « regratter un mot douteux au jugement », comme dit Régnier indigné, et Flaubert fait « des remarques de pion[78] » aux vers de Maupassant. Malherbe qui ne se lasse pas de refaire ses pièces, qui « est six ans à faire une ode », comme le lui reproche Berthelot, Corneille qui corrige et retravaille ses vers, ont déjà un peu de ce qui deviendra chez Flaubert, plus nerveux et plus fébrile, « les affres de la phrase, les supplices de l’assonance, les tortures de la période[79] ». « Il faut admirer, il faut vénérer cet homme de beaucoup de foi, qui dépouilla par un travail obstiné et par le zèle du beau ce que son esprit avait naturellement de lourd et de confus, qui sua lentement ses superbes livres et fit aux lettres le sacrifice méthodique de sa vie entière[80] » : c’est ainsi que M. Anatole France parle de Flaubert ; et cela ne rappelle-t-il pas singulièrement ce que Nisard dit de Malherbe : « Je ne sache pas de plus bel exemple dans l’histoire des littératures que celui de cet homme[81]… » Cette peine et ce labeur, dont on peut, si l’on veut, leur être reconnaissant, c’est aux yeux des écrivains comme Malherbe le signe et la condition du génie. L’art, la poésie, est un métier à apprendre, à perfectionner, et aussi à laisser là quand un autre le remplit mieux (ainsi fit Duperron devant Malherbe, qui lui ressemblait en le surpassant), à ne pas entreprendre quand on n’y est pas habile (Malherbe dit à un amateur, comme Alceste dira à Oronte, qu’il ne faut commettre de mauvais vers que sous peine de mort[82]). Mais ce métier, où « tout doit se faire à froid, posément[83] », on peut le définir, en chercher les recettes : et plusieurs Normands ont voulu codifier l’art, depuis Fabri, auteur du Grand et vrai art de pleine rhétorique, jusqu’à Vauquelin, qui devance Boileau dans son Art poétique ; Chapelain, critique normand, crut même qu’avec des recettes on pouvait faire une épopée. Dieu sait ce qu’elle valait, et Boileau nous l’a dit ; mais quel système littéraire n’a pas ses erreurs, et quel écrivain n’a pas les défauts de ses qualités ?

Les Normands se montrent habiles, entreprenants et actifs dans le métier des lettres. Ils les avaient toujours cultivées, et déjà ils avaient accueilli avec empressement la poésie française, dès la période épique ; le « puy de Rouen » était encore fameux au XVIe siècle, et pendant tout un temps le théâtre de cette ville se rangea immédiatement après celui de Paris[84]. À la cour de Henri IV, qu’il va falloir dégasconner, nous les voyons en nombre et en bonne place : Duperron, qui prêche[85], écrit, rime, négocie, est là pour introduire, comme on a dit, le Béarnais dans l’Église et Malherbe dans la littérature ; Bertaut y est aussi, et tous s’entr’aident ; le fils du poète normand des Yveteaux est précepteur des enfants royaux ; Duperron et des Yveteaux[86] recommandent Malherbe, qui comptera parmi ses disciples son concitoyen et parent Colomby et aura pour imitateur un autre de ses concitoyens, Sarasin[87]. Plus tard, dans la société des cinq auteurs de Richelieu, trois sont normands ; les Normands forment une bonne partie des premiers académiciens ; ils sont encore un parti puissant sous la direction de Thomas Corneille[88]. S’ils ne s’enrichissent pas tous à faire des vers, Scudéry — qui d’ailleurs n’est pas un Normand de vieille souche — se montre le plus habile des entrepreneurs de romans, et est prêt — comme Malherbe dans un autre ordre d’idées — à soutenir toutes les causes. Enfin Chapelain restera le dispensateur des faveurs royales. Ces Normands réussissent partout par leur talent et leur souplesse.

Ils ne sont jamais paresseux
À louer les vertus des hommes,


comme dit Malherbe de lui-même[89], — nul ne l’était d’ailleurs en ce temps-là —. Ils font l’éloge des puissants du jour, et le font parfois en termes grandioses. Duperron vantait Catherine de Médecis presque comme Malherbe fera Henri IV, et il complimentait si bien le nouveau monarque que Régnier ne dédaigna pas d’imiter ses Stances sur la venue du roi à Paris[90]. Malherbe s’élèvera plus haut encore, et il arrivera au chef-d’œuvre du genre dans la Prière pour le roi allant en Limousin.

Les contemporains n’ont pas laissé de remarquer la place prise par les Normands au commencement du XVIIe siècle et déjà dès la fin du XVIe. Un rimailleur d’alors s’écriait :

Ô Can fertile en beaux esprits
..........
Ô que tu dois être superbe,
Produisant trois soleils nouveaux,
Mon Bertaut et des Yveteaux,
Et l’incomparable Malherbe[91].

Un peu plus tôt, en 1598, un inconnu — qui ne mentionne pas encore Malherbe — attribuait à l’invention « de Du Perron ou de Bertaut » les stances qui, dit-il, se répandent de plus en plus, et remplacent le sonnet qui était autrefois en honneur. Ni Du Perron ni Bertaut n’étaient les inventeurs ; mais l’erreur même que commet un contemporain[92] nous montre en eux les représentants notoires de la poésie du temps, et dans la stance une forme favorite de cette poésie. Cette forme, Malherbe la reprendra — Racan nous a dit l’importance qu’il y attachait — et il est frappant de voir les chœurs des tragédies de Montchrestien développer les grands lieux communs exactement dans le moule que les Stances à du Périer ont illustré. Ce n’est sans doute pas un pur hasard que les pièces aujourd’hui les plus populaires de la Pléiade soient des sonnets, tandis que les vers de Malherbe connus de tous sont des stances : le sonnet suffit à l’expression d’un sentiment délicat, à une impression artistement notée ; le raisonnement se développe plus aisément en stances régulières et nombreuses. C’est ainsi qu’il se développa chez Malherbe[93], en attendant qu’il reçût le cadre mieux préparé, plus majestueux et plus large, de la tragédie cornélienne et des discours pleins de l’esprit romain. Les Normands travaillèrent de toutes leurs forces à son élaboration, et l’on estimait tant les recrues qu’ils donnaient à la littérature française, qu’un Angevin de 1635, au lieu d’évoquer le gracieux souvenir de son compatriote du Bellay, disait d’un ton d’excuse : « Comme autrefois, pour être estimé poli dans la Grèce, il ne fallait que se dire d’Athènes,… maintenant pour se faire croire excellent poète, il faut être né dans la Normandie[94] », En ce temps-là tout le monde en France était un peu de Normandie. Mais, quand la société du XVIIe siècle sera définitivement constituée, quand l’œuvre de Henri IV sera reprise et consolidée, et que la royauté aura dompté la Fronde, les velléités d’indépendance et les coups de force, un monde élégant, instruit et poli se formera autour de la Cour, et l’Ile-de-France fournira alors, avec les provinces de l’Est, les plus grands écrivains de la seconde moitié du siècle, et les vrais classiques. Entre le pays du soleil, de l’exaltation et de la Renaissance, et cette terre de sapience où l’on trouve qu’il y a encore « trop de fantaisie et trop peu de raison en France[95] », le Centre prononcera en dernier lieu, et montrera comment s’accordent le cœur et l’esprit.

Les Normands, en possession d’administrer la poésie française, ne pouvaient se dispenser des pensées fleuries et des images que le public attend des poètes ; et, plutôt secs de nature, ils devaient, aussi bien que leurs devanciers, puiser aux sources traditionnelles. Ils vont parler de la nature comme on en parle dans les recueils de poésie et notamment chez les Anciens, de l’amour comme les Italiens, de Dieu comme les Livres Saints, et ils passeront sans peine de l’un à l’autre sujet. Ce n’est pas qu’ils n’aient, en fait d’imitation, des préférences et des répugnances bien marquées. Positifs, sensés, raisonneurs, ils sont fort éloignés du mysticisme. Fides quaerens intellectum est la formule de l’un d’eux au moyen-âge[96] ; au XVIe siècle des Normands obscurs en sont encore à faire « plaider[97] » la Vierge ou à lui faire « réfuter une disjonctive improbable[98] » ; et, quand le Normand Richard Simon s’appliquera à l’étude de la Bible, au XVIIe siècle, il sera le précurseur de l’exégèse moderne. Des hommes aussi pratiques et aussi judicieux sont donc mal préparés à « chanter et pleurer intérieurement aux sons de la harpe de David[99] ». Sans doute un prêtre poète comme Bertaut pourra rendre en vers souples et parfois attendris les psaumes dont il s’est nourri ; Corneille pourra, dans sa piété, mettre en belles strophes des textes édifiants ; mais les Normands restés frustes sont peu enclins au lyrisme religieux : parfois seulement une foi sincère ou la grandeur de la pensée élève la paraphrase à la haute poésie. Ils n’admettent pas non plus indifféremment tout dans l’antiquité profane. Ils goûtent peu les Grecs, du moins celui que le XVIe siècle avait tant admiré, c’est-à-dire Pindare. Malherbe ne voit que du « galimatias » dans le grand lyrique ; Fontenelle parlera de même du « galimatias philosophique » de Platon[100] ; et Flaubert nous dit encore que « Pindare lui est absolument fermé[101] ». Saint-Évremond va même jusqu’à refuser toute qualité à Sophocle, et l’on a remarqué que les sujets grecs avaient toujours mal réussi à Corneille. Sous le ciel riant de l’Hellade, la poésie chantait, enthousiaste et vive, légère et subtile : les muses normandes sont de vieilles filles graves et raisonneuses ; à se mettre à l’école des Grecs elles auraient forcé leur talent. Tout, au contraire, les attirait vers les Romains. Il y avait des affinités électives entre l’esprit normand, pratique, utilitaire, codificateur, et l’esprit législateur, administratif et bourgeois de ces Latins qui aimaient de trouver dans leur plus beau poème un manuel d’agriculture, et qui se plaignaient parfois encore de voir Virgile plus poète qu’agronome[102]. Des deux côtés règne le même goût de l’éloquence raisonneuse, et c’est aux plus raisonneurs et aux plus verbeux qu’iront souvent les sympathies normandes : à Sénèque — nous allons le voir —, à Lucain (Corneille scandalise Boileau en égalant Lucain à Virgile[103]), à des écrivains de la décadence. Avec quelques nuances que ce soit, tous admirent les Romains : « Je hais, dit Saint-Évremond, les admirations fondées sur des contes, ou établies par l’erreur des faux jugements. Il y a tant de choses vraies à admirer chez les Romains, que c’est leur faire tort que de vouloir les favoriser par des fables[104] ». Il y a surtout chez eux une littérature pleine de sagesse et de majesté dont les modernes peuvent faire leur profit. Le plus grand des écrivains normands est en même temps le plus romain des poètes français :

Corneille est à Rouen, mais son âme est à Rome[105] ;


et déjà les modèles de Malherbe sont surtout latins.

Ces modèles ne seront pas les seuls chez Malherbe ; en ce temps-là on ne parlait guère d’amour sans avoir d’abord étudié Pétrarque, on ne faisait pas de pastorale sans le Tasse. Malherbe, appelé souvent à exprimer des sentiments qu’il n’éprouvait guère, s’est efforcé de faire comme les autres : le poète le plus raisonnable, tout en ayant des mouvements d’impatience contre les Italiens, peut tomber dans le précieux.

Après avoir rappelé par quels milieux il a passé, nous rechercherons ce que Malherbe a pensé et ce qu’il a fait des Psaumes, des Grecs et des Latins, des Italiens et aussi des Français ses prédécesseurs.




CHAPITRE II

Malherbe et ses relations


On est de sa province, on tient de ses amis. D’abord l’amitié — j’entends la vraie, comme eût dit Madame de La Fayette — ne s’établit qu’entre des caractères qui ont en commun certaines façons de sentir et de voir les choses. Puis, l’amitié une fois nouée, et les relations se multipliant, chaque partie déteint un peu sur l’autre et lui donne des nuances nouvelles : Racine doit beaucoup à Boileau, qui lui-même se ressent par moments du commerce de Patru ; Malherbe ne s’expliquerait pas complètement sans Du Vair et sans les hommes qu’il a fréquentés. Il est plus exact encore de dire de lui que de Victor Hugo qu’il s’est renouvelé, et il l’a fait non seulement, comme tout écrivain, par l’évolution lente de la société et du goût ambiant, mais encore par le changement de milieu, par ses voyages et séjours successifs. Il n’écrit pas en 1590 comme en 1610 ; il n’écrivait pas non plus en Normandie, dans sa jeunesse, comme en Provence, et il n’écrit pas en Provence comme il le fera à Paris : et en cela, si l’âge et le talent mûri et la réflexion ont beaucoup fait, des voisinages divers ont aussi joué un rôle.

Fils d’un magistrat qui ne bâtissait pas sans mettre à sa maison une inscription latine[106], Malherbe a fréquenté les écoles de Caen, où l’on apprenait beaucoup de grec et de latin[107], et il y a même prononcé plus tard des discours, « l’épée au côté », paraît-il. La fréquentation des Rouxel, des de Pré et autres professeurs d’éloquence dont il a été ou l’élève ou l’ami, dont il traduisait parfois les vers latins, de Vauquelin de la Fresnaye qui lui prodiguera ses conseils, n’a pas été sans renforcer ses dispositions raisonneuses. Ses études ont peut-être fait passer un peu du jargon de la dialectique jusque dans les vers où il s’adresse à un de ses compagnons de jeunesse de Caen, et où il parle des défauts de l’amante qui

Sont de l’essence du sujet[108].

— Plus tard, quand il va étudier à Bâle et à Heidelberg, le voyage ne lui donne sans doute pas cette fascination que le Rhin exercera sur tous les romantiques ; mais l’Allemagne a commencé plus tôt qu’on ne le croirait à être le pays de l’érudition. Les Normands ne paraissent pas avoir été, parmi les Français, les moins empressés à étudier à l’étranger : Rouxel l’avait fait ; il y en a une dizaine inscrits à l’Université de Bâle en même temps que Malherbe, et Sarasin voyagera encore au delà du Rhin. Malherbe a pu y approfondir l’étude de la littérature latine, et il traduira plus tard le XXXIIIe livre de Tite-Live, dont le manuscrit avait été découvert en Allemagne.

En Provence, il ne se laissera pas trop souvent charmer par

Ce rivage où Thétis se couronne
De bouquets d’orangers[109],

mais il lira les livres qu’on lit dans la société du Grand Prieur, et c’est dans ce milieu, plus italianisé que le Nord, qu’il traduira les Larmes de saint Pierre du Tansille. Il a dû y lire aussi Ronsard et Desportes et les poètes du jour, et M. Brunot a montré l’esprit qui régnait autour du poète normand dans cette société. Malherbe a dû aussi s’entretenir de poésie avec ce du Périer auquel il adressa la célèbre consolation, et auquel il songea longtemps encore après son départ de Provence ; poète lui-même, ce magistrat avait fait en 1578 à de Laurans[110] un compliment en vers suivant la formule qui consiste à attribuer à une inspiration divine l’œuvre dont on fait l’éloge : cette formule était celle de du Bellay complimentant Jodelle, de Desportes vantant la Bergerie de Remy Belleau (nous le verrons plus loin); Malherbe et du Périer ont pu lire ensemble ces poètes. Mais c’est surtout Du Vair qui a agi sur Malherbe, et M. Brunot a bien fait voir de quelle importance avait pu être son influence. Même après que les deux hommes n’écriront plus sur les mêmes événements, le poète se ressent encore des idées de l’autre : dans l’exorde de son discours de 1593 pour le maintien de la loi salique, Du Vair présageait que « la bonté de Dieu, touchée de la compassion de nos misères tendroit la main de sa clémence pour nous lever de cette chute ». Quand Henri IV a presque complètement triomphé, Malherbe commence ainsi sa « Prière pour le roi allant en Limousin » :

Ô Dieu dont les bontés de nos larmes touchées…[111]

Il garde donc le souvenir des pensées de son ami, et l’on s’explique que plus tard il ait collaboré, avec le jurisconsulte Bignon (que La Bruyère mentionne encore avec éloge), à l’édition posthume des œuvres de Du Vair[112]. Dans ces œuvres comme auparavant dans la conversation de l’auteur, il devait goûter les idées, qui leur avaient été chères à tous deux, de la philosophie néo-stoïcienne. Du Vair, en effet, avait écrit une Philosophie morale des Stoïques et une Traduction du manuel d’Épictète ; il avait souvent copié ou paraphrasé Sénèque, comme faisaient tous les néo-stoïciens, et Malherbe, qui traduisit Sénèque, a pu le lire et l’admirer en compagnie du docte magistrat. Il avait, en tous cas, en commun avec celui-ci le goût de la raison en littérature et du naturel dans le langage ; et il ne se trouvait pas seul pour combattre le maniérisme et le langage affecté : « Malherbe, feu Mr. le cardinal du Perron, feu Mgr du Vair et les plus habiles hommes que j’aye veu à la Cour, raconte Peiresc en 1624, parlants de ce langage (le langage affecté), disent qu’il doit plaire tout de mesme comme fairoit un homme qui pour aller à l’Église à la messe et par la ville, iroit en dançant une sarebande…[113] »

À Paris surtout Malherbe subira l’influence de la société pour laquelle il écrira désormais : « Il disoit souvent, et principalement quand on le reprenoit de ne suivre pas bien le sens des auteurs qu’il traduisoit ou paraphrasoit, qu’il n’apprêtoit pas les viandes pour les cuisiniers ; comme s’il eût voulu dire qu’il se soucioit fort peu d’être loué des gens de lettres qui entendoient les livres qu’il avoit traduits, pourvu qu’il le fût des gens de la cour ; et c’étoit de cette même sorte que Racan se défendoit de ses censures, en avouant qu’elles étoient fort justes, mais que les fautes qu’il lui reprenoit n’étoient connues que de trois ou quatre personnes qui le hantoient, et qu’il faisoit ses vers pour être lus dans le cabinet du Roi et dans les ruelles des dames, plutôt que dans sa chambre ou dans celles des autres savants en poésie[114] ». Malherbe écrira aussi des vers pour être lus dans les ruelles des dames, il fréquentera l’hôtel de Rambouillet et chantera Arthénice sous le nom de Rodanthe. Il se pliait ainsi au goût des divers mondes qui faisaient le goût français ; celui des précieuses était bien préparé pour le policer — il en avait besoin — et aussi pour lui donner le goût de la poésie amoureuse à la façon des Italiens ; c’est en effet quand il fréquente l’hôtel de Rambouillet qu’il admire aussi l’Aminte au plus haut point.

Enfin ses relations avec le savant Peiresc, ce prince de l’érudition du temps, étaient de nature à tempérer son dédain de l’érudition : et nous le voyons en effet, dans ses lettres à Peiresc, s’intéresser au déchiffrement d’une inscription latine ou de monnaies antiques, ou à des vers latins de Sirmond. De toutes parts il reçoit quelque apport, et c’est pour son plus grand profit ; car, un grand classique l’a expliqué, « quand il y a peu de société, l’esprit est rétréci, sa pointe s’émousse, il n’y a pas de quoi se former le goût[115] ».

M. Lanson a dit de Balzac : « Retiré au fond de sa province, il ne se renouvelle pas par le commerce des hommes, et de son fonds il est sec[116] ». Malherbe aussi de son fonds était sec ; mais il a eu l’avantage de se renouveler par le commerce d’hommes instruits et éclairés, et d’une société polie et soucieuse de beau langage. Il s’est renouvelé en outre, ou plutôt transformé, par le commerce des écrivains et des poètes ; et, s’il se contredit si souvent, l’une des causes en est que les influences diverses qu’il a subies ne se sont pas toujours parfaitement conciliées.


CHAPITRE III

La Bible


De toutes les influences subies par les écrivains français, celle de la Bible est la plus longue, et la seule peut-être qu’aucune révolution littéraire n’ait contestée : depuis le Psautier de Montebourg jusqu’à la Conscience de Victor Hugo, les générations successives ont mis dans leur interprétation des Livres saints la forme de leur pensée et de leur art. Le XVIIe siècle s’y est appliqué comme les autres, et ses idées religieuses ont trouvé leur expression dans un genre qui jette alors son plus vif éclat, l’éloquence de la chaire[117]. Les Français de ce temps-là ont mis aussi dans d’autres œuvres leurs sentiments et leurs idées, c’est-à-dire une partie des sentiments et des idées d’Israël, en qui le christianisme les avait habitués à voir, en quelque sorte, leurs ancêtres moraux : comme il y avait alors une poésie lyrique — ou réputée telle — rien de plus naturel que l’employer à paraphraser la Bible. Aussi c’est ce que tout le monde faisait[118]. Clément Marot s’était déjà attaché à cette besogne, et les accents modulés sur son « flageolet » avaient éveillé des échos inattendus : on était justement à se disputer sur la lecture des textes sacrés, et les réformés faisaient aux Psaumes un succès compromettant. Ce fut même pour combattre Marot que Desportes se mit à sa traduction : et si, suivant les paroles de Mathurin Régnier son neveu,

Sur le luth de David on a chanté ses vers[119],


c’est un fait qui intéresse plus l’histoire religieuse que la poésie française. À ce dernier point de vue, Malherbe jugea les Psaumes de Desportes, et il leur préféra bravement la soupe de l’abbé. Lui-même en fit, pourtant, des paraphrases, sans être beaucoup mieux préparé que ses prédécesseurs.

Un esprit pratique et positif traite volontiers la religion comme une institution sociale quelconque, il en tient compte, il s’y conforme même, sa suprême sagesse est de faire comme tout le monde ; c’est la philosophie de Montaigne, c’est aussi la théorie favorite de Malherbe (le Normand et le Gascon se ressemblent souvent). Il avait toujours à la bouche le vers que Prudence fait prononcer à Gallien : Cole daemonium quod colit civitas[120]. Du moins Sauvai le dit, et Racan, qui voudrait bien nous faire un Malherbe pieux, avoue « qu’il lui échappoit quelquefois de dire que la religion des honnêtes gens étoit celle de leur prince[121] ». À son lit de mort il ne se décida à recevoir le prêtre que quand on lui eut rappelé qu’il fallait vivre et mourir comme les autres ; et à ses derniers moments, d’après une anecdote fameuse, il songeait plus à la langue française qu’à l’éternité. Non pas qu’il fût un Bonaventure Des Periers ni même un Érasme ; il avait des croyances, et s’il lui arrive de plaisanter le carême[122], ou une prière qu’il vient de prononcer[123], il lui arrivait aussi d’aller en pèlerinage. C’en était assez pour n’être pas brûlé en place de Grève ; mais comment en est-il venu à paraphraser les psaumes ? Ce n’a sans doute pas été à force de lire des textes sacrés : « Dispersit superbos mente cordis sui, c’est tout ce que je sais du Magnificat[124] », écrit-il à Peiresc, et je le soupçonne fort de faire cet aveu précisément à l’occasion d’une de ses paraphrases, et de cligner de l’œil du côté des malins.

Sans qu’on puisse dire pourquoi, ni même au juste quand, Malherbe commença par traduire le psaume VIII, qui avait déjà occupé J.-A. de Baïf en même temps que les paraphrastes de profession. Il célèbre la « Sagesse éternelle » en vers plus corrects que ceux de ses prédécesseurs, et il ajoute à son modèle un détail curieux. Rencontrant « les oiseaux du ciel et les bêtes de la terre et les poissons qui parcourent les sentiers de la mer », au lieu de faire de cela un de ces tableaux oratoires que Bertaut savait réussir, il s’écrie, en s’adressant toujours à Dieu :

Et par ton règlement, l’air, la mer et la terre
N’entretiennent-ils pas
Une secrète loi de se faire la guerre
À qui de plus de mets fournira ses repas[125] ?


Et cela, on le sait, il l’a pris dans Sénèque, que nous retrouverons souvent dans sa pensée et, partant, dans sa poésie.

Sa seconde paraphrase est celle du psaume CXXVIII ; et on connaît les circonstances dans lesquelles elle fut faite : Malherbe voulait, depuis plus d’un an, « mériter une gratification par quelque nouvel ouvrage[126] » quand éclata la guerre des Princes. La petite praguerie organisée contre la reine mère ne causait probablement pas grande indignation au poète ; mais, comme la reine mère le payait, il importait de flétrir les révoltés. Justement il y avait un psaume qui célébrait la défaite des ennemis d’Israël et la vanité de leurs embûches : et comment n’y aurait-on pas songé, alors que depuis longtemps les partis en France se jetaient à la tête des passages de l’Écriture ? Notre homme se mit donc à paraphraser le psaume CXXVIII, atténuant une image trop forte[127], exprimant clairement le fœnum tectorum[128] qu’il fallait bien expliquer aux habitants du Louvre, et rendant en somme les principales pensées avec une certaine élégance, et le plus de soin possible. Il y mit même tant de soin qu’il n’eut pas fini à temps — cela lui arriva plus d’une fois — et la révolte fut apaisée avant que le psaume fût traduit. Mais en cette occasion le poète eut de l’esprit en arrivant trop tard. La reine, qui venait d’obtenir à prix d’or la capitulation des princes, se faisait lire la paraphrase par la princesse de Conti ; amusée, apparemment, par les vers véhéments et hautains, elle dit : « Malherbe, approchez-vous », puis, tout bas à l’oreille de son poète : « Prenez un casque ». Et lui de répondre : « Je me promets que vous me ferez mettre en la capitulation ». Elle se mit à rire et dit qu’elle le ferait[129] : Malherbe avait l’esprit de repartie plus qu’il n’avait le génie biblique. Il ne se souciait pas d’ailleurs de rendre ce génie : quand on lit ses paraphrases de psaumes sur la guerre des princes, on lui marque les endroits où il n’a pas bien suivi le sens de David : « Je ne m’arreste pas à cela, répond-il ; j’ay bien fait parler le bonhomme David autrement qu’il n’avoit fait[130] ».

Cependant les sentiments religieux, sans doute avec l’âge, prenaient en lui quelque place, et en 1620 il publie les Stances spirituelles, qui chantent la louange du Créateur sans que celle-ci paraisse avoir été l’objet d’une commande. Il déduit en vers corrects et laborieux les mérites de Celui dont l’esprit « se conserve éternellement ».

Il devait s’élever plus haut en s’inspirant des psaumes. Il avait, comme tous les hommes, des moments de tristesse et même de découragement, et sans exprimer sa douleur en déclamations lyriques il éprouvait le besoin de détourner son esprit du monde changeant et vain. Il lui arrivait sans doute de se reporter, ainsi que tous ceux de son temps, vers Dieu et la religion. Déjà Desportes, grand pécheur repenti sur le tard, avait eu un pareil retour, plus amer, et plus bavard, dans sa Prière en forme de confession[131] ; et Corneille, Racine, La Fontaine, passeront encore, plus tard, dans leur vie et dans leur œuvre, par les mêmes étapes de la mondanité et de la résipiscence. Malherbe, semble-t-il, revenait à Dieu, ou « au divin », comme parle Renan. Il aime à citer le verset : Delectare in Domino et dabit tibi petitiones cordis tui[132]. Aux citations qu’un homme fait, on peut souvent deviner son état d’esprit : Malherbe, écrivant le Delectare in Domino dans son exemplaire de Desportes[133], et dans son Martial[134], a sans doute déjà les préoccupations qui lui feront dire enfin, en paraphrasant le Psalmiste :

N’espérons plus, mon âme, aux promesses du monde[135].


Lui qui s’était fatigué « à louer les vertus des hommes » sans être toujours satisfait de la récompense, et qui avait vu succomber les puissants de la veille, et lu tant de dissertations sur la vanité du monde, il était tout préparé à comprendre le psaume CXLV, et il a su en rendre quelques idées générales avec une sobre vigueur[136]. La forme qu’il donne à telle pensée vieille comme le monde et la littérature, a déjà un ton cornélien ; comme l’auteur du Cid, il dit des rois :

Ce qu’ils peuvent n’est rien ; ils sont ce que nous sommes[137].


Il développe les lieux communs ordinaires sur la vanité du monde, et il ne parle pas des rois morts sans se ressentir des formules poétiques de la Renaissance :

Et dans ces grands tombeaux, où leurs âmes hautaines
Font encore les vaines,
Ils sont mangés des vers.


Ces âmes qui vivent dans les tombeaux sont de la théologie de la Pléiade[138] plutôt que de celle de la Bible : aussi le théologien Costar et le Père Bouhours en sont-ils offusqués[139]. Malherbe n’était donc jamais entièrement et exclusivement pénétré de l’esprit biblique. Jamais non plus, du reste, il n’a voulu s’attacher étroitement au texte sacré ; et, dans cette dernière paraphrase qu’on considère comme sa meilleure et même comme sa seule excellente, cinq vers tout au plus sont tirés littéralement du psaume lui-même.

L’influence générale de la Bible n’est pas très profonde chez Malherbe ; l’idée de Dieu se revêt plutôt dans son œuvre des traits de la poésie antique : il le voit sous l’aspect du Jupiter classique :

Ô toi qui d’un clin d’œil sur la terre et sur l’onde
Fais trembler tout le monde…[140]


et, dans la plus belle « prière » qu’il lui ait adressée, il parle de façon très profane de la gloire du Dauphin, qui sera telle

Que ceux qui dedans l’ombre éternellement noire
Ignorent le soleil, ne l’ignoreront pas[141],


ce qui semblait une impiété insupportable à Lefebvre de Saint-Marc.

Cet homme qui ne savait pas prier en vers sans scandaliser les théologiens et son propre éditeur, ne pouvait non plus être guère chrétien. Ne lui demandez pas de sentir la naïveté suppliante qui s’égrène dans les litanies : « dans ses Heures, il avoit effacé des litanies des saints tous les noms particuliers, et disoit qu’il étoit superflu de les nommer tous les uns après les autres, et qu’il suffiroit de les nommer en général : Omnes sancti et sanctae Dei, orate pro nobis[142] ». La « réduction à l’universel » avait de ces boutades… Ce n’est pas Malherbe non plus qui parlera, comme Victor Hugo, de « la prière d’un mendiant puissant au ciel » : « quand les pauvres lui disoient qu’ils prieroient Dieu pour lui, il leur répondoit qu’il ne croyoit pas qu’ils eussent grand crédit envers Dieu, vu le mauvais état auquel il les laissoit en ce monde, et qu’il eût mieux aimé que M. de Luynes ou quelque autre favori lui eût fait la même promesse[143]… Il disoit aussi que Dieu n’avoit fait le froid que pour les pauvres et pour les sots[144] ». Quand Malherbe s’adresse au Christ — cela lui est arrivé dans un sonnet composé après la mort de son fils — il n’est pas plus chrétien qu’il n’était biblique dans ses paraphrases. Il parle au Christ comme à un de ces dieux classiques dont la vengeance était le plaisir, et il veut le persuader en bonne logique :

 Puisque, par la raison
Le trouble de mon âme étant sans guérison,
Le vœu de la vengeance est un vœu légitime,

Fais que de ton appui je sois fortifié.
Ta justice t’en prie ; et les auteurs du crime
Sont fils de ces bourreaux qui t’ont crucifié[145].

Si l’on songe maintenant aux vers que Victor Hugo écrivait après la mort de sa fille :

Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire,

on aura une idée de la distance qui sépare du poète romantique et chrétien le poète classique, qu’inspire la raison de l’antiquité et de la renaissance.

Dans l’histoire de l’influence biblique en France, l’œuvre de Malherbe, sauf un trait, n’est donc qu’une phase quelconque de cette habitude classique qui se continue jusqu’à Lefranc de Pompignan, et qui aligne des paraphrases généralement correctes, parfois éloquentes, souvent froides et dépourvues d’enthousiasme[146]. Ce fut là un malentendu comparable au pindarisme. La poésie lyrique n’est pas de ces productions qui se transposent d’un pays ou d’un temps à un autre : elle est l’expression spontanée du sentiment intérieur ; elle peut bien s’inspirer des événements du passé et de la poésie biblique : mais ce ne sera plus en copiant les psaumes qu’elle se manifestera ; ce sera en racontant un fait tragique comme dans la Conscience ou en exprimant les sentiments personnels d’un cœur mystique comme Lamartine. Quant au classicisme français lui-même, c’est sous la forme dramatique qu’il traduira en poésie l’influence de la Bible. Et ici il donnera, comme dans l’éloquence de la chaire, le meilleur de lui-même. Chez les Grecs, le drame avait été un fragment de la tradition épique mis à la scène. En France, rien ne se prêtait mieux que l’antiquité biblique à jouer le rôle qu’avait eu en Grèce la légende homérique : aussi est-ce en lui demandant Athalie que Racine a créé le chef-d’œuvre de la tragédie française.


CHAPITRE IV.

Les Grecs.


En 1569, « on accorde ce principe que la langue grecque est la reine des langues »[147]. Un siècle plus tard, si vous ne savez pas le grec, Philaminte ne vous embrassera pas, mais aussi vous ne serez pas traité de grimaud[148]. Que s’est-il donc produit dans l’intervalle ? Une désillusion, à la suite d’une entreprise démesurée. On avait cru, au début de la Pléiade, que l’imitation des Grecs allait procurer à la France un Homère et un Pindare, et comme, au bout d’une ou deux générations, il avait bien fallu reconnaître qu’il n’en était rien, une réaction devait se produire contre les anciens mêmes en qui on avait mis tant d’espoir. Il en est toujours ainsi : Pompignan fait tort à Jérémie, et le pindarisme à Pindare. Le grec ne fut toutefois pas abandonné : on le confina seulement dans les collèges, refuge ordinaire des traditions démodées, et au commencement du xviie siècle, le Louvre, pour lequel Malherbe a écrit presque toute son œuvre, fait encore bon accueil aux études grecques[149]. Mais celles-ci n’ont plus d’influence sur la littérature nationale. On en parle avec le respect des choses auxquelles on ne touche guère, et même pour ceux qui n’ont pas encore renié Ronsard, les modèles antiques sont moins Homère et Pindare que Virgile et Horace. Arrive Malherbe. Le secret des grands critiques semble être de formuler franchement, nettement, la pensée et les goûts — et aussi les incompréhensions — de leur époque : Malherbe dit brutalement tout le mal qu’il pensait de ces Grecs qu’on comprenait mal. Nisard, qui avait fait du réformateur le type accompli de toutes les qualités possibles, disait poliment : « il préférait les Latins aux Grecs… s’il n’a pas assez goûté Pindare, c’était en souvenir des excès où l’imitation de ce poète avait fait tomber Ronsard[150] ». Le bonhomme Malherbe n’y mettait pas tant de formes, et, même sans Ronsard, il n’aurait pas ménagé l’« antiquaille » : « Il n’estimoit point du tout les Grecs, dit Racan, et particulièrement s’étoit déclaré ennemi du galimatias de Pindare… Il estimoit fort peu les Italiens, et disoit que tous les sonnets de Pétrarque étoient à la grecque[151]… » À la grecque voulait dire : qui n’a pas de pointe, comme nous l’apprend une anecdote du Menagiana[152], et comme on pourrait le voir dans la traduction de l’auteur à qui Malherbe doit le plus clair de ses idées, Sénèque : « Je ne veux pas nier que Chrysippus ne soit un grand personnage, mais c’est toujours un Grec, de qui les pointes trop déliées se rebouchent le plus souvent, et sont si foibles, que même quand elles semblent faire quelque force, elles ne font autre chose qu’égratigner bien le cuir en sa superficie, et ne passent point plus avant[153] ». Pindare avait donc le tort de n’avoir pas mis des pointes comme il en fallait aux sonnets faits pour le Louvre au début du XVIIe siècle, et Malherbe est déjà de la race de ceux qui reprocheront à Homère de n’avoir pas appris les belles manières à la cour de Versailles. De plus, tout ce qu’il avait lu et traduit de Sénèque contre le « parti des Grecs[154] » et les fictions d’Hésiode était bien fait pour le détourner d’une poésie si peu conforme à son tempérament.

Ce n’est pas à dire que Malherbe ne sût pas le grec, comme on l’a parfois prétendu. Il avait passé trop d’années dans les écoles du XVIe siècle, pour pouvoir l’ignorer[155]. Il connaît, d’abord, les noms grecs des figures de rhétorique, et il s’en souvient, avec, déjà, l’esprit de Molière : sous le vers de Desportes :

D’un tel bruit vint frapper ton âme et ton oreille


il note : « Quelque pédant trouvera ici d’une figure ὕστερον πρότερον ; pour moi, j’y trouve une sottise[156] ». Il traduit les mots grecs cités par Sénèque[157], et il était même capable de faire un bon thème grec. Parlant de son beau-frère Châteauneuf à son savant ami Peiresc, il écrit : « Je vous mandai dernièrement que, si j’avois un chiffre, je vous écrirois avec plus de liberté ; autrement, il n’y a point d’apparence de le faire. Tout ce que je puis vous dire, c’est que l’homme οἶος έβίωσεν, τοίος άπ… ήσει μετανοίας έλπίς ούδεμία, καί έπανορθώσεως ούδέν τεκμήριον[158] » ; ce qui prouve aussi que le grec pouvait encore servir de cryptographie en cette docte année 1613. Malherbe, comme un homme du XVIe siècle, aime à parler grec — et aussi latin, ou italien, ou espagnol — : « cela est mis, à cette heure, inter ἀδιάφορα[159] », dit-il précieusement. Il connaissait assez ses auteurs pour reconnaître dans Desportes un passage pris du grec[160], et il cite volontiers une sentence d’Hésiode : il écrit — toujours à Peiresc, dont il se pourrait que l’érudition eût été contagieuse — : « Pour cet air provençal que vous m’avez envoyé, je l’ai fait voir à Guedron (un compositeur), qui le trouve du tout impertinent ; je ne sais si c’est qu’à la vérité il le soit, ou qu’il vérifie

Καὶ πτωχὸς φθονέει πτωχῷ, καὶ ἀοιδὸς ἀοιδῷ[161] ».

L’année suivante, Malherbe dit de deux médecins qui « ont toujours été mal ensemble » : « Hésiode pouvoit dire καὶ ἰατρὸς ἰατρῷ aussi bien que ἀοιδὸς ἀοιδῷ[162] ». La pompeuse Lettre à M. de Mentin exalte Richelieu à grand renfort de citations : « les affaires publiques sont en si bon état que, si mon affection ne me trompe, le vieux mot εύρήκαμεν, συγχαίρωμεν ne fut jamais dit si à propos comme nous le pouvons dire aujourd’hui… D’un côté son corps (de Richelieu) a la faiblesse de ceux qui άρούρας καρπόν έδουσιν ; mais de l’autre, je trouve en son esprit une force qui ne peut être que τῶν ὀλύμπια δώματ’ἔχόντων[163] ». Malherbe aime donc à se souvenir de l’Évangile et d’Homère, et il fait encore allusion à un récit de l’Iliade en écrivant à Balzac[164]. Son œuvre poétique ne se ressent pas, pour cela, de l’épopée ni de la théogonie grecque. Parlant d’Achille, il le fait « soupirer neuf ans dans le fond d’une barque[165] ». C’était beaucoup plus que ne permettait l’Iliade : et Ménage, en publiant les vers de Sarasin qui reprenaient la même erreur, dut réduire les soupirs à neuf mois. Il est vrai que Malherbe en usait très librement avec les traditions poétiques. Quant à Hésiode, on a voulu voir un souvenir de la Théogonie dans le passage de l’Ode sur la rébellion de La Rochelle où la Victoire triomphe des Titans[166] : mais c’est là une fiction assez répandue pour que l’auteur ait pu se passer de l’original grec. De même qu’il avait pu entendre plus d’une fois dans les harangues et sermons du temps le passage de l’évangile grec auquel il semble faire allusion, il avait aussi pu rencontrer la sentence d’Hésiode qu’il cite, dans un de ces recueils comme il en paraît tant alors[167], et qu’il connaît bien, puisque la même année où il cite la sentence, il envoie à son fils Marc-Antoine, avec un Lexicon grec, une Polyanthée récente et les Chiliades d’Érasme[168]. Les poésies d’alors, celles de Régnier, par exemple, sont pleines de maximes empruntées à de pareils recueils : et pour cette besogne il n’était pas plus nécessaire de comprendre l’art grec qu’aujourd’hui pour décomposer les mots de télégraphe et de téléphone. De plus, il n’est guère d’image ou d’idée grecque dont Malherbe n’ait pu trouver des adaptations latines : les « oiseaux de Caïstre[169] » sont dans les Géorgiques[170] comme chez Homère, et Malherbe a pris à Sénèque[171] bien plutôt qu’à Lucien l’idée de se « plaindre par coutume » plutôt que de se consoler par devoir. Lucien, d’ailleurs, si répandu au XVIe siècle, était bien fait pour plaire à Malherbe, et il se peut que celui-ci se souvienne des Dialogues en écrivant : « la Provence a son Timon aussi bien que la Grèce[172] ». Il serait invraisemblable aussi que le poète de Henri IV n’eût pas lu Plutarque, du moins dans Amyot : Plutarque en effet jouit d’une vogue immense à partir du XVIe siècle, « depuis qu’il est françois[173] », et en 1635 un traducteur de Gusman d’Alfarache dit encore : « De toutes les versions dont notre âge regrattier fourmille, le Plutarque seul a valu son original[174] ». Aussi Malherbe se souvient-il de la Vie de Thémistocle[175] : « Mon avis étoit qu’il falloit éplucher un homme en sa vie et non pas en son origine, et qu’autant valoit-il avoir son extraction de Sériphe que d’Athènes[176] ». Mais de pareils détails ne permettent pas de supposer que la poésie de Malherbe doive quelque chose aux Grecs. Si les vers :

Tout le plaisir des jours est en leur matinée,
La nuit est déjà proche à qui passe midi,


faisaient songer Sainte-Beuve « à tant de vers d’Homère sur la splendeur de l’aurore, sur le jour sacré[177] », c’est que Sainte-Beuve connaissait la poésie homérique et la goûtait avec un sens que Malherbe n’a jamais eu : et s’il fallait chercher une source à ces vers, il faudrait la voir chez les Latins et les Italiens, ou même chez les Français, plutôt que dans la poésie grecque. Celle-ci ne disait rien à Malherbe : les écarts du lyrisme ne lui permettaient pas de régler ses vers sur ceux de Pindare. On a souvent cité le jugement d’André Chénier sur l’Ode à Marie de Médicis : « Cette ode est un peu froide et vide de choses… Au lieu de cet insupportable amas de fastidieuse galanterie dont il assassine cette pauvre reine, un poète fécond et véritablement lyrique, en parlant à une princesse du nom de Médicis, n’aurait pas oublié de s’étendre sur les louanges de cette famille illustre, qui a ressuscité les lettres et les arts… Ce plan lui eût fourni un poème grand, noble, varié, plein d’âme et d’intérêt… Je demande si cela ne vaudrait pas mieux pour la gloire du poète et pour le plaisir du lecteur. Il eût peut-être appris à traiter l’ode de cette manière, s’il eût mieux lu, étudié, compris la langue et le ton de Pindare[178] ». Sans doute : mais il aurait surtout fallu pour cela que Malherbe fût né deux siècles plus tard ; et il aurait compris qu’il fallait imiter les Grecs en faisant comme eux : c’est-à-dire en n’imitant personne. Sur ceux qui avaient naïvement copié Pindare, ou qui admiraient de confiance une poésie réputée parfaite, Malherbe avait l’avantage de reconnaître son incompréhension. Celle-ci est du reste partagée par ses contemporains et surtout par ses compatriotes. « Le peu imitable Pindare[179] », comme disait déjà Vauquelin de La Fresnaye, était « absolument fermé » aux esprits positifs, raisonnables et sensés : et comme ce bon sens et cette raison triomphent en France au début du xviie siècle, « notre poésie en sa simplesse utile » renonce aux ambitions pindariques ; elle néglige même les Grecs en général, jusqu’au jour où un poète délicat, nourri de Sophocle et d’Euripide, retrouvera le sens de la grâce attique et le secret des passions à la voix harmonieuse.


CHAPITRE V

Les Latins

I. — Sénèque


Une philosophie « ondoyante et diverse » ; des réflexions tour à tour profondes et familières sur les circonstances ordinaires de la vie, une conversation « à pièces décousues[180] » dont les fragments se présentaient comme une espèce de menue monnaie de la sagesse, « sable sans chaux » comme disait Claude, mais dont chacun pouvait emporter un grain : voilà plus qu’il ne fallait pour assurer pendant longtemps à Sénèque des lecteurs nombreux et divers. Ce raisonneur qui s’analysait tout le temps et dédaignait tout sauf les idées capables de former l’homme, avait particulièrement trop d’affinités avec l’esprit français classique pour ne pas se prêter à son élaboration : aussi — sans même parler de l’art dramatique — n’y a-t-il peut-être pas un ancien qui se trouve plus exactement à toutes les sources du classicisme : chez Montaigne qui y puise « comme les Danaïdes[181] », chez Calvin qui a commencé par commenter le De Clementia, chez Malherbe surtout et ses contemporains. « Sans Sénèque, disait déjà Colletet, Bertaut n’eût jamais si bien fait résonner les muses et n’eût aussi jamais touché nos esprits de si vives ni de si fréquentes pointes[182] ». Malherbe non plus, sans Sénèque, ne serait peut-être pas ce qu’il est, l’introducteur de la raison raisonnante en poésie. Il avait eu à cet égard un vague devancier en Alain Chartier, et ce « très noble orateur » s’était déjà mis à l’école de Sénèque ; Montchrestien encore fait de même, surtout dans les chœurs de ses tragédies ; et en 1590, on ne sait quel « Caton de Basse-Normandie » faisait imprimer à Caen un Bouquet des fleurs de Sénèque[183] comprenant huit odes à sujets philosophiques extraits des œuvres du philosophe latin. L’auteur inconnu (dans lequel on a voulu, à tort, voir Malherbe lui-même[184]) écrit avec les images des poètes du temps ; et il est curieux de voir combien ses « odes », adressées à des magistrats et à des avocats au milieu desquels Malherbe aussi a vécu, ressemblent aux stances du consolateur de Du Périer et du président de Verdun, non seulement par le fond — ce qui n’a rien d’étonnant, — mais même par la forme. Des deux côtés les lieux communs sur la fatalité de la mort, sur la brièveté de la vie, sur le temps et la patience qui guérissent nos maux, sont enveloppés des mêmes comparaisons de la courte vie à la rose flétrie dès le soir, et des mêmes rimes de « la barque « et « la Parque », du « monde » et de « l’onde », des « hommes » et « nous sommes », du « trépas » et « ici-bas » ; le Bouquet fournit même — nous le verrons plus loin — le prélude de la plus célèbre des stances à Du Périer. Malherbe devait réussir en employant, de façon plus discrète, la méthode du paraphraste obscur et de tant d’autres rimeurs.

Il aimait les tragédies de Sénèque[185], où il goûtait apparemment les pensées et dissertations dont il allait se pénétrer en traduisant les œuvres philosophiques. Celles-ci devaient lui être familières depuis longtemps, par les fortes études latines qu’il avait faites, par le commerce du néo-stoïcien Du Vair, par celui de tous les lettrés du temps. On ignore la date à laquelle il traduisit le commencement des Questions naturelles, une grande partie du Traité des Bienfaits, et la plupart des Épitres à Lucilius[186]. Le silence de ses lettres (conservées pour les dernières années) et de ses disciples sur ce point permet de douter que les traductions datent exclusivement de la dernière partie de sa vie, comme le feraient croire la préface de l’éditeur posthume Baudoin et la dédicace à Richelieu écrite par Du Boyer[187]. Puis, comme « Malherbe se moquoit de ceux qui disoient qu’il y avoit du nombre en la prose » et que « les périodes des Épîtres de Sénèque sont un peu nombreuses[188] », comme ces Épîtres et surtout le Traité des Bienfaits contiennent des mots archaïques, il est possible que l’auteur y ait travaillé à une époque où il n’avait pas encore en prose la manière et la maîtrise de sa traduction du XXXIIIe livre de Tite-Live, modèle de langue et de grammaire à ses yeux. La traduction de Sénèque présente sous une forme élégante et soignée une foule d’idées qui se retrouvent dans la correspondance et dans les vers du poète. Elle contient même une partie poétique, puisque c’est en vers français que sont rendus les vers latins ou grecs que citait Sénèque. C’est un exercice auquel s’adonnera un autre grand classique, celui qui admira tout un temps Malherbe : La Fontaine traduira en vers les mêmes passages pour la traduction de Sénèque de son ami Pintrel. Malherbe rend ainsi un passage de la première Églogue de Virgile (dont il se souviendra dans l’Ode à la reine mère[189]) :

C’est de la main de Dieu que tout ce bien me vient.
Il me donne mes bœufs, il me les entretient :
C’est lui par qui je chante, et lui par qui j’entonne
Dessus mon chalumeau tous les chants que je sonne[190].

Voici une description de l’âge d’or qui fait bonne figure entre les poésies du XVIe siècle et celles de Delille :

Le joug au jeune bœuf n’avoit pressé les cornes,
Il n’étoit point de coutre, il n’étoit point de bornes,
Et la terre pucelle en commun épandoit
Au peuple nonchalant plus qu’il ne demandoit[191].

Il y a de ces bouts de traduction qui font déjà penser à La Fontaine : « Vous trouverez encore à vous couvrir sous un arbre

Qui réserve tardif son ombrage aux neveux[192] ».

Ils font surtout penser à la poésie de Malherbe lui-même, et telle traduction de vers latin pourrait faire partie de n’importe quelle « Consolation » :

Les destins pour prier ne se fléchissent point[193].

Quant à la prose du traducteur, elle a des « périodes » et « du nombre », comme disait Racan[194], et comme le remarquaient les contemporains ; et parfois même il faudrait à peine retoucher la version de certaines phrases latines pour en faire des vers.

Non seulement Malherbe, en traduisant, ajuste ses mots en versificateur, mais il ajoute aussi des ornements à son modèle, des images comme il y en a, du reste, dans tous les poètes du temps, comme il en a vu dans Horace, et qu’il reproduira dans ses pièces les plus célèbres. Pour n’en citer que deux exemples, magnis itaque curis exemptus[195] devient : « aussi les roses de son âme n’ont point d’épines[196] » ; ex quacumque conditione est décomposé en deux termes concrets : « d’une cabane, aussi bien que d’un palais[197]" », tableau qui se retrouve dans la stance mémorable qui montre la mort régnant également sur la cabane du pauvre et sur le Louvre de « nos rois ». Le traducteur a parfois des images moins heureuses, comme celles du « musc et de l’ambre[198] », et il modernise sans hésitation son modèle, dont il transpose les idées dans le monde français. Il dit « Monsieur » et « ces messieurs », devançant le fameux : « Vous n’avez pas failli, Messieurs », que Boileau lira dans Démosthène. Il interprète equitem romanum, libertinum, servos, par « gentilhomme, roturier, valets[199] », et parfois il ne retient que la partie la plus générale d’une pensée pour l’appliquer aux hommes de son temps : « On peut bien sentir le musc et l’ambre, et n’être ni moins galant ni moins brave que si on sentait la poudre à canon[200] » : cela pour rendre Fortitudo, et industria, et ad bellum prompta mens, tam in Persas quam in alte cinctos cadit[201]. Malherbe aurait pu dire de sa traduction de Sénèque ce qu’il disait en publiant celle du XXXIIIe livre de Tite-Live : « Je sais bien le goût du collège, mais je m’arrête à celui du Louvre[202] », Il s’y est arrêté en vers comme en prose, et la stance fameuse où il paraphrase Horace sera l’une de ses belles infidélités.

Godeau disait dans son Discours sur Malherbe : « Si Sénèque revenoit au monde, je ne doute point qu’il n’ajoutât au nombre des plus illustres bienfaits dont il parle dans ses livres celui qu’il a reçu de Malherbe en une si excellente et si agréable version[203] ». Il y avait là, en effet, un bienfait illustre, mais c’est Malherbe qui le recevait : il s’assimilait les idées de son auteur — sa façon de traduire montre jusqu’à quel point — et il en tirait sa conception du monde, de la vie et de l’art. Nous avons déjà vu qu’en parlant de Dieu il se souvient du Traité des Bienfaits, même dans ses paraphrases bibliques. Il réfute suivant le même procédé les objections tirées de l’existence du mal contre la providence divine, et il le fait à propos d’une fiction qui sera elle-même un lieu commun de la poésie classique : l’invocation au soleil. Celle-ci se rencontre particulièrement chez les imitateurs des tragédies de Sénèque, dans l’Hippolyte[204] de Robert Garnier, dans la Médée[205] de Corneille, chez Tristan Lhermite, dans la Thébaïde[206] de Racine. Malherbe, lui, l’a prise au Traité des Bienfaits ; et après la fameuse strophe :

Ô soleil ! ô grand luminaire[207] !


dont Racine se souviendra avec un heureux à-propos dans son Iphigénie[208], il explique d’après Sénèque pourquoi « les méchants voient le soleil comme les bons[209] » en disant au « grand luminaire » :

tu luis sur le coupable
Comme tu fais sur l’innocent ;
Ta nature n’est point capable
Du trouble qu’une âme ressent.
Tu dois ta flamme à tout le monde :
Et ton allure vagabonde

Comme une servile action
Qui dépend d’une autre puissance,
N’ayant aucune connoissance,
N’a point aussi d’affection[210].

Voilà le soleil bien justifié : c’est ainsi qu’il l’était dans le Traité des Bienfaits : « Vous me direz que les dieux font du bien aux ingrats comme aux bons… tout ce que vous alléguez, le jour, le soleil… sont choses qui ont été généralement faites pour tous les hommes[211] ». Ce n’est donc pas le soleil qui a tort ; ce sont plutôt les hommes : « L’autre sait bien que c’est au soleil que nous devons les intervalles du jour et de la nuit… et cependant il aime mieux de lui donner tout autre nom que de l’appeler Dieu[212] ». Comme « cependant le soleil ne laisse pas de se lever[213] », vous voyez d’ici la matière de bien des tirades pour les poètes classiques, depuis Malherbe jusqu’à Lefranc de Pompignan :

Le dieu, poursuivant sa carrière,
Versait des torrents de lumière
Sur ses obscurs blasphémateurs.

Comme il juge le ciel, Malherbe juge le monde et la vie. La mutabilité incessante des événements et des choses est exprimée de la même façon dans les Épîtres à Lucilius et dans l’Ode sur la prise de Marseille : «  le monde est sujet à mutation, et ne demeure pas en un état ; car encore qu’il continue à avoir toutes les choses qu’il a eues, il les a d’autre façon qu’il ne les avoit, ou bien elles vont d’un autre ordre[214] ». C’est l’idée que Malherbe et son ami Du Vair appliquaient à la prise de Marseille : et tandis que le magistrat parlait « des choses mondaines sujettes à un flux continuel de change et de rechange[215] », le poète paraphrasait Sénèque en ces vers :

Les aventures du monde
Vont d’un ordre mutuel,
Comme on voit au bord de l’onde
Un reflux perpétuel[216].

« Ne ferons-nous jamais, disait une autre Épître, que trembler de froid et brûler de chaud ? C’est toujours à refaire : les choses du monde sont enfilées d’une sorte, qu’en s’entre-fuyant elles se suivent[217]… Une entre-suite invariable attache et tire toutes choses[218]. » Et Malherbe, qui dès sa jeunesse, dès les Larmes sur la mort de Geneviève Rouxel, méditait « des ans la course entresuivie[219] », continue, dans l’Ode sur la prise de Marseille :

L’aise et l’ennui de la vie
Ont leur course entre-suivie


Aussi naturellement
Que le chaud et la froidure,
Et rien, afin que tout dure,
Ne dure éternellement[220].


Vanité du monde, fragilité de la vie, incertitude du sort, frivolité des hommes, fatalité de la mort : tous ces lieux communs de toutes les littératures sont présentés de la même façon par Sénèque et par son traducteur, que celui-ci écrive en prose ou en vers. « Ô Sénèque, s’écriera un jour Diderot, c’est toi dont le souffle dissipe les fantômes de la vie, c’est toi qui sais inspirer à l’homme le mépris de la fortune, des dignités, de la vie et de la mort[221] ! » Si Du Vair et Malherbe avaient été un peu plus lyriques, ils auraient sans doute trouvé la même prosopopée, le premier pour donner cours aux « humeurs mélancoliques où il semblait qu’il prît plaisir de s’entretenir[222] », le second pour mépriser le monde, car « tout son contentement étoit d’entretenir ses amis particuliers, comme Racan, Colomby, Yvrande et d’autres, du mépris qu’il faisoit de toutes les choses qu’on estime le plus dans le monde… Il avoit aussi un grand mépris pour tous les hommes en général[223] ». Il y a de ces mépris dont l’expression se trouve déjà dans le Traité des Bienfaits et dans les Épîtres. Pensant comme deux autres lecteurs de Sénèque, Montaigne et Rabelais[224] — qui étaient en même temps, il est vrai, des lecteurs de Platon — Malherbe « disoit souvent à Racan que c’étoit folie de se vanter d’une ancienne noblesse, et que plus elle étoit ancienne, plus elle étoit douteuse… que tel qui se pensoit être issu d’un de ces grands héros (saint Louis et Charlemagne) étoit peut-être venu d’un valet de chambre ou d’un violon[225] ». Or, dans l’épître XLIV où il modernisait comme on a vu les noms des classes sociales de Rome, Malherbe avait traduit ceci : « Le plus pauvre a autant de prédécesseurs que le plus riche ; il n’y a homme de qui la première origine ne soit au-delà de toute mémoire. Platon dit qu’il n’y a point de valet qui ne soit de race de rois, ni de roi qui ne soit de race de valets : tout se bigarre de cette façon avec le temps[226] ». Ce n’était pas toujours, comme on sait, l’avis de Malherbe, qui vantait volontiers l’ancienneté de sa race, et s’occupait fort d’en chercher des preuves[227]. Que voulez-vous ? Pour être philosophe, on n’en est pas moins homme, et gentilhomme : et pour traduire Sénèque on ne renonce pas volontiers à descendre des compagnons de Guillaume-le-Conquérant.

Malherbe n’est pas plus indulgent pour les sciences et les arts que pour la vanité humaine. Du traité d’arithmétique de Diophante, dont Mésiriac vient lui offrir une édition, et dont on fait grand cas, il demande si cela fera amender le pain et le vin[228]. Il fait une réponse analogue à un huguenot qui veut l’intéresser aux controverses. Quand on lui dit que Gaumain a déchiffré le punique et vient d’écrire le Pater en cette langue, « il prononce une douzaine de mots qui n’étoient d’aucune langue, et dit : « Je vous soutiens que voilà le Credo en langue punique : qui est-ce qui me pourra dire le contraire[229] ? » Il s’expliquait volontiers tout au long à ce sujet : « Il parloit fort ingénument de toutes choses, et avoit un grand mépris pour les sciences, particulièrement pour celles qui ne servent que pour le plaisir des yeux et des oreilles, comme la peinture, la musique et même la poésie[230] ». Pour parler ainsi, il n’avait encore une fois qu’à se souvenir de l’épître 95, qu’il avait traduite : « Quelques-uns ont fait cette question : si les arts libéraux pouvoient faire un homme de bien[231]. Et tant s’en faut que cela soit, ils ne le permettent pas seulement… Venons aux professeurs de géométrie et de musique : vous trouverez aussi peu ces leçons (les leçons morales indispensables à l’homme) chez eux que chez les grammairiens[232] ». La seule science, la seule étude qui vaille, est la philosophie, ou plus simplement la sagesse, qui proclame la vanité du monde et des occupations humaines au nom de certains principes qui se retrouvent chez Malherbe comme chez Sénèque.

La philosophie que la Renaissance a essayé de se faire voit généralement dans les événements la manifestation d’une force aveugle à laquelle nous ne pouvons rien changer. Cette idée, qui est, à des degrés divers, chez les écrivains français du XVIe siècle, a été développée dans leur esprit par Sénèque plus que par nul autre. C’est dans l’Épître 107 que Rabelais prenait le vers latin (traduit par Sénèque d’un vers grec de Cléanthe) qu’il montre « esquisitement insculpté en lettres latines » :

Ducunt volentem fata, nolentem trahunt[233].


C’est dans Sénèque que Montaigne et Malherbe trouvent ou retrouvent cette leçon, et elle deviendra si bien un lieu commun, que Corneille aura un succès d’actualité avec la fameuse tirade de Thésée qui est une protestation contre le fatalisme :

Quoi ! la nécessité des vertus et des vices
D’un astre impérieux doit suivre les caprices…[234]


« Astre impérieux », ou « Fortune » — comme on reprochait à Montaigne de dire trop souvent, — ou « destin », ou « les dieux », ou « volonté de Dieu » — suivant qu’on écrit dans le jargon mythologique ou dans la langue de tout le monde, — c’est toujours la force aveugle contre laquelle nous ne pouvons rien, et à laquelle il faut nous soumettre. C’est ce qu’enseignait Sénèque, et c’est ce que Malherbe, comme les hommes du XVIe siècle, a exactement retenu. « C’est de la philosophie, disait l’Épître XVI, qu’il faut apprendre à nous humilier à Dieu, vouloir ce qu’il veut…[235] » « S’il est galant homme, il voudra ce que Dieu veut[236] », écrit Malherbe à Colomby ; et à Du Périer :

Vouloir ce que Dieu veut est la seule science
Qui nous met en repos[237].


Comme l’idée de fatalité est au fond de toute cette philosophie, le mot fatal, auquel le pétrarquisme avait déjà donné une grande vogue du temps de la Pléiade[238], reviendra à tout instant dans les vers de Malherbe — plus souvent encore que « la Fortune » dans Montaigne. Il sera tout aussi fréquent — sans plus avoir la même raison d’être — chez ceux qui vont

Dans leurs vers décousus mettre en pièces Malherbe,


et Pascal le mettra au nombre des mots ridicules que les poètes emploient quand ils ne savent que dire.

Proclamer la vanité du monde, de ses occupations et de ses plaisirs, et en outre considérer l’homme comme le jouet impuissant d’une fatalité inexorable : c’était fermer de tous côtés le chemin aux regrets et aux plaintes humaines. Aussi, tant que dure en France le règne de la raison, Sénèque reste le maître des consolateurs ou du moins des raisonneurs qui veulent combattre la douleur en parlant à l’esprit. « Me veux-je armer contre la crainte de la mort ? c’est aux despens de Seneca[239] », disait Montaigne en parlant des pédants ; et, bien longtemps après, Usbek écrit à Rhédi : « Lorsqu’il arrive quelque malheur à un Européen, il n’a d’autre ressource que la lecture d’un philosophe qu’on appelle Sénèque[240] ». Ce que tout le monde lit ou médite, il se trouve toujours quelqu’un pour le mettre en vers :

Hector.

Quel livre voulez-vous lire en votre chagrin ?
..........
Voilà Sénèque.
..........

Valère.

Lis donc.

Hector, (lit).

« Chapitre six. Du mépris des richesses.
La fortune offre aux yeux des brillants mensongers ;
Tous les biens d’ici-bas sont faux et passagers ;
Leur possession trouble, et leur perte est légère ;
Le sage gagne assez quand il peut s’en défaire. »


Ces vers sont du Joueur de Regnard[241] ; mais les derniers pourraient être antérieurs d’un siècle, et ne dépareraient pas les recueils poétiques qu’on faisait dans la première moitié du XVIIe siècle. C’est qu’aux environs de l’an 1600 on se consolait déjà comme du temps de Regnard et de Montesquieu ; Coeffeteau s’adressant à la princesse de Conti[242] — en une pièce que Malherbe estimait[243] — Bertaut et d’autres pour diverses afflictions, recourent aux mêmes moyens, déjà familiers au XVIe siècle : « les Consolations à la Sénèque revenaient à la mode, et après quinze siècles de christianisme, les banalités développées en vers pompeux et froids étaient imprégnées d’autant de sagesse païenne que les graves dissertations du moraliste[244] ». Malherbe aussi disserta, et il le fit même si longuement et si laborieusement, en 1614, que la princesse de Conti fut frappée d’un nouveau deuil avant que la Consolation[245] fût achevée. De plus, la ressource ordinaire des consolateurs, il l’avait mise au service de la poésie, et il exprimait en vers la nécessité de mourir qui doit ôter la crainte de la mort, et l’inutilité des plaintes qui doit faire cesser nos regrets. La Consolatio ad Marciam[246] lui fournissait la matière de bien des stances : « Si nullis planctibus defuncti revocantur ; si sors immota et in œternum fixa, nulla miseria mutatur et mors tenet quidquid abstulit, desinat dolor qui perit ». C’est ce que Malherbe répétera à Caritée[247] qui a perdu son mari, à Du Périer, au président de Verdun[248] ; et même dans sa propre douleur, il n’oubliera pas l’inexorable nécessité de notre nature :

Que mon fils ait perdu sa dépouille mortelle,
Je ne l’impute point à l’injure du sort,
Puisque finir, à l’homme est chose naturelle[249].


Il console comme faisait Sénèque, et de même que celui-ci citait à Marcia l’exemple des mères illustres qui avaient perdu leur fils, il cite à Du Périer d’illustres exemples de pères qui ont perdu leurs enfants : Priam[250], François Ier et… Malherbe. Toutes ces idées, du reste, ont tellement fait le tour des littératures qu’il serait futile de chercher d’où elles viennent, si elles n’étaient accompagnées chez notre poète d’autres pensées empruntées aussi à Sénèque : « Ces âges-là sont perdus pour nous : le temps passé jusques à hier est tout évanoui », disait l’Épître XXIV[251] : et le poète dit à son tour :

L’âge s’évanouit en deçà de la barque
Et ne suit point les morts[252].


L’Épître LXIII démontrait que « le pleurer excessif est plutôt marque de vanité, et de vouloir être estimé affligé, que d’une véritable amitié[253] » ; et les Stances à Du Périer paraphrasent ainsi cette pensée :

Mais d’être inconsolable, et dedans sa mémoire
Enfermer un ennui,
N’est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire
De bien aimer autrui[254].


Jugeant la vie et la mort comme Sénèque, Malherbe en parlera comme lui, c’est-à-dire avec les mêmes images. Rien n’est plus fréquent chez les moralistes que de comparer la vie à une traversée dont la mort est le terme ; le traducteur de Sénèque a eu l’occasion de rencontrer bien souvent cette comparaison : « nous laissons la vie derrière nous et comme à ceux qui sont en la mer

Les villes et les champs loin des yeux se reculent[255]


…et finalement commence à paroître cette fin générale de tout ce qu’il y a d’hommes au monde. Pensons-nous que ce soit un écueil, sots et malavisés que nous sommes ? C’est un port que nous devons quelquefois désirer[256] ». L’allégorie continue dans la suite de l’Épître, elle revient dans beaucoup d’autres ; elle est résumée dans la Consolation à Polybius : « In hoc tam procelloso et in omnes tempestates exposito mari navigantibus, nullus portus nisi mortis est ». La voici en vers, et adressée, non plus à Polybius, mais au président de Verdun :

Et les moins travaillés des injures du sort
Peuvent-ils pas justement dire
Qu’un homme dans la tombe est un navire au port ?[257]


C’est sous la forme d’une traversée, avec port et corsaires, que le poète résume sa vie dans l’Ode à Lagarde[258], et la même image revient élégamment dans des vers où se trouve aussi la tournure « fertile de peines », latinisme probablement dû à la fréquentation de Sénèque[259] :

On tient que ce plaisir est fertile de peines,
Et qu’un mauvais succès l’accompagne souvent ;
Mais n’est-ce pas la loi des fortunes humaines,
Qu’elles n’ont point de havre à l’abri de tout vent[260] ?


Sans doute c’est là l’image la plus banale qu’il y ait chez les poètes, et il serait peut-être moins long de compter ceux qui ne l’ont pas employée que ceux qui s’en servent. Mais dans le petit nombre d’images dont dispose Malherbe, elle occupe une place trop caractéristique pour ne pas rappeler le philosophe qui la développait si souvent. Il faut en dire autant des termes de médecine, « guérison », « santé », « embonpoint », employés au figuré : c’est encore une image de moraliste. Elle abonde dans Sénèque : l’épître 95, notamment ; compare longuement la philosophie à la médecine, et Malherbe a traduit bien des passages qui parlaient de l’âme ou de la société comme d’un corps à soigner. Aussi, dans ses vers, et dans ses lettres les plus solennelles, cette image revient-elle sans cesse, soit qu’il parle de la France[261], soit qu’il exprime ses propres « maux », soit aussi que d’après les modes italiennes il fasse parler quelque amant[262].

Il y aurait encore bien des rapprochements à faire entre Sénèque et son traducteur : ainsi la lettre où celui-ci engage Balzac à ne pas ambitionner l’approbation universelle rappelle le ton des Épîtres à Lucilius. Mais s’il est facile de relever une foule d’analogies entre les idées générales du philosophe et celles du poète, il est bien délicat de faire le départ entre ce qui peut relever de l’influence d’un auteur préféré, et les pensées qui naissent de la même façon chez les hommes cultivés de tous les temps et de tous les pays, et auxquelles, selon le mot de Montaigne, le penseur moderne « serait arrivé par sa raison naturelle ». Remarquons que Malherbe, pas plus que Montaigne, ne va jusqu’au bout de la doctrine stoïcienne. Quoiqu’il ait écrit dans sa traduction des Épîtres : « on ne peut dire que ce ne soit le trait d’un galant homme d’avoir fait la résolution de mourir[263] », il exprime dans l’Ode à La Garde l’idée qu’un de ses commentateurs, André Chénier, devait mettre dans la bouche de sa Jeune Captive :

Qu’un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort…


Malherbe, qui sent que « l’apathie des Stoïciens n’est pas en lui[264] », dit en effet à La Garde :

Non, Malherbe n’est pas de ceux
Que l’esprit d’enfer a déceus
Pour acquérir la renommée
De s’être affranchis de prison
Par une lame ou par poison
Ou par une rage animée[265].


Ainsi, en répondant en quelque sorte à la doctrine qu’il a si souvent lue, il se souvient des suicides glorifiés dans les Épîtres qu’il avait traduites, du poignard de Caton et du breuvage empoisonné de Socrate, « qui de la prison le fit monter au ciel : tellement que, quand j’ai désiré une vie honnête, j’ai par même moyen désiré… le poignard… et le poison[266] ». La philosophie de Sénèque ne l’a conduit ni à renoncer aux biens de ce monde, ni à singer Caton, mais elle a laissé dans son esprit des traces ineffaçables, et il s’en est ressenti dans toute son œuvre littéraire.

Quand on a pris à un écrivain sa façon de comprendre le monde et la vie, c’est bien le moins qu’on puisse faire d’accepter ses jugements en matière d’art et de littérature. En ce point encore, Malherbe est l’élève de Sénèque, et le mot le plus fameux, ou plutôt le plus caractéristique, qu’il ait prononcé sur la poésie, il l’a trouvé dans l’épître 95 : « Voyez-vous, disait-il souvent à Racan, si nos vers vivent après nous, toute la gloire que nous en pouvons espérer est qu’on dira que nous avons été deux excellents arrangeurs de syllabes, et que nous avons eu une grande puissance sur les paroles, pour les placer si à propos chacune en leur rang, et que nous avons été tous deux bien fous de passer la meilleure partie de notre âge en un exercice si peu utile au public et à nous[267] ». Or, voici ce que disait l’épître à Lucilius, dans la traduction de Malherbe lui-même : « Tout le soin des grammairiens est en l’agencement des paroles. Il s’élargit bien quelquefois jusqu’à l’histoire ; mais quand il va jusques aux vers, c’est le bout de sa carrière : il ne passe jamais plus avant. Je vous laisse à penser en quoi l’assemblement des syllabes, le choix des paroles, la mémoire des fables et la mesure des vers peuvent aider un homme[268] ». Malherbe pensait que cela ne pouvait aider ni un homme ni une nation, et l’on sait comment il rabrouait l’auteur qui se plaignait que l’État ne récompensât pas mieux les poètes. Inconséquent comme Sénèque et comme tous les raisonneurs, il ne laissait pas d’écrire, et de juger les vers des autres avec autant de soin que de sévérité : et dans ses jugements il suit encore la méthode de Sénèque. On pouvait d’ailleurs, sans être béotien, se réclamer, en matière de critique littéraire, du philosophe latin. N’est-ce pas le maître de la critique française au XIXe siècle qui écrivait : « Les plus belles paroles qui aient été prononcées sur la question des anciens et des modernes, c’est peut-être encore ce grand et si ingénieux écrivain Sénèque qui les a dites, et on ne peut rien faire de mieux aujourd’hui que de les répéter…[269] ». Là-dessus Sainte-Beuve citait un très long passage du grand et si ingénieux écrivain. Malherbe, sans citer son modèle, ne s’en inspirait pas moins : et bien des appréciations littéraires du Traité des Bienfaits et des Épîtres, non seulement auraient pu s’appliquer aux écrivains français du début du XVIIe siècle, mais encore représentent le jugement de Malherbe sur tous les écrivains en général, et sur ses contemporains et prédécesseurs en particulier. « Virgile ne prend quelquefois pas tant garde à la vérité qu’à la bienséance, et semble qu’il veuille qu’on le lise plutôt pour plaisir que pour apprendre à labourer. J’en laisserai assez d’autres exemples pour vous en donner un qu’aujourd’hui j’ai été forcé de condamner :

Quand la tiède saison met les plantes en sève,
On sème le sainfoin, et le mil, et la fève.


Voulez-vous voir si tout ce qu’il dit est véritable et si tout cela se doit semer en même saison ? nous sommes à la fin du mois de juin ; et cependant aujourd’hui j’ai vu cueillir des fèves et semer du mil[270]. » Voilà des reproches auxquels Malherbe devait s’associer de tout cœur — on sait par Régnier, par Berthelot et d’autres qu’il trouvait à « reprendre » en Virgile, — et voilà surtout à quel point de vue il se placera pour juger Desportes, Régnier, Ronsard et les autres. Il cherchera s’ils prennent garde à la vérité, il voudra voir si ce qu’ils disent est véritable, et il sera impitoyable pour les inexactitudes, pour les « mauvaises imaginations » et « imaginations bestiales «  de Desportes, pour les vers vides de sens qui ne sont que « moellon » dans les poèmes de Ronsard, pour les fictions poétiques invraisemblables surtout, dont les poètes d’alors usent encore avec désinvolture. « Il avoit aversion contre les fictions poétiques, et en lisant une épître de Régnier à Henri le Grand où il feint que la France s’enleva en l’air pour parler à Jupiter, il demandoit à Régnier en quel temps cela étoit arrivé, et disoit qu’il avoit toujours demeuré en France depuis cinquante ans et qu’il ne s’étoit point aperçu qu’elle se fût enlevée hors de sa place[271]. » Ce mépris des fictions poétiques, Malherbe l’avait trouvé bien souvent dans Sénèque : l’épître qui rabaissait les « arrangeurs de mots et de syllabes » ne dédaignait pas moins « la mémoire des fables » que la mesure des paroles et des vers, et déjà le Traité des Bienfaits dénigrait ces « niaiseries[272] », ces « baies[273] », « toute cette manière de fables qui est du gibier des poëtes, qui n’ont d’autre but que de dire quelque chose de bonne grâce[274] ». « Je veux bien qu’il y en ait de si passionnés pour le parti des Grecs, que toutes ces imaginations leur semblent nécessaires ; mais je ne pense pas qu’il s’en trouve un qui cherche quelque substance aux noms qu’Hésiode leur a donnés[275]. » Le parti des Grecs on l’a déjà vu, avait un sens aussi précis au début du XVIIe siècle qu’au temps de Sénèque, et c’est contre lui que Malherbe portait ses coups. Quant aux fictions que lui-même employait, il en trouvait encore la théorie dans le même Traité : « Comme quelquefois un nomenclateur, si sa mémoire lui manque, a recours à l’impudence, et nomme comme il lui vient en la bouche ceux de qui il a oublié le nom ; aussi les poètes ne se pensent pas obligés à la vérité ; mais selon qu’ils sont contraints par la mesure du vers, ou flattés par la beauté de quelque parole, donnent à chacun le nom qui leur vient le plus à propos, et ne sont point blâmés d’avoir enrichi la matière de quelque chose de leur invention. L’un ne donne point la loi à l’autre[276] ». C’en était assez pour permettre à Malherbe d’accommoder librement les fictions reçues, en répondant aux critiques qu’« il n’apprêtoit pas les viandes pour les cuisiniers » : et cela ne l’empêchait pas de relever dans Desportes telle « fable nouvelle ». Pour combattre l’habitude des fictions, pour en combattre surtout le pédantisme, et pour dédaigner cette connaissance précise[277] et cette reproduction exacte de l’antiquité, dont la Pléiade faisait tant de cas, Malherbe n’avait qu’à se souvenir de Sénèque. De nos jours, quand M. Brunetière combat l’érudition, il trouve à citer Bossuet : Malherbe, sans citer Sénèque, n’avait qu’à répéter ce qu’il en avait retenu pour combattre non seulement le pédantisme, mais même le lyrisme et les poètes hellénisants, et pour demander à la poésie plus de raison, de bon sens, de naturel, de clarté et d’idées surtout. Comme il venait en un temps fort raisonneur, on écouta ses leçons ; et quand Boileau proclama le triomphe de celui qui

D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir[278],


la traduction de Sénèque par Malherbe aura déjà une vingtaine d’éditions : « les règles du devoir » ont un peu été pour « la Muse » les règles du dissertateur latin, et à mesure qu’on « reconnaît les lois » du réformateur de la poésie, on continue à lire la traduction qu’il a donnée de Sénèque, et que Du Ryer a achevée avec un soin pieux, que Godeau et d’autres ont vantée infiniment.

Cette traduction a donc une double importance dans l’histoire de la littérature française. Admirée du XVIIe siècle, elle a été pour Sénèque un peu de ce qu’Amyot fut pour Plutarque ; puis elle constitue un monument de la prose oratoire, et il faut la placer à cet égard immédiatement après l’œuvre de Balzac : Malherbe, au reste, ne croyait-il pas qu’il aurait pu suffire aux deux tâches de réformateur de la prose et de la poésie, et n’a-t-il pas dit des écrits de Balzac que tout cela lui était déjà venu à l’esprit ? En outre, la façon dont Malherbe s’assimile Sénèque correspond à un développement important de la poésie française. Au moment où le classicisme en était encore à se chercher lui-même, à l’âge ingrat qu’il traversait au commencement du XVIIe siècle, il avait besoin de nouveaux maîtres et de nouvelles leçons. La prose fit sa rhétorique, on l’a bien dit, avec Balzac, qui ne fut vraiment qu’un professeur de rhétorique. Malherbe fut le maître de philosophie, et non seulement il confia à la prose la sagesse de Sénèque, mais surtout il travailla à inculquer cette sagesse à la poésie « lyrique », qui écouta d’une oreille docile : et alors on put le regarder comme un nouveau Ponocrate, « instituant son élève en nouvelle discipline, et essayant de lui faire oublier ce qu’il avait appris sous ses antiques précepteurs ». La poésie lyrique avait montré au XVIe siècle la pétulance et les curiosités de la période enfantine, elle avait eu le maniérisme des premières coquetteries : et maintenant Malherbe lui commandait de prendre un maintien grave, d’avoir des idées sérieuses, logiques et précises, et des paroles sobres et nettes. Comme le maître de philosophie, il lui apprenait à faire avec règle et méthode tout ce qu’elle avait fait jusque là « sans le savoir ».


II. Virgile.


La poésie française, devenue si sage avec le disciple de Sénèque, restait poésie quand même, ou du moins voulait paraître telle : et pour cela elle devait se fleurir d’images. Mais n’ayant pas l’imagination exubérante, ni un sentiment bien vif de la nature, elle devait cueillir ses plus beaux ornements dans les livres plus que dans les champs.

Par les bois et les prés les bergers de Virgile
Fêtaient la poésie à toute heure, en tout lieu[279].

Les poètes modernes se mirent à la suite de ces bergers, et depuis l’œuvre latine de Pétrarque jusqu’aux Italiens et aux Français de la période classique, ils ont répété, ou adapté à de nouveaux besoins, les dialogues de Tityre et de Mélibée et de leurs confrères en « bergerie ». Quand on eut renoncé aux ambitions épiques qu’inspirait l’Énéide autant que l’Iliade, on continua à admirer et à imiter les Églogues, et de l’Énéide elle-même on retint toujours quelques vers lapidaires, et des images poétiques. Celles-ci s’étalaient dans toutes les œuvres du poète latin en végétation luxuriante :

Et les cytises de Virgile
Ont embaumé tout l’univers[280].

On éprouvait particulièrement le besoin de recourir à un si précieux modèle, à une époque où la poésie française se sentait encore jeune et novice : Desportes, Duperron, Bertaut le traduisent, et même « feu M. le cardinal du Perron disoit souvent que nos rois devroient proposer un prix à diverses personnes de capacité choisie pour traduire à l’envi les plus dignes orateurs et poètes latins, sur tous Virgile ; étant d’un effet très fructueux à l’enrichissement de notre langue, d’essayer à colleter celle qui la surpasse, et la colleter en l’écrivain qui surpasse ses compagnons[281] ».

Malherbe et ses amis connaissaient trop la poésie latine pour ne pas se souvenir souvent du classique dont on apprenait les vers par cœur : quand Balzac et d’autres viennent, après la mort tragique de son fils, l’engager à accepter le dédommagement offert par les meurtriers, ils se souviennent du vieil Évandre, et appellent l’offre faite

solatia luctus
Exigua ingentis, misero sed debita patri
[282].

Malherbe lui-même cite ou adapte des vers de l’Énéide et des Églogues dans ses lettres à Peiresc et à Colomby, et dans son commentaire sur Desportes[283] ; il reconnaît un vers de Virgile que Sénèque citait sans indiquer l’auteur[284], et il a souvent l’occasion, comme nous l’avons vu, de mettre, au cours de sa traduction, des vers latins en vers français. Il n’admirait pas sans réserve le grand poète latin, il ne lui donnait même pas la première place[285] : cela ne l’a pas empêché de s’en souvenir et de s’en servir.

Et reprendre Homère et Virgile
Cela se peut facilement :
Mais bien qu’il soit d’avis contraire,
De croire qu’il puisse mieux faire,
Cela ne se peut nullement.

Ainsi disait Berthelot de Malherbe : celui-ci a souvent essayé de « faire » comme Virgile, et il a parlé des rois de France comme le poète latin faisait parler les personnages de ses Églogues. C’était déjà la mode chez les poètes français du XVIe siècle, et aussi chez les Italiens, et depuis les Henriot et les Margot des Églogues de Ronsard, jusqu’à Marie-Antoinette qui joue à la bergère, la houlette et les brebis ont été la poésie de la royauté. Malherbe a, comme tout le monde, chanté sur tous les tons :

Houlette de Louis, houlette de Marie[286].

Pour célébrer la régence de la reine mère, il peint la France d’après le modèle de la première Églogue :

Rien n’y gémit, rien n’y soupire
Chaque Amarille a son Tityre,
Et sous l’épaisseur des rameaux,
Il n’est place où l’ombre soit bonne,
Qui soir et matin ne résonne
Ou de voix, ou de chalumeaux[287].

Dans le Ballet de Madame, — la pièce que Malherbe préfère entre toutes ses œuvres — les grands personnages ont tous des noms d’églogue : « la grande bergère », Pan, Mopse[288] ; et le suprême éloge des « travaux » de Louis et de Marie est ainsi exprimé :

Sont-ce pas des effets que même en Arcadie,
Quoi que la Grèce die,
Les plus fameux pasteurs n’ont jamais égalés ?[289]

Malherbe n’avait pas seulement ces préoccupations bucoliques dans les « récits de bergers » dont on lui demandait les paroles pour les ballets royaux ou princiers : il prenait goût lui-même aux « bergeries » : « Un jour ils s’entretenoient Racan et lui de leurs amours qui n’étoient qu’amours honnêtes, c’est-à-dire du dessein qu’ils avoient de choisir quelque dame de mérite et de qualité pour être le sujet de leurs vers… Le plaisir que prit M. de Malherbe en cette conversation lui fit promettre d’en faire une Églogue, ou entretien de bergers, sous les noms de Mélibée pour lui et Arcas pour Racan, et je me suis étonné qu’il ne s’en est trouvé quelque commencement dans ses manuscrits, car je lui en ai ouï réciter près de quarante vers[290] ». Ainsi Malherbe s’exerçait lui-même dans le genre où devait briller son élève Racan. Dans les plus belles des stances où il célébrait le roi ou la reine, il se souvenait, sinon des bergers de Virgile, du moins de leurs paroles, et il promettait d’après le poète d’Auguste la félicité à son prince. L’Églogue IV surtout, dans laquelle on révérait l’annonce d’une rénovation du monde, a été pour lui une réserve précieuse d’éloges fleuris et de promesses hyperboliques. Quand il dédie les Larmes de Saint-Pierre à Henri III, il applique à celui-ci l’antithèse que l’Églogue appliquait au

nascenti puero, quo ferrea primum
Desinet ac toto surget gens aurea mundo
[291] :

Henri, de qui les yeux et l’image sacrée
Font un visage d’or à cette âge ferrée[292].

Il applique surtout les souvenirs de l’Églogue quand il doit annoncer un brillant avenir. Déjà Ronsard et Régnier, comme le chantre de Marcellus, et comme d’ailleurs tous les anciens qui ont décrit l’âge d’or, promettaient à leurs rois que « les chênes durs sueraient la liqueur rousse du miel épais[293] ». Malherbe promet à ses maîtres non seulement la conquête de Memphis, du Gange, et d’autres encore, mais aussi les miracles virgiliens : sous la reine mère on verra

sans l’usage des charrues
Nos plaines jaunir de moissons[294].

C’est plus même que n’en disait Ronsard[295], et ce n’est pas tout. Un autre jour, prophétisant encore, Malherbe écrivit :

Tout y sera sans fiel, comme au temps de nos pères,

puis, se ressouvenant du fameux vers :

Occidet et serpens et fallax herba veneni[296],

il corrigea en ces termes :

Tous venins y mourront comme au temps de nos pères,
Même ceux des vipères,
Et l’aconite bu n’empoisonnera pas[297].

Ce n’était pas encore assez beau ; et pour faire une promesse bien symétrique, le patient versificateur écrivit enfin :

Et même les vipères
Y piqueront sans nuire, ou n’y piqueront pas.

Il trouve aussi dans l’Églogue IV la formule de la suprême abondance : Omnis feret omnia tellus, et la rend en un alexandrin :

La terre en tous endroits produira toutes choses.

Puis, frappé sans doute de cette idée, il la développe avec plus d’empressement que de logique :

Tous métaux seront or, toutes fleurs seront roses,
Tous arbres, oliviers,
L’an n’aura plus d’hiver, le jour n’aura plus d’ombre,
Et les perles sans nombre
Germeront dans la Seine au milieu des graviers[298].

Ménage lui-même devait convenir qu’« ainsi la terre en tous endroits ne produiroit pas toutes choses[299] », et Balzac n’a pas perdu cette occasion de se moquer de son maître : « Je ne suis pas de l’opinion de notre Malherbe… Je n’ai nul sujet de vouloir mal aux œillets, aux violettes, aux tulipes et aux lys particulièrement[300] ». Ce n’est vraiment qu’à la pauvreté d’imagination de Malherbe qu’il fallait vouloir mal : une fois qu’il ne raisonne plus, le sage Normand n’est plus à l’aise. Il a beau copier Virgile, les fleurs qu’il y cueille trouvent dans son esprit sensé un terrain trop ingrat : l’hyperbole elle-même s’y déforme, quand le poète doit parler à vide, et qu’il n’est pas soutenu par un sujet plus grave qu’un récit de berger, et par des événements plus importants qu’un ballet. Il en était autrement quand, ayant à parler des victoires de Henri IV et des espérances que donnait le règne naissant, le poète officiel avait de lointaines et discrètes réminiscences de l’Églogue IV, n’en retenant que les idées applicables à la France, et les voyant, comme il faisait celles de Sénèque et d’Horace, à travers le monde moderne. La Prière pour le roi allant en Limousin présente des analogies avec l’Églogue, et Malherbe n’a pas eu. besoin de faire des efforts pénibles pour ressembler au poète latin. L’éloge du prince est amené de la même façon des deux côtés :

… quae sit poleris cognoscere virtus (v. 26) :
<quiconque…>… il peut assez connoître
Quelle force a la main qui nous a garantis[301].

Le triste passé n’est pas encore complètement effacé : manent sceleris vestigia nostri (v. 13) :

… ces objets qui des choses passées
Ramènent à nos yeux le triste souvenir[302].

Mais la méchanceté qui reste est impuissante (vestigia… irrita), et Malherbe peut parler des « vaines fureurs ». Le roi

…qui si dignement a fait l’apprentissage
De toutes les vertus propres à commander…
.................
À nous donner la paix a montré son courage,

et il réalise en quelque sorte ce que Virgile promettait au jeune prince :

Pacatumque reget patriis virtutibus orbem (v. 17).

Le bonheur promis n’a pas besoin d’hyperboles merveilleuses, c’est un bien dont on regarde déjà l’accomplissement comme une réalité prochaine :

Toute sorte de biens comblera nos familles[303].

La fertilité de la terre n’est pas décrite avec l’exubérance virgilienne[304], mais elle en garde certaines traces :

La moisson de nos champs lassera les faucilles[305],

et comme chez le poète ancien[306] la nature se surpasse elle-même :

Et les fruits passeront la promesse des fleurs.

Les termes classiques : cingere muris oppida… telluri infindere sulcos (v. 32 et 33) sont appliqués avec infiniment d’à propos au royaume de Henri IV :

La terreur de son nom rendra nos villes fortes,
On n’en gardera plus ni les murs ni les portes…
Le fer mieux employé cultivera la terre.

Malherbe met dans l’avenir du dauphin autant d’espoir que Virgile dans celui de Marcellus :

Hinc, ubi jam firmata virum te fecerit aetas (v. 37)… :

Cependant son Dauphin, d’une vitesse prompte,
Des ans de sa jeunesse accomplira le compte[307].

Une gloire plus qu’humaine est réservée à l’un comme à l’autre :

Ille deum vitam accipiet, divisque videhit

Permixtos heroas, et ipse videhitur illis (v. 15 et 16) : de même le dauphin

De faits si renommés ourdira son histoire
Que ceux qui dedans l’ombre éternellement noire
Ignorent le soleil, ne l’ignoreront pas :

« pensée payenne de la gloire, indécente, disait Lefebvre de Saint-Marc, dans une pièce où l’on adresse la parole à Dieu, et où l’on parle d’un prince chrétien[308] » : ce qui montre que la théologie de Malherbe reste un peu, malgré tout, celle de Virgile. À part cette inconséquence de l’idée payenne de la gloire dans une poésie en forme de prière, la poésie virgilienne (si tant est qu’elle ait agi directement) n’a donné à la Prière pour le roi allant en Limousin rien que l’auteur n’ait admirablement approprié à son sujet : et ainsi « ces visions fraîches qui passent sur un fond d’épopée[309] » reflètent peut-être discrètement et avec bonheur le décor enchanté de la fameuse Églogue.

Si le poète politique, en Malherbe, a toujours une certaine grandeur et utilise avec succès les souvenirs classiques, il n’en est pas de même du poète amoureux ou élégiaque. Dans ce dernier rôle, il est aussi gauche qu’un berger qui aurait une cuirasse sous sa houppelande, et il. ne voit les fleurs que comme elles sont décrites dans les livres anciens. Déjà dans les Larmes sur la mort de Geneviève Rouxel, il parlait de

la pourprée fleur
Qui prend du sang d’Adon le suc et la couleur[310],

et quand il se fait l’entremetteur de Henri IV dans ses stances pour Alcandre, il reprend encore

Les herbes dont les feuilles peintes
Gardent les sanglantes empreintes
De la fin funeste des rois[311],

puis il exprime la douleur d’Alcandre selon la formule classique :

Et ce que je supporte avecque patience,
Ai-je quelque ennemi, s’il n’est pas sans conscience,
Qui le vît sans pleurer[312] ?

Comme tout cela reste vain, Alcandre se consume de souffrance et n’a plus « que les os et la peau », comme dira La Fontaine ; Malherbe exprime cela bien plus savamment. Tandis que Ronsard et Desportes disaient qu’ils n’avaient plus que les os[313], ou qu’ils avaient la peau collée sur les os[314], Alcandre fleurit sa maigreur d’une image virgilienne :

Aussi suis-je un squelette,
Et la violette
Qu’un froid hors de saison
Ou le soc a touchée
De ma peau séchée
Est la comparaison[315].

Cette image, Malherbe l’affectionne. Quand, après la mort du roi, il décrit la douleur de la reine, en des vers si laborieux qu’ils n’étaient pas finis au bout de dix-huit ans, il recourt aux hyperboles les plus extravagantes[316] et encore une fois à la comparaison classique :

Et sa grâce divine endure en ce tourment
Ce qu’endure une fleur que la bise ou la pluie
Bat excessivement[317].

Il s’en sert aussi pour faire dire à Étienne Puget qui regrette la mort de sa femme :

Comme tombe une fleur que la bise a séchée,
Ainsi fut abattu ce chef-d’œuvre des cieux[318].

Dans tous ces vers il se souvient évidemment de ses auteurs français, italiens et surtout latins. En effet, l’Énéide, comme au reste déjà l’Iliade, comparait le guerrier blessé à la fleur déchirée ou flétrie, et les vers latins présentent tous les termes que Malherbe utilise avec tant d’empressement : ainsi Euryale, percé d’un coup d’épée, s’affaisse, ensanglanté

Purpureus veluti cum flos succisus aratro
Languescit moriens, lassove papavera collo
Demisero caput, pluvia cum forte gravantur
[319] ;

et le jeune Pallas — dont Balzac et ses amis se souvenaient à la mort du jeune Malherbe — est représenté

Qualem virgineo demessum pollice floreno,
Seu mollis violae, seu languentis hyacinthi
Cui neque fulgor adhuc, necdum sua forma recessit[320].

Cette image — qu’il ne faut pas toujours confondre avec celle, aussi répandue, de la brièveté de l’éclat des fleurs et de la vie humaine — on la retrouve chez les poètes de tous les temps, chez Pétrarque[321], chez le Tasse parlant d’Armide[322], dans les Amours de Marie[323] et dans bien d’autres sonnets de Ronsard. Elle est même souvent appliquée au même sujet, et Brizeux, plein de réminiscences virgiliennes, appelle encore Louise, morte « à sa quinzième année » :

Fleur des bois par la pluie et le vent moissonnée[324].

Seulement, cette image est amenée chez les divers écrivains par des raisons diverses. Chez les uns, elle est l’expression spontanée d’une imagination fleurie ; chez les autres, elle est le ressouvenir des classiques, utilisé tantôt avec un sentiment réel de la nature et de l’art, tantôt avec la complaisance d’un versificateur heureux de faire une belle description, comme Desportes quand il montre Damon blessé

Comme un bouton de rose en avril languissant,
Qui perd sa couleur vive, alors que la tempeste
Ou l’outrage du vent lui fait baisser la teste ;
Ou comme un jeune lys, de la pluye aggravé.
Laisse pendre son chef, qui fut si relevé[325].

Malherbe, lui, n’a guère d’imagination, il n’aime pas non plus la nature :

Il y devient plus sec, plus il voit de verdure,

et s’il parle des fleurs à tout propos, ce n’est pas pour le plaisir de les décrire, mais uniquement pour remplir ses vers. Toutes ces pièces qu’il écrit sur commande, il les fait avec lenteur, avec effort, cherchant dans tous ses souvenirs « un trait qui lui paraîtra triable ». Il n’est pas étonnant qu’il ait été parfois si gauche. Sainte-Beuve, écrivant à un âge où il était encore tout plein de ses études latines et de sa double rhétorique, disait de Millevoye mourant : « Il incline la tête, comme fait la marguerite coupée par la charrue, ou le pavot surchargé par la pluie[326] ». Il mettait « la marguerite » parce qu’il avait regardé les champs : Malherbe ne regarde que les livres et le Louvre, et fait rimer « violette » à « squelette ».

Virgile présentait en outre, dans « son langage qui est tout épigramme[327] », bien des vers lapidaires et des pensées fines dont les poètes classiques, et surtout Racine, devaient faire leur profit.

Mais c’est à Horace plus qu’à Virgile, nous allons le voir, que Malherbe demandait les vers bien frappés et les pensées profondes. Il a encore bien des images et des fictions qu’on trouve déjà dans l’Énéide ou les Églogues ou les Géorgiques : « la discorde aux crins de couleuvres[328] », les fleuves considérés comme des êtres cornus[329], les vents messagers des amants[330], la comparaison de l’Alphée[331], reprise encore par Voltaire ; les soleils pour les jours[332] tournure déjà familière à Ronsard, le souvenir de Mycènes[333] et d’autres. Mais tous ces éléments sont aussi bien ceux de toute la poésie antique et de la renaissance. Si l’on peut en dire autant des bergers et des images poétiques, il n’en est pas moins sûr que Malherbe connaissait les bergers et les images de Virgile, et l’on a vu ce que tout cela devenait chez lui. La poésie bucolique a pu mettre un peu de fraîcheur dans les grands vers où Malherbe était soutenu par l’importance du sujet politique, mais quand le poète cherche dans ses souvenirs ce qu’il doit dire, il ne manie pas très habilement la greffe virgilienne, et à cet égard il sent moins bien que Ronsard le « naturisme » et l’art descriptif de la poésie antique.


III. Horace.


« Oserais-je vous demander, Monsieur, si vous n’avez pas un grand plaisir à lire Horace ? — Il a des maximes, dit Pococurante, dont un homme du monde peut faire son profit, et qui, étant resserrées dans des vers énergiques, se gravent plus aisément dans la mémoire[334]. » Malherbe aurait souscrit au jugement de Pococurante, et il a « fait son profit des maximes » d’Horace. Celui-ci avait déjà fait l’admiration du XVIe siècle, et il sera encore l’un des modèles du XVIIe : mais tous les écrivains ne l’aiment pas pour la même raison.

Ne te sovient-il pas d’Oraces
Qui tant ot de sens et de grâces[335] ?

Les uns préfèrent le « sens » d’Horace, sa sagesse, ses « maximes », sa malice aussi et son bon sens bourgeois : et Malherbe, Boileau, La Fontaine sont de ce groupe. D’autres aiment surtout ses « grâces », son style élégant et aimable, les jolis tableaux qu’il sait faire, les tournures brillantes de son expression : tels sont Ronsard, qui « se rend familier d’Horace, contrefaisant sa naïve douceur »[336] Racan, l’agréable paraphraste du Beatus ille[337], et jusqu’à Musset lui-même. Entre les deux catégories de lecteurs et de disciples, il n’y a du reste pas de barrière, La Fontaine par exemple est presque autant de la seconde que de la première, et beaucoup d’autres aussi aiment tout dans Horace. Mais chacun est un peu plus de l’un que de l’autre groupe, et Malherbe, comme Voltaire, est tout à fait du premier.

On dit qu’il avait fait d’Horace son livre de chevet, « son bréviaire », Racan[338] affirme du moins qu’il l’estimait, et Ménage raconte qu’ « il blâmait souvent »[339] un vers d’Horace contenant une métaphore non continuée : on sait que Malherbe, logicien versificateur, attachait aux métaphores continuées autant d’importance que Théophile Gautier ; et s’il choisit un exemple dans Horace, c’est qu’il le lisait beaucoup. Il s’en souvient à tout moment : sous un passage de Desportes, il écrit : « il veut représenter le tinctus viola pallor amantium ; mais il n’en approche pas[340] » ; il paraphrase l’exclamation sceptique : credat Judaeus Apella, non ego[341] en écrivant à Balzac : « Vous dites que vous lui ressemblez, mais à qui le persuaderez-vous ?

Peut-être à quelque Juif, mais non pas à Malherbe[342] ».

Il met Malherbe à la place d’Horace : et c’est là sa grande habileté : de même que la raison de Sénèque est devenue la raison du gentilhomme normand, de même Lycé deviendra à un certain moment la Caliste de Malherbe, les tours des rois seront le Louvre ; et les cabanes des pauvres, la chaumière des paysans français, en attendant que Rufillus et autres deviennent l’abbé Cotin, Saint-Amand et Faret. Alors que Desportes paraphrasait très longuement, avec mièvrerie, Audivere Lyce…[343], Malherbe ne prend qu’un trait d’Horace, et, parlant en termes généraux, il ne met que quatre vers pour le rendre :

Voici venir le temps que je vous avois dit,
Vos yeux, pauvre Calisto, ont perdu leur crédit,
Et leur piteux état aujourd’hui me fait honte
D’en avoir tenu compte[344].

De même il se souvient du Linquenda tellus… et placens uxor en deux vers où il dit, comme les poètes du temps, « nos amours », terme dont on reprochera encore la « fade galanterie » à Racine :

Et de toutes douleurs la douleur la plus grande,
C’est qu’il faut laisser nos amours[345].

Mais il emprunte à Horace des expressions et des pensées plus graves. Le poète latin avait écrit à Quinctius :

Oderunt peccare boni virtutis amore ;
Tu nihil admittes in to formid ne pœnœ
[346],

et l’on avait fait de ces termes un nouveau vers :

Oderunt peccare mali formidine pœnœ.

Malherbe, qui a plus de confiance dans les gendarmes de Henri IV que dans l’amour du bien, dit dans la Prière pour le roi allant en Limousin :

Tous, de peur de la peine, auront peur de faillir[347].

Ainsi il applique aux Français les expressions dont le poète latin se servait en parlant des bons et des méchants. C’est aux Français aussi, et aux Français de 1600, que Malherbe applique la fameuse sentence d’Horace sur la mort :

Pallida mors æquo pulsat pede pauperum tabernas
Regumque turres
[348].

Cette sentence, il y avait longtemps que les Français l’avaient traduite : nul ne l’avait fait avec le même succès que Malherbe. Déjà au moyen âge, le moine Hélinand avait dit dans son Vers de la mort (qu’édita au XVIe siècle un jurisconsulte fort soucieux d’éloquence française, Loisel) :

Mors, tu abas a. I. seul jor
Ainsi le roi dedens sa tor
Com le povre dedens son toit.

C’était la pensée la plus banale du monde, et les vers d’Horace étaient le modèle le plus connu des imitateurs : du temps de Cervantes on ne pouvait parler de la mort sans les citer[349].

Et qu’une âme impériale
Aussi tost là bas dévale
Dans le bateau de Charon
Que l’âme d’un bûcheron[350],

c’est ce qu’avaient répété Ronsard et tous les poètes français. Comme tous les grands écrivains qui dans tous les genres ne réussissent qu’en suivant les chemins foulés déjà par beaucoup d’autres, Malherbe a fait oublier en ce point tous ces prédécesseurs : c’est qu’en réalité il a dit quelque chose de plus qu’eux tous en parlant de la mort :

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses lois ;
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N’en défend point nos rois[351].

Il ne s’agissait donc plus du roi dans sa tour, ni d’âme impériale : c’était de nos rois que parlait le poète, c’était des barrières du Louvre, c’était du pauvre en sa cabane, que Malherbe avait regardé avant La Bruyère : ici, encore une fois, il nationalisait la poésie antique comme il avait fait la philosophie. Et comme une idée ne nous intéresse[352], et qu’une belle expression ne nous frappe que si elles éveillent en nous des souvenirs immédiats, personnels ou nationaux, les Stances à Du Périer disaient ce que la poésie française n’avait pas encore dit. Ce qu’elles ajoutaient de neuf, c’est ce qu’ajoutera chaque fois le classicisme à la conception de l’antiquité telle que se l’était faite, par exemple, le moyen âge, et aussi à la conception du XVIe siècle — de laquelle, du reste, le classicisme aura à retrancher plus encore qu’à ajouter. Voyez ce qu’Horace devient de Jean de Meung à Boileau :

Oraces dist, qui n’est pas nices :
Quant li fol eschivent les vices
Il se tornent à ler contraire
[353].

Qu’est-ce que cela peut nous faire ? Mais que Boileau dise :

Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un pire,
et voilà une leçon qui nous est donnée, à nous autres,

sans plus être présentée sous l’étiquette d’Horace, sans plus être non plus suspendue entre deux crochets comme un écriteau sur un mur, ainsi que faisait le XVIe siècle.

Seulement Malherbe, atteignant la bonne façon d’imiter, ne savait pas s’y tenir, ou plutôt ne savait pas que c’était la seule bonne. Vauquelin qui « suit la trace d’Horace » et le copie de façon agaçante, Régnier qui, aux yeux de Malherbe, égalait les anciens dans la satire, et qui traduisait beaucoup trop les Satires d’Horace, Malherbe enfin, tous payent avec usure leur dette au poète latin. Pour lui avoir pris l’idée de l’Art poétique, Vauquelin de la Fresnaye[354] se croit autorisé à repeindre le monstre du début de l’Épître aux Pisons pour avoir brillamment imité les Satires, Régnier croira bien faire en traduisant tout, jusqu’au Demitto auriculas quasi asellus[355] ; pour avoir appris à parler de la mort, Malherbe récitera sa leçon jusqu’au bout, et n’oubliera ni Tithon, ni Hippolyte, ni le nectar des dieux ; avec lui l’imitation française d’Horace a appris quelque chose, elle n’a pas assez oublié. Parce qu’Horace a dit :Occidit Tithonus remotus in auras[356], et longa Tithonum minuit senectus[357], le consolateur de Du Périer dira :

Tithon n’a plus les ans qui le firent cigale[358]
Et Pluton…


et Pluton est le voisin de Tithon dans les stances comme dans les vers latins, se montrant de la même façon inexorable et insensible aux larmes des Romains et du président de Verdun[359]. Il arrive même à Malherbe de mentionner plus explicitement que le spirituel épicurien les controverses mythologiques : alors que ce dernier faisait une allusion discrète et ironique aux versions nouvelles qui admettaient la résurrection d’Hippolyte[360], le consolateur du président de Verdun dit :

Et quoi qu’on lise d’Hippolyte,
Ce qu’une fois il tient jamais il ne le rend[361].

Il conçoit l’autre vie aussi d’après les modèles latins, et s’il ne parle pas autant que Ronsard « des flots du lac oblivieux[362] », et s’il trouve que le Léthé est une pédanterie chez Desportes, il ne se lasse pas de nectar et d’ambroisie. C’était une image d’écolier, et Malherbe était à peine sorti des classes quand, traduisant en vers français l’épitaphe latine de Geneviève Rouxel, il rendait caeli dulcedine capta par « affriandée au nectar doucereux[363] », et quand, dans ses Larmes sur la mort de la même jeune fille, il rappelait

La sucrée Ambroisie et le nectar miéleux[364].

Mais le poète de Henri IV est resté toute sa vie un écolier en ce point ; et il dit encore de son roi mort :

… Henri de qui la gloire
Fut une merveille à nos yeux,
Loin des hommes s’en alla boire
Le nectar avecque les dieux[365].

Il avouait, nous apprend Balzac, qu’en faisant ces quatre vers il avait visé à ceux d’Horace :

Quos inter Augustos recumbens
Purpureo bibit ore nectar[366].

Malherbe ne trouvait pas de paroles pour parler du ciel, pas plus que pour parler de la nature ; il jugeait avec une admirable raison le monde et la fragilité de la vie : pour s’élever plus haut il en était réduit à copier ses auteurs, jusque dans les détails les moins appropriés à la pensée française. À force de lire les mores aureos et images analogues, il parle de « l’or de cet âge vieil », en quoi Ménage lui-même reconnaît qu’« il n’est pas à imiter[367] »; comme Ronsard il dit « les meurtres épais[368] » d’après le densentur funera d’Horace[369]. Chez lui comme dans les Épodes[370]

Le centième Décembre a les plaines ternies[371],


et « nos pâturages

Battus depuis cinq ans de grêles et d’orages[372] »


se ressentent sans doute du Jam satis terris nivis atque dirae grandinis[373] et des verberatae grandine vineae[374] que Montaigne citait quand il avait à parler des désagréments que lui causaient les intempéries[375]. Enfin Malherbe reprend à Horace l’image de la lune qui brille au milieu des étoiles pour l’appliquer à Marie de Médicis[376]. Les expressions heureuses d’Horace ont frappé tous les classiques, et Racine s’en servira avec adresse pour créer « mourir tout entier » d’après le non omnis moriar, et d’autres tournures brillantes. À ce point de vue, Malherbe continue donc une tradition qui devait encore se développer après lui.

En général, Horace, qui était, si l’on peut ainsi dire, le plus français des poètes classiques, et aussi « celui que la Pléiade a le mieux connu, le mieux senti, le plus aimé[377] », est celui que Malherbe a imité avec le plus de succès. Mais, si le consolateur de Du Périer a trouvé parfois le secret des adaptations permises à propos de ces réflexions philosophiques qui sont l’essence même de sa poésie, il lui arrive, comme à ses prédécesseurs du XVIe siècle, de demander encore trop à Horace : et tout ce décor de mythologie qu’il lui emprunte paraît même plus artificiel que chez Ronsard, qui du moins se faisait l’esprit antique d’un bout à l’autre. L’erreur de Malherbe sera d’ailleurs en partie celle de Boileau, dans un autre ordre d’idées : Boileau fera des satires morales à l’imitation d’Horace, oubliant que la satire doit être inspirée par les événements du présent, et qu’il aurait fallu avoir autant d’indignation contre les vices français que contre les mauvais livres. Tous les imitateurs sont un peu les mêmes : et qu’ils empruntent ou l’art et la « douceur » d’Horace, ou sa raison, ou son goût de critique, ils regardent trop longtemps leur modèle, ou font trop d’efforts pour lui ressembler. C’est à Horace que la poésie moyenne devait le plus ressembler en France ; les élèves du spirituel poète sont les premiers en date à qui Boileau accorde les grands éloges, et avec autant d’admiration que Musset en aura pour Mathurin Régnier — autre disciple d’Horace — La Fontaine salue en Malherbe et en Racan

Ces deux rivaux d’Horace, héritiers de sa lyre,
Disciples d’Apollon, nos maîtres pour mieux dire[378].


IV. Ovide.


« Une fois, un des neveux de M. de Malherbe l’étoit venu voir au retour du collège, où il avoit été neuf ans. Après lui avoir demandé s’il étoit bien savant, il lui ouvrit son Ovide, et convia son neveu de lui en expliquer quelques vers ; à quoi son neveu se trouvant empêché, après l’avoir laissé tâtonner un quart d’heure avant que de pouvoir expliquer un mot de latin, M. de Malherbe ne lui dit rien, sinon : « Mon neveu, croyez-moi, soyez vaillant : vous ne valez rien à autre chose[379]. » Malherbe était beaucoup plus savant que son neveu et cet Ovide que, comme le vieux Daurat, il a sur sa table, et qu’il estime[380], il l’a souvent feuilleté. Le poète latin avait parlé des femmes et des dieux : et sur ces deux sujets l’ami de Peiresc s’en rapporterait volontiers à lui. De l’amour : « vous savez, écrit-il à Peiresc, ou vous saurez quelque jour que

Res est solliciti plena timoris amor[381] » ;

des dieux — qui sont, pour Malherbe, le roi et la reine[382] — : « Je crois que l’auteur de l’attentat contre le roi fût fou, et ai cette opinion avec tout le monde ; mais in magnis stultitia luenda est aussi bien que fortuna[383] ». Comme il parle à Peiresc, il parlera dans ses vers, mais en français, et avec des rimes au bout des pensées et des récits d’Ovide.

Les Métamorphoses, qui aujourd’hui ennuient les écoliers et occupent les mythographes, ont eu pendant longtemps pour tous les lettrés un intérêt dont il faut citer les témoignages pour en donner une idée. C’était sans doute un des coins où le goût du merveilleux, dissipé par la raison classique, s’était réfugié. « Le premier goust que j’eus aux livres, il me veint du plaisir des fables de la Métamorphose d’Ovide, dit Montaigne : car environ l’aage de sept ou huit ans, je me desrobois de tout autre plaisir pour les lire[384]. » Un demi-siècle plus tard, Henri IV « commanda que l’on réimprimât les Métamorphoses d’Ovide en belles et grandes lettres[385] ». Les poètes ne pouvaient faire moins que les philosophes et les rois, et les Métamorphoses trouveront en eux des imitateurs et des admirateurs ; et si à la fin Benserade s’en est égayé dans ses rondeaux, Virgile n’a-t-il pas été plus mal travesti ? Villon doit déjà à Ovide ce qu’il sait de mythologie[386] : Malherbe lui doit beaucoup aussi. Il se souvient de l’âge d’or des Métamorphoses comme de celui de Virgile : dans le premier, flamina nectaris ibant[387] ; de même dans les Stances pour la guérison de Chrysanthe :

Soient toujours de nectar nos rivières comblées[388].


Plus d’un trait rencontré dans Virgile se retrouvait, naturellement, chez Ovide, et notamment les Métamorphoses racontaient longuement l’histoire de ces « feuilles peintes » dont Malherbe se souvient volontiers[389]. Elles racontaient à peu près tout ce que les poètes français pouvaient utiliser de mythologie : et c’est souvent avec les traits qu’elles leur donnent que notre poète présente les héros antiques. Parmi toutes ses « épargnes d’esprit », comme disait Bayle[390], ou, comme il disait lui-même, parmi tous les « objets qu’on pouvait mettre sur sa cheminée après les avoir mis sur son cabinet[391] », l’une des fictions qu’il place et replace le plus volontiers est celle des Argonautes. Elle lui est devenue si familière, que comme chez Ovide, elle est employée métaphoriquement :

Employant ce Tiphys, Syrtes et Cyanées
Seront havres pour toi[392].


C’est à Louis XIII qu’il parlait ainsi, et ce Tiphys, c’était Richelieu. Mais il y avait longtemps qu’il répétait la même histoire, et beaucoup plus longuement, à tous les princes. « La toison » à conquérir avait été Marie de Médicis, et « Jason » le duc de Bellegarde[393] : et dans la seconde rédaction de l’Ode au grand écuyer de France, la fiction s’était développée, et « Téthys » avait été charmée de la bonne figure du duc :

Téthys ne suivit-elle pas
Ta bonne grâce et tes appas.
Comme un objet émerveillable,
Et jura qu’avecque Jason
Jamais argonaute semblable
N’alla conquérir la toison[394].


Plus tard, « la toison » sera aussi bien la jeune princesse de Condé dont Henri IV est amoureux, et « Alcandre » sera désespéré de n’être pas « Jason[395] ». Enfin c’est aux Argonautes que sera comparée la reine-mère pendant sa régence, quand elle aura triomphé des guerres des princes : et Malherbe raconte longuement « la fable » en disant « les mers de Scythie » de même qu’il avait lu pontus Scythicus dans les Tristes d’Ovide :

Ainsi quand la Grèce partie
D’où le mol Anaure couloit,
Traversa les mers de Scythie
En la navire qui parloit.
Pour avoir su des Cyanées
Tromper les vagues forcenées,
Les pilotes du fils d’Éson,
Dont le nom jamais ne s’efface,
Ont gagné la première place
En la fable de la toison[396].

Après Jason, son père Éson est l’une des meilleures recrues de Malherbe : Éson rime fort bien à « verte saison », et à « jeune saison », et le Sonnet à Richelieu assure que la France, « cette princesse », confiée au cardinal, va être rajeunie comme Éson[397], et le poète lui-même se souhaiterait « la fortune d’Éson » pour combattre sous Louis XIII[398].

Les héros de la guerre de Troie se ressentent, autant que les Argonautes, d’avoir passé par les vers d’Ovide avant d’apparaître dans ceux de Malherbe. Ici, par exemple, Ménélas est plus d’une fois appelé « le jeune Atride[399] » comme dans les Métamorphoses[400]. Malherbe complète d’ailleurs ingénieusement son histoire, en imaginant ce qui serait arrivé si Louis XIII s’était mêlé de la célèbre guerre. « Si j’avais été là avec mes Francs ! » aurait dit Clovis quand on lui racontait la Passion. De même, si Louis avait été là ! Nul doute

que, si de ses armes
Ilion avait eu l’appui,
Le jeune Atride avecque larmes
Ne s’en fût retourné chez lui[401].


Ce qui est vrai de Ménélas ne l’est pas moins d’Achille. On peut dire que le fils de Pelée se présente dans la mémoire de Malherbe comme dans la tapisserie de Pantagruel[402], « sa jeunesse descrite par Stace Papinie » (c’est ce que nous verrons plus loin), « sa mort et exeques descriptz par Ovide ».

N’eut-il pas sa trame coupée
De la moins redoutable épée
Qui fut parmi ses ennemis[403].


C’est bien ce que disaient les Métamorphoses[404] : et elles opposaient aussi sa gloire qui emplit le monde, au peu de cendre qui reste de lui dans la tombe, ce « je ne sais quoi » (nescio quid) qui fait songer à Tertullien et Bossuet[405]. Aussi Malherbe dira, après avoir décrit les talents d’Achille d’après Stace :

S’il n’eût rien eu de plus beau,
Son nom qui vole par le monde
Seroit-il pas dans le tombeau[406] ?

Malherbe se souvient trop des héros, et il se souvient encore plus des dieux et de leurs aventures. Pour décrire la riante clarté du soleil levant, on dirait qu’il a cherché comme M. Jourdain les manières de le dire, et qu’il n’a trouvé rien de mieux que de se souvenir d’Apollon et d’un récit d’Ovide[407] :

On diroit, à lui voir sur la tête
Ses rayons comme un chapeau de fête,
Qu’il s’en va suivre en si belle journée
Encore un coup la fille du Pénée[408] :


cela dans une chanson — qui contient d’ailleurs de jolis vers — qui est le : « Mignonne, allons voir si la rose » de Malherbe. La mignonne Cassandre, en devenant « la merveille des belles » de Malherbe n’a donc pas désappris la mythologie. À Ronsard il était arrivé aussi, en parlant à Hélène, de se souvenir de

Celle qu’Apollon vid, vierge despiteuse,
En laurier se former[409] :


mais il ne la citait ainsi que pour mettre sa belle au-dessus d’elle, et quand « il priait » son amie, il utilisait plus à propos les vers latins en reprenant lui-même, comme note Muret, « les propos que tient Apollon à Daphné en Ovide » :

Au moins escoute, et ralente tes pas :
Comme veneur je ne te poursuy pas[410]

Malherbe, dans les Métamorphoses, ne prend que les récits mythologiques, et il les répète à satiété : « oiseaux de Phinée[411] », Alcyone — dont il se souvient, qu’il s’agisse de Geneviève Rouxel[412] ou du mari de Caritée[413], — transformation des dieux « en bergers, bêtes et Satyres[414] », toute la mythologie y passe, sans qu’on y voie un trait plus heureux que n’en avait eu ce « vieux poète françois » dont Malherbe ne trouvait à rappeler que les chevilles[415].

Outre l’auteur de tant de récits mythologiques, il y avait en Ovide le poète coulant, comme l’appelait la Défense et illustration de la langue française, et comme l’appelait encore l’Art Poétique de Vauquelin, qui recommandait aussi de le « suivre ». Ronsard avait « cent fois espreuvé les remèdes d’Ovide[416] », et Régnier imitait abondamment le théoricien de l’art d’aimer. Si Malherbe était peu fait pour s’assimiler, comme du Bellay, la grâce élégiaque des Tristes, se trouvait avoir de l’amour une conception analogue à celle de l’Art d’aimer beaucoup plus qu’à celle de Pétrarque dont il prendra si souvent le langage.

Ovides dist que cele est chaste
Que nus ne prie ne ne haste
Et il dist voir, par Nostre Dame[417].


Ainsi disait Gautier de Coinsi ; et la leçon d’Ovide a souvent été répétée en France, depuis Jean de Meung jusqu’à Mathurin Régnier[418].

Malherbe continue cette lignée en parlant, d’après Ovide, de celles qui

en nos obsèques mêmes
Conçoivent de nouveaux désirs[419].


Il lui arrive de parler de l’amour avec les images et les pensées du poète latin. La fameuse « comparaison prise d’une élégie d’Ovide[420] » entre Amour et Mars, avait été développée bien des fois depuis Guillaume de Lorris — un des bons élèves d’Ovide — jusqu’à Ronsard[421] : Malherbe la reprend encore, pour exprimer une autre pensée d’Ovide :

Mars est comme l’Amour : ses travaux et ses peines
Veulent de jeunes gens[422].


Ces vers sont bien dans le goût de l’humanisme, de même que la phrase d’une lettre à Peiresc : « Je suis vieux et par conséquent contemptible aux Muses qui sont femmes[423] ». Toutes ces expressions, comme « la fortune qui est femme et n’aime pas les cheveux gris », de Machiavel et de Charles-Quint, se retrouvent chez tous les imitateurs des anciens et des Italiens jusqu’à La Fontaine[424]. Le retour de la belle qui fait cesser l’orage[425], le désespoir d’Alcandre, qui fait songer à celui de Pyrame, et d’autres formules semblables peuvent venir aussi bien des poètes italiens et français que d’Ovide. Le cri de triomphe de l’amant : « Lauriers, couronnez-moi[426] ! » ressemble toutefois singulièrement à celui d’Ovide[427], et Malherbe peut fort bien l’avoir pris au livre qu’il présentait à son neveu. Il lui a pris aussi des pensées plus graves, si toutefois il a eu besoin d’un modèle pour écrire :

En ce fâcheux état, ce qui nous réconforte,
C’est que la bonne cause est toujours la plus forte[428].

Il ne représente pas, en ce qui concerne Ovide, une transformation de l’imitation française : la mythologie n’a pas chez lui meilleure grâce que chez ses prédécesseurs : elle est même plus factice, quoique moins savante, car il ne l’emploie que parce qu’il la considère comme un décor nécessaire. Quant aux idées qu’il a pu prendre à Ovide, elles sont trop banales pour caractériser une œuvre, et elles n’ont pas reçu du poète français ces formes qui se gravent à jamais dans la mémoire.

Ch’acqueta l’aereLaura dolce e pura,
Ch’acqueta l’aere, e mette i tuoni in bando

(Pétrarque, Sonnet XC. In vita di Laura.)

Cf. aussi Virgile, Églogue VII, v. 59, et Desportes, p. 15.


V. — Stace, Martial, Tibulle, Catulle, Properce, Claudien. Influences générales des Latins.


C’est un fait bien connu, que les écrivains de la décadence trouvent plus d’imitateurs que les grands classiques. Il est plus facile de butiner dans l’Anthologie que de pindariser, et si l’on cherche seulement, chez les anciens, des pensées fortes et des sentences lapidaires, des images poétiques ou quelques fictions mythologiques, on trouve aussi bien tout cela, et plus à portée de la main, dans les poetae minores. Virgile est trop poète : Lucain est bien plus orateur, Stace est bien plus facile, plus près de l’esprit d’un Français un peu rhéteur.

Tel s’est fait par ses vers distinguer dans la ville,
Qui jamais de Lucain n’a distingué Virgile.[429]


Malherbe, lui, distingue Stace de Virgile, et c’est pour donner à Stace la première place. « Pour les Latins, celui qu’il estimoit le plus étoit Stace, qui a fait la Thébaïde, et après Sénèque le Tragique, Horace, Juvénal, Ovide, Martial[430]. » Ce qu’il pouvait goûter dans Sénèque le Tragique, c’étaient ces lieux communs dont nous l’avons vu se pénétrer dans les Épîtres et le Traité des Bienfaits. D’Horace et d’Ovide, nous avons dit aussi ce qu’il avait pris. De Juvénal, il avait moins l’occasion de se servir, ne composant pas des Satires à l’imitation du poète indigné, comme faisaient Vauquelin, Régnier et Boileau. Il n’y a guère qu’une strophe de la Prière pour le roi allant en Limousin qui rappelle Le ton de Juvénal : celle qui flétrit Henri III, et où « le soin de ses provinces » sent un peu son latin. Mais Malherbe s’est souvenu de Stace et de Martial, et de quelques autres encore.

Dans cette Thébaïde de Stace, que Vauquelin recommandait dans son Art Poétique, et que Corneille traduisit en vers[431], se trouvaient les idées et les images classiques que l’on a déjà vues à propos de Virgile : « Le rivage blême au deçà duquel on ne passe pas deux fois[432] » y figure[433] comme dans l’Énéide[434], comme chez Catulle, comme chez les Italiens et les Français de la renaissance ; les Pléiades redoutables aux mariniers[435] et le non moins redoutable Malée[436] s’y trouvent aussi, et se retrouvent chez Malherbe[437]. C’est peut-être aussi dans la Thébaïde[438] et dans les Sylves[439] que notre poète a appris à parler des « rives d’un fleuve où dorment les vents et les eaux[440] », et les arcana nemorum de Stace ont pu lui donner le goût du « silence des bois » où il fait vivre Diane, ou gémir Alcandre, ou danser les Muses[441]. « La d’Achille décrite par Stace Papinie[442], n’était pas moins célèbre que la Thébaïde, et, de même que dans l’Achilléide de Stace, Achille connaît tous les exercices, de même Malherbe, remplissant ses vers par une savante énumération des parties, nous dit du héros :

Sa gloire à danser et chanter,
Tirer de l’arc, sauter, lutter,
À nulle autre n’étoit seconde[443].

Comme dans l’Achilléide aussi,

L’or éclatoit en ses cheveux[444]
Et les dames avecque vœux
Soupiroient après son visage[445].

Ainsi le portrait qu’avait tracé Stace restait présent à la mémoire des écrivains classiques, et on le retrouvera dans l’Achille de Racine, qui s’est policé et a appris les belles manières,

Mais qui, si l’on nous fait un fidèle discours,
Suça même le sang des lions et des ours[446].

Seulement, Racine mettait ces paroles dans la bouche de la triste Ériphile, Achille était le principal personnage de la tragédie, et la violence que la tradition lui prête répondait au rôle de défenseur d’Iphigénie, tandis qu’on aurait fort bien imaginé l’éloge du duc de Bellegarde sans un Achille danseur et dameret.

Comme toujours, Malherbe a pris trop à son modèle, et ce petit « Archémore » des Stances à Du Périer, qui importunait déjà Sainte-Beuve[447], est sorti de la Thébaïde : on ne préfère pas impunément Stace à Virgile.

Malherbe lisait aussi Martial : on en a conservé un exemplaire qu’il a annoté de sa main, et qui est maintenant la propriété de M. Sardou[448] : Raderi Matthei… ad Val. Martialis Epigrammaton libros omnes, Ingolstad 1611. Il a retenu les vers latins, et l’épitaphe qu’il composa pour sa cousine de Bouillon-Malherbe se termine par un souvenir de Martial :

Qui fles talia ne fleas, viator[449].

La pensée que rappelait cette fin d’épitaphe a été traduite par Malherbe et mise dans la bouche d’Étienne Puget :

Pleure mon infortune, et pour ta récompense
Jamais autre douleur ne te fasse pleurer[450].

Pour exprimer la joie publique, l’Ode sur la prise de Marseille reprenait déjà une formule des Épigrammes :

Et quel Indique séjour
Une perle fera naître
D’assez de lustre pour être
La marque d’un si beau jour[451] ?

Malherbe a été plus habile en traduisant l’épigramme 40 du livre VI, que Marot avait déjà imitée, et que La Monnoie reprendra encore. Lycoris et Glycère sont devenues Jeanne et Anne[452], et l’adaptateur a retrouvé la verve de maître Clément et de Ronsard lui-même[453].

Tibulle avait parlé avec grâce de l’amour et des dieux, et plus d’un poète a rêvé d’aller, comme dit Ronsard,

Errer là bas sous le près de Tibulle
Errer là bas sous le bois amoureux[454].

Sans être aussi enthousiaste, Malherbe lit encore le poète érotique, et il le connaît assez pour reconnaître dans Desportes un passage où « tout est, de mot à mot, pris de la segonde élégie du premier livre de Tibulle, qui se commence : adde merum vinoque novos…[455] ». Il a lui-même pris certains traits au poète latin : il s’est notamment souvenu des vers que le cardinal de La Valette avait mille fois répétés à Voiture, et que Balzac cite encore à Chapelain[456] ; et comme Balzac, il trouve qu’il est temps d’écouter la leçon de Tibulle :

Mais aujourd’hui que mes années
Vers leur fin s’en vont terminées,
Siéroit-il bien à mes écrits
D’ennuyer les races futures
Des ridicules aventures
D’un amoureux en cheveux gris[457] ?


Il avait, auparavant, repris dans ses vers amoureux des fictions dont plus d’une remontait aux élégies latines. C’est Tibulle (ou ses disciples italiens) que Baïf traduisait pour parler des yeux de sa belle[458] où l’amour allume ses flambeaux ; et Malherbe, reprenant le même thème, qui avait, du reste, passé par deux générations de pétrarquistes français, transforme les yeux de Caliste en forge :

Amour est dans tes yeux, il y trempe ses dards[459].

En outre, quand il appelle les Muses à la rescousse, il le fait parfois plus longuement que Ronsard[460] et il les décrit d’après l’Apollon de Tibulle[461] :

Venez en robes où l’on voie
Dessus les ouvrages de soie
Les rayons d’or étinceler ;
Et chargez de perles vos têtes,
Comme quand vous allez aux fêtes
Où les Dieux vous font appeler[462]:


c’est pour confondre les ennemis de la reine régente qu’il leur demande de prendre ces atours.

Un autre jour il s’était souvenu de Catulle[463] pour faire au dauphin les promesses de gloire que l’Epithalamium Pelei et Thetidos formulait pour Achille. C’est une idée bien naturelle, en parlant d’un prince, de prophétiser la défaite de ses ennemis, et elle se retrouve chez les plus modernes des poètes français : Alfred de Musset disait encore du fils de Louis-Philippe :

Certes c’eût été beau, le jour où son épée,
Dans le sang étranger lavée et retrempée,
Eût au pays natal ramené la fierté[464].

Seulement, il y a des poètes qui se contentent d’exprimer cette idée sous une forme générale, sans insister sur « le sang étranger ». Il y en a d’autres qui ne se lassent pas de développer la pensée belliqueuse et meurtrière. Malherbe est absolument féroce dans ses promesses : il n’est pas de dévastation qu’il ne présage pour son prince, et le sang des ennemis monte dans ses vers comme dans ceux de Lucain et de Brébeuf : dans la Prière pour le roi allant en Limousin il commence par prier Dieu, et finit en promettant à Henri IV un massacre général de l’Espagne[465] ; il dira du fils :

Les Nomades n’ont bergerie
Qu’il ne suffise à désoler[466].

Il s’agissait là du « faon de lionne » qui sera le doux Louis XIII; et quand, quinze ans plus tard, le même Louis va châtier les Rochelois, son poète promet non seulement que Neptune va mettre incessamment ses Tritons à la disposition du roi « pour être ses matelots », mais encore

Que le sang étranger fera monter nos fleuves
Au-dessus de leurs bords[467].

Avec un pareil goût, Malherbe devait recueillir avec empressement les promesses de destruction des ennemis qu’il rencontrait chez les anciens. Il en trouvait assez. À l’époque homérique, le héros vaut surtout par le nombre des ennemis qu’il tue, et le plus grand éloge de Diomède, dans la bouche de Nestor, ce sont les veuves des Troyens qu’il a tués[468]. Quand la sauvagerie des mœurs s’adoucit, le passé continue généralement à flotter en épaves métaphoriques sur la langue et sur la poésie. Aujourd’hui encore quand nous « rompons en visière » aux préjugés, ou quand nous « rompons une lance » non moins métaphorique en faveur d’une idée, nous gardons la trace des habitudes batailleuses du moyen âge. De même toute la poésie antique a gardé la trace de la férocité homérique, et ce fut parfois un plaisant spectacle de voir chez les modernes plus d’un « galant homme » répéter le plus poliment du monde les menaces sanguinaires des dompteurs de chevaux et des tueurs d’hommes. Quand le galant homme avait infiniment d’esprit et de goût, et surtout quand il avait trouvé la forme littéraire qui convenait à son art : le drame — c’est-à-dire quand Racine représentait les héros homériques — tout pouvait s’arranger ; et ce n’était pas trop mal se souvenir de l’Epithalamium Pelei et Thetidos que de faire dire à Iphigénie, qui parlait à Achille avant d’être immolée par Calchas :

Allez ; et dans ses murs vides de citoyens,
Faites pleurer ma mort aux veuves des Troyens[469].

Malherbe avait moins de goût, mais autant de mémoire que Jean Racine, et il ne demandait pas mieux que de copier les poètes latins. Quand il souhaite la bienvenue à Marie de Médicis, il promet qu’ « un dauphin lui va naître », et comme l’épithalame de la nouvelle reine ne doit pas être moins brillant que celui de Thétis, ce dauphin sera un terrible massacreur :

Oh ! combien lors aura de veuves
La gent qui porte le turban !
Que de sang rougira les fleuves
Qui lavent les pieds du Liban !
Que le Bosphore en ses deux rives
Aura de Sultanes captives !
Et que de mères à Memphis
En pleurant diront la vaillance
De son courage et de sa lance
Aux funérailles de leur fils[470]


C’était, comme on le voit, pousser un peu loin les conquêtes du jeune prince ; tous les poètes du temps, qui célèbrent « le grand dessein », sont du reste aussi hyperboliques, et la tradition se perpétue jusqu’à Boileau, qui s’en moque :

N’avons-nous pas cent fois, en faveur de la France,
Comme lui, dans nos vers, pris Memphis et Byzance,
Sur les bords de l’Euphrate abattu le turban,
Et coupé, pour rimer, les cèdres du Liban[471] ?

Malherbe n’est pas moins embarrassé pour traduire la fameuse pensée de Catulle sur le soleil et la vie humaine, pensée si souvent reprise par les poètes italiens comme le Tasse, qui l’exprime plus d’une fois, et par les poètes français depuis Ronsard jusqu’à M. Eugène Rostand[472] :

Soles occidere et redire possunt :
Nobis, cum semel occidit brevis lux,
Nox est perpetua una dormienda[473].


Le Tasse écrivant en une langue plus rapprochée du latin, avait pu traduire très élégamment ces vers[474] ; il en avait répété la pensée avec grâce dans son Aminte[475], que Malherbe lisait avec tant de plaisir : cela n’empêche que Malherbe était fort embarrassé. Non pas pour la brièveté de la vie : en faisant rimer selon son habitude, le monde et l’onde, le destin et le matin, quatre vers était vite faits. Mais comment faire coucher le soleil ? Pour le faire luire, nous avons vu qu’il allait chercher ses souvenirs de mythologie. Pour dire : soles occidere…, il n’éprouve pas moins de peine. Il écrit d’abord :

Tel que se couche le soleil
Au soir accablé de sommeil…


Mais lui-même se sent choqué de ce coucher de soleil comateux, et il corrige, sans faire beaucoup mieux :

Tel qu’au soir on voit le soleil
Se jeter aux bras du sommeil,
Tel au matin il sort de l’onde.
Les affaires de l’homme ont un autre destin ;
Après qu’il est parti du monde
La nuit qui lui survient n’a jamais de matin[476].


Cette fois c’est bien Malherbe qui retardait sur Ronsard ; écoutez plutôt : « Je me souviens, raconte M. Gaston Boissier, que M. Patin, dans ses cours de la Sorbonne, nous citait, à propos de cette pièce, la traduction d’un de nos vieux poètes, moins exacte assurément que celle de M. Rostand, puisqu’il s’est permis de remplacer le soleil par la lune, mais où l’on retrouve davantage l’accent mélancolique de l’auteur latin :

La lune est coutumière
De naître tous les mois ;
Mais quand notre lumière
Est éteinte une fois,
Sans nous plus réveiller
Faut toujours sommeiller[477] ».

Ménage[478] se demandait si Ronsard n’avait pas songé, en même temps qu’à Catulle, au damna tamen reparant cœlestia lunæ : qu’il suffise de constater qu’il arrive à Malherbe de traduire ses auteurs plus littéralement et plus péniblement que Ronsard.

À Valerius Flaccus on rattache depuis Balzac[479] le passage où Malherbe montre la victoire aux bords de Charente[480], attendant Louis XIII, et où il développe librement une fiction qu’avait déjà employée Ronsard, parlant de Mars[481], et qui était bien connue des poètes français. Malherbe a donc probablement suivi le conseil de Vauquelin, qui recommandait « les Argonautes », et il a aussi goûté chez Valerius Flaccus comme chez les autres poètes latins l’histoire de ces héros dont il se souvient si souvent. « Cette nymphe qui appelle Louis sur les bords de la rivière de Charente, dit Balzac, n’est-elle pas aussi belle pour le moins, que celle-ci qui appelle Jason sur les bords de la rivière de Phasis ?

… Tu sola animos, mentesque peruris,
Gloria : te viridem videt, immunemque senectæ
Phasidis in ripa stantem, juvenesque vocantem
[482]. »


Ce qu’il aurait fallu demander, et qu’oubliait parfois Balzac, c’est de savoir si Louis XIII n’était pas trop différent de Jason, et la Charente — plus souvent la Seine — du Phase.

Il y a chez Malherbe bien des fictions, parfois longuement développées, dont il n’est pas toujours possible de trouver le modèle précis : déjà du temps de Ménage on ne savait s’il fallait rattacher à Sidoine Apollinaire ou à Claudien la célèbre description du combat des Géants[483], dont l’Encelade rappelle aussi bien Horace. Il en est de même de beaucoup de lieux communs de la poésie amoureuse dont on trouve les antécédents chez Properce et d’autres.

Mais des conditions où l’on vit ici-bas,
Certes celle d’aimer est la plus malheureuse[484].


C’est exactement ce qu’avait dit Properce : mais il serait peut-être difficile de trouver un poète amoureux, latin, italien ou français, qui ne l’ait pas dit aussi.

Et sans atteindre au but où l’on ne peut atteindre
Ce m’est assez d’honneur que j’y voulois monter[485].


Cette idée, qui n’est naturellement chez Malherbe qu’un lieu commun littéraire — puisque c’est pour le duc de Montpensier qu’il « s’exalte » dans ces vers — il a pu la trouver dans Properce[486], il l’a rencontrée aussi dans Pline[487], qu’il recommandait un jour à un chercheur de sentences[488]. Properce, Pétrone et d’autres ont également exprimé l’ardeur et la gloire de la passion augmentées par les obstacles[489] ; Desportes et Bertaut la répètent à tout instant, ainsi que le dédain des « palmes communes » et des victoires sans péril sur lesquelles Corneille devait dire le dernier mot. Malherbe, en ce point, parle à peu près comme Bertaut.

Il parle très probablement d’après Claudien, dont « il admirait les panégyriques »[490], quand il fait dire par le dieu de Seine au maréchal d’Ancre :

La Fortune t’appelle au rang de ses victimes ;
Et le ciel accusé de supporter tes crimes
Est résolu de se justifier[491].


C’est par cette idée que Claudien commençait son poème contre Rufin[492] :

« Le trépas de Rufin vient d’absoudre les dieux »,


comme traduira François de Neufchâteau. Cette idée que le triomphe des méchants est une injure aux dieux, et que leur chute justifie le Ciel, se retrouve dans toute la poésie antique et aussi dans la Bible, et Sénèque a pu très souvent la répéter à Malherbe[493]. Celui-ci se souvenait peut-être même de ceux dont parle Sénèque quand il disait :

Continuez, grands Dieux, et ne faites pas dire
Ou que rien ici-bas ne connoît votre empire,
Où qu’aux occasions les plus dignes de soins
Vous en avez le moins[494].


Cette conception des dieux comme commissaires responsables de nos entreprises est dans toute la philosophie et la poésie antiques, et elle apparaît chez tous les poètes classiques en France, dans l’Hippolyte de Garnier[495], dans le Lutrin[496] de Boileau comme dans l’Andromaque[497] de Racine, et jusque dans La Nature[498] de Lebrun. Elle était déjà chez ceux du XVIe siècle, et Malherbe continue une tradition dont il s’est pénétré en lisant les anciens et leurs disciples, et dont il a admiré l’expression chez les poètes latins.

En général, il n’est guère d’image ou d’idée, dans Malherbe, dont on ne puisse trouver un antécédent dans la littérature latine. Il ne faudrait pas, avec Ménage, rattacher à Columelle l’image des « fleurs comme étoiles semées » que l’auteur des Stances aux ombres de Damon a bien plutôt trouvée chez Desportes[499] et chez les poètes français. Mais on peut croire à l’influence des auteurs latins, de Virgile et d’Ovide, quand l’Ode pour le roi allant châtier les Rochelois parle de « creuser les fossés jusqu’à faire paroître le jour entre les morts » ; et il ne faut même pas rire de Vadius quand il cite Publius Syrus à propos de la fragilité de verre de la fortune humaine, que Bertaut et Malherbe, et après eux Godeau et Corneille[500], ont exprimée presque dans les mêmes termes. En effet, quand Montaigne avait à exprimer la même idée, il citait le mime antique : Fortuna vitrea est : tum cum splendet, frangitur. Déjà André Chénier, tout en admirant les vers de Malherbe, y reconnaissait « l’assurgere des Latins[501] » et « le ferreus imber de Virgile[502] » : on reconnaît de même dans la plupart des stances, et dans les plus fameuses, les pensées et les images des écrivains latins.

Au commencement du XVIIe siècle, le latin occupe encore une place immense dans l’enseignement et dans les lettres, et à Malherbe lui-même il arrive encore de penser que le français n’est propre qu’à des chansons et à des vaudevilles[503]. S’il ne parle pas latin aussi naturellement que Montaigne, on sent pourtant qu’il a été fort en thème. Sous un vers ambigu de Desportes il écrit : Quo me vertam nescio[504]. « Il avoit souvent à la bouche, à l’exemple de M. Coeffeteau : Bonus animus, bonus deus, bonus cultus[505]. » Il avait souvent aussi à la bouche une autre phrase latine, le vers que Prudence fait prononcer à Gallien : Cole dæmonium quod colit civitas[506]. En écrivant à Peiresc il parle parfois latin : « Je ne saurais vous dire quid dediderit locum huic fabulæ[507] » ; « vos bonnes grâces me sont chères ut nil nisi sidera supra[508] » ; « inter strepitus armorum, les pauvres Muses ne sont pas en leur élément[509] » ; « nous sommes en un temps quod libet licet[510] » ; il aime les proverbes latins, soit qu’il les répète : « ad impossibile nemo tenetur[511] », soit qu’il les traduise : « il vaut mieux se taire que de rien écrire de ceux qui peuvent proscrire[512] » ; « la voix du peuple est la voix de Dieu[513] », ou qu’il les mette même en vers :

Je vais bien éprouver qu’un déplaisir extrême
Est toujours à la fin d’un extrême plaisir[514].


Il est pénétré de la philosophie antique et des souvenirs mythologiques. L’idée de la Fortune, qu’on avait reprochée comme payenne à Montaigne, revient sans cesse dans ses lettres et ses vers. Il ne saurait parler de la prospérité publique sans songer « au siècle doré[515] », « au siècle où Saturne fut maître[516] », de mariage sans montrer Hymen « en habillement blanc[517] » et accoutré comme dans Desportes, ou « en robe d’or[518] »; il ne saurait vanter un personnage sans évoquer « Mars de la Thrace[519] » ou Hercule, auquel il compare tout le monde, depuis Perrache jusqu’à Jeanne d’Arc[520] ; il ne saurait surtout parler de la mort sans citer les Parques, notamment Atropos, ou l’Érèbe, ou « le nole à Caron[521] ». Léandre, « les Busires », les dieux et les déesses « que nous récite l’histoire des temps passés[522] », le rocher de Sipyle, le Thermodon, Thésée et le labyrinthe, encombrent ses vers, et naturellement ceux-ci sentent trop souvent l’huile. Ils ont encore d’autres défauts : les religieux de Saint-Denis refusèrent un jour de laisser placer dans leur église l’épitaphe que Malherbe avait écrite pour le duc d’Orléans : il y avait encore une fois placé la Parque et le Mars de la Thrace, et les religieux trouvèrent, le sonnet trop payen[523] ! André Chénier, pourtant peu prude, trouvait parfois obscène la mythologie du bonhomme[524]. Ménage lui reprochait, d’un autre côté, des hérésies mythographiques, et lui en voulait d’avoir fait Céphale amoureux de l’Aurore[525]. À cela Malherbe avait bien répondu quand il disait « qu’il n’apprêtait pas les viandes pour les cuisiniers », c’est-à-dire qu’il ne faisait pas ses vers pour les savants, mais pour le Louvre. Seulement, pour le Louvre, il aurait pu mettre moins de mythologie ; et ici encore — comme souvent quand il se contredit — il est tiraillé à la fois par sa propre opinion et par les livres qu’il a lus, par les anciens et leurs imitateurs. Il pense et il juge d’une façon, il écrit de l’autre, parce qu’écrire, pour lui, c’est remanier ce qu’ont écrit les poètes latins, italiens et français.

Cette contradiction perpétuelle entre le gentilhomme normand et l’élève des classiques — comparable à la contradiction qu’on trouve chez Flaubert entre le réalisme normand et les souvenirs romantiques — apparaît aussi dans sa façon déjuger la poésie et surtout de parler de ses propres vers. On connaît la première opinion de Malherbe, celle qu’il a prise à Sénèque, et qu’il répète à Racan : la poésie n’est qu’un passe-temps frivole. Il parle bien autrement dans ses vers, et celui qui ne se croyait pas plus utile à l’État qu’un bon joueur de quilles, devient tout à coup le plus ferme rempart des rois : la louange de Henri IV sera bien plus brillante

Quand elle aura cette gloire
Que Malherbe en soit l’auteur[526].


Le poète confère la gloire et l’immortalité ; il « exempte l’homme de la Parque[527] » : et voilà le bonhomme qui défie « le fameux Amphion[528] » ou Apelle et sa Vénus inachevée[529], il est « plus ardent qu’un athlète à Pise » ; il va couronner Henri IV « d’amarante[530] »; il jure « par la Montagne au double sommet » de donner l’immortalité au duc de Bellegarde : il veut mieux dire « qu’un cygne près de sa mort » ; il ne doute pas de sa supériorité sur « les cygnes qu’aura la Seine » ; il est du petit nombre de ceux à qui Apollon réserve une verdeur immortelle, et il entonne avec un air de confiance inspirée son Exegi monumentum[531] :

Ce que Malherbe écrit dure éternellement.


Et il réclame l’éternité non seulement pour ce qu’il écrit, mais encore pour ce qu’il dit des écrits des autres :

Et puisque Malherbe le dit,
Cela sera sans contredit.
Car c’est un très juste présage[532].


La Parque, Amphion, l’amarante et les cygnes diraient assez, s’il en était besoin, d’où viennent toutes ces déclarations de Malherbe : elles répètent, encore une fois, les paroles de tous les poètes antiques. Cette confiance dans le métier des vers est un signe très sûr de l’influence antique : elle éclate avec la Renaissance[533], où « chacun, comme dit Estienne Pasquier, se promettait une immortalité de nom par ses œuvres », et Ronsard disait exactement à sa dame ce que Malherbe dira à son

roi :

C’est luy, dame, qui peut avecque son bel art
Vous affranchir des ans et, vous rendre déesse.[534]


C’était Cassandre, ou c’était Hélène, qui inspirait à Ronsard ses meilleurs vers ; Malherbe est plus à l’aise en parlant de Henri IV qu’en parlant à Caliste : et c’est peut-être là l’une des plus grandes différences entre les deux poètes. Mais tous deux parlent le même langage, ils ont en vers la même fierté : seulement ce que le premier disait souvent du fond du cœur, le second ne le répète que dans ses vers, et parce qu’il l’a entendu dire.


VI. — Les Poètes latins modernes.


La Renaissance admira les poètes et les écrivains anciens jusqu’à vouloir parler leur langue. On vit renaître non seulement Hector, Andromaque, Ilion, mais encore et surtout le latin. Malherbe pensa, comme du Bellay et comme Ronsard, qu’il fallait écrire en sa langue, et il disait qu’on ne comprenait pas les finesses des langues qu’on n’a apprises que « par art ». Il traite volontiers les humanistes comme Molière fera Trissotin. Il qualifie de pédants Érasme et Juste-Lipse, ne pouvant croire « qu’Érasme sût que c’est de civilité, non plus que Lipse sait que c’est de police[535] ». Lui-même pourtant avait trop étudié le latin pour ne pas y avoir pris goût, et il lui arrive de s’acharner au déchiffrement d’une inscription latine[536] ou d’une monnaie antique. Il connaît les res- sources qu’offrent les latinisants de la Renaissance aussi bien que les anciens[537]. On sait comment il jugeait les poètes français en latin : « Si Virgile et Horace revenoient au monde ils bailleroient le fouet à Bourbon et à Sirmond[538] ». Mais un autre jour il envoie à Peiresc « des vers latins faits par un nommé Syrmond » qu’il trouve « des plus beaux qu’il vit jamais ». « L’auteur, dit-il, me doit venir voir ; je lui en demanderai un autre exemplaire, que je garderai, car certainement je ne les ai lus qu’une fois, mais je les trouve parfaits : il fait quelque chose en françois, mais non passibus æquis[539]. »

Il apprécie aussi les vers latins de Grotius que Peiresc lui envoie, y faisant seulement des observations de détail ; ceux de Bertius lui « semblent d’un bon sens et bien raisonnés[540] ».

Il imite même les latinisants. Les premiers vers qui nous soient restés de lui sont des traductions du latin de Jacques de Cahaigne et de Rouxel à propos de la mort de Geneviève. Sa Prosopopée d’Ostende est une traduction de Grotius, de qui Sarasin traduira plus tard le Myrtillus. Quand, en 1606, Henri IV demande des vers à Malherbe, celui-ci fait chercher les vers latins que Barclay avait composés pour le roi d’Angleterre[541] ; il « estime tout ce qui vient d’un si bon auteur[542] ». Coeffeteau, pour ne citer qu’un nom, en 1623 rend aux Français le service de traduire Barclay. — Pas plus qu’il ne sait louer les princes de son propre fonds, Malherbe ne fait leurs épitaphes : pour celle du petit duc d’Orléans — où, comme on l’a vu, il mit trop de mythologie — il emprunte le trait final à Jean Second, de qui Dorat et Tissot, au XVIIIe siècle, traduiront les Baisers, et qui avait écrit l’épitaphe latine de Marguerite d’Autriche[543] :

Apprenez, âmes vulgaires,
À mourir sans murmurer[544].

Il avait beau médire de Virgile : quand il lui fallait des images pour ses vers, il retournait aux Églogues ; de même il a beau dénigrer les humanistes : il est encore tout heureux et tout aise de trouver chez eux des pensées et des pointes.




CHAPITRE VI

I. — Les Italiens.


C’est l’Italie qui a tout appris aux Français durant la Renaissance : à faire la politique, l’amour, les vers, la comédie, la musique, les révérences et les feux d’artifice. Le xvie siècle français pétrarquise[545] autant qu’il avait pindarisé, et l’influence italienne se fait sentir, sous des formes diverses, jusque chez les plus originaux et les plus grands des poètes du xviie siècle. De plus, l’antiquité a souvent passé par la renaissance italienne avant de faire l’admiration de nos poètes, et à presque toutes les influences latines indiquées dans les pages qui précèdent, on trouverait facilement des intermédiaires italiens — comme aussi, du reste, des intermédiaires français, puisque les prédécesseurs de Malherbe avaient déjà dit à peu près tout ce qu’il a dit en vers.

Traduire les Italiens, à la fin du XVIe siècle, est presque aussi méritoire que traduire les anciens. Un poète d’alors ne croit pas faire œuvre inférieure en adaptant l’Arioste ou Pétrarque ; et les traductions du Roland furieux de Desportes n’ont pas valu à leur auteur moins de réputation et d’avantages que Diane et d’autres vers — imités du reste aussi, le plus souvent, de l’italien[546]. Malherbe fit comme les autres et, en Provence, il traduisit en vers français, pour l’offrir à Henri III, le poème du Tansille, Les larmes de Saint Pierre[547]. Le poème italien était fameux en Italie, en France et en Espagne : Cervantes, dans le Don Quichote, en place une stance — en traduction espagnole — dans la bouche d’un des personnages de la nouvelle du chapitre XXXIII (1er partie). Les Larmes de Saint Pierre sont le seul long poème que Malherbe ait composé, et encore l’a-t-il désavoué plus tard. Il l’a écrit, non pas, comme on l’a cru longtemps, d’après l’immense poème du Tansille (7 288 vers) dont il aurait choisi par ci par là, avec habileté, une strophe, mais bien, comme l’a montré M. Allais[548], d’après la première édition italienne, qui n’avait que 333 vers, un peu moins que l’adaptation française. Celle-ci comprend à peine un tiers[549] de stances originales, parmi lesquelles le début, où le poète se refuse gravement à chanter des histoires comme celle de Thésée et d’Ariane, et où il dédie son œuvre à Henri III avec des flatteries hyperboliques. La langue et les images de l’adaptateur, quand il ne suit pas son modèle, valent à peu près celles de Desportes, parfois moins. Il remplit son vers comme il peut, mettant « deux fois cinq »[550] pour « dix » ; il garde et parfois même amplifie les images les plus maniérées de l’italien, les yeux qui sont des arcs, les œillades qui sont des flèches[551], et les traits qu’il ajoute sont dans le goût des Italiens et des poètes français du temps[552], et parfois maladroits. Il arrive qu’en développant en une stance contournée et pénible une comparaison de l’original, il trouve un vers harmonieux autant que le seront ses meilleurs ; il rend ainsi les deux vers qui comparent les enfants martyrs à des fleurs transportées au ciel avant d’avoir souffert l’outrage du vent ou de la gelée :

Ce furent de beaux lis, qui mieux que la nature
Mêlant à leur blancheur l’incarnate peinture
Que tira de leur sein le couteau criminel,
Devant que d’un hiver la tempête et l’orage
À leur teint délicat pussent faire dommage
S’en allèrent fleurir au printemps éternel[553].

Le Tasse avait dit (Jérusalem délivrée, II, XLIX, v. 1 et 2) :

Nova cosa parer dovra per certo,
Che precede a’servigi il guiderdone


et Bertaut :

Que le salaire en moi précédât le service.
Leurs pieds, qui n’ont jamais les ordures pressées,
Un superbe plancher des étoiles se font (v. 230 et 231).

Le Tansille avait dit :

E andran nel ciel, senza calcar la terra.

Ronsard avait dit à son roi mort (t. IV, p. 21) :

Tu vois dessous tes pieds les astres et le vent,


et Bertaut (Cantique sur la naissance de N.-S.) :

L’homme fait fils de Dieu sur les astres chemine.

On dirait que du pays de Dante et de Pétrarque vient un souffle de printemps qui fait éclore les beaux vers au milieu des poèmes obscurs ; le XVIe siècle finissant est plein de ces images gracieuses, et Montchrestien fait dire aussi à Marie Stuart marchant au supplice :

Si la fleur de nos jours se flétrit en ce temps,
Elle va refleurir en l’éternel printemps[554]


Ainsi de temps en temps un beau vers vient sourire dans les Larmes, et André Chénier s’arrêtait, dans son commentaire, pour faire la généalogie du vers souvent admiré :

Le soir fut avancé de leurs belles journées[555].


« C’est peut-être à cette source que nous devons le vers divin de La Fontaine :

Rien ne trouble sa fin, c’est le soir d’un beau jour.


« Pétrarque a dit en un vers délicieux, par la bouche de Laure :

E compi mia giornata inanzi sera ;


« et moi, dans une de mes élégies :

Je meurs : avant le soir j’ai fini ma journée[556]. »


André Chénier ne songeait pas alors qu’il mettrait un jour la même gracieuse image, fleurie comme la rose de Malherbe, dans la bouche d’une jeune captive. Il ne disait pas non plus que les poètes du XVIe siècle étaient les maîtres ou du moins les prédécesseurs de Malherbe, que Henri, dans Ronsard,

Avant la nuit venue accomplit sa journée[557],


et qu’un personnage de Desportes disait :

la destinée
M’a fait dès mon aurore accomplir ma journée[558].

Dans les rares passages qui vaillent d’être relevés dans son poème, Malherbe continue donc les poètes du XVIe siècle ; il les continue dans toute son œuvre d’une façon bien plus frappante en ce qui concerne le pétrarquisme, et on peut encore lui appliquer tous les traits railleurs que du Bellay lançait aux pétrarquistes de son temps[559] : ils n’ont pas plus tué, ou plutôt ils ont arrêté beaucoup moins les poètes amoureux que les railleries de Musset n’ont fait les « rêveurs à nacelles, les amants de la nuit, des lacs, des cascatelles ». C’est que vraiment il n’y avait pas moyen, et pour Malherbe moins que pour un autre, de ne pas se ressentir de Pétrarque en parlant d’amour :

Lui seul eut le secret de saisir au passage
Les battements du cœur qui durent un moment,
Et riche d’un sourire il en gravait l’image
Du bout d’un stylet d’or sur un pur diamant.

J’ai le cœur de Pétrarque et n’ai point son génie[560].


C’est ainsi que Musset parlait de l’amant de Laure, en un sonnet qui avait déjà été presque fait par Desportes[561] ; et tous les poètes français du XVIe et du XVIIe siècle, n’ayant ni le génie ni, souvent, le cœur de Pétrarque, ont voulu parler comme le Canzoniere ou les poètes qui en dérivent.

Malherbe parle italien presque aussi volontiers que latin : « Vedremo qual che ne seguira[562] » ; « staremo a veder. Ce sera pour demain que nous verrons o’l si, o’l no[563] ». « Il m’est souvenu d’un mot d’Italie : Chi vaol, vadi ; chi non vuol, mandi[564]. » Il connaît le style italien et la littérature italienne, sans en faire du reste grand cas ; dans une accumulation d’adjectifs, chez Desportes, il voit un « italianisme sans grâce[565] » ; il relève, dans son Commentaire, « un sonnet impertinent qui lui semble pris de Pétrarque[566] », une « sottise imitée de Pétrarque[567] », un « sonnet de Pétrarque, mal fait par lui et mal imité par Desportes[568] », une « imagination qui ne lui plaît point, quoiqu’elle soit de l’Arioste comme tout le reste de la plainte[569] », un « sonnet mot à mot traduit de l’italien, mais qui n’y vaut pas mieux qu’en français[570] », « une imagination bestiale prise d’Angelo Costanzo, mot à mot[571] », ou encore « un sonnet qui est d’un Italien, et du Séraphin, à son avis[572] », une « pédanterie » ou un mauvais vers de Bembo[573]. Voilà bien des injures, et ce ne sont pas les seules : « il estimoit fort peu les Italiens, et disoit que tous les sonnets de Pétrarque étoient à la grecque[574] ». Tout cela n’empêche que dans ses vers amoureux il a pétrarquisé jusqu’à la fin de ses jours presque autant, quoique autrement, que Scève, par exemple, ou Ronsard. Comme d’autres avaient eu leur Délie, leur Olive, leur Cassandre, leur Diane, comme, surtout, les poètes du XVIIe siècle ont leurs « Iris en l’air », Malherbe a sa Rodanthe, qui est Madame de Rambouillet[575] ; il avait, beaucoup plus tôt, songé à avoir sa Nérée (Renée) : il a eu surtout sa Caliste (la vicomtesse d’Auchy). Dans les vers composés pour ces « merveilles des belles », et dans tous ceux qu’il écrit sur commande pour quelque duc ou comte ou roi — il n’avait pas de scrupules en cette matière — il reprend les hyperboles, métaphores, prosopopées, allégories dont riait du Bellay quand il avait « désappris l’art de pétrarquiser ». La belle reste toujours, comme Laure,

à nulle autre pareille,
Seule semblable à soi[576].

De même que dans le Canzoniere

L’alma, ch’arse per lei si spesso ed alse,
Vaga d’ir seco, aperse ambedue l’ale,


de même le poète entremetteur, peignant une passion moins ailée, dira d’Alcandre :

Et son âme étendant les ailes
Fut toute prête à s’envoler[577].


C’est encore ainsi que parle la Jeune Veuve de La Fontaine :

et mon âme.
Aussi bien que la tienne, est prête à s’envoler[578].

Entre les pétrarquistes raillés par du Bellay

Et tous ces vains auteurs dont la muse forcée
M’entretient de ses feux, toujours froide et glacée[579],


les poètes français n’ont rien appris, rien oublié ; ou plutôt ils n’ont oublié une mode italienne que pour en suivre une autre, passant de Tebaldeo et du Séraphin à Sannazar et à Bembo, et de ceux-ci à Costanzo et au Tansille[580] et ensuite aimant par dessus tous les lyriques le lyrisme des chœurs[581] de l’Aminte du Tasse et du Pastor Fido du Guarini — en attendant qu’on s’éprenne de Marino et que les précieuses le portent aux nues ; et c’est toujours la même chanson d’amour, plus éthérée ou plus voluptueuse et sensuelle selon qu’on se rapproche ou qu’on s’éloigne du pétrarquisme primitif. Il avait pénétré trop de ce pétrarquisme dans la littérature italienne et dans la française pour que Malherbe pût s’en dégager. Et pourtant le réaliste Normand, « le Père Luxure » de l’hôtel du duc de Bellegarde, si brutal quand il exprime sur l’amour sa propre pensée[582], était bien l’homme le moins fait pour comprendre Pétrarque, et le plus gauche pour l’imiter. Dans une imagination éthérée comme celle de Lamartine, l’amour poétique du Canzoniere trouvait un écho harmonieux et, même en traduisant, le poète français écrivait avec le naturel d’un sentiment personnel. Il voyait les images et les idées du modèle à travers son propre rêve, et les adoucissait : le « fleuve qui s’accroissait des pleurs du poète » devenait les

Ruisseaux dont mes pleurs troublaient l’onde,


« l’air réchauffé et rafraîchi par les soupirs de l’amant » ne gardait plus que le souvenir de l’aimée :

Zéphirs qu’embaumait son haleine[583],


et le pétrarquisme comme l’amour s’idéalisait, s’épurait et s’élevait à une hauteur nouvelle dans la poésie de l’amant d’Elvire. Rien de tel chez Malherbe. Les pleurs, chez lui, on l’a déjà vu, ne sont ni plus ni moins que « la Seine en fureur » et que la mer Egée ; l’ardeur de l’amant est le feu qui brûla Hercule :

Je mourrai dans vos feux, éteignez-les ou non,
Comme le fils d’Alemène en me brûlant moi-même[584].

Ce ne sont plus que flammes, glaces, naufrages[585], prisons, et martyres bénis : les yeux de Marie de Médicis sont toute la braise de Henri[586], qui peut languir à son aise dans la prison des cheveux de la princesse. Glycère est un « courage de glace ». Les yeux de celle que Malherbe appelle « son beau souci[587] », « peuvent beaucoup dessus sa liberté » ; ou encore les beautés « aux plus audacieux ôtent la liberté ». L’amant, tout en souffrant « le martyre », bénit « sa prison ». Et pour louer la dame, et les roses de son teint et l’ivoire de son front[588], toute la géographie et toute l’astronomie passent en métaphores. La dame est un beau ciel, une terre, quand elle n’est pas une mer : « bien est-elle un soleil[589] ». Les yeux aimés sont des « soleils agréables » qui s’en iront avec l’âge, « y laissant pour jamais des étoiles autour » ; pour Alcandre ils sont les « astres adorables où prend mon océan son flux et son reflux » ; plus tard, « l’âme ravie » de Malherbe « va regardant la chère beauté comme son pôle » ; et comme cette chère beauté (Malherbe a soixante-cinq ans quand il la célèbre) reste insensible, il s’écrie :

En tous climats, voire au fond de la Thrace,
Après les neiges et les glaçons,
Le beau temps reprend sa place,
Et les étés mûrissent les moissons ;

Chaque saison y fait son cours ;
En vous seule on trouve qu’il gèle toujours[590].

Ou bien encore la belle est « plus dure qu’un diamant[591] ». Il n’est pas jusqu’à l’Ixion même, dont riait du Bellay, qui ne se retrouve chez Malherbe :

… vous allez faire un second Ixion
Cloué là-bas sur une roue,
Pour avoir trop permis à son affection[592].

L’amant interpelle ses yeux, ses pensers, ses désirs,[593] comme faisait aussi l’Arioste, que Malherbe paraît estimer, comme font les pétrarquistes du XVIe siècle, et comme le fait encore Corneille dans ses moments de préciosité. Enfin, suivant la tradition poétique, toute la nature s’associe au malheur de l’amant, non pas simplement par le fait que celui-ci lui confie, comme dans Le Lac, le souvenir de son amour, mais en prenant énergiquement part elle-même aux démonstrations de douleur : car non seulement les rochers sont invités à quitter leur « demeure »[594], mais encore le fleuve de Seine se ressent de l’émotion. « Le flot fut attentif », dira Lamartine après Quinault. C’était bien plus dramatique du temps de Malherbe : quand Alcandre fit « le récit de sa peine » en « se fondant en pleurs »,

Le fleuve en fut ému ; ses Nymphes se cachèrent ;
Et l’herbe du rivage où ces larmes[595] touchèrent
Perdit toutes ses fleurs.

Mais il n’y avait pas que Pétrarque chez les Italiens[596], et une conception plus sensuelle de l’amour, et mieux à la portée de Malherbe, avait été célébrée par toute la renaissance italienne, et révélée par elle à toute l’Europe, scandalisant jusqu’aux Anglais. Les écrivains italiens du XVIe siècle ressemblaient mieux aux contemporains de Henri IV, et ils ont été aussi goûtés, mieux compris et plus facilement imités que l’amant de Laure. Alexandre Hardy dira du Tasse, du Guarini « et autres sublimes esprits » : « Ce sont les docteurs du pays latin, sous lesquels j’ai pris mes licences, et que j’estime plus que tous les rimeurs d’aujourd’hui[597] ». Malherbe aurait pu répéter cet aveu, et même il l’a fait en ce qui concerne, du moins, l’Aminte du Tasse. Cette œuvre eut un succès unique non seulement en Italie, où encore aujourd’hui on la proclame « un prodige[598] », mais aussi en France : Boileau y trouvera à redire au point de vue moral — il était beaucoup plus sévère sous ce rapport que son précurseur — ; mais, jusqu’à l’apparition des traductions de Gessner, « l’Aminte du Tasse et les Amours de Daphnis et Chloé restent les seuls ouvrages que notre goût dédaigneux, prévenu contre les Muses pastorales, excepte de ses proscriptions[599] ». Malherbe, si dédaigneux, a aussi excepté l’Aminte de ses proscriptions, et il l’admire avec le beau monde qui se réunit chez la marquise de Rambouillet : « J’ai souvent, dit Ménage, entendu raconter par cette grande dame,

Quel gran lume romano
Che quanto ’l miro piu, tanto piu luce
[600],


que notre Malherbe, aussi grand poète que fameux connoisseur, ne cessoit d’admirer l’Aminte ; il aurait donné tout au monde pour en être l’auteur[601] ». Il n’y a certainement aucune œuvre, ancienne ou moderne, dont le réformateur ait parlé en termes aussi élogieux : aussi s’en servira-t-il au moins autant que des « sottises » de Pétrarque : pour parler d’amour, il quitte un Italien pour un autre. C’est que l’italien était, depuis le XVIe siècle, la langue de la galanterie, comme le grec l’avait été à Rome[602], comme le français le fut un peu en Allemagne :

Chi può dir com’ egli arde, è in picciol fuoco,


disent, du temps de Montaigne, les amoureux qui veulent représenter « une passion insupportable[603] » : ce vers de Pétrarque, tous les poètes français du XVIe siècle, du Bellay, Ronsard, Desportes et aussi Bertaut, l’ont très souvent paraphrasé, comme encore Malherbe, et ils ont tous fait leurs vers amoureux sur le modèle des vers italiens. Malherbe et ses élèves écrivent souvent d’après l’Aminte, et les vers de Racan qu’on cite encore aujourd’hui avec admiration[604] ne sont que la traduction des paroles du berger italien :

Je n’avais pas dix ans quand la première flamme
Des beaux yeux d’Alcider s’alluma dans mon âme.
Il me passait d’un an, et de ses petits bras
Cueillait déjà des fruits dans les branches d’en bas[605].

Malherbe aussi trouvait dans l’Aminte d’abord les images et les idées qu’il avait déjà rencontrées chez les anciens, et qu’il goûtait peut-être mieux chez le Tasse, la malheureuse condition des amants[606], l’image de la violette à laquelle sont comparées les joues d’Aminte[607], les périls qui sont un attrait, ici « un condiment » de l’amour[608], et la gloire éternelle obtenue par l’amant :

Il suffit qu’en mourant dans cette flamme extrême
Une gloire éternelle accompagne mon nom[609].

Ensuite Malherbe a retrouvé dans l’Aminte les bergers et les devins, et surtout l’amour, avec des traits particuliers, qu’il aura soin de reprendre. Mopsus figurait comme devin dans Ovide, comme berger dans Virgile mais c’est sous l’aspect qu’il avait dans l’Aminte que Malherbe nous le montre à deux reprises :

Mopse qui nous l’assure a le don de prédire[610].

L’amour surtout est, dans les pièces amoureuses de Malherbe, souvent copié de l’Aminte : d’un côté comme de l’autre, on conclut suivant la formule qui est déjà celle de Catulle, qui est celle du Tasse[611] et du Guarini[612], qui est celle de tous les poètes italianisants de France : aimons, puisque la vie est courte. C’est ce que répétera encore Lamartine :

Aimons donc ! aimons donc ! de l’heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons ;
L’homme n’a point de port ; le temps n’a point de rive,
Il coule, et nous passons.

Il faut donc se faire une philosophie et une morale qui ôtent tous les obstacles : comme le premier pouvait venir de la belle, il sera entendu que, comme disait déjà Dante après les anciens, tout être aimé doit aimer à son tour. C’est pour n’avoir pas suivi la bonne doctrine du cœur que Silvia subit les reproches de Dafne :

Che se creduto
L’avessi, avresti amato chi t’amava
[613].

C’est aussi ce que dira Malherbe :

Mais quel esprit que la raison conseille,
S’il est aimé, ne rend point de pareille[614] ?

Si la belle ne suit pas le conseil de ce que le Tasse appelait le cœur, et Malherbe « la raison », on emploiera les exhortations les plus compliquées pour la fléchir, et l’amour qui a été une géographie dont Mademoiselle de Scudéry sera le Strabon, devient aussi bien une mathématique. « Les Florentins, disait un voyageur du XVIIIe siècle, pourront bientôt se vanter d’avoir enseigné la galanterie mathématique aux Français[615]. » Il y avait longtemps que les Italiens avaient enseigné aux Français les imprécations par « deux, trois, quatre fois[616] », qui remontent d’ailleurs aux anciens. Si pourtant la bergère reste insensible, l’amant, comme les vaincus de Virgile[617], n’a plus d’autre espoir que le désespoir, et Aminte s’écrie :

Oimè ! che mia salute
Sarebbe il disperare
[618].

Malherbe gémit de même, en pareil cas :

Le seul remède en ma disgrâce,
C’est qu’il n’en faut point espérer[619].

Alors, que faire ? Il n’y a plus qu’à « se défaire », comme parle Montaigne, c’est-à-dire qu’à se tuer, et c’est ce que chacun fait, ou plutôt menace de faire :

È uso ed arte
Di ciascun ch’ama, minacciarsi morte[620].

Aussi le comte de Soissons, dans les vers que Malherbe lui fabrique, s’exhorte au suicide avec une éloquence intarissable[621], et Alcandre et d’autres s’étaient déjà montrés non moins énergiques. On ne peut pourtant mourir sans avoir dit tout ce qu’on pense : Brutus lui-même ne se poignarde pas sans avoir dit à la vertu qu’elle n’est qu’un nom. Un amant, avant de se jeter à l’eau, dira son fait à l’honneur, ce vain préjugé qui arrête et entrave l’amour en traitant le plaisir de crime, au lieu d’en faire, selon la loi de nature, le seul devoir. De là tous les « lieux communs de morale lubrique[622] », toutes ces tirades contre l’honneur qu’on trouve chez tous les poètes italiens, chez Bembo, chez tous les burlesques[623], chez les poètes bernesques, chez le Guarini, chez le Tasse ; elles passent dans toute la poésie française, et nous les retrouvons chez Malherbe sous la même forme que dans l’Aminte et le Pastor Fido, forme qui d’ailleurs se retrouve aussi bien chez Mathurin Régnier :

Quel vano
Nome senza soggetto,
Quell’idolo d’errori, idol d’inganno[624]:

Votre honneur, le plus vain des idoles.
Vous remplit de mensonges frivoles[625].


Mathurin Régnier disait de son côté :

L’honneur estropié, languissant et perclus,
N’est plus rien qu’un idole en qui l’on ne croit plus[626].

Bien des années avant d’attaquer « le plus vain des idoles » en ces termes, Malherbe avait exprimé la même pensée, et on pense que c’est de Bembo qu’il s’inspirait alors : il rappelle du moins cet auteur par la façon dont il parle du « peuple qui lui veut mal » (il est vrai que Pétrarque en parlait déjà), par les « contes d’honneur » et surtout par les « songes vains[627] », qu’il a supprimés dans la rédaction définitive :

Peuple qui me veux mal…
..........
Ces vieux contes d’honneur, invisibles chimères,
Qui naissent au cerveau des maris et des mères,
Etoient-ce impressions qui pussent aveugler
Un jugement si clair[628] ?

Ce n’était plus là que lieu commun, dès le XVIe siècle, et déjà Ronsard souhaitait à son ennemi une femme indocte et malhabile

Se poignant un honneur dedans son esprit sot[629].

On se représente l’amour comme les Italiens l’ont fait, et comme les Italiens on en fera une mer où l’amant est le navigateur — en attendant le royaume du Tendre. Ici encore Malherbe copie le Tasse :

Et puis qui ne sait pas que la mer amoureuse
En sa bonace même est toujours dangereuse.
Et qu’on y voit toujours quelques nouveaux rochers
Inconnus aux nochers[630] ?

C’est ainsi déjà que Remy Belleau et les poètes du XVIe siècle, à l’instar des Italiens, « s’embarquaient à aimer[631] », que Régnier « se remet en mer[632] », que Voiture « s’embarque dessus la même mer où il pensa tant de fois abîmer[633] », que La Fontaine s’écrie :

Me voici rembarqué sur la mer amoureuse,
Moi pour qui tant de fois elle fut malheureuse[634].

La tradition continue jusque chez André Chénier : en des vers plus ou moins beaux les poètes français répètent tous la leçon de l’Italie.

La leçon comportait aussi bien des modèles de style qu’une métaphysique de l’amour, et Malherbe n’est pas exempt d’ « italianismes », le mot étant compris dans le sens le plus large. Il a le goût du trait spirituel, de la pointe, comme on disait alors, de l’effet produit, par exemple, par une antithèse, ou par la répétition du même mot dans un vers[635] ; et ce goût, il a trouvé amplement à le satisfaire chez ses auteurs, chez Sénèque déjà, mais aussi dans l’Aminte même, et plus encore chez le Guarini[636]. Quand il recorrige ses vers, c’est généralement pour y introduire de pareils traits. C’est ainsi qu’il refait une des stances à du Périer — peut-être après avoir relu le Pastor Fido, dont l’édition de 1602 eut tant de succès :

Même quand il advient que la tombe sépare
Ce que nature a joint,
Celui qui ne s’émeut a l’âme d’un barbare
Ou n’en a du tout point[637].

C’est bien ce que Nicandre disait à Amaryllis :

Ben duro cor avrebbe, o non avrebbe
Pinttosto cor nè sentimento umano,
Chi non avesse del tuo mal pietate,
Misera ninfa[638]

Malherbe, suivant sa méthode, a transformé le mot d’un berger à une bergère en une vérité générale, et il ne s’agit plus d’Amaryllis et de son père, mais de « ce que nature a joint ». C’est par le même procédé qu’il fera ses vers les plus fameux quand, au lieu du nom de bergère, Rosette, qu’il donnait à la fille de du Périer dans la première rédaction des Stances, il mettra le mot rose comme attribut de la jeune morte, en gardant la répétition à la manière italienne :

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses[639].

Malherbe reprenait donc aux Italiens qu’il dédaignait et surtout à celui qu’il admirait, au Tasse, les idées et les formules de la poésie amoureuse ; il s’inspirait peut-être de leur métrique[640] plus qu’on ne l’a dit ; il prenait parfois heureusement les grâces de leur style. — Il sera du reste l’ennemi personnel de cette recrudescence d’italianisme qui se manifeste sous la reine régente, particulièrement avec le cavalier Marin ; à cet égard — si même il admire le Tasse justement dans les années où il fréquente l’hôtel de Rambouillet — il n’a pas été dupe de la mode. Il va voir, à l’invitation de la reine, les comédiens italiens qui viennent jouer à la cour — comme il va voir la Bradamante[641] de Garnier dans les mêmes circonstances — mais il en revient sans une admiration de commande : « Ils jouent la comédie qu’ils appellent Dui simili qui est le Menechmi de Plaute. Je ne sais si les sauces étoient mauvaises ou mon goût corrompu, mais j’en sortis sans autre contentement que de l’honneur que la Reine me fit de vouloir que j’y fusse[642] ». Deux ans après ce spectacle, il eut à en contempler un autre qui lui plut moins encore ; le célèbre Marino arrivait en 1615 à Paris, précédé d’une gloire européenne, et il était reçu en triomphe à l’hôtel de Rambouillet, et fêté par les lettrés épris de poésie italienne[643]. Beaucoup d’écrivains, et de non moindres que Lope de Vega, ont cru que l’illustre Napolitain éclipserait à jamais le Tasse lui-même par ses pointes subtiles, ses images éblouissantes, ses développements sans fin et ses hyperboles inouïes. Mais le vieux Malherbe ne fut nullement sensible au génie nouveau, et celui-ci le lui rendit en railleries, l’appelant « homme fort humide et poète fort sec ». Le réformateur « eut plus que les rieurs de son côté : il eut la nation », a dit Nisard ; cela est plus exact de l’opinion de 1650 que de celle de 1615, car « la nation » de 1615 — pour autant qu’on puisse employer ce terme admirait le cavalier Marin presque sans réserve, et se préparait à l’imiter, Malherbe, qui avait admiré et utilise l’Aminte, ne prit rien aux ouvrages de Marino ; et, si ce dernier — comme le prétend un récent critique italien[644] — a fait des emprunts au poète français, la réciproque n’est pas vraie : on chercherait en vain dans les dernières productions de celui-ci la trace des effusions lyriques ou bucoliques de la Lira et de la Sampogna. Tout au plus pourrait-on prétendre que la chanson :

Sus debout la merveille des belles[645]


est dans le genre voluptueux dont l’auteur des Baisers se trouvait être le grand maître à cette date (la chanson parut en effet dans les Délices de la poésie française de 1615[646]) ; mais on en trouve aussi bien les éléments dans le Tasse, on l’a vu plus haut, et elle n’a rien de l’exubérance du poète napolitain. Malherbe et le cavalier Marin diffèrent profondément l’un de l’autre quand ils écrivent sur le même sujet, rien qu’en faisant tous deux, par exemple, l’éloge de la reine ; rien non plus ne prépare moins au ton de l’Ode pour le roi allant châtier les Rochelois que l’éloge de Louis placé au commencement de l’Adonis[647]. Ce n’est pas non plus à la suite du cavalier Marin, ce n’est pas du moins à son imitation que Malherbe « adorait mystiquement la marquise de Rambouillet[648] » : il avait pour cela assez d’autres modèles, et il y avait bien longtemps qu’il avait déjà écrit des vers dans le même goût. L’éclatante folie du poète italien et la réforme, toute de sobriété, de l’auteur français, sont contemporaines ; mais elles sont restées indépendantes l’une de l’autre, et même hostiles. Au chant neuvième[649] de son Adonis (dans la Fontana d’Apollo), Marino fait rivaliser entre eux les cygnes italiens, Pétrarque, Dante, Boccace, le Bembe, Casa, Sannazar, le Tansille, l’Arioste, le Tasse et le Guarini : il y en a là dont Malherbe s’était lassé depuis longtemps, et pour plus d’un il n’aurait peut-être pas témoigné plus de déférence que le hibou qui, dans la fiction de Marino, vient troubler le concert toscan.

Toutefois, s’il a été un moment un trouble-fête dans le monde mariniste de Rambouillet, le réformateur français n’a pas tranché définitivement la question de l’italianisme ; il en voulait aux Italiens, mais il avait commencé par les suivre, autrefois, et il s’en ressentit un peu toute sa vie. Ici comme en d’autres points « son usage n’est pas sa doctrine[650] », et sa doctrine elle-même, malgré qu’il en eût, n’a pas réussi à purger la France de l’italianisme, qui allait reprendre de plus belle : ses leçons devaient porter leurs fruits assez tard, ses ennemis se sont relevés, et c’est contre les modes étrangères et en particulier italiennes que Boileau portera ses coups, enfin décisifs[651]. Malherbe, dans son œuvre, n’est plus un adaptateur et un copiste des Italiens comme du Bellay ou Desportes ; mais déjà Bertaut n’avait-il pas cessé de l’être[652] ? Et dans les poésies laborieuses, « faites par petits morceaux », nous avons retrouvé plus d’une idée et plus d’un trait d’origine italienne.

L’opposition entre la réforme de Malherbe et les modes italiennes et espagnoles, marinisme et gongorisme apparut assez clairement dans la génération suivante si, comme le dit Saint-Évremond, « Malherbe s’est trouvé négligé quelque temps après comme le dernier des poètes, la fantaisie ayant tourné les Français aux énigmes, au burlesque et aux bouts-rimés ![653] ».


Nota. — Je dois remercier ici M. J. Vianey, le savant professeur de Montpellier, qui a bien voulu revoir ce chapitre, et qui ajoute les observations suivantes : « Si Malherbe ne perd jamais l’occasion de reprocher à Desportes ses plagiats quand il les reconnaît il en reconnait excessivement peu. Encore s’est-il trompé deux fois dans ses indications :

1o Édition Lalanne, IV, p. 260. Il signale comme étant de Pétrarque le sonnet LXIII de Diane, liv. I. C’est une erreur. Ce sonnet est de Coppetta, comme l’a noté M. Flamini dans ses Studi :


Amor m’ha posto come scoglio a l’onda…
L’orgoglio onda, martello e’l duro affetto.

Ce vers semble avoir été très connu en Italie. Il figure dans un grand nombre d’anthologies. Malherbe, cependant, ne le connaît pas.

2o Édition Lalanne, IV, 435. Il signale comme étant de Séraphin le sonnet XXII des Diverses amours :

Comme un chien que son maître à longtemps caressé.

Ce sonnet est de Bernardo Tasso :

Come lido animal, ch’al suo signore…

Il figure dans plusieurs anthologies, notamment dans les Fiori de Ruscelli. Cette imitation a été signalée dans les Rencontres des Muses de France et d’Italie de 1604 (opuscule que Malherbe ne semble pas avoir connu).

Il n’y a, à ma connaissance, chez Desportes que deux sonnets traduits du Séraphin :

1o Diane I, LXII :

J’accompare ma dame…

Séraphin, éd. Menghini, sonnet 15 :

Chi el crederia ?…

Malherbe a reconnu que ce sonnet était « pris mot à mot de l’italien » (éd. Lalanne, IV, 261) ; mais il n’a pas nommé Séraphin.

2o Hippolyte, 21 :

Vous me cachez vos yeux…

Séraphin, éd. Menghini, sonnet 14 :

Deh perche son da me toe luci colte. »






II. Les Espagnols.


Le poète de Henri IV, dans ses vers, a dit des Espagnols tout le mal qu’on en pensait au sortir des troubles de la Ligue, et il leur a souhaité les plus affreuses calamités : dans la Prière pour le roi allant en Limousin, il promet que grâce au dauphin

L’Espagne pleurera ses provinces désertes[654],

et sous la reine-mère il s’écrie, en voyant la puissance des lys de France :

Et l’Espagnol, prodige merveilleux !
Cesse d’être orgueilleux[655].

Cela ne l’a pas empêché, du reste, de célébrer ailleurs

les deux grands hyménées,
Dont le fatal embrassement
Doit aplanir les Pyrénées[656].

et il ne faut pas attacher trop d’importance aux indignations rimées du poète officiel. Ce poète n’ignorait pas l’espagnol : il donne le parabien à Peiresc[657], et il cite un autre jour le proverbe espagnol que Cervantes met dans la bouche de Sancho Pança[658] : a dineros pagados, brazos quebrados[659]. Il connaissait sans doute de la littérature espagnole ce que les Français en savaient de son temps[660], la Célestine, les Amadis, surtout la Diane de Montemayor, et il connaissait assez ce dernier auteur pour découvrir dans une complainte de Desportes une « imitation de Montemayor »[661] — si toutefois il est bien l’auteur de cette note de la copie B du commentaire, note dont les recherches de M. Lanson sur Desportes montrent l’à-propos. Malherbe a eu plus d’une fois l’occasion d’apprendre à connaître la poésie espagnole dans le monde qu’il fréquentait, et, par une véritable ironie de l’histoire littéraire, c’est sous son nom qu’a paru la première imitation de Gongora dans la poésie française, à savoir la chanson :

Qu’autres que vous soient désirées[662],


que Berthelot parodia en termes si cruels pour Malherbe ; cette chanson, en stances de six vers, dont le troisième et le sixième se répondent :

Cela se peut facilement…
Cela ne se peut nullement.


a pour modèle une letrilla satirique de Grongora, où le refrain, pareillement disposé, est : Bien puede ser au troisième vers de chaque stance, No puede ser au sixième. La composition en a été racontée par Racan, par Ménage et par Tallemant des Réaux : « J’ai ouï dire à M. de Racan, dit Ménage, que cette chanson fut faite dans la chambre de Mme de Bellegarde, par elle, par lui et par Malherbe, à l’imitation d’une chanson espagnole, dont le refrain étoit : Bien puede ser, No puede ser ; et que Mme de Bellegarde y avoit beaucoup plus de part, ni que lui, ni que Malherbe. Ainsi cette pièce n’a point dû être mise parmi celles de Malherbe. Cependant, de son temps même, elle passoit pour être de Malherbe, comme il paroit par ces vers que Berthelot fit contre lui, au sujet de cette chanson[663] ». Comment connaissait-on la pièce de Gongora « dans la chambre de Mme de Bellegarde » ? Peut-être est-ce par le recueil d’Espinosa, Flores de poetas illustres (1605) En tous cas, le gongorisme ne devait pas tenir une grande place dans l’œuvre ni même dans la pensée du réformateur français : « car l’estilo culto consiste en façons de parler trop personnelles ; et déjà, quel que soit le raffinement du fond, la communauté de l’expression, même délicate et travaillée, est requise chez nous. C’est une des conséquences de l’œuvre de Malherbe, que l’établissement de la société polie a encore consolidée[664] ». Et puis à cette époque, en France, le gongorisme n’était pas encore ce qu’on en fait dans certaines histoires littéraires ; il n’était du reste pas fait pour plaire à l’ennemi du marinisme ; et, comme Gongora devait surtout agir sur le genre burlesque[665], Malherbe n’en avait vraiment que faire. Il en est de même du théâtre espagnol, qui devait plus tard exercer une merveilleuse influence, et du roman ; et quant à d’autres auteurs espagnols alors répandus, le traducteur de Sénèque n’aurait pas trouvé de plus belles sentences que les latines dans ce Guevara qu’on lisait tant en France depuis le XVIe siècle[666] ; et en relisant Los siete libros de la Diana de George de Montemayor, édition de Venise, 1585, que Malherbe a peut-être eue sous les yeux en Provence, ou d’autres éditions ou traductions de Barcelone ou de Paris, on ne voit vraiment rien qu’il n’eût pu trouver aussi bien dans l’Aminte du Tasse et chez les écrivains italiens, ou même dans ce qui avait passé de littérature espagnole chez Desportes. En 1613, il va voir les comédiens espagnols venus à Paris, et il en rapporte une fâcheuse impression : « Je viens tout à cette heure, écrit-il, de la comédie des Espagnols, qui ont aujourd’hui commencé à jouer à la porte Saint-Germain dans le faubourg ; ils ont fait des merveilles en sottises et en impertinences ; il n’y a eu personne qui ne s’en soit revenu avec mal de tête ; mais, pour une fois, il n’y a point eu de mal de savoir ce que c’est. Je suis de ceux qui s’y sont excellemment ennuyés, et en suis encore si étourdi que je vous jure que je ne sais où je suis ni ce que je fais ![667] ». Il pourrait en dire autant de tout ce qu’il connaît de littérature espagnole : « pour une fois, il n’y a point eu de mal de savoir ce que c’est ». Mais il ne discute pas la poésie espagnole, il ne la juge nulle part ; on sent qu’il n’y a pas encore de « question espagnole » pour les critiques de 1605. À Malherbe s’appliquent très exactement les observations de M. Morel-Fatio sur cette époque : « Si l’on apprend l’espagnol en France, c’est plutôt par genre, pour émailler la conversation de mots exotiques — comme nous faisons aujourd’hui avec l’anglais — que pour lire des livres… Si d’autres livres (que le roman picaresque) trouvent accès chez nous, ce ne sont guère que des pastorales, mêlées de vers et de prose, qui plaisent parce que le genre venu d’Italie s’est acclimaté depuis longtemps en France. On est curieux de comparer au Sannazar et la Diane de Montemayor et l’Arcadie de Lope de Vega ![668] ».




CHAPITRE VII

Sources françaises[669]


Les réformateurs ont généralement commencé par suivre les modes et le goût qu’ils devaient changer : Ronsard a admiré Marot et Saint-Gelais[670] ; et Victor Hugo, quand il débute, est plus près des « Grecs » que des « gothiques ». Malherbe aussi a commencé non seulement par pétrarquiser, mais aussi par ronsardiser, comme il disait ; et il a continué à le faire plus ou moins jusqu’à la fin. Il est si difficile de se dégager de ses premières habitudes et de ses vieux souvenirs que l’écrivain se ressent fatalement de sa jeunesse et de ses études pendant toute sa vie ; et la poésie à cet égard est un peu comme la langue elle-même, qui charrie les anciens mots avec les nouveaux et ne se transforme que par le lent travail du temps. Nous avons vu Malherbe imiter les anciens et les Italiens comme avait fait le XVIe siècle, parfois en y ajoutant une généralisation ou même une nationalisation des pensées et des images antiques. Les deux générations d’imitateurs se ressemblent assez pour que la première ait cru réaliser ce dont on fera plus tard le mérite de Malherbe seul. Du Bellay, dans la préface de son Olive, dit déjà : « Ceux qui ont lu Virgile, Ovide, Horace, Pétrarque, trouveront qu’en mes écrits il y a beaucoup plus de naturelle invention que d’artificielle et superstitieuse imitation » ; et Du Perron, dans son Oraison funèbre de Ronsard, fait du chef de la Pléiade exactement l’éloge que Balzac fera de Malherbe : « Il s’orna et embellit l’esprit de ce qu’il y avoit de rare et d’excellent dedans les anciens poètes tant grecs que latins, des dépouilles desquels nostre langue n’avoit pas encore triomphé ; et usa de leurs richesses si industrieusement qu’elles paroissoient sans comparaison plus belles, mises en œuvre dedans ses escrits, que dedans les livres de leurs premiers auteurs[671] ». Du Perron remarquait seulement qu’au début les courtisans furent étonnés des nouvelles manières de parler du grand poète ; le monde du Louvre et des ruelles, pour qui Malherbe écrit, n’est plus étonné des fictions de son poète : c’est qu’il s’est instruit depuis le XVIe siècle, et que ce poète est peut-être un peu moins pénétré d’antiquité que l’autre. Mais les anciens, ou ceux qui les ont imités, restent quand même les maîtres écoutés : « Je ne crains point, dit Godeau dans son Discours sur Malherbe, d’avouer pour mon auteur qu’il a toujours pris les anciens pour ses guides[672] ». Il prend parfois l’antiquité dans la poésie française du XVIe siècle, aussi bien que chez les Italiens, et il se ressent de la Pléiade et de ses prédécesseurs français aussi bien que de Virgile et d’Horace : il parle des dieux et des rois comme Ronsard, de l’amour comme Desportes et Bertaut, ou comme Régnier — qui tous en parlent du reste d’après les Italiens — et son poème le plus fameux, la Consolation à du Périer, se ressent, nous allons le voir, du souvenir d’une Elégie de Dasportes.

On sait le mépris que Malherbe affectait pour Ronsard, dans les œuvres duquel il trouvait tant de moellons[673]. « Il avoit, dit Racan, effacé plus de la moitié de son Ronsard et en cotoit à la marge les raisons. Un jour, Yvrande, Racan, Colomby et autres de ses amis le feuilletoient sur sa table, et Racan lui demanda s’il approuvoit ce qu’il n’avoit pas effacé : Pas plus que le reste, dit-il. Cela donna sujet à la compagnie, et entre autres à Colomby, de lui dire que, si l’on trouvoit ce livre après sa mort, on croiroit qu’il auroit trouvé bon ce qu’il n’auroit point effacé ; sur quoi, il lui dit qu’il disoit vrai, et tout à l’heure acheva d’effacer le reste[674]. » Un autre jour, il mettait une chanson populaire au-dessus de tout Ronsard, et Ménage se souvenait « d’avoir ouï dire à Gombaud que, quand Malherbe lisoit ses vers à ses amis, et qu’il y rencontroit quelque chose de dur ou d’impropre, il s’arrestoit tout court, et leur disoit ensuite : Ici je ronsardisois[675] », Il ne faudrait pas prendre à la lettre les boutades de Malherbe, qui adressera comme les autres son hommage à Ronsard à l’occasion de l’édition de 1623 des œuvres du chantre de Cassandre ; sous le portrait de Cassandre on lisait en effet ce quatrain de Malherbe :

L’art, la nature exprimant,
En ce portrait me fait belle ;
Mais si ne suis-je point telle
Qu’aux écrits de mon amant[676].


Malherbe ne pouvait dire moins sans ingratitude, car il avait trouvé dans Ronsard la matière de bien des vers[677]. D’abord Ronsard et tout le XVIe siècle pétrarquisaient au point que, pour le faire après eux, il était à peine besoin de remonter à la source. Ainsi, pour exprimer l’idée que Montaigne résumait par un vers de Pétrarque, et que Malherbe met dans la bouche d’Alcandre :

Jamais l’âme n’est bien atteinte
Quand on parle avecque raison[678],

il suffisait de se souvenir du vers de Ronsard que le

sévère commentateur de Desportes avait trouvé bon :

Un homme qui languit ne sauroit bien parler[679]


ou d’autres qu’on rencontre à tout instant chez Ronsard :

Non, celuy n’aime point, ou bien il aime peu,
Qui peut donner par signe à cognoistre son feu[680]


ou chez Desportes, ou surtout chez Bertaut :

Ceux-là souffrent bien peu qui se plaignent beaucoup[681].
Le mal n’est guère grand qui se peut bien dépeindre[682].


Malherbe, qui pensait et écrivait toujours « avecque raison », n’avait qu’à se rappeler ses prédécesseurs en poésie pour déraisonner en vers — de même que Boileau empruntera à Pindare une espèce de désordre lyrique. Malherbe s’est fréquemment souvenu de Ronsard. D’abord tous deux traitent souvent des sujets analogues, et Apollon, les filles de mémoire, la docte neuvaine, sont de rigueur des deux côtés. Ensuite les termes mêmes de Ronsard se retrouvent parfois dans les vers de Malherbe : le premier appelait en ces termes les Muses à la rescousse contre ses calomniateurs :

Muses qui habitez de Parnasse la crope,
Filles de Jupiter qui allez neuf en trope,
Venez et repoussez par vos belles chansons
L’injure faite à vous et à vos nourrissons[683].

C’est ainsi que Malherbe les appellera contre les « avortons de l’envie » qui en veulent à la reine régente[684], et c’est ainsi qu’elles se présentent déjà quand il commence à faire l’éloge de « la reine des fleurs de lys » :

Les Muses, les neuf belles fées,
Dont les bois suivent les chansons,
Rempliront de nouveaux Orphées
La troupe de leurs nourrissons[685].


La célèbre description du combat des Géants, dans l’« Ode pour le roi allant châtier les Rochelois », se ressent de celle de Ronsard, dont elle garde plusieurs détails, notamment le mot puer, que Ménage trouve de mauvaise odeur, sous sa forme archaïque pût (3e personne) :

Si que le soufre, ami du foudre,
Qui tomba lors sur les Géans,
Jusqu’aujourd’huy noircit la poudre
Qui put par les chams Phlégréans[686].

Ces colosses d’orgueil furent tous mis en poudre.
Et tous couverts des monts qu’ils avoient arrachés ;
Phlègre qui les reçût, pût encore la foudre
Dont ils furent touchés[687].


C’était du reste un lieu commun que ces vestiges du combat des Géants, et de Bellay s’en servait déjà pour parler de Rome[688]. Mais là n’est pas le seul souvenir mythologique par où Malherbe rappelle Ronsard ; et Ménage[689] disait déjà d’un passage de la Consolation au président de Verdun : « Il n’y a personne qui puisse nier que tout cet endroit ne soit pris de l’ode V du IVe livre des Odes de Ronsard » :

Jupiter ne demande
Que des bœufs pour offrande :
Mais son frère Pluton
Nous demande, nous, hommes,
Qui la victime sommes
De son enfer glouton.

Jupiter, ami des mortel,
Ne rejette de ses autels
Ni requêtes ni sacrifices…
Pluton est seul entre les dieux
Dénué d’oreilles et d’yeux
À quiconque le sollicite.
Il dévore sa proie aussitôt qu’il la prend[690].


Mais c’est surtout en parlant des rois et des événements politiques que Malherbe ressemble à Ronsard. Ils ont la même façon de parler de « l’hymne de la victoire » de leur roi[691], de comparer le conquérant au torrent « qui ravage tout ce qu’il trouve » — la comparaison était d’ailleurs aussi dans Claudien, chez les Italiens, et dans la Bradamante de Garnier[692], que Malherbe avait vue — et, de même que la Charente chez Ronsard et la Seine chez Baïf s’animaient ou s’indignaient à l’occasion des guerres civiles, de même, chez Malherbe, non seulement le Pô « tient baissé le menton » et le Tessin « consulte de se cacher », mais surtout la Meuse interpelle vigoureusement les princes révoltés et, avec les mêmes paroles, la Seine injurie le maréchal d’Ancre quand il est tué[693]. Dans l’Ode sur la prise de Marseille, Malherbe avait repris au chef de la Pléiade, qu’il avait cultivé pendant sa retraite, le vers heptasyllabe et la strophe de dix vers, calquée sur la strophe de l’Ode à Henri II : « Comme un qui prend une coupe »[694]. Il lui prend parfois, pour vanter son roi, plus que des formes rythmiques. Il dit de Henri IV, comme Ronsard de Charles IX, que, même sans ses droits héréditaires, sa vertu devait lui faire donner la couronne[695], et quoiqu’il reproche à Desportes une « fable nouvelle », il fait lui-même allusion aux fleurs de lys tombées du ciel, à l’origine troyenne des Français, comme aux Scythes descendus d’Hercule.

Enfin et surtout, Malherbe construit son Récit d’un berger au ballet de Madame exactement comme Ronsard, suivant une tradition déjà vieille[696], construisait ses Églogues. Le roi, ou les gouvernants, sont des bergers, ou même le dieu Pan — Madame Deshoulières continuera la mode[697] ; — les sujets sont des troupeaux à conduire, et dans l’État tout marche à souhait comme dans une églogue ou même comme dans l’âge d’or. L’Églogue I de Ronsard présente ce trait que Scaliger reprochait à Ovide de n’avoir pas gardé dans sa description de l’âge d’or :

Les vieillards sans douleur sortoient de cette vie,
Comme en songe, et leurs ans doucement finissoient[698].


De même le Récit d’un berger de Malherbe promet qu’un âge va renaître

Où le nombre des ans sera la seule voie
D’arriver au trépas[699].


Dans l’Églogue I, le Navarrin (Henri de Navarre, le futur Henri IV) a appris

dès enfance à cognoistre
Le grand Pan des bergers, de toutes choses maistre[700].


Dans le Récit,

Notre grande Bergère a Pan qui la conseille[701].


Les Gérions, les glands qui nourrissaient les hommes primitifs, l’aconite[702], la myrrhe, l’encens, sont dans le discours du Navarrin et dans le Récit du berger. Ce dernier a aussi une formule d’affirmation que Ronsard avait employée ailleurs que dans l’Églogue I ; ces formules étaient fréquentes dans la poésie ancienne et moderne[703], mais celle de Malherbe ressemble particulièrement à celle du chef de la Pléiade :

Mais que chacun y donne aussi ferme crédit
Que si les chênes vieux d’Épire l’avoient dit[704].

Et les chênes d’Épire
Savent moins qu’il ne sait les choses à venir[705].


Les éloges que Malherbe écrit pour les fêtes royales sont souvent tracés dans les mêmes cadres que ceux des poètes de la génération précédente : il reprend les prophéties des Sibylles[706], et il y met ce qu’y mettaient ses prédécesseurs et ses contemporains[707].

Son style a gardé aussi les expressions du seizième siècle : il a la même façon de « soupirer les peines » de l’amant ; il appelle la mer « la plaine salée » et emploie des périphrases dans le goût de Ronsard ; il parle encore des hémérocalles, et même il le fait avec pléonasme, puisqu’il dit « hémérocalles d’un jour ». Il parle aussi, comme Ronsard et Régnier, du soleil et de ses douze maisons qui riment à saisons[708]. La plus fameuse de ses images surtout est une image du seizième siècle. Il n’y a peut-être pas dans la littérature française de tradition moins interrompue que la comparaison de la jeune fille à la rose[709] : elle fait les frais du Roman de la rose, la seule œuvre du moyen âge qui surnage complètement à travers toute la Renaissance, et dont on peut suivre l’influence jusqu’à Mademoiselle de Scudéry. Baïf, qui présente l’un des antécédents de la célèbre stance à du Périer, écrit encore des vers Au Roy sur le Roman de la Rose[710] ; et l’on sait l’estime qu’avaient pour l’œuvre de Guillaume de Lorris et de Jean de Meung, et Ronsard et du Bellay[711]. En outre, la brièveté des roses était un lieu commun dans toutes les littératures[712] : fusionner les deux images était une idée trop simple pour qu’elle ne vînt pas à l’esprit de tous, et le Corpus Inscriptionum latinarum contient déjà une inscription funéraire qui en dit autant que Malherbe : Rosa simul floruit et statim periit. Ces images, Malherbe les avait vues dans Claudien, dans Properce, dans l’Anthologie latine ; il avait retrouvé dans l’Arioste la comparaison de la jeune fille à la rose[713] ; il l’avait retrouvée surtout chez les poètes français du XVIe siècle, et il avait rencontré chez ces derniers aussi la pensée de la brièveté des roses et de la vie humaine. Baïf avait dit :

Cette Rose tant émée
Comme l’autre ne sera,
Qui de matin estimée
Au soir se destimera,
Car l’autre rose fanie
Pourra perdre sa vigueur[714]


Du Bellay, dans la Métamorphose d’une Rose, faisait ainsi parler la dame transformée en rose :

Les grâces dont le ciel m’avoit favorisée,
Or que Rose je suis, me servent de rosée
Et l’honneur qui en moi a fleuri si longtemps,
S’y arde encor’entier d’un éternel printemps.

La plus longue frescheur des roses est bornée
Par le cours naturel d’une seule journée[715].


Pour consoler Salmon Macrin qui avait perdu sa Gélonis, du Bellay lui dit bien des choses que Malherbe dira à du Périer, et notamment :

La roze journalière
Mesure son vermeil
À l’ardente carrière
Du renaissant soleil[716].


On dirait vraiment qu’en ce temps de poésie, comme dans la chanson de Malherbe inspirée du Tasse,

L’air est plein d’une haleine de roses[717].


Et les roses apparaissent aussi chez Ronsard, non seulement quand il parle à Cassandre ou à Marie dans les vers si connus où il rappelle à son amante la brièveté de la rose, mais aussi quand il parle d’une mort prématurée ; et s’adressant à l’âme de Charles IX, mort à vingt-quatre ans, il s’écrie :

Voyez au mois de May sur l’épine la rose ;
Au matin un bouton, à vespre elle est desclose ;
Sur le soir elle meurt ; ô belle fleur ! ainsy
Un jour est ta naissance et ton trépas aussi[718].


Montchrestien aussi dira plus d’une fois que l’homme est

semblable à la rose, et que

Les Roses des jardins ne durent qu’un matin[719].

Qu’est-ce que l’homme, hélas ? Une fleur passagère
Que la chaleur flétrit ou que le vent fait choir,
Une vaine fumée, ou une ombre légère
Que l’on voit au matin, qu’on ne voit plus au soir[720].


C’était donc une mode très répandue, et Desportes l’avait approuvée dans une Complainte :

L’humaine vie à bon droit se compare
Aux vaines fleurs dont le printemps se pare[721]


Lui-même, dans l’Élégie dont Malherbe s’est souvenu, nous allons le voir, en écrivant ses Stances à du Périer, montrait le jeune Damon succombant

Comme un bouton de rose en avril languissant[722],


et il lui faisait dire à ses derniers moments ces mots déjà cités :

la destinée
M’a fait dès mon aurore accomplir ma journée[723].


Enfin l’auteur du Bouquet des fleurs de Sénèque déjà

mentionné, avait écrit :

Si mes parents sont morts, ils ont payé la dette
Qu’on doit en ce séjour ;
L’homme vit tout ainsi qu’une fleur vermoillette
Qui vit le cours d’un jour[724],


stance construite exactement comme celle de Malherbe, et qui présente la rime de séjour et de jour comme la première rédaction des Stances à du Périer. Le même auteur console encore dans les termes suivants Chamgoubert qui a perdu son jeune frère :

Chamgoubert, ce n’est rien de cette pauvre vie,
Le matin nous l’avons, le soir elle est ravie…
À peine un blond cotton[725] faisoit homme ton frère,
Quand la mort se faschant de me voir sans misère
Vint racler tout à coup de ses ans la beauté.
Ainsi voit-on la rose au matin épanie
Sans plus d’honneur au soir en sa beauté flétrie[726].


Malherbe, s’y reprenant à deux fois, et arrangeant les mots mieux que personne, devait donner à la pensée traditionnelle son dernier lustre.

À la façon des poètes du XVIe siècle aussi, Malherbe interpelle son âme et ses pensers — on l’a vu plus haut[727] — ; il appelle les morts des ombres, soit qu’il écrive l’épitaphe de son premier fils[728], soit qu’il parle de la fille de du Périer[729] ou « aux ombres de Damon[730] ». Il conçoit la nation comme ayant un « génie » ou un « démon » : il dit « le démon de la France » comme du Bellay disait « le démon romain[731] » et Montchrestien « le démon anglais[732] » ; il faut entendre « démon » au sens grec ; les Stances pour Alcandre parlent même d’« un démon favorable ».

Malherbe ne dédaigne pas non plus de se servir de du Bellay. Si, comme nous l’apprend Régnier, il le trouve « trop facile », s’il lui reproche, dans son commentaire sur Desportes, la cheville or(e) « dont il s’escrimait[733] », il lui arrive de reprendre, pour l’appliquer au duc de Bellegarde, une strophe de l’Ode au prince de Melfe dont l’idée, du reste, remonte au moins à Politien[734], et fut chère aux latinistes du XVIIe siècle :

Mais comme errant par une prée
De diverses fleurs diaprée,
La vierge souvent n’a loisir,
Parmi tant de beautés nouvelles,
De reconnaître les plus belles,
Et ne sait lesquelles choisir,

Comme en cueillant une guirlande
L’homme est d’autant plus travaillé
Que le parterre est émaillé
D’une diversité plus grande ;
Tant de fleurs de tant de côtés
Faisant paraître en leurs beautés

 
 
 
 
Ainsi confus de merveilles,
Pour tant de vertus pareilles
Qu’en toi reluire je vois,
Je perds toute connoissance,
Et pauvre par l’abondance
Ne sais que choisir en toi.

L’artifice de la nature,
Qu’il tient suspendu son désir,
Et ne sait en cette peinture
Ni que laisser, ni que choisir :
Ainsi quand, pressé de la honte
Dont me fait rougir mon devoir,
Je veux mon œuvre concevoir
Qui pour toi les âges surmonte,
Tu me tiens les sens enchantés
De tant de rares qualités,
Où brille un excès de lumière,
Que plus je m’arrête à penser
Laquelle sera la première,
Moins je sais par où commencer[735].


Malherbe, on le voit, remplace « la vierge errant par une prée », qui fait songer à la bergère à laquelle Boileau comparera l’églogue, par « l’homme », et il ajoute à son modèle plus de raisonnement que de poésie.

Desportes aussi a laissé des traces dans les vers de son impitoyable commentateur. Comme tous deux pétrarquisent et connaissent également bien les poètes latins et italiens, il est naturel que le chantre de Diane et celui de Caliste se ressemblent souvent : ils ont la même habitude de parler de « ce qui les travaille », des « beaux yeux, chers soleils », de « Philis », des belles âmes qui meuvent les beaux corps[736], et de s’écrier : « Amour en soit loué ! », d’animer la nature par la présence de l’amante ; et tel vers de Desportes auquel

Malherbe n’a rien trouvé à redire[737] :

Les forêts ont repris leur vert accoustrement[738],


ressemble fort à ce que dira Alcandre au retour d’Oranthe :

Ces bois en ont repris leur verdure nouvelle[739].


La Complainte pour Henri III exprime la douleur de l’amant comme les Stances d’Alcandre écrites pour Henri IV :

Quand j’approche de vous, belles fleurs printanières,
Vostre teint se flestrit[740]
Et l’herbe du rivage, où ses larmes touchèrent,
Perdit toutes ses fleurs[741].


Les excitations au suicide ont le même ton dans les vers amoureux de Desportes et de Malherbe, et parfois présentent jusqu’au même mélange du singulier et du pluriel appliqués à la même personne, tournure que le Commentaire[742] ne critique pas :

Mourons donc, et monstrons, en ce dernier outrage, Qu’il est toujours en nous d’échapper le malheur ; Si le coup de la mort me fait quelque douleur, Celuy de mon départ m’en fit bien davantage[743].

Ne délibérons plus, allons droit à la mort ;
La tristesse m’appelle à ce dernier effort
Et l’honneur m’y convie ;
Je n’ai que trop gémi[744].

Desportes et Malherbe ont aussi la même manière de

faire l’éloge d’une œuvre littéraire en l’attribuant à un dieu ou à Dieu — ce qui est d’ailleurs une formule assez répandue[745], et qu’on retrouve dans l’épigramme où Boileau attribue la composition de l’Iliade à Apollon. Le poète de Diane et d’Hippolyte avait composé sur la Bergerie de Rémy Belleau un sonnet qui commençait ainsi :

Quand je ly, tout ravy, ce discours qui soupire
Les ardeurs des bergers, je t’appelle menteur,
(Pardonne-moy) Belleau, de t’en dire l’autheur ;
Car un homme mortel ne sçauroit si bien dire[746].


Puis il suppose qu’Amour a contraint Phébus de redevenir berger et de dicter la Bergerie ; et cela l’amène à demander à ce Phébus ou le succès auprès de la belle Hippolyte, ou la force de déplorer son insuccès en aussi beaux vers que ceux de Belleau. Malherbe considère ce sonnet comme « un des bons qui soient dans Desportes[747] » ; aussi le refait-il pour vanter — toujours en un sonnet — le livre de La Ceppède sur la Passion :

J’estime la Ceppède, et l’honore, et l’admire,
Comme un des ornements des premiers de nos jours ;
Mais qu’à sa plume seule on doive ce discours,
Certes, sains le flatter, je ne l’oserois dire[748].


C’est l’Esprit du Tout-Puissant qui « l’a fait si bien écrire ». Et Malherbe s’adresse tout à coup à la reine, dont il fait emphatiquement l’éloge, et lui certifie que « devant cet ouvrage » elle n’en vit jamais qui fût digne d’elle. C’était vraiment forcer la note du badinage de Desportes ; et Malherbe accorde très facilement les honneurs de l’inspiration divine : de la Somme théologique du Père Garasse (le maître de rhétorique de Balzac) il dit encore :

Cette œuvre est une œuvre de Dieu :
Garasse n’a fait que l’écrire[749].


Mais il s’était souvenu de Desportes dans des vers plus célèbres. Quand il eut à consoler du Périer, il songea apparemment au poète qui était encore en vogue à cette époque, et à ses Élégies. Il y en avait une qui avait été faite pour consoler Henri III de la perte de deux de ses mignons : Henri III y était appelé Cléophon[750] (c’était le titre de l’Élégie) et le mignon préféré, Damon. Malherbe a repris ces noms : il appelle, un peu plus tard, Damon l’ami qu’il a perdu et qui est pleuré par l’amante Carinice[751] ; il donne le nom de Cléophon[752] à du Périer, et à la jeune fille (qui s’appelait Marguerite) il donne un nom de bucolique, Rosette, qui était notamment celui de l’héroïne d’une villanelle de Desportes :

Ta douleur, Cléophon, sera donc incurable…
Et ne pouvoit Rosette être mieux que les roses…
Non, non, mon Cléophoa[753].


Dans la rédaction définitive (qui parut en 1607), le nom de Cléophon est remplacé par celui de du Périer ; mais Malherbe, qui dans l’intervalle a relu et commenté Desportes, semble garder plus d’un trait de l’élégie ; et à l’aide du commentaire qu’il a donné de celle-ci on peut mesurer la distance qui sépare un écrivain de l’autre :

Tant peu l’amitié sainte en une âme bien née,


disait Desportes[754] ; et Malherbe :

Et les tristes discours
Que te met en l’esprit l’amitié paternelle[755]


Desportes disait à Cléophon :

Quel rempart assez fort la raison te garda[756]
En ce torrent de deuil, qui sur toy déborda,
Valeureux Cléophon, quand la triste merveille
D’un tel bruit vint frapper ton âme et ton oreille ?


( « Quelque pédant trouvera ici d’une figure ὔστερον πρότερον pour moi, j’y trouve une sottise[757] » ; mais l’idée du premier vers est à conserver) :

Est-ce donc un dédale où ta raison perdue
Ne se retrouve pas ?


Desportes revenait plusieurs fois sur les grâces et la beauté du mignon :

Jamais l’œil de Phébus ne vit telle jeunesse[758]
Quand sa jeune beauté tant d’appas recéloit[759].


(C’est bien assez de le dire une fois ; et puis recéler ne convient pas[760] ; mais on peut garder les appas) :

Je sais de quels appas son enfance étoit pleine.


Desportes faisait dire à Damon :

Mais si l’aveugle sort, ou le ciel courroucé.
Rendent là de mes jours la carrière achevée[761]


( « Rendre achevé » ne se dit pas[762] ; mais on peut supposer que la fille de du Périer)

auroit obtenu
D’avoir en cheveux blancs terminé sa carrière.


(Gloire et mémoire[763], mortel séjour et jour[764] sont des rimes sortables ; le ciel[765] doit être mentionné) :

Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste
Elle eût eu plus d’accueil[766] ?


(Tel ou tel trait peut être admis) :

Quand il voit que la Parque a sa trame coupée[767].


… aussitôt que la Parque
Ote l’âme du corps[768].


(Mais il y a des expressions impropres : ainsi)

Le preux fils de Thétis, seul rempart de la Grèce[769].


Achille n’est pas le rempart de la Grèce, puisque la Grèce n’est pas assaillie ; mais on peut parler de)

Priam, voyant ses fils abattus par Achille.


(Quant au Léthé et à son oubliance endormie[770], c’est une latinerie). Quand Damon va mourir,

Au moins humain de tous l’œil de larmes dégoutte[771].


(Soit, c’est la coutume ; et ce n’est que juste) :

C’est bien, je le confesse, une juste coutume
Que le cœur affligé
Par le canal des yeux vidant son amertume,
Cherche d’être allégé[772].


(Mais quels larmoiements et quelles jérémiades dans cette Élégie ! Damon dit à son ami :

ta flamme est-elle estainte
Que tu n’es point touché de ma dure complainte ?[773]


Ils en font beaucoup trop, de complaintes, et il ne sert de rien de tant gémir) :

Ne te lasse donc plus d’inutiles complaintes ;
Mais sage à l’avenir,
Aime une ombre comme ombre, et des cendres éteintes
Éteins le souvenir[774].

Cléophon disait :

Si ce qui m’est plus cher se sépare de moi[775].

( « Plus cher » ne se dit pas pour « le plus cher[776] » ; « le plus » ferait une syllabe de trop ; mais on peut fort bien mettre « si » ) :

Non qu’il ne me soit grief que la terre possède
Ce qui me fut si cher[777].

Cléophon, dans l’histoire,

Importune le ciel de vœux et de prières,
Bref, pour fléchir la mort, tente mille manières
Mais cette fière Parque aux ravissantes mains,
Seule des déités est sourde aux cris humains[778].

(Il vaut mieux exprimer tout cela sous forme de vérité générale) :

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles ;
On a beau la prier,
La cruelle qu’elle est se bouche les oreilles
Et nous laisser crier[779].

Voilà au moins une pensée juste, et qui peut être encore utilisée à l’occasion. Et c’est un sage conseil aussi, et digne de Sénèque, qui est adressé à Cléophon) :

… que ton âme s’apaise…
Obeys sans murmure au vouloir du haut Dieu[780].

(Seulement cela peut se dire beaucoup mieux, et, encore une fois, sous forme de vérité générale, qui se rattachera à ce qui vient d’être dit de la mort) :

De murmurer contre elle et de perdre patience
Il est mal à propos ;
Vouloir ce que Dieu veut, est la seule science
Qui nous met en repos.

(Desportes compare longuement le jeune guerrier à un bouton de rose, ou à un jeune lys, mais nous n’écrivons pas pour les jardiniers, et pour les roses on a dit trente-six fois mieux déjà[781].

Desportes cite aussi, en le mettant dans la bouche de Damon mourant, le proverbe :

« Tous ceux qu’aiment les dieux ne vivent pas longtemps »[782].

Mais, avec une pareille traduction, il dit justement le contraire de ce qu’il veut dire[783] ; il veut dire que les meilleurs, les plus méritants, les plus beaux, sont ceux qui vivent le moins. Il faudrait que cela rimât aux roses : avec « les plus belles choses », et avec l’autre rime de jour et séjour, nous ferons) :

Mais elle étoit du monde où les plus belles choses
Font le moins de séjour ;
Et ne pouvoit Rosette être mieux que les roses
Qui ne vivent qu’un jour.

(Seconde rédaction) (Rosette[784] ! Ici je desportisais. Nous dirons qu’elle était comme une rose, qu’elle était « rose » : en répétant le verbe vivre comme le mot « rose », ce sera du meilleur effet) :

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses.

(Mais il ne faut pas trois fois « vivre »[785] ; nous changerons le dernier vers, et nous mettrons, d’après ce qu’ont dit plusieurs poètes :

L’espace d’un matin.

C’est encore plus court, et plus fort ; mais il faut

remplacer la rime ; destin rime à merveille. Nous dirons donc) :

Mais elle étoit du monde où les plus belles choses
Ont le pire destin ;
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin.

(Voilà qui est parfait : car « il faut que les élégies aient un sens parfait de quatre vers en quatre vers, même de deux en deux, s’il se peut[786] ». J’y suis arrivé. Après ces stances, je puis me reposer dix ans).

Bertaut ressemble à Malherbe autant que peuvent se ressembler deux hommes élevés dans la même ville, à la même époque, instruits à peu près de la même façon, ayant lu les mêmes poètes et traitant souvent les mêmes sujets. On sait déjà, qu’ils parlent d’amour l’un comme l’autre ; quand ils paraphrasent les Psaumes, Bertaut est plus onctueux que Malherbe, et on a même vu en lui un des lointains précurseurs de Lamartine (qui du reste ne s’en est sans doute pas servi). Malherbe[787] connaissait fort bien les vers de Bertaut ; il les estimait même un peu, à ce que dit Racan, — quoiqu’il trouvât parfois ses pièces « nichil-au-dos ». Il est donc possible qu’il s’en souvienne un peu aussi. « Les cieux inexorables » qui sont rigoureux à l’amant, étaient de tous les climats, de même « ceux qui souffrent peu et se plaignent beaucoup »; mais Bertaut avait donné à tout cela des formes que tout le monde avait présentes à la mémoire, et Voltaire met encore dans la bouche d’une de ses héroïnes les vers fameux du doux poète :

Félicité passée…[788]

Malherbe a dû les prononcer parfois, et bien d’autres vers du même auteur : Bertaut somme « sa belle âme » de dire oui ou non de la même façon que Malherbe écrit, « à une dame qui le payait de promesses » ; il dit comme disent et comme diront tous les poètes d’alors que « sa folie est belle »; il parle « des esprits abusés d’une vaine espérance[789] » comme Malherbe.

Les mêmes situations se présentent des deux côtés parfois avec les mêmes rimes :

… presque évanoui je tombai sur la place,
En pâleur une pierre, en froideur de la glace[790].
À ces mots tombant sur la place,
Transi d’une mortelle glace,
Alcandre cessa de parler[791].

Beaucoup d’expressions de Bertaut sont aussi dans Malherbe, et des vers plus retentissants que d’habitude font songer à tel vers de la Prière pour le roi allant en Limousin :

Icy ce bruit tonnant dont on oit nos tambours
Changer le guet des nuits à la garde des jours[792].

Mais Bertaut était surtout « retenu », comme dit Boileau ; il importait d’avoir le ton soutenu : c’est ce qu’allait faire Malherbe, en attendant Corneille.

Régnier se rapproche de Malherbe par l’un des côtés principaux de l’œuvre du réformateur : la forme du vers, la concision, l’habileté à enfermer la pensée la plus complète dans le cadre le plus ferme et le plus limité.

On sait que Malherbe « l’estimoit en son genre à l’égal des Latins[793] ». Dans les vers du satirique, « soutenus, nombreux, détachés les uns des autres[794] » — ce sont les qualités que Brossette reconnaît à Régnier, et ce sont exactement celles de Malherbe — il y avait aussi à glaner, et le neveu de Desportes parle comme parlera l’ennemi de son oncle, des vieux contes d’honneur :

Ces vieux contes d’honneur dont on repaist les dames
Ne sont que des appas pour les débiles ames
Qui sans choix de raison ont le cerveau perclus[795].

Ces vieux contes d’honneur, invisibles chimères,
Qui naissent aux cerveaux des maris et des mères,
Etoient-ce impressions qui pussent aveugler
Un jugement si clair[796] ?

Toutes ces tirades dont Régnier trouva la formule lapidaire[797] remontaient aux mêmes sources italiennes, et on ne peut guère dire quelle part revient, dans les vers de Malherbe, aux poètes français plutôt qu’aux Italiens.

Il serait trop facile de relever encore de nombreuses analogies entre Malherbe et son compatriote Montchrestien (qu’il a peut-être mieux connu qu’il ne voudrait le faire croire[798]), non seulement dans les idées, qu’ils prennent souvent aux mêmes sources, mais aussi dans la forme. Le poète tragique ressemble souvent « à s’y méprendre », comme l’a dit M. Brunot, à Malherbe. Il avait notamment fait avant Malherbe son « N’espérons plus, mon âme » :

Cessons, pauvres humains,
De concevoir tant d’espérances vaines,
Puisqu’ainsi tost les grandeurs plus certaines
Tombent hors de nos mains[799].

Tout avait été dit par Montchrestien, par Ronsard, par du Bellay, par Desportes et vingt autres : tout était dit, et si Malherbe ne venait pas trop tard, c’est sans doute que l’essentiel était non de dire autre chose, mais de parler en termes plus soignés : il fallait « arranger les mots et les syllabes ».

Ronsard était trop enthousiaste, du Bellay « trop facile », Desportes trop faible, Bertaut un peu trop facile et trop faible aussi, Régnier trop « à la diable », pour s’employer uniquement à « mettre le mot en sa place », et cette dernière besogne fut celle de Malherbe. Comment il l’a comprise et réalisée, c’est ce qu’a établi M. Brunot. Quant au « mot » lui-même, il le prenait n’importe où, même chez ses prédécesseurs français.

M. Chamard à propos de du Bellay, M. Vianey à propos de Mathurin Régnier, M. Chenevière et d’autres à propos de Bertaut, ont tous dit que leur auteur devançait Malherbe ; il est peut-être encore moins paradoxal de dire que Malherbe continue la Pléiade et les écrivains de la fin du XVIe siècle, et nous espérons avoir montré qu’il ne se fait pas faute de leur reprendre des idées, des images et des expressions, parfois sans en garder la grâce enjouée, souvent en les généralisant, en les clarifiant, et surtout en se montrant plus sobre de « faculté verbale ». C’était un poète fort sec, comme dit le cavalier Marin, et c’est sans doute ce qu’il fallait. De même que dans l’Élégie de Desportes

Le malheureux Damon tout en pleurs s’écoulait[800],


la poésie française aurait peut-être risqué de s’écouler toute en vers faciles et bavards, si on ne lui avait mis des digues étanches et étroites.


CONCLUSION


Avant de conclure, il n’est peut-être pas inutile de faire encore, à tous les rapprochements que nous venons d’établir, les restrictions qui n’auraient pas paru assez fréquentes et assez explicites au cours de cette étude. On ne devrait pas commencer un travail de critique comparative sans réciter les vers de Namouna :

Rien n’appartient à rien, tout appartient à tous…


et M. Brunetière[801] rappelait encore dernièrement que rien n’appartient exclusivement à un auteur isolé, ni même à une seule littérature, mais que tout relève de la « littérature européenne », dont les littératures nationales ne sont que les provinces. En ce qui concerne Malherbe, les idées générales qu’il exprime et les images qu’il emploie peuvent, au point de vue d’aujourd’hui, sembler si banales et si vieilles que tout rapprochement fait à leur sujet reste une hypothèse quant à leur véritable origine. Il faut dire aussi qu’entre le simple plagiaire et l’écrivain le plus spontané il y a toute une série de degrés, et qu’une influence littéraire peut s’exercer par des réminiscences inconscientes, par des souvenirs fugitifs aussi bien que par une gauche copie. Mais d’autre part il ne faut pas oublier que l’état d’esprit d’un homme de l’an 1600 diffère du nôtre en cette matière : depuis trois siècles les images et les pensées se sont toutes usées ; elles nous sont venues de côtés si divers et d’auteurs si nombreux que nous ne pourrions plus dire de qui nous les tenons ; en même temps, les études humanitaires prenant toujours moins de place dans l’éducation générale, les influences classiques seraient moins vraisemblables ou moins certaines chez les écrivains actuels qu’elles ne le sont chez Malherbe.

Sans donc prétendre que tous les rapprochements indiqués présentent autant d’imitations, on peut en dégager quelques indications sur la pensée et l’art du vieux poète. « Pour donner à la poésie de Malherbe le nom qui lui appartient, disait Godeau, il faut considérer s’il imite, quelles sont les choses qu’il imite, et de quelle sorte d’imitation il s’est servi[802]. » Qu’il imitât, c’est ce dont Godeau lui-même ne doutait pas[803] : l’objet et la manière de cette imitation sont donc les seules questions à poser.

Ce Normand d’esprit positif et sensé à qui il est arrivé de sentir la profondeur d’une pensée biblique, qui comprenait le grec et pas les Grecs, s’est tourné vers les Latins. Il a trouvé dans Sénèque des idées générales qu’il a mises en prose et en vers ; et toute la raison dont il s’imprégnait encore par ses lectures, et les nombreuses raisons du dissertateur, ne faisaient que confirmer ses dispositions naturelles, peu favorables au pédantisme, aux fictions et à tout l’appareil des poètes du temps. Il pensait bien, au fond, que tout cela n’était que folie. Seulement, raisonneur de tempérament, et poète de profession, il jugea — et c’est une opinion toujours soutenable — qu’il fallait à la poésie une certaine dose de folie, « le grain de sottise » dont on a parlé depuis, et il crut — ce qui était en partie contestable — que la mythologie, les fictions, les images fleuries, les hyperboles ampoulées, les déclarations langoureuses constituaient toutes au même titre « les faveurs de Parnasse » et les sottises indispensables. Il se mit donc en quête de thèmes et de formules poétiques, et puisa à pleines mains dans ses souvenirs d’écolier et de liseur. Virgile parlait des violettes flétries et des moissons opulentes, Horace de la mort, Ovide des femmes et des dieux ; Martial, Stace et d’autres présentaient toutes sortes de traits et d’images. Les Italiens étaient passés maîtres en l’art d’aimer en vers, Pétrarque avait créé plus qu’une poésie : des manies et des ridicules ; le Tasse et d’autres avaient célébré les bergères. Enfin, la poésie française, en dépit des boutades du réformateur, n’avait pas chômé pendant le XVIe siècle, et il y avait bien des formes métriques, bien des pensées, des cadres et des décors à reprendre dans Ronsard et ses émules.

De tout cela, que fit Malherbe ? Il se trouvait à l’aise, et il pouvait avoir un trait de génie quand il s’agissait d’un homme d’esprit comme Horace, et d’une pensée de tous les temps et de tous les pays que le poète du Louvre sut faire française. Mais les fleurs virgiliennes ne se laissent pas manier d’une main rude, les dieux ont fait leur temps, et pour imiter Pétrarque

C’est peu d’être poète, il faut être amoureux ;


c’est fâcheux de n’être pas l’un, et d’être fort peu l’autre. Quant aux Français du XVIe siècle, on peut écrire mieux qu’eux, et si l’on ne retrouve pas la grâce de Ronsard et de du Bellay (qui est un don de nature), il est facile de penser plus fortement qu’eux, et d’écrire plus sobrement que ce bavard de Desportes. C’est dire qu’à côté de certains progrès Malherbe eut encore bien des gaucheries, bien des imitations maladroites. Si ses vers aujourd’hui nous laissent souvent une impression de vieillerie ou du moins de « déjà entendu » qu’ils n’avaient pas pour Godeau et Balzac, cela tient sans doute en partie à ce que nous avons été gâtés par un siècle de lyrisme exubérant et sincère ; mais cela tient aussi à ce que Malherbe n’a pas été l’imitateur idéal et définitif. Il a imité pour d’autres raisons, pour d’autres besoins que Ronsard, et pour ces raisons il l’a fait moins souvent ; il ne l’a pas toujours fait de façon plus heureuse. Après lui, la poésie française eut encore des « éruditions » à désapprendre, et à mettre plus de goût, de mesure, de discrétion dans l’emploi des images et des thèmes poétiques. Il n’a pas parlé de l’imitation aussi congrûment que Montaigne ou La Fontaine où André Chénier (André Chénier dans sa seconde, dans sa bonne manière), et c’est donc sur son œuvre qu’il faut le juger (ce qui lui fait sans doute tort) en cette affaire. En le jugeant ainsi, La Fontaine ne s’est pas trompé quand, dans sa rapide histoire de la littérature française depuis Ronsard, il considère Malherbe comme usant plus fréquemment que les grands classiques, de ces éruditions dont la Pléiade raffolait :

Nos aïeux, bonnes gens, lui [à Ronsard] laissoient tout passer,
Et d’éruditions ne se pouvoient lasser.
C’est un vice aujourd’hui : l’on oseroit à peine
En user seulement une fois la semaine

. . . . . . . . . . . . . . .


Malherbe de ces traits usoit plus fréquemment.
Sous lui la cour n’osoit encore ouvertement
Sacrifier à l’ignorance ![804]


L’ignorance ! c’est celle des crocheteurs du Port-au-foin et de la cuisinière à qui le bon écrivain devait être intelligible ; c’est presque le sens commun, c’est le bon sens de ceux qui veulent qu’on « parle chrétien », comme dit Molière. Malherbe, dans ses imitations, n’est pas allé jusqu’au bout de sa doctrine. Il restait à franchir une étape pour arriver au vrai classicisme et à la parfaite assimilation de l’antiquité : en quittant le vieux « pédagogue de cour », la poésie française devait encore grandir, et se défaire surtout de certains airs d’école ; elle les laissa peu à peu, d’elle-même, et après un repos d’une génération, sur le chemin du grand siècle.




BIBLIOGRAPHIE


L’ouvrage capital sur Malherbe est celui de M. F. Brunot, La doctrine de Malherbe d’après son commentaire sur Desportes (Paris, 1891). Ce livre réalise la « dissection grammaticale dirigée par un goût fin et sûr » dont la nécessité avait déjà été sentie par Sainte-Beuve, Port-Royal, 3e éd., 1867, t. II, p. 517 (Appendice : Sur Balzac le grand épistolier), et il n’est pas moins important pour l’histoire littéraire que pour l’histoire de la langue. On y trouvera une excellente bibliographie des ouvrages parus jusqu’en 1891 sur Malherbe et son époque, bibliographie qu’il est donc inutile de reprendre ici. En même temps que le livre de M. Brunot a paru celui de M. G. Allais, Malherbe et la poésie française à la fin du XVIe siècle. Ces deux ouvrages ont donné lieu à divers articles, dont le principal est celui de M. F. Brunetière dans la Revue des deux mondes du 1er décembre 1892 : La réforme de Malherbe et l’évolution des genres ; M. Rigal, rendant compte de l’ouvrage de M. Allais dans la Zeitschrift für französische Sprache und Litteratur (1894, t. XVI, 2e partie, p. 37), a eu l’occasion d’indiquer la source italienne d’un passage de Malherbe. Les travaux consacrés depuis lors au poète et à sa réforme sont énumérés par Petit de Julleville (Histoire de la langue et de la littérature française publiée sous la direction de —), IV, 80 ; de Broglie, Malherbe (Collection des grands écrivains français, 1897) ; L. Arnould, Malherbe et son œuvre (article paru dans La Quinzaine, 16 octobre 1902). Signalons aussi l’article Malherbe de la Grande Encyclopédie, écrit par M. Brunetière. Nous avons mentionné dans le dernier chapitre, à titre documentaire, Les classiques imitateurs de Ronsard : Malherbe — Corneille — Racine — Boileau, extraits recueillis et annotés par Edm. Dreyfus-Brisac (Paris, Calmann Lévy, s. d.) ; le même auteur a écrit depuis un ouvrage dans le même esprit sur ou plutôt contre Boileau (1902) : ce qui en a été dit dans la Revue d’histoire littéraire de la France pourrait s’appliquer aussi aux Classiques imitateurs de Ronsard.

Pour les sources de Malherbe, l’édition de Ménage et celle de Lefebvre de Saint-Marc fournissent de nombreux rapprochements avec les poètes anciens. Ménage croit que Malherbe est l’homme du monde le moins plagiaire. Le commentaire d’André Chénier sur Malherbe (éd. De la Tour) a la supériorité d’avoir été écrit par un poète, et un poète nourri d’antiquité : l’intérêt qu’il présente n’a du reste pas échappé aux critiques, depuis Sainte-Beuve jusqu’à MM. P. et V. Glachant, André Chénier critique et critiqué et E. Faguet, André Chénier (Collection des grands écrivains). Les principaux textes sur l’imitation chez Malherbe ont été cités dans l’Introduction. Le travail de Berger de Xivrey, Recherches sur les sources antiques de la littérature française (Paris, Crapelet, 1829), qui date de trois quarts de siècle, est encore plus incomplet que vieilli.

On trouvera mentionnés en leur lieu, au cours de cette étude, les Lettres de Peiresc, éd. Tamizey de Larroque (Collection de documents inédits pour servir à l’histoire de France) ; Gaston Paris, La littérature normande avant l’annexion (Discours prononcé à la Société des Antiquaires de Normandie, 1896) ; id., L’Esprit normand en Angleterre (chapitre de Poésie du moyen âge) ; M. Soubiau, L’évolution du vers français au XVIIe siècle ; J. Vianey, Mathurin Régnier ; L. Arnould, Racan (et id., Anecdotes inédites sur Malherbe) ; Ch. Urbain, Nicolas Coeffeteau (thèse, Paris, 1893) ; Cognet, Godeau (thèse, Paris, 1900) ; G. Grente, Jean Bertaut (thèse, Paris, Lecoffre, 1903, avec une bibliographie d’ouvrages dont beaucoup présentent un intérêt au point de vue de Malherbe), et d’autres travaux dont le sujet touche de près ou de loin à Malherbe et ses sources. Dans la même catégorie il faut placer F. Guizot, Corneille et son temps (nouvelle éd., 1889), qui n’a pas trop vieilli depuis sa publication déjà ancienne, et dont les juges de Malherbe (sauf le duc de Broglie) se servent peu : Guizot a deviné l’imitation de la IVe Églogue de Virgile dans la « Prière pour le roi allant en Limousin ». Il faut aussi tenir compte, évidemment, des pages consacrées à Malherbe dans les récentes histoires de la littérature française, notamment dans celle de M. E. Faguet et dans la Geschichte der französischen Litteratur de MM. Suchier et Birch-Hirschfeld (Leipzig 1900), et d’un ouvrage moins récent, Lotheisen, Geschichte der französischen Litteratur im XVII. Jahrhundert, t. I. Mentionnons une étude qui semble avoir passé inaperçue, ou du moins qui est fort oubliée, Amiel, Ronsard et Malherbe (Genève, 1849, in-8o). Dans cette dissertation de 16 pages (Collèges et Gymnase de Genève, année scolaire 1849-1850), Amiel (que je cite d’après l’obligeante communication de M. Roget, de Genève) concluait déjà « que Malherbe s’était taillé toute sa poétique dans ce qu’il détruisait…, qu’il glana quelques formes de vers, de strophes, de langage, dans une moisson beaucoup plus considérable, qu’il ne créa pas, mais émonda ». J’ai rappelé aussi les articles de M. H. Guy sur les sources françaises de Ronsard et de M. P. Lafenestre sur François Maynard, publiés dans la Revue d’histoire littéraire de la France (1902 et 1903), de M. Schultz-Gora sur la source d’un vers de Malherbe dans la Zeitschrift für französische Sprache und Litteratur (1903), de M. Pietro Toldo sur la poésie burlesque de la Renaissance dans la Zeitschrift für romanische Philologie (1904) (le même auteur continue ses études sur l’Arioste en France, voy. article des Studi romanzi publiés par Monaci, Rome 1903), et la brochure de M. Ettore Bini, Di un poemetto giovanile di François de Malherbe (Pise, Mariotti 1903). Il est inutile de reprendre ici l’énumération d’ouvrages d’un intérêt moins général ou moins immédiat qu’on trouvera indiqués en leur lieu dans les notes de chaque chapitre.

Sauf indication contraire, Malherbe est cité d’après l’édition Lalanne, Ronsard d’après l’édition Blanchemain, Desportes d’après l’édition Michiels. Le sonnet de Malherbe à Perrache est reproduit dans l’édition Jannet ; quelques pièces dont MM. Gasté, Roy et Bourrienne ont augmenté l’œuvre de Malherbe, sont encore à chercher dans les monographies qui en ont révélé l’existence. La paternité de la pièce publiée par M. Lalanne, I, 363, a été établie, comme nous l’avons rappelé, dans le Mémorial généalogique des Malherbe, publié par M. de Blangy (Caen, Valin, 1901) p. 67.

Comme nous n’avons envisagé qu’un aspect de Malherbe, ce n’est pas ici le lieu de dresser une bibliographie complète de Malherbe, ni même une liste des derniers jugements portés sur lui ; la bibliographie serait longue, et « l’antipathie contre Malherbe » étudiée de façon intéressante par M. Dejob (Revue internationale de l’enseignement, 15 mai 1892), et les protestations qui se sont élevées, donneraient lieu à un curieux article sur « Malherbe et ses juges ».




  1. E. Faguet, (Histoire de la langue et de la littérature française publiée sous la direction de Petit de Julleville, VII, 662).
  2. Épître au prince de Conti (Œuvres de La Fontaine, éd. Régnier, IX, 373).
  3. Les poésies de Malherbe avec les observations de Ménage, 2e éd. (1689), p. 648.
  4. Causeries du lundi, VIII, p. 58.
  5. Voyez par exemple le dithyrambe de Nisard, Histoire de la littérature française (17e éd.), I, 404-405.
  6. F. Brunot, La doctrine de Malherbe d’après son commentaire sur Desportes, dont la découverte à cet égard a été adoptée notamment par le duc de Broglie, Malherbe (Collection des grands écrivains).
  7. G. Allais. Malherbe et la poésie française à la fin du xvie siècle.
  8. F. Brunetière, La réforme de Malherbe et l’évolution des genres.
  9. id., Études sur le XVIIIe siècle : I. La formation de l’idée de progrès (Revue des deux mondes, 15 octobre 1892, p. 885).
  10. Histoire de la littérature française par G. Lanson (8e éd., 1903), p. 355.
  11. Malherbe se trouve, ne fût-ce qu’en date, à l’origine de l’esprit classique, comme le dit déjà le grand théoricien de cet esprit : « On reconnaît la présence de cette forme fixe à divers indices, notamment au règne du style oratoire, régulier, correct, tout composé d’expressions générales et d’idées contiguës. Elle dure deux siècles, depuis Malherbe et Balzac jusqu’à Delille et M. de Fontanes » (Taine, L’Ancien régime, p. 211)
  12. Vigneul-Marville, cité dans Malherbe éd. Lalanne, t. I, p. XLVIII-XLIX. Cette façon de travailler explique tous ces « fragments » que comprend l’œuvre poétique de Malherbe : ce sont là de « petits morceaux » qui n’ont pas trouvé place dans les odes. V. aussi A. Albalat, Le travail du style enseigné par les corrections manuscrites des grands écrivains (1903), p. 170 et sq.
  13. Ce chapitre a déjà été, en grande partie, publié dans la Zeitschrift für französische Sprache und Litteratur, t. XXVI. — Je ne puis évidemment déterminer ici de façon complète et définitive le type social littéraire de la région normande (ce qui serait sans doute prématuré) ; j’entends seulement montrer que Malherbe est bien de la province comme de son pays, comme de son temps. Il est vrai que les traits « normands » sont aussi bien « des traits humains, et des traits collectifs de classe et de condition », comme me l’a fait remarquer M. Lanson (Revue universitaire, 15 février 1904) ; beaucoup sont même des traits de l’esprit français, dont les qualités d’ordre, de précision, de clarté sont à la fois normandes et françaises, comme l’a dit Gaston Paris (La littérature normande avant l’annexion, 1896, discours prononcé à la Société des Antiquaires de Normandie). — Il m’a semblé toutefois que les caractères étudiés dans ce chapitre étaient plus fréquents en Normandie qu’ailleurs : ils sont généralement donnés comme tels par ceux qui ont parlé des Normands.
  14. M. Lanson (Hist. de la litt. fr.) a très bien dit de Malherbe : « S’affranchissant des doctrines aristocratiques et pédantesques de la Pléiade, ce gentilhomme normand, qui avait le sens pratique d’un bourgeois, trouvait la conciliation du rationalisme et de l’art ». — V. aussi Brunetière, L’évolution des genres. 2e éd., p. 58.

    L’esprit normand a souvent été défini en France depuis Michelet (Histoire de France, t. II) jusqu’à Taine (Hist. de la litt. angl., t. I), M. Chéruel et surtout Gaston Paris, La litt. normande avant l’annexion (1896), et aussi L’esprit normand en Angleterre (Poésie du moyen âge) ; en Allemagne, depuis Schlegel jusqu’à M. Hermann Suchier, le savant fondateur de la Bibliotheca normannica. Je me suis appliqué ici à laisser parler les Normands eux-mêmes, et j’ai surtout tenu compte de ceux qui ont assez longtemps vécu avec leurs compatriotes pour prendre un pli décisif. Je n’ai pas allégué, par exemple, le poète sur commande Benserade, ni l’impassible Mérimée, qui appartiennent à des familles normandes, mais sont nés et ont toujours vécu à Paris. — Déjà Michelet et Sainte-Beuve et, plus récemment, M. Basset (peut-être avec excès), Gaston Paris (l. l.), M. Arnould (Malherbe et son œuvre, dans la Quinzaine, 16 oct. 1902, p. 438) et d’autres, ont vu en Malherbe le Normand ; M. Morillot a écrit, à propos de Duperron : « Il n’y en a décidément plus que pour les Normands, dans la poésie française, pendant près d’un siècle » (Petit de Julleville, III, 252), et M. Grente (Jean Bertaut, Paris 1903, p. IX sqq.) a rappelé la série des écrivains normands, que Hippeau avait essayé de grouper dans Les Écrivains normands au XVIIe siècle (Caen, 1858). — Cf. Mme de Sévigné, Lettres, IX, p. 42 ; Segrais. II, 30-34 ; Vigneul-Marville, Mélanges, I, 185-186 ; Lotheissen, Geschichte der französischen Litteratur im XVII. Jahrhundert, II, 127-128 ; A. Mennung, Sarasin’ Leben und Werke (Halle, Niemeyer, 1902), I, p. 13. — Les écrivains normands du XVIIe siècle ont été remarqués depuis Sainte-Beuve jusqu’à M. Georges Renard, La méthode scientifique de l’histoire littéraire. — Les poètes normands du XVIe siècle ont fait l’objet d’un concours et d’un travail dont on verra le résultat dans le Rapport de M. Souriau sur le mouvement littéraire en Normandie de 1898 à 1902. — Scarron appelait Malherbe « Prince de la rime normande » : Malherbe devait à son pays beaucoup plus que ces rimes normandes qu’il essaie d’ôter de ses œuvres dans sa vieillesse.

  15. Préface par Flaubert (Œuvres de Bouilhet, éd. Lemerre, p. 290).
  16. Vauquelin de la Fresnaye, Épître à Baïf (éd. Travers, I, p. 288), traduisant ainsi « per ben » de Sansovino (Vianey, Mathurin Régnier, p. 76). Cf. aussi Bouilhet (éd. Lemerre), p. 104.
  17. Duperron, cité par Racan, Vie de Malherbe (Malh., éd. Lalanne, I, p. XLV).
  18. Bouilhet, (éd. Lemerre), p. 64.
  19. Malherbe, cité ibid., p. LXX.
  20. Rapprochement fait par M. Suchier (Suchier & Birch-Hirschfeld), Geschichte der frz. Litteratur). Cf. aussi G. Paris, La littérature normande avant l’annexion.
  21. Il est curieux de voir, par exemple, que Guillaume le Clerc, dans son Bestiaire divin, parle déjà « de Sire Raul sun seignur » comme Malherbe parlera de Henri IV dans ses lettres à Peiresc.
  22. Philippe de Thaon Compost.
  23. Ce sont des Normands qui ont produit au moyen âge ces sortes d’œuvres : voy. G. Paris, La litt. franç. au moyen âge, 2e éd., et La littérature normande avant l’annexion.
  24. Vauquelin de la Fresnaye a parfois encore cette préoccupation (voy. t. I, p. 101). Cf. aussi Lemercier, Étude littéraire et morale sur les poésies de Vauquelin de la Fresnaye (Nancy, 1887), p. 202.
  25. Malherbe, I, 139.
  26. Flaubert, à G. Sand, 3 juillet 1874 (Corresp., 4e s., p. 195).
  27. Id, Corresp., 2e s., p. 157.
  28. C’est ainsi que le Normand Boisrobert juge son pays (Épître à M. de Césy. Recueil de 1659, p. 17 cité par Hippeau, Écr. norm. au 17e s., p. 141). Pour vanter Bourgeuil, Bertaut (éd. elzév., p. 98) dit qu’il est fertile non en citre et poiré, mais en vin d’Anjou.
  29. A. Cognet, Antoine Godeau (thèse, Paris 1900), p. 62.
  30. Mot de Malherbe. Sur l’amour chez Malherbe, voy. Souriau, L’évolution du vers français au XVIIe siècle.
  31. Jean le Houx (éd. Gasté). Flaubert nous dit de Bouilhet : « Il lisait Rabelais continuellement » (Bouilhet, éd. Lemerre, p. 302).
  32. Bouilhet, p. 36.
  33. Déjà un Anglo-Normand du XIIe siècle célébrait la cervoise (v. Romania, XXI, p. 260-262).
  34. Malherbe, I, 134. cf. Corneille, Le Cid, I, i :

    Et dans ce grand bonheur je crains un grand revers.

  35. Malherbe, Consolation à du Perier.
  36. Maupassant, Fort comme la mort (8e éd.), p. 252.
  37. Corneille, Polyeucte, III, i.
  38. Flaubert, Corresp., 2e s., p. 81.
  39. Ibid., 3e s., p. 80.
  40. Ibid., 2e s., p. 72.
  41. Ibid. p. 75.
  42. Bouilhet, p. 37. La séparation de la personnalité de l’auteur et de son œuvre ne peut naturellement jamais être complète : de là vient peut-être en partie que Malherbe se contredit si souvent, que Corneille n’a pas toujours « l’esprit de suite », et que Flaubert « a en lui littérairement parlant deux bonshommes distincts » (Corresp., 4e s., p. 69).
  43. Flaubert, Corresp., 2e s., p. 138.
  44. Corneille, Polyeucte, II, 2.
  45. Ibid., II, 2. Le mot de raison (comme aussi celui de jugement) revient assez souvent dans les vers de Malherbe (Malh., I, 39, v. 7 ; 276, v. 9 ; 309, v. 10).
  46. Flaubert, Corresp., 2e s., p. 189.
  47. Mot de Racine recevant Thomas Corneille à l’Académie.
  48. Vers écrits par un Normand en tête des Tragédies de Montchrestien (éd. elzév., par Petit de Julleville, notice, p. XIX).
  49. Montchrestien, Épître au prince de Condé (ibid.).
  50. Brunot, La doctrine de Malherbe, p. 49.
  51. Boileau, Épître II, Satire XII, fin, et Lutrin, I, 31 et 32.
  52. La Fontaine, Fables, III, 11 et VII, 7 « Répondre en Normand », qu’emploie La Fontaine, était déjà proverbial chez Math. Régnier (Satire III, éd. Courbet, p. 28) et même plus tôt (v. Leroux de Lincy, Livre des proverbes français, I, 241). Voltaire dit encore, à propos de la longévité de Fontenelle, que Fontenelle était Normand et avait trompé la nature. — Cf. aussi Barbey d’Aurevilly, Les Diaboliques, 243 : « Les Normands me font toujours l’effet de ce renard si fort en sorite dans Montaigne… »
  53. Tartufe, V, 4
  54. Voy. Petit de Julleville, Histoire de la langue et de la littérature française, II, 374-5.
  55. Préface de sa trad. de l’Imitation.
  56. Flaubert, l. c., 2e s., p. 107.
  57. A. Héron, Trouvères normands (Rouen 1885), p. 23. G. Paris, La litt. norm. avant l’annexion, p. 31, et L’esprit normand en Angleterre (dans la Poésie du moyen âge).
  58. Oraison funèbre de Jean Rouxel, professeur d’éloquence et de droit à Caen, prononcée en latin par Jacques de Cahaignes, traduite par Vauquelin de la Fresnaye (Cf. Gasté, La jeunesse de Malherbe, p. 18).
  59. Vauquelin de la Fresnaye, Art Poétique, III (éd. Travers, I, p. 105)
  60. Ibid., II (éd. Travers, I, 71). De même Corneille dit de ses
    premières comédies qu’il apprit à y faire « un sot en vers d’un
    sot en prose » (À Mr D. L. T., v. 54).
  61. Cf. Grente, Jean Bertaut, p. 284, et ibid., le chap. VII : Le poète orateur (p. 171 et sq.).
  62. Casimir Delavigne, dans les Messéniennes de 1827, appelle Corneille :

    Des demi-dieux rocelui dont l’éloquence
    Des demi-dieux romains releva les autels.

  63. Flaubert, Corresp., 2e s., p. 107.
  64. Flaubert, Corresp., 2e s., p. 81.
  65. Cf. notamment Nisard, Hist. de la litt. franç.; Taine, La Fontaine et ses fables et Origines de la France contemporaine, I.
  66. Mme de Staël, De l’Allemagne, 2e p., chap. XVIII.
  67. Pascal.
  68. Brunetière, Revue des deux mondes, 15 déc. 1900 et janv. 1901.
  69. Mathurin Régnier, Satire V.
  70. G. Le Vavasseur, À Bertaut (Aux Poètes normands, Soc.
    Antiq. de Norm., 27 nov. 1884, cité par Grente, Jean Bertaut, p. 412).
  71. Racan, Vie de Malherbe (Malh., t. I, p. LXIX). Malherbe parait en outre estimer ses oraisons funébres (Malh., t. III, p. 202). Il n’a pas laissé, d’ailleurs, de trouver ses stances « nichil-au-dos ».
  72. Épître à Baïf (Vauquelin, éd. Travers, t. I, p. 289).
  73. M. Brunetière.
  74. Bouilhet, p. 37.
  75. C’est le nom que Vaugelas donne à Malherbe, comme on sait ; et M. Maurice Bouchor dit d’un poète normand plus récent, M. Charles Frémine, qu’il « a su traduire les fraîches impressions de la jeunesse en ouvrier consciencieux et habile ».
  76. Flaubert, Corresp., 4e s., p. 225.
  77. Ibid., 2e s., p. 203.
  78. Ibid., 4e s., p. 362. — Déjà Madame de la Fayette disait qu’« une période retranchée d’un ouvrage vaut un louis d’or, et un mot vingt sous ».
  79. Flaubert, Corresp., 3e s., p. 112.
  80. La vie littéraire, 2e s., p. 27.
  81. Histoire de la littérature française (17e éd.), I, 415.
  82. Cf. Arnould, Racan, p. 66, et Anecdotes inédites sur Malherbe. Remarquons ici que ce n’est pas le seul trait de Malherbe qu’on retrouve dans Molière : le jeu de mot « sonnet et sonnettes » (à la fin des Précieuses ridicules) en est un autre. Comme Alceste à la poésie amoureuse du temps, Malherbe avait préféré à toutes les œuvres de Ronsard une chanson populaire.
  83. Flaubert, Corresp., 2e s., p. 175. — C’est par la méthode que Flaubert s’expliquait les grands classiques : « Nous nous étonnons des bonshommes du siècle de Louis XIV, mais ils n’étaient pas des hommes d’énorme génie ;… non ! mais quelle conscience ! comme ils se sont efforcés de trouver pour leurs pensées les expressions justes ! quel travail ! quelles natures ! comme ils se consultaient les uns les autres, comme ils savaient le latin ! comme ils lisaient lentement ! Aussi toute leur idée y est, la forme est pleine, bourrée et garnie de choses jusqu’à la faire craquer ». (Corresp., 2e s., p. 194.)
  84. De 1566 à 1630, les libraires de Rouen n’avaient pas imprimé moins de soixante-six tragédies. Monchrestien, s’il fut joué quelque part, ce qu’on ignore, dut l’être à Rouen, où fut publié son théâtre » (Petit de Julleville, dans la préface de son édition de Nicomède. p. 6.). On sait maintenant que l’Écossaise fut représentée à Orléans en 1603 (Auvray, dans la Revue d’histoire littéraire de la France, 1897, p. 89-91).
  85. Voy. G. Grente, Quae fuerit in cardinali Davy Du Perron vis oratoria (Paris, 1903).
  86. Malherbe paraît n’avoir pas toujours méprisé les vers de des Yveteaux ; dans la pièce que celui-ci a mise en tête des œuvres de Desportes, et que Malherbe corrige dans son exemplaire, il trouve beaucoup moins à reprendre qu’en moyenne dans les œuvres mêmes.
  87. Cf. A. Mennung, J.-Fr. Sarasin’s Leben und Werke, 2 vol. (1902-1904).
  88. Voyez Morillot, La Bruyère (Collection des grands écrivains), p. 46.
  89. Malherbe, I, 286 (Ode à Lagarde). Le même aveu est aussi bien, d’ailleurs, chez Desportes (éd. Michiels, p. 516, et encore chez Balzac (lettre du 27 novembre 1645).
  90. Vianey, Mathurin Régnier, p. 266.
  91. Paranymphes. À M. de Malherbe (cité par Brunot, La doctrine, de Malherbe, p. 530, et Grente, J. Bertaut, p. 371). Plus tard Mme de Sévigné (t. IX, p. 42, lettre du 5 mai 1689) appelle Caen « la source de tous nos plus beaux esprits » ; — « Monsieur *** disoit que l’on faisoit des vers dans les autres endroits de la France, mais qu’on en tenoit boutique à Caen. » (Œuvres de Segrais, II, 33-34.) — Il y a une restriction à faire sur la ville natale de Bertaut (voy. Grente, o. c.).
  92. Manuscrit (Bibl. nat., ms. fr. 881) décrit par P. Paris, Manuscrits français, VII, 95 sqq. cité par Rathery, De l’influence de l’Italie, p. 111, n. 1, par Allais, Malherbe et la poésie française, p. 412 (appendice). Cf. Allais, ibid., p. 250, et Grente, Bertaut, p. 346 et 347 : Pierre Delaudun d’Aigaliers (Art poétique publié en 1598) dit que « les stances ne laissent pas maintenant d’être en vogue »; Colletet} (Discours sur le sonnet) constate que « le cardinal du Perron, Jean Bertaut, évéque de Sées et François de Malherbe ne composèrent que fort peu de sonnets ». — Cf. aussi Cognet, Godeau, p. 2-3. — Pour l’histoire du sonnet, cf. H. Vaganay, Le sonnet en Italie et en France au XVIe siècle (Lyon 1902 ; Bibliothèque des facultés catholiques).

    Un poète normand, M. Albert Glatigny a même voulu (de façon téméraire, d’ailleurs) voir l’invention d’un poète normand dans l’emploi de l’alexandrin,

    Ce vers souple et lier aux belles résonnances,
    Où l’idée est à l’aise et prend les contenances
    Qu’il lui plait, ce grand vers majestueux et doux,
    Et que Pierre Corneille, un autre de chez nous,
    A fait vibrer si clair et si haut.

    (À Alexandre de Bernai, dans Gilles et Pasquins.)
  93. Le même passage du sonnet à la stance s’est accompli aussi en Italie un peu plus tôt (voy. Vianey, dans la Revue d’hist. litt. 1904, p. 159).
  94. La Pinchère, préface de la tragédie d’Hippolyte (cité par Hippeau, Les écrivains normands au XVIIe siècle, p. 114, n. I, et par Grente, Bertaut, p. IX).
  95. Saint-Évremond, t. V, p. 19 (Histoire de la langue et de la littérature française sous la direction de Petit de Julleville, t. V, p. 212).
  96. Saint Anselme (cf. G. Paris, Litt. norm. avant l’annexion).
  97. Advocacie Notre-Dame, ou la Vierge Marie plaidant contre le diable, poème du XVIe siècle en langue franco-normande (éd. A. Chassant, 1855).
  98. Rondeau ou la Vierge réfute
    Une disjonctive improbable.

    (voy. éd. Mancel, et Malh., éd. Lalanne, I, p. CXVI.)
  99. Expression de Lamartine, Entretien avec le lecteur, VI, en tête des Recueillements poétiques.
  100. Fontenelle, Dialogues des morts anciens avec les modernes, dial. IV (Platon à Marguerite d’Écosse) : « Je couvrais ces matières-là d’un galimatias philosophique. »
  101. Flaubert, Corresp., 4e s., p. 225 (lettre à Georges Sand). Il est assez curieux que Flaubert se soit senti attiré par Carthage, et Louis Bouilhet par la Chine, plutôt que par l’Athènes antique.
  102. Sénèque, Épître LXXXVI, 2 (cf. Malh., II, 671).
  103. Art poétique, IV, éd. Gidel. Voy. surtout la préface de Pompée, où Corneille explique son admiration pour Lucain. Huet, Origine de Caen, 1706, 366, chap. XXIV : « Le grand Corneille n’a avoué, non sans quelque peine et quelque honte, qu’il préféroit Lucain à Virgile ». V. aussi le Huetiana, p. 177. Montausier jugeait comme Corneille : « Montausier traduisit Lucain, qu’il déclarait supérieur à Virgile » (Gérard du Boulan, L’énigme d’Alceste, Paris, Quantin, 1879, p. 9). — Le paraphraste ampoulé de Lucain, Brébeuf, est un Normand. Cf. Bataillard, Lucain, son poème et ses traducteurs (Extrait des Mémoires de la Soc. d’agric., sciences, arts et belles-lettres de Bayeux, 1861), p. 15. — On a souvent remarqué aussi que les Latins que Corneille admire le plus se trouvent être de verbeux Espagnols. — Flaubert nous dit de Bouilhet (Œuvres de Bouilhet, p. 302) (et ce pourrait être vrai d’autres plus anciens et plus illustres) : « Ce qu’il préférait chez les Grecs, c’était l’Odyssée d’abord, puis l’immense Aristophane, et parmi les Latins, non pas les auteurs du temps d’Auguste (excepté Virgile), mais les autres qui ont quelque chose de plus roide et de plus ronflant, comme Tacite et Juvénal. Il avait beaucoup étudié Apulée ».
  104. Saint-Évremond, Réflexions sur les Romains (éd. 1795, Paris, Renouard), p. 3.
  105. V. Hugo, Les Contemplations, liv. I, IX (éd. Hachette, 1884, t. I, p. 44). De même Casimir Delavigne, cherchant quel poète français il pourrait mettre à côté de Virgile et du Tasse, songe tout d’abord à Corneille, chantre de Pompée et de Cinna, et s’écrie :

    Chantre de ces guerriers fameux,
    Grand homme, ô Corneille, ô mon maître,
    Tu n’as pas habité comme eux
    Cette Rome où tu devais naître ;
    Mais les dieux t’avaient au berceau
    Révélé sa grandeur passée,
    Et, sans fléchir sous ton fardeau,
    Tu la portais dans ta pensée.

    (Messéniennes de 1827.)
  106. Bourrienne, Malherbe, points obscurs et nouveaux sur sa vie normande, p. 156. Reconstruisant sa maison en 1582, il y fit mettre l’inscription : larium arirorum memoriae.
  107. Sur ce point, v. Grente. Jean Bertaut, pp. 5-10
  108. Malh., I, 60. Cette expression, du reste, est aussi bien dans l’esprit de la poésie au XVIe siècle. — Il ne faut pas aller jusqu’à chercher (Compayre, Histoire critique des doctrines de l’éducation en France, 1, 421 ; G. Renard, La méthode scientifique de l’histoire littéraire ; une des causes du style classique dans l’usage des cahiers du rhéteur Aphthonius, fort en vogue dans les écoles au commencement du XVIIe siècle.
  109. Malh., I, 229.
  110. V. Les poésies de Malherbe avec les observations de Ménage (2e éd., 1689), p. 431. Malherbe à Paris continue à se dire le « très affectionné serviteur » de du Périer (Malh., III, 8, 12, 15, 19 et passim) et il corrige même une harangue écrite par le fils de ce du Périer (IV, 124 et n. 1 et 125).
  111. Malh., I, 69. Le pluriel bontés touchées n’est évidemment amené que par la rime et a du reste été critiqué par l’Académie. — Malherbe paraît moins heureux quand il invente lui-même le début de l’« Ode pour le roi allant châtier les Rochelois », qui commence par des métaphores incohérentes.
  112. V. les Lettres de Peiresc (éd. Tamizey de Larroque, Collection de documents inédits pour servir à l’histoire de France), t. VI, p. VI et P. 177. Sur l’importance des traductions de Du Vair, v. Ch. Urbain, Nicolas Coeffeteau (Paris, thèse, Thorin 1893), p. 263. Le P. Goulu (Lettres de Phyllarque, t. I, p. 332 à 334, cité par Urbain, o. c., p. 294) met encore au même rang « les écrits de ces hommes illustres, les évêques de Genève et de Marseille, de M. du Vair et même de M. de Malherbe ».
  113. Lettres de Peiresc, t. V, p. 30-31 (6 sept. 1624).
  114. Racan, Vie de Malherbe (Malh., éd. Lalanne, t. I, p. LXXX).
  115. Voltaire, Dictionnaire philosophique, art. Goût.
  116. Histoire de la littérature française (8e éd. 1903), p. 389.
  117. Le lyrisme, ou du moins la poésie de Bossuet, mise en lumière par M. Brunetière, avait déjà frappé Vauvenargues : « Il y a plus de poésie dans Bossuet que dans tous les poèmes de La Motte » (Réflexion 303). — L’idée de la rénovation de la poésie par la Bible, développée par le même critique (notamment dans l’Évolution de la poésie lyrique au xixe siècle, 3e éd., I, p. 115), se trouve dans une page curieuse de Louis Veuillot, que me signale mon excellent maître M. Henri Francotte : « Les eaux de Jouvence de la poésie coulent dans la Bible, et ces eaux semblent particulièrement destinées à la poésie française, qui doit être une poésie raisonnable, parce que la langue française est une langue raisonnable. De là, l’universalité du génie français. Génie d’imitation si l’on veut (je dirais plutôt génie d’assimilation), et cette qualité lui constitue une originalité incomparable. Le Français voit dans ce qu’il imite ce que les autres ne voient pas, et le leur fait voir. Ainsi Claude Lorrain imitait la nature et Raphaël la physionomie humaine » (Correspondance de Louis Veuillot, VII, p. 354).
  118. Voir par exemple G. Grente, Jean Bertaut, pp. 216-222. La mode, qui sévit déjà au XVIe siècle, se perpétuera chez les poètes de toute la période classique. Autour de Malherbe même tous paraphrasent : Bertaut d’abord, plus tard Racan (v. Arnould, Racan, p. 485) et même les dames (la vicomtesse d’Auchy entreprend de paraphraser saint Paul). Plus tard Bois-Robert paraphrase encore.
  119. Régnier, Satire IX.
  120. Sauval, Antiquités de Paris, t. I, p. 324, cité par Lalanne, Notice biographique (éd. de Malherbe, I, XLII, n. 3).
  121. Vie de Malherbe (I, p. LXXXVIII). Malherbe dit souvent aussi, comme Coeffeteau : bonus animus, bonus Deus, bonus cultus, voulant dire « que bien vivre est bien servir Dieu » (Racan, Vie de Malherbe, et lettre de nov. 1656, éd. Tenant de Lacone, Paris 1857, t. I, p. 329 ; v. Urbain, Nicolas Coeffeteau, Paris, thèse, Thorin 1893, p. 201 et n. 2) ; il rabroue un huguenot qui veut l’intéresser aux controverses religieuses (Vie de Malherbe).
  122. Menagiana, III, 91.
  123. Arnould, Anecdotes inédites sur Malherbe ; Tallemant des Réaux, Historiettes, 3e éd. (de Monmerqué et P. Paris), t. I, p. 283.
  124. Malh., III, 306 et n. 8. Cette phrase, qui est sur un feuillet séparé, semble se rapporter, d’après M. Lalanne, à la guerre des Princes de 1614 ou de 1615 : en ce cas elle serait venue probablement sous la plume de Malherbe à propos de sa paraphrase du psaume CXXVIII, écrite à l’occasion de cette guerre.
  125. Malh., I, 63. Cf. Sénèque, De beneficiis, IV, 5 (trad. Malh., II, 94).
  126. Malh., III, 258, et I, p. XXVII, n. 2 (Not. biogr.) ; cf. Poésies de Malherbe avec les observations de Ménage, 2e éd. (1689), p. 212.
  127. Super tergum meum araverunt aratores (verset 3) : cf. Malh., I, 207, v. 10-12.
  128. Malh., I, 208, v. 19-24. — Il a été moins heureux ici que dans la consolation à du Périer ; il rend assez longuement l’idée de la brièveté de la vie comparée à celle de l’herbe :

    ........
    Et vivre une journée
    Est réputé pour elle une longue saison.

    Une pensée semblable devait être reprise à la Bible, et exprimée plus sobrement, par Bossuet, Oraison funèbre de Henriette-Anne d’Angleterre, 1er partie : « Madame cependant a passé du matin au soir ainsi que l’herbe des champs ».

  129. Malh., I, 419.
  130. Arnould, Anecdotes inédites sur Malherbe, p. 43 ; id., Racan, p. 162 ; cf. Tallemant des Réaux, Historiettes, 3e éd. (de Monmerqué et P. Paris) t. I, p. 287. Malherbe répondait ainsi à l’avance aux reproches que Balzac adressera à ses contemporains : « Ô rhétoriciens… qui faites des paraphrases…, qui vous a dit que les prophètes et les apôtres soient de votre humeur ?… Ne pensez pas leur faire plaisir, de leur prêter si libéralement, et sans qu’ils en aient besoin, vos épithètes et vos métaphores… » (Balzac, Socrate chrétien, Discours septième.)
  131. Desportes, éd. Michiels, p. 516.
  132. Psaume XXXVI.
  133. Brunot, La doctrine de Malherbe, p. 89, et l’exemplaire de Desportes avec notes de Malherbe conservé à la Bibliothèque nationale à Paris (Inv. rés. Ye 2067).
  134. V. Bourbienne, Malherbe, points obscurs et nouveaux de sa vie normande, p. 193. — Cette citation qu’aime à faire Malherbe fait songer qu’aussi « La Harpe, devenu dévot, aimait à citer les psaumes » (Sainte-Beuve, Critiques et portraits, 2e éd., III, 17).
  135. Malh., I, 273.
  136. Sur les poésies bibliques de Malherbe, voir entre autres Delfour, La Bible dans Racine, Introduction.
  137. Malh., I, 274. C’était une idée familière aussi à Ronsard (éd. Blanchemain, I, 260, III, 287, 389 et surtout VII, 36 et 37 ; cf. H. Guy, Les sources françaises de Ronsard (Revue d’histoire littéraire de la France, 1902, p. 238). — Corneille dira (Le Cid, v. 157) :

    Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes,


    et Racine appliquera à un de ses héros la même pensée :

    Triste destin des rois ! Esclaves que nous sommes
    Et des rigueurs du sort et des discours des hommes.

    Iphigénie, I, 5).
  138. Rien n’est plus fréquent dans Ronsard que cette idée antique de l’âme vivant là où repose le corps : il l’applique, comme ici Malherbe, aux rois (Ronsard, éd. Blanchemain, t. VII, p. 11), à François Ier (ibid., p. 37) et à lui-même dans son fameux sonnet à Hélène. Cf. Malh., I, 41, 360.
  139. Sur cette discussion, voir éd. Ménage (2e, 1689), p. 220-223.
  140. Malh., I, 218.
  141. « Prière pour le roi allant en Limousin » (Malh., I, 74).
  142. Racan, Vie de Malherbe (Malh., éd. Lalanne, t. I, p. LXXVII).
  143. Racan, l. c., p. LXXII.
  144. Ibid., p. LXXIV.
  145. Malh., I, 276 ; cf. Souriau, L’évolution du vers français au XVIIe siècle, p. 83.
  146. Renan croyait qu’il y avait à ces entreprises un obstacle inhérent à la différence des poésies sémitique et française : « Le rythme de la poésie sémitique consistant uniquement dans la coupe symétrique des membres de phrase, il m’a toujours semblé que la vraie manière de traduire les œuvres poétiques des Hébreux était de conserver ce parallélisme que nos procédés de versification fondés sur la rime, la quantité, le nombre rigoureux des syllabes défigurent entièrement » (E. Renan, Préface de Job).
  147. Henri Estienne, Conformité de la langue grecque, éd. Feugère, p. 18.
  148. La Bruyère, Des jugements, 19.
  149. Cf. Egger, L’hellénisme en France, t. II.
  150. Nisard, Histoire de la littérature française, I, 404 (dernière éd.).
  151. Vie de Malherbe (Malh., éd. Lalanne, I, p. LXX).
  152. L’anecdote de Mlle de Gournay, et la vogue curieuse qu’eut l’expression à la grecque (Menagiana, 1715, t. 2, p. 344).
  153. Malh., II, 9 (trad. du Traité des Bienfaits, I, 4).
  154. Malh., II, 8 (De Benef., I, 3).
  155. Sur les écoles de Caen, où Malherbe fut le condisciple de Bertaut, voir G. Grente, Jean Bertaut, pp. 5-10. — L’assertion que Malherbe ne savait pas le grec se trouve encore répétée par M. Emm. des Essarts (rendant compte du Rapport sur la poésie française depuis 1867 par Catulle Mendès) dans le Journal des Débats, 7 novembre 1903. — Par contre M. Souriau (Évolution du vers français au XVIIe siècle) dit que Malherbe était helléniste.
  156. Commentaire (Malh., IV, 396). De même IV, 434. Il emploie aussi ἀπὸ κοινοῦ (IV, 396).
  157. Ainsi Malh., II, 303 et 304.
  158. Malh., III, 313.
  159. III, 454.
  160. IV, 455.
  161. III, 351 (lettre de 1613). Le texte d’Hésiode portait : πτωχῷ φθονέει.
  162. III, 432.
  163. IV, 104 et 109. Évang. selon St Luc : Συγχαίρητέ μοι, ότι εύρον (XV, 6 et 9) ; Iliade VI, 142, et I, 18.
  164. IV, 91.
  165. I, 305.
  166. I, 280.
  167. Voir notamment Egger, L’hellénisme, t. II, p. 36 et 37 et note.
  168. III, 355. Il ne serait pas plus surprenant de le voir utiliser de telles sources que de le voir s’intéresser aux Centuries de Nostradamus (III, 121 et 531). Des adages relevés par Érasme se retrouvent chez les poètes ; cf. par ex. Chiliade 2, Centurie 5, adage 47, et Ronsard, éd. Blanchemain, VII, 308, et Régnier, Satire I, v. 79. — Voir aussi, à ce sujet L. Delaruelle, Ce que Rabelais doit à Érasme et à Budé, dans la Revue d’histoire littéraire de la France, avril-juin 1904.
  169. I, 209.
  170. Virg., Georg., I, 383 sqq.
  171. Épître XLIII, §2 (trad. Malh., II, 494 sqq.).
  172. IV, 131. Sur la diffusion des œuvres de Lucien au XVIe s., v. L. Clément, H. Estienne et son œuvre française, p. 91, n. 3.
  173. Montaigne, Essais. II, 10.
  174. Trad. de Gusman d’Alfarache, avec Avertissement (par Chapelain ?), Rouen 1633.
  175. Plutarque, Vie de Thémistocle, chap. XVIII.
  176. Malh, IV, 74.
  177. Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, 13, p. 411 et note.
  178. Poésies de Malh. avec commentaire de Chénier, p. 43.
  179. Vauquelin de La Fresnaye, Art poétique, III (éd. Travers, t. I, p. 105).
  180. Montaigne, Essais, II, 10.
  181. Ibid., I, 24.
  182. Colletet, Discours sur l’éloquence, dit. Grente, Jean Bertaut, p. 341. — De même on lit dans les Jugements des savants ce Baillet (éd. revue par La Monnoye, Amsterdam 1725), à l’article : Malherbe (t. IV, p. 195) : « On peut dire aussi qu’on lui trouve l’esprit de Sénèque en divers endroits ; il l’avoit beaucoup étudié et traduit même en notre Langue, c’est ce qui lui avoit rendu ses sentimens plus familiers, et qui a contribué beaucoup sans doute à rendre sa Poësie si touchante, si animée et si consolante lorsqu’il parle de la mort ou des adversités de la vie ».
  183. Réédité dans De La Rue, Essais historiques sur les Bardes les Jongleurs et les Trouvères normands et anglo normands, t. III, fin.
  184. J’ai déjà présenté ces observations dans un article du Musée Belge (1903) sur l’influence de Sénèque le Philosophe ; M. Stemplinger, rendant compte de mon étude — avec une extrême bienveillance, du reste — dans la Zeitschrift für französische Sprache und Litteratur (1904), estime que je n’ai pas prouvé l’impossibilité d’attribuer le Bouquet à Malherbe : c’est qu’en effet cette impossibilité me paraît établie dans l’édition Lalanne, et est, depuis M. Lalanne, généralement admise. Comme on l’a observé, Malherbe n’aurait pu écrire en 1590 les vers du Bouquet :

    Si mes parents sont morts…

    Au reste, les fausses attributions du brave abbé De la Rue sont légion.

  185. Racan (l. c., p. LXX). — Nous laissons naturellement de côté l’influence de Sénèque sur l’art dramatique ; l’étude de cette question a été entreprise par M. Karl Bœhm (Münchener Beiträge zur rom. u. eng. Philol., XXIX).
  186. Malherbe, éd. Lalanne, t. I, p. 467 sqq., et t. II en entier.
  187. Malh., II, 261.
  188. Racan (Malh., I, p. LXXXVI). Quand, en 1615, il reçoit le Sénèque que lui a envoyé son cousin de Boutonvilliers, il semble ne plus rien avoir à apprendre dans cet exemplaire : « Si j’eusse cru qu’il n’y eût que cela, je ne l’eusse pas demandé » (Malh., IV, 4.0). Travaillait-il en ce moment à sa traduction, ou était-il occupé à la revoir ? — Il a dû y mettre bien des années s’il n’allait pas plus vite que pour ses écrits originaux.
  189. Malh., I, 215, v. 146-150. Cf. aussi le vers de Varron d’Atax traduit par Malherbe (II, 467) : « Le repos de la nuit avait tout assoupi », et la page qui suit, et ces vers de Malherbe (I, 160) :

    Comme la nuit arrive, et que par le silence,
    Qui fait fies bruits du jour cesser la violence,
    L’esprit est relâché…

  190. Malh., II. p. 96 (De Benef., IV, 6).
  191. Malh., II, 722 (Géorgiques, I, 125-128).
  192. Malh., II, 671.
  193. id., II, 598. Tel vers aussi fait songer à Racan, le disciple de Malherbe :

    Au gré de mes destins mes jours sont achevés (II, 157).


    Tels autres ont une vigueur cornélienne :

    Vierge, cela n’est rien : tu ne m’as annoncé
    Ni travaux ni combats où je n’eusse pensé (II, 594).

  194. Vie de Malh. (Malh., I. p. LXXXVI).
  195. De Beneficiis, l. VII, c. 2.
  196. Malh., II, 217.
  197. id., II, 420.
  198. Par exemple II, 543. Cette image était familière aux poètes du temps, notamment à Régnier (Satire IV, v. 125, et Sat. XI).
  199. II, 420, 428 et passim.
  200. II, 390.
  201. Épître XXXIII, 1.
  202. Malh., I, 465. À cet égard, c’est sa traduction de Sénèque plus que celle de Tite-Live qui fait époque dans l’histoire de la traduction française (v. Egger, L’hellénisme, II, p. 126).
  203. Réimprimé dans le t. I de l’éd. Lalanne. Malh. aurait sans doute appliqué aux idées qu’il empruntait à Sénèque le mot qu’il traduit de l’Épître XII : « Quand les choses sont parfaitement bonnes, tout le monde a droit d’en prendre sa part » (Malh., t. II, p. 305), ou celui-ci : « Envoyez vos yeux où vous voudrez, vous rencontrerez toujours quelque trait qui vous semblera triable ».
  204. Hippolyte, III, 4.
  205. Médée, I, 4.
  206. Thébaïde, I, 1. Rien, d’ailleurs, n’est plus fréquent dans la poésie antique ; encore n’est-il pas sans intérêt de voir auquel des anciens les poètes français empruntent le plus souvent cette prosopopée.
  207. Malh., I, 78.
  208. Iphigénie, V, 4, La prosopopée de Clytemnestre contient la même idée que celle de Malherbe, et elle fait, comme celle-ci, rimer Atrée et contrée, et met festin à la fin d’un vers. — V. Iphigénie, éd. Lanson.
  209. Ainsi dit la traduction de Sénèque (Malh., II, 116). Si la même idée est aussi dans l’Évangile selon St Mathieu (V, 4), la suite des vers de Malherbe se rattache plus exactement aux dissertations philosophiques, plus familières à Malherbe que les Évangiles.
  210. Malh., I, 78.
  211. Malh., II, 118, 119 et passim.
  212. id., II, 248.
  213. Ibid., et II, 4.
  214. Malh., II, 479.
  215. Cité par Brunot, l. l., p. 65.
  216. Malh., I, 24. C’est ce que Ronsard avait dit avec non moins de majesté dans son Discours des misères de ce temps (t. VII, p. 33) :

    Car le bien suit le mal comme l’onde suit l’onde,
    Et rien n’est assuré sans se changer au monde.

    Ces vers étaient entre […] dans les vers de Ronsard : au XVIe siècle, la poésie française avait le tort de ne penser qu’entre parenthèses.

  217. Malh., II, 362.
  218. II, 599.
  219. Larmes, éd. dans Gasté, La jeunesse de Malherbe, p. 38.
  220. Malh., I, 25. Ce n’est là, si l’on veut, qu’un lieu commun qu’il aurait pu, comme Racan, trouver dans Horace (À Torquatus, IV, VII ; Racan, Ode à M. de Termes ; Arnould, Racan, pp. 95, 96 et n. 1), ou chez un autre, ou dans sa propre réflexion ; mais le nombre seul des idées communes au philosophe et au poète rend vraisemblable l’influence de Sénèque sur son traducteur.
  221. Essai sur les règnes de Claude et de Néron, pour servir d’introduction à la traduction de Sénèque par Lagrange. (Diderot, éd. Assézat, t. III, p. 371).
  222. Malh., lettre parlant de Du Vair (III, 251).
  223. Racan, o. c., p. LXXVI. Malherbe écrit lui-même : « J’estime si peu le monde… » (IV, p. 45, lettre du 2 août 1618). Il parlait savamment de philosophie (v. Grente, p. 245).
  224. Rabelais, Gargantua, I, 1. Montaigne, Essais, I, 24, qui traduit un passage du Théétète de Platon. La même idée se retrouve à peu près dans La Bruyère, De quelques usages, 12.
  225. Racan, LXXVI.
  226. Malh., II, 420.
  227. V. Malh., I, 332-334, III, 6, 596-598 ; et Malherbe par le duc de Broglie, pp. 7-11.
  228. Racan, l. c., p. LXIX.
  229. Ibid., LXX.
  230. Ibid., LXXVII.
  231. On voit que cette question avait été posée longtemps avant l’Académie de Dijon, et que Sénèque y avait répondu avant Rousseau, qui s’est abondamment souvenu du philosophe latin : la « philosophie renouvelée d’Omar », que Volney reproche à Rousseau, est plutôt une philosophie renouvelée de Sénèque.
  232. Malh., II, 687. De même P. 686 : « Ce sont métiers mercenaires, qui préparent l’esprit s’il passe par-dessus, et le gâtent s’il y croupit ». Cette célèbre épître porte dans Malh. le no LXXXVIII, qu’elle a encore dans la traduction allemande de Lehmann (1816).
  233. Pantagruel, 5e livre, chap. XXXVI (éd. Marty-Laveaux, t. III, p. 143).
  234. Œdipe, III, 5.
  235. Malh., II, 322.
  236. IV, 75.
  237. I, 43 (derniers vers). C’est ce qu’avait dit aussi Desportes dans une élégie dont l’auteur des Stances à Du Périer paraît s’être souvenu, comme on verra plus loin.
  238. Cf. Du Bellay, Contre les pétrarquistes, dans les Jeux rustiques (éd. Marty-Laveaux, p. 333-4). Pascal, Pensées (éd. Havet), VII, 25.
  239. Essais, I, 24 (Du pédantisme).
  240. Montesquieu, Lettres persanes, lettre XXXIII.
  241. Acte IV, scène xiii.
  242. Ch. Urbain, Nicolas Coeffeteau, p. 252.
  243. Malh., III, 450.
  244. G. Grente, Jean Bertaut, p. 171-172, et p. 211.
  245. Pour cette Consolation, Malherbe avait utilisé Sénèque, et aussi les « consolations » écrites à l’occasion du deuil de la princesse (v. Urbain, p. 251).
  246. Ad Marciam, VI ; la C. ad Marciam a été utilisée par Coeffeteau.
  247. Malh., I, 33-34.
  248. I, 269-271. Le président était remarié quand arriva la pièce de vers qui devait le consoler de son veuvage. Ce n’est pas à dire que Malherbe eût mis trois ans à la faire, comme on l’a prétendu, et comme on le répète encore.
  249. I, 276.
  250. De même à Caritée qui a perdu son mari il rappelle tous les jeunes maris qui sont morts à la guerre de Troie. Sur « Priam, François Ier et Malherbe », voyez la plaisanterie de Balzac dans son Entretien I.
  251. Malh., II, 360.
  252. Malh., I, 40.
  253. Malh., II, 494.
  254. Sénèque citait ici Virg., Énéide, III, 73 : Terræque urbesque recedunt.
  255. Malh., II, 536.
  256. I, 41.
  257. Malh., I, 271.
  258. I, 287. Cf. la même image en parlant de l’État (Malh., I, 70, v. 23, et p. 393 ; et Racan, l. c., p. LXXIV).
  259. Cette tournure, qui n’apparaît qu’une fois dans les vers de Malherbe, et une fois dans une de ses lettres (t. IV, p. 115), se trouve deux fois dans la traduction du Traité des Bienfaits (t. II, p. ). Malherbe a employé ailleurs : fertile en. Du Bellay disait encore : fertile de bons poètes (Def. et Illustr., chap. XI, éd. Person, p. 93).
  260. Malh., I, 801. Cf. aussi I, 21. v. 11 et 12.

    Montchrestien disait de même de la vie humaine :

    C’est une nef poussée
    De l’orage du monde et des flots du destin.

    (David, Tragédie, acte IV, chœur, éd. elzév., p. 226.)

    C’est donc probablement à Sénèque qu’il faudrait reporter le mérite que M. Paul Bourget fait aux Pères de l’Église, d’avoir comparé la vie à une traversée.

  261. Malh., I, 69, 261, IV, 101-105.
  262. id., I, 2, 23, 100, 163, 179, 183, 302, 303, 392.
  263. Malh., II, 544.
  264. I, 356.
  265. I, 288.
  266. Malh., II, 527. De même, l’âme est « comme délivrée de prison » dans la traduction des Questions naturelles (Malh., I, 471). Cf. aussi Malh., II, 355, et 551.
  267. Racan, l. c., p. LXXVI.
  268. Malh., II, 687.
  269. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. 13, p. 138.
  270. Trad. Malh., II, 671-672. C’est au point de vue de la vérité, ou de la vraisemblance, que se placeront tous les contempteurs de Virgile, jusqu’à Napoléon Ier (Correspondance, t. XXXI)
  271. Racan, l. c., p. LXXI.
  272. Malh., II, p. 8.
  273. Malh., II, 10 et note (De Benef., I, 4) : baye = tromperie qu’on fait à quelqu’un pour se divertir (Dict. de l’Acad., 1694).
  274. Ibid., p. 10.
  275. Ibid., p. 8.
  276. Malh., II, p. 9 (De Benef., I, 3).
  277. Baïf (éd. Becq de Fouquière, p. 293) recommande déjà à Desportes « plus de sens et moins de savoir », et du temps de La Fontaine on demande encore à l’écrivain

    Qu’il cache son savoir et montre son esprit.

    (La Font., éd. Régnier, IX, 373)

    Malherbe préfère, comme Montaigne, une tête bien faite à une tête bien remplie ; l’expression « tête bien faite » se trouve dans la traduction de Sénèque (Malh., II, 361).

  278. C’est à peu près, comme on voit, le mot de Malherbe à Racan, c’est-à-dire celui de Sénèque sur la poésie en général. « Mettre un mot en sa place » est si bien la leçon donnée par Malherbe au XVIIe siècle, qu’on la retournera contre Malherbe lui-même en lui reprochant avec un pédantesque souci de symétrie, de n’avoir pas mis un complément à « verre » comme à « onde » dans :

    N’espérons plus, mon âme…

    La Fontaine reproche aussi à Ronsard d’« arranger mal ses mots » (éd. Régnier, IX, 373).

  279. A. de Musset, Idylle (Poésies nouvelles, p. 122).
  280. Sully-Prudhomme, Stances et Poèmes, I, p. 8.
  281. Mlle De Gournay, Dédicace au roi des Versions de Virgile (1619), cf. Ch. Urbain, Nicolas Coeffeteau, p. 263, et G. Grente, Jean Bertaut, p. 269 sqq. — C’est encore pour lire Virgile que Catherine de Vivonne eut un moment l’idée d’apprendre le latin (voy. G. Lanson, Littérature française et littérature espagnole au XVIIe siècle, dans la Revue d’histoire littéraire de la France, 1896, p. 49).
  282. Virg., Énéide, XI, 63. Balzac, Entretien XXXII.
  283. Malh., II, 112, 484, IV, 77, 377, 468. Une sentence de Virgile se trouve même adaptée (Malh., III, 34) de façon à faire, comme dira un Malherbe policé,
    Au latin dans les mots braver l’honnêteté.
  284. Malh., II, 241. Sénèque, De Benef., VII, 23.
  285. C’est au point que Racan (Malh., I, LXX) ne le mentionne même pas dans la liste des Latins que son maître « estimait ». — Malherbe reprenait en Virgile l’expression Euboïcis Cumarum allabitur oris : « C’est comme si on disoit : aux rives françaises de Normandie ». (Arnould, Anecdotes inédites sur Malherbe, p. 37 ; Racan, p. 59). — Virgile était du reste appris par cœur au XVIIe siècle (Mennung, Sarasin’s Leben u. Werke, t. I, p. 25).
  286. Malh., I, 229. — Ménage (éd. de Malh. avec commentaire, p. 529) « a ouï dire à Racan que Malherbe sur la fin de ses jours préféroit cette pièce à toutes ses autres ».
  287. I, 215.
  288. i, 231 et 232. Pan est le maréchal d’Ancre. Mopsus est le nom d’un berger de Virgile, et aussi, du reste, de deux devins ; un personnage du même nom figure dans l’Aminte de Tasse, dont Malherbe s’est peut-être souvenu plus que de Virgile ; — et son Arcadie se ressent probablement de celle de Sannazar.
  289. i, 229. Cf. Virg., Égl. IV, 58 et 59 :
  290. Racan, l. c., p. LXXXVI.

    Pan etiam Arcadia mecum si judice certet,
    Pan etiam Arcadia dicat sejudice victum.

  291. Égl. IV, v. 8 et 9.
  292. Malh., I, 5.
  293. Ronsard (éd. Blanchemain), t. IV, p. 79. Régnier, Satire I, v. 27-30. Virg., Égl. IV, v. 30 : Et durae quercus sudabunt roscida mella. De même Ov., Met., I, 112.
  294. Malh., I. 215. cf. Virg., Égl. IV, 28 et Ov., Met., I, 110.
  295. « Le froment jaunira par leurs blondes campagnes. » (Rons., IV, 25.)
  296. Virg., Égl. IV, 24.
  297. Malh., I, 232. « Aconite » pour : poison en général se trouve aussi dans Virgile, et dans (Ov., Met., I, 147), et dans Ronsard (t. IV, p. 24).
  298. Malh., I, 232-233.
  299. O. c., p. 532.
  300. Entretien V, chap. 2.
  301. Malh., I, 70.
  302. id., I, 71.
  303. id., I, 73.
  304. Molli paulatim flavescet campus arista (Égl. IV, 28).
    Non rastros patielur humus, non vinea falcem
    (IV, 40).

  305. Sur l’influence de ce passage sur Racan, voy. Arnould, Racan, p. 158, n. 2.
  306. Ipsa tibi blandos fundent cunabula flores
    ...............
    Incultisque rubens pendebit sentibus uva.

  307. Malh., I, 74. La Prière de Malherbe compte exactement le double de vers de l’Églogue : 126 (Égl. 63).
  308. Poésies de Malherbe, éd. Saint-Marc (1757), p. 448.
  309. Brunot, l. c., p. 54.
  310. Gasté, La jeunesse de Malh., p. 45.
  311. Malh., I, 151 : cf. inscripti nomina regum flores dans les vers 106 de l’Églogue III de Virgile, dont Malherbe cite le vers 103 dans son commentaire sur Desportes (IV, 468) : « Si quelqu’un me démêle ceci, erit mihi magnus Apollo. »
  312. Quis talia fando
    Myrmidonum Dolopumve aut duri miles Ulyssi
    Temperet a lacrymis ?

    (Énéide, II, 6-8).
  313. Je n’ay plus que les os, un squelette je semble…

    Ronsard, t. VII, p. 312.
  314. Desportes, éd. Michiels, p. 493.
  315. Malh., I, 164.
  316. Les pleurs de la reine,
    C’est la Seine en fureur qui déborde son onde
    Sur les quais de Paris (I, 479).

    De même déjà la mère de Geneviève Rouxel « épuisait son cerveau en un ruisseau de pleurs » (Gasté, o. c., p. 43), et une Consolation retrouvée dans l’exemplaire de Martial de Malherbe (Bourrienne, o. c., p. 195) dit que consoler la personne éprouvée c’est affronter l’orage de la mer Égée. C’était là une tradition poétique qui remontait à la Pléiade (Du Bellay, Olive, sonnet 95 ; Chamard, J. Du Bellay, p. 187) et à l’Italie.

  317. Malh., I, 179.
  318. id., I, 223.
  319. Énéide, IX, 434-436. On a encore voulu voir une réminiscence de ce passage dans les vers de Hérédia (Hist. de la l. et de la litt. fr. de Petit de Julleville, t. VIII, p. 44).
  320. Énéide, XI, 63.
  321. Come fior colto (Pétrarque, In morte di Madonna Laura, canz. III, pièce 6, v. 10).
  322. Jérusalem délivrée, chant XX, CXXVIII, v. 5 et 6 :

    Ella radea quasi fior di mezzo inciso
    Piegando il lento collo : ei la sostenne.

  323. Sonnet :

    Comme on voit sur la branche… :
    Mais batue ou de pluye ou d’excessive ardeur…

    Cf. Ronsard, t. I, p. 36 :

    Comme un beau lys, au mois de juin, blessé
    D’un rais trop chaud, languit à chef baissé,
    Je me consume au plus vert de mon âge.

    C’était du reste le lieu commun le plus rebattu de la poésie française du temps de Malherbe.

    Une grande quantité de ces images ont été groupées par M. H. Guy, Mignonne, allons voir si la rose… Réflexions sur un lieu commun (Bordeaux 1902).

  324. Brizeux, Marie, La chaîne d’or (Le convoi de Louise). Brizeux est imprégné de souvenirs de Virgile, ce qui s’explique par son éducation (v. Souriau, Les cahiers d’écolier de Brizeux, 1904). Sur l’image de la rose, voir plus loin le chap. VIII : Sources françaises.
  325. Desportes, éd. Michiels, p. 318.
  326. Sainte-Beuve, Portraits littéraires, t. I, p. 410.
  327. Montaigne, Essais, III, 5.
  328. Malh., I, 186 ; cf. Énéide, VI, 280.
  329. id., I, 93 et 110. Énéide, VIII, 77.
  330. id., I, 169.
  331. id., I, 114.
  332. id., I, 58.
  333. id., I, 33. Le souvenir de Mycènes, Malherbe l’aurait aussi bien trouvé dans Sénèque (Malh., II, 517).
  334. Voltaire, Candide, chap. XXV.
  335. Roman de la Rose, éd. Fr. Michel, v. 6470.
  336. Ronsard, t. II, p. 10, et 223, III, 285.
  337. C’est le tableau de la vie champêtre que Racan a goûté dans Horace, ou plus exactement dans une traduction d’Horace.
  338. Loc. cit., LXX. — Baillet, Jugements des savants (éd. revue par La Monnoye, Amsterdam 1725), t. IV, p. 195 (article : Malherbe) : « On peut dire après Mr. de Brieux qu’Horace étoit son unique Patron et le seul modèle sur lequel il vouloit se former. C’étoit, dit-il, l’ami du cœur de notre Poète, il ne se contentoit pas de l’avoir dans son cabinet, il l’avoit encore sous le chevet de son lit, sur sa toilette, aux champs, à la ville, et il l’appelloit ordinairement son Bréviaire, comme le racontoit souvent Mr. de Grentemesnil qui l’avoit connu particulièrement »
    (Mosanti Epist. ad calcem 2. partis Poëmatum, pag. 109).
  339. O. c., p. 469.
  340. Malh., IV, 251. (Hor., Odes, III, X, 14).
  341. Hor., Sat., I, V, 100-101.
  342. Malh., IV, 95.
  343. Desportes, p. 446.
  344. Malh., I, 318.
  345. I, 58. (Aux ombres de Damon).
  346. Épîtres, I, XVI.52.
  347. Malh., I, 71.
  348. Hor., Odes, I, IV, 13.
  349. Don Quichote, Prologue.
  350. Ronsard, II, 269.
  351. La comparaison du passage d’Horace et de la stance de Malherbe a fort occupé les critiques du XVIIe siècle ; chacun des deux poètes avait ses champions (Balzac, Entretien XXXI ; Ménage, o. c., 565 et 566). — Remarquons que Malherbe a dit dans une autre pièce (Aux Ombres de Damon, I, 58) :

    C’est un point arrêté, que tout ce que nous sommes,
    Issus de pères rois ou de pères bergers,
    La Parque également sous la tombe nous serre.

  352. Le même processus se reproduit dans tous les domaines, qu’il s’agisse des vers latins au XVIIe siècle ou des méthodes historiques au XIXe. Pourquoi les Français trouvent-ils une si grande différence entre la Vie de Jésus de Strauss traduite par Littré et la Vie de Jésus de Renan ? C’est que ce dernier a « nationalisé » beaucoup d’idées et de recherches allemandes, qu’il peint Jésus après avoir vu Lamennais et qu’il retrace la pensée des anciens Hébreux en montrant sinon « le Louvre » comme Malherbe, au moins « les Tuileries » : « Supposons un solitaire demeurant dans les carrières voisines de nos capitales, sortant de là de temps en temps pour se présenter au palais des souverains, forçant la consigne et, d’un ton impérieux, annonçant aux rois l’approche des révolutions dont il a été le promoteur. Cette idée seule nous fait sourire. Tel, cependant, fut Élie. Élie le Thesbite, de nos jours, ne franchirait pas le guichet des Tuileries ». (E. Renan, Vie de Jésus, éd. pop., 77e éd., p. 255).
  353. Roman de la Rose, v. 6473-6475.
  354. Cf. A. Kowal, L’Art Poétique des Vauquelin de La Fresnaye und sein Verhältniss zu der Ars poetica des Horaz. Programm der Stadtrealschale im III. Bezirke Wiens. Vienne 1902. Sur J. du Bellay et Horace, voyez Stemplinger, Joachim du Bellay und Horaz (Archiv für das Studium der neueren Sprachen und Literaturen, 1904, n. s., XII, 80-93).
  355. Vauquelin, Art Poétique, I (éd. Genty, p. 15). Régnier, Sat. VIII, v. 87, et XVI.
  356. Hor., Odes., l. I, XXVIII, v. 8.
  357. Ibid., l. II, XVI, v. 30.
  358. Malh., I, 40.
  359. Malh., I, 40 et 269. Panthoïden iterum Orco demissum (Hor., Odes, I, XXVIII, 10) ; illacrymabilem Plutona (Odes, II, XIV, 6-7), victima nil miserantis Orci (Odes, II, III, 24) ; Orcus non exorabilis auro (Épîtres, II, IV, 178-179).
  360. Infernis neque tenebris Diana pudicum
    Liberat Hippolytum.

    (Hor., Odes, I, IV, VII, 25 et 26).
  361. Malh., I, 270.
  362. Ronsard, II, 153. Cf. « las aguas del olvido » chez les poètes espagnols (Don Quichote, 2e p., chap. LXIX).
  363. Gasté, o. c., p. 35.
  364. Ibid., p. 45.
  365. Malh., I, 183. Cf. Balzac, Entretien XXXI.
  366. Odes, l. III, III, 11 et 12.
  367. O. c., p. 535.
  368. Malh., I, 150. Ronsard, VII, 64.
  369. Odes, l. I, XXVIII, 19.
  370. Hic tertius December, ex quo destiti
    Inachia furere, silvis honorem decutit

    (Épodes, XI, 5 et 6).
    December pour l’année Ep. I, xx, 27
  371. Malh., I, 278.
  372. Malh., I, 229.
  373. Odes, l. I, II.
  374. Odes, III, I, 29.
  375. Essais, III, chap. 9.
  376. Malh., (I, 211) allonge cette comparaison en périphrasant longuement « les étoiles ».
  377. Chamard, Joachim du Bellay, p. 59.
  378. La Fontaine, Fables, liv. III, f. XI.
  379. Racan, l. c., p. LXVII.
  380. Id., p. LXX.
  381. Malh., III, 333. Ovide, Héroïdes, I, 12.
  382. Des lunettes qu’a achetées la reine, il dit : « ce qui se fait pour les dieux… » (III, 109).
  383. Malh., III, 428. Ov., Tristes, II, 107 : Scilicet in Superis etiam fortuna luenda est.
  384. Essais, I, XXV.
  385. Malh., III, 363. L’auteur inconnu de cette note (qui écrit en 1613) ajoute : « il prévoyoit bien, le bon prince, qu’on les pratiqueroit après sa mort ».
  386. G. Paris, François Villon (Coll. des gr. écr.).
  387. Métam., I, 111.
  388. Malh., I, 298.
  389. Métam., XIII, 391-396.

    Ronsard adaptait cette histoire en disant de la mort de Henri :

    Et l’œillet sur sa feuille inscrivit ce malheur.

    (Ronsard, IV, 21).
  390. Dictionnaire, art. Malherbe.
  391. Ménage, o. c., p. 518.
  392. Malh., I, 279. Cf. Ov., Tristes, I, IX, 33 :

    Haec præcor evincat, propulsaque flantibus Austris
    Transeat instabiles strenua Cyaneas.

  393. Malh., I, 124, v. 267-270.
  394. I, 112.
  395. I, 167.
  396. I, 212.
  397. I, 261.
  398. I, 282. Desportes disait, dans sa paraphrase de l’Audivere Lyce :

    Pour revoir la jeune saison.
    Il faudrait les arts de Médée.

    (p. 447.)
  399. Malh., I, 113, v. 154, 217.
  400. Mét., XII, 628 : minor Atrides.
  401. Malh., I, 217.
  402. Rabelais, Pantagruel, 4e, chap. II.
  403. Malh., I, 53.
  404. Mét., XII, 609.

    Au reste, un professeur de Caen avait composé sur Achille des vers qui pour Ménage (p. 367-8) valaient ceux d’Ovide.

  405. Jam cinis est, et de tam magno restat Achille
    Nescio quid, parvam quod non bene compleat urnam.
    At vivit totum quæ gloria compleat orbem.
    (Mét., XII, 615 sqq.)

  406. Malh., I, 113. « Le tombeau », et non « l’urne » : en traduisant Sénèque, Malherbe remplace aussi l’idée d’incinérer par enterrer.
  407. Métam., I, où Daphné est appelée Pencia et Nympha Peneis.
  408. Malh., I, 226. Ce n’est que depuis Saint-Marc que cette pièce est ajoutée aux œuvres de Malherbe.
  409. Ronsard, I, 384.
  410. Ronsard, I, 91 et n. 2.
  411. Malh., I, 159.
  412. Bourrienne, o. c., p. 195.
  413. Malh., I, 32, v. 7-12.
  414. I, 153.
  415. « Or pour maintenant ne se dit point. Ce mot est la cheville ordinaire des vieux poètes françois ; surtout du Bellay s’en est fort escrimé. » Malh., IV, 463 (Commentaire sur Desportes). On connaît le sonnet de du Bellay où Jason n’était pas sans grâce :

    Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage
    Ou comme cestuy-là qui conquist la toison…

  416. Ronsard, I, 389.
  417. Gautier de Coinsi, L’empereriz de Rome, v. 1339. (Méan, Nouveau recueil de fabliaux, t. II, p. 43). Ovide, Amores, I, viii, v. 43 : Casta est quam nemo rogavit ; Brantôme cite ce vers (Dames galantes, 161) ; la même pensée est exprimée par Régnier, Sat. 13, v. 102 :

    Celle est chaste, sans plus, qui n’en est point priée.

    Elle l’avait été aussi par Boccace (Décamèron, 3e journée, 9e nouvelle).

  418. V. notamment, outre le livre de M. Vianey, l’édition de Macette, par les élèves de M. Brunot.
  419. Malh., I, 59 : Funere sæpe viri vir quæritur. (Ars Am., III, 431).
  420. Note de Muret (Ronsard, t. I, p. 100 : Amour et Mars sont presque d’une sorte…)

    Ov., Amores, I, élégie IX : Militat omnis amans, et habet sua castra Cupido.

  421. Ne fût-ce qu’en présence du témoignage de Muret, il est probable ici qu’Ovide est, plutôt que Guillaume de Lorris, le modèle de Ronsard, qui a du reste connu le Roman de la Rose : v. Guy (Revue d’histoire littéraire de la France, 1902, p. 143).
  422. Malh., I, 282. Ce souvenir de Mars et d’Amour est familier à Malherbe. Après la guerre de Clèves, il écrit à Peiresc : « La saison de Mars est passée ; nous sommes en celle d’Amour, qui règne fort absolument. Ils ne valent tous deux rien ; mais encore le beau-fils vaut mieux que le beau-père ». (Malh., III, 103).
  423. Malh., I, 282. Quae bello est habilis, Veneri quoque convenit aetas. (Ovide, Amores, I, IX, 3-4).
  424. Ne cherchez point cette déesse (la Fortune),
    Elle vous cherchera : son sexe en use ainsi.

    La Fontaine, Fables, VII, 12.
  425. L’orage en est cessé ; l’air en est éclairci (Malh., I, 157).

    Protinus ex illa parterisit, et aether
    Protinus ex illa parte serenus erat
    (Ov., Fastes, IV, 6).

  426. Malh., I, 297.
  427. Ite triumphales circum mea tempora, lauri.(Amores, II, XII, 1)
  428. Malh., I. 70. On a rapproché de ce passage celui d’Ovide :

    Frangit et altollit vires in milite causa ;
    Et nisi justa subest, excutit arma pudor.

    On avait depuis longtemps trouvé des idées graves dans Ovide ; on sait que l’imitation de Jésus-Christ lui emprunte une sentence.

  429. Boileau, Art Poétique, IV (allusion à Corneille).
  430. Racan, l. c., p. LXX. La liste de Racan est d’ailleurs fort incomplète. Ménage (p. 389-90) dit aussi : « Malherbe préféroit Stace à tous les autres poètes latins, comme nous l’apprenons des Mémoires de Racan. J’ai ouï dire la même chose de Monsieur Guyet ».
  431. V. Marty-Lavaux, Études de l. française, p. 173-174
  432. Malh., I, 33.
  433. Théb., I, 92 : Tænariae limen petit irrencabile portae.
  434. Én., VI, 24.
  435. Théb., IX, 160-1
  436. Théb., VII, 16.
  437. Malh., I, 211-2.
  438. Théb., III, 255-6.
  439. Sylves, l. V, ch. IV, v. 4-6.
  440. Malh., I, 211.
  441. Malh, I, 118, 168, 210.
  442. Rabelais, Pant., 4e l., chap. 2. Voir plus haut, chap. V, § III (Ovide).
  443. Malh., I, 113.
  444. Ibid.Stace, Achill., I, 102 : fulvoque nitet coma gratior auro.
  445. Dulcis adhuc visu… (Achill., I, 161).
  446. Racine, Iphigénie IV, I. Cf. Achilléide, II, v. 385-6 :

    Dicor… spissa leonum
    Viscera, semianimesque libens traxisse medullas

  447. Nouveaux lundis, t. 13, p. 380.
  448. V. Bourdienne, Fr. de Malherbe, points obscurs de sa vie normande, p. 193.
  449. Malh., I, 361, et n. 1. Martial avait dit : Qui fles talia, nil fleas, viator. La paternité de l’épitaphe est aujourd’hui établie (Mémorial généalogique des Malherbe dressé par le comte de Blangy, Caen 1902).
  450. Malh., I, 224.
  451. Malh., I, 24.

    O nox omnis et hora quæ notata est
    Caris littoris Indici lapillis.

    Martial, X, 38.
  452. Malh., I, 243.
  453. Ronsard avait aussi traduit certains fragments de Martial (Rons., t. VI, p. 417).
  454. Ronsard, t. I, p. 40 (Sonnet LXVII). C’est même devenu une manie, et J. Du Bellay dira (Contre les Pétrarquistes) :

    Cestuy, voulant plus simplement aymer,
    Veult un Properce et Ovide exprimer,
    Et voudroit bien encor se transformer
    En l’esprit d’un Tibulle…

    (Du Bellay, éd. Marty-Laveaux, t. II, p. 336)
  455. Commentaire sur Desportes (Malh., IV, 379)
  456. Lettre du 12 juin 1645 (citée par Moreau, éd. des Œuvres de Balzac, p. II) :

    Jam subrepet iners ætas, nec amare decebit,
    Dicere nec cano blanditias capite.

    (Tib., l. I, él. I, 71-2.)
  457. Malh., I, 210.
  458. Baïf, Diverses amours, l. II ; Tibulle, l. IV, él. II, v. 5-6.
  459. Malh., I, 132. Une foule d’exemples de la même idée se
    trouvent chez Ronsard et ses émules.
  460. Ronsard, VII, iii.
  461. Tib., II, V.
  462. Malh., I, 210. Le même passage de Tibulle a été imité par Colletet (Ménage, o. c., p. 382-3).
  463. A. Mennung, Sarasin’s Lehen und Werke, I, p. 26, constate encore la diffusion des poésies de Catulle au xviie siècle ; et les modèles de Maynard sont « Ronsard et Malherbe, Catulle et Martial, et Owen » (P. Lafenestre, Fr. Maynard, Rev. hist. litt. Fr., 1903, p. 459).
  464. Le Treize Juillet XXI (Poésies nouvelles). La pensée et la rime épée-trempée sont déjà dans Malh., I, 92.
  465. Malh., I, 74.
  466. Malh., I, 217. Dans un fragment sur la prise prochaine de la Rochelle, Malherbe proclame déjà que la ville n’est plus qu’un cimetière ; un autre poète disait aussi, à la même occasion : « Cette ville sera détruite… » (Lachèvre, Bibliographie des recueils de poésies publiés de 1597 à 1700, t. I, p. 404).
  467. I, 282.
  468. Iliade, VIII, v. 155-156 : ἀλλ οὐ πείσονται… Τρώων ἄλοχοι… (Si Hector t’appelle lâche) les épouses des Troyens que tu as tués ne le croiront pas.
  469. Racine, Iphigénie, V, 2. Malherbe se souvient volontiers de Thétis et de Pelée :

    Et Thétis n’y soupire point
    Pour avoir épousé Pelée.

    (I, 199.)
  470. Malh., I, 50.

    Non illi quisquam bello se conferet heros,
    Cum Phrygii Tenero manabunt sanguine rivi
    ....................
    Illius egregias virtutes claraque facta
    Sæpe fatebuntur gnatorum in funere matres.

    Catulle, Epithal. Pelei et Thetidos (pièce 64e), 349.

    Tous les contemporains de Malherbe sont aussi féroces que lui, même Bertaut (Disc. présenté au roi allant en Picardie, p. 108 ; v. Grente, p. 215). Ce n’est pas la seule fois que Malherbe a promis Memphis à la couronne de France (v. encore I, p. 196) ; il ne sait pas louer son roi, comme dit M. Lanson, sans lui promettre la conquête de l’Égypte ; il ne se lasse jamais de férocités homériques et de « funérailles plus que n’en fit Ilion » ; il veut ruser Turin (I, 55), voir le Rhin et la Meuse « regorger de sang et de morts » (I, 65), et « l’épée — Au sang barbare trempée » (I, 92), « les plaines pavées de morts » (I, 115), et parlant des ennemis il se promet, tel l’Agamemnon de l’Iliade,

    Que leurs pucelles captives
    En nos maisons fileront.

    (I, 815.)
  471. Boileau, Épîtres, I. Cf. Grente, Jean Bertaut, p. 124, et suiv.
  472. Les poésies de Catulle, trad. en vers français par Eug. Rostand, 2 vol., 1891.
  473. Catulle, V, 4-6. Malherbe paraît avoir songé à cette image en écrivant l’épitaphe de son premier fils (I, p. 360 : « mes yeux qui n’avoient vu la lumière que deux ans trois mois et sept jours… demeurèrent enveloppés d’une obscurité qui seroit éternelle sans l’espérance du jour du jugement » ).
  474. Ahi, tramontare soli e tornar ponno ;
    Ma s’una breve luce a noi s’ascose,
    Dormiam di notte oscura eterno sonno.

    (Rime diverse, VIIe p.) Le Garini dit aussi (Pastor fido, IV, chœur) : Speriam : che’l sol cadente ancor rinasce.

  475. Amiam, che’l sol si muore, e par rinasce :
    A noi sua breve luce
    S’asconde, e’l sonno eterna nocte adduce (Aminta, 1er acte, chœur final).

  476. Malh., I, 269. Il reprend à peu près la même idée (I, 330).
  477. G. Boissier, c. r. de la trad. de M. Eug. Rostand, Journal des Savants (1891) p. 412-3. Remarquons que les deux derniers vers de Ronsard (déjà cité par Ménage) étaient :

    Sans nos yeux réveiller
    Faut long-temps sommeiller.

    Voici la trad. de M. Rostand :

    Vivons, ma Lesbie, aimons-nous,
    Et traitons comme rien tous les propos jaloux
    De la trop sévère vieillesse.
    Le soleil meurt et reparaît sans cesse ;
    Mais quand meurt notre flamme éphémère, il faut tous
    Dormir de même une nuit éternelle.

  478. o. c., p. 543 et sv.
  479. Balzac, Entretien XXXI. Dans son Entretien VIII, Balzac, qui s’est si souvent souvenu de Malherbe, se sert de la fameuse fiction : « Il vous semble que la Fortune vous appelle sur les bords de la Seine… »
  480. Certes, ou je me trompe, ou déjà la victoire
    Qui sur plus grand honneur de ses palmes attend,
    Est aux bords de Charente en son habit de gloire
    Pour le rendre content…


    (suit la description) Malh., I, 279-280. V. Sainte-Beuve. Nouveaux lundis, t. 13, p. 399, n. 3. Remarquons la curieuse admiration de Taine pour ce passage de Malherbe (v. H. Taine, sa vie et sa correspondance, t. II, p. 26).

  481. Ronsard, t. V, p. 78.
  482. Argon., I, Balzac, Entr. XXXI.
  483. Ode pour le roi allant châtier les Rochelois (Malh., I, 280). Cette description était fort admirée : « Jamais dit Balzac vantant une épigramme, jamais fable ne fut mise en œuvre avec tant d’art, non pas même celle des Géants dans le dernier poème du père Malherbe (lettre du 25 janv. 1645, Documents inédits (1873) I. p. 619.
  484. Malh., I, 305. Cf. Properce, II, XVI, 9 :

    Darius in terris nihil est quod vivat amante.

    Voir plus loin le chapitre VI : Les Italiens.

  485. Malh., I, 21.
  486. Prop., II, X, 5 :

    Quod si deficiant vires, audacia certe
    Laus erit : in magnis et voluisse sat est.

  487. Hist. nat., I (Préf.), II : Itaque etiam non assecutis, voluisse abunde pulcrum atque magnificum est.
  488. Malh., III, 1.
  489. Prop., IV, X, 3 et 4. Cette idée est aussi dans Ausone, que le vieux Daurat admirait tant, et que Ronsard a plus d’une fois imité (Ausone, Épigr. XXXIX). De même aussi que Malherbe a la confiance qu’il trouvera l’éloquence pour parler de Richelieu et de Louis XIII, Ausone avait dit (Préface) :

    Non habeo ingenium : Cæsar sed jassit : habebo.

  490. Lettres inédites de Balzac, dans Documents inédits pour servir à l’histoire de France. Mélanges historiques, choix de documents, t. I (1873), p. 723.
  491. Malh., I, 239.
  492. In Ruf., I ; notamment v. 12. Ce poème de Claudien contre Rufin est plus d’une fois cité par Montaige (Essais, II, 9, 11) ; Claudien est également cité ibid., II, 12, 27, 31, III, 8, 12. Dans Claudien se trouvait aussi cette comparaison du conquérant au torrent, qui se retrouve chez les Italiens, chez Ronsard, chez Garnier et chez Malherbe.
  493. Sén., De Provid., I, Ad Marciam, 12 : deorum crimen erat Sylla tam felix. De même, Lucain, Phasale, VII, 147. Psaumes, LXXII, 11. Cf. de nombreux exemples cités par Martha, Le poème de Lucrèce, chap. IV. On retrouve la même idée jusque dans l’Ode d’André Chénier à Charlotte Corday.
  494. Malh., I, 298 ; cf. trad. de Sén., Malh., II, 248.
  495. Garnier, Hippolyte, IV.
  496. Lutrin, VI :

    Viens aux yeux des mortels justifier les cieux.

  497. Andromaque, III, 1 :

    Je ne vois que malheurs qui condamnent les dieux.

  498. La Nature, I.
  499. Desportes, p. 449
  500. Corneille (Polyeucte) a répété Godeau sans le savoir. C’est à Malherbe, plutôt qu’à Bertaut, que Godeau a dû prendre cette image, contrairement à ce que croit M. Allais (Malherbe et la poésie française, p. 163, n. 1). Cette image est familière à Malherbe (I, 23, 66, 91, 102, 198, et surtout 273). Les « noms » que Malherbe emploie dans sa paraphrase sont ceux qu’il avait lui-même donnés à son roi (I, 26, 87, 102), et l’image du verre et de l’onde, de la même paraphrase, sont parmi les images favorites de Malherbe. De même, cf. Vauquelin de la Fresnaye, Art poétique, éd. Genty, p. VI.
  501. Poésies de Malherbe avec le commentaire de Chénier, p. 14.
  502. Ibid., p. 50.
  503. Reste à savoir si Malherbe n’en voulait pas à l’esprit français autant qu’à la langue, car Alfred de Vigny a dit aussi que « tout Français, ou à peu près, naît vaudevilliste et ne conçoit pas plus haut que le vaudeville ».
  504. Malh., IV, 345.
  505. Racan, l. c., LXXXVIII, et lettre de nov. 1656 (v. plus haut, p. 51, n. 2).
  506. Sarasin mourut en parlant latin ; il répétait les yeux baignés de larmes : Discite justitiam moniti, et non temnere Divos (Cosnac, cité par Hippeau, Écrivains normands, p. 195).
  507. Malh., III, 312.
  508. III, 354.
  509. III, 546.
  510. III, 326.
  511. III, 297.
  512. Malh., IV, 266 ; Macrobe, Sat., II, 4, 21 : Temporibus triumviralibus Pollo, cum fescenninos in eum Augustus scripsisset, ait : At ego tacco, non est enim facile in eum scribere qui potest proscribere. Il est très probable que Malherbe a connu Macrobe, fort répandu en France dès le moyen âge, et souvent cité par Montaigne et Rabelais.
  513. IV, 74.
  514. I, 134 : Extrema gaudii luctus occupat. C’était aussi une habitude de Régnier d’enchâsser des proverbes dans ses vers (v. l’édition de Macette par les élèves de M. Brunot, Introd., p. XXXIX et XL). Le mot de Malherbe sur l’impossibilité de changer le genre d’un mot (Racan, LXXIX) est pris aux anciens comme celui de Du Perron (Brunot, o. c., p. 180 et 181).
  515. I, 235.
  516. I, 200.
  517. À propos de Geneviève Rouxel, dans des vers d’ailleurs imités des vers latins de Rouxel (Gasté, o. c., p. 42).
  518. I, 180. Cf. encore « le blond hyménée » (I, 112).
  519. I, 89, 189.
  520. I, 205 ; de même I, 21, 24. Le sonnet à Perrache est dans l’édition Jannet.
  521. Notamment en parlant de Geneviève Rouxel, et encore dans la Lettre à La Garde, I, 358.
  522. I, 170.
  523. Malh., I, 189.
  524. O. c., p. 49 (à propos de la strophe 16 de l’Ode sur la bienvenue de Marie de Médicis). Sa mythologie eut toujours mauvaise réputation : c’est déjà Malherbe que Racine invoquait pour excuser une allusion à un mythologique adultère (Racine édition des Grands Écrivains, t. VI, p. 383).
  525. O. c., p. 354.
  526. Malh., I, 317.
  527. I, 94.
  528. I, 283.
  529. Cf. Desportes, p. 4.
  530. Cette dernière expression était familière aussi à du Bellay.
  531. Horace, Odes, III, XXX, 1. Ovide, Métam., Épil. — Vauquelin parlait dans son Art poétique, I (éd. Genty, p. 14) de

    La couronne aux savants de verdoyant laurier,
    Signe que la verdeur d’immortelle durée
    Aura contre le temps une force asseurée.

  532. Malh., I, 289.
  533. Voy. Burckhardt, Die Kultur der Renaissance in Italien 7e éd. (1899), t. I, p. 162-165. En France, on trouve une déclaration de l’espèce à la fin du XIIe siècle, dans le début du Roman de Thèbes (éd. des Anciens textes).
  534. Ronsard, I, 399. De même Desportes (p. 211) :

    Et peut estre qu’alors vous n’aurez de plaisir
    De revivre en mes vers…

  535. Malh., III, 343.
  536. III, 381, 407. Peiresc du reste, écrit à son frère Valavez qu’« il n’y a rien dans les médailles de Malherbe ».
  537. Pierius (Malh., III, 1),
  538. Racan (l. c., p. LXXX).
  539. Malh., II, 484. Malherbe propose même un remaniement des vers latins qui circulent à propos des Jésuites.
  540. Malh., III, 545-6.
  541. III, 5. Il dit (III, 53) qu’il les a reçus.
  542. III, 248. Les derniers critiques qui se sont occupés de Barclay (Alb. Collignon, Notes sur l’Euphormion de J. Barclay, Extr. des Annales de l’Est, Nancy, 1901, et Ph-Aug. Becker, (Zeitschrift für vergleichende Literaturgeschichte hggb. von Wetz et Collin., N. F., B. XV, 111 et 113) ont eu l’occasion de montrer la diffusion des œuvres de Barclay en son temps.
  543. At vos plebeio geniti de sanguine… patientius ite sub umbras.
  544. Malh., I, 190.
  545. MM. M. Pieri (Pétrarque et Ronsard), F. Flamini (Studi di storia letteraria italiana e straniera), J. Vianey (Mathurin Regnier), H. Chamard (Joachim du Bellay), H. Hauvette et d’autres ont montré l’influence italienne chez divers auteurs français du xvie siècle ; et les études comparatives ne cessent d’accroître la liste des emprunts (voir notamment les travaux de M. Vianey dans le Bulletin italien, I, 187, 295, III, 85, dans les Annales internationales d’histoire, 1901, p. 73, dans la Revue d’histoire littéraire de la France, avril-juin 1903 ; de M. Flamini dans la Revue de la Renaissance, I, 43, dans les Atti del congresso internazionale di scienze storiche, Roma, aprile 1903, vol. IV, Rome 1904, p. 161, etc., etc.). Ce serait aujourd’hui une vaste entreprise que de refaire le livre de Rathery, De l’influence de l’Italie sur les lettres françaises depuis le xiiie siècle jusqu’à Louis XIV (Paris, Didot, 1853) ou de E. Arnould, De l’influence exercée par la littérature italienne sur la littérature française (Essais de théorie et d’histoire littéraire, Paris, Durand, 1858, p. 331 et sv.). M. Vianey, tout récemment, a dit toutes les restrictions qu’il y avait à faire à l’histoire du pétrarquisme telle qu’elle a été exposée jusqu’ici (Revue d’histoire littéraire de la France, 1904, p. 156).
  546. Voyez, entre autres, F. Flamini, Studi di storia letteraria italiana e straniera, Livourne, 1895.
  547. Cette traduction a été étudiée tout récemment par Ettore Bini, Di un poemetto giovanile di François de Malherbe (Pise, Mariotti 1903, 15 pages).
  548. Allais, Malherbe et la poésie française, p. 115 et sv.
  549. Exactement 21 (le poème de Malherbe comprend 66 stances de 6 vers).
  550. Vers 331. F. Wey (Histoire des révolutions du langage en France, 1818, p. 479 suiv.) a longuement parlé de la langue de Malherbe dans cette œuvre.
  551. Vers 52-54. Ce jargon, général du XVIe au XVIIIe siècle, se retrouve même dans Polyeucte (I, I) :

    Fuyez un ennemi qui sait votre défaut,
    Qui le trouve aisément, qui blesse par la vue,
    Et dont le coup mortel vous plait quand il vous tue.

  552. Là où le Tansille disait :

    Senza saper come
    Si pugna, eterne palme havran di guerra,


    Malherbe traduit :

    Leur salaire payé les services précède
    Premier que d’avoir mal ils trouvent le remède
    Et devant le combat ont des palmes au front (v. 232-4).

  553. Vers 199-204. Ronsard (t. IV, p. 21) dit au roi mort : « Où tu es, le printemps ne perd point sa verdure ». Dante avait appelé le paradis (et le Tasse l’âge d’or, Aminte, I, chœur) primavera eterna, et l’âme des bienheureux rosa sempiterna, che si dilata, rigrada… (Paradis, XXX, v. 126 et 127) : c’est l’idée que Montchrestien développe en ces vers dont j’ai cité les deux premiers. Quant à l’image employée par le Tansille, Prudence avait déjà commencé son Hymne des Innocents par des vers (Salvete flores Martyrum…) dont voici une traduction d’Antoni Deschamps (Élégies, LXXVII, éd. 1837, p. 333) :

    Salut, enfants martyrs, sur le seuil de la vie
    Tombés dans les douleurs,
    Que le fer moissonna, comme un vent en furie
    Abat de jeunes fleurs.

  554. L’Écossaise, tragédie, acte V.
  555. Larmes, v. 247.
  556. Poésies de Malherbe avec Commentaire de Chénier, p. 15. Cette image de la vie comparée au jour revient plusieurs fois dans les Larmes : v. 156, 189, 215.
  557. Ronsard, t. IV, p. 20 (éd. Blanchemain).
  558. Desportes, p. 321.
  559. Ces fameux vers, À une dame, sont bien connus et ont été souvent cités et expliqués. Voy. du Bellay, éd. Marty-Laveaux, t. II, p. 336, Chamard, Joachim du Bellay, p. 186, et n. 6, Faguet (Revue des Cours et Conférences, 1893-94).
  560. A. de Musset, Le fils du Titien (Poésies nouvelles).
  561. Sonnet pour mettre devant un Pétrarque (Diverses Amours, Desportes, p. 427). — Cf. Brunetière, Histoire de la littérature française classique, I, p. 11.
  562. Malh., III, 12.
  563. III, 285.
  564. IV, 56.
  565. IV, 312.
  566. IV, 260.
  567. IV, 308.
  568. IV, 470.
  569. IV, 377.
  570. Malh., IV, 328.
  571. IV, 321.
  572. IV, 435 et n. 1. Malherbe se trompe, ce sonnet n’est pas du Séraphin ; ce dernier auteur, du reste, avait eu en France une certaine influence (voyez Vianey, L’influence italienne chez les précurseurs de la Pléade, dans le Bulletin italien, Bordeaux 1903, t. III, pp. 85-117).
  573. IV, 270, 429.
  574. Racan, l. c., p. LXX. Voy. au chapitre des Grecs.
  575. Voy. Racan, ibid., p. lxxxvi-lxxxviii.
  576. Malh., I, 158 ; cf. Pétrarque (Sonnet CIX, v. 4) :

    Che sol se stessa, e nulla altra simiglia.

  577. Malh., I, 155.
  578. La Fontaine, Fables, l. VII, f. 21.
  579. Boileau, Art Poétique, II.
  580. Cf. Vianey, dans la Revue d’histoire littéraire de la France, 1904, p. 157.
  581. Sur ce lyrisme, cf. entre autres Fr. De Sanctis, Storia della letteratura italiana, 7e éd., t. II, p. 191.
  582. Voy. entre autres Souriau, o. c., et les Historiettes de Tallemant des Réaux, 3e éd., I, p. 301.
  583. Cf. Zyromski, Lamartine poète lyrique, qui donne l’adaptation de Lamartine en regard du texte italien (pp. 114 et 115).
  584. Malh., I, 21. Dans l’Olive de du Bellay (sonnet 195), la Loire se grossit aussi des ruisseaux de larmes du poète (cf. Chamard, Joachim du Bellay, p. 187).
  585. La femme est une mer aux naufrages fatale…
    Ses flammes d’aujourd’hui seront glaces demain.

    Malh., I, 61
  586. Malh., I, 54. Cf. Grente, Jean Bertaut, p. 110, n. 1 et 2.
  587. Ce terme de « souci » se retrouva jusque chez V. Hugo : dans les Burgraves Guanhumara dit à Otbert : « Régina, ton souci ».
  588. Malh., I, 175.
  589. Malh., I, 236.
  590. Malh., I, 247.
  591. I, 123.
  592. I, 295.
  593. Ce procédé se trouve chez la plupart des poètes italiens, et notamment, chez l’Arioste, dans la strophe qui précède la fameuse comparaison de la jeune fille à la rose (Orlando furioso, I, st. 41), dont Malherbe se ressent peut-être dans les stances : Complices de ma servitude. Pour Corneille (cf. Marty-Laveaux, Études de langue française, pp. 132 et 133) il suffit de rappeler la tirade d’Émilie dans Cinna :

    Impatients désirs d’une illustre vengeance…

  594. Malh., I, 153. Les rochers sensibles aux peines des hommes étaient d’ailleurs répandus chez tous les poètes, et notamment dans l’Arioste, Orlando furioso, I, str. 40, que Malherbe avait certainement lue, et dont il s’est peut-être souvenu.
  595. Ses larmes, ce sont les larmes d’Alcandre ; ce vers était d’abord :

    Les astres se cachèrent
    Et la rive du fleuve où ses pieds la touchèrent…

    (Malh., I, 161 et var.).

    Les mêmes fictions se trouvent chez Desportes (v. plus bas).

  596. C’est ce que M. Vianey a rappelé dernièrement aux historiens du pétrarquisme, dans l’important article qu’il a consacré au Bertaut de M. Grente (Revue d’histoire littéraire de la France, 1901, pp. 156-163). Malherbe appartient à la période d’influence du Tasse, dont M. Vianey signale très ingénieusement les débuts chez Bertaut. Ce n’est pas à dire qu’il ait tout à fait « désappris l’art de pétrarquiser », et il importa de remarquer que c’est surtout du Pétrarque que Malherbe retrouve et réprouve chez Desportes.
  597. Voyez Rigal, Alexandre Hardy, p. 505.
  598. Giosuè Carducci, Su l’Aminta di T. Tasso (Florence 1896).
  599. Berquin, Idylles, Préface de la 3e éd. (1775). Berquin vante aussi « la délicieuse aménité » du Tasse.
  600. Ces vers que Ménage applique à Madame de Rambouillet, sont ceux dans lesquels Pétrarque désigne Varron (Trionfo della fama, c. III, v. 39).
  601. Mescolanze d’Egidio Menagio, cité par Rathery, Influence de l’Italie, p. 117. V. aussi Tallemant des Réaux, Historiettes (3e éd., de Monmerqué et P. Paris), t. I, p. 276. Les éditions de l’Aminte suffisent à donner une idée de la vogue de cet ouvrage en France au commencement du XVIIe siècle : p. ex. Le Tasse, Aminte, fable bocagère, imprimée en deux langues pour ceux qui désirent avoir l’intelligence de l’une d’icelles, par Guillaume Belliard. In-12, Paris, Abel l’Angelier, 1596, puis à Rouen, Claude Le Villain en 1598, 1603 et 1609 ; voyez Arnould, Racan, p. 194, n. 2, 197, et Anecdotes, 5 ; Martinenche, La Comedia espagnole en France, p. 153 ; J. Blanc, Bibliographie italico-française (2 vol., Paris, Welter 1886).
  602. Voy. par exemple combien de mots grecs se trouvent dans le passage où Lucrèce parle des amants (De Natura rerum, IV, 1129-1145).
  603. Montaigne. Essais. I, 2 (éd. Le Clerc, t. I, p. 15). Pétrarque, I, Sonnet 188.
  604. Petit de Julleville, dans l’Histoire de la langue et de la littérature française publiée sous sa direction (t. IV, p. 18) y admire « un sentiment très simple et tout naïf ».
  605. Cf. Aminta, acte I, scène II, v. 64 :

    Essendo io fanciulletto, sicche appena
    Giunger potea colla man pargoletta
    A corre i frutti dai piegati rami
    Degli arboscelli, intrinseco divenni
    Della piu vaga e cara verginella
    Che mai spiegasse al vento chioma d’oro

    Le même détail était du reste dans Virgile (Églogue VIII, 39, vers que citait volontiers Montaigne, Essais, I, 96) : voy. Arnould, Racan, p. 267. — Le nom de Tirsis de la Retraite se trouve aussi dans l’Aminte.

  606. Dura condizione degli amanti !

    Aminta, acte V, v. 23.
  607. Le belle guance tenere d’Aminta
    Iscolorite in si leggiadri modi,
    Che viola non e che impallidisca
    Si dolcemente.
    (Ibid., V).

  608. e dell’amor il dolce or gusta,
    A cui gli affanni scorsi ed i perigli
    Fanco suave e caro condimento
    (Ibid.).

  609. Malh., I, 21 ; cf. Aminta, acte III, chœur final :

    E cercando l’amor, si trova spesso
    Gloria immortale appresso.

  610. Malh., I, 232, et aussi : « Mopse, entre les devins… Cf. « il saggio Mopso… » dans l’Aminte, I, II.
  611. Aminta, I, chœur final.
  612. Pastor Fido, IV, chœur.
  613. Aminta, acte IV, sc. I.
  614. Malh., I, 227.
  615. L’Italia, tradotto… (1778), cité par d’Ancona en Appendice du Journal du voyage de Montaigne en Italie, p. 633 et 634.
  616. Ronsard, t. I, p. 40 : « Ô moi deux fois, voire trois, bienheureux ». — Du Bellay, Regrets, Sonnet CVI : « Ô trois et quatre fois malheureuse la terre ». — T. Tasso, Aminta, III, I : « O tre fiate et quattro ingratissimo sesso ». — Malherbe dit dans les Larmes de Saint-Pierre (I, p. 13, v. 241) : « Et vous, femmes, trois fois, quatre fois bienheureuses ».
  617. Una salus victis, nullam sperare salutem. Virg., Énéide, III, 354.
  618. Aminta, acte III, scène II.
  619. Malh., I, 302. De même que Corneille dit dans le Cid :

    Ma plus douce espérance est de perdre l’espoir. (I, sc. 2).

  620. Aminta, acte III. scène I.
  621. Malh., I, 254.
  622. Et tous ces lieux communs de morale lubrique
    Que Lulli réchauffa des sons de sa musique,

    dira Boileau (Satire X) : les thèmes favoris de la poésie italienne devaient, en effet, finir en musique après avoir envahi la poésie.

  623. Voyez Pietro Toldo, La poésie burlesque de la Renaissance (Zeitschrift für romanische Philologie, 1901). — Le même thème est encore dans un rondeau de La Fontaine :

    Qu’un vain scrupule à ma flamme s’oppose
    ....................
    Ce point d’honneur, ma foi, n’est autre chose
    Qu’un vain scrupule.


  624. T. Tasso, Aminta, acte I, chœur. Le « nome senza soggetto » vient, comme on sait, de Pétrarque (Italia mia…, 75-76), où il a d’ailleurs une tout autre application qu’ici.
  625. Malh., I, 227. Voyez à ce sujet, et notamment sur l’adaptation de Rayssiguier, Martinenche, La comedia espagnole en France, p. 153; sur Malherbe, l’article de Rigal dans la Zeitschrift für französische Sprache und Litteratur, XVI, p. 37.
  626. Régnier, Satire III, v. 147 et 148.
  627. Malherbe, comme on l’a vu plus haut, connaissait assez Bembo pour relever dans Desportes « trois stances qui sont une pure pédanterie prise du Bembo », ou un vers « pris du Bembo, où il vaut aussi peu qu’ici » ; voici le passage Delle Rime di P. Bembo, terza impressione, p. 142 (Malh., I, 30) :

    Il pregio d’honestate amato e colto
    Da quelle antiche poste in prosa e’n rima
    Et le voci che’l vulgo errante e stolto
    Di peccato e disnor si gravi estima…
    Son fole di romanzi, e sogno ed ombra
    Che l’alme simplicette preme, e ’ngombra.

  628. Malh., I, 29-30 et variante.
  629. Ronsard, t. I, p. 400.
  630. Malh., I, 29. Cf. :

    Ah ! non si fidi alcun, perche sereno
    Volto l’inviti el’ sentier piano mostri,
    Nel pelato d’amor spiegar le vele.
    Cosí l’infido mar placido il seno
    Scopre, e i nocchieri alleta, e poi crudele
    Gli affonda e perde tra i scogli e i mostri.

    (T. Tasso, Rime diverse, I, Sonnet : I’ vidi un tempo).

    La strophe de Malherbe n’a été ajoutée que dans la deuxième édition de la pièce (en 1627) ; elle a donc été composée dans le temps où Malherbe fréquente l’hôtel de Rambouillet et où il admire si fort le Tasse.

  631. Remy Belleau, t. II, p. 192.
  632. Régnier, Épître II, v. 96 ; cf. aussi Satire XVI (ou Épître II) À Fourquevaux, v. 54 et 55.
  633. Voiture, Élégie II, v. 7 et 8.
  634. La Fontaine, Élégie III (éd. des grands écrivains, t. VIII, p. 363). De même Brantôme, t. X, p. 425, 427. Cf. encore Corneille, Le Cid, II, iii :

    Chimène. — Mon cœur outré d’ennuis n’ose rien espérer.
    Chimène. — Un orage si prompt, qui trouble une bonace,
    Chimène. — D’un naufrage certain nous porte la menace :
    Chimène. — Je n’en saurois douter, je péris dans le port.

  635. Par exemple : « l’homme cesse d’être homme » (variante de la consolation à Du Périer), et les vers des mêmes stances :

    Aime une ombre comme ombre, et des cendres éteintes
    Éteins le souvenir.

    C’était déjà, du reste, un procédé de Marot et de Ronsard (Revue d’histoire littéraire de la France, 1902, p. 218).

    Malherbe a de même le goût des antithèses : Une fidèle preuve à l’infidélité (Larmes, str. 1), comme aussi Montchrestien (Tragédies, éd. elzév., p. 89) : Fidèle exécuteur d’une infidélité, et comme encore Corneille : Rends un sang infidèle à l’infidélité (Cinna, IV, II) et même Molière (Misanthrope, III, VII). Cf. encore : Tout ce qui plaît déplaît à son triste penser (Malh., I, 59) et le mot souvent cité de du Bellay : « Rien ne me plaît que ce qui peut déplaire — au jugement du rude populaire ».

    Edmond Arnould, De l’influence exercée par la littérature italienne, dans Essais de théorie et d’histoire littéraire, Paris, A. Durand, 1858, p. 416-417) disait : « Malherbe, tout en faisant des odes, est bien plus rapproché, par certains côtés, des Italiens que des Grecs, et même des Latins, bien que, par certains antres, il incline de préférence vers ces derniers. Cette régularité harmonieuse qu’il introduit dans notre phrase poétique, ce n’est certes pas à Pindare qu’il la doit ; il l’a reçue en germe de l’école du XVIe siècle et en a fait la loi sévère de notre poésie classique… On reconnaît l’influence de l’Italie à l’emploi fréquent de ces concetti dont Malherbe lui-même ne s’abstient pas toujours ».

  636. Non si fa l’inganno a cui l’inganno è caro (Pastor Fido, IV, v), et tous les vers qui suivent sont dans le même goût.
  637. Malherbe avait écrit d’abord ces vers qui paraphrasent la seconde partie du passage du Guarini :

    Mais, lorsque la blessure est en lieu si sensible,
    Il faut que de tout point
    L’homme cesse d’être homme et n’ait rien de possible
    S’il ne s’en émeut point.

    Malherbe aime ces formules de désespoir (I, p. 159, v. 16-18), qui remontent au moins à Virgile (Énéide, II, v. 6-8).

  638. Guarini, Pastor Fido, IV, v. Le sort d’Amaryllis, dans la même scène, fait songer à celui de la fille de du Périer :

    Cosi le nozze fai
    Della tua cara figlia ?
    Sposa il mattino, e vittima la sera.

  639. Dans le madrigal du Guarini déjà cité par Ménage (p. 561), Lycoris donnant une rose à Battus est si charmante

    Che parea rosa che donasse rosa,


    et le berger souhaite « d’aver la rosa donatrice in dono ». Il est fort possible que Malherbe, à propos de la fille de Du Périer, ait songé au vers du Pastor Fido que Mme de Staël (Corinne, XX, 2) montre écrit au bas du portrait de son héroïne :

    A pena si puo dir : questa fu rosa.

  640. Nous n’étudions pas ici la métrique de Malherbe ; mais nous remarquerons au moins que l’influence italienne en cette matière, devinée jadis par E. Arnould, peut fort bien s’être exercée sur l’ennemi du cavalier Marin lui-même ; M. Vianey (Revue d’histoire littéraire de la France, 1904, p. 159) montre ingénieusement le parallélisme de la métrique italienne et de la française à cette époque.
  641. Malh., III, 247 et suiv.
  642. Malh., III, 337 (lettre du 17 septembre 1613). Voyez Rigal, Alexandre Hardy, p. 108 et suiv.
  643. Voyez de Puibusque, Histoire comparée des littératures espagnole et française, t. II, p. 37 ; Demogeot, Tableau de la littérature française au XVIIe siècle avant Corneille et Descartes, p. 213 ; Arnould, Racan, p. 220 ; Fr. De Sanctis, Storia della letteratura italiana (7e éd.) II, p. 220 ; A. Belloni, Il Seicento (Storia letteraria d’Italia, Milano, Vallardi), p. 70. — On verra quelle attention ou accordait encore à Marine à la fin du XVIIe siècle en lisant l’article qui lui est consacré dans les Jugements des savants de Baillet (no 1404).
  644. Antonio Belloni, Il Seicento, p. 72.
  645. Malh., I, 226 et 227.
  646. Ce n’est que depuis Lelebvre de Saint-Marc qu’on réunit cette pièce aux œuvres de Malherbe.
  647. L’Adone, poema del cavalier Marino, La Furtuna, canto primo, str. 5 et suiv.
  648. C’est ce que semble dire de Puibusque, dans l’ouvrage cité.
  649. L’Adone, canto nono, str. 177 et suiv.
  650. Brunot, La doctrine de Malherbe, p. ix.
  651. Brunetière, Évolution des genres, 3e leçon.
  652. Cf. Vianey, article cité de la Revue d’histoire littéraire.
  653. Œuvres de Saint-Évremond, t. V, p. 18. Cf. Jacques Demogeot, Tableau de la littérature française au XVIIe siècle avant Corneille et Descartes (Paris, Hachette, 1859), 2e partie, chap. I.
  654. Malh., I, 74.
  655. id., I, 195.
  656. id., I, 215.
  657. id. III, 303. L’article consacré à Malherbe dans les Jugements des savants de Baillet (no 1411) dit : « Enfin Malherbe n’a pas dédaigné même d’imiter les Modernes, parmi lesquels Mr. Colletet (au Discours de l’éloquence et de l’imitation des Anciens, p. 33, 34, à la fin de son Art Poétique, etc.) a remarqué quelques Italiens et quelques Espagnols ». La note de La Monnoye (édit. d’Amsterdam, 1725, t. 4, p. 195) ajoute justement : « Colletet dans l’endroit cité ne nomme aucun auteur Espagnol que Malherbe ait imité »
  658. Cervantes, Don Quichote, 2e partie, chap. LXXI. Malherbe a certainement lu Don Quichote, et il y a une allusion à la nouvelle du Curieux impertinent (Don Quichote, Ire partie, chapitre XXXIII, nouvelle particulièrement célèbre et publiée notamment à part par César Oudin) dans un mot de Malherbe rapporté dans les Historiettes de Tallemant, t. I, p. 281, note 1.
  659. Malh., III, 351.
  660. Voy. à ce sujet Morel-Fatio, Études sur l’Espagne, t. 1 ; G. Lanson, Études sur les rapports de la littérature française et de la littérature espagnole au XVIIe siècle (Revue d’histoire littéraire de la France, 1896) ; Martinenche, La comedia espagnole en France, p. 301, 302 et suiv. ; Huszar, Corneille et le théâtre espagnol (1903), et surtout l’article que M. Brunetière a consacré à ce livre dans la Revue des Deux Mondes (1903).
  661. Dans la copie B, on lit à la marge, un peu plus bas que le titre : « Imitation de Montemayor » (Malh., éd. Lalanne, IV, 457, no 2). Cette copie B est l’une de celles de la Bibliothèque de l’Arsenal : « les additions proviennent peut-être d’un autre exemplaire pareillement annoté par Malherbe. Il serait encore possible qu’il les eût écrites sur des morceaux de papier détachés qui se seraient perdus plus tard » Malh., IV, Préface, p. II). Cf. Lanson, Études sur les rapports, etc., art. Desportes, (Revue d’histoire littéraire de la France, 1897, p. 63).
  662. Malh., I, 90.
  663. Ménage, o. c. : Malh., I, 96 ; Lanson, o. c. (Revue d’histoire littéraire de la France, 1896, p. 325) ; Tallemant des Réaux, Les Historiettes, 3e éd. par P. Paris et de Montmerqué, I, 296 et 319 ; Arnould, Anecdotes inédites, p. 61 ; id., Racan, p. 63.
  664. Lanson (Revue d’histoire littéraire, 1896, p. 323).
  665. Lanson, ibid., p. 326. Malherbe, on l’a vu plus haut, connaissait assez ce Martial auquel Lope de Vega comparait Gongora pour le sel de la plaisanterie.
  666. L. Clément, Antoine de Guevara, ses lecteurs et ses imitateurs français au XVIe siècle (Revue d’histoire littéraire, 1900, p. 590 et suiv.) ; Lanson (Revue d’hist. litt., 1896, p. 53).
  667. Malh., III, 350 (27 octobre 1613) ; Lanson, Revue d’histoire littéraire, 1896, p. 64 ; Malherbe écrit encore (III, 358) : « Les Espagnols ne plaisent à personne : ils jouent au faubourg Saint-Germain, mais ils ne gagnent pas le louage du jeu de paume où ils jouent ». Cf. aussi Rigal, Alexandre Hardy, p. 107, n. 2 : Martinenche, La comedla esp. en Fiance, p. 306.
  668. A. Morel.-Fatio, Études sur l’Espagne, I, 38 et 40.
  669. Ce chapitre a déjà paru, sauf un détail ou deux, dans la Revue d’histoire littéraire de la France, oct.-déc. 1903.
  670. Il a d’ailleurs utilisé jusqu’à la fin les œuvres de ses prédécesseurs français (voy. H. Guy, Les sources françaises de Ronsard, dans la Revue d’histoire littéraire de la France, 1902).
  671. Ronsard, éd. Blanchemain, t. VIII, p. 188.
  672. Malh., éd. Lalanne, t. I, p. 382.
  673. Il voulait dire : vers de remplissage (voy. Arnould, Anecdotes inédites sur Malherbe).
  674. Malh., I, p. LXXVII-LXXVIII.
  675. Ménage, o. c., 527. Régnier reproche à Malherbe de prétendre que

    Ronsard en son mestier n’estoit qu’un apprentif.

  676. Malh., I, 251. C’est sans doute ce qui a fait croire à un panégyriste de Ronsard (Ronsard, éd. Blanchemain, t. VIII), que Malherbe avait « tendu la main » à Ronsard, se montraint plus juste que Boileau. — Malherbe connaissait assez la langue de Ronsard pour rappeler à propos de Desportes qu’il emploie fère (Malh., IV, 266) et qu’il tient la forme nic du Vendomois (IV, 469).
  677. M. Allais (Malherbe et la poésie française) a rappelé tout ce que Malherbe devait, au point de vue de la versification, à Ronsard, et on a dit avec raison que l’ode de Malherbe était l’ode de Ronsard avec de légères modifications. M. E. Dreyfus-Brisac, Les classiques imitateurs de Ronsard, Malherbe — Corneille — Racine — Boileau (Paris, Calmann-Lévy) dans les pp. 16-80 consacrées à « Ronsard et Malherbe », et où du reste les rapprochements ne sont pas absolument tous oiseux, a montré le danger qu’il y a à vouloir trouver un auteur dans un autre. M. Dreyfus, qui, comme Boileau, critique en vers, s’est écrié (p. 3), non sans force injures à l’adresse de Malherbe :

    Quand Malherbe biffait tout Ronsard d’un seul trait,
    Il s’effaçait lui-même et brisait son portrait.

  678. Malh., I, 152.
  679. Sonnet de Ronsard en faveur de la Cléonice de Desportes (Desp., éd. Michiels, p. 231) ; cf. Malh., IV, 353.

    Cf. Pétrarque, I, Son. 188 :

    Chi puo dir com’egli arde, e’n picciol foco.

  680. Ronsard, t. I, p. 401.
  681. Cf. Bertaut, éd. Chenevière, p. X.
  682. Bertaut, Élégie I.
  683. Ronsard, t. VII, p. 110.
  684. Malh., I, 209.
  685. Malh., I, 187.
  686. Ménage, o. c., p. 337.
  687. Malh., I, 280 et 281. Taine est encore frappé de la familiarité du passage de Malherbe : « pue encore la foudre » (H. Taine), sa vie et sa correspondance, t. II, p. 26); ce qui est plus surprenant, c’est que Taine ajoute : « Tout cela fait revoir le vieux soldat des guerres de la Ligue, qui écrit sans modèles français… »
  688. Sonnet XII.
  689. O. c., p. 516.
  690. Malh., I, 269.
  691. Malh., I, 317. Ronsard, II, 53.
  692. Bradamante, I, I. Cf. aussi : « Comme un torrent d’Esté qui s’enfle de ruisseaux » de Montchrestien, chœur final d’Aman pris du Psaume CXXIIII (Tragédies, éd. elzév., p. 277).
  693. Malh., I, 219, 239.
  694. Ronsard, t. VII, p. 41. Allais, Malherbe, et la poésie française, p. 297.
  695. Malh., I, 77.
  696. Voy. Guy, dans Revue d’histoire littéraire de la France (1902) p. 250 et sv.
  697. On pourrait même suivre la trace de cette allégorie jusque dans la scène de l’Aiglon de M. Rostand, où le berger « c’est le duc de Reichstadt et le champ c’est la France ».
  698. Ronsard, t. IV, p. 23.
  699. Malh., I, 232.
  700. Ronsard, IV, 25.
  701. Malh., I, 231. Pan désigne probablement le maréchal d’Ancre, auquel Malherbe paraît déjà faire allusion dans le discours d’une des « Sibyles » (I, 200). — Pan=Richelieu dans une lettre de Malherbe (IV, 19, 20).
  702. Ce terme a été remplacé dans la rédaction définitive ; il figure dans l’une des variantes.
  703. Cf. Ovide, Ars amandi, III, 789 et 790 ; voy. aussi Martha, Le poème de Lucrèce, p. 16, à propos du passage du De Natura Rerum, V, 110-112.
  704. Ronsard, III, 266.
  705. Malh., I, 232.
  706. Malh., I, 197 sv.
  707. Voy. par exemple Fréd. Lachèvre, Bibliographie des recueils collectifs de poésies publics de 1597 à 1700, t. I, p. 403. Sur les ballets à cette époque, voy. G. Grente, Jean Bertaut, p. 138-143
  708. Je dy ce grand Soleil qui nous fait les saisons
    Selon qu’il entre ou sort de ses douzes maisons.

    Ronsard, VII, 56.

    Vive source de feu qui nous fait les saisons
    Selon qu’il entre ou sort de ses douze maisons

    id., V, 16.

    Selon que le Soleil se loge en ses maisons,
    Se tournent nos humeurs ainsi que nos saisons.

    Régnier, Sat. IV, 113.

    Certes l’autre soleil, d’une erreur vagabonde,
    Court inutilement par ses douze maisons ;
    C’est elle et non pas lui, qui fait sentir au monde
    Le change des saisons.

    Malh., I, 157

    Voy. J. Vianey, Mathurin Regnier (1896).

  709. Cf. Sully Prudhomme, Stances et Poèmes, I, p. 8 :

    Nous n’osons plus parler des roses :
    Quand nous les chantons, on en rit.

  710. Baïf, éd. Becq de Fouquières, p. 255
  711. Voy. Revue d’histoire littéraire de la France, 1902, p. 218 (Les sources françaises de Ronsard, par H. Guy).
  712. Voy. Ch. Joret, La rose dans l’antiquité et au moyen âge, p. 56-59. — Cf. encore Wace, Roman de Rou, v. 65 et sv. :

    Tute rien se turne en declin
    .........
    ....rose flaitrist.

  713. Orlando Furioso, I, str. 42 :

    La verginella é simile alla rosa,
    Ch’in bel giardin su la nativa spina
    Mentre sola e sicura si riposa…

    Le passage de l’Arioste se trouve traduit dans la pièce mise par des Yvetaux en tête des œuvres de Desportes. Voy. sur ces images H. Guy, « Mignonne, allons voir si la rose… », réflexions sur un lieu commun (Bordeaux, Gounouilhon, 1902).

  714. Baïf, éd. Becq de Fouquières, p. 255. Villon emploie déjà le thème de la brièveté de la rose dans sa Ballade à s’amie, str. III (cf. G. Paris, François Villon, p. 110, n. 1).
  715. Du Bellay, éd. Marty-Laveaux, t. II, p. 398.
  716. Du Bellay, t. I, p. 153. Cf. Chamard, Joachim du Bellay.
  717. Malh., I, 226.
  718. Ronsard, t. III, p. 129, et aussi VII, 175, VIII, 120 ; voy. H. Guy, « Mignonne, allons voir si la rose… », réflexions sur un lien commun (Bordeaux, 1902).
  719. L’Escossoise ou le Désastre, tragédie (1601 à Rouen), acte V. — [J’avais terminé mon article de la Revue d’histoire littéraire de la France, 1903, quand j’ai lu la note de M. Schultz-Gora faisant le même rapprochement entre le passage de Montchrestien et le vers de Malherbe Zeitschrift für französische Sprache und Litteratur, 1903, p. 92-94)].
  720. Ibid., acte II, chœur.
  721. Desportes, p. 488.
  722. Desportes, p. 318.
  723. id., p. 321.
  724. Ode III (De la Rue, Essais historiques sur les Bardes, les Jongleurs et les Trouvères normands et anglo-normands, Caen, 1834, t. III, p. 369). Malherbe emploie aussi la rime séjour-jour dans une imitation de Martial (I, 24).
  725. Ce « coton » pour : la barba naissante, terme familier à Ronsard et aux poètes du XVIe siècle, se retrouve encore chez Malherbe, dans l’Ode sur la bienvenue de Marie de Médicis (I, 50). Elle a vécu autant que le classicisme, et Lamartine l’emploie encore dans ses tout premiers vers (E. Deschanel, Lamartine, I, p. 51, cite des vers de 1808 où le poète de dix-huit ans parle du « coton » de son frais visage).
  726. Bouquet, Ode V.
  727. Voy. au chap. des Italiens.
  728. Malh., I, 360.
  729. « Aime une ombre comme ombre » (I, 41).
  730. Malh., I, 58.
  731. Antiquités de Rome, Sonnet 27.
  732. Montchrestien, Tragédies (éd. elzév.), p. 85.
  733. Malh., IV, 463.
  734. Politien l’avait sans doute prise lui-même aux anciens.
  735. Malh., I, 109.
  736. Desportes, p. 442. Malh., I, 126 et 127.
  737. Voy. Commentaire sur Desportes, Malh., t.  IV, p. 250.
  738. Desportes, Diane, sonnet V (éd. Michiels, p. 15).
  739. Malh., I, 157.
  740. Desportes, p. 489.
  741. Malh., I, 161.
  742. Malh., IV, 433.
  743. Desportes, p. 391.
  744. Malh., I. 254. L’Agamemnon d’Iphigénie, qui, lui aussi, délibère tout le temps, répète l’hémistiche de Malherbe :

    Ne délibérons plus (Racine, Iphigénie, IV, sc. 7).

  745. Ménage (p. 431) ne cite pas Desportes à ce sujet, mais les vers que du Périer composa en 1578 pour le panégyrique du livre de Laurans : Malherbe, alors en Provence, a sans doute connu les vers de son ami ; mais il avait relu Desportes quand il écrivit son sonnet à La Ceppède.
  746. Desportes, p. 431. Voy. plus haut chapitre II.
  747. Malh., t. IV, p. 451.
  748. Malh., I, 204.
  749. Malh., I, 266.
  750. Cléophon est encore le titre d’une tragédie de l’Hôtel de Bourgogne, imprimée à Paris en 1600, « tragédie conforme et semblable à celles que la France a vues durant les guerres civiles » (voy. E. Rigal, Le théâtre français avant la période classique, p. 141, n. 2).
  751. Aux ombres de Damon (Malh., I, 58). Ce nom d’ami regretté est encore repris par La Fontaine, Fables, livre VI, Épilogue. Il remonte évidemment à la tradition antique de Damon et Pythias.
  752. Malherbe connaissait bien les noms des héros de Desportes, car les titres des élégies « Eurylas » et « Cléophon » étant intervertis dans son édition de Desportes, il a fait lui-même la correction (voy. Desportes avec commentaire de Malherbe à la Bibl. nat., p. 210, 216).
  753. Première rédaction, v. 1, 15, 25. Cf. la villanelle Rozette dans Desportes, p. 450.
  754. Desportes, éd. Michiels, p. 319.
  755. Malh., I, p. 39.
  756. Desportes, p. 319. Au torrent de deuil, cf. « la nue dont la sombre épaisseur aveugle la raison » de Marie de Médicis à la mort de Henri IV (Malh., I, 179).
  757. Malh., IV, 396.
  758. Desp., p. 316.
  759. id., p. 321.
  760. Malh., IV, 397.
  761. Desportes, p. 316.
  762. Malh., IV, 393.
  763. Desp., p. 316.
  764. id., p. p. 320. Dans la deuxième rédaction, Malherbe a remplacé la rime de séjour-jour par celle de destin-matin (peut-être pour ne plus faire rimer le simple et le composé).
  765. Desp., p. 320.
  766. Malh., I, p. 40.
  767. Desp., p. 318.
  768. Malh., I, 40.
  769. Desp., p. 320. Cf. le commentaire de Malh., IV, p. 396.
  770. Desp., p. 321.
  771. Desp., p. 319.
  772. Malh., I, 41.
  773. Desp., p. 319.
  774. Malh., I, 40-41.
  775. Desp., p. 316.
  776. Malh., IV, 393.
  777. Malh., I, 43.
  778. Desp., p. 320.
  779. Malh., I, 43. Voiture renchérit sur cette idée en la développant en des vers cités par Ménage (o. c., p. 564). Malherbe répète à peu près la même chose dans la Consolation au président de Verdun.
  780. Desp., p. 322.
  781. Voir plus haut. Puis il ne faut pas deux comparaisons l’une sur l’autre (Brunot, l. l., p. 215).
  782. Desp., p. 321. C’est le mot de Ménandre (Ὄν οί θεοὶ φιλοῦσιν, ἀποθνήσκει νέος) que Leopardi (Canti, XXVII) met comme épigraphe à son Amore e Morte. — M. Allais (o. c., p. 365) regrette que Malherbe n’ait pas songé à « la croyance antique traduite par un de nos grands poètes contemporains

    Que quand on meurt si jeune on est aimé des dieux » :

    on voit qu’il avait eu l’occasion d’y penser.

  783. Malh., IV, 397.
  784. Peut-être aussi Malherbe, devenu plus sévère, n’aurait-il plus accepté la rime trop facile de jour-séjour.
  785. Voyez comment Victor Hugo, remaniant ses vers, évitait une triple répétition, et savait utiliser une répétition énergique. (P. et V. Glachant, Essai critique sur le théâtre de V. Hugo, I, p. 227, 173, 197.)
  786. Racan, Vie de Malherbe, p. LXXXV.
  787. Voy. G. Grente, Jean Bertaut, p. 97 et passim.
  788. Entretien de Ninon de l’Enclos et de Madame de Maintenon.
  789. Bertaut (éd. elz.), p. 97.
  790. Bertaut, cf. Introduction, p. XXIX.
  791. Malh., I, 154.
  792. Bertaut, p. 97. Cf. Malh., I, 72, v. 63 et 66.
  793. Racan, l. c., p. LXIX.
  794. Voy. l’édition de Macette par les élèves de M. Brunot, Introd., p. LII et XLIII.
  795. Satire XIII (Macette), v. 81-83.
  796. Malh., I, 29-30.
  797. L’honneur est un vieux saint que l’on ne chomme plus.

    (Satire XIII, v. 84).

  798. Malherbe, III, 556 (lettre du 14 octobre 1621) : « Il a fait un livre de tragédies en vers françois ; je crois que c’étoit ce qui lui avoit donné sujet de me venir voir deux ou trois fois. Il étoit homme d’esprit et de courage. Je me trompe ou il donna en ce même temps-là un livre in-4o de sa façon, assez gros, à Monsieur le garde des sceaux, et me semble que le sujet de son livre étoit du commerce, ou de quelque chose pareille. » — Ailleurs Malherbe (IV, 41, 2 août 1618) dit que Montchrestien lui a parlé « non une fois ou deux, mais une douzaine ». — Voy. la note de M. Schultz-Gora, déjà citée, dans la Zeitschrift für franzosische Sprache und Litteratur, 1903. — Cf. Brunot, p. 49.
  799. Montchrestien, Tragédies, éd. elzév., p. 126.
  800. Desportes, p. 319.
  801. Dans la Revue des Deux Mondes, 1903, à propos de G. Huszar, Corneille et le théâtre espagnol (1903).
  802. Godeau, Discours, dans Malh., I, 379.
  803. id., ibid. (« Je ne crains pas d’avouer pour mon auteur qu’il a toujours pris les anciens pour ses guides »).
  804. La Fontaine (éd. Regnier), IX, 373.