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Malte-Brun - la France illustrée/0/5/2/3/6

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Jules Rouff (1p. xlv-xlvi).
CHARLES VI.


Le règne de Charles VI (1380-1422) défit ce qu’avait fait celui de Charles V. Dès le début et pendant sa minorité, ses oncles mirent au pillage le trésor, où une sage économie avait enfin ramené l’ordre et même la richesse. Et les impôts de pleuvoir sur le peuple. Le peuple avait appris à se soulever contre la tyrannie ; il se révolta, non seulement à Paris, mais à Rouen, Reims, Orléans et dans le Languedoc et s’entendit avec les Flamands. Cette insurrection formidable menaçait d’anéantissement toute la noblesse. Elle s’arma, et le petit roi, enchanté de mettre une cuirasse et de porter une lance, s’empressa de se mettre à la tête de l’armée féodale. Les Flamands furent vaincus à Rosbecque, la révolte étouffée partout. Les oncles du roi recommencèrent leur coupable gaspillage du trésor public. Une expédition préparée à grands frais contre l’Angleterre échoue par leur maladresse. D’autres entreprises aussi coûteuses furent menées avec le même succès. Charles VI était tombé en démence ; tout frein de l’autorité était brisé ; les princes exploitaient le gouvernement, la cour se livrait à tous les excès ; la noblesse s’en allait chercher jusqu’au bord du Danube, à Nicopolis (1396), un autre Crécy ou un autre Poitiers.

Le duc d’Orléans, prince brillant, mais plein d’insouciance pour le peuple, dirigeait le gouvernement avec la reine Isabeau de Bavière, dont il était aimé. Le duc de Bourgogne, qui flattait le peuple par contre, fut jaloux de son ascendant. Un soir de novembre, le ciel étant tout à fait obscur et les boutiques fermées, le duc d’Orléans sortit, avec une suite de quatre pages seulement, de l’hôtel d’Isabeau, rue Vieille-du-Temple. Il allait nonchalamment à cheval, chantant à demi-voix et jouant avec son gant. Tout à coup il est assailli par plusieurs assassins et égorgé. Jean sans Pour nia d’abord le meurtre ; mais peu après, ayant quitté Paris, il l’avoua, s’en glorifia et en fit établir la justification par le moine franciscain Jean Petit. L’audacieux meurtrier rentra ensuite à Paris, promettant au peuple l’abolition des impôts. Toute une populace violente, recrutée surtout parmi les bouchers, forma le parti des Bourguignons, tandis que les nobles en formaient un autre sous le nom d’Armagnacs. Pendant huit années, Paris, livré tour à tour à ces deux factions haineuses, fut inondé de sang, en proie à la discorde, à la famine et à la peste. Dans le même temps (1415), la noblesse allait recevoir à Azincourt sa quatrième leçon. Jamais on ne vit plus d’insubordination, de désordre et d’incapacité. On laissa les chevaux piétiner toute une nuit un terrain défoncé par la pluie ; le lendemain, ils n’en pouvaient plus retirer leurs pieds. « D’autre part, dit un témoin oculaire, les François estoient si chargés de harnois qu’ils ne pouvoient aller en avant. Premièrement estoient chargés de cottes d’acier, longues, passant les genoux et moult pesantes, et par dessous harnois de jambes, et par dessus blancs harnois, et de plus bacinets. Ils estoient si pressés l’un de l’autre qu’ils ne pouvoient lever leurs bras pour férir les ennemis, sinon aucuns qui estoient au front. » Les archers anglais criblèrent à plaisir cette masse confuse, et ne perdirent que seize cents hommes, tandis qu’ils tuèrent dix mille Français, dont sept princes et cent chevaliers bannerets.

Les Armagnacs, alors maîtres du gouvernement, furent égorgés dans Paris, où rentra Jean sans Peur. Le gouvernement bourguignon ne fit guère mieux ; il laissa prendre Rouen. Le dauphin crut améliorer l’état des choses en assassinant Jean sans Peur au pont de Montereau. Le résultat de ce crime fut le traité de Troyes (1420), le plus honteux que jamais roi de France ait signé. Charles VI y reniait son fils Charles (VII) et transportait la couronne de France à celui qu’il appelait son fils, à Henri V, roi d’Angleterre. Il mourut peu de temps après, et la France eut deux rois anglais, Henri V et Henri VI. Charles VII se fit proclamer roi de son côté, à Meung-sur-Yèvre, au delà de la Loire.

Sa petite cour était pleine d’intrigues et de rivalités mesquines. Les affaires mal dirigées et de nouveaux revers amenaient les Anglais jusqu’à la Loire ; ils assiégèrent Orléans et furent sur le point de s’en rendre maîtres. Cette place conquise, la barrière de la Loire était franchie ; Charles VII devait fuir derrière la Garonne. Tout semblait donc désespéré.