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Malte-Brun - la France illustrée/0/5/2/6/1

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Jules Rouff (1p. lx-lxi).

RÉVOLUTION FRANÇAISE.

ASSEMBLÉES CONSTITUANTE ET LÉGISLATIVE.

« Qu’est-ce que le tiers état ? — La Nation. — Qu’est-il ? — Rien. — Que doit-il être ? — Tout. » C’est ainsi que Sieyès, dans une fameuse brochure, résumait la question politique. Il y avait tant de vérité dans ces paroles que le gouvernement lui-même avait jugé à propos de doubler la représentation du tiers état. L’ouverture des états généraux se fit le 5 mai 1789, à Versailles. Le tiers invite les deux autres à se réunir à lui : sur leur refus, il se proclame Assemblée nationale ; mais la cour fait fermer violemment la salle des états. Alors le tiers s’assemble dans la salle du Jeu de paume et jure de ne se séparer qu’après avoir voté la constitution. C’est de ce patriotique serment que date la France nouvelle. Bientôt noblesse et clergé, obligés de céder, viennent se réunir au troisième ordre. Qu’on se souvienne des états généraux de 1614, les derniers avant ceux de 1789 ; qu’on se rappelle l’orateur du tiers état parlant à genoux, et les nobles traitant de valets les roturiers, et qu’on juge du progrès qui s’était accompli.

Cependant la cour assemblait des troupes et méditait d’employer la force. Le peuple de Paris la prévint, et, dans l’immortelle journée du 14 juillet, enleva et rasa la Bastille, la vieille forteresse de la royauté. C’est ainsi qu’il sanctionna les actes de l’assemblée. À la nouvelle de cette révolution, toute l’Europe tressaillit. « Français, Russes, Danois, Allemands, Anglais, Hollandais, dit le comte de Ségur, alors ambassadeur à Saint-Pétersbourg, tous dans les rues se félicitaient, s’embrassaient comme si on les eût délivrés d’une chaîne trop lourde qui pesât sur eux. » Dès ce moment, l’impulsion est donnée : la Révolution marche à grands pas. La garde nationale est organisée à Paris. La Fayette lui donne la cocarde tricolore, qui, suivant sa prédiction, doit faire le tour du monde. Pour se réconcilier avec cette Révolution qu’ils ont d’abord combattue, les nobles, dans la nuit du 4 août, sacrifient leurs privilèges sur l’autel de la patrie. Après l’enthousiasme viennent les défiances : le peuple et la cour s’observent. Dans un repas qui a lieu à Versailles, la cocarde nationale est insultée et foulée aux pieds par des gardes du corps sous les yeux de la reine et des princes. Aussitôt des bandes armées de piques se rendent à Versailles, envahissent le château et ramènent à Paris le roi et la reine. (Journées des 5 et 6 octobre.)

Pendant deux années, l’Assemblée constituante poursuivit ses grands travaux. Le pouvoir législatif retiré à royauté, le roi réduit à une liste civile, la liberté des cultes et de la presse, l’égalité devant la loi, le partage égal des biens entre les enfants, le chaos de nos quatre cents coutumes faisant place à un code unique pour tout le royaume, les divisions provinciales, souvenir de la féodalité, supprimées et remplacées par la division en départements, les biens du clergé déclarés biens nationaux, et la création d’assignats hypothéqués sur ces biens, tels furent les principaux actes de la Constituante. Quand elle se retira, la sérénité du début de la Révolution avait déjà fait place aux défiances et aux haines. Le roi, en essayant la fuite de Varennes, avait lui-même dénoncé au peuple ses intentions contre-révolutionnaires et ses relations avec l’étranger, et, le 17 juillet 1791, le sang qui avait coulé au Champ-de-Mars avait amené une scission entre les révolutionnaires modérés et les révolutionnaires ardents.

L’Assemblée législative commença ses séances le 1er octobre 1791. Les membres de la Constituante s’en étaient volontairement exclus d’avance. La nouvelle Assemblée, dominée par les girondins, se montra faible et indécise, et laissa échapper de ses mains la direction de la Révolution, que


saisirent les clubs des Jacobins et des Cordeliers. Dès lors, outrepassant le but que la sagesse des constituants lui avait assigné, provoquée d’ailleurs au dehors par les menaces de l’étranger, au dedans par la résistance de la cour, des royalistes et des prêtres, la révolution n’est plus qu’une lutte violente. Après la journée anarchique du 20 juin vient celle du 10 août, qui chasse le roi des Tuileries et livre le pouvoir à la Commune de Paris, dont l’Assemblée législative n’a plus désormais qu’à légaliser les actes. L’infortuné Louis XVI et sa famille sont enfermés dans la tour du Temple ; le brasseur Santerre devient le général de la garde nationale, et des milliers de citoyens sont jetés en prison.

Tout à coup le bruit se répand que les alliés ont passé le Rhin, que Longwy est en leur pouvoir, que Verdun est pris. La Commune déploie une extrême activité : tous les citoyens s’arment et s’apprêtent à défendre Paris ou à courir au-devant de l’ennemi. Alors commence le triste règne de la Terreur : les prisons sont forcées et les prisonniers massacrés sous les yeux de l’Assemblée législative impuissante.

Cependant à la déclaration de Pilnitz, signée du roi de Prusse et de l’empereur d’Autriche, cette même Assemblée avait répondu par cette fière menace : « Si des princes d’Allemagne continuent de favoriser des préparatifs dirigés contre les Français, les Français porteront chez eux, non pas le fer et la flamme, mais la liberté ! » (Avril 1792.) Puis à la menace joignant l’effet, elle déclare la guerre aux puissances et proclame la patrie en danger. D’abord la guerre ne nous fut point favorable ; mais à Valmy nos conscrits apprirent aux troupes prussiennes, si vaines de leur discipline et de leur tactique, combien elles avaient tort de les dédaigner. Ils supportèrent le feu sans broncher, et, s’élançant au cri de : Vive la nation ! culbutèrent à la baïonnette les soldats de Brunswick. Les Prussiens évacuent la Champagne. Custine s’empare de Mayence, Anselme de Nice et Montesquiou de la Savoie. C’est au milieu de ces succès de bon augure que l’Assemblée législative se sépara. (20 septembre 1792.)